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Mission d’information sur les immigrés âgés

Mardi 11 juin 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Denis Jacquat

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement

– Audition, ouverte à la presse, M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville

– Présences en réunion

La séance est ouverte à seize heures quinze.

La mission d’information entend Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement.

M. le président Denis Jacquat, Mes chers collègues, nous entamons nos auditions de ce jour en recevant Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement.

Madame la ministre, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendue par la Mission. Cette audition pourrait être l’occasion d’aborder plusieurs sujets qui intéressent directement nos travaux : l’accès au logement social des personnes immigrées âgées, notamment celles vivant en foyer de travailleurs migrants ; la lutte contre la précarité et l’exclusion ; l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine, votée dans le cadre de la « loi DALO », mais jamais entrée en vigueur ; ou encore l’avenir du plan de transformation des foyers de travailleurs migrants.

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, tout d’abord, je tiens à vous remercier de votre invitation et à vous dire que je suis très heureuse que l’Assemblée nationale ait fait le choix de cette mission d’information. La question des immigrés âgés, de leurs conditions de vie et de leur place dans notre société, me semble tout à la fois très importante et trop peu prise en compte et reconnue, et c’est pourquoi je me réjouis que vous vous en empariez. Soyez assurés que je m’appuierai sur les conclusions de votre travail pour ce qui me concerne.

L’histoire personnelle des centaines de milliers de personnes dont nous parlons est intrinsèquement liée à l’histoire de notre pays. Venus en France mus par un projet économique et une farouche volonté de retourner « au pays », ces travailleurs migrants issus des vagues d’immigration des Trente Glorieuses vivent en réalité encore là où ils ne pensaient pas rester. Ces travailleurs, qui ont largement contribué à la reconstruction et au développement économique de notre pays, vieillissent aujourd’hui dans les foyers.

Prendre en compte ces personnes, non seulement isolées, mais encore trop souvent invisibles et silencieuses, est notre devoir. Ce n’est pas seulement parce que nous aurions une dette envers elles : c’est tout simplement parce qu’elles font partie de nos cités, qu’elles habitent ici, qu’elles doivent avoir toute leur place et vivre dans des conditions dignes.

En tant que ministre du logement, je suis bien entendu particulièrement préoccupée par leurs conditions de logement. Vous avez pu, au cours de vos auditions, dresser le diagnostic des difficultés : habitat privé indigne, hôtels meublés pas toujours de qualité, foyers de travailleurs migrants en mauvais état ; je ne vais pas à nouveau en dresser une liste détaillée.

Ma priorité est de faire en sorte que ces immigrés âgés puissent habiter dans des conditions de confort acceptables, mais aussi, au-delà, qu’ils soient considérés comme des citoyens à part entière.

L’un des axes de la politique que je mène pour contribuer à améliorer les conditions de logement des immigrés âgés réside dans la lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil.

Le projet de loi « pour l’accès au logement et un urbanisme rénové » (« ALUR ») que j’aurai le plaisir de présenter en conseil des ministres à la fin du mois, contiendra des dispositions en ce sens. Pour l’habitat indigne, je souhaite créer les conditions de mise en place d’un acteur unique afin de simplifier la mise en œuvre des polices spéciales de l’habitat ; concernant les marchands de sommeil, je souhaite mettre à mal ce fléau en instaurant une astreinte administrative lourde et dissuasive.

Selon les estimations, 35 000 immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans vivent à ce jour en foyer. À cet égard, je souhaite évoquer deux questions : le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants et la vie des immigrés âgés dans les foyers et résidences sociales.

À la fin des années 1950, lorsque les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de loger ces ouvriers migrants qui peuplaient les usines et les chantiers, les travailleurs avaient fait naître le slogan : « de l’usine prison au foyer cercueil ». En tant que ministre, j’ai un devoir de lucidité, et force est de constater que ce slogan n’a pas pris une ride. Soixante ans plus tard, les conditions dans lesquelles vivent ces immigrés âgés, au regard de la redevance qu’ils paient chaque mois, sont trop souvent intolérables et indignes.

Ces foyers ont été construits rapidement pour répondre aux besoins exponentiels identifiés à l’époque ; ils ont surtout été construits pour une population supposément en transit. Or à présent, nous devons en faire le constat, ces personnes vivent – souvent à plusieurs – dans des chambres exiguës depuis plus de quarante ans. Elles sont aujourd’hui recluses dans ces chambres qui, n’ayant pas évolué avec elles, sont devenues inadaptées au regard de leur âge, de leur mobilité, de leurs besoins. Je souhaite m’attarder sur cette question des besoins, car s’il est légitime d’avoir envie et besoin de bâtir une vie collective au-delà des quatre murs de sa chambre à vingt ou trente ans, c’est également le cas pour les personnes de plus de soixante-cinq ans. La vie collective des foyers, pour un faisceau de raisons, notamment financières ou liées à la sécurité, s’est beaucoup dégradée ; les lieux de vie communs ont souvent été réduits ou supprimés. Cela est particulièrement regrettable.

La situation à laquelle nous sommes confrontés nous impose d’agir.

Je souhaite ardemment que le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants, financé par l’État et Action Logement, soit achevé – et ce plus rapidement que prévu. Néanmoins, je voudrais souligner ici qu’il ne s’agit pas seulement d’une question budgétaire.

En effet, la démarche consiste bien à construire des projets partagés, aussi bien avec les collectivités locales qu’avec les résidents eux-mêmes. J’ai déjà eu l’occasion de le dire le 18 février dernier au foyer « Bara » à Montreuil lors de la signature du protocole de reconstruction de ce foyer de travailleurs maliens. Cela a été un moment fort pour cet établissement particulièrement emblématique. Grâce à l’intelligence de l’ensemble des acteurs qui ont uni leurs efforts, une solution a pu être trouvée, alors même que la situation paraissait inextricable. C’est bien parce que le propriétaire, Antin Résidences, et le gestionnaire, Coallia, ont accepté de s’inscrire dans une démarche participative et innovante et qu’ils ont construit un projet viable en lien avec les collectivités et les résidents, que ce protocole tant attendu a pu être signé.

Sur ce modèle, qui démontre que les situations les plus difficiles peuvent être surmontées – le foyer « Bara » se caractérise par une très forte suroccupation et un état extrêmement délabré –, ma volonté est de faire en sorte que les projets soient construits collectivement. C’est le message que je souhaite envoyer à l’ensemble des acteurs : gestionnaires, propriétaires et collectivités locales. Il s’agit de ne pas plaquer un modèle identique partout afin d’éviter de reproduire les erreurs du passé.

Je sais que les questions posées sont complexes. Si la transformation d’un foyer devenu obsolète et insalubre en résidence sociale apparaît comme la solution préalable à l’amélioration des conditions de vie de leurs occupants, elle n’est cependant pas la solution magique. Certes, il est plus confortable pour les immigrés âgés de bénéficier de studios plus grands et en meilleur état, mais il n’est pas évident pour eux de manger et de vivre seul dans un petit appartement. Aussi, pour un certain nombre d’entre eux, le maintien d’un mode de vie collectif – comme ils l’ont connu pendant plus de quarante ans – est-il nécessaire car leur isolement entraînerait des souffrances psychologiques importantes. Un décalage violent avec leurs modes de vie n’est donc pas souhaitable.

Pour toutes ces raisons, il est nécessaire d’élaborer des projets de manière participative et, le cas échéant, de faire évoluer les règles régissant les résidences sociales. L’enjeu est de trouver le bon équilibre pour répondre aux besoins présents, tout en anticipant les besoins à venir.

D’autres projets intéressants voient le jour. Lors de son audition, l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale (ARALIS) vous a fait part de son expérience de logements partagés.

Ainsi, nous devons faire le pari de l’intelligence collective et laisser la possibilité d’expérimenter de nouveaux usages avec pragmatisme. Nous devons imaginer dès aujourd’hui l’évolution probable de certains de ces lieux.

Il est indéniable que ces démarches d’élaboration collective prennent du temps, mais elles sont indispensables. Pour autant, nous ne pouvons pas rester sans rien faire pour les immigrés âgés dans les foyers non traités, et nous devons donc améliorer leurs conditions de vie dans les foyers existants.

Il s’agit notamment de faire en sorte que les aides au maintien à domicile s’appliquent dans les foyers comme ailleurs. Le ministère des affaires sociales et les gestionnaires travaillent à des avancées en la matière.

Il s’agit également de prendre en compte les travaux d’adaptation nécessaires et, enfin, de maintenir des lieux de sociabilité. En effet, un des plus grands reproches que l’on peut faire à certains travaux de réhabilitation est la suppression de tout espace de vie collective – espace de grande proximité d’autant plus nécessaire que le vieillissement entraîne une perte de mobilité. Je sais que la sécurité représente un réel enjeu, mais je suis très attachée à l’existence de lieux collectifs sous une forme ou une autre. Les opérateurs de l’État ont imposé à ces personnes un mode de vie très collectif, voire hypercollectif ; nous ne pouvons pas, au motif de faire mieux, priver de lien social ceux qui en ont le plus besoin aujourd’hui.

Près de trois cents foyers ont à ce jour été transformés ou sont en voie de l’être. Le plan de traitement a donc avancé. Néanmoins, ne se pose pas la seule question du bâti : nous devons aussi nous préoccuper des immigrés âgés dans les résidences sociales.

Pour cette raison, la nouvelle circulaire relative à l’aide à la gestion locative sociale (AGLS) prévoit explicitement que celle-ci doit permettre aux personnes immigrées âgées de faire valoir leurs droits et de bénéficier des aides. De plus, cette aide est revalorisée, comme le Gouvernement s’y est engagé dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Il s’agit à la fois de relever le plafond de l’aide et de faire en sorte que des nouvelles résidences qui ne pouvaient pas être financées faute de crédits puissent l’être dorénavant. Le soutien fort apporté par le ministère du logement à l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), la fédération professionnelle des gestionnaires, permet également le développement d’outils contribuant à une meilleure prise en compte des problèmes rencontrés.

Enfin, François Lamy, ministre délégué chargé de la politique de la ville, aura l’occasion tout à l’heure d’évoquer avec vous l’action menée par l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé).

Je ne vais pas revenir sur la mise en œuvre de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine (ARFS). Marisol Touraine a eu l’occasion de vous présenter ce qui est en cours, sous son égide et en lien avec moi et mon ministère.

S’agissant de l’épineuse question des allers et retours, je suis favorable au développement d’initiatives comme celles que certains gestionnaires ont prises en faveur de de logements partagés. C’est une recommandation du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) dans son seizième rapport. Je ne vous cache pas que modifier la condition des huit mois de résidence pour le bénéfice de l’aide personnalisée au logement (APL) est compliqué. Néanmoins, permettre le paiement de quelques mois de redevance seulement et l’utilisation du logement par plusieurs personnes constitue une solution susceptible de répondre aux attentes et aux besoins et, au final, relativement rationnelle au regard de l’utilisation des logements. J’ai bien conscience que cela est complexe d’un point de vue logistique, et je salue l’engagement des gestionnaires qui explorent cette voie. Je souhaite que nous travaillions à lever les obstacles rencontrés. Cette question n’est pas complètement indépendante de celle de l’ARFS ; il s’agira donc d’articuler ces deux sujets.

Je voudrais aborder un dernier point qui n’est pas spécifique aux immigrés âgés, mais qui les concerne également : celui des droits dans les foyers, du droit au respect de la vie privée et à la participation à la vie des foyers et résidences. Le projet de loi que je vais présenter prévoit des dispositions sur la participation des personnes accompagnées et hébergées. Ces dispositions pourront être complétées dans le cadre du débat parlementaire pour répondre aux attentes des résidents de foyers et résidences sociales.

Enfin, les personnes âgées immigrées doivent pouvoir accéder à un logement « autonome » si elles le souhaitent, notamment pour pouvoir accueillir leur famille. Elles doivent donc avoir les mêmes droits que les autres en la matière. L’effort doit être collectif. Je compte sur le travail en cours visant à améliorer le traitement des demandes de logement social, afin de mieux prendre en compte les demandes des immigrés âgés.

En conclusion, je voudrais réaffirmer que les immigrés âgés doivent avoir toute leur place dans nos villes et que tout doit être fait pour qu’ils ne soient ni relégués, ni oubliés. Pour ce faire, l’implication des pouvoirs publics doit être forte, ces personnes étant généralement peu revendicatrices. Je suis donc déterminée à faire en sorte que nous puissions leur offrir des conditions de vie dignes et un accès au droit commun.

Le rapport de votre mission d’information sera bientôt finalisé et rendu public. La responsabilité du Gouvernement sera de prendre appui sur votre travail et de mettre en place une politique cohérente et globale à destination de ces personnes. Nous ne pouvons pas attendre qu’elles disparaissent à petit feu et dans l’indifférence.

Je vous remercie.

M. le président Denis Jacquat. Merci beaucoup, madame la ministre, de votre exposé particulièrement clair.

Nos préconisations rejoignent les vôtres, en particulier sur les appartements partagés auxquels les immigrés âgés sont très favorables.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Madame la ministre, je vous remercie de votre exposé liminaire qui témoigne de votre connaissance fine de la situation des immigrés âgés, en particulier de ceux encore présents dans les foyers de travailleurs migrants. Vous avez évoqué la quasi-totalité des sujets qui nous ont préoccupés dans le cadre de cette Mission. Je souhaite néanmoins revenir sur un certain nombre de questions cruciales pour nous au regard de la problématique du logement.

D’abord, sur les sept cents foyers de travailleurs migrants que compte notre pays, environ 50 % ont été soit reconstruits, soit réhabilités au titre du plan de traitement des foyers. Néanmoins, si l’on additionne le nombre de foyers qui n’ont pas encore été traités par le plan et ceux qui n’en ont jamais fait partie, ce sont environ trois cent quarante foyers qui sont aujourd’hui en mauvais état, puisqu’ils ont été construits dans les années soixante-dix à quatre-vingt et n’ont malheureusement pas bénéficié des travaux nécessaires.

Depuis 1997, Action Logement a participé au financement du plan de traitement à hauteur de 37 %. Suivent l’État à 23 % et les collectivités territoriales à 10 %. Cette répartition de l’effort financier vous semble-t-elle pérenne ? La poursuite du plan de traitement rend-elle nécessaire de repenser la répartition de son financement, voire de mobiliser des fonds nouveaux, comme nous l’a suggéré le directeur général d’Adoma ? En effet, dans le cadre de la répartition capitalistique de cette société, un pacte d’actionnaires est en cours de renégociation, et M. Bruno Arbouet nous a soumis l’idée de faire bénéficier cette dernière de crédits supplémentaires, condition indispensable selon lui à l’accélération du plan de traitement des foyers. Cette piste sera probablement reprise dans les préconisations de notre rapport.

Un grand nombre de communes ne considèrent pas les travailleurs migrants vivant dans les foyers comme des résidents à part entière, en raison de l’extraterritorialité liée à l’implantation et à l’histoire de ces foyers. Ce faisant, elles refusent de leur accorder l’accès à un logement social – auquel ils ont pourtant droit – au motif qu’elles n’ont pas à assumer, en plus de l’accueil dans les foyers, leur relogement dans un parc social, souvent géré par des bailleurs municipaux. Par conséquent, les immigrés âgés sont victimes d’une discrimination, alors que certains d’entre eux souhaiteraient bénéficier d’un logement social de droit commun pour des raisons de vie privée, de regroupement familial ou tout simplement parce qu’ils en ont les moyens.

La transformation des foyers en résidence sociale est indispensable car elle permet une adaptation du bâti et du mobilier au vieillissement des résidents. Néanmoins, cette adaptation entraînera une augmentation des redevances et donc du « reste à charge » de ces personnes dont la modicité des pensions de retraite a été soulignée. Avez-vous des pistes à nous proposer pour remédier à cette situation ?

Il est relativement aisé de disposer d’informations sur les résidents des foyers de travailleurs migrants par l’intermédiaire des bailleurs, au premier rang desquels Adoma. En revanche, comme nous l’ont confirmé des historiens et des sociologues, il est beaucoup plus compliqué d’en obtenir sur les immigrés âgés vivant en habitat diffus, en raison du manque d’études et de recherches sur leur situation économique et sociale. Certes, tous ne subissent pas des conditions de logement précaires ou difficiles, mais beaucoup se sont réfugiés dans de l’habitat privé, souvent indigne. Comment évaluer les besoins de ces personnes isolées vivant dans des logements privés et des quartiers anciens dégradés ?

Enfin, comment faire en sorte que les programmes locaux de l’habitat (PLH) prennent systématiquement en compte la situation des personnes immigrées vieillissantes ? Certaines communes le font déjà, d’autres n’en tiennent pas compte, ce sujet étant laissé à la libre appréciation des collectivités locales. D’ailleurs, certains conseils généraux n’ont pas inscrit dans leur schéma gérontologique cette préoccupation.

Mme Kheira Bouziane. Merci de votre présentation, madame la ministre : elle illustre votre volonté de trouver des solutions au logement des travailleurs immigrés âgés, qui sont, comme nos auditions l’ont souligné, des personnes discrètes et exclues du droit commun.

Dans la mesure où certaines d’entre elles souhaitent quitter leur foyer, mais ont des difficultés à intégrer un logement social, ne pourrait-on pas imaginer de réquisitionner des logements financés par le « 1 % patronal » ?

Mme Hélène Geoffroy. S’agissant de l’APL, madame la ministre, vous avez souligné la difficulté à imaginer un régime spécifique, et l’intérêt d’une forme de colocation. Comment généraliser cette solution, sachant que ces immigrés âgés continueront de faire des allers et retours réguliers entre la France et leur pays d’origine ?

Vous avez évoqué la question très importante des lieux de socialisation. Permettre aux personnes extérieures aux foyers d’y venir, par exemple les associations de quartiers et les habitants âgés d’origine immigrée vivant dans l’habitat diffus, nous semble indispensable. Comment améliorer ces liens afin de permettre aux personnes immigrées de vieillir dignement ?

Mme Françoise Dumas. Merci, madame la ministre, de votre intervention.

Je crois nécessaire de repenser le logement social. En effet, plus les logements sont récents, plus les loyers sont chers. C’est le cas des petits logements adaptés à la perte d’autonomie et au handicap.

Ne pourrait-on imaginer des solutions s’inspirant des maisons en partage, comme dans le Gard pour les personnes en perte d’autonomie ? Ce genre de structure respecte l’indépendance et la vie privée des personnes, tout en assurant une prise en charge par les départements au titre de la dépendance. Je crois beaucoup au rôle des associations pour le maintien du lien social car les immigrés âgés n’ont pas l’habitude de revendiquer des droits, ayant le sentiment que leurs demandes sociales ne seraient pas légitimes.

Mme Danièle Hoffmann-Rispal. Madame la ministre, je me réjouis de votre volonté de promouvoir des avancées sur toutes ces questions qui nous préoccupent.

Les immigrés âgés sont très attachés aux lieux de rencontre et de convivialité, qu’ils ont toujours connus, comme les « cafés sociaux ».

Le logement partagé sera très compliqué à mettre en place, même s’il répond à une demande. Quant à la résidence sociale, elle me paraît intéressante à condition de prendre en compte le fait que les personnes, aujourd’hui âgées de soixante-cinq à soixante-quinze ans et vivant dans les foyers, vont encore perdre en autonomie, d’où la question de l’aide relevant de l’ergothérapie à laquelle Adoma ne semble pas avoir réfléchi.

Mme la ministre. Monsieur le rapporteur, vous avez raison d’évoquer l’accélération du plan de traitement. À cet égard, je tiens à saluer le travail de redressement financier d’Adoma engagé par son directeur général. Néanmoins, cet objectif de redressement ne doit pas, selon moi, être la seule orientation de l’entreprise, au risque de la voir se diversifier vers des activités beaucoup plus rémunératrices. Il me semble donc nécessaire de redéfinir le projet d’Adoma, notamment en matière de mission sociale, de niveau de redevance, mais aussi d’accélération du plan de traitement, laquelle sera rendue possible grâce une évolution de son capital. Mais cela ne doit pas être fait au détriment de sa mission éminemment sociale. La logique de rentabilité imposée à Adoma a abouti à des constructions de résidences sociales ne répondant pas aux critères de qualité de vie des résidents. L’entreprise a connu de graves dérives en son sein il y a quelques années, mais la nouvelle direction y a mis fin. Ma position est donc très ferme. Il faut à présent, je le redis, redéfinir son projet social, en plus de l’objectif de traitement des foyers et de l’objectif financier.

Comme vous le soulignez, un certain nombre de collectivités considèrent l’accueil simple du foyer comme une contribution extrême et ne voient pas les résidents comme des citoyens à part entière au regard de leur demande de logement. Le travail que nous menons sur le lieu unique de dépôt de la demande et sur une réflexion dans le cadre intercommunal devrait contribuer à lever ces difficultés.

La transformation des foyers en résidences sociales est un sujet délicat, en particulier au regard du niveau de redevance lié à la qualité des logements. Il faut étudier les projets en amont. En effet, la transformation des trois cent quarante foyers restants, mais avec moins de places et un niveau de redevance les rendant accessibles à de nouveaux résidents, mais pas aux résidents antérieurs, aboutirait à renvoyer ces derniers dans l’habitat diffus. Il faut veiller à ce que scénario ne se réalise pas, car les immigrés âgés dans l’habitat diffus sont une population encore plus vulnérable à cause des « marchands de sommeil », de l’habitat très dégradé, parfois même des maisons individuelles divisées où ils sont locataires d’une chambre avec un accès aux parties communes réglementé en nombre d’heures ! Le projet de loi remédiera à la question du logement indécent en modifiant les dispositions juridiques actuelles, qui sont d’une grande complexité pour les collectivités locales.

Il est compliqué d’imposer par principe l’intégration dans les PLH de la question des immigrés âgés car elle ne se décline pas de la même manière sur l’ensemble du territoire. En revanche, je pense qu’elle doit être prise en compte dans le plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD), l’idée étant de fusionner PDALPD et plan départemental d’accueil, d’hébergement et d’insertion (PDAHI).

Madame Bouziane, vous avez évoqué le contingent d’Action Logement dans le logement social. L’étape suivante de la concertation sur les attributions de logement que j’ai lancée concernera l’usage des contingents. Certains d’entre eux doivent contribuer à la résolution de difficultés, notamment celui d’Action Logement sur des territoires. La mise en place du dépôt de la demande dans un lieu unique facilitera la prise en compte des besoins sur les territoires par les bailleurs et permettra de fixer à ces derniers des objectifs de relogement des personnes immigrées âgées. Cette disposition figurera dans le projet de loi ALUR.

Madame Geoffroy, la concertation sur le futur projet de loi a permis d’évoquer la colocation, notamment la possibilité de créer des baux pour les colocataires et de supprimer la clause de solidarité en cas de départ d’un des signataires du bail. À l’heure actuelle, la colocation n’existe pas juridiquement. La suppression de la clause de solidarité est prévue dans le projet de loi.

Vous avez raison : les projets réussis sont ceux qui, dans le cadre de la rénovation ou de la reconstruction d’un foyer, ont prévu des lieux de socialisation accueillant les résidents, mais aussi d’autres personnes – enfants, personnes faisant partie des associations et des bars associatifs. Ce lien entre le foyer et l’ensemble de la vie sociale est extrêmement utile. Dans le cadre de l’élaboration de ces projets, les résidents ont à cœur non seulement de se retrouver entre eux, mais aussi de voir d’anciens résidents installés ailleurs et d’autres personnes. L’association des résidents à l’élaboration des projets aboutit quasi automatiquement à l’émergence de ce type d’opération. Notre responsabilité est de permettre leur financement. En effet, le maintien d’un niveau de redevance limité dans les résidences sociales complique considérablement la création de lieux communs. Je précise que la réglementation sur les établissements recevant du public (ERP), en interdisant l’accueil de plus de vingt personnes simultanément dans les salles, ne sera pas sans poser des difficultés.

Madame Dumas, les maisons partagées, à la frontière entre résidence sociale et logement autonome, constituent des solutions innovantes et très intéressantes. L’évolution du statut de la résidence sociale faciliterait ce type de réalisation qui répond à la problématique du vieillissement que vous avez évoquée, madame Hoffman-Rispal. Les maisons relais, dont la vocation est d’accueillir des personnes en difficulté sociale, peuvent aussi être une très bonne réponse aux personnes vieillissantes, la vie collective étant un élément de sécurisation.

Enfin, la question des allers et retours et des deux lieux de résidence est pour moi primordiale. Les nombreux résidents que j’ai rencontrés m’ont dit : « Nous ne sommes chez nous nulle part, ni ici, ni là-bas ; chez nous, c’est les deux endroits. » Notre pays a la responsabilité d’apporter rapidement des réponses aux besoins de ces personnes, pour lesquelles les moyens financiers ne sont pas hors de portée.

Monsieur le président, je vous renouvelle mes remerciements, ainsi qu’à l’ensemble des membres de votre Mission.

M. le rapporteur. Pour terminer, madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le fonctionnement des foyers de travailleurs migrants. En effet, l’interprétation du règlement intérieur par le personnel est très inégale d’un foyer à l’autre, certains résidents ne pouvant recevoir sans avoir déposé au préalable une autorisation auprès du gardien. En outre, certains comités de résidents fonctionnent également de façon très inégale. Je vous soumets donc deux pistes qui figureront probablement parmi les préconisations du rapport de la Mission.

Il apparaît nécessaire, d’abord, de faire évoluer ces règlements intérieurs grâce à l’adoption d’une charte nationale de bonne conduite, laquelle contribuerait à homogénéiser les pratiques dans un sens bienveillant à l’égard des résidents.

Il conviendrait, ensuite, d’octroyer le statut de personne morale aux comités d’usagers, ce qui leur permettrait d’être reconnus légalement, mais aussi de mener des animations sociales et culturelles indépendamment des bailleurs, sur la volonté desquels tout repose actuellement.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame la ministre, pour la précision de vos réponses. Il est très important que ces personnes immigrées, venues participer au redressement de notre pays pendant les Trente Glorieuses, puissent vieillir dans la dignité et accéder aux aides auxquelles elles ont droit.

La mission d’information entend ensuite M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville.

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous entendons maintenant M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville.

Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendu par la Mission, afin d’aborder, notamment, la prise en compte des personnes immigrées âgées par la politique de la ville et dans le cadre de la rénovation urbaine, et l’articulation entre la politique de la ville et la politique d’intégration. Vous pourrez également nous parler des projets d’amélioration des actions d’insertion et d’accompagnement actuellement à l’étude.

M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, je vous remercie de m’auditionner sur ce sujet important. Mon propos prolongera l’audition de Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement

Ministre délégué à la ville, je suis le ministre des quartiers populaires et concerné par les populations immigrées âgées, puisque 50 % des habitants de ces quartiers sont étrangers ou nés de parents étrangers. La plupart d’entre eux ont exercé des métiers difficiles et participé au développement économique du pays. Aujourd’hui, ils vivent dans une grande précarité, et leur état de santé est dégradé.

La question des immigrés âgés est avant tout une question sociale et humaine, porteuse des stigmates d’une politique d’intégration qui a montré ses faiblesses et ses limites. C’est pourquoi, mon portefeuille étant par nature interministérielle, je parlerai tout particulièrement de la politique d’intégration.

Nos réponses sont, d’abord et avant tout, la mobilisation du droit commun pour permettre aux personnes âgées d’accéder à leurs droits, ou le devoir de reconnaissance et de mémoire en valorisant la transmission de l’héritage de l’immigration ; j’y reviendrai.

Refonder en profondeur la politique d’intégration est un objectif ambitieux du Gouvernement, à condition que nous nous en donnions les moyens. Mon ministère est mobilisé au premier chef compte tenu des articulations multiples entre la politique de la ville et la politique d’intégration.

Cette problématique, en miroir de la stigmatisation ressentie par plusieurs millions de nos concitoyens, dont la plupart vivent dans les quartiers populaires, est un enjeu fondamental pour la cohésion de notre société, d’autant que la crise actuelle fragilise encore un peu plus les fondamentaux de notre « vivre ensemble ». Il est de notre devoir de trouver le « ton juste » : le fait de porter ces sujets n’a pas pour but de cliver encore un peu plus la société française, mais au contraire d’avoir un discours rassembleur, autour du « vivre ensemble ».

C’est d’ailleurs dans cette optique que le Premier ministre engage, en lien avec les ministères de l’intérieur et de la ville, une concertation autour de la refondation des politiques d’intégration. D’ici à septembre, cinq groupes de travail, qui traiteront de culture et de mémoire, de lutte contre les discriminations, d’habitat, de mobilité sociale et de protection sociale, associeront les ministères et les personnalités qualifiées intéressées, rendront leurs conclusions à la rentrée de septembre, afin que le Gouvernement présente un document de stratégie générale au mois d’octobre.

La question des immigrés âgés y sera une question transversale, tant elle touche à toutes les dimensions traitées. Elle fera l’objet d’un volet spécifique dans ce cadre. Je suis convaincu que définir une politique exemplaire à destination des immigrés âgés permettra de favoriser le sentiment d’appartenance des jeunes générations à une société française qui respecte leurs parents et grands-parents.

De la même manière, le respect de l’engagement présidentiel en faveur du droit de vote des étrangers sera un signe de notre volonté politique par rapport à la refondation de la politique d’intégration. Cet engagement, dont on sait qu’il sera concrétisé au Parlement après les élections municipales, est essentiel. Attendu de tous les acteurs des quartiers, il est devenu un principe dans la considération attendue des personnes intéressées qui souhaitent être traitées comme des citoyens à part entière.

Je sais que vous avez eu l’occasion d’auditionner Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’ACSé, l’un des bras armés du ministère de la ville. Elle vous a déjà présenté de manière détaillée l’action de l’Agence ; je vous renvoie donc, à ce sujet, aux éléments de son audition.

Je souhaite, par contre, insister sur deux points qui me paraissent essentiels.

Le premier est celui de la reconnaissance, de l’histoire et de la mémoire.

Le travail sur l’histoire et la mémoire est une préoccupation ancienne de la politique de la ville. Cet intérêt a donné lieu à un grand nombre d’initiatives tant à l’échelle locale, avec les élus et les associations, qu’à l’échelle nationale avec le Secrétariat général du Comité interministériel des villes (SG-CIV), l’ACSé et lAgence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Nous rassemblons actuellement ces nombreuses initiatives afin de les valoriser. L’année 2013 est très importante car elle est marquée par le trentième anniversaire de la Marche pour l’égalité.

Par leur diffusion, ces actions « mémoire et histoire » s’inscrivent directement dans une démarche de lutte contre les discriminations, car elles contribuent directement à modifier le regard porté par la société française sur les habitants des quartiers en renforçant les liens sociaux et les liens intergénérationnels. C’est un enjeu majeur, car parler d’intégration doit, non plus se traduire par une injonction aux « immigrés âgés » et à leurs descendants de s’intégrer, mais plutôt exprimer une volonté de la société française de s’enrichir au fil des ans des différences des citoyens qui la composent, dans le respect des valeurs de la République.

Ces actions ont aussi pour objectif de participer à la reconnaissance et à l’inscription des parcours de ces migrants, qui ont façonné et participé à l’histoire de France, dans notre histoire commune. Le ministère de la ville soutient aujourd’hui une expérimentation autour du 1 % mémoire à Amiens. Cette initiative, que je soutiens avec Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants, et la municipalité d’Amiens, illustre l’idée qu’une action mémorielle n’est pas un « gadget », mais bien une action de mobilisation pour favoriser le vivre-ensemble. En effet, accompagnés dans une meilleure connaissance de leurs territoires et des parcours migratoires, les habitants se sentent plus en confiance ! On construit ainsi les bases d’une future mobilisation citoyenne !

Je lancerai d’ailleurs la semaine prochaine un groupe de travail, animé par l’historien Pascal Blanchard, chargé de présenter des propositions concrètes à l’automne. Ce groupe sera chargé de structurer les bases d’un programme d’intervention national copiloté par l’ACSé et l’ANRU, afin de favoriser la prise en compte de la « mémoire » dans les futurs contrats de ville et opérations de rénovation urbaine. Aucune opération de rénovation urbaine ne devra être réalisée sans mobilisation autour de la mémoire. En proposant cela, je souhaite donner corps à la proposition de M. Thierry Tuot dans son rapport sur l’intégration.

La reconnaissance, c’est aussi la concrétisation de la possibilité d’être enterré en France, selon les rites choisis par les familles. Mourir en France aujourd’hui, pour un musulman, revient encore trop souvent à être enterré le plus rapidement possible hors des frontières, afin de pouvoir l’être selon les rites religieux. Il me semble essentiel, au contraire, d’encourager l’aménagement des « carrés musulmans » dans les cimetières.

Après la question de la mémoire et de la reconnaissance, je souhaite aborder celle de l’accès aux droits.

Vous avez eu l’occasion d’auditionner Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, qui vous ont finement détaillé les mesures spécifiques qu’elles mettent en œuvre.

Pour ma part, je suis favorable à la publication, dès que possible, des décrets d’application de la loi instituant le droit au logement opposable « DALO » de 2007, qui devait permettre aux immigrés âgés de rentrer dans leur pays d’origine tout en continuant de percevoir leurs allocations, et en touchant une allocation supplémentaire calculée selon leurs revenus. Ainsi, selon les articles 58 et 59 de cette loi, les personnes peuvent rester dans leur pays pour de longs séjours et continuer à bénéficier du régime de sécurité sociale et des droits sociaux.

Dans le cadre des engagements concrets de la convention passée entre le ministère de la ville et le ministère des affaires sociales que j’ai signée avec Mme Marisol Touraine et Mme Michèle Delaunay le 19 avril dernier, je souhaite mentionner l’excellente initiative qu’est la Mobilisation nationale contre l’isolement des personnes âgées (Monalisa), engagée par un collectif d’associations – centres sociaux, régies de quartier.

Je souhaite également souligner l’action menée par les acteurs de proximité, en prenant exemple sur l’action menée par le collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », qui travaille majoritairement à Toulouse contre ce qu’il appelle le « harcèlement administratif » en pointant du doigt certaines pratiques des services sociaux. En 2009, ce sont trois associations toulousaines soutenues par l’ACSé, La Case de santé, le Centre d’initiatives et de ressources régionales autour du vieillissement des populations immigrées (CIRRVI) et le Tactikollectif, qui ont fait émerger ce mouvement, étendu depuis à d’autres villes.

La convention interministérielle conclue entre le ministère de la ville et celui des affaires sociales comme les décisions du conseil interministériel des villes du 19 février dernier confirment l’engagement de l’ensemble du Gouvernement dans la lutte contre les discriminations, dont j’ai chargé l’ACSé de la mise en application.

Les derniers obstacles à l’accès aux droits sont ceux qui relèvent d’une insuffisante information d’une partie des usagers immigrés pour faire valoir leurs droits. Je demanderai à l’ACSé d’engager des actions spécifiques en faveur des immigrés retraités sur cette question, dès que les conclusions de votre mission d’information seront rendues publiques.

Je continuerai à soutenir l’ensemble des associations qui œuvrent en matière d’accès au droit – le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), ou encore le Comité médical pour les exilés (COMEDE) – soutenues de nouveau par l’ACSé, après avoir subi une forte baisse de leurs crédits ces dernières années.

En outre, ma volonté est de sanctuariser en 2014 et 2015 les crédits destinés aux associations de proximité, acteurs indispensables du lien social dans les quartiers populaires. La reconnaissance de leur rôle serait ainsi appréciée à sa juste valeur par le monde associatif dans le contexte actuel. Je souhaite l’appui du Parlement en la matière.

Avant de conclure, je dirai quelques mots sur les foyers de travailleurs migrants (FTM), qui ont fait l’objet de discussions au sein de la Mission.

Les foyers de travailleurs migrants font l’objet, depuis 1997, d’un plan national de traitement visant à les transformer en résidences sociales respectant les normes actuelles de logement. Tous les FTM ont vocation à devenir, à terme, des résidences sociales et à favoriser le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes, notamment grâce à l’aménagement de sanitaires adaptés et de rampes d’accès, mais aussi à permettre l’intervention de tous les services de droit commun, tels les services infirmiers à domicile.

Les travaux du plan de traitement relèvent soit de la réhabilitation lourde, soit de la démolition-reconstruction. La délimitation des aides de l’État et de l’ANRU est la même que pour les logements sociaux classiques : l’ANRU subventionne les travaux dans les quartiers faisant l’objet d’une convention ANRU ; l’État le fait partout ailleurs. Cependant, quand l’ANRU ne dispose pas des crédits suffisants, notamment pour les projets de rénovation urbaine (PRU) contractualisés tardivement, les aides à la pierre de droit commun peuvent être mobilisées.

Je suis évidemment favorable à l’accélération du plan de traitement des foyers, afin d’améliorer les conditions de vie des immigrés âgés.

Enfin, tous les futurs projets de rénovation urbaine, lorsqu’ils comporteront des foyers, prendront en compte de manière prioritaire la réhabilitation de ces derniers, dans le cadre d’une approche globale liant urbain et social, articulation qui sera à la base des futurs contrats de ville, objet de la réforme de la politique de la ville en cours.

Je vous remercie.

M. le rapporteur. Merci, monsieur le ministre, de cet exposé très complet.

Les mesures décidées lors du conseil interministériel des villes du 19 février dernier visant à « territorialiser les politiques de droit commun » devraient apporter des réponses en matière d’accès aux soins, à travers le « Pacte territoire santé », mais aussi dans le cadre de la lutte contre l’isolement des personnes âgées dans les quartiers prioritaires.

La sensibilisation des pouvoirs publics locaux à la prise en compte des immigrés âgés est très importante. L’engagement de l’ensemble des collectivités – conseils généraux et communes – sur les questions liées au vieillissement nous semble indispensable au regard des spécificités territoriales et des pratiques hétérogènes en la matière. Nous pensons utiles de rendre systématiques les partenariats dans les territoires où vivent les immigrés âgés, territoires qui dépendent très souvent de la politique de la ville. Les immigrés âgés vivant quasiment toujours dans les quartiers populaires, les foyers et les territoires concernés sont identifiés.

Un grand nombre d’associations, comme le GISTI et la FASTI, ont attiré notre attention sur l’articulation entre la politique d’intégration et les politiques de la ville et de la cohésion sociale. En effet, s’il existe des dispositifs d’accueil en faveur des primo-arrivants, les personnes présentes sur le territoire national depuis très longtemps sont malheureusement confrontées à une relative indifférence de la part des pouvoirs publics s’agissant de leur parcours migratoire. Il nous semble que la politique de la ville devrait prendre en compte cette situation, sachant que ces personnes sont arrivées dans notre pays à une époque où les ministères de la ville et de l’immigration n’existaient pas.

Une grande partie des immigrés âgés est accompagnée par le milieu associatif, certaines associations ayant été créées spécifiquement autour du vieillissement de ces migrants et de la problématique des chibanis. Elles ont exprimé auprès de la Mission leur inquiétude face à la baisse, voire la suppression, de leurs subventions, cette instabilité financière fragilisant leurs projets de long terme. Des pistes sont-elles à l’étude pour sécuriser ces financements, notamment dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) ? Le tissu associatif est un pilier dans l’accompagnement de ces personnes, surtout au moment de leur vieillesse, et il nous semble légitime, en dépit du contexte budgétaire, que le Gouvernement en tienne compte. En tout cas, le Parlement sera particulièrement vigilant sur cette question.

Dans son rapport remis au Premier ministre en février dernier, M. Thierry Tuot évoque l’édification de lieux de mémoire, en association avec les habitants et éventuellement sous l’égide de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. En effet, si certaines communes essaient de faire revivre, dans le cadre de projets urbains, la mémoire des populations ayant vécu dans les quartiers, notre pays manque de lieux dédiés, rappelant de manière symbolique l’apport des migrants à son histoire industrielle et urbaine. Il nous semblerait donc intéressant que votre ministère réfléchisse à cette question.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Merci, monsieur le ministre, de votre engagement, en particulier sur le décret d’application des articles 58 et 59 de la loi DALO. Je pense que notre administration est parfois bien sévère à l’égard de ces personnes en leur infligeant des pénalités sous prétexte qu’elles ne sont pas revenues en France au bout de six mois et deux jours, quand bien même elles étaient restées au pays pour cause de maladie.

S’agissant des carrés musulmans, une proposition de loi du Sénat discutée il y a trois ou quatre ans n’a pas arrangé les choses. Il me semble nécessaire de revoir les dispositions en la matière.

Certes, la mobilisation du tissu associatif pour l’accès aux droits de nos migrants âgés est une très bonne chose ; néanmoins, cela ne suffira pas, car ces derniers souffrent avant tout d’un problème de langue. Ne peut-on imaginer des conventions entre notre pays et les trois pays du Maghreb et le Mali, afin que leurs consulats collaborent avec nos centres d’action sociale pour remédier à ce problème ?

Enfin, un texte sur la cohésion sociale a rendu les actions en matière d’alphabétisation beaucoup plus difficiles qu’auparavant en raison de l’obligation d’appel d’offres, qui prive souvent les centres sociaux de subventions. Il me semble nécessaire de remédier à cette situation.

Mme Françoise Dumas. Associer les consulats est une très bonne idée.

Les associations, notamment d’aide à domicile, peuvent jouer un rôle d’interface, voire de médiation entre les migrants âgés et les services sociaux et les administrations. Elles sont à même d’identifier les besoins des migrants âgés, surtout ceux qui résident en foyer. Dans le cadre de la politique de la ville, il faudra conforter dans leur rôle les cafés sociaux, mais également les médiateurs des associations – en particulier au regard de leur financement –, dont certains parlent la langue des immigrés.

Il convient de repenser la question du logement en imaginant des parties communes, de convivialité et de socialisation, afin de maintenir le lien entre ces personnes qui avaient l’habitude de vivre ensemble et étaient peu reconnues en dehors de leur travail.

Au final, il faut à la fois aider les immigrés âgés à conserver cette identité qu’ils se sont créée, malgré eux, souvent dans une situation d’isolement et de souffrance, et pallier leur perte d’autonomie en maintenant ce lien social avec les autres personnes âgées et la vie sociale dans les quartiers.

Mme Hélène Geoffroy. Cette mission, qui s’achève, nous a permis de balayer cinquante ans de notre histoire et de nous rendre compte à quel point la question des immigrés âgés concerne la majorité des villes de notre pays.

Je souhaite revenir sur les liens entre contrats de ville, reconnaissance et mémoire. En effet, il convient de travailler non seulement au plus près des immigrés, c’est-à-dire avec les centres sociaux et les associations, mais aussi au niveau national en inscrivant pleinement ces personnes dans notre histoire nationale. En outre, dans le cadre des rénovations urbaines, il faut tenir compte des quartiers et de leur histoire – du patrimoine industriel, des constructions retraçant les immigrations. À cet égard, il me semble important de conserver des vieux quartiers, à l’image des vieux centres-villes dans les agglomérations.

Enfin, les associations de proximité et celles qui interviennent dans les foyers créent le lien social et permettent aux immigrés âgés, confrontés aux administrations, d’accéder à leurs droits.

Mme Kheira Bouziane. Monsieur le ministre, merci pour votre volonté de promouvoir des avancées.

Votre souhait de voir sanctuarisés les crédits des associations marque la reconnaissance de leur rôle et de leur travail auprès de nos immigrés âgés.

Je salue également votre engagement sur la publication du décret d’application des articles 58 et 59 de la loi DALO.

Je voudrais faire une remarque sur l’implication des consulats, même si celle-ci fait consensus. En effet, il ne faudrait pas que les personnes immigrées âgées, qui aujourd’hui sont isolées et confrontées à de grandes difficultés, passent « sous la coupe de certains » – le risque existe. Il convient donc d’être très vigilant en matière de conventions. Pour ma part, je suis favorable à un service de l’État français, à l’image des services aux migrants qui existaient autrefois dans nos départements et qui ont totalement disparu – ils sont aujourd’hui remplacés par les associations.

Enfin, si les foyers présents dans les quartiers populaires feront l’objet d’une rénovation, qu’en est-il des autres ? Vous avez évoqué la réforme de la géographie de la politique de la ville. Des moyens seront-ils dégagés pour rénover les foyers en dehors de ces quartiers ?

M. le ministre. L’engagement de « territorialiser les politiques de droit commun » est en effet inscrit au chapitre 2 du relevé de décisions du Comité interministériel des villes du 19 février 2013. C’est un titre auquel je tenais particulièrement parce qu’il signifie bien ce que je souhaite faire dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il s’agit de faire en sorte que les administrations françaises prennent en compte les différences qui existent dans les territoires, entre les villes, mais aussi à l’intérieur des villes, et le fait que les politiques ne peuvent pas être appliquées indifféremment dans tous les quartiers. J’ai conscience que cela mettra du temps : le travail commencera une fois les conventions signées avec les ministères concernés – cinq ou six le sont d’ores et déjà, cinq sont en cours de négociation ou de rédaction. En effet, les habitudes ont parfois la vie dure, dans certaines administrations plus que dans d’autres – moins au ministère des affaires sociales et de la santé puisque des politiques territoriales sont d’ores et déjà menées dans le cadre des contrats locaux de santé qui devraient devenir les volets santé des futurs contrats de ville. Dans ce cadre, je suis favorable, avec Marisol Touraine, au développement des maisons de soins, qui sont une bonne réponse à une offre de soins au sein des quartiers prioritaires, tout particulièrement pour les personnes âgées. Pour cela, il faut au préalable un projet émanant du terrain
– associations, professionnels, élus. Marisol Touraine et moi-même prenons l’engagement de soutenir tous les projets, avec les crédits de cohésion sociale et de l’ANRU, soit en investissement direct, soit en soutien à l’équipement de maisons de soins mises en place par les collectivités. Aussi convient-il de développer une méthodologie qui sera proposée au monde associatif ou aux collectivités désireuses de s’engager dans la création de maisons de soins. La territorialisation des politiques de droit commun vaut d’ailleurs pour l’ensemble des dispositifs. Je précise que la situation des personnes âgées dans les quartiers relevant de la politique de la ville est une problématique nouvelle. On parle beaucoup de la jeunesse des quartiers populaires, il n’en est pas moins nécessaire de développer un axe spécifique de la politique de la ville compte tenu du vieillissement de la population de ces quartiers. Le bon outil sera le contrat de ville.

Douze sites vont expérimenter ces futurs contrats de ville. Mon souci est d’élargir le nombre de signataires, sans transformer ces contrats en usines à gaz. Pour cela, j’ai à cœur que les thématiques qui y seront abordées ne soient pas définies de Paris, mais correspondent le plus possible à la réalité du terrain, sachant que les quartiers ont des histoires différentes. Dans ce cadre, je souhaite la mobilisation de trois volets transversaux obligatoires : un volet jeunesse ; un volet égalité hommes-femmes ; et un volet lutte contre les discriminations et les stigmatisations, à l’intérieur duquel pourraient être développés des axes de travail sur les questions de la mémoire et de l’accès aux droits des retraités âgés.

S’agissant de l’articulation entre les politiques d’intégration et les politiques de cohésion sociale, le Gouvernement a engagé une concertation, comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire. En trente ans, les problématiques ont beaucoup changé, et le regard de la société, y compris celui des héritiers de l’immigration, n’est plus le même. J’ai la volonté de voir reconnue la discrimination sociale dont sont victimes ces populations immigrées, quelle que soit leur origine réelle ou supposée. Comme j’ai pu le constater en visitant plus de cent dix quartiers, si les populations se sentent parfaitement intégrées à la société française, il n’en demeure pas moins que ce phénomène de discrimination ressentie est réel. C’est pourquoi la refondation de la politique d’intégration est un élément majeur.

Cela suppose de réfléchir à la gouvernance, qui évolué au cours des cinq dernières années. En effet, c’est le ministère de l’intérieur qui conduit actuellement les politiques d’intégration. Et l’ACSé, prolongement du Fonds d’action sociale pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leur famille (FAS) et du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), s’est vu retirer ses crédits intégration au profit de la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) du ministère de l’intérieur, créée en 2007 ; néanmoins, elle continue à mener des actions de soutien au monde associatif. La répartition des rôles au sein du Gouvernement devra être arbitrée dans le courant du mois d’octobre. Cette clarification permettra de sécuriser, dans le cadre des conventions pluriannuelles d’objectifs, le financement des associations, comme la FASTI et le GISTI. Pour ma part, je suis très attaché à la sanctuarisation des crédits pour 2014 des grandes têtes de réseau spécialisées dans la lutte contre les discriminations et les stigmatisations.

Par ailleurs, je souhaite que le groupe de travail qu’animera Pascal Blanchard propose une méthodologie qui permette la création de lieux de mémoire ou l’instauration d’obligations à l’intérieur des contrats de ville pour développer la mémoire des habitants
– voire la mémoire des lieux, madame Geoffroy, mais il faut dans ce cas-là des lieux de mémoire vivants. Quelques exemples intéressants existent. Des communes, où des immeubles étaient promis à la démolition, ont finalement choisi de les conserver pour les réhabiliter ou les rénover, et de changer leur destination en favorisant une mixité entre activités économiques et culturelles et actions de mémoire, de telle sorte que la vie continue à l’intérieur de ces bâtiments et que la mémoire soit présente à l’intérieur du quartier.

S’agissant des lieux sociaux, en particulier les « cafés sociaux », nous travaillons actuellement sur la nouvelle génération d’opérations de renouvellement urbain. Comme je l’ai indiqué au directeur de l’ANRU, M. Pierre Sallenave, si une réflexion sur les méthodologies, les subventions de l’agence, les techniques de rénovation, les choix en matière de démolition et reconstruction est nécessaire, la prise en compte par l’ANRU de la problématique des fonctions sociales indispensables dans les quartiers est primordiale. Je vous livre quelques exemples, qui ne concernent pas forcément les immigrés âgés. J’ai l’intention de demander à l’ANRU de prévoir systématiquement des logements de cinq ou six pièces dans toutes les opérations de rénovation urbaine afin d’accueillir des microcrèches. J’envisage également de lancer une réflexion sur la construction dans les quartiers, où la sécurité est un élément important, de logements spécifiques pour les policiers afin de les fidéliser. Les locaux communaux résidentiels (LCR) n’existent quasiment plus, mais les « cafés sociaux » continuent de jouer un rôle social, comme à Amiens, qu’ils soient subventionnés ou pas, je dirai même un rôle de service public à l’intérieur de ces quartiers. Ainsi, un certain nombre de fonctions essentielles pour la vie du quartier doivent être prises en compte dans le cadre de la rénovation urbaine, afin que l’ANRU les finance de manière spécifique.

En outre, dans le cadre d’un dispositif qui pourrait remplacer les zones franches urbaines, je souhaite la mise en place d’un dispositif particulier en faveur du commerce et de l’artisanat de proximité, essentiels à l’intérieur des quartiers, soit pour les maintenir, soit pour les réimplanter.

Enfin, s’agissant du travail avec des consulats, j’avoue que je n’ai pas encore réfléchi à la question. Je dois rencontrer les ambassadeurs des trois pays du Maghreb. Dans ce cadre, je pourrai éventuellement prendre en compte les préconisations de la Mission.

M. le président Denis Jacquat. S’agissant des consulats, l’idée a émergé lors de nos déplacements en Algérie et au Maroc.

Merci beaucoup, monsieur le ministre. Vous clôturez l’ensemble de nos auditions.

La séance est levée à dix-huit heures cinq.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 11 juin 2013 à 16 heures 15

Présents. - M. Alexis Bachelay, Mme Kheira Bouziane, M. Sergio Coronado, Mme Françoise Dumas, Mme Hélène Geoffroy, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Denis Jacquat

Excusé. - M. Philippe Vitel

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Aylagas, Mme Barbara Romagnan