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Mission d’information sur le paritarisme

Jeudi 22 octobre 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 02

Présidence de Mme Françoise Descamps-Crosnier, vice-présidente puis de M. Arnaud Richard, président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic, de M. Jean-François Pilliard, vice-président et de M. Vincent Destival, directeur général

– Audition, ouverte à la presse, de M. Henri Rouilleault, ancien conseiller du Premier ministre (M. Michel Rocard), ancien directeur général de l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Freyssinet, professeur émérite à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, président du Conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Jeudi 22 octobre 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente.

——fpfp——

(Présidence de Mme François Descamps-Crosnier, vice-présidente de la mission d’information,
et de M. Arnaud Richard, président de la mission d’information)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic, de M. Jean-François Pilliard, vice-président et de M. Vincent Destival, directeur général.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, présidente. Nous poursuivons nos travaux aujourd’hui avec l’audition des responsables de la gestion de l’Unédic.

Mme Patricia Ferrand, de la CFDT, est la présidente de l’Unédic depuis janvier 2014. M. Jean-François Pilliard, délégué général de l’UIMM, président de la commission « Protection sociale » et membre du bureau du MEDEF, en est le vice-président depuis la même date, après en avoir été président. M. Vincent Destival en est le directeur général, nommé par le bureau de l’Unédic.

Vous êtes, madame, messieurs, régulièrement invités par la Commission des affaires sociales ou ses missions d’information, et je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Il est vrai que le sujet qui nous rassemble ce matin vous concerne très directement, puisque l’Unédic est, avec les retraites complémentaires, un organisme dans lequel le paritarisme prend tout son sens.

À cet égard, nous entendrons également les négociateurs de la convention de l’assurance chômage, mais un peu plus tard dans l’année.

Mme Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic. L’Unédic met en œuvre les accords issus de la négociation collective. Cette phrase résume l’articulation, pas toujours très claire pour nos concitoyens, entre la négociation collective et le paritarisme de gestion. Une telle articulation est essentielle : l’Unédic, institution paritaire de gestion, n’existerait pas sans la négociation de l’assurance chômage. C’est cette articulation qui a permis de redéfinir les missions de l’Unédic, au moment où a été réorganisé le service public de l’emploi par la loi de février 2008 et où les partenaires sociaux ont signé l’accord sur la modernisation du paritarisme.

Avant de présenter la manière dont l’Unédic met en œuvre cet accord sur le paritarisme, permettez-moi de citer trois phrases du préambule de celui-ci : « Le paritarisme de gestion trouve sa justification dans la valeur du service qu’il est appelé à rendre aux bénéficiaires finaux que sont les salariés des entreprises, notamment au regard des activités sociales. En outre, ce paritarisme facilite la négociation collective par la plus grande proximité qu’il permet entre partenaires sociaux. Une gestion paritaire exemplaire conforte la place et le rôle des partenaires sociaux dans la démocratie sociale et renforce ainsi leur légitimité dans la création de normes par la négociation. » C’est le cadre de l’action de l’Unédic.

La loi confie aux partenaires sociaux la responsabilité de définir par accord les mesures d’application des principes figurant dans le code du travail. L’accord négocié doit ensuite être agréé par l’État. C’est une spécificité de l’assurance chômage : il s’agit de mettre en œuvre un accord collectif négocié entre organisations représentatives syndicales et patronales par délégation de la loi. La loi dispose que les négociateurs ont la possibilité de choisir l’organisme de gestion, et ils ont choisi l’Unédic. Quant à la mise en œuvre opérationnelle, elle incombe, depuis la loi de réorganisation du service public de l’emploi, à Pôle emploi et aux différents organismes de recouvrement, qui agissent pour le compte de l’Unédic.

L’Unédic est une association de la loi de 1901. Sa première instance de gouvernance est un conseil d’administration paritaire qui comprend cinquante membres titulaires et trente suppléants. Ce conseil désigne un bureau paritaire de dix membres, auquel il délègue certains pouvoirs. La présidence est assurée alternativement par un représentant des organisations syndicales et un représentant des organisations patronales, selon une alternance tous les deux ans. C’est le bureau qui nomme le directeur général.

L’accord national interprofessionnel sur la modernisation du paritarisme du 17 février 2012 a été l’occasion pour les partenaires sociaux de rappeler les objectifs fixés à l’organisme paritaire. Il s’agit en particulier de faciliter la négociation, d’assurer la transparence de la gouvernance et de la gestion, de garantir la qualité du service rendu en procédant notamment à une évaluation régulière, et de développer les compétences des mandataires.

S’agissant du premier objectif que j’ai cité, faciliter la négociation, l’Unédic intervient en amont, pendant et après la négociation, aussi bien dans la mise en œuvre que dans l’évaluation. Nous avons souhaité, dès 2012, renforcer le rôle et l’action de l’Unédic auprès des partenaires sociaux. La qualité de la négociation nécessite en particulier que ceux-ci disposent d’un diagnostic sur les questions qu’ils ont à résoudre et la mise en œuvre des décisions qu’ils souhaitent prendre. Cette mission a été confiée à l’Unédic. Le bureau est amené très régulièrement à partager les analyses que réalisent les services de l’Unédic sur le fonctionnement du marché du travail, la perception des dispositifs d’assurance chômage par les bénéficiaires et les difficultés opérationnelles que peuvent poser certaines décisions. Ces analyses opérationnelles sont généralement conduites en lien avec Pôle emploi et les organisations de recouvrement, et l’ensemble des travaux sont portés à la connaissance des négociateurs, le plus souvent par le biais d’un organe appelé le groupe paritaire politique.

L’Unédic intervient également en appui de chacune des organisations qui la composent et prennent part à la négociation. Chacune d’elles peut demander à ses services d’évaluer les conséquences juridiques, opérationnelles ou financières de nouvelles dispositions qu’elles envisagent. Il revient à chacune des organisations de porter les résultats de ces travaux à la connaissance des autres organisations dans le cadre de la négociation.

La négociation elle-même comporte deux temps. Dans un premier temps, les négociateurs s’entendent sur un accord politique, qui prend la forme d’un accord national interprofessionnel. Le dernier en date est l’accord du 21 mars 2014. Cet accord politique doit être ensuite transcrit dans un texte juridique. C’est le rôle de l’Unédic de rédiger ce texte, mais cela donne lieu à une nouvelle négociation, dans la mesure où les dispositions politiques générales ne sont pas toujours très précises. C’est ce qui a eu lieu lors de la dernière négociation, notamment sur la condition de mise en œuvre des droits rechargeables pour les anciens « alternés ». La sécurisation des textes passe également par des échanges avec l’État et Pôle emploi.

La négociation s’achève avec la pédagogie de la règle, c’est-à-dire le sens que les négociateurs ont entendu donner à cette règle. C’est un point essentiel, notamment quand les règles se veulent incitatives et visent à encourager la reprise d’emploi. Lors de la dernière négociation, l’Unédic a joué un rôle très actif dans ce domaine, en vue de présenter de façon simple les principes structurant les décisions prises. En outre, une enquête qualitative est réalisée auprès des allocataires de l’assurance chômage. La dernière a montré que les principes et le sens des règles négociées en 2014 ont été plutôt bien compris par les bénéficiaires.

Un deuxième objectif de la convention était une plus grande transparence dans l’ensemble des domaines d’intervention de l’Unédic. En début de négociation, l’Unédic établit un dossier de diagnostic, appelé dossier de référence, qui est public et partagé avec l’ensemble des négociateurs. Lorsque la convention est finalisée, une évaluation des conséquences financières de chaque mesure est réalisée, ainsi qu’une évaluation des conséquences pour les allocataires. L’ensemble de ces documents sont rendus publics.

Transparence, ensuite, en matière d’évaluation. Les négociateurs ont demandé à l’Unédic de mettre en place une évaluation des nouvelles mesures issues de la convention de 2014. La démarche adoptée par le bureau a été construite en dialogue avec un comité scientifique nouvellement constitué, composé de personnalités indépendantes reconnues pour leurs compétences, notamment dans l’analyse du marché du travail, économistes mais aussi sociologues. Les résultats de cette évaluation seront rendus publics. D’ores et déjà, un tableau de suivi trimestriel des nouvelles mesures est régulièrement présenté au bureau de l’Unédic.

Transparence, enfin, en matière de gouvernance. De nouveaux outils de gouvernance ont été mis en place à l’Unédic dès 2013, et en premier lieu une commission d’audit assistant le conseil d’administration dans l’appréciation des dispositifs de contrôle interne. Cette commission compte deux personnalités qualifiées indépendantes. Cette démarche de maîtrise des risques a été complétée par un audit externe de fin de mandat, réalisé par un cabinet extérieur. Cet audit vise notamment à donner des assurances aux négociateurs quant à la capacité de l’Unédic de mettre en œuvre correctement les décisions issues de la négociation. Un premier audit a été réalisé fin 2013, et un deuxième est en cours puisque nous aurons une alternance de présidence en janvier. Chaque réunion du conseil d’administration et du bureau fait désormais l’objet d’un compte rendu public.

M. Jean-François Pilliard, vice-président de l’Unédic. Pour être tantôt gestionnaire et tantôt négociateur, je peux témoigner que cette formule particulière de notre pays est intéressante à plus d’un titre. Ceux qui décident s’appuient sur les conseils de ceux qui gèrent et ceux qui gèrent sont associés à la prise de décision. Cela crée une forme de responsabilité qui me paraît tout-à-fait saine car, souvent, ceux qui décident ignorent les conséquences de leurs décisions et ceux qui gèrent ignorent dans quelle stratégie les décisions s’inscrivent. Cela met également les partenaires sociaux face à une responsabilité de résultats. L’Unédic a un niveau d’exigence important qui influe sur la pertinence et la qualité du conseil qu’elle est susceptible de délivrer aux négociateurs. Tout cela conduit à une forme de pédagogie qui me semble, même si le système est loin d’être parfait, extrêmement utile.

M. Vincent Destival, directeur général de l’Unédic. J’insisterai sur un mot qualifiant les fonctions du directeur général dans les statuts de l’Unédic : « neutralité ». L’assurance chômage et le paritarisme, c’est un exercice d’équilibre et de neutralité. Quand l’Unédic produit des analyses, elle doit faire preuve de précaution et donner aux partenaires sociaux toutes garanties quant au sérieux et à la neutralité des travaux produits. L’Unédic ne défend pas une position, mais éclaire un débat et une prise de décision.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur de la mission. Notre mission cherche à cartographier le paritarisme dans ses différentes formes et à interroger ce particularisme, souligné par M. le vice-président de l’Unédic, par rapport à certaines évolutions économiques et au développement de nouvelles formes d’activité non salariales. Je souhaite à cet égard vous poser plusieurs questions, certaines conjoncturelles, d’autres structurelles.

S’agissant des premières, tout d’abord, pouvez-vous nous faire un point sur la situation financière de l’Unédic ? Par ailleurs, quelles seront les conséquences du récent arrêt du Conseil d’État vous concernant ? Cet arrêt impose-t-il une renégociation rapidement ? Comment se présente la prochaine négociation d’assurance chômage ? Dans le débat public, un certain nombre d’idées reviennent souvent sur la table, comme la dégressivité des allocations ; quelles sont vos réflexions sur les évolutions à venir ?

Pouvez-vous, de même, dresser un bilan de la fusion de l’ANPE et des Assedic, qui a représenté un changement important puisque l’on est passé, dans la gestion opérationnelle, du paritarisme à une forme de tripartisme ou quadripartisme ? Enfin, quel bilan dressez-vous de la mise en place des droits rechargeables, évolution notable de la philosophie de l’assurance chômage, avec l’idée que les droits qui n’ont pas été épuisés au cours d’une période de chômage peuvent être utilisés lors d’une période ultérieure ? On a pu dire que, pour un certain nombre de salariés, cela avait conduit à une réduction des droits.

J’en viens à trois questions plus structurelles. Il existe, pour l’assurance chômage, une articulation entre la loi et l’accord. La loi demande aux partenaires sociaux de négocier un accord, à partir d’un certain nombre de principes, tels que la liaison entre la durée de l’assurance et la durée de travail. Le texte issu des négociations fait ensuite l’objet d’un agrément du ministre. Il est d’ailleurs arrivé que l’agrément se fasse attendre ; j’en sais quelque chose. Cette articulation est originale. Pensez-vous qu’elle soit transposable dans d’autres domaines ?

La question du compte personnel d’activité (CPA) est d’actualité. Pensez-vous que les droits à l’assurance chômage devraient figurer dans un CPA, ou bien ne serait-ce qu’une complication administrative sans portée concrète pour nos concitoyens ? Est-il possible d’améliorer la prise en compte des parcours des salariés et des chômeurs, de la formation professionnelle, de congés pour exercer d’autres activités ? L’Unédic pourrait-elle jouer sur ces questions un rôle de conseil et d’orientation, voire de gestion ?

Enfin, les nouvelles formes d’activité non salariales seront un fil rouge de nos auditions. On parle beaucoup en ce moment d’« uberisation » de la société, mais cela concerne aussi des formes d’activité plus classiques, telles que les auto-entrepreneurs. Ces activités privent-elles l’Unédic de certaines ressources ? Faut-il couvrir les personnes concernées, et comment cela serait-il possible ?

Mme Patricia Ferrand. Je laisserai M. Destival répondre sur la situation financière et vous répondrai tout d’abord sur les conséquences de l’arrêt du Conseil d’État. Les partenaires sociaux n’ont pas été jugés compétents en matière de recouvrement d’indus et de périodes d’emploi non déclaré. Un troisième point concerne la prise en compte des indemnités prud’homales dans le calcul du différé d’indemnisation. Sur ces questions, il revient à l’État de prendre des décisions.

Nous avons travaillé avec Pôle emploi pour identifier les cas relevant de l’arrêt du Conseil d’État. Ces données ne sont pas inscrites dans le système d’information de Pôle emploi mais elles ont pu être estimées par des sondages en agence. Nous estimons que mille dossiers sont concernés annuellement par un trop-perçu lié à des indemnités prud’homales pour des ex-salariés issus d’entreprises de moins de onze salariés et ayant moins de deux ans d’ancienneté. Ces mille dossiers représentent un peu moins de 4 millions d’euros de trop-perçu.

L’agrément a été annulé à compter du 1er mars 2016. Au regard de ces informations, il appartient aux négociateurs de décider ce qu’ils doivent faire. En tout état de cause, les éléments que nous apportons montrent que le sujet est relativement marginal, en nombre de dossiers comme en termes financiers : 4 millions d’euros, au regard des 34 milliards collectés, cela ne remet pas en cause l’équilibre financier de la convention d’assurance chômage.

M. Jean-François Pilliard. La question que l’on peut se poser est de savoir si le sujet peut être traité rapidement, par le biais d’un avenant, ou si la décision du Conseil d’État doit conduire à ouvrir prématurément une négociation globale.

Cela fait le lien avec la question de M. le rapporteur sur la prochaine négociation. Les négociations, dans un contexte de croissance nulle ou faible, deviennent de plus en plus compliquées. Le chômage reste à des niveaux très élevés, alors que le système a été conçu pour gérer des situations exceptionnelles. La présente situation met donc fondamentalement en question les mécanismes de l’assurance chômage. Les négociateurs doivent en permanence faire des arbitrages entre l’indemnisation décente des personnes privées d’emploi et la nécessité d’inciter à revenir dans l’emploi. Cela implique de préparer la prochaine négociation de façon très attentive. Il existe à l’Unédic un groupe politique paritaire qui prépare les négociations. Nous avons lancé nos travaux avant l’été, un gros travail d’investigation est conduit pour préparer la prochaine convention. Si nous voulons nous donner les meilleures chances de réussir cette négociation, dont les enjeux sont particulièrement lourds, il faut se laisser le temps de mener à bien ces travaux, et donc ne pas accélérer le lancement d’une renégociation suite à l’arrêt du Conseil d’État.

Un deuxième sujet structurel des prochaines négociations, au-delà de la persistance d’un chômage élevé, consiste à savoir si l’assurance chômage, comme d’autres éléments de la protection sociale, est susceptible de prendre en considération les nouveaux modèles économiques, l’économie du partage. De même, l’arbitrage entre indemnisation et accompagnement reste un débat récurrent ; à titre personnel, je considère que nous sommes un pays qui sur-indemnise et sous-accompagne.

M. Vincent Destival. En ce qui concerne la situation financière de l’assurance chômage, nous avons conduit plusieurs travaux ces derniers mois. Le premier de ces travaux est la préparation du rapport sur les perspectives financières triennales présentées en juin pour la première fois, en réponse à une obligation légale inscrite dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 : l’Unédic doit désormais produire une fois par an un rapport présentant ses perspectives financières à l’horizon de trois ans ainsi que la décomposition de l’équilibre financier en une composante conjoncturelle et une composante structurelle.

Ce rapport montre que le pilotage de l’assurance chômage a évolué au cours des deux dernières décennies, pour passer d’un pilotage pro-cyclique – quand la conjoncture se dégradait, les allocations étaient réduites et les contributions augmentées pour maintenir l’équilibre financier – à un outil, au fond plus conforme à sa nature, permettant de soutenir le revenu des salariés qui perdent leur emploi dans des périodes de conjoncture dégradée et jouant un rôle d’amortisseur économique et social. Ce nouveau mode de pilotage a cependant évidemment une conséquence importante dès lors que nous connaissons, comme depuis 2009, une situation économique dégradée : l’assurance chômage est alors régulièrement déficitaire et sa dette augmente chaque année.

Nous avons en outre actualisé avant-hier nos prévisions, exercice que nous faisons trois fois par an. Ces prévisions financières prennent comme point de départ le consensus des économistes en termes de croissance et d’inflation. Ce consensus – il s’agit de l’avant-dernier en date, car le dernier est sorti la veille de notre actualisation – présente des hypothèses de croissance de 1,2 % en 2015 et 1,5 % en 2016, avec le constat que le secteur privé a recommencé à créer de l’emploi à compter du deuxième trimestre de cette année. Selon nos prévisions, le rythme des créations d’emploi devrait se maintenir entre 40 000 et 50 000 au second trimestre 2015 et tout au long de 2016. Dans ces conditions, le chômage pourrait commencer à baisser en 2016.

Cela aura des conséquences sur notre situation financière, amplifiées par les effets de la convention d’assurance chômage de mai 2014 qui se veut un équilibre entre de nouveaux droits permettant de sécuriser la situation des demandeurs d’emplois, notamment des droits rechargeables, et des dispositions visant à maîtriser l’équilibre financier. À réglementation constante, 2016 devrait permettre d’engager une réduction du déficit de l’assurance chômage. Le déficit atteindrait un plafond en 2015 autour de 4,4 milliards d’euros et baisserait à 3,6 milliards en 2016. Nos prévisions pluriannuelles montrent que cette baisse du déficit se poursuivra au cours des années suivantes.

Dans ces conditions, notre dette pourrait atteindre un peu plus de 29 milliards d’euros à la fin de l’année prochaine, soit l’équivalent de dix mois de recettes de l’assurance chômage. Cette dette est financée par appel aux marchés financiers, et notamment par l’émission d’obligations. Nous avons veillé, avec l’augmentation de la dette, à allonger la maturité de nos moyens de financement. Leur maturité moyenne est aujourd’hui supérieure à cinq ans, ce qui nous met à l’abri d’un risque de remontée des taux. Le coût de notre dette ne représente, aujourd’hui, qu’environ 1 % des recettes de l’assurance chômage. Il est relativement bien maîtrisé, même si nous sommes conscients que nous bénéficions de taux d’intérêt particulièrement bas, compte tenu du contexte conjoncturel et de l’intervention de la Banque centrale européenne, et que cette situation ne se maintiendra pas indéfiniment.

M. le rapporteur. En retournant sur un sentier de croissance moyen, le régime est-il structurellement excédentaire, déficitaire ou équilibré ?

M. Vincent Destival. Nous avons traité cette question dans notre rapport sur les perspectives financières, au mois de juin, en nous appuyant sur les méthodologies de la Commission européenne et de l’OCDE. Nos conclusions sont que, dans la situation actuelle, la majeure partie du déficit de l’assurance chômage est de nature conjoncturelle : trois quarts conjoncturels et un quart structurel, précisément. Il reste un déficit structurel, mais la mesure de ce dernier repose sur de la modélisation et il y a donc une marge d’incertitude. Nous avons tenté de mesurer la sensibilité de ce déficit structurel, de l’ordre de 1 milliard d’euros, à l’incertitude des méthodes : dans la mesure où l’assurance chômage est particulièrement réactive à la conjoncture, une petite incertitude méthodologique a des conséquences importantes sur la mesure de son solde structurel. La mesure de ce déficit se trouve ainsi dans une fourchette de 1 milliard à plus ou moins 1 milliard d’euros. Ces outils permettent d’éclairer le pilotage et la prise de décision, mais ils ne correspondent pas à une vérité absolue.

Mme Claudine Schmid. Monsieur le vice-président, vous avez indiqué que l’une de vos préoccupations était de disposer, en temps et en heure, des ressources nécessaires à l’indemnisation des demandeurs d’emploi. Avez-vous un problème réel en la matière ?

M. Jean-François Pilliard. Notre mission consiste à indemniser les demandeurs d’emploi. Ainsi que M. Destival vient de l’évoquer, cela implique pour nous, en tant que gestionnaires, d’assurer un pilotage financier très fin de notre organisation, notamment en ce qui concerne l’accès aux ressources et les conditions d’emprunt. C’est un travail considérable, particulièrement en ce moment, qui revient notamment au directeur général et à ses équipes.

Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu de problème, mais il faut tenir compte du fait que le chômage s’installe durablement. Fondamentalement, notre situation n’est pas très différente de celle d’un État tel que la France, qui est obligé de recourir à la dette. Nous nous posons les mêmes questions lancinantes : jusqu’à quel point recourir à l’endettement ? Dans quelles conditions le faire ? Comment se protéger des variations de la dette ?

Lorsque je présidais l’Unédic, je répétais sans cesse : « Attention au mirage des taux d’intérêt faibles ! » La présidente a maintenant la même préoccupation que moi. Car aujourd’hui, grâce au travail de qualité mené par ses équipes, que je salue, l’Unédic lève des fonds très facilement lorsqu’elle a besoin de le faire. C’est une bonne nouvelle, car cela lui permet de disposer de ressources. Mais on pourrait aussi considérer que c’est une mauvaise nouvelle : lorsque l’on accède facilement à des fonds, qui plus est à des taux très bas, on en vient parfois à penser qu’il n’y a aucune raison que cela change, et l’on risque alors de s’engager dans une spirale infernale. Nous devons donc faire preuve d’une très grande prudence et d’une très grande rigueur pour ne pas nous laisser aller à une forme de facilité qui pourrait, à un moment donné, se retourner contre les intérêts de l’Unédic, c’est-à-dire être préjudiciable à l’indemnisation des chômeurs.

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Notre mission d’information cherche à évaluer l’intérêt du paritarisme, son sens et son rôle. L’Unédic doit allier utilité sociale et rigueur de gestion. À certains moments, vous devez avoir des arbitrages à faire. Pouvez-vous nous éclairer sur le fonctionnement de l’Unédic à cet égard ?

De quels moyens l’Unédic dispose-t-elle éventuellement pour influer, voire peser sur l’action de Pôle emploi ?

Mme Patricia Ferrand. Votre dernière question rejoint celle de M. le rapporteur sur le bilan de la fusion entre l’ANPE et les Assédic.

Intervenue en 2008, cette fusion a permis aux partenaires sociaux de se recentrer sur leur rôle politique, à la fois en tant que négociateurs, créateurs de normes, et en tant que gestionnaires, qui mettent en œuvre ces normes négociées. Piloter un réseau de 15 000 personnes, ce qui était auparavant l’une des très grosses activités du président de l’Unédic, ou bien présider une structure chargée de la mise en œuvre des mesures négociées par les partenaires sociaux, ce n’est pas la même chose ! Le positionnement de l’Unédic par rapport aux négociateurs auxquels elle apporte son appui a fondamentalement changé. En ce sens, la fusion entre l’ANPE et les Assédic a eu, selon moi, une réelle valeur ajoutée.

D’autre part, les deux réseaux ont fusionné. Les allocataires n’ont plus à se rendre alternativement à l’ANPE et aux Assédic : ils s’adressent désormais à un guichet unique, Pôle emploi. Surtout, aujourd’hui, les aides et les mesures de Pôle emploi bénéficient à l’ensemble des demandeurs d’emploi, et non plus aux seuls chômeurs indemnisés, ce qui était le cas de certaines décisions négociées auparavant.

J’en viens à l’éventuelle influence de l’Unédic sur l’action de Pôle emploi. La gouvernance de Pôle emploi est aujourd’hui à plusieurs étages. La convention tripartite entre l’État, l’Unédic et Pôle emploi permet à l’État et à l’Unédic de fixer les objectifs pluriannuels et les grandes orientations stratégiques de Pôle emploi. En outre, le conseil d’administration de Pôle emploi, où siègent des représentants de chacune de nos organisations syndicales et patronales, de l’État et des collectivités territoriales, ainsi que des personnalités qualifiées, définit un plan stratégique, qui est conforme à la feuille de route déterminée dans le cadre de la convention tripartite. Cet enchaînement fonctionne plutôt bien aujourd’hui, même si l’on peut toujours faire mieux.

Je soulignerai deux points. Premièrement, à partir de la convention tripartite de 2012, négociée en 2011, nous avons fixé une orientation très forte : les ressources de Pôle emploi doivent être allouées en fonction des besoins des bénéficiaires, qu’il s’agisse des demandeurs d’emploi ou des entreprises. Cela a été traduit dans un slogan : « faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin ». Notre volonté, c’est que Pôle emploi dépense plus et fasse plus, d’une part, pour les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail et, d’autre part, pour les entreprises les moins bien outillées pour recruter du personnel, notamment les petites entreprises qui n’ont pas de véritable service des ressources humaines. Je pense sincèrement que nous avons eu une influence très forte sur la détermination de cette orientation stratégique, fondamentale de mon point de vue.

Deuxièmement, à travers les objectifs que nous fixons à Pôle emploi, nous développons de plus en plus une culture du résultat. Il s’agit de s’intéresser moins aux moyens mis en œuvre par Pôle emploi qu’à l’effet produit : par exemple, s’il est intéressant de savoir combien de demandeurs d’emploi suivent une formation, il l’est plus encore de savoir si cela débouche sur un emploi. Cette orientation, définie dès 2012 et reprise en 2015, est fortement promue tant par l’Unédic que par l’État. Elle s’insère dans une nouvelle culture à Pôle emploi et est aujourd’hui, selon moi, de plus en plus partagée. Dans le cadre du suivi semestriel de la convention tripartite, nous mesurons si les objectifs, préalablement traduits dans des indicateurs, ont été atteints ou non, et si Pôle emploi est sur la bonne trajectoire.

M. Jean-François Pilliard. Comme on a la manie de toujours tout recommencer, je tiens tout d’abord à dire que la fusion est faite. La question essentielle qui se pose désormais est : comment la rendre la plus efficace possible ? Reste qu’elle a été réalisée dans les pires conditions qui soient, précisément au moment où le chômage a augmenté – personne ne pouvait le prévoir. C’est un peu comme si vous rassembliez deux entreprises au moment où leur marché s’écroule de 20 %. Il faut rendre hommage à tous ceux qui ont conduit cette fusion, car cela a été extrêmement difficile.

Pendant longtemps, les partenaires sociaux n’ont eu droit qu’à un strapontin au sein du conseil d’administration de Pôle emploi – j’ai vécu cette situation. Mais, depuis quelque temps, on sent une véritable volonté d’associer davantage les parties prenantes. C’est assez nouveau.

Par ailleurs, je prends acte des améliorations, mais je pense que l’on peut avoir un niveau d’exigence un peu plus élevé à l’égard de Pôle emploi. Je raisonne avec la culture qui est la mienne, à savoir une logique d’actionnaire. Les cotisations des salariés et des employeurs représentent les deux tiers du budget de Pôle emploi.

M. le rapporteur. Le budget dont vous parlez comprend-il les indemnités versées aux chômeurs ?

M. Jean-François Pilliard. Non, je parle du budget de fonctionnement de Pôle emploi, qui finance sa mission d’accompagnement. Sur les 5 milliards d’euros de ce budget, les cotisations en apportent 3. Je pars donc du principe que l’Unédic est un « actionnaire de référence ». Pour répondre à l’une de vos questions structurelles, ce sont notamment des considérations de cette nature qui doivent, à mon sens, déterminer l’équilibre entre les différents acteurs au sein du système paritaire. Or, à certains moments, cette logique d’actionnaire est prise en compte de manière moins évidente – je choisis mes mots.

Pour en revenir à la fusion, le guichet unique facilite les démarches des demandeurs d’emploi. Cependant, pour Pôle emploi, concilier des métiers qui font appel à des compétences fondamentalement différentes est un défi très compliqué. En effet, les qualités, notamment d’intuition et d’écoute, que l’on doit mobiliser pour faire de l’orientation et de l’accompagnement – ce qui est probablement le métier le plus difficile dans le champ des ressources humaines – ne sont pas les mêmes que celles qui sont requises pour faire de la gestion. De ce point de vue, il y a eu des évolutions dans l’organisation de Pôle emploi, que je salue.

En tout cas, nous sommes en droit d’être exigeants sur les résultats, d’une part, parce qu’il s’agit de rendre un service aux chômeurs et, d’autre part, parce que la fusion a entraîné pour la collectivité nationale, c’est-à-dire pour le contribuable, un coût annuel supplémentaire d’environ 400 millions d’euros par rapport à la situation antérieure. Car, au moment de la fusion, rappelons-le, les statuts ont été harmonisés par le haut. C’était un choix politique, mais il n’est pas anecdotique. Lorsque l’on paie un tel prix en amont, on est en droit d’attendre, en retour, une efficacité accrue.

M. Vincent Destival. La présidente a cité en introduction le préambule de l’accord national interprofessionnel de 2012 relatif à la modernisation et au fonctionnement du paritarisme : « le paritarisme de gestion trouve sa justification dans la valeur du service qu’il est appelé à rendre aux bénéficiaires finaux », c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, aux salariés privés d’emploi. Or la mise en place de Pôle emploi fait courir à l’Unédic et aux partenaires sociaux le risque d’un éloignement par rapport aux demandeurs d’emploi. Lorsque ceux-ci étaient pris en charge par les Assédic, l’Unédic avait une proximité naturelle avec eux. Aujourd’hui, elle doit compenser ce risque d’éloignement par d’autres moyens, ce qui fait d’ailleurs partie de l’évolution de ses missions. Ainsi, dans le pilotage de l’assurance chômage et dans les travaux du bureau de l’Unédic, nous sommes très attentifs à l’effet des mesures qui sont décidées sur les demandeurs d’emploi.

Pour exercer cette vigilance permanente, nous avons cherché à diversifier nos canaux d’information, au-delà du travail quotidien que nous menons avec Pôle emploi, qui est au contact des demandeurs d’emploi et nous alerte sur les difficultés de mise en œuvre qui peuvent apparaître. Ainsi, nous travaillons aussi avec les différentes instances de médiation, entre autres le médiateur de Pôle emploi et le Défenseur des droits. Enfin, nous développons des outils d’écoute directe des demandeurs d’emploi, sous forme d’enquêtes sociologiques qualitatives – nous croyons beaucoup à leur utilité – qui nous permettent de comprendre le rapport entre les allocataires de l’assurance chômage et la réglementation que nous sommes chargés de mettre en œuvre. Nous sommes également en train de mettre en place des panels.

Au titre de cette indispensable vigilance, conformément au souhait des partenaires sociaux, un rapport sur la mise en œuvre de la réglementation est présenté chaque semestre au bureau de l’Unédic – c’est désormais une disposition statutaire. Ce rapport alimente ensuite la négociation entre les partenaires sociaux.

M. Pascal Demarthe. L’Unédic a été créée en 1958, en même temps que la Ve République. Quel regard portez-vous sur l’évolution du dialogue entre les partenaires sociaux siégeant au conseil d’administration de l’Unédic depuis cette date ?

Dans une interview donnée au quotidien Les Échos à la fin du mois de septembre dernier, Nicolas Sarkozy a proposé de suspendre la gestion paritaire de l’Unédic « le temps de revenir à l’équilibre des comptes ». Est-il bien raisonnable de faire ainsi le parallèle entre le caractère paritaire de la gestion de l’Unédic et son fort endettement ?

M. Jean-François Pilliard. Au vu de mon expérience, deux choses ont beaucoup changé. Premièrement, l’environnement dans lequel intervient l’Unédic. Ainsi que je l’ai indiqué tout à l’heure, jusqu’à 2008, nous avions plutôt à gérer l’accompagnement de la croissance, le taux de chômage étant alors beaucoup moins important qu’aujourd’hui, même si, de temps en temps, nous avions à faire face à une phase de bas de cycle plus difficile. La pression qui pesait sur les gestionnaires était beaucoup moins forte. Depuis 2008, l’exigence est devenue beaucoup plus grande et, ainsi que vous l’avez relevé, nous sommes confrontés à un dilemme, difficile pour les équipes comme pour moi-même : nous devons faire des arbitrages constants entre notre mission de solidarité – permettre à des personnes qui ont perdu leur travail de vivre décemment et de revenir vers l’emploi – et la nécessité de prendre en compte les contraintes financières.

Deuxièmement, nous avons cherché à moderniser le paritarisme, ce qui s’est concrétisé par la signature de l’accord de 2012. Pour avoir travaillé dans différents organismes paritaires, je peux témoigner que l’Unédic n’était certainement pas l’organisme qui présentait le plus de faiblesses à cet égard. Quoi qu’il en soit, nous nous sommes saisis de l’accord dès qu’il a été signé et, ainsi que l’a rappelé la présidente, nous avons fait un travail très important à la fois en termes de gouvernance – avec le développement de l’audit, ainsi que la création d’un comité de nomination et d’un comité des rémunérations – et de transparence – avec la publication de nos travaux, notamment des comptes rendus des réunions du bureau sur notre site internet. Surtout, l’Unédic a considérablement amélioré sa capacité de réflexion et, donc, d’accompagnement des négociateurs. Selon moi, nous sommes beaucoup plus ouverts qu’auparavant. Nous avons notamment noué un partenariat avec une chaire universitaire.

Quant à savoir si l’État doit reprendre la main pour arrêter l’hémorragie, je ne m’autoriserai qu’un seul commentaire, au risque de paraître impertinent : si l’État avait été capable de mettre fin aux déficits qui existent dans notre pays depuis quarante ans, cela se saurait.

M. Jean-Patrick Gille. Je fais partie de ceux qui ont plaidé pour que notre mission d’information auditionne les responsables de l’Unédic. D’une part, parce que c’est l’un des rares exemples de paritarisme qui fonctionne encore, avec les régimes de retraites complémentaires. D’autre part, parce que l’Unédic reste peut-être un peu méconnu.

Je reviens sur la question précédente : lorsque des difficultés se présentent, on veut remettre l’État dans la boucle. Or, lorsqu’on l’a fait, cela n’a pas toujours été une bonne chose – je suis d’accord avec votre dernière remarque, monsieur le vice-président. De ce fait, notre paritarisme a souvent glissé vers une forme de tripartisme, voire de quadripartisme avec les régions. Même si l’on manque encore de recul, une étude comparée de la gouvernance de l’Unédic et de celle de Pôle emploi serait sans doute édifiante de ce point de vue : les partenaires sociaux sont certes représentés au conseil d’administration de Pôle emploi, mais celui-ci est géré quasi directement par l’État. Un ancien directeur de Pôle emploi a même déclaré qu’il « dirigeait » le ministre dans son domaine de compétence.

Sur les questions de chômage, d’activité et d’emploi, les services de l’Unédic parviennent à publier des notes compréhensibles – ce qui n’est pas le cas de toutes les notes - et souvent assez proches de la réalité, alors qu’ils disposent de moyens relativement modestes. Cela prouve que des formes de véritable paritarisme peuvent survivre, en dépit des difficultés qui existent certainement. L’exemple de l’Unédic est donc important dans la réflexion que nous menons sur le dialogue social. Comment pensez-vous pouvoir améliorer encore votre forme de paritarisme ? Quelles sont, selon vous, les clés de votre succès, qui vous ont permis de perdurer, à la différence d’autres dispositifs ?

Je relève un paradoxe souvent méconnu : la France est le seul pays de l’Union européenne ou, à tout le moins, de la zone euro où la gestion de l’assurance chômage relève du paritarisme ; dans les autres pays européens, elle relève soit de systèmes étatiques, soit des syndicats de salariés uniquement.

M. Jean-François Pilliard. Je vois au moins deux axes permanents d’amélioration. Le premier n’est pas propre à l’Unédic : il concerne le champ paritaire en général. Il s’agit du processus de désignation des mandataires par les organisations patronales et syndicales, de leur formation et de la manière dont ils rendent compte de leur mission. En effet, les sujets que nous avons à traiter deviennent de plus en plus complexes au fil des ans. Cela implique que nous soyons des professionnels, ce qui peut paraître un peu contradictoire avec l’idée de bénévolat sous-jacente à la notion de mandat. Comme vous le savez, dans les syndicats de salariés et d’employeurs, il est difficile de trouver des personnes prêtes à s’engager pour des mandats de cette nature, qui sont en fin de compte très exigeants.

Le deuxième axe d’amélioration a trait au rôle de réflexion et d’influence de l’Unédic. Nous avons déjà fait beaucoup de progrès en la matière, mais nous devons consolider cette démarche en nouant d’autres partenariats, tant au niveau national qu’à l’échelon européen, de manière à faire évoluer notre réflexion et à être en mesure d’apporter notre contribution, le cas échéant en anticipant, sur des sujets structurels clés tels que ceux que vous avez cités, monsieur le rapporteur, par exemple l’impact de l’économie du partage dans le champ de l’emploi. Les compétences internes dont nous disposons doivent être en permanence enrichies par le contact avec d’autres instances de réflexion.

Mme Patricia Ferrand. Un des points clés de la réussite de l’Unédic s’agissant du paritarisme, tient à la très grande proximité entre les gestionnaires et les négociateurs qui, forts de leur légitimité et de leur connaissance des réalités du terrain, sont les décideurs politiques. Cela nous permet d’être très réactifs, c’est-à-dire à la fois de transmettre le sens des décisions prises sans le dénaturer – tel est notre objectif premier – et, si des difficultés opérationnelles émergent, de réajuster les décisions, toujours en coordination avec les négociateurs.

Selon moi, le dossier des droits rechargeables illustre cette réactivité de manière exemplaire. La mesure des droits rechargeables a été prise afin de sécuriser l’indemnisation des demandeurs d’emploi dans la durée. Environ deux mois après sa mise en œuvre, une difficulté opérationnelle a émergé, et l’information est remontée auprès des organisations signataires – je suis bien placée pour le savoir. Immédiatement, l’Unédic a étudié la question, en lien avec Pôle emploi sur les aspects opérationnels. Puis, très rapidement, les négociateurs se sont remis autour de la table pour apporter le correctif nécessaire. Aujourd’hui, avec ce correctif – que l’on a appelé le « droit d’option » –, il n’y a plus de remontée négative du terrain.

Je rappelle que la mesure des droits rechargeables est très importante, notamment du point de vue de la CFDT. Sa montée en charge se fait de manière très satisfaisante : le rythme de croisière n’a pas encore été atteint – il devrait l’être en 2017 –, mais nous comptabilisons déjà 120 000 rechargements par trimestre, dont 35 000 par des demandeurs d’emploi qui ont retravaillé moins de quatre mois. Auparavant, ces personnes n’auraient pas pu bénéficier de droits supplémentaires.

M. Jean-François Pilliard. Nous sommes dans une situation nouvelle : aujourd’hui, près de la moitié des personnes indemnisées par l’assurance chômage sont en activité. Cela présente à l’évidence un avantage : une personne en activité, même partielle, a de meilleures chances de conserver ses compétences et ses liens sociaux qu’une personne durablement éloignée de l’emploi, qui finira par perdre ses compétences et, pire encore, par se désocialiser. Nous avons donc certainement eu raison de nous engager dans cette direction, notamment avec les droits rechargeables.

Cependant, les partenaires sociaux doivent s’interroger sur au moins deux points. D’une part, on nous interpelle sur le fait que cette activité fait souvent l’objet de contrats de très courte durée. Nous devons étudier la question, car l’assurance chômage n’a pas vocation à créer et à financer de nouveaux business models – modèles économiques – pour telle ou telle profession. D’autre part, si la proportion de personnes en activité parmi les allocataires continue à augmenter, cela soulèvera, à terme, la question de nos missions : le rôle de l’assurance chômage est-il d’indemniser en grande partie des personnes en activité ? Nous entendons alimenter la réflexion sur ces sujets. Le succès d’aujourd’hui doit être accompagné d’éventuels aménagements ou correctifs si nécessaire.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, présidente. Ce sont en effet des sujets de réflexion majeurs.

En introduction, lorsque vous avez défini le paritarisme, et tout au long de vos interventions, vous avez insisté sur le lien entre les négociateurs et les gestionnaires, ces derniers ayant aussi un rôle politique dans la mesure où ils mettent en œuvre des normes négociées. À cet égard, vous avez parlé, madame la présidente, de « culture du résultat », et vous, monsieur le vice-président, d’« obligation de résultat ». Compte tenu de ces exigences, quelle formation les membres du bureau de l’Unédic, voire ses cinquante administrateurs, suivent-ils ? Quel est leur parcours préalable, sachant que ces parcours sont sans doute très divers ?

M. le rapporteur. Pour compléter ces questions, avez-vous des contacts avec des plates-formes telles que Uber, BlaBlaCar ou Airbnb, afin de réfléchir à la manière de prélever des cotisations et d’indemniser dans ces secteurs ? Disposez-vous d’études ou de données précises à cet égard ?

Êtes-vous également disposés ou non à participer au travail sur le CPA (compte personnel d’activité) ?

Je suis assez d’accord avec l’analyse de Jean-Patrick Gille concernant la légitimité de l’État à intervenir. Vous l’avez rappelé, monsieur le directeur général : à un moment donné, l’Unédic est passée à un raisonnement structurel et a accepté de connaître des périodes d’endettement afin de servir d’amortisseur économique et social. Ce tournant a très fortement légitimité le fait que l’Unédic soit gérée de manière paritaire, avec une intervention minimale de l’État via l’allocation de solidarité spécifique (ASS). Lorsque l’Unédic ne jouait pas ce rôle d’amortisseur, l’intervention de l’État était attendue dans les périodes de crise.

Cela m’amène à une question plus prospective : l’Unédic ne pourrait-elle pas s’occuper aussi des questions de formation et de gestion des temps de la vie ? En d’autres termes, ne pourrait-elle pas devenir l’« Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi, la formation et la gestion des temps de la vie dans l’industrie et le commerce » ? En tout cas, on se rend compte des inconvénients de l’éclatement actuel du dispositif, alors que tous ces sujets sont liés dans la vie quotidienne des salariés.

Comment hiérarchiseriez-vous les différentes formes de gestion paritaire dans lesquelles l’État et les régions interviennent peu – l’assurance chômage, les retraites complémentaires, la formation professionnelle, l’action en faveur du logement – au regard de leur aboutissement et de leur efficacité par rapport au service attendu ?

Mme Patricia Ferrand. À ma connaissance, les services de l’Unédic n’ont pas encore eu de contacts avec les plates-formes collaboratives telles que Uber. En tout cas, la question de ces nouvelles formes d’emploi non salariales, que les salariés peuvent eux aussi connaître dans leur parcours, s’impose à notre attention. L’objectif des organisations syndicales – j’ôte un instant ma casquette de présidente de l’Unédic –, c’est la sécurisation des parcours professionnels. Et c’est bien dans le cadre de cette sécurisation qu’intervient l’assurance chômage, au titre de la privation involontaire d’emploi, qui est précisément définie par la loi. Il faudrait donc réfléchir à ce qu’est la privation involontaire d’activité.

Quant à la question de savoir si les droits d’assurance chômage doivent être intégrés ou non au CPA, nous n’en avons pas encore discuté dans un cadre paritaire. Sans prendre position sur ce point, je souhaite néanmoins faire part d’un élément de réflexion : l’assurance chômage est un élément de la sécurisation des parcours professionnels, mais elle n’est pas du tout conçue, à ce stade, comme un droit de tirage. D’autre part, elle reste un régime contributif. Si l’on devait étendre le dispositif aux nouvelles formes d’emploi et d’activité, il faudrait prendre en compte ces considérations.

Il ne nous appartient pas non plus de nous exprimer sur le point de savoir si l’Unédic doit élargir le champ de ses activités à la formation et à la gestion des temps de la vie. Au cours de la présente audition, nous avons essayé de mettre en évidence que le modèle paritaire de l’Unédic fonctionne. Pour le reste, c’est aux décideurs comptéents de déterminer si ces domaines doivent être confiés à une même structure ou s’il convient, au contraire, de renforcer d’autres organismes paritaires.

M. Jean-François Pilliard. Le CPA est un enjeu collectif très important. Nous en avons longuement discuté lundi dernier lors de la conférence sociale pour l’emploi. En tant que telle, c’est une idée qui peut être très porteuse du point de vue de la sécurisation des parcours professionnel. Le CPA peut notamment faciliter les transitions professionnelles et, en cela, il existe un lien évident avec l’assurance chômage. Cependant, le CPA soulève de nombreux sujets de fond, qu’il faut étudier avant d’aller plus loin. Telle est la conclusion qui semble s’être dégagée des travaux que nous avons menés lundi. Car avoir une bonne idée, c’est bien, mais c’est encore mieux d’être capable de la mettre en œuvre ! Nous suggérons donc que l’on se donne le temps d’approfondir la question. L’Unédic fera part de ses réflexions dans son domaine de compétence, notamment sur le point de savoir s’il est pertinent ou non de prendre en compte l’assurance chômage dans le CPA et, si elle estime que tel est le cas, dans quelles conditions.

Hiérarchiser les formes de paritarisme est un exercice un peu délicat. En définitive, le seul domaine de « paritarisme pur », ce sont les retraites complémentaires. On peut d’ailleurs se réjouir de l’accord qui vient d’être signé car, au-delà de l’enjeu des retraites complémentaires elles-mêmes, nous voulions montrer que nous étions capables de gérer ce système par nous-mêmes. Dans les domaines de l’assurance chômage et de la formation professionnelle, la dose de paritarisme est importante, mais les partenaires sociaux agissent par délégation dans le premier domaine, et l’intervention de l’État s’est accrue dans le second avec la mise en place du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnel.

J’ai répondu tout à l’heure de manière un peu lapidaire concernant la légitimité de l’État à intervenir pour éponger le déficit. Pour être rigoureux, il convient de rappeler que c’est le Parlement qui vote le budget de l’assurance chômage et, donc, approuve ou non son déficit.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, présidente. Je vous remercie, madame, messieurs, pour l’éclairage que vous nous avez apporté au cours de cette audition. Si vous souhaitez le compléter par des réponses écrites, celles-ci seront les bienvenues. Il importe que notre mission dispose du maximum d’éléments.

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Puis la commission entend M. Henri Rouilleault, ancien conseiller du Premier ministre (M. Michel Rocard), ancien directeur général de l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, présidente. Nous entamons un cycle d’auditions consacrées aux experts et aux historiens du paritarisme et du dialogue social. Nous avons ainsi le plaisir d’accueillir M. Henri Rouilleault. Ancien conseiller du Premier ministre Michel Rocard de 1989 à 1991, ancien directeur général de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) de 1991 à 2006, il est également l’auteur de Où va la démocratie sociale ?, ouvrage publié en 2010 qui présentait une synthèse de l’évolution du dialogue social et de ses perspectives.

Vous avez également, monsieur Rouilleault, été membre de la commission présidée par Jean-Denis Combrexelle, que nous auditionnerons à la mi-novembre. Par ailleurs, vous avez produit pour le think tank Terranova, dans la perspective de la dernière élection présidentielle, un rapport intitulé : « Renforcer la négociation collective et la démocratie sociale ». Peut-être pourrez-vous nous en dire un mot, et notamment sur ce qui est toujours d’actualité et ce qui ne l’est plus.

M. Henri Rouilleault. Je me propose de vous exposer quelques éléments de cadrage méthodologiques, conceptuels et historiques.

Le paritarisme et les sujets qui s’y rattachent relèvent du droit du travail, lequel a une spécificité, par rapport au droit commun des contrats. En effet, la relation entre l’employeur et le salarié a pour particularité d’être inégale. Historiquement, c’est à la loi et à la négociation collective qu’il revient de corriger cette inégalité, dans des proportions et selon des méthodes qui peuvent varier d’un pays à l’autre. De ce point de vue, le contrat de travail ne peut être considéré comme un simple contrat élaboré entre deux parties.

Pour ce qui est de la France, dont l’histoire sociale reste marquée par la loi Le Chapelier, elle a très longtemps privilégié la loi sur la négociation, ainsi que je le développe dans mon ouvrage, Où va la démocratie sociale ? Alors qu’en Allemagne et en Angleterre, les syndicats sont reconnus avant l’instauration du suffrage universel, la reconnaissance des syndicats en France ne date que de 1884, soit près de quarante ans après l’instauration du suffrage universel. L’évolution ensuite sera lente : il faut attendre 1968 pour que soient reconnus les délégués syndicaux dans les entreprises, puis celle des trois niveaux - interprofessionnel, branche, entreprise – de la négociation collective. Enfin, il a fallu, avec les lois Auroux de 1982, inventer l’obligation de négocier, preuve que la négociation sociale n’était pas vraiment rentrée dans les mœurs de notre pays… Pourtant, on constate souvent que les politiques publiques en matière de travail, d’emploi, de formation professionnelle et de protection sociale gagnent à s’appuyer sur la concertation et la négociation, et que les lois sont plus durables lorsqu’elles ont été préalablement négociées.

Aujourd’hui, notre système de relations professionnelles est entré dans une période de vaste mutation. De ce point de vue, votre mission ne sera qu’une étape sur un long chemin dont le point de départ est, à mon sens, la loi Larcher du 31 janvier 2007, qui elle-même faisait suite à la crise du CPE en 2006, séquence au cours de laquelle un Premier ministre pressé s’est heurté à un immense mouvement social et a dû renoncer aux mesures qu’il proposait, avec pour conséquence l’idée qui s’impose alors que, préalablement à toute réforme du code du travail, il faut consulter les partenaires sociaux et, s’ils le souhaitent, leur offrir l’option de la négociation préalable.

Cette modification fondamentale a été suivie de beaucoup d’autres. En 2008 sont redéfinis et inscrits dans la loi les critères de la représentativité syndicale, tandis que la validité des accords collectifs est subordonnée à des conditions d’audience ; la loi de mars 2014 pose les règles de la représentativité patronale et, en août 2015, la loi Rebsamen a opéré une simplification des instances représentatives.

Il faut désormais réfléchir à la manière de poursuivre ce processus. Dans le contexte actuel, marqué par la mondialisation, la révolution numérique et le chômage de masse, il me semble qu’il faut poursuivre trois objectifs : rendre le droit du travail plus lisible pour les différents acteurs, plus efficace pour les entreprises, ce qui implique qu’il prenne mieux en compte la diversité des situations de travail, tout en restant aussi protecteur pour les salariés.

Pour en venir aux concepts, le paritarisme est un terme parmi d’autres. Il doit être mis en regard des notions de démocratie sociale, de dialogue social et de négociation collective.

Par démocratie sociale, on entend le système d’acteurs permettant de définir et de mettre en œuvre les règles relatives aux relations professionnelles, ce qui renvoie non seulement aux acteurs de la démocratie politique – Gouvernement et Parlement – mais également aux organisations professionnelles d’employeurs et aux syndicats de salariés.

Le dialogue social désigne, au sens du BIT (Bureau international du travail), toutes les formes de dialogue entre les organisations d’employeurs et les syndicats de salariés, qu’il s’agisse du partage d’information, de la consultation, de la négociation, de la concertation, et cela à tous les niveaux.

La négociation collective est la forme privilégiée du dialogue social, dans la mesure où elle matérialise la recherche d’un équilibre des intérêts par la négociation et la signature d’un accord entre les représentants des employeurs et des salariés, qui ignoraient au départ quel serait le contenu de l’accord. Celui-ci se dessine au fur et à mesure, dans un processus de compréhension réciproque et mutuelle des acteurs, ce qui est une démarche exigeante qui suppose de la loyauté dans l’exécution des accords ainsi qu’une évaluation périodique.

Le paritarisme évoque d’abord la gestion par les organisations d’employeurs et de salariés des organismes en charge de l’assurance-chômage, des retraites complémentaires ou de la formation professionnelle continue progressivement mis en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il y a aussi un paritarisme d’incitation, comme dans le cas du réseau ANACT-ARACT – agences nationale et régionales pour l’amélioration des conditions de travail – qui promeut le changement concerté de l’organisation du travail dans les entreprises et les administrations. On parle aussi de tripartisme, lorsque l’État se trouve impliqué aux côtés des partenaires sociaux, notamment dès qu’il est question de finances – le pacte de responsabilité, par exemple, relève du tripartisme –, voire de quadripartisme dans certains domaines comme l’emploi et la formation professionnelle, lorsqu’en plus de l’État interviennent les régions.

J’en viens à présent à quelques thématiques d’actualité, au premier rang desquelles les réelles difficultés que rencontre le dialogue social dans notre pays, difficultés qui sont sociologiques avant d’être juridiques. Certains parmi les employeurs n’y voient qu’un « grand rituel », tandis qu’une partie des syndicalistes est réticente à s’engager et qu’au sein de la classe politique on dénonce un prétendu conservatisme des corps intermédiaires. Il me semble au contraire que les partenaires sociaux sont capables d’innover, comme l’a montré l’accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi et sur la formation professionnelle, qui soumet les plans sociaux soit à un accord négocié dans l’entreprise soit à une homologation par l’administration, là où prévalait auparavant l’information-consultation du comité d’entreprise : aujourd’hui, plus de 80 % des plans sociaux sont négociés et, dans 60 % des cas, ils font l’objet d’un accord. C’est une évolution majeure, qu’il faudra néanmoins pousser plus loin si nous voulons être en conformité avec les directives européennes, qui rendent la négociation obligatoire.

En ce sens, et c’est mon second point, le projet de loi constitutionnelle préparée sous l’égide de Michel Sapin et qui prévoyait de constitutionnaliser les articles L1 à L3 du code du travail constitue un progrès important, soutenu par le rapport dit Combrexelle et auquel je suis personnellement d’autant plus favorable qu’afin d’éviter tout contournement de la loi Larcher il étend l’obligation de consulter les partenaires sociaux aux ordonnances et aux propositions de loi. Cela empêcherait qu’éclatent de nouveau en France des crises sociales comme celles que nous avons connues en 1995 ou 2006, lorsqu’un Gouvernement, pressé par la gravité de la situation ou par la proximité d’échéances électorales, lance des réformes sociales sans recourir à la concertation ou à la négociation avec les partenaires sociaux. On peut certes objecter que le Conseil constitutionnel pourrait alors censurer des lois n’ayant, pour des motifs d’opportunité, pas fait l’objet d’une consultation préalable, mais il me semble précisément important qu’il puisse se prononcer sur la procédure, dans la mesure où les réformes concertées et négociées sont plus efficaces et plus durables que les autres.

Pour en revenir au rapport Combrexelle, partant du constat que le droit du travail est trop complexe, il réitère l’une des propositions que j’avais déjà faite en 2001 dans mon rapport sur la réduction du temps de travail et qui a été reprise dans la feuille de route présentée par la ministre chargée du travail, Mme Myriam El Khomri aux partenaires sociaux à l’issue de la conférence sociale du 19 octobre dernier. Pour rendre le droit du travail plus lisible, plus efficace mais tout aussi protecteur pour les salariés, nous préconisons de distinguer pour chaque partie du code, dans trois sous-ensembles distincts, d’une part, les principes et les mesures d’ordre public social, qui doivent s’imposer quoi qu’il arrive dans toutes les entreprises, d’autre part, les sujets qui doivent être renvoyés à la négociation parce qu’ils sont trop spécifiques pour être traités par la loi, et enfin les mesures supplétives, qui s’imposent en l’absence d’accord collectif. J’insiste sur ces dernières car ce sont elles qui permettent de conserver un droit du travail aussi protecteur qu’avant mais plus ouvert à la négociation. Quant aux points renvoyés à la négociation collective, il est évident, comme l’ont rappelé François Hollande et Manuel Valls, qu’ils devront l’être dans le respect des grands principes du droit du travail, qui relèvent en premier lieu de normes internationales - conventions de l’OIT (Organisation internationale du travail), directives européennes ou jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – mais aussi de notre Constitution ainsi que de quelques grandes normes législatives comme le SMIC ou la durée légale du travail.

En ce qui concerne le recours référendaire, l’un des instituts auditionnés par la mission Combrexelle et dont les positions sont proches de celles des employeurs s’y est montré très favorable. J’y suis pour ma part hostile, dans la mesure où, le plus souvent, les négociations sociales ne portent plus uniquement sur des questions salariales mais englobent de manière complexe toute une série de problématiques : emploi, rémunération, intéressement, épargne salariale, formation et développement des compétences, mobilité professionnelle plan de charge et d’investissement. Or, dans des discussions complexes, seules les organisations syndicales peuvent être garantes de l’équilibre des négociations. À l’inverse, le référendum du fait des employeurs peut servir à passer en force ; quant aux syndicats, ils peuvent souhaiter s’abriter derrière cette procédure pour ne pas signer un accord.

Enfin, l’actualité nous ramène au paritarisme, avec les négociations AGIRC-ARRCO, qui viennent de se conclure par un accord préalable, et les négociations de la nouvelle convention Unédic qui devraient avoir lieu cet hiver. Le paritarisme, d’abord instauré pour la gestion des retraites complémentaires en 1947, est plus récent dans notre pays qu’en Allemagne où il remonte à Bismarck. Il est à mon sens une formidable école de négociation collective, dans la mesure où il oblige à s’interroger sur les contraintes et les marges de manœuvre de chacun. Or il n’y a pas de bonne négociation qui puisse faire abstraction de ces questions. C’est une des raisons pour lesquelles je pense que le Gouvernement n’aurait pas pris son parti d’un échec des négociations sur les retraites complémentaires et que, s’il l’avait fallu, il aurait trouvé un moyen ou un autre de les faire aboutir, pour empêcher que la question des retraites de base soit remise sur le tapis.

Mme Françoise Descamps-Crosnier, présidente. Selon vous, les difficultés que rencontre le dialogue social dans notre pays sont sociologiques avant d’être juridiques. Quelles seraient vos préconisations pour remédier à cet état de fait ?

Quelle place accordez-vous aux conférences sociales ? Considérez-vous qu’elles sont un espace de confrontation constructive des points de vue, et dans quels domaines plus particulièrement ?

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Le rapport Combrexelle préconise de répartir en trois sous-ensembles les principes d’ordre public social – dont il faut souhaiter qu’ils ne se limitent pas aux conventions internationales, car la France a toujours été un pays à la pointe en matière sociale, et les normes de l’OIT sont surtout faites pour étendre les principes fondamentaux à des pays moins avancés que nous en la matière –, les mesures relevant de la négociation, puis les autres dispositions, réunies en quelque sorte dans une « voiture-balai ». Quelle différence y a-t-il avec ce qu’il est convenu d’appeler le principe de faveur ? Celui-ci me paraît plus favorable aux salariés, dans la mesure où la loi fixe un certain nombre de principes, au-delà desquels peuvent aller les accords de branche ou d’entreprise.

Le rapport propose également de renvoyer à la négociation collective les questions relevant des conditions de travail, du temps de travail, de l’emploi et des salaires – ce qu’il appelle les « ACTES ». Or le Président de la République et le Premier ministre semblent exclure qu’une réforme du droit du travail touche à la durée du travail, aux salaires ou aux contrats de travail. Dès lors, j’ai du mal à comprendre quels sont les sujets qui, concrètement, pourraient être concernés par la négociation collective ?

Vous préconisez de rendre le droit du travail plus lisible et plus protecteur pour les entreprises, ce avec quoi on ne peut qu’être d’accord. En revanche, lorsque vous dites qu’il doit demeurer aussi protecteur pour les salariés, cela sous-entend-il que vous le jugez suffisamment protecteur en l’état ?

Que pensez-vous des nouvelles formes d’activité qui se développent hors du champ de la négociation collective et du paritarisme ? Un million de personnes travaillent aujourd’hui sous le statut d’auto-entrepreneur, mais je pense aussi aux phénomènes d’ « uberisation ». Faut-il soumettre ces activités à cotisations ? Avez-vous une idée de l’ampleur du phénomène et des solutions pour les intégrer à notre système de protection sociale ?

Enfin, considérez-vous que le paritarisme est plus efficace que le tripartisme ou que le quadripartisme, ou cela dépend-il des domaines d’activités ?

M. Henri Rouilleault. Il faut se sortir de la tête l’idée que nous sommes le pays le plus avancé en matière sociale. Je rappelle que, suite à un recours de Force Ouvrière, la France a été condamnée par l’OIT, qui a estimé que la période d’essai de deux ans prévue dans le contrat nouvelle embauche n’était pas d’une durée raisonnable. Les partenaires sociaux puis la loi ont donc fixé une nouvelle durée pour la période d’essai, plus longue pour les cadres que pour les ouvriers. Par ailleurs, quel est l’employeur qui a longtemps usé de CDD indéfiniment renouvelables au mépris des directives européennes ? C’est l’État, dans la fonction publique, jusqu’à ce qu’il soit contraint d’appliquer les directives européennes, elles-mêmes issue de la négociation sur le contrat de travail entre les partenaires sociaux européens. Nous devons donc rester modestes et nous garder de penser que nous sommes toujours les meilleurs : n’oublions pas notamment les pays nordiques.

En ce qui concerne le principe de faveur, il a été imaginé pendant les Trente Glorieuses, époque où la croissance et l’emploi se sont formidablement développés. Mais il a commencé à montrer ses limites à partir de 1974, lorsque nous sommes entrés dans une crise économique dont, quarante ans plus tard, nous ne sommes toujours pas sortis. Les négociations ont alors eu tendance à devenir plus globales et à intégrer plusieurs sujets à la fois, dans l’optique d’accords donnant-donnant qui soient gagnant-gagnant pour l’entreprise et les salariés. Si, selon le principe de faveur, on instaure une hiérarchie immuable entre la loi, puis l’accord interprofessionnel, l’accord de branche et enfin l’accord d’entreprise, il ne sera plus possible d’inclure dans la négociation plusieurs enjeux pour parvenir à des accords donnant-donnant, c’est-à-dire gagnant-gagnant.

Il faut ici rendre hommage à Jean Auroux et à Martine Aubry, rédactrice de l’ordonnance de 1982, qui a introduit le principe de l’accord dérogatoire en matière de durée du travail. À partir de là a progressivement été admis le principe des accords dérogatoires mieux adaptés à la situation de l’entreprise, principe applicable dès lors qu’il était accompagné d’une double garantie : d’une part, le respect de l’ordre public social, ce qui englobe les normes internationales, européennes et françaises ; d’autre part, des conditions de validité renforcées, telles que définies par la loi du 20 août 2008, à partir de la position commune MEDEF-CGT-CFDT du 9 avril 2008 – texte fondamental à mes yeux parce qu’il entérine une forme de reconnaissance mutuelle entre les syndicats et le patronat. Pour être valable, un accord devra désormais avoir été signé par des organisations représentatives ayant totalisé au moins 30 % d’audience aux dernières élections professionnelles et ne pas avoir été contesté par des organisations ayant recueilli une majorité des voix. Certains sujets plus sensibles doivent par ailleurs faire, par dérogation au droit commun, l’objet d’accords majoritaires, et le rapport Combrexelle préconise l’extension du principe de l’accord majoritaire à l’ensemble des accords d’entreprise dans un premier temps, puis, dans un second temps, aux accords de branche, enfin aux accords interprofessionnels.

Parler d’un droit aussi protecteur qu’auparavant ne veut pas dire qu’il ne puisse l’être davantage, et nous pouvons encore progresser sur nombre de sujets. Je suis depuis longtemps un fervent défenseur du compte personnel de formation, tout comme je pense que nous avons encore beaucoup à faire en matière de droit des reconversions professionnelles – on peut sur cette question s’inspirer des expériences autrichienne, belge ou suédoise, qui proposent des plates-formes de mobilité bien plus efficaces que Pôle emploi. À côté de cela, l’extension de la couverture complémentaire santé ou la création du compte personnel d’activité constituent des avancées.

En voulant simplifier le droit du travail et accroître le rôle de la négociation collective, nous poursuivons deux objectifs pour partie compatibles mais pour partie contradictoires, car le droit conventionnel peut lui aussi être d’une extrême complexité. La lisibilité du droit est un objectif à valeur constitutionnelle, et tout doit être fait pour que salariés et petits patrons ne s’égarent pas dans un maquis de règles et sachent identifier le droit applicable.

M. le rapporteur. Pour en revenir au principe de faveur, vous préconisez en quelque sorte de le systématiser sous une autre forme. Mais sur quels sujets concrets considérez-vous que la négociation est bridée et à quels domaines envisagez-vous de l’étendre, dès lors que sont exclues de son champ les questions de durée du travail, de contrat de travail et de salaire ?

M. Henri Rouilleault. Il ne faut pas se méprendre sur les propos de François Hollande et de Manuel Valls. Ce ne sont pas les questions de salaire, de contrat et de durée du travail qu’ils excluent du champ de la négociation collective mais, en matière de salaire, le SMIC, sur lequel il n’est pas question de revenir et, en matière de durée du travail, la durée légale du travail.

C’est un pont aux ânes, mais il ne faut pas confondre durée effective et durée légale du travail. Lorsqu’ils se sont affrontés lors de leur débat télévisé en 2007, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont tous deux crié au scandale, le premier prétendant que l’on ne pouvait travailler plus de trente-cinq heures, la seconde rétorquant qu’au contraire on pouvait être contraint de travailler plus. Tous les deux étaient dans l’erreur, et l’on peut fort bien, en France, travailler plus ou moins de trente-cinq heures par semaine, notamment en temps de travail annualisé. Ce que les lois Aubry ont mis en place ce n’est pas l’obligation de faire trente-cinq heures mais un seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Et, sur ce point, François Hollande a tranché et décidé que ce seuil ne serait pas renvoyé à la négociation décentralisée, choix que je considère parfaitement légitime.

Reste qu’il existe des entreprises en grande difficulté qui peuvent avoir recours aux accords de maintien dans l’emploi. Travailler plus à salaire constant n’a rien de scandaleux dès lors que cela est motivé par de graves difficultés – lesquelles doivent être détaillées aux organisations de salariés – et dès lors surtout que cette augmentation du temps de travail est assortie de contreparties négociées, en termes de garantie de l’emploi, de gestion des mobilités ou de formation. Mais ce type d’accord ne doit en aucun cas être généralisé. En finir avec la durée légale du travail reviendrait à travailler plus sans gagner davantage, et c’est une des raisons pour lesquelles Nicolas Sarkozy n’a pas touché aux trente-cinq heures : pour pousser les gens à effectuer des heures supplémentaires, il faut un compteur et un seuil au-delà duquel les comptabiliser.

Il en va de même pour le contrat de travail : ce qu’exclut le Président de la République, c’est de revenir sur le fait que le CDI est le contrat de droit commun pour lui substituer un contrat de travail unique.

Ces points précis mis à part, de multiples enjeux peuvent relever de la négociation collective et de ce que Jean-Denis Combrexelle a désigné comme les accords ACTES.

En ce qui concerne une fois encore le principe de faveur, des syndicats comme FO ou la CGT rêvent d’y revenir. Mais le principe de faveur ne peut être la règle générale. Nous avons besoin de souplesse, et systématiser ce principe nuirait à la compétitivité de notre économie.

Vous m’avez également interrogé sur les nouvelles formes d’activité. Le statut d’auto-entrepreneur a été créé par une loi qui n’a pas fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations patronales et syndicales. Il me paraît nécessaire de définir un cadre de négociations concernant la protection sociale dont peuvent bénéficier ces travailleurs. Le problème ne se pose pas lorsque l’activité de l’entrepreneur ne constitue qu’un complément de revenu mais il est réel pour ceux dont c’est la source de revenus principale, voire unique. La négociation et les parlementaires ont tout leur rôle à jouer dans ce domaine.

À la question de savoir si le paritarisme est plus efficace que le tripartisme ou le quadripartisme, ma réponse est que cela dépend des sujets. En ce qui concerne par exemple le pacte de compétitivité et le CICE, si le diagnostic posé par le Gouvernement était bon au sujet du manque de compétitivité de notre économie – équilibrée en 2002, notre balance commerciale accuse aujourd’hui un déficit de 70 milliards d’euros, soit 3,5 points de PIB –, il aurait été plus pertinent et plus efficace d’avoir recours à la négociation pour mettre en œuvre les importants dispositifs d’aides aux entreprises – 40 milliards d’euros. Comme cela se pratique en Irlande ou en Italie, il aurait fallu que le Gouvernement signe avec le patronat et les syndicats un accord tripartite conditionnant l’octroi des aides à la signature d’accords d’entreprise, lesquels auraient permis la négociation de contreparties claires, en termes de plan de charge, d’investissement, de formation et d’emploi, adaptées à la situation de chaque entreprise. Cela aurait renforcé l’efficacité du dispositif car, lorsque les aides sont conditionnées à des accords, les employeurs jouent le jeu – les lois Aubry en sont un bon exemple.

(M. Arnaud Richard remplace Mme Françoise Descamps-Crosnier à la présidence)

M. le président Arnaud Richard. Où en sommes-nous de la mise en œuvre de l’accord national interprofessionnel de février 2012 sur la modernisation du paritarisme, en matière de gouvernance, de financement ou de compétences des mandataires ?

Pensez-vous qu’il faille développer les négociations quadripartites avec les régions en matière de formation professionnelle ?

M. Henri Rouilleault. Certaines questions appellent le paritarisme, d’autre le tripartisme, d’autre enfin le quadripartisme. En matière de formation professionnelle continue, voire de formation initiale, où il faut penser de manière cohérente à l’échelle d’un territoire l’articulation entre lycées professionnels, apprentissage et contrats de professionnalisation, il serait pertinent de passer par une négociation et des accords quadripartites qui impliquent la région.

M. le président Arnaud Richard. Faut-il pour cela qu’il existe au préalable des structures paritaires locales ou régionales ?

M. Henri Rouilleault. Ces structures se développent de plus en plus – je pense aux commissions paritaires interprofessionnelles régionales pour l’emploi (COPIRE), puis aux comités paritaires interprofessionnels régionaux pour l’emploi et la formation professionnelle (COPAREF). Certaines sont redondantes et justifient une simplification du système, mais le quadripartisme est indispensable sur certains sujets. De même, lorsque de gros montants d’argent public sont en jeu, les partenaires sociaux ne peuvent décider sans l’État, et le tripartisme est indispensable.

En revanche, concernant la sécurisation du marché du travail, les partenaires sociaux peuvent, s’ils le souhaitent, entamer des négociations paritaires, à charge pour les parlementaires de se saisir ensuite du sujet. Le rôle de ces derniers n’est évidemment pas le même selon qu’il y a eu accord préalable ou non. Même si leurs marges de manœuvre sont plus limitées en cas d’accord, il leur revient d’éclairer les dispositions confuses – ce fut le cas à propos de la suppression du CNE qui figurait dans un ANI et dont il a fallu que le Parlement décide si elle s’appliquait aux contrats futurs ou existants. Il leur faut également s’assurer que les dispositions de l’ANI sont conformes au droit international et européen. Reste que si, juridiquement, les parlementaires peuvent ne pas respecter l’équilibre général d’un accord, cela ne me paraît pas politiquement sage.

En ce qui concerne la mise en œuvre de l’ANI de février 2012, il y a encore à faire. En matière de financement du paritarisme, des progrès ont été réalisés ; dans le domaine de la gouvernance, il me semble en revanche que reste à définir ce qu’est la majorité globale dans une délibération paritaire, qui doit tenir compte de façon équitable des positions patronales et des positions syndicales. Il en va de même pour les accords tripartites où la délibération majoritaire doit refléter les positions des partenaires sociaux.

C’est toute l’ambiguïté du pacte de responsabilité, qui s’intitule tel sans s’appuyer sur aucun accord de ce type. Or, je le répète, je crois à la vertu des accords, plus efficaces que la recherche de contreparties a posteriori, surtout lorsque ces contreparties sont décidées au niveau de la branche sur des questions qui concerne au premier chef les entreprises. C’est à mes yeux un exemple de mauvaise architecture sociale.

M. le président Arnaud Richard. Monsieur Rouilleault, nous vous remercions.

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Puis la commission entend M. Jacques Freyssinet, professeur émérite à l’Université de Paris I et président du conseil scientifique du Centre d’études sur l’emploi.

M. le président Arnaud Richard.Nous avons le plaisir de recevoir M. Jacques Freyssinet, Professeur émérite à l’Université de Paris I et président du conseil scientifique du Centre d’études sur l’emploi. M. Freyssinet a également présidé le conseil d’administration de l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi) de 1980 à 1987, puis dirigé l’IRES (Institut de recherches économiques et sociales) de 1988 à 2002. Auteur de nombreux ouvrages sur le chômage, les politiques de l’emploi et la négociation collective, il a notamment publié Négocier l’emploi : Cinquante ans de négociations interprofessionnelles sur l’emploi et la formation.

Je vous propose, monsieur Freyssinet, de commencer par dresser un panorama historique de la négociation professionnelle sur l’emploi, qui pourrait révéler tout à la fois la capacité d’innovation des parties prenantes et la permanence des facteurs de tension et de difficulté. J’ajoute qu’en 2012, vous avez publié avec le Bureau international du travail une étude sur le dialogue social et la réforme des retraites en période de crise – une question d’actualité que nous pourrons également aborder.

M. Jacques Freyssinet. Distinguons d’emblée entre le vrai paritarisme et certaines formes de pseudo-paritarisme : on ne peut parler de paritarisme au sens fort que s’agissant des institutions créées par la négociation collective. Au lendemain de la seconde guerre mondiale se sont tout d’abord constitués les régimes nationaux de retraites complémentaires, dits AGIRC et ARCCO ; l’assurance chômage a été créée en 1958 ; à partir de 1982, enfin, ont émergé différentes formes de mutualisation des fonds de la formation professionnelle continue. À cette liste des trois principales formes de paritarisme interprofessionnel, on pourrait ajouter l’association pour l’emploi des cadres, l’APEC, ainsi que d’autres instances constituées au niveau des branches professionnelles.

Tout cela diffère profondément d’une autre acception du paritarisme qui couvre les instances de gestion de la sécurité sociale, par exemple, où le nombre de représentants des organisations patronales est égal à celui des représentants d’organisations syndicales. Ces instances, qui comportent parfois d’autres représentants, sont créées par l’État et leurs compétences de gestion sont étroitement contraintes par le fait qu’il revient à l’État de fixer le régime de financement et celui des prestations. Permettez-moi dès lors de n’aborder que le paritarisme dans son sens premier.

D’autre part, il est hélas impossible d’isoler le phénomène du paritarisme qui, tout au long de son histoire, s’est trouvé pris en tenaille entre la négociation collective et l’intervention de l’État. Le paritarisme englobe des instances numériquement équilibrées où les relations sont plutôt coopératives. Dans la négociation collective, au contraire, point de paritarisme : le conflit est monnaie courante, chaque organisation défendant ses positions avant de signer ou non les textes. Traditionnellement, le patronat signe de manière homogène – quoique la CGPME n’ait pas signé le texte issu de la récente négociation sur la formation professionnelle continue. En revanche, il est très fréquent que toutes les organisations syndicales ne signent pas les accords. De plus, ce n’est pas la règle majoritaire qui s’applique : les signataires doivent atteindre un taux de représentativité d’au moins 30 % et l’opposition à l’accord ne pas dépasser un taux de 50 %. La logique de la négociation et celle du paritarisme sont donc très différentes. Or, c’est la négociation qui crée les règles du paritarisme ; les instances paritaires ne font que les appliquer – même avec une marge d’adaptation variable selon les institutions. De ce point de vue, il ne faut pas surestimer leur niveau de responsabilité.

Autre branche de la tenaille : les institutions paritaires reposant sur des financements obligatoires, elles supposent une approbation par l’État sous une forme ou sous une autre – loi de transposition en matière de formation professionnelle continue, agrément pour l’assurance chômage et arrêté d’extension ou d’élargissement pour les retraites complémentaires. Dans tous les cas, l’intervention de l’État est indispensable et n’est pas toujours passive, loin s’en faut. Ouvertes ou officieuses, les tractations entre l’État et les partenaires sociaux, signataires et non signataires, peuvent être intenses, à l’image de la bataille livrée pour aboutir à l’agrément de l’accord du 1er janvier 2001 relatif au régime d’assurance chômage, qui dura plus de six mois. Point de long fleuve tranquille en la matière : le fonctionnement des instances paritaires et leur relation avec l’État sont l’objet d’un rapport de force – tout naturel – qui empêche d’envisager une quelconque autonomie des acteurs sociaux dans les instances paritaires.

Ensuite, le paritarisme a subi des critiques vives et récurrentes concernant l’opacité de sa gestion d’une part et, de l’autre, son rôle dans le financement des organisations patronales et syndicales. En ces domaines, deux progrès récents sont à noter : l’accord national interprofessionnel du 17 février 2012 relatif à la modernisation et au fonctionnement du paritarisme, tout d’abord, par lequel les organisations signataires ont édicté des règles plus précises et plus strictes pour l’ensemble des institutions paritaires nationales en matière de gestion, de contrôle des comptes, de rémunération des administrateurs et de dédommagement des organismes gestionnaires. De l’avis général, cet accord a rendu la gestion financière des organisations paritaires plus rigoureuses et a clarifié leur financement indirect. Deuxièmement, la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale a créé un fonds paritaire de contribution au financement des organisations syndicales et patronales tout à fait transparent, même s’il est extrêmement complexe. Songez au titre du dernier rapport financier de l’Unédic : « Une exigence permanente de rigueur, c’est utile » – c’est dire combien les institutions paritaires tiennent à ne plus fonder leur légitimité que sur leur seule fonction sociale, mais aussi sur la rigueur de leur gestion.

D’autre part, les organisations syndicales ont parfois envisagé le paritarisme comme une modalité du syndicalisme de gestion. Dès sa création, il y a cent vingt ans, la CGT se composait des fédérations d’un côté et, de l’autre, des bourses du travail, qui fournissaient des services – de placement, par exemple – aux salariés. La fonction de service aux adhérents et aux salariés est un sujet de débat permanent dans le monde syndical. En Europe du nord, le taux de syndicalisation très élevé est en partie lié au fait que ce sont les organisations syndicales qui gèrent les fonds de chômage. On aurait pu croire que l’obtention par les syndicats français, au terme de négociations avec les organisations patronales, de retraites complémentaires, de l’indemnisation du chômage et de fonds mutualisés de financement de la formation professionnelle continue aurait apporté la preuve de l’efficacité des services qu’ils fournissent à l’ensemble des salariés ; or, les enquêtes d’opinion ne confirment aucunement cette hypothèse. Les salariés associent certes les institutions paritaires au dispositif de protection sociale dans son ensemble, mais n’y voient ni une conquête syndicale ni un service fourni. Les organisations syndicales ne parviennent pas à présenter les institutions paritaires comme le produit d’une conquête syndicale et, du même coup, à faire la preuve de leur utilité. Ainsi, il ne s’est produit aucune mobilisation syndicale lors des récentes négociations – parfois difficiles – sur l’assurance chômage et sur les retraites complémentaires. De ce point de vue, la stratégie syndicale a échoué puisque le conflit s’est cantonné à la négociation et que la préservation des acquis n’a pas suscité la mobilisation des travailleurs.

Dernier point : les trois composantes du paritarisme sont confrontées à des problèmes très différents, d’où la difficulté de conduire un débat d’ensemble sur le sujet. Les retraites complémentaires, tout d’abord, sont pilotées à très long terme – trente à cinquante ans – afin de tester la soutenabilité des régimes en accordant une grande importance aux hypothèses macroéconomiques. C’est pourquoi les régimes ont, de leur création à l’irruption de la crise en 2008, privilégié le mode de gestion consistant à constituer des réserves. Depuis 2008, le déséquilibre financier a eu pour effet de ne produire que des négociations en recul et tous les compromis ont consisté à piocher dans les réserves. Celles-ci devraient s’épuiser dans une dizaine d’années – un délai qui, en matière de retraites, est assez court. De ce fait, la soutenabilité à long terme de ces régimes est en question, et le dernier accord montre toute la difficulté qu’il y a à y apporter une réponse acceptable. D’autre part, ces régimes étant complémentaires, ils dépendent en grande partie de l’évolution des régimes de base. La réforme de 2010, par exemple, a eu un impact immédiat : les organisations syndicales, qui l’avaient unanimement combattue, ont bien dû en traduire les effets dans les régimes complémentaires. Par symétrie, les organisations patronales saisissent souvent l’occasion de négociations sur les retraites complémentaires pour tenter de faire accepter des innovations qui pourraient être à nouveau utilisées pour faire pression sur l’évolution du régime de base. C’est en particulier le cas du recul de l’âge de la retraite, et le nouveau système de bonus et de malus qui se dessine actuellement pourrait servir d’argument lors d’une future réforme du régime général.

L’assurance chômage est tout à fait différente, puisqu’elle est autonome. Les prestations publiques, en effet, ne concernent que ceux qui ne bénéficient pas d’un régime complémentaire. En revanche, l’assurance chômage est entièrement soumise à la logique des cycles économiques : une récession entraîne mécaniquement la chute des recettes et l’augmentation des dépenses. La stratégie la plus logique consisterait donc à gérer les réserves non pas à très long terme, mais à l’échelle du cycle. Or, ce n’est pas le cas. Il semble que les gestionnaires du régime estiment que l’accumulation de réserves pourrait susciter la convoitise du Trésor, comme cela s’est produit dans d’autres secteurs – celui de la formation professionnelle continue, par exemple. C’est pourquoi leur méthode de gestion repose sur l’endettement. C’est pourtant une méthode très coûteuse, puisqu’une partie importante des ressources de l’assurance chômage sert à financer la charge de la dette. Sans doute était-il possible d’espérer un redressement rapide des recettes lorsque les cycles économiques étaient courts et réguliers, mais la crise de 2008 a inauguré une nouvelle ère – est-ce un cycle ou une rupture durable ? – dans laquelle la gestion par l’endettement montre ses limites. Les négociations de 2016 seront donc très dures : on n’imagine guère trouver un compromis qui prolonge la tendance à l’accroissement du déficit cumulé.

J’ajoute qu’à sa création en 1958, l’assurance chômage a été conçue comme un régime de transition de court terme entre deux emplois stables. L’indemnisation était donc de bon niveau, mais elle ne durait que huit mois, soit le temps jugé nécessaire au reclassement professionnel. Peu à peu, l’assurance chômage a changé de nature ; elle est désormais pour l’essentiel un régime de gestion socialisée de la précarité de l’emploi. Intermittents, intérimaires, activités réduites, droits rechargeables et j’en passe : la fonction traditionnelle de l’assurance chômage subsiste certes, mais elle est envahie par la fonction de socialisation du coût de l’emploi précaire. Dans un premier temps, l’assurance chômage a réagi aux stratégies de gestion de l’emploi qu’adoptaient les entreprises. Aujourd’hui, néanmoins, son évolution n’encourage-t-elle pas le développement de l’emploi précaire, dont il est bien commode de rejeter le coût sur elle ? Les négociations à venir devront se saisir de ce thème brûlant. Le Conseil d’analyse économique a récemment formulé des propositions fortes visant à éliminer les facteurs d’incitation au développement de l’emploi de très courte durée.

Troisième et dernière composante du paritarisme : la formation professionnelle continue. Dès l’origine, la bataille s’est révélée rude entre les plans de formation de l’entreprise, qui ne sont soumis qu’à la consultation du comité d’entreprise, et les fonds mutualisés. Jusqu’en 1982, la mutualisation était quasiment inexistante. Ce n’est que grâce à la conclusion – souvent sous la forte pression de l’État – des accords nationaux interprofessionnels de 1982 et 1984 que les ressources mutualisées ont augmenté. On ne saurait donc prétendre que la formation professionnelle continue relève intégralement du paritarisme : ce n’est le cas que de sa fraction mutualisée, qui est minoritaire, tandis que l’essentiel, c’est-à-dire les plans de formation, relève du pouvoir de gestion des employeurs.

D’autre part, on a souvent reproché au paritarisme son inefficacité face à l’effet amplificateur d’inégalités des dépenses de formation professionnelle continue. Cet effet est indiscutable et résulte de la logique des plans de formation. Les fonds mutualisés permettent d’atténuer en partie ces inégalités, mais en partie seulement. La création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels atteste de la prise en compte de ce sujet dans la négociation collective, mais la logique principale de la formation professionnelle conserve néanmoins son effet amplificateur d’inégalités – même s’il n’est pas délibéré. La capacité des fonds mutualisés à l’atténuer demeure en question.

En somme, tout raisonnement global sur le paritarisme a ses limites. D’une part, il ne peut concerner que le paritarisme stricto sensu, c’est-à-dire celui qui naît de la négociation collective. Même ainsi, les possibilités d’accord et de conflit varient profondément selon les domaines concernés.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Au fond, selon vous, qui fait quoi ? S’agissant de la sécurité sociale, par exemple, l’État a pris une place croissante puisque les régimes assurantiels ont cédé la place aux régimes universels – évolution marquée par la rupture de 1995. De même, l’assurance chômage était initialement conçue pour couvrir des transitions courtes ; l’État a peu à peu introduit des régimes de fin de droits, y compris le RMI puis le RSA, et est parfois intervenu lourdement lorsque le régime a connu de graves difficultés avant de se résoudre à se gérer par l’endettement. En matière de formation professionnelle continue, les régions se sont peu à peu imposées au fil des lois de décentralisation, ainsi qu’une forme de quadripartisme qui s’incarne dans le conseil d’administration de Pôle Emploi. En clair, le paysage a évolué – de manière parfois erratique et mal anticipée, certes, mais globalement cohérente. Pensez-vous que l’architecture qui s’est dessinée au fil du temps est optimale ou que d’autres systèmes seraient plus efficaces ?

Ma deuxième question a trait aux nouvelles formes d’activité non salariée, qui ne sont pas couvertes par les régimes en question. Faut-il les transformer en activités salariées ? Autrement dit, les chauffeurs de Uber doivent-ils être reconnus comme travailleurs salariés ? Faut-il au contraire inventer un tiers secteur dans lequel des cotisations seraient versées ? Je pense à l’entreprise Airbnb, qui a volontairement accepté de payer une cotisation, ou encore aux auto-entrepreneurs, qui exerçaient auparavant comme salariés et qui ne le sont plus. Pensez-vous qu’un nouveau système soit souhaitable, et lequel ?

Enfin, comment envisager l’évolution de la gestion des parcours professionnels, question qui fut au cœur des débats sur le compte personnel d’activité mais qui concerne la sécurité sociale professionnelle dans son ensemble ? Comment éviter que les parcours soient fragmentés entre périodes de formation et périodes d’activité professionnelle, et tenir compte de la question des temps et de celle du logement ? En clair, sera-t-il possible d’appréhender le parcours des individus dans leur ensemble ?

M. Jean-Patrick Gille. Permettez-moi une question quelque peu iconoclaste. Le syndicalisme français est un syndicalisme protestataire et revendicatif. Le syndicalisme de service ne réussit guère ici. Ne pourrait-on pas favoriser la naissance d’un syndicalisme d’accompagnement de ces comptes – voire de leur gestion ? Malgré notre tradition étatiste et centralisée, ne pourrait-on pas envisager que les salariés soient affiliés au syndicat qui gère leur compte personnel d’activité – ce qui règlerait du même coup la question de la faible syndicalisation ? J’ai bien conscience qu’une telle proposition n’est pas du tout dans l’air du temps, mais pourquoi ne pas impliquer davantage les partenaires sociaux en matière de gestion ?

M. Jacques Freyssinet. Qu’il s’agisse des accords nationaux interprofessionnels ou du paritarisme, j’emploie souvent l’expression de « tripartisme asymétrique masqué ». En matière gestionnaire et décisionnelle, la tradition française ne connaît pas de tripartisme explicite, tant du point de vue syndical que parce que le patronat s’est toujours montré réservé à l’égard de l’intervention de l’État. Il existe donc un consensus tacite visant à ne pas institutionnaliser le tripartisme. Pourtant, la réalité est celle-ci : le jeu à trois est la règle. Elle s’applique naturellement à la négociation interprofessionnelle, plus encore depuis l’entrée en vigueur de la loi dite Larcher, puisque l’État indique les questions sur lesquelles il souhaite que porte la négociation, fixe un calendrier, fournit un document d’orientation puis suit la négociation et intervient – plus ou moins discrètement – avant d’élaborer un projet de loi de transposition plus ou moins fidèle à l’accord, qui est examiné au Parlement auprès duquel les signataires et non signataires multiplient les interventions. Autrement dit, l’accord national interprofessionnel n’est que l’un des éléments d’un processus à trois – même si l’on ne l’appelle pas tripartite pour ne blesser personne.

De même, la gestion paritaire des institutions dont nous avons parlé repose sur trois acteurs, puisqu’elles ne reçoivent de financement qu’après approbation de l’État. De ce point de vue, la prise en compte du déficit de l’assurance chômage dans les calculs de l’Union européenne ne fera qu’accroître la pression sur l’État avant qu’il agrée les conventions.

À la question qui fait quoi, il faut hélas répondre ceci : tout le monde s’occupe de tout, à niveaux de responsabilité inégaux. Les rapports sont tantôt ouverts comme dans le débat parlementaire, tantôt opaques – les négociations bilatérales officieuses s’accompagnent souvent d’interventions téléphoniques auprès des cabinets ministériels concernés. En somme, le paysage est confus. Ce système est-il efficace ? Il l’est tout à fait pour trouver des compromis ; il ne l’est guère pour susciter des réformes. Le compromis consiste à modifier les choses pas à pas, parfois au moyen de mesures intéressantes ; le tripartisme implicite interdit néanmoins d’envisager toute réforme radicale.

J’en viens aux nouvelles formes d’activité non salariée – un véritable casse-tête. Une première réponse pourrait consister à faire entrer dans le salariat toutes les activités qui sont en réalité du salariat camouflé – lequel tient aux stratégies qu’adoptent les entreprises afin que des employés salariés passent sous un autre statut, celui d’auto-entrepreneur par exemple. Il appartient aux tribunaux de requalifier ce salariat camouflé, en utilisant notamment la technique italienne de la parasubordination. Il existe pourtant d’autres formes de travail non salarié que l’on ne saurait ramener dans le giron du salariat, car elles sont le fruit d’un choix. Dans ces conditions, il faut bâtir des socles successifs de protection. Le premier est celui de la protection sociale du citoyen, avec l’universalisation de l’assurance maladie et des allocations familiales, notamment. Le deuxième est celui de la sécurisation des activités productives, quel qu’en soit le statut juridique. Le troisième concerne le salariat. À mon sens, nous nous dirigeons peu à peu vers un système de protection à trois niveaux ; toute la question est de savoir si l’on parviendra à lui donner une formulation générale, comme l’analysait Alain Supiot dans ses travaux.

Le système du paritarisme a conduit tous les syndicats – même les plus protestataires – à accepter de manière tout à fait responsable la logique de gestion. Ainsi, les syndicats non signataires n’ont jamais mené une politique d’obstruction dans les instances paritaires de gestion. Au contraire, ils se sont totalement associés aux responsabilités de gestion. Dans leur cas, le système tel qu’il est engendre presque une sorte de schizophrénie syndicale. C’est sans doute l’un des domaines dans lesquels le paritarisme a permis de modifier le comportement des acteurs en formant leur conscience gestionnaire, qu’ils approuvent ou réprouvent le contenu des accords collectifs qui règlent le fonctionnement de l’institution concernée.

M. le président. Quelle est à votre sens la stratégie à long terme des acteurs du paritarisme ?

M. Jacques Freyssinet. Il me semble que leur seule stratégie à long terme est celle de la survie des institutions. La CGT est certes un cas particulier : dès l’origine, elle a considéré que la protection sociale, y compris l’assurance chômage, devait relever de la sécurité sociale au sens général et donc du paritarisme. Aujourd’hui, néanmoins, toutes les institutions sont profondément attachées à la survie du paritarisme – par conviction ou par intérêt, qu’importe. Souvent, elles justifient la signature d’accords pourtant douloureux par la nécessité de « sauver le paritarisme ». Cet attachement est fort parmi les syndicats et dans les organisations patronales – contrairement au patronat, où certaines tendances hostiles au paritarisme y voient une source de rigidité. Il a permis de trouver de nombreux compromis depuis dix ans, y compris à la dernière minute, comme le récent accord sur les retraites complémentaires.

Cependant, la conception du paritarisme et de son rôle social varie beaucoup selon les organisations. Si l’attachement au paritarisme est un trait commun – le seul – qui suffit à cimenter le système et à permettre les compromis, les stratégies, en revanche, sont très contrastées.

M. le rapporteur. Vous semblez plaider en faveur de l’institutionnalisation du tripartisme, plutôt que du tripartisme actuel qui ne s’assume pas, qui produit des conflits – plus théâtraux que réels – et qui rend les politiques illisibles, même si le travail accompli entre l’État, les syndicats et les organisations patronales n’est pas toujours mauvais.

M. Jacques Freyssinet. Je ne saurais guère plaider cette cause car je n’y crois pas du tout. Nous avons inventé un système extrêmement compliqué et en partie opaque qui permet de trouver des solutions tripartites sans avoir à accepter un tripartisme officiel. Son institutionnalisation me semble aller à contresens de l’histoire : partout en Europe, le tripartisme au sens fort recule au profit de formes implicites et partielles. En clair, le tripartisme n’a plus du tout le vent en poupe depuis le début de la crise. La solution théorique peut sembler souhaitable et même seule capable de produire des réformes importantes, mais la conjoncture historique rend cette perspective pour le moins incertaine.

La séance est levée à treize heures.

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 22 octobre 2015 à 9 heures 30

Présents. – Mme Kheira Bouziane-Laroussi, M. Pascal Demarthe, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, M. Gilles Lurton, M. Arnaud Richard, Mme Claudine Schmid

Excusés. – M. Olivier Carré, M. David Comet, Mme Véronique Louwagie, Mme Sophie Rohfritsch