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Mission d’information sur le paritarisme

Mercredi 11 mai 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Arnaud Richard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA), et de M. Christian Pineau, chef du service relations du travail et protection sociale

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), de Mme Sonia Buscarini, responsable du service protection sociale, et de M. Philippe Couteux, responsable du service emploi et sécurisation des parcours professionnels

– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Bernasconi, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LE PARITARISME

Mercredi 11 mai 2016

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.

——fpfp——

(Présidence de M. Arnaud Richard, président de la mission d’information)

La mission d’information sur le paritarisme procède à l’audition de M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA), et de M. Christian Pineau, chef du service relations du travail et protection sociale.

M. le président Arnaud Richard. Nous poursuivons notre cycle d’auditions des principales organisations professionnelles avec l’Union professionnelle artisanale (UPA), représentée par son secrétaire général, M. Pierre Burban, que nous avions déjà eu l’occasion de recevoir pour une audition consacrée à la négociation UNEDIC, et M. Christian Pineau, chef du service des relations du travail et de la protection sociale de l’UPA.

Nous vous remercions de vous être rendus disponibles pour partager avec nous votre vision du paritarisme aujourd’hui et vos recommandations sur la façon dont il devrait évoluer. Cette mission d’information s’est donné pour but de réaliser un travail inédit de recensement de tous les champs du paritarisme dans notre pays afin d’améliorer ce système. C’est pourquoi les réflexions de l’UPA et vos analyses personnelles, monsieur le secrétaire général, issues de votre longue expérience de mandataire au sein de l’Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC) et des organismes de sécurité sociale, nous seront très utiles pour offrir à ce modèle des perspectives. Le champ actuel du paritarisme est-il satisfaisant ? Faut-il revoir la répartition des rôles entre l’État et les partenaires sociaux ? Si oui, selon quels critères ? Quels moyens humains, matériels et juridiques manquent aux organismes paritaires pour jouer pleinement leur rôle ? Comment voyez-vous l’avenir de ce mode de gouvernance fondé sur les rapports entre salariat et patronat alors que le travail non-salarié se développe considérablement ?

M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Je partirai de mon expérience au sein de l’UPA. Celle-ci a été créée par des confédérations préexistantes qui, en 1975, ont souhaité entrer véritablement dans le dialogue social.

Le paritarisme s’est développé dès l’après-guerre, tant au niveau interprofessionnel qu’au niveau des branches professionnelles. À la fin des années 1940 a été mis en place le régime de retraite complémentaire, complété dans les années 1950 par la création de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC). Puis, au début de la Ve République, a été créé le régime d’assurance-chômage. Enfin, le système de la formation professionnelle a été instauré en 1970.

Dans les milieux de l’artisanat, cet accord de 1970 a été un déclic. Longtemps, la doctrine qui primait dans ce secteur était que pour vivre heureux, mieux valait vivre caché : les artisans préféraient laisser le Conseil national du patronat français (CNPF) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) négocier avec les syndicats de salariés, pour aller ensuite se plaindre auprès du Gouvernement et des parlementaires de la signature d’accords totalement inadaptés à leurs propres catégories d’entreprises. C’est ce qui explique l’existence de plusieurs des seuils fixés par le code du travail. En 1975, les fondateurs de l’UPA ont considéré qu’il n’était pas judicieux de rester en dehors d’un dialogue social en plein essor, dans la mesure où un éventail croissant de normes applicables à la relation entre l’employeur et son salarié étaient fixées dans le cadre de la négociation interprofessionnelle. L’accord de 1970 qui fonde le système de formation professionnelle en France avait écarté les entreprises de moins de dix salariés. Ces dernières ne participaient donc pas à son financement. Cela leur coûtait moins cher mais, lorsqu’un salarié d’une entreprise artisanale de moins de dix salariés voulait se former, le fonds d’assurance formation (FAF) considérait le salarié comme non prioritaire, car non cotisant, et refusait de prendre en charge sa formation. C’est pourquoi, dix ans après sa création, l’UPA a signé un accord avec les cinq organisations syndicales de salariés pour fonder le dispositif de la formation professionnelle continue des salariés des entreprises de moins de dix salariés – dispositif qui a été généralisé par un accord de 1991 et entériné par la loi à la fin de la même année.

M. le président Arnaud Richard. Cela veut-il dire que, à l’époque, les salariés des entreprises qui n’étaient pas membres d’une organisation professionnelle ne pouvaient pas bénéficier d’une formation ?

M. Pierre Burban. Le droit français du travail est souvent un droit virtuel. Juridiquement, ces salariés étaient bénéficiaires du dispositif mais, en pratique, les FAF ne les finançaient pas, si ce n’est dans de rares cas, car ils considéraient ces salariés comme non prioritaires.

Afin de devenir une organisation représentative, l’UPA a dû déposer un dossier auprès du ministère du travail et faire l’objet d’une enquête en représentativité, qui a abouti à un accord en 1983. À l’époque, les règles n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui : on n’établissait pas de liste des organisations ayant le droit de négocier ; dès lors qu’une organisation était considérée comme représentative, elle pouvait siéger dans certaines instances placées auprès du Gouvernement, en particulier au sein de la Commission nationale de la négociation collective, et était obligée de participer à toutes les négociations. Le droit du travail est ainsi fait qu’aucun accord ne peut être négocié si toutes les parties représentatives ne participent pas à la négociation.

Il est une autre raison pour laquelle l’UPA continue à considérer le dialogue social et le paritarisme comme importants et méritant d’être développés : nous ne souhaitons certes pas la suppression totale du droit du travail, mais nous plaidons en faveur de sa simplification. Lors du débat sur les lois Aubry I et II, le Parlement s’est mis à discuter de la question des temps d’habillage et de déshabillage des salariés : l’UPA, tout en respectant les travaux parlementaires, estimait que cette question ne se posait pas pour tous les salariés français. Nous avons toujours considéré qu’il fallait recentrer le champ des règles définies par la loi et laisser aux partenaires sociaux, en particulier au niveau des branches professionnelles, le soin de définir les règles applicables aux entreprises et à leur fonctionnement.

Le débat sur les rôles respectifs de l’État et des partenaires sociaux est récurrent en France depuis 1945, et il fut d’ailleurs une époque où c’était l’État qui venait chercher ces derniers. C’est le général de Gaulle qui a sollicité le CNPF et les syndicats de salariés – en particulier l’organisation syndicale qui constituait le partenaire le plus régulier – pour négocier l’accord créant un régime d’assurance-chômage en France. C’est moins vrai aujourd’hui, mais le débat relatif aux domaines de la loi, du règlement et des accords a toujours existé – au moins depuis que j’ai le plaisir de travailler sur ces sujets.

En 2000, les partenaires sociaux ont discuté de ce que l’on a appelé la refondation sociale. Dans ce cadre, ils ont abouti à une position dite commune qui a été signée par les trois organisations patronales et par quatre organisations syndicales sur cinq – la CGT étant la seule à ne pas l’avoir fait – sur les voies et moyens permettant de développer le dialogue social dans notre beau pays.

Sur cette base, l’UPA a négocié avec les cinq organisations syndicales de salariés un accord, signé le 12 décembre 2001 et célèbre en raison des nombreux contentieux qu’il a suscités, relatif au développement du dialogue social dans l’artisanat. Encore une fois, si l’UPA a signé cet accord, c’est qu’elle considère qu’on peut, par la négociation, définir des règles adaptées aux entreprises que nous représentons et à leurs salariés. Cet accord fonde la vision de l’UPA en matière de dialogue social et reste entièrement d’actualité, y compris au regard du projet de loi actuellement en cours d’examen au Parlement.

L’accord vise deux objectifs. Il part du constat que les entreprises que nous représentons sont dans leur immense majorité petites voire très petites, qu’elles ne peuvent pas négocier d’accords d’entreprise, mais qu’il faut néanmoins créer pour elles les conditions d’un dialogue social. Le premier objectif de l’accord de 2001 est donc de renforcer la négociation au niveau des branches professionnelles. La branche se situant au niveau national et étant par conséquent assez éloignée de l’entreprise, le second objectif est de créer les conditions d’un dialogue social territorial. Nous avons donc instauré des commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat. Celles-ci n’ont pas à négocier puisque cette mission revient aux branches professionnelles ; en revanche, elles peuvent traiter de tous sujets pouvant intéresser la relation entre l’employeur et ses salariés.

Le dialogue social doit aussi être adapté à la réalité du monde économique français. On nous dit souvent qu’il faut développer la négociation d’entreprise. Malheureusement, on ne compte chaque année que 40 000 accords signés dans les quelque 1,16 million d’entreprises qui emploient des salariés. Et qui dit 40 000 accords ne dit pas 40 000 entreprises, puisque certaines entreprises signent plusieurs accords ; mais faisons simple. Il reste donc environ 1,12 million d’entreprises qui ne signent pas d’accord. Il faut permettre à celles-ci de signer des accords au niveau des branches professionnelles.

Le projet de loi El Khomri prévoit la possibilité pour les accords d’entreprise de déroger aux accords de branche. Nous ne sommes pas contre l’accord d’entreprise, mais le texte aurait dû, selon nous, confier aux branches le soin de définir le ou les domaines dans lesquels les entreprises peuvent déroger aux accords de branche. Il est des champs dans lesquels il faut maintenir une solidarité entre les entreprises.

M. le président Arnaud Richard. Rassurez-vous : nous sommes nombreux à penser la même chose.

M. Pierre Burban. Je vous remercie, monsieur le président. Il est regrettable que la loi Larcher du 31 janvier 2007, qui confie aux partenaires sociaux le soin de négocier des accords chaque fois qu’il est question de droit du travail, n’ait pas été appliquée dans le cadre de la préparation de ce projet de loi. On ne réformera pas la France si l’on ne réunit pas certaines conditions. Le paritarisme et la négociation peuvent certes sembler poussifs et trop lents. Mais, lorsqu’on travaille en amont, on lève des obstacles. Pour réformer, il faut faire de la pédagogie. Au départ, nous étions très optimistes en entendant les annonces du Gouvernement et en apprenant qu’il avait confié à M. Jean-Denis Combrexelle une mission relative à l’évolution du dialogue social et à la création de la norme dans le champ du travail et à M. Robert Badinter une autre mission. Mais les choses se sont envenimées, car il n’y a pas eu ce temps indispensable de dialogue avec les partenaires sociaux.

En France, on a malheureusement souvent tendance à critiquer de manière négative le dialogue social et le paritarisme. Nous plaidons pour que la loi continue de définir de l’ordre public social, mais aussi pour que toutes les dispositions dont l’édiction suppose de connaître le fonctionnement de l’entreprise relèvent de la branche. Et, encore une fois, nous ne sommes pas contre les accords d’entreprise, sous réserve que la branche ait défini les champs dans lesquels l’entreprise peut signer des accords dérogatoires.

Lorsqu’on dresse un bilan du dialogue social de ces dernières années, on s’aperçoit que les partenaires sociaux n’ont pas à rougir de ce qu’ils ont fait. On nous parle de déficits, mais ils sont bien moindres que dans la sphère publique. Je citerai un exemple concret de la capacité des partenaires sociaux à faire bouger les lignes dès lors qu’un travail de pédagogie est effectué. Dans le domaine des retraites complémentaires, les partenaires sociaux, y compris du côté des syndicats de salariés, ont été capables de faire évoluer leurs positions, s’agissant notamment du critère d’âge de départ à la retraite. Certaines organisations ont accepté, dans l’accord AGIRC-ARRCO, de fixer ce critère à soixante-deux et à soixante-sept ans, alors qu’elles ne l’acceptaient pas ailleurs. L’objectif du dialogue social est tout de même d’assurer la pérennité de certains dispositifs. Ainsi, nous négocions actuellement sur l’assurance chômage. Or, on a souvent eu l’impression, en France, que l’on peut ad vitam aeternam dépenser plus que ce que l’on reçoit. La France a la chance d’être l’un des rares pays au monde où les banques prêtent encore facilement. Mais, en cas de tension sur les marchés financiers comme en 2008, la situation pourrait devenir catastrophique. C’est pourquoi je suis convaincu que l’on peut, grâce au dialogue, construire de manière intelligente et parvenir à des accords assurant la pérennité de nombreux dispositifs.

S’agissant des moyens humains, matériels et financiers des partenaires sociaux, la situation a, elle aussi, beaucoup évolué. Nous disposons désormais d’une Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN) financée par une contribution identifiée – ce à quoi l’UPA est très favorable dans la mesure où elle nous évite de prélever sur des contributions existantes. Jusqu’à présent, une partie du financement des partenaires sociaux s’opérait via le financement de la formation professionnelle continue à l’insu des entreprises. L’AGFPN a le mérite de clarifier les choses.

Le travail indépendant est une notion que je connais bien car une grande partie des commerçants et artisans sont des travailleurs indépendants et non pas, comme Carlos Ghosn, salariés de leur entreprise – à quelques exceptions près. Il faudrait vraiment débattre des évolutions du travail indépendant dans notre beau pays car toutes les directions d’administration centrale pensaient que ce mode de travail était appelé à disparaître. On nous expliquait, à la Chancellerie et à Bercy, que la forme moderne était l’entreprise sociétaire. Nous avons toujours dit que cette forme n’était pas adaptée à toutes les situations : force est de constater que nous avions raison. Puis, la création du régime de l’auto-entrepreneur, devenu depuis la loi Pinel le régime de la micro-entreprise, est venue augmenter le nombre de travailleurs indépendants. Mais lorsqu’on analyse les chiffres, on s’aperçoit que de nombreuses personnes se sont inscrites à ce régime sans développer aucune activité et que celles qui développent une activité le font souvent à titre complémentaire, soit parce qu’elles cumulent des prestations de chômage et des revenus d’activité, soit parce qu’elles sont retraitées. Mais si l’activité économique repart vraiment, je ne suis pas sûr que l’on assistera à une explosion du travail indépendant.

Cela étant, la vision politique du père fondateur de ce type de dispositif, Alain Madelin, était tout autre. Il considérait – c’était en 1994-1995 – que le code du travail était un frein à l’emploi. Nous partageons en partie son analyse : le dispositif est aujourd’hui devenu d’une telle complexité que les artisans ne sont plus en mesure de connaître tout le code du travail. Alain Madelin partait du principe qu’il fallait développer un autre dispositif. Un rapport sur le travailleur économiquement indépendant a même été publié, sous le quinquennat précédent, par MM. Paul-Henri Antonmattei et Jean-Christophe Sciberras. Mais le travail indépendant tel qu’on le connaissait, celui des chefs de petites entreprises, est une tout autre chose. On met sous le vocable de travail indépendant des notions totalement différentes.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. En auditionnant les organisations syndicales et patronales représentatives au niveau national, nous essayons de voir ce que l’on peut modifier dans le système actuel. Pensez-vous que le paysage du paritarisme soit aujourd’hui stabilisé – en employant le terme « paritarisme », je me réfère plutôt aux organismes paritaires qu’aux négociations sociales –, ou bien est-il nécessaire de procéder à des rapprochements ou à des clarifications quant au rôle de l’État et à celui des partenaires sociaux ? Pour ma part, je plaide pour la création d’un régime unifié de sécurité sociale professionnelle. L’objectif est de prendre davantage en compte le parcours professionnel des salariés, de rapprocher la formation professionnelle de l’assurance chômage et de disposer d’un organisme qui, à la fois, gère les droits relevant du futur compte personnel d’activité (CPA) ou les droits correspondants – car peu importe, au fond, qu’un outil unique soit créé ou non – et mette en œuvre l’accompagnement des salariés. Il ferait donc ce que fait Pôle emploi aujourd’hui tout en intégrant le parcours des salariés. C’est une première piste à laquelle nous réfléchissons. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

M. Pierre Burban. Pour ce qui est de notre vision du paritarisme futur, nous souhaiterions qu’un vrai travail de fond soit mené sur le rôle de l’État et celui des partenaires sociaux, avec une loi qui fixe l’ordre public social, à savoir les grands principes protégeant les salariés – sur ce point, nous sommes d’accord avec le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle –, et des branches professionnelles qui aient une marge de manœuvre pour définir ce que nous appelons « l’ordre public de branche ». N’oublions pas que la France est l’un des pays où la couverture conventionnelle est la meilleure. Certes, c’est un travail, à mon avis, titanesque : les choses ne peuvent pas se décider simplement à l’occasion des prochains scrutins présidentiel et législatif ; il faut que tous les acteurs se mettent autour d’une table pendant plusieurs mois. Mais la situation est mûre et, de notre point de vue, il faut vraiment ouvrir ce chantier.

C’est d’ailleurs le moment de le faire, car on travaille actuellement à la restructuration des branches, qui sont en effet trop nombreuses. Cela dit, il n’y en pas non plus 689 : on confond les branches et les identifiants de convention collective (IDCC). Par exemple, dans le secteur du bâtiment, il existe quarante-six accords locaux, qui sont considérés comme quarante-six branches. Si on y ajoute les quatre branches nationales, on compte au total cinquante branches, mais cela ne correspond pas à la réalité. De même, dans la boulangerie, il y a encore des accords locaux, notamment dans les Bouches-du-Rhône, qui sont eux aussi considérés comme des branches, ce qui n’a pas de sens. L’UPA est tout à fait favorable à ce que la branche soit définie au niveau national, ce qui n’empêchera pas, ensuite, de négocier au niveau territorial dans le cadre fixé par la branche.

Je ne crois pas trop à un regroupement global et à un régime unifié de protection sociale. Plus on aura des systèmes « mastodontes », moins on arrivera à les réformer. Je crois davantage à des démarches très pragmatiques et à de vrais partenariats qui poussent les acteurs à travailler ensemble. C’est peut-être moins spectaculaire, mais, à mon avis, on arrivera plus facilement à construire des dispositifs adaptés.

Je prends un exemple très concret. Lorsque je suis devenu président du conseil d’administration de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) en 2001 – un peu par hasard, puisque nos amis du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) avaient quitté le navire –, j’ai fait un constat proprement hallucinant : au sein de la sphère de la sécurité sociale, les différents organismes travaillaient « en silo », il n’y avait pas de travail commun. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé : la Caisse nationale de l’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), le Régime social des indépendants (RSI) et la Mutualité sociale agricole (MSA) travaillent ensemble au sein du groupement d’intérêt public (GIP) Union Retraite et sont en train de construire une réponse véritablement adaptée. Mieux encore : l’AGIRC et l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) sont elles aussi membres du GIP Union Retraite, ce qui aurait été impensable il y a dix ans, car chacun voulait rester dans son coin. De plus, avec le numérique, on peut désormais faire des choses que l’on ne pouvait pas faire hier. Dès lors que les organismes travaillent ensemble, ce qui compte, du point de vue de l’assuré, c’est la qualité du service rendu, c’est-à-dire le front office davantage que le back office.

Regardons aussi ce qui s’est passé à Pôle Emploi. Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler que l’UPA a été l’une des rares organisations – nous sommes souvent le vilain petit canard – à soutenir la fusion des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC) et de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), car nous considérions que cette réforme avait du sens. On pensait qu’il serait très utile d’avoir un interlocuteur unique qui accompagne le chômeur à la fois dans sa recherche d’emploi et en matière de prestations. Or, la mise en œuvre a posé des difficultés et, aujourd’hui, Pôle Emploi revient en arrière : on est en train de séparer de nouveau les deux métiers, qui sont effectivement différents. Il est difficile d’avoir un interlocuteur unique qui connaisse toutes les arcanes de tous les dispositifs. Car, nous faisons, nous aussi, dans la complexité : les prestations de chômage ne sont pas simples à déterminer, à calculer et à expliquer.

Néanmoins, vous avez totalement raison sur un point, Monsieur le rapporteur : il y a un vrai problème de formation des chômeurs. D’ailleurs, chaque nouveau gouvernement, quel qu’il soit, lance des plans de formation des chômeurs. Mais à mon avis, il y a d’autres réformes à faire avant de fusionner les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) avec Pôle Emploi. La réforme des OPCA n’est pas terminée et il reste des choses intelligentes à faire dans ce champ-là. En outre, veillons à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul : n’oublions pas la formation des actifs car, si on ne forme pas les actifs d’aujourd’hui, on risque de créer les chômeurs de demain !

Autre exemple : l’UPA a milité, contre l’avis des autres – nous étions là encore le vilain petit canard –, pour que les cotisations d’assurance chômage et les cotisations au régime AGS de garantie des salaires soient collectées par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), car cette mesure était cohérente et permettait de supprimer un collecteur. Par contre, nous ne sommes pas favorables à ce que les URSSAF collectent les cotisations pour l’AGIRC et l’ARRCO, car cela ne supprimerait pas de collecteur mais réduirait la collecte des organismes concernés : outre les cotisations pour l’AGIRC et l’ARRCO, ils collectent toutes les contributions conventionnelles ainsi que, très souvent, les cotisations d’assurance maladie complémentaire.

Selon nous, pour toute réforme, il faut adopter une démarche pragmatique et examiner quels effets, positifs ou négatifs, elle peut avoir.

M. le rapporteur. Comme vous, monsieur le secrétaire général, nous avons le sentiment que les organismes paritaires pris individuellement fonctionnent plutôt bien et s’améliorent. Certes, l’assurance chômage présente un déficit, mais on comprend bien pourquoi et, à titre personnel, je l’assume, car j’estime que l’assurance chômage doit jouer un rôle d’amortisseur social. Bref, ces organismes font preuve de sérieux dans leur gestion et montrent une capacité d’innovation – je pense notamment à la création du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.

En revanche, ce qui nous frappe, c’est la difficulté du système pris dans son ensemble à évoluer, mais aussi à prendre en compte l’éclatement des collectifs d’entreprise et des parcours professionnels. On traite chaque personne à un moment particulier de sa vie : « je suis au chômage », « je suis salarié », mais jamais avec une perspective : « je suis salarié et je suis confronté à un risque de chômage, donc je me forme pour l’éviter », « je deviens chômeur, mais j’avais engagé un projet de formation lorsque j’étais salarié et je vais l’achever ». Il est possible de monter des projets de formation, mais c’est extraordinairement complexe. Un responsable du Fonds de gestion du compte individuel de formation (FONGECIF) d’Île-de-France nous a expliqué que, pour monter des projets de formation un peu longue pour les salariés, il lui fallait six mois de travail, en prenant un morceau de congé individuel de formation (CIF) et en regardant les droits restants sur le compte personnel de formation (CPF), tout en sollicitant les OPCA. Sans être partisans d’un grand chamboule-tout – il peut en effet s’agir de faire évoluer le front office sans changer les structures –, nous ressentons fortement le besoin de dépasser chaque organisme pris individuellement et de construire une rationalité collective.

Je reviens à ma première question : selon vous, le paysage du paritarisme est-il stabilisé ou non ? En d’autres termes, estimez-vous que ce qui doit être géré par les partenaires sociaux l’est aujourd’hui, et que ce qui ne doit pas l’être ne l’est pas ? Ou bien voyez-vous des domaines auxquels le paritarisme pourrait être étendu ? Ou, au contraire, des domaines qui devraient désormais relever de l’État ?

Quelles sont vos réflexions sur la répartition des rôles entre l’État et les partenaires sociaux ? Il y a, au fond, deux modèles : celui de l’assurance retraite, avec un étage de base étatique et un étage complémentaire – l’AGIRC et l’ARRCO – qui relève presque intégralement de la responsabilité des partenaires sociaux ; celui de l’assurance chômage, qui est un modèle de « séparation verticale », avec une assurance pleine prise en charge par les partenaires sociaux, mais limitée dans le temps, et un système étatique qui prend le relais. Faut-il en rester à ces divisions ou bien généraliser l’un des deux modèles ? Quid, par exemple, d’un socle de droits, notamment au revenu, à l’assurance chômage et à la retraite, qui seraient non pas proportionnels au salaire, mais identiques pour tous – cela renvoie à l’idée d’un revenu universel – et qui relèveraient de l’État, complété par un système d’assurance collective pour ces différents risques, qui serait géré par les partenaires sociaux ?

M. Pierre Burban. Je suis complètement d’accord avec vous, Monsieur le rapporteur : sur certains sujets, l’éclatement des organismes peut créer des problèmes. Mais, pour notre part, nous n’en faisons pas un phénomène général appelant une solution globale.

J’ai évoqué précédemment l’exemple des retraites. Pour l’instant, l’assuré acquiert, d’une part, des droits au titre du régime de base de la sécurité sociale, qui sont gérés par la CNAVTS, et, d’autre part, des droits au titre des régimes complémentaires. L’objectif, demain, c’est qu’il y ait un dispositif unique, qui permette d’avoir une vision globale de ces droits. C’est ce qui est en train d’être créé grâce au travail mené au sein du GIP Union Retraite. Je crois à cela. Tous ces sujets – retraite, formation, etc. – restant complexes et très pointus, je pense qu’il est néanmoins préférable de les aborder un par un.

M. le président Arnaud Richard. Sans faire la synthèse ?

M. Pierre Burban. La synthèse se fera d’elle-même. Je ne crois absolument pas à un « gros machin » unique car, qu’on le veuille ou non, il y a une sédimentation de la réglementation. Les artisans sont bien placés pour savoir les problèmes qui se posent en matière de retraite, car ils peuvent avoir relevé de quatre régimes différents au cours de leur carrière : souvent, ils ont commencé à travailler comme salariés ; puis ils peuvent avoir fait un passage dans le public, dans une collectivité territoriale ; ensuite, ils ont pu décider de créer leur entreprise, auquel cas ils ont relevé du RSI ou de feu les organismes qui l’ont précédé ; enfin, ils ont pu, en fin de carrière, créer leur société, dont ils sont devenus salariés, ce qui les a fait revenir au régime général. Dans de tels cas, pour apporter une réponse simple et compréhensible, il faut des spécialistes capables de concevoir les dispositifs informatiques adaptés. Si on fait le « grand soir », on va se retrouver avec un nouveau RSI, c’est-à-dire la pagaille organisée !

M. le président Arnaud Richard. Sans faire le grand soir, on pourrait imaginer que les organismes, qui fonctionnaient auparavant en tuyaux d’orgue, se parlent et qu’ils aient une stratégie cohérente.

M. Pierre Burban. Justement : il faut avancer pas à pas sur chaque sujet. C’est ce qui a été fait avec les régimes de retraite, et je dis : « chapeau ! », car travailler avec la CNAVTS, la MSA et le RSI n’était pas « dans les gènes » de l’AGIRC et de l’ARRCO. Il a fallu convaincre les acteurs, d’abord les partenaires sociaux, puis les équipes administratives, que c’était possible. À mon avis, la bonne manière de procéder consiste à prendre un chantier – j’ai cité l’exemple des retraites, mais on pourrait choisir beaucoup d’autres sujets – et de dire aux acteurs que, désormais, ils vont travailler ensemble et créer un système commun qui permettra de régler tous les problèmes, notamment ceux qui sont liés à la pluriactivité. Car, ainsi que vous l’avez relevé, monsieur le rapporteur, les problèmes viennent souvent du fait que les parcours sont moins linéaires qu’auparavant, que l’on change de statut ou de régime.

M. le rapporteur. S’agissant de l’assurance chômage, ne pourrait-on pas revenir à un système analogue à celui qui prévalait dans années 1980 ou à celui qui existe actuellement en Suède, avec une allocation de base et une allocation complémentaire, sans limitation de durée, même lorsque les exigences du chômeur quant à l’emploi qu’il est prêt à accepter augmentent avec le temps ?

M. Pierre Burban. On devrait rappeler plus souvent que nous avons tout de même, dans notre pays – dites-moi si je me trompe –, le régime de protection sociale le plus sophistiqué et le plus protecteur au monde ! Cela a été un peu dit en 2008, au moment où nous avons subi la crise de plein fouet. Certes, on peut dire, a contrario, que nos amortisseurs sociaux peuvent se retourner contre nous, mais c’est, selon moi, un élément important.

Pour ce qui est du régime d’assurance chômage, il est exact que l’on bascule, à un moment donné, dans le système de solidarité relevant de l’État. Mais je ne suis pas sûr que ce serait une bonne chose de créer un système partagé entre l’État et les partenaires sociaux, car plus on dilue les responsabilités, plus les acteurs se renvoient la balle. Le régime géré par l’AGIRC et l’ARRCO est très clair, ce qui présente l’avantage d’obliger tous les partenaires sociaux à assumer pleinement leurs responsabilités et à faire preuve d’intelligence de temps en temps ! Je le répète, car j’y crois beaucoup : lorsque les partenaires sociaux s’impliquent, l’acceptabilité des réformes est plus grande, même si cela nécessite un gros travail de « labourage ».

On parle beaucoup du revenu universel en ce moment, notamment au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Pour ma part, je ne sais pas bien ce que c’est ! Encore une fois, nous avons un système de protection sociale de bon niveau au regard de ce qui existe ailleurs dans le monde. L’UPA est favorable à ce système, y compris pour des raisons « bassement matérielles » du point de vue de ses entreprises : sans ce système, les gens seraient moins sereins ; or moins ils ont de préoccupations, plus ils consomment. Si nous mettons en place un régime de revenu universel versé par l’État, à l’instar de ce qui est en train de se faire en Finlande, que fera-t-on de l’existant ? Selon moi, ce sera une très mauvaise chose, car cela retirera toute responsabilité aux partenaires sociaux.

Je sais bien que les corps intermédiaires sont souvent attaqués, mais je reste convaincu que si une démocratie moderne peut avancer, c’est aussi grâce à l’action des partenaires sociaux, c’est-à-dire des représentants du monde de l’entreprise et des salariés. Nous vivons aujourd’hui une crise de la représentation, tant politique que syndicale et patronale. Dans ce contexte, nous avons besoin de redonner du sens à cette démocratie et à tous les acteurs : non seulement aux acteurs politiques, qui ont évidemment toute leur place, mais aussi aux représentants des salariés et des entreprises. L’enjeu est d’assurer une bonne complémentarité entre les uns et les autres. On ne peut faire évoluer le droit du travail, le droit de la sécurité sociale et, plus largement, notre système de protection sociale que si tout le monde marche ensemble.

M. Gérard Sebaoun. Je ne partage pas vraiment votre point de vue : je ne vois pas quel rôle majeur jouent aujourd’hui les partenaires sociaux au sein de la sécurité sociale.

M. Pierre Burban. Au vu de ma modeste expérience, les partenaires sociaux ont encore tout leur rôle, ne serait-ce qu’au regard de la structuration des organismes. On nous a beaucoup parlé de révision générale des politiques publiques (RGPP) et de modernisation de l’action publique (MAP). Or, en réalité, elles n’ont vraiment été mises en œuvre que dans le champ de la sécurité sociale : les organismes de sécurité sociale sont ceux qui, dans la sphère publique, ont le plus réduit leurs effectifs salariés – je suis d’ailleurs très à l’aise pour en parler : à l’UPA, nous disons toujours que les cotisations ont vocation à financer non pas du fonctionnement, mais des prestations. Or avez-vous vu des grèves ? Non, tout cela s’est bien passé. J’alerte d’ailleurs la représentation nationale : soyons prudents car, à un moment donné, on aura tellement réduit les effectifs dans les organismes de sécurité sociale qu’on arrivera à des dysfonctionnements analogues à ceux que l’on connaît actuellement au sein du RSI. Rappelons que, depuis les ordonnances de 1996, des conventions d’objectifs et de gestion (COG) sont conclues entre l’État et les caisses nationales. De même, c’est non pas l’État, mais les partenaires sociaux – j’y ai largement participé – qui ont fait la régionalisation des URSSAF. Du fait de l’histoire, les partenaires sociaux n’ont aucune compétence en matière de fixation du niveau des cotisations et des prestations, mais ils jouent encore un rôle important pour tout ce qui concerne le fonctionnement des organismes.

M. le président Arnaud Richard. Merci, beaucoup, messieurs.

Puis la mission entend Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Mme Sonia Buscarini, responsable du service protection sociale, et M. Philippe Couteux, responsable du service emploi et sécurisation des parcours professionnels.

M. le président Arnaud Richard. Mes chers collègues, nous poursuivons nos échanges avec les organisations professionnelles représentatives avec l’audition de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Nous avons le plaisir de recevoir Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe, qui connaît bien cette mission puisque nous la recevons pour la troisième fois, Mme Sonia Buscarini, responsable du service protection sociale, et M. Philippe Couteux, responsable du service emploi et sécurisation des parcours professionnels. Nous vous remercions de vous être rendus disponibles pour venir échanger avec nous alors que les travaux de la mission touchent à leur fin.

Nous voudrions dresser avec vous un bilan global de ce qu'est le paritarisme et tracer les grandes tendances de son évolution, en essayant de nous extraire un peu de l’actualité. Nous avons conduit un nombre très important d'auditions pour couvrir, autant qu'il est possible, le champ très vaste de ce qui relève de la négociation et de la gestion par les partenaires sociaux dans notre pays. Chacune de ces auditions a permis de rencontrer des hommes et des femmes qui travaillent très utilement au service des systèmes de protection sociale dont ils ont la responsabilité.

Avec vous, nous voudrions voir si le paritarisme est un mode de gouvernance stabilisé dans son champ, dans ses finalités et dans ses modalités, au-delà de considérations ciblées sur l'efficacité de tel ou tel organisme. Voudriez-vous, en tant qu'organisation syndicale, avoir davantage de responsabilités, de moyens ? Doit-on passer en revue l'ensemble du champ de la protection sociale pour redéfinir ce qui doit relever respectivement des partenaires sociaux et de l'État, ce qui doit évoluer vers des modes de gouvernance partagée comme le tripartisme ? Quelle peut être la place du paritarisme dans le développement annoncé d'une sécurisation professionnelle, dont le compte personnel d’activité (CPA) constitue une amorce ? Quel peut être votre rôle dans la négociation et la gestion de ce CPA ? Comment tenir compte du développement des nouvelles formes d'activité – qui tiennent beaucoup à cœur à notre rapporteur – qui pourrait remettre en cause l'ensemble du système ?

Cette mission se pose toutes ces questions sur lesquelles nous aimerions avoir l’avis de votre grande organisation, celle qui compte le plus dans le paysage syndical français. Merci encore d’avoir répondu à notre invitation. Nous sommes entièrement à votre écoute.

Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Merci de nous entendre de si nombreuses fois et si longuement. En préambule, vous avez parlé de paritarisme à propos de négociation et de gestion. À la CFDT, nous faisons bien la distinction entre, d’une part, la négociation, et, d’autre part, la gestion par des organismes paritaires et des opérateurs. Pour nous, au stade de la négociation, il ne s’agit pas à proprement parler de paritarisme ; en tant que négociateurs, les partenaires sociaux sont des créateurs de norme. En revanche, il existe un paritarisme de gestion, comme à l’Unédic pour l’assurance chômage. Ensuite, ce qui est décidé au niveau du paritarisme de gestion est mis en œuvre par des opérateurs. C’est ainsi que Pôle emploi est l’opérateur de l’Unédic, organisme de gestion paritaire.

Dans notre travail quotidien, nous avons déjà eu à redéfinir clairement les rôles entre l’Unédic et les négociateurs, par exemple, pour l’établissement des règles. Les acteurs du champ de l’emploi et de l’assurance chômage ont dû l’évoquer lors de leurs auditions. Lors de la création des droits rechargeables, en 2014, l’Unédic a été alertée de certains dysfonctionnements : des personnes qui avaient eu des contrats faiblement rémunérés, pendant leurs études par exemple, rencontraient des difficultés dans la mise en œuvre de leurs droits. En l’occurrence, l’Unédic a bien joué son rôle d’organisme paritaire : elle a saisi les partenaires sociaux qui se sont de nouveau réunis pour rediscuter des règles. Ce n’est pas l’Unédic, même si elle est gérée paritairement, qui a pris la liberté d’interpréter la règle.

C’est important au regard de l’une des questions que vous posez sur la représentativité : faut-il asseoir la gestion paritaire sur la représentativité syndicale et patronale ? Nous avons nous-mêmes longuement hésité sur cette question. À un moment, nous avons considéré qu’il fallait effectivement asseoir la gestion paritaire sur la représentativité.

À l’occasion de la négociation sur le paritarisme en 2012, nous avons eu l’occasion d’étudier cette question d’un peu plus près et nous avons conclu que la mesure de la représentativité était importante lors de la construction de la norme juridique, pour des raisons de légitimité démocratique – la norme est créée par une majorité – et de légitimité sociale – elle doit être en phase avec les aspirations des salariés. En revanche, une fois la norme créée et compte tenu de l’encadrement qui existe dans un système de gestion paritaire, la représentativité intégrale n’est pas vraiment nécessaire.

Nous avons donc modulé notre position pour considérer que la composition d’instances paritaires peut tenir compte, pour partie, de la représentativité, et, pour une autre partie, de l’égalité entre les organisations syndicales. Il n’est pas nécessaire d’être signataire d’un accord pour être autour de la table dans la gestion paritaire. En revanche, il ne faudrait pas que, par exemple, une organisation se retrouve en position d’empêcher la mise en œuvre d’un accord interprofessionnel qu’elle n’aurait pas signé et néanmoins majoritaire. Il faut trouver des modalités qui permettent à chacun de bien garder son rôle : d’un côté, la création de la norme, et, de l’autre, la gestion et la mise en œuvre de la norme.

Sur quel fondement faire le choix d’une gestion paritaire, étatique, tripartite ou quadripartite ? À l’occasion de cette négociation de 2012, nous avons rappelé ce qui, à notre avis, fonde la légitimité de la gestion paritaire : la proximité avec les bénéficiaires auxquels la norme s’adresse, en l’occurrence les salariés et les entreprises. Une part de notre légitimité dans l’assurance chômage et dans la formation professionnelle est fondée sur notre connaissance du terrain. Nous connaissons à la fois le fonctionnement de l’entreprise et les aspirations des salariés.

Le reste de la réponse en découle. Partout où les règles mises en œuvre dépassent le champ strict de l’entreprise ou du salarié, la gestion tripartite ou quadripartite est utile, voire indispensable. On peut en trouver de nombreux exemples parlants dans la formation professionnelle. Il est tout à fait légitime que les partenaires sociaux soient extrêmement investis dans la gouvernance des instances de formation professionnelle, en particulier dans les branches au travers des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), et même au niveau interprofessionnel puisque les salariés et les entreprises sont à la fois les financeurs et les récipiendaires. En même temps, on voit bien qu’il y a un intérêt qui dépasse largement ce champ, non pas parce que cela concerne aussi les demandeurs d’emploi – que les organisations syndicales peuvent légitimement représenter –, mais parce qu’il y a un intérêt général à organiser la montée en compétence des salariés, des non-salariés et des demandeurs d’emploi.

Cette montée en compétence doit aussi être en adéquation avec les besoins de l’économie. D’autres acteurs, notamment l’État et les régions, sont alors légitimes à intervenir dans les domaines qui les concernent. D’où cette forme de gouvernance un peu originale que nous avons mise en place autour de différentes structures : le conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (CNEFOP), les conseils régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (CREFOP), le comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation (COPANEF), les comités paritaires interprofessionnels régionaux pour l’emploi et la formation (COPAREF).

M. Philippe Couteux, responsable du service emploi et sécurisation des parcours professionnels à la CFDT. Cette forme de gouvernance n’est pas forcément une conséquence obligée de la loi du 5 mars. Antérieurement, il existait des instances nationales et régionales qui dépassaient le cadre des organisations syndicales et patronales. Ces instances réunissaient l’État au niveau de ses services nationaux et déconcentrés, les régions et les partenaires sociaux.

La loi a fortement institutionnalisé ce mode de gouvernance pour une raison simple : la formation professionnelle est un sujet largement partagé par ces différents acteurs. L’enjeu de cette gouvernance quadripartite est d’aller dans le sens d’une meilleure coordination des interventions et des politiques menées par les uns et par les autres. Cela part aussi d’un diagnostic que nous faisons : sur un tel sujet, aucun des acteurs ne peut prétendre être le seul sachant. La compétence est collective ; l’efficacité dans la conduite de ces politiques naît de la complémentarité que nous parvenons à organiser et à coordonner au sein de ces instances.

Les acteurs sont différents et il est important de les coordonner, ce qui suppose de définir un mode de coopération. Le CREFOP, par exemple, n’est pas une instance où la région définit seule l’objectif, les autres se bornant à donner leur avis ; c’est une structure où l’on met en œuvre la coopération. Il y a un pilote clairement identifié – ce n’est pas de la cogestion – mais son rôle ne consiste pas seulement à écrire des textes tels que les contrats de plan régionaux de développement des formations et d'orientation professionnelles (CPRDFOP). Le pilote doit les construire et les mettre en œuvre avec les différents acteurs. C’est ce mode de paritarisme de gouvernance que nous défendons.

Mme Véronique Descacq. Cette approche dépasse la vision traditionnelle qui était très liée au financement – celui qui paie participe à la gouvernance – même si cette dernière reste vivace. Les salariés et les entreprises qui contribuent souhaitent être associés à la gouvernance pour vérifier la bonne utilisation de leurs fonds. Cependant, une coopération des acteurs est nécessaire pour piloter des politiques qui sont, pour partie, des politiques publiques. Dans ce cas, le paritarisme de gouvernance est utile.

Cette réflexion rejoint l’une de vos questions sur la manière dont les acteurs du système paritaire pourraient s’emparer des sujets liés à la mise en place du CPA, voire du CPA lui-même. Le projet de loi réformant le code du travail représente une évolution importante de la structuration du modèle social : avec le CPA, les droits sont attachés à la personne plutôt qu’à son statut. Aller au bout de cette logique conduit à reposer encore différemment l’articulation entre le paritarisme pur – qui associe les organisations patronales et syndicales – et d’autres formes telles que le tripartisme ou de quadripartisme. Nous allons de droits d’essence essentiellement contributifs vers des droits universels. L’universalisation des droits va un peu de pair, mais pas complètement, avec une forme d’universalisation du financement qui pourrait se traduire, dans certains cas, par une plus grande fiscalisation du financement de la protection sociale.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Comme vous, je pense qu’il faut accepter une certaine déconnexion entre les financeurs et les gestionnaires. J’ai tendance à trouver un peu théoriques les débats sur l’origine et la destination de la contribution sociale généralisée (CSG) ou de l’impôt. Les frontières ont des raisons historiques. Certaines organisations mettent l’accent sur les risques que comporterait une fusion de la CSG avec l’impôt sur le revenu : une telle opération ferait notamment perdre leur légitimité aux partenaires sociaux dans certains domaines.

Puisque vous entrez un peu dans ce type de raisonnement, j’aimerais vous poser une question. Pourquoi les droits liés au CPA, y compris quand il y a des contributions étatiques, ne seraient-ils pas gérés par les partenaires sociaux, dans le cadre du paritarisme, selon un mécanisme proche de celui de l’assurance chômage. La gestion des droits, leur quantité, leur fongibilité pourraient être assurées par des organismes type Unédic et Pôle emploi, dont les pouvoirs et les responsabilités pourraient être étendus. Ce modèle vous semble-t-il avoir du sens ou pensez-vous que ce serait une usine à gaz ?

Mme Véronique Descacq. Tout d’abord, je tiens à rappeler que nous avons dit depuis le début que nous voulions être partie prenante de la gouvernance du CPA, si ce compte est créé. À ce stade, tant que nous n’avons pas discuté des droits qui y seront intégrés et de leur fongibilité, votre raisonnement me paraît prématuré. Je voudrais surtout insister sur un point : nous voulons que les régimes qui seront « abrités » dans le CPA gardent leur sens. Certains de ces régimes – par exemple, le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) ou le compte personnel de formation (CPF) – sont encore d’essence très contributive. Nous y tenons.

Ce n’est pas parce que l’on crée un outil unique où il y aura l’assurance maladie, qui est un régime universel, et les droits à retraite, qui sont contributifs, qu’il faut bousculer tous ces régimes et les faire changer de nature. Pour le moment, il faut que tous ces régimes gardent leur gouvernance propre. Je ne voudrais pas que l’on s’imagine, au travers de la mise en place du CPA, que l’on est en train de basculer vers quelque chose qu’une partie des ultralibéraux veut et que d’autres courants de pensée redoutent : les gens seraient dotés d’une sorte de sac à dos de droits universels et chacun se débrouillerait avec le sien.

Dans le sac à dos, il y aurait peut-être un revenu universel. Vous voyez qu’avec ce raisonnement, on passe très vite au droit à revenu universel. Finalement, le sac à dos serait de la responsabilité de l’État, à travers un instrument de financement de nature fiscale. On perdrait alors les principes de mutualisation et de solidarité du point de vue du salarié, ainsi que le principe de responsabilité du point de vue des entreprises. À cet égard, j’insiste sur l’exemple de la formation professionnelle : quand on a créé le CPF, on n’a pas voulu ôter aux entreprises leur responsabilité en matière de formation et de maintien de l’employabilité des salariés.

Le raisonnement qui consiste à vouloir donner des droits universels à tout le monde et à considérer que chacun doit ensuite se débrouiller avec son petit paquet, comporte des risques. Je crains qu’il ne déresponsabilise les employeurs dans les domaines que j’ai évoqués, mais aussi l’État dans d’autres champs, celui de l’action sociale par exemple. C’est pourquoi je suis attachée à ce que, pour l’heure, le CPA reste simplement un contenant et qu’à l’intérieur on ne modifie ni les règles de financement ni les règles d’utilisation des contenus.

Au fil du temps, il faudra sans doute se poser de nouvelles questions pour mettre certains dispositifs en cohérence. L’assurance chômage devra évidemment être mise en cohérence avec les minima sociaux. Et on peut probablement dire la même chose de la formation professionnelle, de certains dispositifs concernant les complémentaires santé ou la retraite. Mais procédons par étapes et ne bazardons pas par-dessus bord les régimes qui existent, qui fonctionnent et qui ont leurs vertus.

M. le président Arnaud Richard. À quel terme pourrait-on envisager cette mise en cohérence ? Cinq ans ? Dix ans ?

Mme Véronique Descacq. Il faut entamer tout de suite ce chantier. Cela fait des années que la question se pose pour l’assurance chômage mais nous nous heurtons à un problème de gouvernance : nous ne disposons pas des outils institutionnels qui permettraient aux partenaires sociaux et à l’État d’aborder ensemble cette convergence. Le CPA est une façon de nous y pousser.

M. le rapporteur. Comme vous, je pense que le rapprochement pourrait porter davantage sur l’emploi, la formation, l’assurance chômage et les parcours professionnels que sur les autres droits associés, sachant que le compte épargne temps, très mutualisable, est d’une autre nature.

Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) correspond assez à l’idée que je développe. Il a été conçu pour traiter les situations résiduelles et a pris de plus en plus d’ampleur. On pourrait imaginer que ce fonds se rapproche de l’UNÉDIC pour évoluer vers une assurance formation reposant sur un régime totalement unifié qui traiterait des droits, des conversions entre droits, des accompagnements, avec un organisme capable d’accompagner dans leurs parcours à la fois des salariés et des chômeurs. Je ne suis pas partisan d’un Big Bang mais j’estime qu’il est bon de poser des jalons. Il faut que les salariés puissent disposer d’une bonne visibilité de leurs parcours et soient en mesure de tirer bénéfice de chacune de leurs expériences. Le tronçonnement par risque limite les possibilités d’accompagnement et rend parfois les montages très compliqués.

Pensons au travail qu’effectuent les FONGECIF pour élaborer des formations : il leur faut huit à neuf mois, après avoir contacté les OPCA et pris en compte les possibilités offertes par les congés individuels de formation (CIF) et les comptes personnels de formation (CPF), pour parvenir à boucler des projets qui sont rejetés dans un cas sur deux en raison du cloisonnement et du tronçonnement des dispositifs.

Mme Véronique Descacq. Marier l’UNÉDIC et le FPSPP me paraît à ce stade un peu audacieux. Ces deux organismes reposent sur des logiques différentes : dans un cas, l’indemnisation d’un risque, celui de la perte d’emploi ; dans l’autre, l’accompagnement des salariés dans le maintien de l’employabilité. Je ne dis pas pour autant qu’ils n’entretiennent aucun lien, bien au contraire. Ce lien est même d’autant plus fort que nous vivons actuellement une phase de transformation profonde de notre économie. L’un des enjeux du fonctionnement du marché du travail est aujourd’hui la montée en compétences pour assurer un meilleur retour à l’emploi. Mais vérité d’aujourd’hui n’est pas vérité de demain.

Prenons garde à ne pas tout jeter par-dessus bord avant d’avoir réfléchi aux conséquences des réformes. Le métier de l’assurance chômage aujourd’hui consiste à indemniser la perte de revenus et non à procurer un revenu minimum en toutes circonstances. J’excepte les annexes VIII et X au règlement général annexé à la convention d’assurance chômage, dont les règles sortent de la logique de l’assurance chômage pour garantir un revenu minimal à tous les bénéficiaires – les salariés intermittents relevant des professions du cinéma, de l’audiovisuel, de la diffusion et du spectacle –, quelle que soit la quantité d’heures travaillées. Cela a abouti à déresponsabiliser les entreprises de ces secteurs en les exonérant de leurs obligations en matière d’emploi ou de formation, évolution que, depuis des années, personne ne parvient à endiguer. C’est précisément ce modèle que nous refusons.

Il faut s’interroger sur les spécificités de chacun des régimes avant d’affirmer qu’ils participent d’une même logique. Même si nous considérons que former un demandeur d’emploi est décisif pour qu’il puisse monter en compétences et retrouver un emploi durable, nous ne considérons pas qu’il faille mélanger les régimes dans un grand tout et confondre les divers financements.

M. Philippe Couteux. Il me semble, monsieur le rapporteur, que dans le schéma que vous tracez, vous oubliez un acteur né avec la réforme de la formation professionnelle, le comité interprofessionnel pour l'emploi et la formation (COPANEF), qui coordonne l’action des partenaires sociaux en matière de formation professionnelle.

Dans les discussions entre partenaires sociaux, il s’est dégagé une majorité nette pour un rapprochement entre le COPANEF et le FPSPP. L’un est une instance politique paritaire, l’autre comprend un conseil d’administration et l’action des partenaires sociaux en matière de formation est grevée par la lourdeur de cette gouvernance bicéphale. Les mêmes organisations siègent dans ces deux organismes mais pas toujours les mêmes personnes, ce qui ne simplifie pas les choses. Depuis un an, a donc été mis en place un comité de coordination des instances de gouvernance de ces deux institutions.

Mme Véronique Descacq. Maintenir les logiques des régimes n’entrave pas, selon moi, la logique de parcours, au contraire, car cela peut contribuer à la sécuriser. À cet égard, je salue le fait que la loi ait créé un dispositif spécifique d’accès à la formation pour les travailleurs indépendants avec un financement ad hoc.

La complexité de la tuyauterie mise en place pour faire exister les droits n’empêche pas que leur utilisation soit simple pour l’usager. Celui-ci, grâce à son compte personnel de formation, aura accès à des droits à la formation, qu’il les ait acquis en tant que fonctionnaire, salarié du privé ou salarié indépendant.

Il importe de faire bouger les curseurs, si cela est nécessaire, mais avec précaution car nous ne devons pas aboutir à des mécanismes inverses en termes de solidarité. Il faut éviter que par le biais de la mutualisation, des personnes en situation précaire viennent financer massivement les droits de personnes dans une situation moins précaire, comme cela s’est déjà vu dans certains régimes. Une fois mis en place ce type de tuyauterie, il est en effet très difficile de revenir en arrière.

M. le rapporteur. Ce que vous dites est très important. Il est sûr que si du jour au lendemain, on créait un UNÉDIC de la formation, nous serions confrontés aux risques que vous évoquez. La vigilance s’impose.

Toutefois, nous pouvons tous regretter que pour faire valoir certains droits, comme les droits à la retraite, il faille interroger dix-huit organismes différents et se livrer à des calculs d’une complexité extrême pour déterminer le montant auquel on peut prétendre et savoir qui paie quoi. Nous devons tendre en permanence vers la simplification et mettre en place des garde-fous.

Quelles méthodes, selon vous, pourraient guider la réflexion sur ces évolutions ? Les partenaires sociaux ont-ils prévu dans leur agenda une nouvelle négociation comparable à celle de 2012 ? Est-il envisagé d’aborder ensemble toutes les problématiques relatives aux parcours professionnels ?

Mme Véronique Descacq. Vous savez sans doute qu’il n’est plus nécessaire d’interroger dix-huit caisses pour liquider ses droits à la retraite. Il suffit de s’adresser à l’une d’elles afin qu’elle établisse les droits pour toutes les autres.

M. le rapporteur. Je me suis livré à cet exercice pour déterminer mes propres droits. D’abord, je me suis tourné vers le GIP Union Retraite qui gère le site info.retraite.fr : la seule possibilité était une simulation qui supposait de déjà connaître ses droits. Après avoir farfouillé dans divers sites, je suis finalement tombé sur le site de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, lequel m’a permis de reconstituer l’intégralité de mes droits tout au long de ma carrière.

Mme Véronique Descacq. C’est tout l’intérêt du volet accompagnement du CPA, sur lequel nous avons beaucoup insisté.

M. le rapporteur. Je n’ai jamais prôné l’existence d’un régime unique, car j’ai les mêmes craintes que vous, mais s’il existait une seule caisse pour gérer l’ensemble des droits, cela serait peut-être plus simple.

Mme Véronique Descacq. Il y a eu tout de même beaucoup d’améliorations, notamment à la faveur de fusions de caisses.

Si vous avez une carrière compliquée, vous serez sûrement content, Monsieur le rapporteur, de disposer d’un compte personnel d’activité qui retracera tout votre parcours professionnel. Mais pour cela, bien sûr, il aurait fallu que vous votiez le projet de loi.

Une fois la loi adoptée, le chantier de la construction concrète du CPA va s’ouvrir. Parmi les sujets à traiter, il y a bien sûr celui de l’outil numérique mais aussi celui de l’accompagnement. La CFDT alerte les pouvoirs publics depuis un certain temps sur la nécessité d’inciter les différents métiers de l’accompagnement – spécialistes de l’accompagnement dans l’emploi, spécialistes de l’accompagnement social – à mener une réflexion multidisciplinaire.

Nous sommes confrontés à une complexité grandissante du monde du travail. Pendant des années, des tentatives ont été menées pour faire rentrer les diverses formes d’emploi dans le même moule, notamment en inventant des dispositifs comme le portage salarial ou les groupements d’employeurs. En vain : la réalité a résisté ! Nous devons être capables, nous acteurs du paritarisme, avec les régions et l’État, de répondre à cette complexité : il nous faudra peut-être élaborer des tuyauteries compliquées mais les mettre au service de dispositifs simples d’utilisation pour les bénéficiaires.

L’outil numérique et l’accompagnement figurent dans l’agenda des partenaires sociaux mais aussi dans l’agenda tripartite. Certaines réunions rassemblent uniquement les partenaires sociaux, dans le secteur privé ou la fonction publique, mais nous avançons aussi dans ce chantier dans un cadre tripartite, voire quadripartite. Toutefois, soyons sincères, le climat actuel de tensions qui règne chez tous les acteurs – syndicaux, patronaux, étatiques – ne permet pas d’avoir une vue très claire de cet agenda. Nous espérons pouvoir nous consacrer à nouveau à ce travail dès la rentrée de septembre avec les outils que nous fournira la loi.

M. le président Arnaud Richard. Il est bon d’entendre des paroles positives sur cette loi. Elles ont été rares pendant nos discussions.

Mme Véronique Descacq. Je trouve cela curieux car ce texte contient des évolutions indispensables pour les travailleurs au sens large, salariés et non-salariés, qu’il s’agisse du droit du travail ou des protections. Je pense bien sûr au compte personnel d’activité mais aussi au droit à la déconnexion.

M. Gérard Sebaoun. Il est inexistant !

Mme Véronique Descacq. Cette loi ne va pas tout régler, certes, mais elle est le socle dont nous avions besoin pour continuer à travailler.

M. le président Arnaud Richard. Nous vous remercions, mesdames, monsieur, d’avoir répondu une nouvelle fois à notre invitation.

*

La mission procède enfin à l’audition de M. Patrick Bernasconi, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

M. le président Arnaud Richard. Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir M. Patrick Bernasconi, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Notre mission d’information s’est emparée d’un sujet qui n’est pas très éloigné des principes qui ont présidé à la création du Conseil : donner des responsabilités aux forces économiques du pays afin de créer une véritable démocratie sociale qui complète la démocratie politique.

C’est pourquoi nous vous avons demandé de venir nous livrer votre point de vue sur ce que le paritarisme a apporté et pourrait apporter demain à notre pays. Le fait de gérer ces systèmes de protection sociale – comme celui de siéger dans une assemblée commune – est-il de nature à améliorer le dialogue social ? Faut-il donner plus de responsabilités aux partenaires sociaux ? Comment former les membres des organisations professionnelles qui prennent des responsabilités, pour certaines extrêmement importantes ?

Le palais d’Iéna abrite non seulement des représentants des salariés et des employeurs, mais aussi des représentants d’associations et des personnalités qualifiées éminentes. Selon vous, quels en sont les avantages et les inconvénients, et quelles sont les leçons à tirer pour améliorer la gouvernance et l’efficience de nos systèmes paritaires de protection sociale ?

Je crois savoir que le CESE a engagé des réflexions sur la gouvernance d’une future sécurité sociale professionnelle ainsi que sur le travail non salarié et les récentes évolutions des formes de salariat et leurs conséquences sur notre modèle social.

M. Patrick Bernasconi, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE). De par mes anciennes fonctions de négociateur pour le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), j’ai côtoyé le monde du paritarisme et animé nombre de négociations, dont certaines furent importantes, comme celle qui a abouti, le 11 janvier 2013, a abouti à l’accord sur la sécurisation de l’emploi, ou celle sur la représentativité, qui a profondément bouleversé le monde syndical.

Mon parcours ne me disposait pas particulièrement à devenir négociateur pour le compte du MEDEF et chef de file dans le cadre de l’interprofession mais je l’ai fait avec mes convictions et l’expérience acquise au sein de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), profession au sein de laquelle le dialogue et le désir de rassembler constituent des valeurs primordiales. Il faut conserver à l’esprit que cette profession a toujours rassemblé les petites et les grandes entreprises, ce qui constitue parfois un exploit au regard des divisions susceptibles d’être observées au sein de certaines branches ou secteurs d’activité.

Dans ce contexte, j’ai observé que la plus grande transparence devait prévaloir lorsqu’on entame une négociation avec les organisations syndicales : une totale confiance doit régner entre les interlocuteurs, quand bien même les points de vue sont très divers. Il faut laisser toute sa place au dialogue et laisser chacun exprimer ses arguments pour pouvoir progresser vers l’issue heureuse d’une négociation. Selon les périodes, la négociation est plus ou moins compliquée, et celles que j’ai pu conduire en mon temps seraient plus difficiles aujourd’hui : chacun a pu constater que le climat s’est tendu et que le jeu des partenaires sociaux est quelque peu bloqué.

Du fait de ses particularismes, le CESE est un lieu où l’on parvient encore à travailler et à discuter. Dans cette enceinte, il est possible d’aboutir à des accords qui pourraient surprendre dans un autre contexte ; c’est le cas de l’avis sur les travailleurs détachés que nous avons adopté, ce qui n’aurait pas été possible dans le cadre de l’interprofessionnalité classique. Grâce à notre mode de fonctionnement, mais aussi au fait que notre champ est beaucoup plus ouvert que celui des partenaires sociaux, nous avons pu formuler des propositions dont certaines ont été reprises dans l’actuel projet de loi réformant le droit du travail ainsi que par l’Europe.

Notre particularité principale réside, outre notre capacité à nous saisir des sujets d’actualité, dans le fait que nous ne travaillons pas sous les feux de la rampe, à la différence de lieux plus exposés comme l’interprofessionnalité ou le Parlement, où chacun se réfugie dans sa chapelle, ce qui empêche souvent d’aboutir à un accord de bon sens.

Du fait de cette discrétion, l’utilité du CESE est mal connue, et pourtant nous travaillons : nous venons de rendre un avis portant sur le traité transatlantique et je constate qu’un certain nombre de ses dispositions sont reprises aujourd’hui. Il y a quelques heures, nous avons publié un avis sur les circuits de distribution alimentaire, auquel tous les partenaires du monde agricole – producteurs, industriels, grande distribution – ont participé et qui a été adopté à l’unanimité. Pour autant, cela n’a pas été facile : il a fallu beaucoup de discussions et de tractations pour y parvenir et certaines des propositions émises mériteraient d’être étudiées avec la plus grande attention.

Le Gouvernement a saisi le CESE de la question du dialogue social, sujet moins facile à traiter, car en cours de discussion au Parlement, ce qui provoque l’importation de jeux de posture. Il nous revient de nous attacher à traiter le seul sujet dont nous avons été saisis, qui diffère du projet de loi El Khomri. On constate que, dès qu’un sujet est sous les feux de l’actualité, le naturel revient au galop…

Le CESE est donc une bonne instance de dialogue entre les partenaires sociaux, et le jeu y est facilité par la présence d’autres acteurs : le monde de l’agriculture, qui n’est pas habituellement partie à ces discussions, celui des professions libérales, mais aussi les syndicats non représentatifs et, au-delà, le monde associatif, écologiste, mutualiste et coopératif. La composition de notre assemblée n’est pas duale et les avis qu’elle produit ne sont pas de rupture : ils abordent des sujets sur lesquels la société civile s’est mise d’accord. Le législateur, lorsqu’il souhaite utiliser nos travaux, sait pouvoir le faire en confiance, car ceux-ci ont fait l’objet d’un accord au sein du CESE.

Cette assemblée est donc plus apte à faire progresser certains sujets que d’autres cénacles, car les partenaires sociaux travaillent dans un esprit de responsabilité, avec le souci de faire œuvre utile.

Du paritarisme, je retiens que nous avions souvent la capacité à avancer dans les négociations, et, parfois, à nous mettre d’accord, mais que l’intervention des pouvoirs publics pose problème. Lorsqu’un accord interprofessionnel est obtenu – avec ce que cela emporte de concessions –, sa transposition dans la loi peut conduire à le dénaturer, ce qui dégrade l’esprit de confiance nécessaire à une négociation aboutie. Ces entorses, quelle que soit la majorité du moment – j’en témoigne, car j’ai eu à subir ces pratiques pour l’accord sur la représentativité comme pour celui portant sur la sécurisation de l’emploi –, découragent les bonnes volontés, car les négociateurs renoncent à aborder certains sujets, craignant que le législateur aille au-delà des clauses de l’accord adopté. Cela pose la question de la place respective de la loi et de la négociation.

La situation est plus simple en Allemagne, qui dispose d’une organisation syndicale n’appelant pas à la surenchère, et cela vaut aussi pour le patronat. En France, aujourd’hui, les syndicats représentatifs de salariés sont éparpillés, alors que la représentation patronale est plus construite, ce qui entraîne bien des complications. Cette différence avec l’Allemagne n’est pas neutre du point de vue de l’efficacité : chez nos voisins, lorsqu’un accord interprofessionnel est conclu, il entre en vigueur sans que le Parlement intervienne. Certes, nos cultures et nos modes de fonctionnement ne sont pas les mêmes, mais le sujet mérite réflexion et je crois qu’il faut aller dans ce sens, même s’il n’est sans doute pas envisageable d’aller aussi loin.

Le paritarisme a ceci de vertueux que l’on peut, une fois qu’un accord sur les règles est établi, apprendre à gérer et à tenir un discours à la fois social, économique et environnemental, ce qui est l’occasion d’un fructueux partage de points de vue. Ces effets bénéfiques devraient pousser à renforcer le dialogue au sein de l’entreprise, afin que tous les interlocuteurs puissent y jouer un rôle actif tant sur le plan économique que social.

Dans le cadre de l’accord du 11 janvier 2013, nous avons décidé de créer une base de données rassemblant l’ensemble des informations économiques utiles au dialogue social dans l’entreprise. Ce dispositif a connu quelques restrictions dans sa transposition législative, mais, dans certaines entreprises, les partenaires sociaux vont au-delà et passent des accords pour utiliser cet outil de gestion collectif. C’est un progrès considérable que d’arriver à un tel état d’esprit dans une entreprise. Par ailleurs, une réflexion authentique sur la formation des salariés à l’exploitation de la base de données est nécessaire, faute de quoi les intéressés sont vite dépassés et adoptent des comportements défensifs. Le mouvement créé par ces accords collectifs doit être accompagné : une véritable formation économique est indispensable afin d’atteindre un bon niveau de dialogue socio-économique ; c’est ainsi que nous ferons progresser notre pays.

Cela vaut pour l’entreprise et pour le dialogue interprofessionnel, mais aussi pour le CESE, dont les membres ne sont pas experts dans tous les domaines ; beaucoup d’auditions sont pratiquées, et il faut s’acculturer afin de se forger une conviction. Ce haut niveau de compréhension devient indispensable à la négociation, et de prochains travaux du CESE porteront sans doute sur les moyens d’assurer la bonne information des partenaires de la négociation.

Cette nécessité, réelle pour les entreprises, l’est encore plus pour les organismes comme l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC) ou l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui gèrent des milliards d’euros et où la responsabilité des administrateurs est très lourde. Ainsi, en 2005, j’ai été nommé administrateur chez Dexia, milieu où l’on ne parle que le « franglais » de la finance internationale, avec un vocabulaire très particulier. Sans une bonne formation, on ne comprend rien, on se sent perdu, on n’apporte rien au conseil d’administration. Ma présence avait tout de même un sens, puisque Dexia travaillait alors beaucoup sur les budgets d’investissement des collectivités territoriales et que j’ai acquis une certaine compétence dans la branche des travaux publics. Mais pour pouvoir faire de bonnes propositions, il faut comprendre le fonctionnement de l’établissement bancaire ainsi que les comptes qui vous sont présentés ; il a donc bien fallu que je me mette à niveau, et il en va de même pour chacun.

Je suis convaincu qu’un effort de professionnalisation doit concerner tous les acteurs de la négociation ; nous ne pouvons plus rester dans un système « à la papa », où l’on désigne les gens pour leur faire plaisir ou parce qu’ils ont rendu service. Les organismes paritaires doivent être plus professionnalisés, mais cela vaut aussi pour l’entreprise ainsi que pour le CESE lui-même. Le CESE a demandé aux organisations représentatives de lui adresser des personnes très impliquées en leur sein, afin qu’elles n’en soient pas « déconnectées » et puissent adopter des avis pertinents. C’était la condition que j’avais mise à ma candidature à la présidence de l’institution. Faute de cela, le CESE ne sert à rien ; il n’est pas là pour placer quelques copains ou récupérer de l’argent… Au mois de juin 2015, nous avons fait signer un document aux secrétaires généraux d’une vingtaine d’organisations, et non des moindres : la CFDT, la CFTC, l’UNSA, le MEDEF, les chambres de commerce et d’industrie (CCI), la mutualité, les coopératives, les SCOP, certaines associations écologiques.

M. le président Arnaud Richard. Reste à faire signer le Président de la République…

M. Patrick Bernasconi. Le Président de la République est un homme politique, il a d’autres responsabilités, et il attend sûrement du CESE qu’il éclaire le législateur et l’informe de ce que pense la société civile sur tel ou tel sujet : nous ne sommes pas là pour faire les lois ! Ainsi avons-nous récemment rendu un avis sur les conséquences du chômage pour les personnes et leur entourage.

Je tiens mes convictions de mon expérience de négociateur, si modeste soit-elle.

M. le président Arnaud Richard. Au vu des nombreuses discussions que nous avons eues, nous constatons que la négociation rencontre une difficulté dans la forme, et nous avons déposé, le rapporteur et moi, un amendement, qui a été débattu, tendant à créer une commission permanente du dialogue social. Aujourd’hui, les négociations se font sur la base de textes du MEDEF, ce qui constitue le meilleur moyen de ne pas trouver d’accord. Ne serait-il pas possible, par ailleurs, de choisir un lieu neutre – le CESE, par exemple – où l’on discuterait en présence d’un tiers de confiance qui veillerait à ce que la négociation se déroule dans de bonnes conditions ?

Le MEDEF nous a indiqué y être défavorable, mais ne pensez-vous pas que notre société a atteint un niveau de maturité permettant aux partenaires sociaux, qui sont des acteurs extrêmement puissants, de disposer d’un lieu neutre ainsi que d’un arbitre indépendant ? Les sujets sur lesquels les partenaires sociaux ont à s’entendre sont très nombreux, et les gouvernements écrivent à l’ensemble des organisations, souvent sans recevoir de réponse, pour qu’enfin les choses avancent.

Nous sommes à peu près à un an de l’élection présidentielle. Des candidats, dont certains ont occupé de très hautes fonctions, comme celle de Président de la République ou de Premier ministre, se sont exprimés sur le paritarisme. D’aucuns ont parlé de « dynamiter le paritarisme » ; d’autres respectent le modèle social français tel qu’il est, tout en ayant conscience qu’il nécessite quelques aménagements.

Nous vivons une période charnière, et l’exercice législatif en cours n’est pas très bon pour le système paritaire. Au regard des prochaines échéances électorales, je suis même inquiet. Le paritarisme est mal connu, y compris des décideurs publics, et assez illisible ; quant à son efficacité, c’est à nous qu’il revient de la démontrer, et c’est l’un des objectifs de notre mission d’information. Ce qui est certain, c’est que les tuyaux d’orgue de cette structure qui gère le modèle social français ne se parlent quasiment pas : ainsi, la médecine du travail et la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), qui sont toutes deux paritaires, ne communiquent que rarement entre elles.

Il faut que celles et ceux qui occupent ces fonctions prennent conscience de l’existence d’un risque. Je ne veux pas sonner le tocsin, mais ils doivent prouver que ce modèle, tel qu’il existe, n’est pas le frein à l’emploi et à la réforme de l’entreprise : il est celui qui a permis à nos compatriotes de bénéficier d’un système social d’une grande qualité, certes, mais aussi d’une grande complexité.

Mme Claudine Schmid. Alors que l’on nous parle toujours plus d’union nationale et que l’on demande aux parlementaires de bien vouloir travailler dans le consensus, pensez-vous que le CESE pourrait tenir un rôle de médiateur ou permettre à différentes organisations d’établir un dialogue ? Pourrait-il fournir une base de travail au Parlement afin d’éviter que les prises de position des uns et des autres soient fonction de leur orientation politique ?

M. le président Arnaud Richard. Pour avoir travaillé avec M. Jean-Louis Borloo sur une loi de programmation sociale, je me souviens que le Conseil économique et social (CES) de l’époque était consulté de façon obligatoire. Nous n’aurions pas réussi le défi majeur de la rénovation urbaine si le CES n’avait pas permis la maturation de la décision, ce qui nous a permis de convaincre les partenaires sociaux qui financent la rénovation urbaine par le « 1 % logement ».

M. Gérard Sebaoun. Si je vous ai bien compris, lorsque vous occupiez vos anciennes fonctions, vous étiez favorable à une assez stricte transcription dans la loi des accords passés par les partenaires sociaux ; pour le législateur, le propos est intéressant, mais quelque peu réducteur.

Vous avez par ailleurs évoqué un système « à la papa ». Il est vrai que des organes de représentation sont présents dans beaucoup de structures et d’institutions, et je ne suis pas certain qu’ils aient l’efficience nécessaire. Pourtant, chaque fois que nous, législateur, avons l’occasion de créer par la loi un « comité Théodule » regroupant diverses obédiences, nous le faisons. Je me pose donc cette question : nous nous efforçons de favoriser le paritarisme, mais ce système n’est-il pas faillible ? Les représentants désignés, quelles que soient leur bonne volonté, leur qualité et leurs qualifications, doivent souvent être ubiquitaires ; je pourrais citer de nombreux cas.

Enfin, toujours en tenant compte de vos anciennes fonctions : quelle est, selon vous, la place de la branche aujourd’hui ?

M. le président Arnaud Richard. Comme vous pouvez le constater, monsieur le président, nous tâchons, nous aussi, de nous soustraire à la lumière des projecteurs, aux tensions et aux postures, mais ce n’est pas toujours facile…

M. Patrick Bernasconi. Lorsque l’accord sur la représentativité syndicale a été transposé dans la loi, une partie a été modifiée, et lorsque nous avons à nouveau rencontré nos partenaires syndicaux pour évoquer d’autres sujets, le dialogue était sérieusement bloqué. La négociation devient très compliquée lorsqu’un texte a été dénaturé ; je comprends la volonté du Gouvernement et du Parlement d’exercer pleinement leur compétence, mais ma conviction est que, au moment où l’accord est passé, les négociateurs n’ont pas toujours eu le temps d’aller au bout de chaque idée ou de chaque proposition.

Il arrive que les partenaires soient pressés par la nécessité d’arriver à un accord dans un délai prescrit. Certes, des accords ultérieurs peuvent être conclus, mais il faudrait s’assurer d’un certain équilibre entre les propositions exprimées. Si une opposition trop forte s’exprime, l’action du législateur se voit limitée, faute de quoi les bornes de l’équilibre obtenu risquent d’être franchies. On pourrait imaginer, une fois l’accord passé, que le législateur propose de donner une chose à l’une des parties et autre chose à l’autre partie, mais il faut s’assurer auprès des signataires et de ceux qui se sont engagés qu’un certain équilibre est respecté. Dans cette perspective, le législateur pourrait conserver une certaine marge de manœuvre ; il saisirait les partenaires sociaux d’un sujet afin qu’un accord soit trouvé, mais, si celui-ci ne répondait pas à la question, la responsabilité reviendrait au Parlement.

Le paritarisme n’est certes pas un système parfait, mais il tient une place importante dans notre culture et crée du lien social. Je ne conteste pas que, là comme ailleurs, beaucoup de progrès restent à faire, par exemple en formant mieux les personnes, notamment dans nos entreprises. À la SMABTP, société d’assurance que je préside, nous avons créé une base de données ; si nous souhaitons l’utiliser dans l’esprit où nous l’avons conçue, c’est-à-dire comme un outil actif d’information grâce auquel les partenaires de négociation s’engagent dans une vraie discussion, il faut former les représentants des salariés. Cela ne se fera pas du jour au lendemain mais c’est, à mes yeux, le seul moyen de sortir du chemin classique, bien connu en France, où les syndicats sont contestataires et le patronat conservateur, les deux nourrissant mutuellement leurs oppositions.

C’est pourquoi il faut changer de terrain et construire un syndicalisme plus actif au sein de l’entreprise – à la condition que celle-ci soit mieux comprise –, un syndicalisme plus orienté vers le service. C’est ainsi que pourra changer le regard porté sur la représentation des uns et des autres. Je ne prétends pas que la chose est simple et il n’existe pas de solution parfaite. Nous savons tous ce que produisent les passages en force, notamment lorsque les choses sont mal expliquées ; nous vivons dans un pays où ces pratiques sont mal vécues. Le passage en force est contre-productif et le temps que l’on croit gagner peut rapidement être perdu si l’on n’a pas bien expliqué ce que l’on veut faire. Le CESE est, à cet égard, un bel outil de dialogue.

Le CESE n’est pas seulement le lieu du dialogue social, nombre de ses membres le disent, particulièrement ceux qui relèvent de collèges tels que les associations et les mouvements environnementaux. À l’époque où il n’était que le lieu des partenaires sociaux et que le débat avait lieu ailleurs, il avait malheureusement beaucoup de mal à exister. Le général de Gaulle était opposé au Sénat mais il considérait que le CES avait le mérite de permettre un jeu entre les acteurs de la société civile à côté des acteurs de la société politique.

On peut s’interroger sur la légitimité du CESE en termes de représentativité : représente-t-il bien la société civile organisée ? Cette question ne sera pas facile à résoudre, et elle dépend des points de vue ; elle n’en mérite pas moins d’être débattue. Cette institution peut-elle devenir le lieu du dialogue social, en recourant à des tiers ? Une solution volontariste consisterait en ce que les partenaires sociaux s’accordent et s’installent au CESE, ce qui serait le plus simple ; une autre consisterait à imposer manu militari le Conseil comme lieu de négociation. Toutefois, une nouvelle voie est peut-être en train de s’ouvrir ; l’accord sur les travailleurs détachés le prouve, car il résulte d’une négociation de fait, alors que, comme je l’ai indiqué, il n’aurait pas pu résulter d’une négociation classique.

Nous venons d’avoir une discussion portant sur l’assurance chômage des intermittents du spectacle : c’est bien dans nos murs qu’elle a eu lieu. Aujourd’hui, une interrogation porte sur le dialogue social. Ces questions sur la négociation interprofessionnelle ont toujours fait débat et restent pendantes. Lorsque nous avons débattu de la représentativité, le sujet n’a pas été traité, pas plus qu’il ne l’a été au moment de la transcription législative des accords du 11 janvier 2013 ; il va être repris par le CESE, et, à l’avenir, nous travaillerons de plus en plus sur ce type de sujets. Plusieurs voies sont ouvertes. Dans la mesure où le dialogue social est actuellement bloqué dans son schéma classique de négociation, il me semble qu’un certain nombre de sujets demeurant en souffrance sont susceptibles d’être abordés avec plus de souplesse au Conseil.

M. le président Arnaud Richard. Entendez-vous par là que, sans l’annoncer, le CESE serait susceptible d’inscrire à son ordre du jour toutes les négociations en déshérence dans lesquelles personne ne veut se lancer parce qu’elles sont difficiles ?

M. Patrick Bernasconi. Je ne vois pas ce qui nous empêcherait, dès lors que le sujet n’est pas débattu au Parlement ou ailleurs, de nous saisir de la question de la place respective du contrat et des accords. Il faudrait aussi parler des branches professionnelles : qu’elles soient au nombre de 700 est un non-sens. Une branche doit rendre un service, notamment apporter des réponses à des entreprises qui, à un moment donné, ne peuvent pas organiser un débat interne faute de représentation. Il faut réduire de façon drastique le nombre des branches si l’on souhaite qu’elles remplissent leur rôle et soient efficaces.

M. le président Arnaud Richard. Cela signifie que vous pouvez vous saisir vous-même, ce que vous faites souvent. Or, en l’occurrence, le processus d’examen du projet de loi sur le droit du travail ne devrait pas parvenir à son terme avant l’été.

M. Patrick Bernasconi. La partie que nous traitons actuellement pourra être intégrée à la loi.

M. le président Arnaud Richard. Vous pourriez aussi vous saisir de la relation entre le contrat et la branche…

M. Patrick Bernasconi. Nous ne pouvons pas nous saisir nous-mêmes d’un texte en cours d’examen au Parlement ; nous devons intervenir avant ou après. En revanche, et c’est ce qu’il nous a été demandé, nous pouvons nous saisir d’un sujet qui n’a pas été traité par ce texte. Toutefois, rien ne nous empêche, dans quelque temps, de nous saisir de sujets ayant fait l’objet de discussions qui n’ont pas abouti. Par exemple, le Gouvernement envisage de saisir le CESE du suivi des travailleurs indépendants, sujet qui inclut la question de l’« ubérisation ». Nous pourrions alors dire un certain nombre de choses utiles au législateur pour ses propres travaux.

Nous étudions actuellement un sujet qui fait débat aujourd’hui : le revenu citoyen ou universel. Nous produirons une étude qui aura fait l’objet d’un accord ; nous y aborderons le fond de la question. Nous nous sommes saisis de l’évitement fiscal, avant même la révélation des Panama papers. Je souhaite que le CESE se saisisse de sujets d’actualité, ce qui ne le dispense pas de connaître de thèmes plus structurels, comme l’« ubérisation » : le Conseil doit s’intéresser aux préoccupations des citoyens, sans quoi il serait « à côté de la plaque ». Il n’est pas là pour débattre du sexe des anges. Nous avons pour rôle de nourrir le travail des parlementaires, en leur fournissant des avis ayant donné lieu à un vote, donc à un accord, ce qui les rend fiables et utilisables comme base de travail.

S’agissant des travailleurs détachés, à la suite de notre avis, il n’y a plus eu de débats sur ce sujet. Nos travaux ont été menés comme une négociation et ont été conduits par le rapporteur Jean Grosset. Tous les secteurs concernés étaient représentés, comme nous le faisions au MEDEF avec tous les partenaires.

La question du lieu de la négociation peut être étudiée ; cela permettrait d’ouvrir les portes et les fenêtres, nous pourrions formuler des propositions afin d’assister le législateur dans sa réflexion.

S’agissant de la présence d’un tiers à la négociation et de la capacité à proposer des textes, je rappellerai le propos de M. François Chérèque qui considérait que, si l’on demande à une organisation syndicale de produire un texte, il faut attendre plus de cent ans, car les organisations représentatives s’observent mutuellement et sont dans un état de compétition permanent. J’ai observé que, parfois, les propositions ou les invectives adressées au patronat étaient en fait destinées au syndicat concurrent ; un jeu existe entre les centrales syndicales du fait de la compétition qui les oppose. De ce point de vue, le système nouveau de représentativité a renforcé cette compétition, en plaçant parfois les syndicats dans un contexte de surenchère peu propice à un dialogue apaisé.

Il nous faut changer de pied et modifier notre conception du monde syndical en le rendant plus proactif, plus professionnel, et en le conduisant progressivement vers un syndicalisme de service. Pour atteindre ce but, il faudra aussi augmenter les moyens de fonctionnement de ces organes de représentation.

M. le président Arnaud Richard. Pour avoir suivi, en 2011, les travaux de la commission d’enquête sur les mécanismes de financement des organisations syndicales d’employeurs et de salariés, dont M. Nicolas Perruchot était le rapporteur, je puis vous dire que tel n’est pas le sentiment de l’opinion publique… Cela dit, j’entends votre propos : les syndicats ont besoin de moyens supplémentaires.

M. Patrick Bernasconi. La question est celle de la transparence. Il faut être capable d’expliquer comment est utilisé l’argent, mais cette professionnalisation, cette formation et cette mise à disposition sont indispensables, et il faudra bien les financer ; autant de beaux sujets pour le CESE.

M. le président Arnaud Richard. On peut imaginer que, lorsque vous rendrez votre avis sur le dialogue social, vous vous présenterez aux partis politiques et au Parlement comme l’opérateur d’une sorte de pré-réforme…

M. Patrick Bernasconi. L’avis en cours d’élaboration porte sur la promotion du dialogue social. Si l’on voulait aller plus loin, la saisine devrait être reformulée ; nos avis sont au service de tous, nous ne prenons pas politiquement parti. Si nous devions entrer dans la dimension duale caractérisant le monde politique, il ne resterait plus qu’à fermer le CESE, car il ne serait plus en situation de rendre les services attendus.

D’une certaine façon, notre mode de fonctionnement se rapproche de celui du Parlement européen ; notre éloignement des médias et la nécessité de bâtir des digues expliquent cet état de fait. Il faut prendre conscience que le CESE est une assemblée qui est désormais renouvelée à 70 % tous les cinq ans : on imagine le travail nécessité par la mise à niveau des nouveaux arrivants ! D’autre part, c’est un collège quasi strictement paritaire ; le CESE compte neuf sections et trois délégations, et huit de ces instances sont présidées par une femme. Par ailleurs, ce qui fait notre valeur ajoutée, c’est que tous nos conseillers ont trois jobs : chacun est conseiller, membre d’une organisation ou d’une association – au sein de laquelle je lui demande la plus grande implication –, et a souvent un emploi. Cela leur permet de rester en connexion avec la société civile : lorsque j’appelle le représentant du secteur agricole à sept ou huit heures du matin, il est sur son tracteur et j’entends les bruits de la ferme !

M. Gérard Sebaoun. Comment gérez-vous les éventuels conflits d’intérêts de vos membres et les éventuelles actions, internes ou externes, de lobbying susceptibles d’influencer les travaux que vous mettez ensuite à la disposition des acteurs politiques ? S’agissant du lobbying, je précise qu’il n’est pas inconnu des parlementaires et qu’il existe par ailleurs dans les institutions européennes, où il est toutefois réglementé.

M. Patrick Bernasconi. La composition du CESE est la garantie d’une réelle diversité, puisque cinquante organisations et associations y sont représentées. Cela limite les possibilités pour le lobbying de prospérer. Par ailleurs, toutes les sections sont composées de représentants de chaque organisation. On retrouve donc une mini-représentation au sein de chaque section. Ainsi, la section de l’agriculture ne comprend pas que des représentants des agriculteurs, de la distribution et du monde de l’environnement, et c’est pourtant un endroit où les agriculteurs et les environnementaux dialoguent et se mettent d’accord. Même au moment de l’affaire de Sivens, le dialogue s’est poursuivi. C’est ce lieu privilégié qu’il importe de conserver.

Il n’existe aucun lieu de travail au sein duquel, à un moment donné, toutes les composantes ne soient pas réunies, et l’ensemble des auditions est suivi par tous. Un équilibre est indispensable car, au moment du vote, une partie importante des conseillers fera barrage à celui qui aura voulu avantager qui le monde patronal, qui tel autre secteur. La composition des sections garantit ainsi l’équilibre.

À l’avenir, se reposera nécessairement la question de la bonne représentativité de la société française au sein du CESE : le dosage est-il le bon ? Aujourd’hui, par exemple, les consommateurs ne sont pas représentés ; nous pourrions nous interroger à ce sujet. On a coutume de dire que le CESE est une France en miniature, non pas à cause de ses 233 conseillers, mais par sa composition et sa diversité. On peut y côtoyer des personnalités comme Christian Nibourel, président d’Accenture France et Benelux, mais aussi de petits exploitants agricoles du fin fond de la France ou bien un coiffeur : c’est un vrai brassage de la société civile, et le Conseil est le bon endroit pour prendre le pouls de celle-ci.

Par ailleurs, les associations et organisations membres doivent, elles aussi, s’ouvrir. Comment enrichir nos travaux avec une participation citoyenne effective ? Nous avons créé un groupe de travail à ce sujet ; nous envisageons par ailleurs de travailler avec d’autres entités, comme le Défenseur des droits, France Stratégie ou la Commission nationale du débat public (CNDP). Nous faisons déjà de même avec nos voisins et cousins que sont les conseils économiques et sociaux régionaux (CESR) et le Comité économique et social européen, car nous ne sommes pas seulement parisiens, ainsi que le montre notre composition.

C’est dans sa composition, en effet, que le CESE trouve son identité. Il faudra peut-être aller plus loin par la suite, en constituant un comité chargé de valider les auditions et leur conception. Nos travaux sont à l’image d’une négociation : il y a un avis, et un rapporteur qui l’enrichit en tenant compte de toutes les composantes de l’assemblée. Les mouvements de jeunesse sont également présents et participent très activement aux travaux.

M. le président Arnaud Richard. Merci beaucoup pour ces propos, monsieur le président.

La séance est levée à dix-neuf heures.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 11 mai 2016 à 16 heures 15

Présents. – M. Jean-Marc Germain, M. Arnaud Richard, Mme Claudine Schmid, M. Gérard Sebaoun

Excusés. - M. David Comet, M. Pascal Demarthe