Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d'information

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mission d’information sur la simplification législative

Jeudi 23 janvier 2014

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 2

Présidence de Mme Laure de La Raudière, Présidente

– Première table ronde réunissant des universitaires : Mme Géraldine Chavrier, professeure de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) ; M. Bertrand du Marais, conseiller d’État et professeur de droit public à l’Université Paris Ouest (Nanterre-La Défense) ; M. Michel Verpeaux, professeur de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

– Seconde table ronde réunissant des universitaires : Mme Pascale Deumier, professeure de droit à l’Université Jean Moulin (Lyon III) ; Mme Célia Zolynski, professeure de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

– Audition de MM. Philippe Sassier et Dominique Lansoy, auteurs d’Ubu loi (Fayard, mars 2008)

La séance est ouverte à 9 heures 50.

Présidence de Mme Laure de la Raudière, présidente.

La mission d’information procède à l’audition, sous forme de table ronde de : Mme Géraldine Chavrier, professeure de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) ; M. Bertrand du Marais, conseiller d’État et professeur de droit public à l’Université Paris Ouest (Nanterre-La Défense) ; M. Michel Verpeaux, professeur de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne).

Mme la présidente Laure de La Raudière. Madame, messieurs, je vous remercie de votre participation à cette première réunion de notre mission d’information, que va vous présenter son rapporteur, M. Thierry Mandon.

M. Thierry Mandon, rapporteur. La mission d’information sur la simplification législative a pour objet de rationaliser autant que possible le flux normatif, plutôt que le stock de dispositions réglementaires et législatives existantes, lequel est traité par ailleurs. Toutefois, nous ne devrons pas hésiter à passer outre cette distinction entre flux et stock si cela se révèle nécessaire.

Nous réfléchirons donc aux moyens de produire des textes moins nombreux, plus lisibles, plus efficaces, en privilégiant l’évaluation ex ante, l’éventualité de supprimer des textes en même temps que nous en adoptons de nouveaux, la possibilité d’un « droit de regard » du Parlement sur les décrets d’application. Nous étudierons plus généralement la procédure législative et la méthode de transposition des directives, et tout autre moyen de simplifier une procédure dont nous mesurons chaque jour les archaïsmes. J’ai pour ma part le sentiment que les parlementaires, tous groupes politiques confondus, sont maintenant mûrs et prêts à cette évolution.

Nous entendrons d’abord, en particulier au sujet des décrets d’application, Mme Chavrier, auteur de nombreux textes sur l’expérimentation territoriale et l’adaptabilité de la norme, dont Le Pouvoir normatif local, paru en août 2011. Nous nous tournerons ensuite vers M. du Marais, qui a étudié l’attractivité du droit français dans la compétition économique internationale, notamment dans une contribution au rapport public de 2006 du Conseil d’État sur la sécurité juridique et la complexité du droit, où il évoque l’évaluation ex ante de la réglementation dans le cadre des études d’impact. M. Verpeaux, enfin, auteur de nombreux ouvrages de droit constitutionnel et de droit des collectivités territoriales, a été membre du Comité pour la réforme des collectivités locales créé en 2008.

Mme Géraldine Chavrier, professeure de droit à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés et membres de la mission d’information, vous avez reçu la noble mission de réfléchir aux moyens de simplifier la loi et vous m’avez fait l’extrême honneur de me demander de participer à cette table ronde afin de vous restituer le résultat de mes recherches. Je vous en remercie vivement.

J’ai bien noté que vous avez désiré m’entendre sur les liens que pourrait entretenir cette simplification avec la thématique du pouvoir normatif local, laquelle peut effectivement renvoyer aux décrets d’application.

Je préciserai d’abord qu’il ne peut évidemment être question de confier un pouvoir législatif aux collectivités. En effet, l’unité de l’État, c’est l’unité de la souveraineté ; or la souveraineté, c’est la loi. Celle-ci doit rester unique, de sorte que seule la procédure d’expérimentation législative est souhaitable.

La question se pose différemment concernant le pouvoir réglementaire étatique, deuxième dans la hiérarchie des normes, et qui n’est autorisé à imposer des charges et des obligations aux collectivités qu’à condition d’y avoir été habilité par le législateur. L’unité de l’État s’accommode donc de l’existence d’un pouvoir réglementaire local. La question qui se pose est alors la suivante : pourriez-vous renvoyer, pour l’application des lois que vous adoptez, au pouvoir réglementaire et quel intérêt y trouveriez-vous ?

Vous vous inquiétez légitimement de la lenteur avec laquelle l’exécutif applique vos lois, d’une part, et de l’adaptation de ces lois à leurs enjeux, d’autre part. Une loi appliquée tardivement, ou mal appliquée parce que mal adaptée à son contexte par le pouvoir réglementaire, peut être une loi perdue en ce sens qu’elle manque ses objectifs initiaux.

L’intérêt d’un renvoi direct de la loi au pouvoir réglementaire local serait de remédier à cette lenteur et de permettre d’atteindre plus facilement les objectifs poursuivis, puisque c’est aux collectivités que vous confieriez alors le soin d’adopter certaines modalités d’application des lois qui concernent l’exercice de leurs compétences, c’est-à-dire aux plus motivées, aux plus pressées de voir appliquer la loi. Cette faculté peut être fondée sur un principe constitutionnel méconnu : le principe de subsidiarité normative, proche du principe de proportionnalité, et dont la mise en œuvre, loin de menacer le principe d’égalité, pourrait au contraire le défendre en donnant corps au principe d’égalité proportionnelle, matérielle. Cette recherche d’égalité matérielle, et non plus formelle, est d’ailleurs à l’origine des demandes récentes d’adaptabilité du droit.

Comment adapter le droit à son contexte par application du principe de subsidiarité normative ?

Le législateur décentralise au nom du principe selon lequel on administre mieux de près, en prenant en considération les particularités du terrain. Toutefois, lorsqu’il renvoie systématiquement au Premier ministre pour l’exécution des lois concernant les compétences des collectivités, lequel l’applique de façon trop détaillée et avec retard, ce centralisme normatif contrevient au bénéfice attendu de la décentralisation : on administre de près, certes, mais sans pouvoir tenir compte des spécificités locales. Jusqu’ici, vous avez pourtant toujours considéré que le renvoi au pouvoir réglementaire du Premier ministre s’imposait.

L’exécutif, conscient de ses faiblesses, a bien tenté de se discipliner lui-même, mais sans succès. Il a ainsi préconisé dans la circulaire du 7 juillet 2011 sur la qualité du droit que « chaque projet de norme nouvelle [soit] soumis à un examen de nécessité et de proportionnalité aussi circonstancié que possible » et il a été envisagé d’inscrire dans le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale que le Gouvernement adopterait à l’avenir des modalités d’application proportionnées des lois concernant les collectivités.

Ce principe de proportionnalité postulait nécessairement le recours au règlement local : la norme se limite à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, renvoyant pour le reste à d’autres autorités – ici les collectivités, mais pourquoi pas chaque acteur concerné dans son domaine, notamment les entreprises, qui seraient alors contraintes d’atteindre certains objectifs, mais selon des modalités dont le détail ne leur serait pas entièrement imposé ?

Toutefois, ce principe n’a pas été retenu, notamment parce qu’il risquait d’être un nid à contentieux, du fait d’interminables interrogations sur le degré de détail dans lequel l’État peut entrer. Et c’est heureux, car il aurait alors incombé au juge de décider lui-même qui, de la collectivité ou de l’État, devait adopter telle norme, sûrement à partir d’un contrôle minimum, d’ailleurs, alors que c’est à vous, législateur, de trancher. Et vous pouvez vous appuyer pour ce faire sur un principe constitutionnel de subsidiarité normative qui s’apparente en définitive au principe de proportionnalité.

En effet, alors que le projet de loi constitutionnelle de 2003 prévoyait initialement que les collectivités avaient vocation à exercer l’ensemble des compétences qui pouvaient le mieux être mises en œuvre à leur échelon, l’article 72 de la Constitution dispose finalement que les collectivités ont vocation à prendre les « décisions » – le mot n’est pas anodin – pour l’ensemble de ces compétences. L’intention du constituant, sur laquelle se fonde le Conseil constitutionnel, est claire puisque l’amendement réécrivant le texte en ces termes a été adopté. Il revient par conséquent au législateur d’appliquer ce principe, sous le contrôle, certes minimum, du Conseil constitutionnel, et au pouvoir réglementaire de le respecter, également sous le contrôle, probablement minimum, du Conseil d’État.

Pour chaque disposition concernant les compétences locales, le législateur doit donc s’interroger sur la nécessité de renvoyer au décret ou au pouvoir réglementaire local d’application. Sa feuille de route est tracée par la décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 2002 – loi relative à la Corse –, aux termes de laquelle les articles 21 et 72 de la Constitution « permettent au législateur de confier à une catégorie de collectivités territoriales le soin de définir, dans la limite des compétences qui lui sont dévolues, certaines modalités d’application d’une loi ; […] cependant, le principe de libre administration des collectivités territoriales ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles de mise en œuvre des libertés publiques et, par suite, l’ensemble des garanties que celles-ci comportent dépendent des décisions de collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire de la République ».

Autrement dit, le Premier ministre reste l’autorité de droit commun en matière d’exécution des lois, le législateur renvoyant aux collectivités l’application des lois dans leurs seuls domaines de compétence. Le Conseil d’État ayant ajouté dans un avis du 15 novembre 2012 que cette compétence normative accompagne nécessairement un transfert de compétence, la capacité d’appliquer certaines lois ne pouvant être considérée en elle-même comme une compétence transférée à une catégorie de collectivités.

La réserve concernant la fixation des conditions essentielles de mise en œuvre des libertés publiques, formulée dès 1985, limite le champ des possibles. On peut ainsi considérer que confier aux collectivités le soin d’adopter certaines modalités d’application de la loi sur l’accessibilité des établissements recevant du public impliquerait une intervention dans la définition des conditions essentielles de mise en œuvre de la liberté d’aller et venir.

Cette limite haute s’accompagne d’une autre réserve, puisque le Conseil décide que le législateur peut confier aux collectivités « certaines » modalités d’application des lois. Cette limite vague reposera certainement sur les nécessités d’intérêt général – ou sur le principe d’égalité, nous y reviendrons – imposant que la mesure soit la même pour tous.

Il en résulte que les collectivités peuvent intervenir à un troisième niveau d’influence, celui dont la décentralisation a besoin. Son efficacité a déjà été démontrée. Jusqu’en 2002, ainsi, le régime des aides directes aux entreprises était fixé uniformément par le Premier ministre ; à partir de cette date, le législateur a décidé que les assemblées régionales pourraient le fixer elles-mêmes. Or qui peut nier que, pour réussir économiquement, deux régions aussi différentes que le Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes doivent pouvoir mener des politiques distinctes ?

À ce stade de ma démonstration, vous devriez être convaincus de la faisabilité juridique de l’opération, mais peut-être pas de sa pertinence au regard de la défense du principe constitutionnel d’égalité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on est aujourd’hui plutôt tenté d’invoquer le principe d’adaptabilité. Mais celui-ci ne dit rien de l’auteur de la norme. Le principe de proportionnalité suppose qu’à un moment donné l’État laisse la place à une autre autorité ; l’adaptabilité, elle, peut dépendre des collectivités – c’est le pouvoir réglementaire local d’adaptation évoqué par le Président de la République –, mais aussi de l’État lui-même, comme dans le cas des expérimentations, dont il décide, charge telle ou telle collectivité et sur les suites desquelles il se prononce seul.

De ce point de vue, l’adaptabilité est rassurante, car l’État est unificateur et garantit le respect du principe d’égalité. Que ne voit-on toutefois que cette unification, dans les autres domaines que l’expérimentation législative, est « égalicide », car incapable d’adapter le droit aux besoins de plus en plus divers des destinataires de la norme ? Le peuple est un, mais le territoire est varié. Lorsque vous adoptez une loi sur la montagne ou sur le littoral, vous ne brisez pas l’égalité par renoncement à l’universalisme de la loi : vous la rétablissez. Il en ira de même lorsque vous renverrez aux collectivités l’application de la loi, dans les limites précitées.

Comment pouvoir local et principe d’égalité se conjuguent-ils ? Le Conseil d’État a rappelé dans son avis de 2012 que « l’attribution par la loi d’un pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales n’est pas, par elle-même, contraire au principe d’égalité ». À vrai dire, puisque les collectivités n’interviennent qu’à un troisième niveau d’importance lorsqu’elles appliquent la loi, le principe d’égalité ne risque plus véritablement d’être violé. En outre, il existe une raison d’intérêt général de déroger au principe d’égalité : l’amélioration de l’action publique par la prise en considération du contexte d’application du texte et, ainsi, des circonstances locales. Pour que la loi soit plus adaptée à son contexte d’application et plus rapidement appliquée, il faut par conséquent renvoyer plus souvent au pouvoir réglementaire local des collectivités, sachant que les communes ne disposeront pas pour en user de la même ingénierie juridique que les départements ou les régions, voire les intercommunalités.

Pour toutes les autres lois, celles qui ne concernent pas les collectivités, vous disposez d’un moyen constitutionnel de contraindre l’exécutif à adopter rapidement des décrets d’application. Il est brutal mais pourrait, de ce fait même, obliger le Gouvernement à agir. Lorsqu’une disposition vous semble si importante qu’elle doit être urgemment appliquée, vous pouvez en effet prévoir dans la loi qu’elle deviendra caduque si elle n’est pas appliquée dans un délai d’un an. Certes, si tel n’est pas le cas, elle perdra automatiquement sa valeur ; mais l’exécutif, qui consacre toujours beaucoup d’énergie à faire adopter la loi – bien plus qu’à la faire appliquer –, ne pourra sans doute se permettre de la laisser s’évanouir, surtout s’agissant d’une disposition importante. Le procédé est constitutionnel, car la contrainte, ou la sanction, ne porte pas sur l’exécutif, mais sur la loi elle-même, puisque c’est la disposition législative qui risque alors de tomber.

M. Bertrand du Marais, conseiller d’État, professeur de droit public à l’université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie sincèrement de me donner le privilège, l’occasion et le plaisir de vous présenter aujourd’hui des travaux et analyses – ainsi que quelques résultats intermédiaires – que je mène depuis plusieurs années, en particulier sur les études d’impact.

Je me permettrai de commencer par une petite page de publicité pour la filière droit-économie de l’université Paris Ouest-Nanterre. Unique en France, elle constitue un outil mis à la disposition de toutes les parties prenantes du processus normatif, dont les pouvoirs publics et – pourquoi pas ? – le Parlement. Cette filière réunit plus de 450 étudiants, de la première année de licence au master 2, dont un M2 d’analyse économique du droit où nous formons de jeunes étudiants, mais aussi des cadres de l’administration et du secteur privé. Dans la nouvelle nomenclature en cours d’adoption, son intitulé deviendra « Évaluation de l’impact du droit ».

J’ai d’autre part le plaisir de présider une petite association para-universitaire appelée FIDES (Forum sur les institutions, le droit, l’économie et la société), qui s’efforce de soutenir financièrement la recherche dans ces disciplines, souvent oubliée par les grands programmes de financement, afin que les chercheurs ne rejoignent pas tous, sitôt formés, les pays anglo-saxons.

Je ne traiterai dans mon intervention que de la question de l’amélioration de l’évaluation ex ante par les études d’impact ; je profiterai éventuellement de la discussion ultérieure pour évoquer deux autres sujets sur lesquels j’ai travaillé : les décrets d’application et la transposition des directives.

Pourquoi se focaliser sur les études d’impact ? Parce qu’elles sont un moyen non seulement de réguler le flux des textes et d’en rationaliser le contenu, mais aussi, si tant est que les parties prenantes s’en saisissent, d’instiller du débat public dans la procédure grâce – paradoxalement – à l’expertise. Je traiterai la question en trois temps : je dresserai d’abord un constat non pas désabusé, mais mitigé sur la qualité et le contenu des études d’impact présentées jusqu’à présent ; je donnerai ensuite des pistes pour favoriser l’usage de cet outil ; et je terminerai par quelques propositions visant à en améliorer le contenu.

Mon constat est tiré de l’analyse des études d’impact que je conduis avec mes étudiants depuis septembre 2009. Nous disposons aujourd’hui de quatre ans de recul et d’un échantillon d’une quarantaine d’études, relativement représentatif puisqu’il recouvre plus de la moitié des textes de loi portant des dispositions normatives. Il s’agit d’une analyse qui, pour l’instant, est qualitative, mais je vous donnerai aussi quelques éléments quantitatifs ; nous sommes en train de construire des indicateurs, notre objectif étant d’aboutir à un classement du type « Gault et Millau » des études d’impact, de la plus complète, la plus lisible et la plus pertinente jusqu’à la moins satisfaisante. De l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, nous avons ainsi tiré une liste de vingt critères, dont nous vérifions le degré de respect, de l’absence totale jusqu’à l’obligation entièrement remplie, en utilisant des catégories intermédiaires ; les résultats sont reportés dans un tableau récapitulatif.

Par exemple, l’analyse de l’étude d’impact du projet de loi de programmation militaire pour 2014-2019 fait apparaître l’absence totale de quatre critères, parmi lesquels l’évaluation des conséquences environnementales, la présentation des possibilités autres que l’option législative, l’analyse quantitative et l’exposé de la méthode de calcul.

De même, dans l’étude d’impact du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, l’évaluation des conséquences financières n’est faite pour aucun des titres du texte, à une exception près ; il n’y a ni quantification ni indication de la méthode de calcul retenue.

Certaines personnes me présentent comme un « ayatollah » de la quantification – il est vrai que je fus le seul à utiliser le verbe « quantifier » dans le rapport public de 2006 du Conseil d’État que le rapporteur a eu l’amabilité de citer. Pourtant, comment le disent nos amis anglo-saxons, quantifier, c’est déjà dans une certaine mesure décider ; c’est en tout cas fonder le débat sur des éléments objectifs et, en définitive, rendre possible la contradiction.

Notre analyse débouche sur un constat mitigé. Les études d’impact se caractérisent en effet – vous vous en êtes certainement aperçus – par une grande diversité et une inégalité de contenus. Nombre d’entre elles ne satisfont pas, même formellement, aux obligations de la loi organique. En particulier, la méthode de calcul retenue n’est quasiment jamais indiquée – souvent pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas d’évaluation quantifiée des impacts des dispositions que l’on vous propose d’adopter.

Pour expliquer cette qualité inégale, nous avons formulé deux hypothèses.

La première est que la qualité de l’étude d’impact dépendrait de l’offre d’études en interne : les ministères ayant une forte culture de l’étude économique, de la statistique, de l’expertise technique présenteraient des études d’impact plus satisfaisantes. Cette hypothèse est cependant fragilisée par le fait qu’il existe de nombreux contre-exemples, comme l’étude d’impact du projet de loi relatif au Grand Paris : les incidences budgétaires y étaient certes examinées, mais aucune méthode de calcul n’était indiquée.

Deuxième hypothèse : la qualité de l’étude d’impact serait fonction de la sensibilité politique du projet de loi. Nous avons ainsi été frappés par la grande qualité de l’étude d’impact du projet de loi relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services. Il semblerait que, quand un texte est débattu pied à pied dans toutes les régions et dans toutes les grandes villes de France, les parties prenantes soient obligées de fonder leurs arguments sur des données chiffrées et sur les résultats d’expertises.

Nous avons également noté une utilisation inégale, mais croissante des études d’impact dans les débats parlementaires. Cette observation se fonde sur une méthode simple : je demande à mes étudiants de passer en revue les travaux du Sénat et de l’Assemblée nationale afin de comptabiliser le nombre de fois où l’étude d’impact est citée. Certains parlementaires fondent même leurs amendements sur l’étude d’impact. Toutefois, celle-ci est généralement conçue comme une source d’information et fait rarement l’objet de critiques ou de débats.

S’il est mitigé, notre constat n’est cependant pas désabusé. Certes, il existe un risque : que, l’éclat de la nouveauté ayant disparu, la routine et le formalisme reprennent le dessus – ce fut d’ailleurs le cas lors des tentatives qui ont précédé la réforme constitutionnelle de 2008. Comme l’a écrit Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement, dans sa préface au Guide d’évaluation de l’impact concurrentiel de projets de textes normatifs : « Les progrès en la matière nécessitent durée et ténacité ». Pourtant, le fait même que l’Autorité de la concurrence ait rédigé de sa propre initiative un tel guide est extrêmement encourageant ; cela montre que certains acteurs, notamment au sein des pouvoirs publics, ont compris l’intérêt qu’il pouvait y avoir à faire ce type de travaux.

Je vais maintenant présenter quelques pistes pour favoriser l’usage des études d’impact.

Premièrement, il serait bon de développer l’approche sectorielle, par exemple en publiant, suivant l’exemple de l’Autorité de la concurrence, des guides pour l’évaluation de l’impact des projets de textes en fonction de problématiques soit horizontales, comme l’égalité entre les femmes et les hommes, soit verticales, comme l’économie sociale et solidaire ; il s’agirait de rédiger des vade-mecum à destination des différents intervenants dans le processus législatif pour leur permettre d’identifier et de quantifier l’impact des projets de loi sur tel ou tel secteur. Ces guides pourraient être réalisés soit à l’initiative du seul Parlement, soit en commun avec les services du Gouvernement.

Deuxièmement, il convient de sensibiliser les parties prenantes. La difficulté est qu’aujourd’hui l’étude d’impact n’est rendue publique qu’au moment de la transmission du projet de loi au Parlement ; il faudrait qu’elle le soit avant la saisine du Conseil d’État – comme c’est le cas pour les études d’impact environnementales.

Troisièmement, il faut inciter le politique à se saisir de l’étude d’impact. En Grande-Bretagne, celle-ci est le support des consultations et permet aux ministres compétents comme à l’opposition d’intervenir dans le processus d’élaboration du projet de loi – alors qu’en France, celui-ci reste interne à l’administration. De même, au niveau de l’Union européenne, les études d’impact sont publiées longtemps avant le début de l’examen du texte, ce qui permet aux parties prenantes d’intervenir dans le débat politique.

Pour finir, je formulerai quelques propositions en vue d’améliorer le contenu des études d’impact.

L’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 prévoit une évaluation « des coûts et bénéfices financiers attendus », mais pas des effets économiques. Il serait important de l’ajouter – quoique la première évaluation soit rarement faite.

Prenons par exemple les dispositions législatives sur la sécurité des ascenseurs : c’est une chose d’évaluer le coût financier de la réfection des ascenseurs pour les syndicats de copropriété et les bailleurs sociaux ; c’en est une autre de réaliser une véritable analyse économique, qui aurait permis de remarquer que, étant donné qu’il n’existe que deux ou trois ascensoristes sur le marché, le risque était grand, d’une part que les coûts explosent, d’autre part que l’offre ne puisse pas répondre à la demande !

Le champ de l’étude d’impact pose un autre problème. Nous essayons de calculer un indice de recouvrement entre ce qui est traité dans l’étude et les dispositions contenues dans le texte de loi définitivement adopté. Il est évident que certains projets de loi subissent des modifications significatives ; ainsi, le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires est passé de 7 titres et 26 articles à 12 titres et 86 articles, certaines adjonctions portant sur des sujets majeurs, comme la lutte contre les dérives financières ou l’encadrement des conditions d’emprunt des collectivités territoriales.

Rendre obligatoire une étude d’impact des amendements significatifs supposerait une modification de la loi organique – le Conseil constitutionnel s’est prononcé de façon très claire sur ce point ; cela imposerait également que le Parlement et/ou le Gouvernement se dotent d’une capacité d’expertise immédiate. Une meilleure solution serait que le Conseil constitutionnel tienne davantage compte de la qualité de l’étude d’impact dans le cadre du contrôle qu’il exerce au titre de l’article 61 de la Constitution. Nous souffrons en France d’un biais culturel : on ne considère pas les questions d’évaluation et de quantification comme des éléments substantiels de la procédure – jusqu’à ce que cela nous soit imposé de l’extérieur. Si je comprends qu’il soit politiquement difficile de mettre en œuvre les mécanismes prévus par la loi constitutionnelle de 2008 et par la loi organique de 2009 en cas de divergence entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, une sanction ex post par le Conseil constitutionnel permettrait d’instaurer une certaine discipline.

Le problème principal réside toutefois dans la capacité même du Gouvernement à réaliser les études d’impact. La solution passe à mon avis par deux impératifs. Le premier est de parvenir à une harmonisation des méthodes et du contenu même des études ; à l’heure actuelle, la compétence en revient au Secrétariat général du Gouvernement ; pour ma part, j’étais plutôt partisan que ce soit le Centre d’analyse stratégique, aujourd’hui remplacé par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, qui soit chargé de la mise en forme des études d’impact. L’autre impératif est de développer la capacité d’expertise en France – d’où la « page de publicité » par laquelle j’ai commencé mon exposé.

M. Michel Verpeaux, professeur de droit à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Mon propos sera sans doute plus général que celui de mes deux collègues, car je n’ai pas réfléchi autant qu’eux sur les études d’impact et le pouvoir normatif local – même si je m’intéresse beaucoup à ces questions.

Je ne voudrais pas décevoir le rapporteur, qui déclare sentir les esprits « mûrs » pour la simplification, mais il s’agit d’une question très ancienne, qui remonte d’une certaine façon à la Révolution française : dans les cahiers de doléances, on demandait déjà des lois plus simples, plus claires, qui s’appliquent partout de manière uniforme. C’est un thème récurrent.

Même s’il est un peu facile de commencer ainsi, je crois donc qu’il faut faire preuve de modestie et manier les solutions radicales avec prudence. N’oublions pas que ce qui est compliqué, c’est d’abord la société dans laquelle nous vivons ; il n’est pas certain que le droit puisse résoudre d’un coup de baguette magique des questions par essence très complexes.

D’ailleurs, ce qu’il faut viser, est-ce la simplification législative ou celle du droit ? De ce point de vue, et malgré toute l’amitié que j’ai pour ma collègue Géraldine Chavrier, je ne suis pas certain qu’attribuer un pouvoir normatif local aux collectivités territoriales ferait avancer les choses – même avec les garanties qu’elle a présentées. Je préside l’Association française de droit des collectivités locales : on peut donc difficilement voir en moi un centralisateur ultrajacobin ; pourtant, je ne pense pas que la décentralisation soit la solution à tout. Il me semble d’autre part que la loi n’est pas la seule source de la complexité actuelle – et ce n’est pas parce que je suis à l’Assemblée nationale que je dis cela. Le Gouvernement et les instances administratives ont eux aussi leur part de responsabilité.

J’examinerai en premier lieu les moyens existants, puis j’envisagerai les facteurs sur lesquels il serait possible de jouer, avant de vous livrer quelques pistes de réflexion.

Pour commencer, n’oublions pas que les articles 34 et 37 de la Constitution de 1958 avaient initialement pour objectif de simplifier, sinon le droit, du moins la répartition des compétences normatives : pour que les choses fonctionnent mieux, le Parlement ne devait pas se perdre dans les détails. Or ce n’est pas ce qui s’est passé ; pour reprendre l’expression d’un éminent juriste malheureusement décédé, sur ce point « la Révolution n’a pas eu lieu ». Peut-être les juridictions ont-elles œuvré en ce sens : ainsi le Conseil constitutionnel, après une timide tentative en 2005 pour déplacer le curseur entre la loi et le règlement dans une direction plus conforme à l’esprit de la Constitution, a maintenu en 2012 une jurisprudence qui autorise les dérives en la matière.

Deuxième moyen : la jurisprudence ayant trait à l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Malheureusement, le Conseil constitutionnel manie cet outil avec une certaine prévention – en tout cas, pas autant qu’on pourrait le souhaiter ; les censures de lois sur ce motif sont très peu nombreuses. Il a fallu attendre 2005 et une loi de finances totalement incompréhensible, même pour les spécialistes, pour que le Conseil constitutionnel l’utilise.

Le processus de codification, lancé depuis la fin des années 1980, a également pour objectif – entre autres – de simplifier, sinon le contenu, du moins l’approche du droit.

Dernier moyen : la révision constitutionnelle de 2008 et les nouveaux outils qui ont été donnés au Parlement afin de développer son activité de contrôle et d’accroître son rôle dans le processus législatif. Ces outils sont-ils suffisants ? Le bilan des études d’impact n’est guère satisfaisant – il se trouve qu’un de mes doctorants travaille sur le sujet, même si son approche est beaucoup moins quantifiée que celle de M. du Marais. On nous les avait présentées comme un moyen radical d’améliorer de la loi, mais pour un observateur extérieur, comme je le suis, cela ne semble pas révolutionner grand-chose ! Là encore, le Conseil constitutionnel n’a jamais été saisi sur cette question, mais la faute en incombe aux acteurs publics, puisqu’il ne peut l’être que s’il existe un désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement – ce qui, du fait de l’organisation institutionnelle de la Véme République, n’est jamais le cas. Malgré tout, le Conseil constitutionnel est appelé à se prononcer indirectement sur le sujet, dans le cadre de l’examen de la procédure législative au titre du contrôle a priori des lois ordinaires, mais jusqu’à présent, il l’a toujours fait avec une très grande prudence : il n’a jamais jugé qu’une étude d’impact n’était pas adaptée.

À mon avis, deux aspects sont à prendre en considération dans la question de la simplification législative : la quantité des lois et leur qualité.

On dit souvent qu’il y a un trop grand nombre de lois. Est-ce vrai ? On en compte à peu près une centaine par an, dont une quarantaine se bornent à autoriser la ratification d’engagements internationaux : cela ne me semble pas excessif.

Ce qui fait problème, ce n’est pas le nombre de lois en soi, mais l’existence de textes redondants, qui reviennent sans cesse sur le même sujet. Le domaine de la procédure pénale est particulièrement « riche » d’exemples de ce type. Sur ce plan, peut-être les choses pourraient-elles être améliorées. Toutefois, cela ne manquerait pas de soulever des difficultés politiques, car la situation actuelle résulte en grande partie des alternances, la nouvelle majorité cherchant en général à corriger ce qu’a fait la précédente. C’est le jeu de la démocratie, mais il faut avoir conscience que cela a des effets quantitatifs.

Autre problème : la multiplication des textes de simplification du droit, qui ont l’effet inverse de celui annoncé. On y trouve de tout ! Les lois « portant diverses dispositions » n’existent plus, mais elles ont été remplacées par ces lois dites « de simplification », qui ne valent pas mieux sur le plan de la clarté et de la lisibilité.

Se pose aussi la question des niveaux de décision, ce qui nous ramène au thème de la décentralisation ; je n’y reviens pas.

Passons aux problèmes relatifs à la qualité de la loi, à commencer par sa longueur. Certains projets de loi subissent des modifications importantes entre leur dépôt et leur adoption définitive. D’aucuns vont même jusqu’à considérer que la loi est « dénaturée » par le Parlement, de nombreux amendements venant « perturber » le texte initial. Pourtant, c’est bien le rôle des parlementaires que d’amender la loi. Si on le leur interdisait, on présenterait un texte et le Conseil d’État l’adopterait ; ce serait un retour à l’époque de Napoléon Bonaparte !

La qualité rédactionnelle des lois est en revanche un vrai problème. Certes, le Conseil d’État est censé faire un contrôle à l’étape de l’avant-projet de loi et la révision de 2008 a ouvert la possibilité de lui soumettre pour avis également les propositions de loi. Mais cette nouvelle procédure est-elle très utilisée ? Est-ce que cela change quelque chose ? On peut se demander si cet outil, qui a été strictement bordé par le Constituant et la loi ordinaire, est véritablement utile.

Enfin, il ne faut pas oublier que la loi se trouve à l’origine d’une cascade de textes, qui compliquent parfois les choses – avec, dans les cas extrêmes, des circulaires qui disent autre chose que ce qui a été voté par le législateur !

S’agissant des pistes à étudier, je distinguerai l’amont de l’aval.

En amont, il conviendrait de renforcer les moyens du Parlement : faut-il, à cette fin, créer un nouvel organe parlementaire dédié à l’amélioration de la qualité de la loi ? Cet organe devra-t-il être propre à chacune des deux assemblées – l’indépendance des deux assemblées est, je le rappelle, un principe constitutionnel – ou mixte et paritaire, du fait qu’il s’agit d’un travail collectif et qu’une assemblée ne saurait, en la matière, ignorer ce que fait l’autre ?

Serait-il par ailleurs farfelu d’envisager l’adoption d’une loi organique relative aux lois ordinaires – une « LOLO » – sur le modèle de la LOLF pour les lois de finances ? Cette loi organique encadrerait le processus et le contenu de la loi ordinaire. Un tel projet rencontrerait toutefois deux difficultés. Son adoption devrait tout d’abord résulter d’une démarche consensuelle, mais tel est, après tout, le cas de la loi organique relative aux lois de finances adoptée en 2001, qui a été le fruit d’un consensus entre deux assemblées alors de majorités politiques opposées. Ensuite, l’adoption d’une telle loi organique impliquerait une révision de la Constitution. J’ignore comment les parlementaires vivent la LOLF : celle-ci, qui permet de censurer tout débordement du cadre constitutionnel des lois de finances, maintient ainsi leur unité.

En aval, il convient de déterminer les meilleurs moyens permettant d’évaluer la loi et d’en favoriser son application.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je suis toujours étonnée du fait que les études d’impact sont réalisées par le ministère chargé du texte. Quelle instance devrait être responsable des études d’impact ? Devraient-elles être réalisées par un service centralisé du Gouvernement dédié à cette fin ? Ou mieux : ne devrait-il pas revenir au Parlement de se charger de l’étude d’impact d’un texte gouvernemental ?

Par ailleurs, les amendements sont examinés, en raison de leur éventuel impact budgétaire, au regard de l’article 40 de la Constitution. Ne serait-il pas utile d’envisager un dispositif du même ordre pour juger de la recevabilité des amendements au titre de leur qualité ?

Mme Cécile Untermaier. Comme Mme la présidente et moi-même avons pu le constater à Bruxelles, au plan européen, l’étude d’impact doit être validée avant toute adoption d’une directive de la Commission. L’étude est également co-construite avec les citoyens dans le cadre d’un forum Internet. Un tel dispositif serait-il transposable au Parlement français ?

Par ailleurs, ne faudrait-il pas rendre obligatoires les études d’impact, sinon pour les amendements, du moins pour les propositions de loi ? Tel n’est pas le cas aujourd’hui, alors même que les propositions de loi sont nombreuses.

Enfin, il conviendrait, en ces temps de rigueur budgétaire, d’inclure dans les études d’impact l’évaluation de la charge administrative de l’étude elle-même. Ne faudrait-il pas alors modifier la loi organique pour rendre ce critère obligatoire ?

M. Régis Juanico. Madame Chavrier, avez-vous mené des travaux sur la réalité du principe de subsidiarité face aux normes édictées par l’Europe ? L’inflation des normes européennes, qui constitue un vrai souci pour les collectivités territoriales, met à mal l’application du principe de subsidiarité aux plans national et infranational.

Monsieur Verpeaux, l’Assemblée nationale s’est dotée depuis 2009 d’un Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, qui produit des rapports de très grande qualité. Cette évaluation, réalisée ex post, implique évidemment un recul certain dans l’application des lois : certes, tel n’est pas l’objet des travaux de la présente mission d’information parlementaire, mais ne conviendrait-il pas de s’inspirer d’un tel outil, qui est bipartisan et donne entière satisfaction, en matière de simplification législative ?

Vous avez évoqué l’éventualité d’une loi organique encadrant les lois ordinaires sur le modèle de la LOLF pour les lois de finances : nous devons auparavant faire le bilan de l’application de la LOLF promulguée en 2001. En effet, il existe un déséquilibre certain entre les trois mois que le Parlement consacre, entre octobre et décembre, à l’adoption de la loi de finances initiale – les intentions budgétaires – et les quelques jours seulement dévolus, à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet, à la loi de règlement qui porte sur l’exécution et donc la « vérité » budgétaire de l’année antérieure. Je tiens également à insister sur la fragilité qui préside à l’élaboration de certains indicateurs de performance contenus dans la LOLF. C’est pourquoi, je le répète, il me paraît nécessaire de réaliser un bilan qualitatif de son application.

Mme Cécile Untermaier. Il conviendrait également de renforcer la coordination des textes : trop souvent, il n’existe aucune cohérence entre ceux qui sont discutés au Parlement. Si, s’agissant des propositions de lois, il revient à l’Assemblée nationale d’assurer cette cohérence, s’agissant des projets de loi, n’est-ce pas au Gouvernement d’y veiller dans un cadre interministériel ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Mme Untermaier a raison : nous avons trop souvent l’impression que le dépôt des textes entre les deux assemblées n’obéit plus à aucune logique interministérielle : les projets se chevauchent en cours d’examen.

M. le rapporteur. La mission travaille sur la fabrique de la loi. Il conviendrait de faire le point sur la réalisation des études d’impact en Europe, notamment sur les organismes chargés de les effectuer. Alors que des organismes indépendants sont parfois sollicités, en France, elles sont réalisées par les ministères concernés par le texte. Le secrétaire général du Gouvernement m’a confié que ceux-ci y tenaient, ce qui n’est pas sans poser un problème.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Surtout en l’absence de tout organe de validation de l’étude d’impact.

M. le rapporteur. La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale a un droit de regard sur l’étude d’impact : en a-t-elle jamais usé ? La Présidente me dit que oui… Il faudrait rappeler aux titulaires de ce droit qu’ils doivent l’exercer, car il est très important pour la fabrique de la loi. Il conviendrait également d’instaurer, en amont du débat sur le projet de loi lui-même, un vrai débat autour de l’étude d’impact. Ce type de débat se déroule-t-il dans d’autres pays ?

Je pense par ailleurs que les études d’impact devraient être rendues obligatoires pour les propositions de loi comme elles le sont déjà pour les projets de loi. Pourquoi faire une différence en la matière entre les textes émanant du Gouvernement et ceux qui sont déposés par les parlementaires ?

Enfin, pourquoi les avis du Conseil d’État sur les projets de loi ont-ils le statut de documents confidentiels, un secret que tout l’art des journalistes consiste d’ailleurs à divulguer ? Quant aux parlementaires, pourquoi ne saisissent-ils pas davantage le Conseil d’État sur les propositions de loi, alors qu’ils en ont la possibilité ?

M. Bertrand du Marais. La confection des études d’impact souffre en France d’un biais culturel : l’expertise technique appartient traditionnellement aux services de l’exécutif. Dans ma contribution au rapport du Conseil d’État, j’ai suggéré de recourir pour l’analyse microéconomique, notamment de l’impact des politiques publiques, à la même démarche que celle que le Premier ministre Raymond Barre avait entreprise pour l’analyse macroéconomique : soit donner son indépendance à une structure qui a déjà l’expertise, soit créer ex nihilo des centres d’expertise.

J’ai préconisé que l’ex-Commissariat au plan, structure qui dispose d’une tradition d’expertise, encadre et réglemente les études d’impact et soit chargé du contrôle de leur qualité technique. Nous sommes en effet confrontés au problème de la sanction infligée en cas « d’absence » d’études d’impact ou de leur « insuffisance », pour reprendre les termes de la jurisprudence du Conseil d’État sur les études d’impact environnementales. En droit européen, le comité autonome adjoint à la Commission européenne renvoie le projet de directive en cas d’études d’impact insuffisante : le manque, en France, d’un tel degré de sanction n’est pas sans poser la question, qui est majeure, du débat politique au sein de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale.

Le calcul du coût de la charge administrative figure dans la loi organique, qui prévoit, à l’article 8, l’évaluation des « coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques ». J’ai participé à la fabrication du modèle comptable OSCAR qui mesure la charge administrative : il est utilisé par Bercy pour préparer les lois de simplification et il serait intéressant d’en publier les résultats. Ce modèle pourrait être ouvert aux commissions du Parlement.

Je ne suis pas favorable à l’élargissement des études d’impact aux propositions de lois : effectuons déjà des études d’impact complètes et utiles dans les domaines requis par la loi. N’oublions pas qu’elles représentent un énorme progrès par rapport à la façon dont on préparait les textes il y a dix ou quinze ans.

Enfin, le fait de rendre publique l’étude d’impact en amont de la saisine du Conseil d’État permettrait, comme au Royaume-Uni, de faire de cette étude le lieu de la consultation : le politique pourra alors se saisir de ce qui sera devenu un vrai instrument de débat démocratique.

Mme Géraldine Chavrier. S’agissant du respect du principe de subsidiarité, le protocole européen sur l’application du principe de subsidiarité prévoit que tout projet d’acte législatif doit comporter une fiche contenant des éléments circonstanciés sur le respect du principe de subsidiarité et de proportionnalité. Ce principe devrait être retenu au niveau réglementaire. Les parlements nationaux ont d’ailleurs en la matière un droit de contestation auquel, il est vrai, ils recourent rarement. En avril 2013, un État s’est plaint auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de la violation du principe de subsidiarité à propos d’une autorisation de substance chimique.

Quant au mot « simplification », il me paraît un peu étroit. L’adaptabilité, qui répond, à l’heure actuelle, à une demande très forte, est le contraire de la simplification. Faut-il faire plus simple et moins efficace ou plus efficace et moins simple ? Il est évident que le développement du pouvoir réglementaire local, en multipliant les actes normatifs, tourne le dos à la simplification. Il faut aller vers l’efficacité. À mes yeux, la simplification se résume à l’intelligibilité de la loi et à sa permanence. Est-il par exemple pertinent que la clause de compétence générale ait été quasiment supprimée en 2010 pour être réinstaurée en décembre 2013 puis de nouveau remise en cause en janvier 2014 ? Une loi doit avoir une certaine permanence pour avoir une certaine solennité. Quant à son efficacité, elle est fonction de la valeur des études d’impact et de l’adaptabilité des textes.

Rappelons, enfin, que la qualité de l’évaluation dépend des critères retenus : vous avez raison, madame la présidente, le fait que ce soit le porteur du projet, c’est-à-dire celui qui le désire, qui réalise l’étude d’impact, n’est pas très sain puisque les critères qu’il choisira refléteront son désir. Il convient donc de confier la réalisation des études d’impact soit au Parlement soit, comme au niveau de l’Union européenne, à des organismes de la société civile – l’ouverture à la société civile figurait d’ailleurs dans la charte de déontologie instaurée par le Président de la République lors de son entrée en fonction. Les critères choisis doivent pouvoir faire l’objet d’un débat et être contestés, notamment au titre des expériences privées.

M. Michel Verpeaux. L’adoption d’un article qui, sur le modèle de l’article 40, censurerait non pas la portée budgétaire mais la qualité des amendements, impliquerait une modification de la Constitution puisque les amendements gouvernementaux y seraient également soumis. L’idée, qui est séduisante, serait une arme lourde.

Souhaitez-vous doter le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques d’une compétence plus technico-juridique ? Faut-il créer un comité parallèle et donc supplémentaire ? C’est moi qui vous pose la question car il appartient à l’Assemblée nationale d’en décider.

Les études d’impact devraient avoir pour fonction de permettre une meilleure coordination des textes, d’autant que, trop souvent, ces études donnent aujourd’hui l’impression d’être les doublons des rapports parlementaires sur les projets ou les propositions de loi, rapports qui sont de grande qualité. On a évoqué devant moi le recours à l’externalisation : est-ce exact ?

M. Régis Juanico. Le Comité d’évaluation et de contrôle peut externaliser certaines études pour des rapports portant sur l’évaluation des politiques transversales.

M. le rapporteur. Monsieur Verpeaux, je pense à cette citation d’Eschyle dans Prométhée enchaîné selon laquelle ne pas paraître sage, c’est la vraie sagesse. Tel est l’état d’esprit de la mission d’information.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je vous remercie madame et messieurs les professeurs.

*

* *

La mission d’information procède ensuite à l’audition, sous forme de table ronde, de : Mme Pascale Deumier, professeure de droit à l’Université Jean Moulin (Lyon III) ; Mme Célia Zolynski, professeure de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Notre mission d’information entend davantage faire porter ses travaux sur une rationalisation du flux normatif que sur la simplification du stock des normes législatives et réglementaires, dont se préoccupe d’ailleurs le Gouvernement en étroite collaboration avec notre rapporteur Thierry Mandon. Pour parvenir à la production de textes moins nombreux, plus lisibles et plus efficaces, nous envisageons notamment de procéder à une meilleure évaluation ex ante des textes au stade de la réalisation de l’étude d’impact, de supprimer des textes lorsque de nouveaux sont adoptés, suivant le principe britannique du « one in, two out », d’octroyer au Parlement un droit de regard sur les décrets d’application et sur les ordonnances, droit qui pourrait se concrétiser par un meilleur encadrement et une meilleure visibilité de leur calendrier prévisionnel de publication, et enfin de modifier la méthode législative de transposition des directives – nous pourrions par exemple disposer d’un avis du Conseil d’État dans les cas où la directive est transposée par défaut, sans durcissement dans le droit français.

Après avoir effectué un déplacement à Bruxelles, nous ouvrons nos travaux en rencontrant des universitaires qui se sont penchés sur ces sujets. Nous accueillons donc Mme Pascale Deumier, professeure de droit à l’Université Jean-Moulin (Lyon III), et Mme Célia Zolynski, professeure de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, que nous remercions d’avoir répondu à notre invitation.

Madame Deumier, vous vous intéressez depuis longtemps aux enjeux qui préoccupent notre mission d’information. Je pense aux réflexions que vous avez menées, dans le cadre de commentaires de décisions du Conseil constitutionnel, sur les qualités de la loi, sur sa normativité, sur son objet, en principe non réglementaire, et sur son obsolescence, mais aussi à vos travaux sur la simplification par la codification à droit constant.

Madame Zolynski, vous avez en particulier réfléchi sur la méthode de transposition des directives européennes. Vous êtes l’auteure d’une thèse de doctorat sur la question, qui s’appuie sur l’exemple du droit d’auteur et des droits voisins pour proposer une nouvelle méthode de transposition.

Je vous cède à présent la parole pour un exposé liminaire d’une dizaine de minutes chacune, afin de laisser place au débat dans un second temps.

Mme Pascale Deumier, professeure de droit à l’Université Jean-Moulin (Lyon III). Je vous remercie de nous avoir invitées à évoquer avec vous ce vaste projet de simplification législative. Je ne suis cependant pas certaine que la réponse puisse venir de la science du droit. Le droit peut dire ce qu’il ne faut pas faire, mais il ne peut prescrire comment simplifier la loi ou rationaliser le flux normatif – c’est là un chantier bien plus vaste.

J’évoquerai brièvement la simplification législative en général, avant d’aborder trois des thèmes que vous nous avez suggérés, laissant le quatrième à ma collègue dont c’est la spécialité.

Il importe d’avoir une conception précise de ce qu’est la simplification législative comme de son objectif. Mme la présidente a précisé qu’il s’agissait de la rationalisation du flux, et non des autres volets de la simplification. Je ne peux qu’approuver, car en annonçant des mesures de simplification, on ne peut que décevoir. En effet, les citoyens ne percevront jamais la loi comme quelque chose de simple. Par conséquent, toutes les mesures de simplification donneront l’impression d’aboutir à un échec : le ressenti ne sera jamais celui d’un droit simple, alors que l’objectif d’un droit rationalisé, bien maîtrisé et bien pensé peut, lui, être atteint.

Il convient néanmoins de saluer tout ce qui a été fait en termes de simplification dans les dix dernières années. Les progrès sont considérables, et sans doute insuffisamment valorisés. Nous entendons toujours le discours traditionnel sur l’inflation législative, comme si les progrès accomplis n’avaient pas été intégrés dans la perception que nous avons de la loi. Il est temps, je crois, de valoriser Légifrance, les échéanciers de décrets d’application, la codification à droit constant ou encore les études d’impact.

Enfin, il serait bon que l’action de simplification législative s’applique ses propres préconisations – celles qu’elle entend appliquer au traitement de la loi. Si beaucoup a été réalisé, beaucoup a aussi été proposé, étudié ou réfléchi. L’accumulation des rapports, circulaires et propositions donne parfois l’impression de ne pas tenir compte de ce qui a été fait auparavant, et surtout de négliger les raisons de l’échec de certaines propositions. Appliquer à l’action de simplification de la loi ses propres préconisations devrait commencer par une évaluation ex post, ne serait-ce que des propositions du rapport du président Jean-Luc Warsmann sur la qualité et la simplification du droit publié en 2009. De même, il faut soumettre les nouvelles propositions à une évaluation ex ante.

J’en viens aux interrogations que vous avez formulées.

S’agissant des décrets d’application, beaucoup a déjà été fait. L’échéancier – disponible sur Légifrance – est très utile pour les utilisateurs du droit que nous sommes. Le travail de la commission du Sénat pour le contrôle de l’application des lois a également porté des fruits. En revanche, les difficultés d’application de la disposition qui prévoit que le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en application de la loi à l’issue des six mois suivant sa date d’entrée en vigueur mériteraient d’être évaluées.

Est-il possible au législateur d’aller plus loin ? Je n’en suis pas certaine, eu égard à la décision rendue le 9 avril 2009 par le Conseil constitutionnel sur la loi organique relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Cette dernière prévoyait qu’outre les mesures d’application nécessaires, l’étude d’impact devait mentionner leur contenu prévisionnel et leur délai prévisionnel de publication, disposition qui a été censurée au motif qu’elle méconnaissait le principe de séparation des compétences du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire. Cette limite me semble difficile à contourner. En revanche, l’étude d’impact doit comporter une liste des mesures d’application. Si le Parlement se saisit du contrôle des études d’impact des projets de loi, peut-être pourrait-il obtenir des explications plus substantielles sur ces décrets d’application, tout en respectant la séparation des pouvoirs.

J’en viens aux abrogations de textes. Selon moi, la règle britannique du « one in, two out » est davantage une règle de simplification pour les entreprises qu’une règle de gestion du flux normatif : il s’agit davantage de raisonner en termes de coûts et de charges pour une entreprise qu’en termes de nombre de normes existantes.

En revanche, la règle du « one in, one out » existe aussi bien en droit britannique qu’en droit français. Lors d’un colloque qui s’est tenu au Sénat en décembre dernier, le secrétaire général du Gouvernement a expliqué qu’il devait désormais suivre cette règle pour l’élaboration des décrets : chaque décret ajoutant une nouvelle règle doit en supprimer une ancienne. La règle ne signifie pas que n’importe quel texte doive disparaître lorsqu’un nouveau est publié, mais qu’il faut supprimer une règle dont le coût social, économique ou juridique est équivalent. Là encore, il serait utile de disposer d’un bilan de cette expérience.

Permettez-moi de faire deux autres observations en ce qui concerne cette idée d’une abrogation « mécanique » des textes. Quels que soient les résultats de l’expérimentation qui a été faite au Royaume-Uni, n’oublions pas que le droit français, qui forme un système complet et cohérent, est différent du droit britannique, où les textes sont davantage ciblés sur des cas précis. En France, l’abrogation d’un texte peut donc avoir des effets sur d’autres branches du droit. Nous devons garder à l’esprit cette différence culturelle.

Cette idée d’abrogation est au demeurant un vieux projet, qui date quasiment de la promulgation du code civil. Des abrogations en nombre ont eu lieu ces dernières années dans le cadre des lois de simplification. Le risque est de commettre des maladresses. C’est ainsi que l’article 639 du code de commerce a été abrogé par erreur, ou que, sans l’avis du Conseil d’État, une proposition loi de simplification aurait pu rétablir la peine des fers sur les navires ! C’est ainsi encore que l’ordonnance de la marine, que les juridictions françaises utilisaient encore régulièrement, a été abrogée dans le cadre d’une codification à droit constant. Bref, l’abrogation automatique pose parfois plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il convient donc de s’assurer que les textes anciens ont été passés en revue pour détecter les dispositions devenues incompatibles ou désuètes lorsqu’on modifie une matière. Cela peut passer par l’étude d’impact, puisque celle-ci est censée dresser cette liste.

Des progrès considérables ont été accomplis en matière d’études d’impact : la qualité et le contenu de ces dernières n’ont plus rien à voir avec les tentatives qui avaient été faites avant la révision constitutionnelle de 2008. Il est cependant un peu inquiétant qu’il ait fallu en passer par la contrainte pour que ces études deviennent une pratique : votre programme de simplification de la loi ne saurait être mis en œuvre uniquement par le recours à la modification de la règle supérieure.

Si le résultat est là, les études d’impact restent parfois décevantes sur l’étude d’options, s’intéressant davantage aux options de fond qu’aux options normatives – à savoir la réponse à la question : « est-ce vraiment une loi qu’il faut ? ». Nombre de rapports récents, dont l’étude annuelle du Conseil d’État de 2013, estiment que cette étude d’options devrait davantage envisager le recours à un droit souple. J’observe que nous n’aurons pas moins de droit pour autant. Certes, nous aurons moins de lois, mais le droit sera plus instable, plus réactif et plus difficile à connaître. Le droit souple est tout le contraire de la simplification de la loi : c’est la complexité juridique dans ce qu’elle a de plus contemporain.

Vous vous interrogez sur l’opportunité de réaliser une étude d’impact pour les normes d’origine parlementaire, à savoir les amendements et les propositions de loi. Le principe va de soi. Si l’étude d’impact n’était qu’un outil de contrôle du Gouvernement par le Parlement, elle ne serait pas adaptée à la norme d’origine parlementaire. Mais dans la mesure où elle n’est pas seulement un outil de contrôle, mais aussi un outil de qualité de la norme, il n’y a pas lieu de distinguer selon que la norme est d’origine gouvernementale ou parlementaire. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’un outil constitutionnel pensé dans une logique de séparation des pouvoirs serait ensuite utilisé dans une logique de qualité normative.

La difficulté est d’ordre pratique. Le Règlement de l’Assemblée nationale prévoit cette possibilité de réaliser des études d’impact sur des amendements ; étonnamment, il ne dit rien des propositions de loi. Sans doute en raison du problème de temps qui se poserait alors, le rapport du comité d’évaluation et de contrôle (CEC) de 2009 ne se montre guère enthousiaste à cette idée. Il est plus étonnant qu’après avoir été abordé par le premier rapport du CEC, le sujet disparaisse ensuite de ses préoccupations, à ce que j’ai cru voir, alors même qu’il préconisait un suivi et un nouveau rapport dans les six mois pour faire évoluer les critères de contrôle des études d’impact.

C’est donc un problème d’organisation matérielle. Les missions d’information font un travail équivalent à celui d’une étude d’impact, mais leur caractère ponctuel fait obstacle à une spécialisation en la matière. Quant au CEC, il ne dispose sans doute pas de moyens suffisants. Il semble donc préférable de mettre en place une structure ad hoc, avec des personnels – statisticiens, économistes, etc. – spécialement recrutés pour réaliser ces études d’impact. Dans l’ensemble, les outils existent. Il reste à s’en saisir et à travailler sur leur application effective.

Mme Célia Zolynski, professeure de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Je vous remercie d’avoir invité les universitaires que nous sommes à s’exprimer sur un sujet qui nous passionne autant qu’il nous inquiète, celui de la gestion du flux normatif.

Compte tenu des propos qui ont été tenus par ma collègue, je me concentrerai sur un point spécifique : la transposition des directives européennes dans notre ordre juridique interne. Cela me conduira néanmoins à évoquer d’autres points, dans la mesure où cette transposition est un révélateur de problématiques actuelles que l’on rencontre à l’occasion de la confection de la norme.

La transposition est l’opération par laquelle l’État membre adapte son droit national dans le délai qui lui est imparti par la directive, afin de faire produire aux dispositions communautaires leur plein effet dans son ordre interne. La France est tenue par une obligation de transposition conforme, dont l’inexécution peut être sanctionnée lourdement par la Cour de justice de l’Union européenne et qui fait désormais l’objet d’un contrôle du Conseil constitutionnel.

L’opération de transposition soulève pourtant de nombreuses difficultés, en lien avec le sujet qui nous occupe. Les difficultés au niveau européen résident d’abord dans l’analyse – qui n’est pas toujours évidente – du degré de liberté laissé aux États membres, celui-ci pouvant varier d’une directive à l’autre, voire au sein même d’une directive, ce qui a une incidence sur l’étendue des dispositions à adopter. Elles naissent aussi du caractère évolutif de l’harmonisation réalisée par la directive, qui peut être la cause de l’intempérance de la loi. Cette évolution peut d’abord résulter de l’évolution des directives elles-mêmes, celles-ci étant soumises à une clause de révision qui participe du processus d’évaluation ex post, lequel occupe une place centrale au sein du droit de l’Union européenne. En effet, les autorités de l’Union organisent un suivi de l’efficacité du texte tout au long de sa vie, ex ante et ex post, afin de garantir l’adéquation du texte aux besoins des parties prenantes.

Cette évolution peut aussi résulter de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne – dont les arrêts ont un effet erga omnes. Ses décisions doivent donc être prises en compte lors de la transposition du texte, auquel elles s’intègrent, à l’image des lois interprétatives. Mais la difficulté vient surtout du fait que ces décisions interviennent la plupart du temps après la transposition de la directive. S’intégrant au texte, elles vont alors le compléter, réaliser une sorte d’harmonisation prétorienne à marche forcée, ce qui peut remettre en cause a posteriori la bonne exécution de notre obligation de transposition, donc imposer une réforme de la loi de transposition. Il y a donc un travail de veille à effectuer pour garantir la transposition de la directive, laquelle n’est pas une opération définitive, mais diachronique, qui risque de nourrir l’intempérance de la loi.

La transposition suscite également des difficultés au niveau du droit interne. Un risque de sur-transposition a ainsi été observé – et critiqué –, notamment dans l’étude annuelle du Conseil d’État de 2006. Il a été souligné que si la transposition doit être complète, elle ne doit pas pour autant conduire à adopter des mesures nationales supplémentaires qui viendraient alourdir d’autant notre charge normative sous prétexte de transposer la directive.

Plus encore, la transposition expresse n’est pas exigée lorsqu’elle est en quelque sorte préétablie, c’est-à-dire lorsque notre droit interne est déjà conforme à la directive, notamment lorsque la solution nationale a inspiré les autorités européennes – nous en avons de nombreux exemples. Ici, le recours à la loi peut certainement être limité.

Comment procéder ? On peut appliquer un « test de nouveauté » à la disposition communautaire pour évaluer la nécessité de modifier le droit national préexistant et – dans l’affirmative – déterminer la mesure de cette modification. La disposition devrait donc être soumise à un principe de nécessité, c’est-à-dire n’être adoptée que si elle est imposée par notre obligation de transposition conforme, et uniquement dans cette mesure.

Au-delà, on pourrait encourager une obligation de motivation renforcée lors du dépôt du projet ou de son examen, lorsque l’on dépasse cette exigence de respect de nos obligations communautaires. C’est la proposition du rapport de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard sur la lutte contre l’inflation normative, qui peut être largement approuvée.

L’opération de transposition est des plus délicates lorsqu’il s’agit de bien évaluer nos obligations communautaires pour s’y conformer. Sur ce point, on a observé une vraie prise de conscience ces dernières années : la France n’est plus le « cancre » de l’Europe. Mais dans le même temps, on peut regretter que le processus de transposition connaisse les mêmes travers que ceux qui vicient l’élaboration des lois. C’est tout naturel, puisque l’opération de transposition comporte deux volets : un volet communautaire – respecter nos obligations communautaires de transposition conforme – mais aussi un volet national. Cela signifie que l’intégration de la directive ne doit pas remettre en cause la cohérence de notre droit national, tant d’un point de vue institutionnel que d’un point de vue substantiel. En quelque sorte, l’opération de transposition doit elle aussi conduire à respecter les prescriptions du « mieux légiférer ». C’est à cette double condition que l’on peut proposer une méthode de transposition rationnelle.

Compte tenu de l’ensemble de ces difficultés et de ces objectifs, on peut s’interroger sur les solutions à préconiser pour parvenir à cette gestion rationnelle du flux normatif lors de la transposition des directives. Ces solutions ont été recherchées de longue date, tant au niveau européen qu’au niveau de notre droit interne. Je citerai plus particulièrement celle qu’a préconisée le Conseil d’État dans son étude de 2006, et qui pourrait être la devise du « mieux transposer » : anticiper, adapter et simplifier.

Dans la mesure où votre mission d’information porte sur la simplification législative, sur la gestion du flux normatif, je me concentrerai sur une série de questions posées par la transposition à ces égards.

Dans quelle mesure est-il nécessaire de recourir à la loi pour transposer une directive ? Si le recours à la loi est nécessaire ou souhaitable, comment éviter l’enflure des textes, ou encore leur instabilité ?

Le choix de l’instrument de transposition par un État membre dépend à la fois du respect d’un principe d’effectivité du droit de l’Union européenne et du respect du principe d’autonomie procédurale reconnu aux États membres. Cela revient à dire que l’acte de transposition doit prendre la même forme qu’un acte qui serait adopté en droit interne pour atteindre le même objectif. Il existe ici un parallélisme des formes qui s’impose aux autorités nationales en charge de la transposition.

Comment éviter trop de lois ?

Tout d’abord, comment éviter une enflure excessive de la loi ? Il faut éviter l’ajout inutile de dispositions aux projets de textes, notamment lorsque le législateur national est tenu à une harmonisation maximale – c’est-à-dire à un « copier-coller » des dispositions communautaires. Il s’agit donc d’éviter la « sur-transposition », peut-être en recourant à une transposition « à plat » – je vais y revenir.

Il convient également d’éviter de multiples réformes, des « bégaiements » législatifs, une constante remise de l’ouvrage sur le métier. Les réticences à transposer certaines dispositions européennes donnent parfois lieu à des corrections en série. Un exemple récent concerne les pratiques commerciales déloyales, désormais sanctionnées par le code de la consommation. La directive de 2005 a été transposée par la loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite « loi Chatel », par la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008, par la loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit du 17 mai 2011, et le sera encore demain par le projet de loi sur la consommation – ou « projet de loi Hamon ». Cette harmonisation à petits pas favorise un phénomène d’enflure de la loi.

Pour atteindre nos objectifs, il faut anticiper les difficultés que suscitera la transposition de la directive au regard de notre droit positif dès la négociation des directives. Nous devons repenser le traitement de la question européenne pour aller plus loin dans l’adaptation de nos procédures administratives et parlementaires. Il faut en tout cas éviter que des arbitrages soient rendus davantage sur un fondement politique que conformément au respect du principe de primauté du droit communautaire. Certains moyens peuvent assurer cette primauté. On peut par exemple imposer une sorte d’effet cliquet écartant toute proposition de texte contraire au droit de l’Union ou remettant en cause son effet utile.

Au-delà de cette procédure propre au droit interne, il faut améliorer le dialogue entre la Commission européenne et le législateur national. Il existe déjà des échanges informels, mais il faut aller plus avant dans ce dialogue, voire recommander une diffusion plus large de communications ou de guidelines par la Commission, même si son interprétation des textes n’est pas authentique – seule l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne l’est.

Peut-on transposer en évitant la loi ? Comment le « mieux légiférer » peut-il se muer en « moins légiférer » ? Il est d’abord possible d’encourager le recours aux ordonnances, qui permet non seulement d’éviter de violer les délais de transposition – qui sont impératifs – en cas d’urgence, mais aussi d’éviter d’ajouter des dispositions au texte – notamment sous la pression des groupes d’intérêts – lors des débats parlementaires, en procédant à une transposition « à plat ». Dans la mesure où le « copier-coller » n’exige pas l’intervention du Parlement sur le fond, on pourrait encourager ce recours. Toutefois, il ne doit pas être généralisé, notamment lorsque la transposition d’une directive permet de réformer plus généralement la matière. En matière de droit de la consommation, par exemple, le texte de loi demeure l’instrument idoine pour assurer la cohérence de notre droit interne.

Sans passer outre la loi en recourant en bloc à l’ordonnance, on peut aussi tester des systèmes de législation par étapes ou par strates successives. On peut ainsi réserver à l’ordonnance les dispositions qui sont soumises à un degré d’harmonisation maximale, puisque le débat parlementaire n’est pas possible, et à la loi – pour laquelle le rôle du Parlement est fondamental – les dispositions qui poursuivent une harmonisation minimale.

On peut également s’inspirer de la méthode allemande de la « double corbeille ». Deux lois viendraient ici se succéder. Une première, adoptée rapidement, viserait à satisfaire nos obligations communautaires de transposition dans les délais ; elle intégrerait l’ensemble des dispositions d’harmonisation maximale. Une seconde, élaborée dans la durée, avec un débat parlementaire nourri, permettrait de transposer les dispositions suivant une harmonisation a minima tout en respectant la cohérence de notre droit interne.

Parmi les méthodes de transposition par étapes, on peut encore envisager de recourir à la loi – au droit « dur » – pour définir les seuls objectifs, puis au droit « mou » pour déterminer les moyens d’atteindre ceux-ci. Ce sont les prescriptions de la « réglementation affûtée » aujourd’hui prônée par la Commission européenne, qui constitue pour certains le droit « intelligent » qui permet d’éviter une instabilité du texte – puisque les normes techniques évoluent avec le droit « mou » – ou encore un texte trop bavard. C’est peut-être dans ce maillage des différentes textures de normativité qu’il faut désormais rechercher une gestion du flux normatif plus rationnelle.

Pour conclure, il est possible de retenir une méthode idoine de transposition des directives qui permette tout à la fois de respecter nos obligations communautaires et d’assurer la cohérence de notre ordre juridique. Néanmoins, il faut prendre conscience, avec le Professeur Jacques Chevallier, de la dimension mythique de ce « mieux transposer » et de ce « mieux légiférer ». La lutte contre les maux de notre production normative nationale ou communautaire repose en effet sur une part d’illusion, puisque la loi n’est pas seulement un instrument technique auquel on peut appliquer des méthodes rationnelles, mais aussi et surtout la traduction d’enjeux économiques, politiques et sociétaux dont il faut prendre la mesure. Que veut-on faire de la loi ? C’est une question à laquelle seul le législateur peut répondre – ce qui nécessite parfois un certain courage.

Mme Cécile Untermaier. Pour améliorer l’intelligibilité de la loi, et donc sa qualité, ne serait-il pas intéressant de publier à la suite du texte la liste des personnes auditionnées et de signaler, le cas échéant, les points de divergence majeurs ?

Par ailleurs, je suis frappée par le fait que les lois sont illisibles. Ne pourrait-on limiter les renvois à d’autres textes, afin de rendre leur lecture plus agréable ? Voyez-vous des obstacles à cette suggestion ?

En ce qui concerne la transposition, je vous rejoins sur la nécessité de la simplification. Le système de la « double corbeille », qui consiste à transposer a minima tout en se donnant le temps de mettre notre droit en cohérence, me semble intéressant à cet égard.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le rapporteur et moi-même estimons aussi que ce système de la « double corbeille » pourrait constituer une piste intéressante pour faire évoluer nos pratiques.

Je retiens par ailleurs de votre exposé, madame Deumier, qu’une plus grande exigence sur les études d’impact nous permettrait de répondre à bon nombre de nos interrogations.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Outre l’idée de préciser les délais de rédaction des décrets d’application dans l’étude d’impact, une autre option nous a été suggérée : elle consisterait à inclure dans chaque projet de loi un article additionnel disposant que la loi deviendra caduque si les décrets d’application ne sont pas publiés sous douze ou dix-huit mois.

En ce qui concerne la « double corbeille », quel est le délai entre le premier et le deuxième texte de loi ? N’y a-t-il aucun risque juridique dans l’intervalle ? D’autre part, il me semblait avoir entendu que certains pays faisaient le choix d’une seule « corbeille ». Pouvez-vous me le confirmer ?

Mme Pascale Deumier. S’agissant de l’intelligibilité de la loi, madame Untermaier, il me semble difficilement envisageable de publier la liste des personnes auditionnées à la suite du texte de la loi : cela risque de créer un doute sur la valeur juridique de ces éléments d’information, notamment au moment de l’interprétation. La pratique actuelle – à savoir la mise en ligne de tous les documents qui accompagnent le projet, notamment l’étude d’impact, sur les sites Internet des deux Assemblées – est sans doute préférable. Cette mise à disposition est indispensable : à l’heure où l’on pratique de plus en plus la transparence, il est important de savoir quels intérêts ont été entendus. Le rapport d’information de MM. Claude Goasguen et Jean Mallot sur les critères de contrôle des études d’impact relevait d’ailleurs que ces études mentionnent souvent à peine les personnes qui ont été auditionnées et les positions qu’elles ont défendues. Il convient donc de développer davantage ces éléments.

La limitation des renvois à d’autres textes figure déjà parmi les préconisations du guide de légistique. Le Conseil constitutionnel a déjà censuré un article de loi au motif qu’il était trop complexe : il faisait plusieurs pages et procédait presque exclusivement par renvois. Cet article, qui concernait les niches fiscales, disposait que l’on ne pouvait dépasser un certain pourcentage d’abattement en cumulant différentes niches fiscales. Il renvoyait donc à chaque texte relatif à ces niches. Mais si l’on ne peut procéder par renvoi pour ce type de dispositions, cela signifie que l’article doit reprendre intégralement chacun des dispositifs en question – ce qui ne va pas sans poser problème.

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est ici qu’un avis du Conseil d’État pourrait être intéressant. En l’état actuel des choses, nous autres parlementaires sommes obligés de faire confiance à l’exposé des motifs. Disposer de l’avis du Conseil d’État rendrait sans doute les articles du texte plus « lisibles ». Tout au moins, cela nous donnerait davantage confiance dans l’exposé des motifs.

M. le rapporteur. Je crois savoir que cette question fait l’objet d’une querelle de doctrine.

Mme Pascale Deumier. Les études d’impact sont le « point de contrôle » de tout ce qui peut être fait en matière de simplification législative. Tout ce qui vous intéresse – explications, abrogations, décrets d’application – est en effet censé y figurer. En outre, elles peuvent maintenant être contrôlées par les parlementaires. Non seulement elles permettent de « centraliser » toutes les préoccupations de qualité normative, mais elles constituent aussi un moyen de contrôle. C’est donc le point d’ancrage le plus important.

Quant à l’idée de prévoir une caducité de la loi si les décrets d’application ne sont pas publiés dans un certain délai, elle rappelle une disposition de la loi de simplification de 2011 : toutes les dispositions de loi qui attendaient leurs décrets d’application depuis plus de trois ans et pour lesquelles les ministères ont confirmé qu’ils ne les prendraient pas ont été abrogées. C’est donc la loi qui a disparu faute de décrets d’application. Du point de vue de la sécurité juridique, c’est préférable pour le citoyen ; il est en effet incompréhensible qu’un texte de loi qui a été voté ne soit pas appliqué. En revanche, cela a l’inconvénient de laisser entre les mains de l’auteur des décrets d’application le pouvoir de décider du sort de la loi.

M. le rapporteur. Il l’a déjà.

Mme Pascale Deumier. Certes. Mais tant que la loi est là, il est tout de même censé prendre les décrets d’application ; la saisine du Conseil d’État peut donc constituer un moyen de pression. Si le texte de loi disparaît, il n’y a plus de pression possible – donc plus d’obligation.

Mme la présidente Laure de La Raudière. On peut prévoir un délai dans lequel les députés ou les sénateurs pourraient saisir le Conseil d’État pour demander la publication des décrets d’application – pouvoir qu’ils utilisent très rarement. Cela rendrait la procédure complète.

Personnellement, j’ai eu du mal à faire supprimer l’article 18 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) – adoptée en 2004 – dont le décret d’application n’avait pas été pris. J’ai dû négocier avec le Gouvernement pour obtenir qu’il s’en remette à la sagesse de l’Assemblée : l’administration, qui estimait que la disposition en question pourrait peut-être servir un jour, ne voulait pas la supprimer.

Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec vous : nous devons garder le pouvoir de saisir le Conseil d’État.

Mme Célia Zolynski. En ce qui concerne la publication de la liste des personnes entendues dans le cadre de l’élaboration d’un projet de loi, nous pouvons nous inspirer du droit de l’Union européenne : la Commission européenne publie en effet sur son site Internet les résultats de ses consultations ; on retrouve là la pratique du sourcing, très en vogue dans les contributions collaboratives sur Internet, qui participe du mécanisme de la démocratie participative. On connaît aussi les risques d’instrumentalisation et de gestion statistique de ces réponses. C’est donc sous ces réserves que cet exemple peut être pris en compte.

J’en viens aux délais de transposition définitive et au mécanisme de la « double corbeille ». Il semble en effet nécessaire de recourir à une seule « corbeille » – ou une seule loi – lorsque la directive poursuit un objectif d’harmonisation maximale. Dans ce cas, aucune liberté n’est laissée aux États membres – on est presque plus proche du règlement que de la directive. On a ici tout intérêt à transposer « à plat ». La plupart des États membres ont d’ailleurs recours à cette transposition « mécanique », qui évite des « gesticulations » inutiles et une perte de temps.

En revanche, la « double corbeille » peut être fort utile lorsque la directive poursuit dans son ensemble un objectif d’harmonisation minimale – ne définissant que les objectifs à atteindre, laissant toute liberté aux États membres quant aux moyens d’y parvenir – ou lorsqu’elle est « binaire », certaines dispositions limitant strictement la liberté des Etats membres et d’autres leur laissant une grande marge de liberté. En ce cas, on pourrait commencer par transposer « à plat » toutes les dispositions d’harmonisation maximale, éventuellement en recourant aux ordonnances, puis transposer les objectifs fixés par la directive – qui s’imposent. Ceux-ci pourraient être complétés par la suite dans la deuxième « corbeille ». Cela laisserait le temps de réfléchir au meilleur moyen – seconde loi ou recours au droit « mou » – de transposer. Cela permettrait de prendre en compte les éventuelles interprétations de la Cour de justice de l’Union européenne – on pourrait même solliciter une intervention plus rapide de sa part sur ces questions d’interprétation, voire des avis sur les difficultés d’interprétation prégnantes. Cela permettrait aussi de prendre en compte les évolutions de la technique. Je pense par exemple à la transposition de la directive sur le commerce électronique – qui date de 2000 – par la loi LCEN que vous avez évoquée, madame la présidente. Les pratiques ayant beaucoup évolué depuis cette date, nous sommes en proie à de vraies difficultés. Une mise en cohérence a posteriori permettrait peut-être d’adapter les principes de la directive pour atteindre au mieux les objectifs fixés. C’est ce qu’a fait l’Allemagne avec le système de la « double corbeille ». Elle a réformé le droit d’auteur en deux temps, d’abord en transposant la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, puis en réformant le droit d’auteur. Je pourrai vous faire parvenir plus de précisions à ce sujet si vous le souhaitez.

Le risque de disparition existe bien sûr dans l’intervalle, monsieur le rapporteur. Il faut donc faire preuve d’une volonté politique forte. Mais nous devons affirmer celle-ci si nous voulons à la fois gérer le flux normatif et assurer la cohérence de notre droit interne.

M. le rapporteur. Combien transposons-nous de directives chaque année ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Beaucoup des textes que nous avons adoptés récemment – le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, le projet de loi sur la consommation – comportaient des dispositions transposant des directives.

Mme Célia Zolynski. En effet. Mais on peut aussi observer des « wagons » entiers de transposition de directives par blocs.

Mme Cécile Untermaier. Le rapporteur propose que la loi prévoie elle-même qu’elle deviendra caduque si ses décrets d’application ne sont pas pris dans un délai de douze ou dix-huit mois. Je le rejoins sur l’objectif. Néanmoins, je crains que nous ne nous tirions une balle dans le pied : dans cette hypothèse, il suffirait en effet que le Gouvernement refuse de prendre les décrets d’application pour que la loi disparaisse. À la réflexion, je pense que l’abrogation de la loi que le législateur a votée ne peut être automatique. En revanche, il faut pouvoir contraindre le pouvoir réglementaire : il n’est pas normal qu’il puisse faire obstacle à l’application de la loi. Mieux vaut donc renforcer notre pouvoir de contrainte. Pour ma part, je souhaite que les décrets d’application soient présentés avec le projet de loi.

M. le rapporteur et Mme la présidente Laure de La Raudière. Ce n’est pas possible.

Mme Pascale Deumier. Dans la mesure où le texte évolue au cours de la discussion parlementaire, les décrets d’application ne peuvent être préparés avant qu’il ne soit adopté.

Mme Cécile Untermaier. Du moins pourrait-on avoir une idée de ce qui y figurera. On ne peut tout renvoyer au décret sans explication.

Mme Célia Zolynski. Lors du travail de transposition, une réflexion est justement menée dans les différents ministères et en interministériel sur les dispositions qui figureront dans la loi et sur celles qui relèveront du décret. Même si le décret n’est pas préparé dans son intégralité, l’essentiel est déjà pensé.

Mme la présidente Laure de La Raudière. L’étude d’impact peut fournir des éléments.

M. le rapporteur. Il y a des cas d’espèce. La directive européenne sur les études d’impact en matière de droit de l’urbanisme est l’exemple de ce qu’on peut faire de pire. Kafka lui-même est dépassé : on a transposé la directive en y rajoutant des dispositions ; le décret a fait de même, en laissant subsister une latitude d’interprétation aux préfets ; et maintenant, l’Union européenne souhaite la revoir ! Bref, c’est un capharnaüm. Indéniablement, il y a une réflexion à conduire sur la méthode.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous vous remercions pour cet échange très intéressant.

*

* *

La mission d’information procède enfin à l’audition de MM. Philippe Sassier et Dominique Lansoy, auteurs d’Ubu loi (Fayard, mars 2008).

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur Sassier, monsieur Lansoy, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. La mission d’information sur la simplification législative, que je préside, se concentre davantage sur le flux normatif que sur le stock, lequel fait plus précisément l’objet de la mission confiée par ailleurs par le Président de la République à notre rapporteur, M. Thierry Mandon.

Vous vous êtes efforcés de faire prendre conscience aux politiques, aux institutions et aux citoyens de l’inflation normative qui suscite aujourd’hui de la part des derniers un rejet préjudiciable au fonctionnement de notre société.

M. Philippe Sassier. Je suis pétri d’humilité après avoir entendu les universitaires qui nous précédaient décortiquer devant vous les problèmes juridiques avec un soin d’horloger. Si le coauteur de notre livre Ubu loi, M. Dominique Lansoy, est professeur de droit à l’université, je ne suis quant à moi nullement juriste, mais journaliste économique – d’abord aux Échos, puis au Figaro, à Antenne 2 et à France 2.

C’est en m’efforçant de comprendre pourquoi et comment disparaissaient en France des activités économiques – commerces, restaurants, maraîchers, paysans, petits hôtels, artisans – et dépérissaient des produits utilisés depuis des siècles – comme les concombres et les tomates, qui se voient imposer des formes et des couleurs par les règlements de Bruxelles –, en même temps qu’éclataient les scandales du poulet à la dioxine ou de la vache folle que m’est venue l’idée de ce livre et de son titre. J’ai alors demandé à Dominique Lansoy de m’épauler dans cette recherche.

Ce livre avait une vocation quelque peu pamphlétaire et c’est dans la même veine que je vais m’exprimer devant vous.

Tout l’esprit du livre est présent déjà dans son premier chapitre, qui expose les démêlés du comte Paul de La Panouse avec les administrations à propos d’un permis de construire demandé pour son parc animalier de Thoiry, ouvert en 1968. M. de La Panouse, qui a créé de nombreux emplois permanents et saisonniers, contribuant à animer un village dans une zone située entre la grande banlieue parisienne et la campagne et donnant un élan à l’activité touristique de ce village, nous a confié qu’un tel projet ne serait plus possible aujourd’hui, compte tenu des normes, règlements, directives, lois et textes divers qui se sont accumulés depuis quarante ans. Il ne s’agit pas là d’un cas unique.

Voilà quarante ans, le président Georges Pompidou déclarait en termes un peu crus, devant l’avalanche de textes qui commençait à se déclencher : « Cessez d’emmerder les Français ! » Il n’a pas été entendu, et encore moins écouté. La machine s’est emballée et, dans tous les domaines, les lois et textes se sont multipliés, tant en France qu’en Europe.

À mesure que les pouvoirs publics et politiques se sont affaiblis et ont laissé lobbies, groupes d’intérêts, syndicats et groupuscules prendre le pouvoir, les lois se sont multipliées – on légifère parfois pour tenter de dissimuler une certaine faiblesse politique. L’inflation législative va de pair avec l’inflation fiscale et administrative. Lois, normes, règlements, décrets, interdictions, mais aussi impôts, taxes, strates administratives, nombre de fonctionnaires et d’élus – la France bat des records européens en la matière – sont les ingrédients d’un même problème : celui de la complexification d’un État de plus en plus obèse et impotent.

Peu à peu, la ve République se transforme – je pèse mes mots – en république bananière et corrompue. Il suffit pour s’en convaincre de lire les journaux ou French Corruption, un livre récent consacré à ce qui se passe autour de Paris – la complexité conduit forcément à la corruption. Nous sommes en train de découvrir que « trop de loi tue la loi », comme « trop d’impôt tue l’impôt ». Le citoyen a progressivement perdu de sa liberté, comme l’a récemment noté l’écrivain Michel Houellebecq, s’étonnant à son retour en France, après un long séjour à l’étranger, d’y trouver moins de liberté pour les citoyens qu’il n’y en avait avant son départ.

Les activités économiques aussi disparaissent peu à peu, étouffées par cette gangue législative, normative, fiscale et administrative – je crois d’ailleurs, monsieur le rapporteur, que vous n’êtes pas impliqué seulement dans la simplification législative, mais aussi dans la réforme des collectivités territoriales. Il faut parcourir la France, traverser des villages et des petites villes pour saisir l’ampleur du problème. En passant de France en Allemagne, on est saisi de constater l’activité qui règne de l’autre côté de la frontière par rapport à notre pays, où la mort gagne peu à peu nos régions – comme à Lignières, petite ville du Cher où j’étais voici quelques jours et qui meurt doucement, et comme dans combien d’autres villes encore !

Les gouvernements successifs ont bien compris le mécanisme pervers qui s’est mis en route et, depuis des années, annoncent une baisse des dépenses publiques, un contrôle de la dette, une baisse des impôts, une simplification administrative et législative et, sous un nom ou sous un autre, promettent un choc de compétitivité et de simplification. Mais, s’ils ont compris ce mécanisme, ils ne le maîtrisent plus. Le dernier chapitre de notre livre, intitulé « Bavard et Pétochet », renvoie dos à dos Lionel Jospin et Jean-Pierre Raffarin, deux premiers ministres successifs qui ont dit exactement la même chose, promettant de relancer la compétitivité et de simplifier la vie des Français et des entreprises, et qui n’ont rien fait ni l’un ni l’autre. En dix ans, la France a perdu près d’un million d’emplois industriels.

La simplification des lois doit aller de pair avec celle des impôts, des collectivités locales, des administrations, comités, commissions et directions, c’est-à-dire de l’ensemble des mécanismes permettant ou empêchant de diriger la France. Le titre d’un article paru dans le numéro d’hier du Canard enchaîné, « Hollande dans le maquis de la simplification », conviendrait aussi bien à M. Chirac ou à M. Sarkozy. Comme l’observe le Canard, les normes et les élus font de la résistance – chacun est favorable à ce que soit supprimé le canton voisin, mais pas le sien. Il y a des années qu’on parle de simplifier les strates des collectivités locales.

Cette simplification, je le redis, ne se fera pas par une diminution du nombre de textes de loi, de taxes, de fonctionnaires, de régions, de départements, de commissions ou de comités Théodule. Elle exige probablement que l’État redéfinisse son rôle par rapport aux régions et à l’Europe. Il s’agit là d’une réflexion majeure pour faire entrer la France dans une Europe qui change et dans une mondialisation qu’on n’arrêtera pas.

Einstein disait qu’il y avait trois bombes : la bombe atomique, celle de la population et celle de la pauvreté. Deux de ces bombes nous éclatent à la figure : c’est cela, la mondialisation. On peut certes la modifier, car elle est parfois allée trop loin, mais il nous faut entrer dans un monde qui compte huit milliards d’hommes, contre deux milliards au début du siècle dernier et un milliard en 1800, et où la population de la planète s’accroît chaque année de 80 millions d’hommes supplémentaires. Si nous n’y entrons pas, nous serons engloutis.

Il est présomptueux, j’en suis conscient, de vous dire que l’État doit penser à redéfinir son rôle, mais j’ai été journaliste et j’ai toujours aimé dire ou écrire ce que je ressentais. J’étais payé pour être curieux et je le suis resté : c’est la raison pour laquelle je m’exprime ainsi devant vous, sur un ton légèrement caricatural, mais aussi avec cœur et un peu de colère.

On sent bien que nous arrivons à la fin d’une époque, à la fin d’un processus, avec la recherche d’une nouvelle politique à gauche comme à droite, et pas seulement en France – il suffit de penser à la montée des régions ou à ce que nous observons au Royaume-Uni et en Espagne. Il est temps non seulement de comprendre les mécanismes, comme l’ont fait tous les présidents qui se sont succédé, mais d’agir sur eux.

Si elle s’inscrit dans un ensemble de simplifications à opérer dans tous les domaines, la simplification législative peut probablement servir de guide et de boussole à cette réflexion sur l’État. Qui fait quoi ? Qui décide quoi ? Qui tranche ? Qui est responsable ? On ne le sait plus vraiment. Le pouvoir a été balkanisé – « ventilé », « éparpillé façon puzzle » pour le dire à la manière des Tontons flingueurs. Il est à l’Élysée, car tout y remonte, mais il est aussi parfois dans les communes – les Français y tiennent beaucoup et leur désamour épargne au moins leurs maires.

Il faut cesser de légiférer sur tout et n’importe quoi, d’empiler textes nationaux et européens, de légiférer pour répondre à une émotion surgie au journal de 20 heures, pour flatter son ego en donnant son nom à une loi ou pour faire croire aux citoyens que l’on s’occupe d’eux et que l’on gouverne.

J’espère que la fin des mandats multiples, dénoncés par de nombreux experts que nous avons rencontrés comme l’une des causes de l’inflation législative et de la mauvaise qualité des lois, ainsi que de leur inutilité, permettra d’améliorer le travail législatif. Sans doute faut-il aussi, comme cela se pratique en Finlande et à l’inverse de l’antagonisme qui prévaut en France, institutionnaliser les liens et les échanges entre élus nationaux et européens.

La simplification, dans tous les sens du terme, n’est pas seulement un impératif économique, mais aussi un objectif politique majeur. La complexité et son cortège associant la dette, le déficit, le chômage, une croissance bridée et la corruption menacent non seulement la vie des citoyens et l’activité économique, mais aussi notre démocratie – car j’en ai la conviction : au même titre que la dette dénoncée par l’ancien ministre Alain Lambert dans son livre Déficits publics, la démocratie en danger, la complexité des lois est un danger pour notre démocratie, et pas seulement en France.

M. Dominique Lansoy. Lorsque M. Philippe Sassier m’a demandé si la complexité et l’excès des lois et des normes qu’il observait dans le domaine économique se faisaient aussi sentir dans les métiers du droit, je lui ai répondu qu’il en allait bien de même. Chez les praticiens du droit, les magistrats téléphonent aux universitaires, les avocats aux magistrats et les magistrats aux avocats en quête d’éclaircissements sur des lois qu’ils maîtrisent mal. C’est au point qu’en 2006, le bâtonnier de Paris, Me Yves Repiquet, a créé au sein du conseil de l’Ordre de Paris un poste d’avocat référent pour suivre l’évolution législative et normative, afin que les avocats – voire les magistrats, mais je n’ai presque pas le droit de le dire – trouvent un interlocuteur qui puisse les renseigner.

La première alerte remonte à 1991, lorsque le Conseil d’État a appelé l’attention du législateur sur le nombre des lois et, surtout, sur leur qualité. La deuxième est venue en 2006, alors que M. Renaud Denoix de Saint-Marc était vice-président du Conseil d’État, avec le rapport de Mme Josseline de Clausade, réquisitoire féroce contre l’inflation normative. La troisième alerte a été, en 2007, le rapport du Conseil d’État dont M. Jean-Marc Sauvé est le nouveau vice-président.

Les reproches formulés sont tout d’abord le nombre excessif de lois et de normes – décrets, circulaires, transcription de textes communautaires et production normative des autorités administratives indépendantes –, puis le fait que les lois soient mal écrites et bavardes, parlant de choses et d’autres, et enfin qu’elles soient inapplicables : une étude réalisée par le Sénat a montré que 24 % des lois votées dans les années 1997-1998 l’étaient totalement et 21 % partiellement, soit un total de 45 % ; pour les années 2004-2005, selon le Conseil d’État, la proportion était respectivement de 35,4 % et de 27,1 %, soit un total de 62,5 % !

Je conclurai en revenant à des principes simples. Tout d’abord, le législateur n’a pas à s’occuper de choses sans importance – c’est là un adage de droit romain : De minimis non curat praetor. Ensuite, la loi ne peut que permettre, ordonner ou interdire – pour reprendre des termes employés en 1801 par Portalis dans son Discours préliminaire du premier projet de code civil. Pour ce qui est, enfin, de la longueur des textes, je rappelle que, selon Edgar Faure, président de l’Assemblée nationale, une bonne loi devait faire une page et demie – ce qui fut du reste démenti en novembre 1968 par sa loi d’orientation de l’enseignement supérieur, qui inaugurait la série des lois d’une centaine de pages.

Mme Cécile Untermaier. Ces propos qui nous accablent ne font en même temps que renforcer notre détermination à changer les choses. Nous sommes convaincus de la nécessité d’améliorer le travail législatif et de notre capacité à y parvenir. Du reste, ce travail ne mérite tout de même pas une trop grande sévérité. La loi suit en effet la complexification du monde et nous avons déjà évoqué des orientations qui devraient nous rassurer.

Vous avez souligné à très juste titre qu’il fallait tenir compte à la fois des régions, de la France et de l’Europe, et que les députés nationaux et européens ne savaient pas travailler ensemble. Il nous faut assurément travailler en amont de la directive et de la loi française. Tout cela est cependant loin d’être hors de notre portée et il n’y a pas lieu de céder à la morosité en considérant que nous serions impuissants. Une étude d’impact très sérieuse, permettant de fonder la nécessité et l’utilité de la loi, peut contribuer à améliorer la situation.

Il faut aussi, vous avez raison, abandonner son ego en entrant à l’Assemblée nationale, car la satisfaction d’attacher son nom à une loi peut contribuer à l’inflation législative.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Messieurs, je vous remercie de votre témoignage, même dans sa vérité brutale : vous dites avec vos mots ce que nous avons lu dans Le Monde d’avant-hier sur l’accablante défiance des Français face à l’état de leur démocratie.

Les choses bougent cependant et notre modeste mission entend contribuer à ce mouvement. La volonté de réagir contre l’univers lourd et complexe que vous décrivez transcende les clivages politiques et un consensus émerge sur la nécessité de nous attaquer à l’hydre et sur le fait que nous pouvons, dans la durée, y parvenir sans que ses têtes repoussent.

Pouvez-vous préciser la source des données chiffrées que vous avez citées ?

M. Dominique Lansoy. Il s’agit des travaux du Conseil d’État et du Sénat, notamment des tableaux complémentaires des lois votées par le Sénat dans les années 1997-1998 et 2005-2006.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il devient clair, à vous entendre, que la simplification législative n’aura de sens et de portée que si elle s’étend à bien d’autres domaines. Gauche et droite travaillent conjointement depuis des années à cette tâche, mais nous n’aurons fait un bon travail que si le citoyen constate des modifications concrètes dans sa vie quotidienne. Tant que ce travail reste partiel, il revient à vider des seaux pendant que d’autres se remplissent – ou à pomper comme les Shadoks !

M. Dominique Lansoy. Vous avez des armes pour contrôler la loi, à commencer par celles que vous donnent les articles 34 et 37 de la Constitution.

On trouve parfois dans la loi des absurdités extraordinaires. M. Sassier a ainsi relevé qu’une loi sur la montagne commençait par affirmer que la loi reconnaît la montagne, formule que le Conseil constitutionnel, tout en reconnaissant son inutilité, n’avait du reste pas lieu de censurer, car elle n’était en rien inconstitutionnelle. Dans la même veine, une loi précise que la personne désireuse d’obtenir certaine autorisation doit s’adresser à l’autorité compétente et que, si cette autorité se déclare incompétente, elle devra s’adresser à l’autorité compétente…. !

Le Parlement peut restreindre ces excès. Pratiquez donc, comme nos étudiants, la contraction de texte : les choses en seront plus lumineuses.

M. Philippe Sassier. Les parlementaires doivent demander à Bruxelles de changer ses pratiques. J’espère que ce sera le cas après le mandat de M. Barroso, car l’Europe est aujourd’hui trop loin des citoyens. La première simplification devrait consister dans l’application du principe de subsidiarité. Il n’est pas normal, en effet, que les lois qui s’appliquent à l’agriculture soient les mêmes de la Sicile au Danemark et que Bruxelles décide de la courbure des concombres. Il faut clarifier des compétences respectives de l’Europe, de l’État et des régions. Pour ce qui concerne la vie des citoyens, il faut absolument, je le répète, relancer la subsidiarité.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à 12 heures 45.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Mandon, Mme Cécile Untermaier.

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Matthias Fekl, M. Pierre-Yves Le Borgn’.