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Mercredi 23 mars 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur l’article 173, avec la participation de M. Jochen Krimphoff, WWF France, (Fonds mondial pour la vie sauvage) ; Mme Marie-Pierre Peillon, présidente du Comité IR (investissement responsable) de l’Association française de gestion ; M. Sébastien Raspiller et M. Jérôme Brouillet, direction du Trésor ; M. Benoît Leguet, directeur général de l’Institut de l’économie pour le climat I4CE ; M. Hugues Chenet et M. Stanislas Dupré, 2° Investing Initiative ; M. Xavier Bonnet, chef du service économie, évaluation et intégration du développement durable (SEEIDD) au Commissariat général au développement durable (CGDD) ; M. Pascal Dupuis, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique, et M. Pierre Brender, chargé de mission au bureau « politique climat et atténuation », direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ; M. Laurent Clamagirand, directeur de la stratégie d’investissement du groupe AXA ; M. Jean-Paul Bouchet, président de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) ; Mme Anne-Catherine Husson-Traoré, Novethic

Mission d’information commune sur l'application de la loi n° 2015-992
du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte

La Mission d’information commune a entendu, lors d’une table ronde sur l’article 173, M. Jochen Krimphoff, WWF France (Fonds mondial pour la vie sauvage) ; Mme Marie-Pierre Peillon, présidente du Comité IR (investissement responsable) de l’Association française de gestion ; M. Sébastien Raspiller et M. Jérôme Brouillet, direction du Trésor ; M. Benoît Leguet, directeur général de l’Institut de l’économie pour le climat I4CE ; M. Hugues Chenet et M. Stanislas Dupré, 2° Investing Initiative ; M. Xavier Bonnet, chef du service économie, évaluation et intégration du développement durable (SEEIDD) au Commissariat général au développement durable (CGDD) ; M. Pascal Dupuis, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique, et M. Pierre Brender, chargé de mission au bureau « politique climat et atténuation », direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ; M. Laurent Clamagirand, directeur de la stratégie d’investissement du groupe AXA ; M. Jean-Paul Bouchet, président de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) ; Mme Anne-Catherine Husson-Traoré, Novethic.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Avant de commencer, je vous informe que nous avons prévu d’organiser trois autres tables rondes. Sur les compteurs déportés « Linky » et « Gazpar », nous réunirons les représentants des réseaux, ERDF et GRF, mais aussi les acteurs plus institutionnels et les opposants au déploiement de ces compteurs, le 11 mai à 16 heures 30 ; sur les dispositions relatives aux bâtiments, une réunion aura lieu le 17 mai à 16 heures 30 ; sur le point de vue d’organisations non gouvernementales sur l’ensemble de la loi, une réunion aura lieu le 31 mai à 16 h 30. Ces tables rondes seront publiques.

Compte tenu de l’ordre du jour de l’Assemblée du 30 mars, qui porte sur AREVA et sur le financement de la filière nucléaire, auquel les membres de la mission participeront largement, il n’y aura pas de réunion à cette date.

Je suis heureux d’accueillir les participants à notre table ronde. Dans la mesure où vous avez répondu très nombreux à l’invitation de la mission, je vous propose d’organiser les débats de manière à éviter de longs monologues et aller à un dialogue utile, qui permette d’identifier ce qui dans la loi, fonctionne bien ou ne fonctionne pas bien : c’est l’objet de la mission. Dans un premier temps, chacun disposera de deux ou trois minutes pour se présenter et dire, le cas échéant, sur quels éléments il souhaite mettre l’accent, mais sans entrer dans les détails. Puis se tiendra le débat de fond, mené par le rapporteur et ceux de nos collègues qui souhaitent intervenir.

M. Jochen Krimphoff, WWF France (Fonds mondial pour la vie sauvage). Je voudrais d’abord vous présenter les excuses de M. Pascal Canfin, retenu par un déplacement à l’étranger qui était prévu de longue date. Dans des fonctions antérieures, il avait contribué à l’adoption de la disposition légale sur laquelle nous nous penchons aujourd’hui.

Deux volets retiennent plus particulièrement l’attention de WWF : la mise à disposition d’informations par les différents acteurs et l’approche par classe d’actifs, actions ou obligations.

Mme Marie-Pierre Peillon, présidente du Comité IR (investissement responsable) de l’Association française de gestion. Je suis aussi directrice de la recherche de Groupama asset management, où je m’occupe de questions financières et extra-financières depuis de longues années.

Sur l’article 173, j’ai eu de nombreux échanges avec la direction du Trésor, en amont de la publication du décret. Aujourd’hui, je reçois de nombreuses questions de la part des sociétés de gestion sur la manière de mettre en place cet article. Pour ces dernières, à la différence des investisseurs institutionnels, il y a eu déjà l’article 224 de la loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle II, portant engagement national pour l’environnement. L’article 173 en constitue un prolongement qui nous pousse à nous interroger sur un mode opératoire. Nous apprécions que le cadre défini soit suffisamment souple pour que nous nous posions nous-mêmes certaines questions, plutôt que de nous voir imposer des critères.

M. Benoît Leguet, directeur général de l’Institut de l’économie pour le climat I4CE. L’article 173 offre, en effet, un cadre souple et flexible, un espace de dialogue. J’appellerai cependant l’attention sur deux points.

D’abord, il faut que cet article soit assez efficace, tant en externe, vis-à-vis des investisseurs, qu’en interne, vis-à-vis des entreprises, pour influer sur la définition de leur stratégie. Ensuite, s’agissant de la perception du signal envoyé par l’article 173, l’objectif est d’avoir une vision claire de la transition énergétique à long terme et des points de passage rendant crédibles les risques liés au climat.

M. Laurent Clamagirand, directeur de la stratégie d’investissement du groupe AXA. Représentant à la fois un investisseur institutionnel et un gestionnaire d’actifs (asset manager), j’aborderai surtout la partie institutionnelle, AXA étant un groupe assez visible sur ce sujet depuis les interventions, remarquées, de notre président Henri de Castries.

J’évoquerai deux points. D’abord, intégrer des éléments de vision et de projection dans la construction cohérente de portefeuilles d’investissement avec des objectifs environnementaux n’est pas tâche facile. Ensuite, j’insisterai sur l’intégration de cette loi dans un cadre plus large, puisque le groupe AXA fait partie du Conseil de stabilité financière (CSF ou Financial stability board) qui réfléchit à ce sujet. La France est en avance en ce domaine : elle joue sans doute un rôle de précurseur, mais il faut tenir compte de ce décalage avec le paysage financier international, dans la perspective des travaux du CSF dont je vous parlerai brièvement.

M. Stanislas Dupré, 2° Investing Initiative. Notre laboratoire d’idées (think tank) travaille sur les questions d’intégration des objectifs climatiques dans les pratiques d’investissement et la réglementation afférente. Il compte une vingtaine de personnes dans différents centres financiers à travers le monde. Nous pilotons des projets internationaux avec des acteurs tels que Standard and Poor’s, Kepler, pour la France, ou encore l’Université d’Oxford. Il s’agit de créer des outils et des méthodes pour appliquer la loi, en particulier de mesurer l’impact financier sur des actions ou obligations par des simulations de crise climatique. Nous nous penchons aussi sur l’alignement des portefeuilles avec les objectifs climatiques.

En partenariat avec le ministère de l’environnement, nous organisons en fin d’année la remise d’un prix à l’investisseur qui aura présenté le meilleur reporting au regard des critères posées par l’article 173. Nous voulons ainsi favoriser l’émergence de bonnes pratiques.

À cet égard, j’insisterai sur le gros décalage entre les objectifs de la loi et les meilleures pratiques actuelles des investisseurs. Il y a un énorme besoin d’innovation qui ne va pas pouvoir être satisfait naturellement. Les pratiques les plus répandues correspondent à des modèles établis depuis dix ans et qui ne répondent pas aux objectifs de la loi, car ils ne sont ni des indicateurs, ni des méthodes d’évaluation des risques, ni des instruments permettant de financer la contribution au financement de la transition énergétique. Pour le Gouvernement, comme pour le législateur, il faut arriver à faire émerger de nouvelles pratiques innovantes dans un cadre où les méthodes soient, au moins dans une certaine mesure, comparables.

M. Sébastien Raspiller, direction du Trésor. Je suis accompagné de Jérôme Brouillet. La direction du Trésor a été chargée de rédiger le décret d’application de l’article 173, en particulier de son VI. Nous pourrons témoigner de l’expérience concrète que fut l’élaboration d’un texte réglementaire d’application de la loi prenant en compte les composantes d’effectivité et de praticabilité des dispositions. Celles-ci recouvrent une thématique extrêmement vaste que la Conférence de Paris sur le climat (COP21) est venue préciser par la suite. Cette conjonction de calendrier a donné une importance accrue à la capacité de prendre en compte toutes ces composantes nationales et internationales dans l’élaboration du texte d’application.

M. Xavier Bonnet, chef du service économie, évaluation et intégration du développement durable (SEEIDD), au Commissariat général au développement durable (CGDD). Le ministère de l’environnement a contribué à la déclinaison réglementaire de l’article 173 pilotée par le Trésor. Nous travaillons également avec nos collègues sur les aspects méthodologiques liés à l’évaluation de l’empreinte carbone. De concert avec la place financière de Paris, nous réfléchissons à la meilleure manière d’élaborer une méthodologie partagée.

Par-delà le recours à des dispositions législatives, il paraît possible de créer un label « Transition énergétique et écologique pour le climat » qui canalisera la finance vers des objectifs climatiques.

M. Pascal Dupuis, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique, direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). La direction générale de l’énergie et du climat cultive une sensibilité holistique sur tous les sujets de l’énergie et du climat. Je pourrai vous apporter des informations sur la stratégie nationale bas-carbone, qui a été publiée le 15 novembre 2015, ainsi que des éléments sur la « finance carbone ».

Mme Anne-Catherine Husson-Traoré, Novethic. Nous pouvons, quant à nous, vous apporter un éclairage sur la façon dont les investisseurs, dans le monde entier, commencent à élever le climat au rang de leurs paramètres clés d’investissement, et sur l’articulation des promesses contenues dans l’article 173 avec ce mouvement d’ensemble international.

Je pourrai également vous parler de notre expérience de labellisateur. Puisque nous avons été officiellement désignés auditeurs du label « Transition énergétique et Climat» (TEC), nous pourrons donner notre point de vue sur la façon dont les acteurs financiers intègrent aujourd’hui des paramètres environnementaux, mais aussi des paramètres sociaux.

M. Denis Baupin, rapporteur. L’article 173 n’était pas prévu dans le projet de loi initial. Il est issu d’un amendement que notre collègue Arnaud Leroy – qui vous prie d’excuser son absence cet après-midi – et moi-même avons déposé dans le contexte de la COP21. Tout ce qui peut contribuer à internationaliser les solutions au défi climatique mérite d’être favorisé, puisqu’il ne s’agit pas d’un problème franco-français.

Je vous propose que nous sériions les questions, dans notre discussion.

Comment rendre la loi la plus utile possible ? Il faut pour cela des textes d’application, tels des décrets, mais une démarche particulière est également indispensable. Il convient de répondre aux attentes des acteurs. Nous voulions que le texte trouve une traduction concrète et applicable, sachant qu’il traite de questions difficiles à traduire dans la réglementation. Poser le principe du reporting n’est pas tout ; encore faut-il définir les outils à mettre en œuvre concrètement, que ce soit en matière d’empreinte carbone, de cibles à atteindre, de trajectoire ou de mutualisation des démarches des uns et des autres.

Le texte réglementaire ne doit pas forcément tout encadrer. Les acteurs ayant des démarches différentes, une approche unique n’avait pas de sens. C’est pourquoi le décret a retenu une démarche progressive. Cela implique toutefois de veiller à ne pas se perdre en route : d’autres sujets pourraient retenir l’attention, les habitudes perdurer ou le volontarisme perdre son élan.

Comment conserver l’impulsion donnée par ces incitations ? Comment aussi maintenir une observation extérieure susceptible d’en tirer régulièrement les enseignements ?

Je propose de traiter d’abord du VI de l’article, qui fait déjà l’objet d’un décret.

M. Stanislas Dupré. Nous avons l’impression que le décret n’était pas facile à rédiger, mais que le résultat obtenu est satisfaisant. Le décret ne constitue, toutefois, qu’une pièce d’un puzzle parmi d’autres en forme de points d’interrogation.

La loi est très innovante. Elle a été remarquée par le volontarisme qui caractérise le lien entre ses objectifs et les politiques publiques de gestion du risque financier lié aux changements climatiques et à la transition énergétique, d’une part, et aux pratiques d’investissements supportant les objectifs climatiques, d’autre part.

Après l’élan volontariste du législateur, les investisseurs doivent se saisir de cette question. Jusqu’à présent, leur motivation reposait à 95 % sur le souci d’asseoir leur réputation et de cultiver leurs liens avec les associations environnementales. Il n’y a pas d’objectif concret de gestion d’un risque financier ou de contribution à la transition énergétique.

Lorsque naît une nouvelle réglementation, on laisse généralement les acteurs créer des démarches et approches propres à remplir ses objectifs. Aujourd’hui, on en est loin. Le secteur privé de l’investissement est en plein paradoxe « de l’œuf et de la poule » : pour que les fournisseurs de services et de données développent une offre innovante, ils attendent une demande claire, un marché. Or la loi n’a pas créé cette demande, les entreprises, à leur tour, sont attentistes.

Le flou qui entoure son application et l’ambition dont témoignent les investisseurs la concernant ne permet pas aux agences de notation, comme Standard & Poor’s ou Moody’s, de voir émerger une demande pour des services permettant de mettre en œuvre la loi. Aujourd’hui, l’analyse et les données sont systématiquement sous-traitées ; vous ne trouverez pas de gestionnaire d’actifs qui mette tout en œuvre en interne pour appliquer la loi. Une action s’impose donc pour structurer l’offre, qui ne passe pas forcément par la réglementation.

Mme Marie-Pierre Peillon. Il n’est pas anodin que la loi relative à la transition énergétique ait été adoptée en 2015. Une prise de conscience s’observe chez tous les investisseurs et asset managers, et non plus seulement chez les plus gros. La COP21 et le discours prononcé, le 29 septembre 2015, par le gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre, Mark Carney, sur l’impact que pourrait avoir le désastre climatique sur la stabilité financière y ont contribué. Sans conteste, nous sommes plus avancés sur ce sujet qu’il y a deux ans. Il s’agit maintenant de ne pas perdre cette impulsion.

Un des « plus » du décret est que les gestionnaires d’actifs et les investisseurs sont poussés à communiquer sur ce qu’ils font, à reporter, donc à apporter une transparence qui n’existait pas au préalable. L’intérêt est qu’ils peuvent le faire de manière souple, au moins pendant les deux premières années. Chaque acteur est ainsi placé face à ses responsabilités, dans une approche « comply or explain » (appliquer ou expliquer).

Pour les membres de l’AFG, le plus gros défi concerne le reporting, qui procède encore d’approches méthodologiques trop différentes. Cela pose le problème de la fiabilité et de la disponibilité des données, qui ne sont pas comparables entre elles. Aussi conviendra-t-il, dans les années qui viennent, de travailler sur cette fiabilité des reportings. Ce peut être l’un des objectifs de la task force ad hoc au sein du G20. Aujourd’hui, on dispose d’une multitude de données, car la loi permet à chacun d’exprimer tout ce qu’il veut faire ressortir. Au sein de l’AFG, un groupe de travail rassemble les contributions des asset managers pour voir, in fine, s’il est possible de définir un cadre général de reporting.

M. Laurent Clamagirand. C’est, en effet, un sujet compliqué. Nous sommes de ceux qui ont publié l’empreinte carbone. Parmi ces acteurs, une majorité a donné une information incomplète, concernant uniquement les actions et pas les obligations. Du reste, une fois l’empreinte carbone publiée, il est difficile de savoir qu’en faire. Il est malaisé de prendre une décision en vue de diminuer l’empreinte carbone, dont la mesure est vraiment très imparfaite. Il faudra donc du temps avant que société d’assurances, gestionnaires d’actifs ou institutionnel se mettent d’accord sur une méthode fiable de prise de décision sur cette base.

Comment peut-on construire un portefeuille cohérent avec des objectifs de deux degrés ou moins ? C’est compliqué. Je connais les méthodes déployées par 2° Investing Initiative. Si nous les appliquons toutes sur tous les portefeuilles, nous aurons un vrai problème pour nous chauffer et avoir de l’électricité dans cette pièce. On peut y recourir de manière marginale, mais pas à l’échelle macro-économique, ou alors il ne sera pas possible de financer l’économie.

Comment sortir de l’impasse ? Sans doute en adoptant une démarche prospective, et en observant l’évolution des investissements dans le temps plutôt qu’en cherchant à obtenir une photo du budget carbone d’un portefeuille à un instant donné. Comme gestionnaire d’une masse d’actifs d’un volume de 550 milliards d’euros, je ne suis pas capable de déterminer si 850 milliards sont cohérents avec un objectif de deux degrés, et je n’en serai pas davantage capable à la fin de l’année. Marginalement, certes, je sais lancer des actions qui vont dans le bon sens. En diminuant la part du charbon dans un portefeuille, je marque bien sûr des points, mais qu’en est-il de la sidérurgie ? Combien de points est-ce que je marque alors ? Faut-il distinguer entre les divers types de sidérurgies ? On est encore loin de pouvoir estimer le gain en degré que nos actions auront permis de réaliser à la fin de l’année.

M. Benoît Leguet. Il est bon, en effet, de voir les choses dans une perspective dynamique. L’accord de Paris prévoit qu’il faut arriver à des émissions entropiques nettes zéro avant la fin du siècle. C’est un horizon très loin pour les investisseurs, mais pourtant très proche. Au cours des soixante-quinze ans qui nous en séparent, il conviendra d’observer la déformation des portefeuilles dans le temps. Pour que l’objectif soit globalement atteint, il faut, plus ou moins, que chacun l’atteigne à son échelle. Cela aiderait les gestionnaires d’actifs et investisseurs de savoir que certaines technologies et certains modes organisationnels ne sont pas compatibles avec la stratégie climatique. Il faudra donc miser sur les sauts à la fois technologiques et organisationnels.

Mme Anne-Catherine Husson-Traoré. Tout ce que nous venons d’évoquer est lié à l’accord de Paris et à la trajectoire d’une augmentation de la température universelle limitée à deux degrés.

Le IV de l’article 173 fait le lien entre l’investissement responsable et la gestion du risque carbone. Les institutionnels assujettis à l’article 173 doivent faire du reporting en fondant leur analyse sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Cette grille de lecture est très éloignée de leur base de référence. Le décret d’application relatif au IV sera ici déterminant. Il faudrait éviter d’avoir à constater une situation aussi absurde que celle de l’investissement socialement responsable (ISR) et de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui se sont développés pendant quinze ans en suivant deux lignes parallèles alors qu’ils procèdent de la même démarche.

En tout état de cause, si la Caisse des dépôts et consignations veut tenir son objectif de réduction d’émissions de son portefeuille à hauteur de 20 % d’ici à 2020, il faut que les entreprises dont elle est actionnaire engagent elles-mêmes cette démarche. Tout repose ainsi sur les obligations des uns et des autres.

Malheureusement, il n’y a pas de reporting fiable et comparable au sein d’un même secteur, ni même au sein d’une même entreprise, d’une année sur l’autre. Aux États-Unis, les investisseurs ont engagé un mouvement d’adoption de résolutions climatiques, qui exigent davantage d’information et de reporting sur la consommation énergétique et l’empreinte carbone des entreprises. Cette initiative évolue vers l’exigence du respect d’une augmentation nette nulle ou d’objectifs définis de manière scientifique (science-based targets). Peut-être est-ce une base sur laquelle nous pourrons construire.

Il conviendra de réfléchir à la reconversion de certains business models qui sont invalidés par cette approche. Même le groupe français Total, qui avait jusqu’ici échappé à l’adoption de résolutions spécifiques par son assemblée générale, a dû s’engager à faire un reporting climatique ad hoc dès 2016. Il sera intéressant de voir comment un groupe emblématique français met en œuvre ce genre d’engagement.

M. Denis Baupin, rapporteur. Que peuvent répondre à ces questionnements les représentants du Trésor qui ont tenu la plume pour dessiner la solution élégante d’une démarche progressive ? Le décret fixe les échéances à 2018 ; d’ici-là, quels outils peuvent être mis en place avec les acteurs ?

M Sébastien Raspiller. Dans le cadre de cette démarche en effet progressive, l’établissement d’un bilan après deux publications a pour objectif d’inciter les acteurs à s’impliquer.

L’une des raisons qui a milité en faveur de ce choix souple, disons plutôt flexible, c’est qu’il n’existe, à ce stade, aucune méthodologie absolument convaincante, à tout le moins suffisamment, pour pouvoir être appliquée par tout le monde. De fait, les uns et les autres découvrent le sujet, même si des avancées rapides s’observent çà et là. J’ai le sentiment que le rôle de l’administration est de mettre du liant entre les acteurs pour favoriser une progression homogène.

Sur le plan international, nous voudrions aussi éviter que chaque pays adopte un cadre différent, ce qui compliquerait la tâche des investisseurs institutionnels français, qui ont souvent un rayon d’action international. C’est pourquoi nous attachons beaucoup d’importance au fait que le Financial Stability Board (FSB), dirigé par Mark Carney, travaille à l’homogénéisation des données publiées.

En tout état de cause, nous nous félicitons de ce que la France soit identifiée comme un pays un peu en avance sur cette question, car cela lui permet d’exercer une influence sur les solutions à adopter. Dans cet esprit, notre décret n’impose donc pas un cadre, mais se lit plutôt comme une invitation à réfléchir. Il engage les acteurs à s’impliquer pour développer des outils pertinents et utiles à tous. Le bilan permet à la fois de conserver l’impulsion intacte tout en laissant le temps d’apporter des améliorations dans ce délai ambitieux et rapide de deux ans.

M. Denis Baupin, rapporteur. Quels outils vous sembleraient utiles pour parvenir, dans deux ans, à l’homogénéisation des données du bilan ?

M. Sébastien Raspiller. Nous avons les outils législatifs et réglementaires nécessaires. L’homogénéisation me paraît devoir procéder d’une initiative des associations professionnelles. Dès lors que des acteurs qui font le même métier, tels les gestionnaires d’actifs et les assureurs, se posent les mêmes questions, il peut être pertinent de commencer par élaborer des guides pratiques donnant des lignes directrices. Pour des questions d’ordre général, cela devrait pouvoir se faire ; pour les points de détail, il est certain que l’homogénéisation parfaite de tous les reportings ne sera pas atteinte. On peut se demander, en particulier, si nous parviendrons à avoir une vision claire de l’empreinte carbone.

Un article du décret prévoit que les autorités de contrôle, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’Autorité des marchés financiers (AMF), assument pleinement la responsabilité de la mission de vérification qui leur est confiée par la loi. Nous partageons avec l’AMF la mission de protéger l’épargne des Français. Il faut que l’information donnée soit juste, alors que les méthodologies sont naissantes et en devenir. Les deux ans de délai seront utiles pour effectuer des tests : certaines les subiront avec succès, d’autres pas. Sur certains points très précis, la sanction viendra de la pratique.

Mme Marie-Pierre Peillon. Au sein du comité IR de l’AFG, nous allons établir une liste de questions que toutes les sociétés de gestion se posent. Le but est de diffuser auprès d’acteurs disposant de moyens limités l’expérience d’acteurs plus en avance et de définir in fine une approche commune.

En parallèle, un deuxième groupe de réflexion s’intéresse à toutes les initiatives de reporting prises au niveau international. Le but est de croiser, dans une approche pragmatique, les actions menées chez les acteurs français et les évolutions constatées à l’étranger.

Il faut se donner du temps. La conjonction de ces deux approches devrait aboutir à une méthodologie un peu plus pratique. Reste, néanmoins, la question de la fiabilité des données.

M. Stanislas Dupré. J’ai insisté, au départ, sur l’importance de la dimension progressive, parce que nous avons besoin d’innovation. Reste qu’il faut tout de même savoir quand nous voulons atteindre notre objectif, c’est-à-dire appliquer la loi. Si vous avez rendez-vous demain matin à Marseille, vous n’irez pas à vélo. Certes, vous progresseriez dans la bonne direction, en faisant beaucoup d’efforts, mais pour arriver à l’heure, mieux vaut prendre le train.

Aujourd’hui, tout le monde constate que les méthodes ne sont pas au point. Très peu d’investissements ont été consacrés à les améliorer, et ils sont quasi exclusivement publics. La question est de savoir comment financer l’innovation dans ce domaine, mais aussi de s’assurer que les acteurs innovent. Il me semble que bien des travaux consistent à observer ce qui se passe à des fins d’harmonisation, mais pas vraiment à s’assurer qu’il se passe quelque chose.

L’un des objectifs de la loi est d’évaluer le risque financier lié à un portefeuille. Comme le soulignait Laurent Clamagirand, la plupart des investisseurs institutionnels sont très exposés sur des obligations. Aujourd’hui, les seuls à produire de l’information en la matière sont Standard & Poor’s, Moody’s ou Fitch. La semaine dernière, Moody’s et Standard & Poor’s m’ont dit que, sans une demande claire et nette de la part d’investisseurs pour acheter ces informations, ils ne mettraient rien en œuvre. La situation pourrait rester bloquée pendant les trois à cinq prochaines années. Il serait donc utile de discuter d’une masse critique d’investisseurs et de clients potentiels qui, en étant susceptibles d’adresser une demande claire à ces agences, les inciteraient à mettre en œuvre des démarches d’innovation.

M. Jochen Krimphoff. J’appelle votre attention sur le calendrier. Tout va se passer cette année : beaucoup d’initiatives sont prises à l’international ; les premiers résultats de la présidence chinoise doivent être délivrés avant l’été. Les choses vont s’accélérer, et si nous attendons trop, nous allons peut-être rater ce train que nous aurions dû prendre pour Marseille.

En particulier, nous risquons de tomber dans les travers du reporting RSE. Juste avant la COP21, un grand cabinet d’audit a publié un bilan des scores climatiques des entreprises au niveau mondial. Vingt ans après la création des premiers rapports RSE, le constat est assez accablant. Cette étude montre clairement un manque de cohérence dans les informations relatives au carbone fournies par les grandes entreprises mondiales, au point qu’il est presque impossible de comparer les performances de l’une à l’autre. Si nous nous donnons trop de temps, nous allons peut-être passer à côté de l’objectif.

Ce calendrier serré, entre FSB, G20 chinois et éventuellement G20 allemand, pourrait donner un coup d’accélérateur dont il serait sans doute utile de profiter au niveau français.

M. Laurent Clamagirand. S’agissant du FSB, on parle d’une mise à la consultation publique début 2017. Nous avons essayé d’influencer la discussion au FSB. S’agissant du champ le plus large possible, j’ai demandé quel serait le champ couvert et appelé à ne pas sacrifier les autres classes d’actifs que les actions – c’est l’essentiel de notre gestion. Il n’a pas non plus été évident de parler de l’information forward looking, pour avoir une idée de ce que pourrait être les normes dans le futur. Au moins ces deux points figurent-ils aujourd’hui à l’agenda de la task force du FSB, même si je ne peux pas vous dire si nous arriverons à une conclusion satisfaisante.

Est également sur la table aujourd’hui l’intégration, dans le reporting, du reporting financier, des métriques en plus du qualitatif, ce qui permettrait d’avoir des chiffres que l’on peut espérer agréger un jour. Je ne vois pas comment, en tant qu’investisseurs, nous pourrons prendre les bonnes décisions tant que ne sera pas intervenue la normalisation de l’information donnée par les entreprises. Sans doute devrons-nous avoir des ambitions modestes au début, s’agissant de ce que nous allons pouvoir mesurer, et reconnaître que cela prendra du temps – peut-être trop pour M. Dupré, mais il faut être réaliste.

Mme Marie-Pierre Peillon. À vouloir aller très vite, on risque de créer des bulles sur certains marchés, par exemple celui des green bonds. Aujourd’hui, c’est un petit marché qui ne représente même pas 50 milliards d’encours. Si tout le monde oriente son allocation de portefeuilles vers les green bonds, on risque de créer des bulles. Mieux vaut prendre le temps de réfléchir ensemble plutôt que de se diriger tous en même temps vers un marché peu profond et peu liquide.

Jusqu’à présent, les agences de notation financière ne se sont absolument pas intéressées à l’approche ESG (Environnement Social Gouvernance). Un certain nombre d’institutions et d’asset managers sont beaucoup plus en avance qu’elles en la matière. Les agences de notation extra-financière ont, quant à elles, une autre approche. L’idée serait de les faire davantage travailler ensemble et de rapprocher les deux modèles. Finalement, les agences de notation financières viennent voir ce qui se passe chez nous et, comme cela a été dit, elles l’intégreront dans leur business model quand elles pourront en tirer des fees.

Mme Anne-Catherine Husson-Traore. L’article 173 s’adresse à une population extrêmement hétérogène dans son degré d’acculturation. Un nombre non négligeable d’institutions ne sont pas aussi mobilisées sur la rédaction de lignes directrices que semble l’espérer M. Raspiller. Certains acteurs et membres de ces associations ne comprennent même pas le concept de risque climatique, d’investissement responsable et d’intégration de l’analyse ESG. La grande masse ne sait absolument pas de quoi il s’agit, et a vaguement entendu parler de la démarche de la Caisse des dépôts et d’AXA, qui relève, selon elle, de l’aventure. On ne peut donc pas mettre sur la même ligne d’évaluation ce genre d’acteurs qui vont, par définition, prendre du temps, et ceux qui, par exemple, dans le cadre de la COP 21, ont pris des engagements chiffrés et fixé des objectifs, dans la logique que Stanislas Dupré appelait de ses vœux.

Nous avons appris qu’une obligation de reporting peut théoriquement créer l’obligation d’élaborer une stratégie – c’était l’idée de l’article 116 de la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE). Mais ce qui a été démontré, c’est que cela ne fait que créer d’autres obligations de reporting¸ qui aboutissent, au bout de dix ans, à un reporting boursouflé dont on ne sait toujours pas à quoi il sert. 

La mise en œuvre de l’article 173 doit permettre, au moins à ceux qui ont commencé à le faire, de valoriser leurs stratégies d’objectifs et d’identification des risques, et qu’ils soient « challengés » sur leur capacité à avoir traduit leurs engagements en faits. C’est une petite communauté de gens, très facilement identifiables puisqu’ils ont signé de nombreuses initiatives publiques. Je peux d’ores et déjà parier que le rapport de 2018 fera état d’un décalage entre les pionniers qui auront fait, non sans difficulté, ce qu’ils auront dit, et la grande masse des investisseurs en attente des lignes directrices nécessaires.

M. Stanislas Dupré. Être rapidement normatif sur les méthodes est très différent d’être normatif sur les choix d’investissement des investisseurs. Avancer très vite en termes de méthode ne signifie pas qu’on est obligé d’investir « plus vert » tout de suite, mais qu’on sait ce dans quoi on investit et quels sont les risques qui y sont associés.

Il est très important, pour les députés et le Gouvernement, de tirer les leçons du reporting dans les entreprises : pendant dix ans, elles ont fait du reporting pour faire du reporting, et l’espoir suscité parmi les observateurs vétérans des débuts – dont je fais partie – a été déçu. C’est pourquoi je défends une logique consistant à trouver des raccourcis pour atteindre l’objectif. Si l’on s’en tient à l’esprit d’aujourd’hui, il faudra un an pour déterminer les bons indicateurs au niveau des entreprises. Puis le FSB et d’autres émettront des recommandations sur lesquelles les entreprises commenceront à s’aligner. Le temps d’avoir une couverture suffisante de l’univers d’investissement d’un investisseur, on peut en avoir pour cinq à dix ans – et je suis optimiste. Le temps, en plus, que les investisseurs s’en emparent et que l’infrastructure de traitement de données des agences de notation intègre ces éléments, la durée totale peut être portée à quinze ans.

En essayant de comprendre comment aligner un portefeuille avec des objectifs climatiques, on s’est rendu compte que, finalement, les informations dont nous avions besoin étaient déjà disponibles et qu’elles ne venaient pas du reporting des entreprises. Il était plus simple d’utiliser des bases de données qui exploitent des données industrielles. C’est ainsi que nous avons trouvé un raccourci qui nous aurait fait économiser dix ans de reporting, puisque ces bases de données existaient déjà.

Il serait donc intéressant de s’interroger sur le calendrier que nous souhaitons ainsi que sur la possibilité de trouver des raccourcis et les moyens à mobiliser pour « atteindre Marseille » plutôt que de savoir à quelle vitesse pédaler pour y arriver à vélo.

M. Jochen Krimphoff. Je suis moins pessimiste que ma voisine s’agissant des obligations vertes. Pour la seule année 2015, les émissions sont de l’ordre de 51 milliards, et on s’attend au double pour cette année. Il y a là une opportunité, notamment sur le marché à taux fixe, puisqu’il y a plus d’informations disponibles sur les actifs sous-jacents, ce qui est plutôt rare sur le marché des obligations.

Il existe aussi, sur ce marché, un besoin de normalisation, de standardisation des informations. C’est peut-être là la clé pour avancer. Je ne pense pas qu’on puisse parler d’un effet de bulle puisque les volumes, qui représentent moins de 0,1 % du marché total de la dette, restent modestes. Sait-on jamais, une émission souveraine émanant d’un gouvernement de cette planète pourrait intervenir cette année et changer la donne, en ouvrant la voie et apportant plus de transparence sur ce marché, qui représente l’essentiel des actifs des investisseurs institutionnels.

M. Denis Baupin, rapporteur. Nous avons entendu les interrogations s’agissant de la méthodologie, du rythme, de l’information. Nous en tiendrons compte.

Passons au IV de l’article, pour lequel le décret serait, avons-nous entendu dire, en préparation. Les représentants du Trésor et du CGDD pourraient nous dire où en est l’élaboration de ce décret, et les autres acteurs nous donner leur avis ?

M. Sébastien Raspiller. Le Trésor est également chargé de la rédaction du décret d’application du IV de l’article 173. Nous avons lancé une large consultation sur les différentes possibilités techniques concrètes. Nous avons eu plusieurs dizaines de retours de la part d’organisations non gouvernementales, d’entreprises ainsi que d’experts dont des commissaires aux comptes. Nous sommes en train de décortiquer les réponses. Sur certains sujets, le consensus est plus immédiat que d’autres. Nous les creusons, car cette consultation innovante ne portait pas sur un texte déjà rédigé. Un projet de rédaction émergera probablement dans les prochaines semaines, qui sera suivi d’une nouvelle phase de consultation. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, car j’attends la validation de mes autorités.

M. Denis Baupin, rapporteur. Dites-nous en un peu plus sur les sujets, qu’ils soient consensuels ou pas.

M. Sébastien Raspiller. Tout ce qui touche à l’économie circulaire est très consensuel, alors qu’il y a une hétérogénéité d’interlocuteurs, bien sûr, sous réserve de la rédaction que nous proposerons.

En ce qui concerne la prise en compte de l’impact sur le changement climatique, une partie de la société civile a des attentes évidentes. Les réponses marquent un soutien pour cette démarche, y compris au sein des entreprises qui en comprennent l’intérêt mais souhaitent qu’on leur soumette des propositions qu’elles peuvent imaginer pouvoir réaliser.

Cette consultation a permis d’aborder certaines thématiques susceptibles de recevoir des échos favorables et permettant peut-être de trouver une voie pertinente entre l’ambition de la loi et sa matérialisation.

M. Stanislas Dupré. Au vu de la consultation, il me semble que deux dimensions peuvent être distinguées dans le IV. L’une concerne ce que l’on attend des entreprises en matière de reporting sur leur impact carbone. L’autre tient à la cohérence entre la partie IV et la partie VI, à travers la communication, de la part des entreprises, d’informations permettant d’évaluer les risques financiers liés à leur exposition à la transition énergétique et au climat.

À ma connaissance, la consultation ne portait pas sur cette dimension, et je ne sais pas ce qui est prévu dans ce domaine. Le constat que nous faisons, c’est que la dynamique, aujourd’hui, au sein de la task force du FSB, porte essentiellement sur les informations que doivent fournir les entreprises pour informer de l’analyse du risque. En tout cas, le discours de Mark Carney est axé sur cet aspect.

Le VI insiste sur cette dimension d’évaluation du risque. Que va-t-on demander aux entreprises sur ce point, sachant que le fait de donner des informations sur les émissions de CO2 ne permet pas d’évaluer le risque ?

M. Jochen Krimphoff. Il ne faut pas sous-estimer le rôle des commissaires aux comptes qui ont un devoir de conseil auprès de leurs entreprises clientes. Ce point est valable pour le reporting à la fois des entreprises et des investisseurs institutionnels. Somme toute, les commissaires aux comptes doivent se prononcer sur la sincérité et la concordance des informations avec les comptes financiers de chacune des entreprises.

Là aussi, le calendrier sera un élément important. Concrètement, si le décret sort après la parution annuelle du mémento de comptabilité le plus utilisé par les professionnels, aucun comptable ne se préoccupera de cette question. Nous aurons donc perdu une année et la cuvée du reporting 2016 ne sera peut-être pas tout à fait à la hauteur des attentes.

Pour ces raisons, il faut impliquer les acteurs, les informer, certes, par la consultation, mais aussi faire de la formation, et leur rappeler l’importance du rôle qu’ils ont à jouer auprès de leurs clients.

M. Benoît Leguet. Nous avons la même problématique avec le IV qu’avec le VI. C’est même pire, du fait de la diversité des acteurs.

Les investisseurs ont, qu’il s’agisse du IV ou du VI, un rôle à jouer dans le « service après-vente », en s’assurant que l’information qui leur est donnée est utile, le meilleur indicateur étant que les investisseurs engagent un dialogue avec les entreprises. Pour infléchir la stratégie des entreprises, il convient de poser les bonnes questions, pas simplement de faire du reporting pour le plaisir de faire du reporting et de mettre des chiffres dans des cases. Lancer le dialogue, cela veut dire, pour des investisseurs, envoyer des questionnaires aux entreprises. Et si certaines demandes peuvent paraître stupides, demander à son investisseur comment améliorer les choses, c’est un début de dialogue.

Mme Anne-Catherine Husson-Traore. Nous avons fait paraître, hier matin, une note de veille sur la façon dont les entreprises abordent la double question de l’efficacité énergétique, donc de la consommation d’énergie, et des émissions de gaz à effet de serre. Il y a aujourd’hui, à l’échelle mondiale, des secteurs entiers où plus de la moitié des entreprises ne communiquent aucune donnée. La Caisse des dépôts a rapporté, sur ce point, un travail qu’elle a mené avec des entreprises du SBF 120 (Société des bourses françaises), sous le sceau de la confidentialité. Cela vous donne une idée du contexte dans lequel se rédige le décret lié au IV. Même quand la demande d’informations sur la trajectoire et la façon dont est géré le risque carbone vient d’un investisseur tel que la Caisse des dépôts, la réponse est d’une bien piètre qualité. C’est d’autant plus surprenant lorsqu’il s’agit de secteurs qui devraient être, en théorie, pleinement concernés par ce sujet, notamment dans des domaines liés à l’énergie.

S’agissant du IV, je ne dirai pas que les entreprises n’ont jamais entendu parler du sujet, comme certains investisseurs. Tout l’enjeu est donc de leur faire comprendre que, pour leurs actionnaires ou acheteurs d’obligations, c’est un sujet de valorisation qui est intégré par les directions financières. Il y a un énorme travail à faire en la matière, car, aujourd’hui, les responsables RSE sont rarement en lien avec les responsables des relations investisseurs dans les très grandes entreprises. Il y a des road shows spécifiques à l’investissement socialement responsable pour certaines entreprises, mais ils sont en nombre limité. Il est très difficile, dans les modes d’organisation actuels des relations entre investisseurs et entreprises, de faire émerger ce sujet comme un élément concret et déterminant dans la décision d’investir.

M. Laurent Clamagirand. Quand nous avons vu arriver les questionnaires de la Caisse des dépôts, nous nous sommes effectivement demandé combien nous allions en recevoir. Mais ce fut le seul, et nous y avons répondu avec soin. Il est vrai, toutefois, qu’on ne peut pas répondre à chaque institution qui poserait ces questions de manière bilatérale.

Dans l’industrie de l’asset management, de plus en plus de groupes se forment pour entamer le dialogue avec, par exemple, l’industrie pétrolière ou l’industrie automobile. Les questions qu’ils posent sont parfois intelligentes, parfois énervantes pour les entités interrogées, mais elles visent à comprendre l’orientation du business model par rapport à la transition énergétique. Pour notre part, nous sommes souvent partants, avec notre asset manager, pour participer à ces groupes. Il faut qu’ils soient les plus larges possible pour donner plus de poids vis-à-vis des institutions.

Mme Marie-Pierre Peillon. Cela relève de l’engagement actionnarial, pratique pour laquelle nous sommes en retard par rapport aux anglo-saxons. Il faut que nous avancions. Des démarches collectives sont effectivement en train de se mettre en place. Il faut savoir que, du côté des asset managers et au plan individuel, une démarche d’engagement actionnarial est très lourde à mettre en place. Il ne suffit pas d’envoyer un questionnaire, il faut également assurer un suivi, puisqu’un échange doit s’établir avec l’entreprise.

De leur côté, si les entreprises reçoivent trop de questionnaires, elles ne prendront pas la peine de répondre, ayant déjà ceux des agences de notation et ceux des investisseurs. Il faut donc avoir une démarche collective d’engagement actionnarial, non une démarche individuelle d’asset manager.

M. Denis Baupin, rapporteur. Je me tourne à nouveau vers le représentant du Trésor pour qu’il nous indique le calendrier prévisionnel concernant la suite de la consultation et la deadline pour sortir le décret.

M. Sébastien Raspiller. L’objectif, pour le Trésor, est de pouvoir envoyer sa proposition au Conseil d’État d’ici à la fin du mois d’avril. Nous sommes maintenant dans la dernière ligne droite. Cette première consultation en amont sur un texte pas encore rédigé, qui constitue une méthodologie innovante pour l’administration, doit nous permettre d’avancer. Ensuite, l’examen en Conseil d’État prendra environ un mois. C’est donc l’affaire d’une dizaine de semaines.

L’engagement actionnarial est aussi un sujet de discussion au niveau européen. Nous avons, par exemple, des débats sur les agences de conseil en vote. Pour notre part, nous souhaitons que le dialogue actionnarial existe et soit le plus direct possible. L’intermédiation peut être tout à fait utile, et je ne dénigre absolument pas les agences de conseil en vote, mais il nous semble nécessaire qu’il y ait, en la matière, une appréhension directe, tant de l’actionnaire que de l’entreprise.

Je n’ai rien contre Moody’s ou Standard & Poor’s, mais je rappelle qu’en 2008, au moment de la crise financière, nous avons souhaité, au niveau international, moins dépendre des trois agences de notation. Aussi, quand j’entends parler d’appréhension du risque sur les instruments financiers, sans prise en compte du risque climatique, alors qu’on a vu, en 2008, ce que cela pouvait donner, je considère que la démarche proposée par le VI est bonne puisqu’elle permettra d’identifier les bonnes solutions en invitant tout le monde à la réflexion sur cette question.

M. Denis Baupin, rapporteur. En tant que mission de suivi de la loi de transition énergétique, nous souhaiterions avoir les ébauches de vos travaux suffisamment en amont de leur transmission au Conseil d’État, pour avoir le temps de les examiner et de vous faire part de notre sentiment.

La loi prévoit, d’ici à décembre 2016, un rapport sur le V qui concerne les banques et établissements de crédit. Ce qui nous intéresse n’est pas tant le rapport que la démarche engagée à cette occasion. Les travaux sont-ils déjà lancés, et quel est votre sentiment sur cette mise en application de la loi ?

M. Sébastien Raspiller. Le Trésor s’est rapproché de la Banque de France et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Un groupe de travail a été constitué et prévoit de mener des auditions afin d’avoir une vision claire d’ici à l’automne, et d’être en capacité de délivrer le rapport en temps et en heure. L’intérêt de ce rapprochement, c’est que ces autorités de contrôle sont indépendantes et qu’elles exercent leur mission de surveillance financière dans un cadre communautaire. Une loi nationale sur un sujet d’ordre climatique n’étant pas dans leur ADN initial, la dimension internationale est très utile. J’ajoute que l’implication du FSB et le message de Mark Carney sont très importants et bien intégrés.

Pour notre part, nous essayons de faire preuve d’un plus grand pragmatisme qu’à l’époque du reporting RSE pour éviter le syndrome « je coche la case, donc, j’ai fait le travail ». L’ACPR et la Banque de France ont déjà signalé publiquement leur grand attachement à cette démarche.

Ce groupe de travail est ce que j’appellerai le « premier étage » dans le calendrier, qui prévoit un aboutissement en fin d’année. Nous en sommes à un stade plus en amont par rapport au décret du VI, qui est déjà sorti, et à celui du IV, qui est en cours.

M. Denis Baupin, rapporteur. Nous avons demandé un rapport parce que nous avions conscience qu’il y avait, en effet, des implications internationales et que nous ne pouvions pas tout régir avec la loi française. Avez-vous le sentiment que la prise en compte de cette démarche progresse au niveau international et que les Français ont un rôle d’impulsion utile, ou bien est-elle considérée comme un « truc » avec lequel les Français embêtent le monde ?

M. Sébastien Raspiller. En ce qui concerne le VI, par exemple, nous avons eu de nombreux témoignages d’intérêt de la part d’autres pays qui disent réfléchir aussi à la question, mais sont perplexes, dans un domaine où, de notre côté, nous avons l’air d’avoir fait quelque chose. Pour nous, comme pour tout le monde, d’ailleurs, il y a un véritable intérêt à ce que cela fonctionne.

En ce qui concerne le V, le discours de Mark Carney est tout à fait fondateur en disant qu’il y a tout intérêt à prendre en compte le risque, au cas où il se matérialiserait. La valorisation charbon, par exemple, a un impact sur le portefeuille, et le gestionnaire d’actifs qui y aurait été exposé complètement fait défaut. Derrière, les autorités sont concernées parce qu’il faut traiter le problème des épargnants qui n’ont pas leur argent.

Au niveau international, des voix comme celle de la France mais aussi plus anglo-saxonnes – dans le monde de la finance, réalisme oblige, ce n’est pas inutile – participent à susciter une prise de conscience. Hélas ! les régimes juridiques sont extrêmement différents entre le monde anglo-saxon et le monde continental. La matérialisation concrète, sur l’aspect juridique, entre le devoir fiduciaire et notre règle de droit plus continentale, doit donc pouvoir être prise en compte au niveau international.

Il ne faut pas imaginer que le modèle anglo-saxon devra dominer et être appliqué en France. Il faut pouvoir progresser sur ces deux jambes que sont le droit continental et le droit anglo-saxon. La common law est plus flexible sur certains aspects, mais nous avons aussi des avantages législatifs à faire valoir. Les secteurs bancaires sont sous le coup d’une transformation réglementaire massive. Tout l’enjeu est de leur faire comprendre qu’on n’ajoute pas à l’avalanche de textes réglementaires par plaisir, mais qu’il y a là un élément important à prendre en compte dans la gestion de leurs risques.

Nous en sommes au début. Je ne dis pas que c’est évident, mais il est très utile que le sujet ait acquis une dimension internationale via le FSB. Le gouvernement français l’a beaucoup poussé au moment de la COP21, et le ministre s’en était entretenu avec Mark Carney. Certains pays sont encore peu allants, mais, dès lors que nous aurons atteint une masse critique suffisante, je ne doute pas que le mouvement sera irréversible.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci pour votre participation à cette table ronde qui montre qu’il s’agit bien d’un enjeu majeur de la loi.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information commune sur l'application de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du mercredi 23 mars 2016 à 16 h 30

Présents. - M. Denis Baupin, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Marc Goua

Excusés. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Alain Leboeuf