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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 9 décembre 2014

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 58

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, Président

– Communication du Président Jean-Yves Le Déaut sur le calendrier 2015 2

– Audition de M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique, sur la fin de vie 5

– Présentation des conclusions de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST, relatives à l’audition publique du 25 septembre 2014 sur « Le tournant énergétique allemand : quels enseignements pour la transition énergétique française ? » 22

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 9 décembre 2014

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président

La séance est ouverte à 16 h 30

– Communication du Président Jean-Yves Le Déaut sur le calendrier 2015

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’Opecst. – Chers collègues. Cette réunion va illustrer la diversité des sujets dont l’Office a la charge, puisque le cœur de l’ordre du jour concerne la bioéthique, avec l’audition de M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique, sur la délicate question de la fin de vie; mais, auparavant, nous allons aussi évoquer des auditions publiques sur la recherche agronomique, sur la recherche médicale et, aussi, après le départ de M. Jean-Claude Ameisen, sur la situation de l’énergie en Europe.

M. Jean-Claude Ameisen doit nous rejoindre vers 16 h 45. Cela vous laisse un peu de temps pour entendre une communication sur certains points importants du programme de travail de l’année 2015.

En premier lieu, quelques mots sur le partenariat avec l’Académie des sciences, dont nous allons organiser, l’année prochaine, la septième session.

Pour nos collègues nouvellement arrivés à l’OPECST, je rappellerai que ce « Partenariat » prend la forme de « jumelages », c’est-à-dire, en fait, la constitution de « trinômes » constitués d’un parlementaire, d’un membre de l’Académie et d’un jeune chercheur.

Le but de ce « Partenariat » est de permettre aux députés et sénateurs de mieux connaître le milieu de la recherche à travers des contacts personnels et des visites de laboratoire, de contribuer à la formation civique des chercheurs en leur faisant découvrir la réalité du travail parlementaire, aussi bien à Paris que dans les circonscriptions ou les départements et, de façon plus générale, d’instituer un dialogue contribuant à favoriser la relation entre Science et Société.

Quinze jumelages ont été mis en place pour la sixième session de janvier 2013, après l'interruption des élections législatives de 2012.

Les parlementaires participant à ce « Partenariat » sont, par priorité, membres de l’OPECST, mais les présidents des commissions permanentes de chacune des deux assemblées sont sollicités pour que d’autres parlementaires intéressés puissent se porter candidats. L’Académie des sciences identifie des volontaires parmi ses membres, et les académiciens jumelés associent ensuite à l’événement un de leurs jeunes correspondants de recherche.

Il est prévu que les trinômes (un parlementaire, un académicien, un jeune chercheur) soient reçus successivement au Sénat et à l’Assemblée nationale les 31 mars et 1er avril 2015, pour deux demi-journées de conférences et de visites ; ils assisteront également, si possible, à une séance plénière de chaque assemblée depuis la tribune du public.

Les visites des parlementaires dans les laboratoires, d’une part, et des chercheurs dans la circonscription des parlementaires, d’autre part, auront lieu de juin à décembre 2015.

Une présentation du dernier Partenariat vous a été adressée pour que vous vous rendiez mieux compte de l’intérêt de l’opération, et que vous transmettiez éventuellement vos candidatures au secrétariat.

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L’Office a pris, en 2015, la présidence du réseau européen des organismes similaires auprès des parlements des autres pays d’Europe, l’EPTA, European Parliamentary Technology Assessment.

La présidence de l’EPTA revient chaque année à un pays membre et comporte la charge d’organiser deux réunions annuelles d’échanges : l’une, au printemps, entre les responsables des organismes d’évaluation technologique ; l’autre, à l’automne, entre les parlementaires chargés, dans leur chambre, du suivi des questions scientifiques et technologiques.

L’OPECST a mis à profit la célébration de son trentième anniversaire pour proposer d’assurer cette présidence en 2015. En effet, c’est en 1985 que l’OPECST a rendu public son premier rapport, qui portait sur les pluies acides.

La première réunion, plus technique et réservée aux responsables administratifs des organismes d’évaluation, serait organisée les 27 et 28 avril 2015 en Lorraine, à Pont-à-Mousson, et offrirait l’occasion d’un échange approfondi sur les stratégies nationales de recherche respectives et la manière dont elles s’intègrent dans les grandes tendances prospectives.

La réunion, plus politique, de l’automne aura l’ampleur d’une conférence parlementaire européenne et se tiendra à Paris, à l’Assemblée nationale, salle Lamartine, les mercredi 23 et jeudi 24 septembre.

La journée d’études comparées du jeudi 24 sera consacrée aux politiques d’innovation confrontées aux contraintes budgétaires et à la montée des peurs, en mettant l’accent sur les liens entre recherche et innovation ainsi que sur les possibilités de renforcement de la coopération européenne en ces domaines.

Les principales personnalités scientifiques françaises (médailles Fields, prix Nobel, académiciens, dirigeants des grands organismes de recherche) seront conviées à participer à cette journée de réflexion collective, qui prendra la forme d’une audition publique, comme l’OPECST en a couramment la pratique.

Le choix des sujets évoqués permettra à chaque délégation d’apporter son éclairage national, tout en nourrissant des études déjà en cours à l’Office.

Les dépenses induites par l’organisation de cet événement seront entièrement supportées par l’OPECST, sous réserve d’une participation éventuelle des présidences de l’Assemblée nationale et du Sénat aux déjeuner et dîner de la journée anniversaire.

Une demande va être transmise au président Larcher pour demander l’organisation d’une réception au Sénat le soir de la journée anniversaire (jeudi 24 septembre).

Comme c’est le cas traditionnellement pour les réunions de l’EPTA, une excursion conviviale est prévue, qui pourrait se limiter en l’occurrence à un dîner sur la Seine.

Le budget mobilisé représente approximativement l’équivalent d’une étude complète et l’équipe du secrétariat sera également fortement mobilisée, ce qui amputera d’autant les ressources pour répondre à des saisines nouvelles en 2015. En contrepartie, une attention particulière sera portée à ce que tous les échanges puissent directement contribuer, sous l’angle des approches comparatives dans les différents pays participants, aux travaux en cours au sein de l’OPECST, et notamment ceux relatifs aux conditions de l’innovation.

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Une audition sur les semences (sécurité alimentaire mondiale, enjeux internationaux de l’appropriation du vivant, position de la filière française sur les nouvelles variétés végétales) est en préparation pour le 22 janvier 2015 ; elle devrait être organisée par Anne-Yvonne Le Dain ; un sénateur pourrait peut-être s’associer à ce travail.

Des contacts ont été pris avec la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur la question des produits biosimilaires, qui intéresse beaucoup sa présidente, Mme Catherine Lemorton. L’idée d’une audition publique conjointe a été approuvée, elle se tiendra le 29 janvier.

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Nous sommes sollicités par l’Université de Lorraine pour accorder notre parrainage à une manifestation appelée « Science & You » concernant les enjeux et les pratiques de la culture scientifique et technique qui se déroulera du 1er au 6 juin 2015.

Nous serons en bonne compagnie dans ce parrainage, puisque nous côtoierons les trois ministères de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Culture, mais aussi l’Unesco et, surtout, MM. Cédric Villani et Étienne Klein, tous deux membres de notre conseil scientifique.

La participation consiste en une conférence, puis un échange avec la ministre danoise de l’enseignement supérieur et de la science, dont je pourrais me charger. Évidemment, Mme Maud Olivier et M. Jean-Pierre Leleux seraient associés.

Je pense que vous serez d’accord pour associer le nom de l’OPECST à cet événement de diffusion de la culture scientifique et technique.

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L’article L. 542-3 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 28 juin 2006 prévoit que six personnalités qualifiées, dont au moins deux experts internationaux, désignés à parité par l’Assemblée nationale et le Sénat, siègent au sein de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2), pour un mandat de six ans, renouvelable une fois.

J’ai été informé par le président de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE), M. Jean-Claude Duplessy, du décès de M. Hubert Doubre, professeur émérite à l’Université de Paris IX-Orsay, membre de la commission depuis juin 2010 pour un mandat de six ans. Aux termes de l’article L. 542-3 du Code de l’environnement, il s’avère donc nécessaire de pourvoir à son remplacement pour les deux dernières années de son mandat. Il faisait partie des trois membres désignés par le président de l’Assemblée nationale, parmi les douze membres de la CNE.

La CNE nous suggère la nomination de M. Adolf Brikhofer, ancien président de la chaire de dynamique et de sûreté des réacteurs de l’Université de Munich et ancien directeur général de la GRS (Gesellschaft für Anlagen-und Reaktorsicherheit), le principal organisme allemand de recherche et d’expertise en matière de sûreté nucléaire. Il a également joué un rôle majeur dans plusieurs autres organismes allemands et internationaux dans le domaine de la sûreté nucléaire.

Qui plus est, la dégradation de son état de santé ayant empêché M. Hubert Doubre, peu après sa nomination, de participer régulièrement aux réunions de la CNE, M. Adolf Brikhofer a bien voulu assister la commission durant cette période en qualité d’expert, à titre bénévole. Il a donc une excellente connaissance de son fonctionnement et de ses travaux.

Je pense que nous serons tous d’accord pour cette désignation.

– Audition de M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique, sur la fin de vie

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’Opecst. Nous en venons à l’objet principal de cette réunion, qui concerne l’audition du président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) à propos d’un rapport qu’il vient de rendre, le 23 octobre dernier, relatif au dispositif de gestion de la fin de vie.

Je remercie le professeur Jean-Claude Ameisen de sa venue, ainsi que Mme Mouneyrat, secrétaire générale du CCNE.

Ce rapport n’est pas directement une prise de position du CCNE. Il s’est déjà prononcé en propre sur le sujet, la dernière fois par son avis n° 121 de juillet 2013 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir », qui prenait en compte les évolutions de la loi et des pratiques au cours des dix dernières années pour les personnes en fin de vie, ainsi que les analyses du rapport de la Commission Sicard.

Il y confirmait son avis n° 26 de 1991 par lequel il « désapprouvait qu'un texte législatif ou réglementaire légitime l'acte de donner la mort à un malade » ; son avis n° 58 de 1998, par lequel il se déclarait « favorable à une discussion publique sereine sur le problème de l'accompagnement des fins de vies comprenant notamment la question de l'euthanasie » ; enfin son avis n° 63 de 2000, par lequel il proposait la notion « d’engagement solidaire et d’exception d'euthanasie. »

En l’occurrence, l’exercice est différent, puisque le CCNE s’est efforcé de synthétiser tous les éléments d’information mobilisés à l’occasion d’une conférence des citoyens qu’il a organisée dans le cadre du processus prévu par l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, créé par la loi du 7 juillet 2011. J’en donne lecture car il situe précisément le contexte de cette audition :

« Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d'un débat public sous forme d'états généraux. Ceux-ci sont organisés à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

À la suite du débat public, le comité établit un rapport qu'il présente devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation. »

L’Office a été consulté par le président Jean-Claude Ameisen pour l’organisation d’une conférence des citoyens sur la fin de vie lors de son audition du 21 mai 2013. J’avais évoqué la question ; le compte-rendu de cette réunion en fait foi.

Nous en sommes aujourd’hui au stade de la présentation du rapport restituant les apports de cette consultation, mais fort judicieusement replacés dans la lumière de toutes les autres formes d’expression publique sur le sujet au cours des derniers mois.

Si j’essaye d’en tirer deux enseignements c’est, d’une part, que la loi Léonetti, qui prévoit, depuis le 22 avril 2005, la possibilité pour chaque personne de formuler des « directives anticipées », est non seulement encore très mal connue, mais surtout n’a pas vraiment modifié les habitudes du corps médical, qui continue à juger par lui-même de la situation du patient sans trop suivre les « directives anticipées », qui n’ont, de fait, aucune force obligatoire. Le rapport évoque le souhait largement partagé de dépasser cette double difficulté par une délibération collective impliquant à la fois les proches et les médecins concernés (p. 41).

D’autre part, le système des soins palliatifs n’est pas organisé pour permettre aux personnes de mourir dignement chez elles : en France, plus souvent qu’ailleurs en Europe, on meurt à l’hôpital, dans des services dont les personnels sont mal formés aux situations de fin de vie.

Monsieur le Président, vous corrigerez et complèterez au besoin, durant votre présentation, ma compréhension des analyses du CCNE.

Je souhaiterais néanmoins que nous profitions de votre présence pour aller plus loin qu’un simple exposé sur l’état du dossier.

En application de la loi du 7 juillet 2011 déjà citée, l’OPECST a aussi mission d’évaluer ce rapport et je souhaiterais profiter de vos conseils pour déterminer comment cibler au mieux notre évaluation.

Sur le fond, en effet, l’Office n’a pas compétence pour se prononcer sur les points cruciaux touchant au droit de l’intimité de la vie familiale et de la vie privée.

Compte tenu des missions confiées à l’OPECST par la loi du 8 juillet 1983, je vois en revanche deux aspects sur lequel il pourrait se positionner :

- d’une part, sur la qualité du travail de recueil d’informations effectué ; c’est une appréciation de méthode ;

- d’autre part, sur les perspectives technologiques concernant la sédation, dont les progrès déterminent considérablement les réflexions sur la fin de vie. Je rappelle en effet que la loi Léonetti précise : « Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, faire courir [à la personne] de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. »

Si l’on progresse dans la maîtrise de l’arbitrage entre l’atténuation des souffrances et le risque induit de raccourcir la vie, alors la problématique éthique dispose de quelques marges d’analyse supplémentaires.

Si vous en étiez d’accord, nous pourrions ancrer notre évaluation de ce rapport sur une audition publique ayant pour thème : « Les progrès technologiques des méthodes de sédation ».

Je vous laisse maintenant la parole.

M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Merci de me recevoir.

Le CCNE a considéré que la commission Sicard, en charge d’une réflexion sur la fin de vie, était déjà un élément important du débat public au sens des États généraux, dans la mesure où elle avait procédé à des débats publics dans neuf villes ainsi qu’à plusieurs auditions.

Lors de la création de cette commission, en juillet 2012, le Président de la République avait indiqué que, lorsqu’elle lui remettrait son rapport, il saisirait le CCNE.

Dans ce contexte, nous avons élaboré un compte rendu du débat public depuis cette date, indépendamment de l’implication du CCNE dans ces débats. Le CCNE a rendu l’avis n° 121 en juillet 2013, dans lequel il a conclu, en application des dispositions de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique que, du fait de l’annonce du projet de loi sur la fin de vie, il conviendrait d’élargir le débat public et, en particulier, de réunir une conférence des citoyens sur ce sujet.

Engagé pour la première fois dans cette procédure, le CCNE a retenu comme prestataire l’IFOP à l’issue d’un appel d’offres. Il a procédé au choix de dix-huit citoyens. Vingt personnalités, avec lesquelles la conférence des citoyens pourrait dialoguer, lui ont alors été proposées. Dix, venant des horizons les plus divers, ont été sélectionnées. En vue de garantir l’indépendance de la Conférence, elle a eu la possibilité de choisir elle-même, ultérieurement, dix autres intervenants. Les règles de fonctionnement du CCNE ont été appliquées à ses travaux. La conférence a siégé, en l’absence des membres du CCNE, et présenté elle-même ses conclusions à la presse, à la différence, notamment, de la conférence des citoyens de 2009 qui avait été réunie dans le cadre de la préparation de la loi de 2011 relative à la bioéthique, dont l’avis avait été présenté par les commanditaires de la conférence. Les citoyens ont ainsi pu dialoguer avec la presse en ma présence et celle de M. Alain Cordier, vice-président du CCNE.

Postérieurement à la publication de l’avis de la conférence des citoyens en décembre 2013, le CCNE est intervenu de façon également inhabituelle, dans le cadre de la demande d’avis formulée par le Conseil d’État statuant sur le litige concernant M. Vincent Lambert. Au titre de cette procédure consultative, qui est un élément du débat public, le Conseil d’État a saisi, outre le CCNE, l’Académie nationale de médecine, le Conseil de l’Ordre national des médecins et M. Jean Léonetti d’une demande d’observations écrites d’ordre général, susceptibles de l’éclairer sur les notions d’obstination déraisonnable et de maintien artificiel en vie de personnes qui, comme M. Vincent Lambert, sont dans un état pauci-relationnel.

Cette personne se trouve dans une phase avancée d’une affection grave et incurable ; elle est hors d’état d’exprimer sa volonté et elle n’a pas rédigé de directives anticipées, ni nommé de personne de confiance.

Le CCNE s’est donc penché sur la situation particulière d’une personne se trouvant dans une phase avancée mais non terminale de la vie. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie range dans la même catégorie des personnes qui sont dans une phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable alors que de très grandes différences existent entre la phase terminale, celle de la fin de vie et la phase avancée, laquelle peut recouvrir des maladies ou des handicaps extrêmement divers qui ne conduisent pas par eux-mêmes à la fin de vie.

Le CCNE s’est trouvé embarrassé vis-à-vis de ce que la loi de 2005 appelle une procédure collégiale. Dans cette procédure, qui est différente de celle par laquelle le Conseil d’État a statué en formation collégiale sur le cas de M. Vincent Lambert, le médecin décide seul après consultation des collègues, des soignants, des proches et de la famille.

La décision d’arrêter ou de poursuivre la nutrition ou l’hydratation artificielle– qui concerne 1 500 personnes, comme M. Lambert – dépasse la notion d’expertise médicale, laquelle est requise pour juger du pronostic et de la gravité de l’état. Au demeurant, le Conseil d’État a considéré, en l’espèce, que l’arrêt des soins et traitements s’imposait en raison de ce qu’il a perçu de l’expression par les proches de ce qu’aurait été la volonté de M. Vincent Lambert. Cette décision va au-delà de l’expertise médicale, le médecin étant juge et partie puisqu’il décide de ce qui peut être fait en raison de son analyse et de son expertise, et qu’il est amené simultanément à interpréter les propos des proches. Le paradoxe, en l’occurrence, est que le médecin-chef de service est le seul – ou l’un des seuls – qui, n’ayant pas connu le patient avant qu’il ne soit hors d’état d’exprimer sa volonté, n’a donc aucune idée de ce que le patient aurait voulu.

C’est pourquoi le CCNE a procédé à une réflexion sur la possibilité de transformer cette procédure collégiale en un processus de réflexion, de délibération et de décision collective, qui impliquerait, à parts égales, le médecin, ses collègues, les soignants, les proches et la famille. Ce qui est ainsi demandé aux proches et à la famille, c’est non pas de savoir ce qu’ils jugent souhaitable de voir se faire, mais ce qu’ils savent de ce qu’aurait exprimé la personne. Car la délibération collective devrait tenter au mieux de faire exprimer ce qu’aurait été la volonté de la personne. Sur ces points, le CCNE a proposé qu’une médiation facilite l’accord des différentes personnes sur cette expression de la volonté. À cet égard, le CCNE a relevé qu’en Allemagne, les décisions de ce type sont prises collectivement par le médecin, ses collègues, les soignants, les proches et la famille.

Postérieurement à ces réflexions sur la délibération collective et la procédure collégiale, le CCNE a été amené à rédiger un rapport sur le débat public, ce qui a constitué pour lui un autre nouvel exercice.

Ce rapport devait, dans l’esprit du CCNE, comporter notamment : les conclusions de la commission Sicard, les conclusions de la conférence des citoyens, les consultations demandées par le Conseil d’État, le rapport de l’Observatoire national de la fin de vie de décembre 2013 sur la situation des personnes vieillissantes en amont de la fin de vie, ce qui est ressorti de l’affaire Bonnemaison dans laquelle certaines personnes ont été auditionnées en tant que témoins, non par sur la situation du docteur Bonnemaison, mais sur les problèmes posés en France par les situations de fin de vie.

Après que l’avis n° 121 eut été remis, je me suis rendu à une réunion des directeurs des espaces régionaux de réflexion éthique, créés il y a deux ans pour beaucoup d’entre eux.

Afin que ce débat public prenne la dimension d’États généraux, le CCNE a jugé opportun que les espaces régionaux qui le souhaiteraient puissent eux-mêmes animer cette réflexion publique. Aussi leur a-t-il été proposé de participer à ce débat public, sous la forme qu’ils jugeraient la plus utile et sur la base du volontariat, le CCNE prenant en compte leurs conclusions. Huit espaces régionaux ont ainsi fait part de leurs conclusions, qui ont été annexées au rapport du CCNE. Le CCNE mentionne également une réflexion du comité de bioéthique du Conseil de l’Europe sur le comportement et les pratiques souhaitables par les soignants et les médecins dans des situations de fin de vie.

Le CCNE a été frappé par le constat quasi unanime du fait que la volonté des personnes en état de l’exprimer était souvent non respectée.

En outre, le CCNE a constaté qu’une très grande majorité de personnes en fin de vie ne bénéficiait pas des soins palliatifs – c’est-à-dire d’un accompagnement humain et du soulagement de leur douleur et de leur souffrance – contrairement à ce que permettent la loi du 9 juin 1999 sur les soins palliatifs et la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

Dans ce contexte, des demandes très partagées sont formulées sur les points suivants :

- le fait qu’il y ait un accès au droit de bénéficier des soins palliatifs ;

- l’exigence d’une formation initiale et continue des soignants pour permettre l’exercice de ce droit ;

- la nécessité de faire face à notre difficulté à accompagner des personnes en situation de fin de vie, laquelle reflète probablement notre incapacité à les accompagner en amont de la fin de vie, lorsqu’elles sont en situation de vulnérabilité. Il s’agit de personnes âgées, de personnes handicapées ou encore de personnes atteintes de maladies chroniques.

Dès lors, il est apparu au CCNE qu’il serait souhaitable de ne plus considérer les soins palliatifs comme synonyme des dernières semaines de la vie. À cet égard, lors d’une réunion récente avec nos collègues des comités d’éthique allemand et britannique, ces derniers ont été extrêmement surpris qu’un service de soins palliatifs soit un service de fin de vie. Car, pour eux, un service de soins palliatifs, comme le prévoit d’ailleurs la loi du 9 juin 1999, doit permettre l’accès aux soins palliatifs à toutes les périodes de la vie où ils s’avèrent nécessaires.

Pour permettre l’accès aux soins palliatifs indépendamment de la fin de vie, il conviendrait donc, non pas de multiplier les services de soins palliatifs, mais de diffuser une culture de soins palliatifs dans l’ensemble du corps médical. Car tant que ce dernier – du généraliste au spécialiste – ne sera pas capable de soulager la souffrance et de proposer un accompagnement humain, il sera illusoire de faire porter la responsabilité d’un accompagnement en amont et en fin de vie par les services de soins palliatifs, qui sont pour la plupart d’excellente qualité.

Dans ce contexte, il a semblé au CCNE que la loi de santé et la loi d’adaptation de la société au vieillissement pourraient répondre à ce besoin et à ce manque sans se focaliser exclusivement sur la fin de la vie, les soins palliatifs ne devant pas concerner que les situations de fin de vie.

La réflexion que je viens d’évoquer sur le défaut d’accompagnement de nombreuses personnes vulnérables en amont de la fin de vie est illustrée par le fait que seulement 15 % des EHPAD ont une infirmière de nuit. Aussi, lorsque l’état d’une personne s’aggrave dans la nuit, elle est envoyée dans les services d’urgence où 8 000 pensionnaires des EHPAD décèdent chaque année.

D’autre part, 13 000 personnes âgées de plus de soixante-dix ans, dont le décès était pourtant prévisible, meurent chaque année dans les heures suivant leur admission dans les services d’urgence. Or, il est évident que les services d’urgence sont les seuls lieux où il soit extrêmement difficile de concevoir et de mettre en place un accompagnement et des soins palliatifs. Par conséquent, si l’accompagnement est profondément défectueux en amont, la fin de vie se déroulera dans un contexte relativement déplorable. Sur ce point, il importe de rappeler qu’un cinquième à un tiers des médecins exerçant dans les EHPAD ne sont pas formés aux soins palliatifs. Par ailleurs, notre pays, en comparaison des autres pays d’Europe, se caractérise par le taux le plus faible de personnes décédant à leur domicile, 70 % des personnes décédant en institution ou à l’hôpital.

Il existe un grand problème d’accompagnement à domicile et en amont de la fin de vie. Ainsi, dans son rapport de l’an dernier, l’Observatoire national de la fin de vie indiquait que 70 % des pensionnaires des EHPAD – je rappelle qu’ils sont un million – y séjournent contre leur volonté, alors que la grande majorité de ces personnes aurait préféré vivre à leur domicile ou dans un environnement proche. Seulement 10 % des personnes vivant à domicile bénéficient de soins infirmiers. Donc, 90 % des personnes âgées ou malades à domicile ne bénéficient que d’aides à domicile, dont l’immense majorité des personnels est dépourvue de formation en termes de soins et de soins palliatifs. En outre, il ressort des débats et des rapports dont le CCNE a pris connaissance que la fin de vie dans les institutions pour personnes handicapées est actuellement assez opaque, car on manque de données sur la façon dont on y accompagne et soulage la souffrance et la douleur des personnes en fin de vie.

C’est donc véritablement en amont que se pose le problème de l’accompagnement des personnes se trouvant en situation de vulnérabilité, soit 15 millions de personnes souffrant de handicaps ou de maladies chroniques.

Outre ces réflexions sur des demandes visant à exercer des droits proclamés auxquels on ne peut toutefois pas réellement accéder, l’abolition de la frontière entre le soin et le traitement – ou encore entre le care et le cure, en anglais – a retenu l’attention du CCNE. On devrait, en effet, considérer que le soin est le socle de la médecine et que, lorsque des traitements sont nécessaires, on ajoute à ces soins des traitements. Dès lors, les soins – y compris le soulagement de la souffrance et de la douleur – devraient être érigés en pratique médicale générale, à laquelle peuvent s’ajouter des approches plus spécialisées susceptibles d’être apportées au domicile.

Pour ce qui est des demandes, il est apparu que trois demandes étaient très largement partagées.

- La première, évoquée par le président Jean-Yves Le Déaut, a trait à la loi du 22 avril 2005, qui dispose que les directives anticipées sont des souhaits que le médecin prend en compte. Il y a une demande très générale pour que les directives anticipées s’imposent aux soignants, sauf, évidemment, si ces derniers considèrent que la situation ne correspond pas aux demandes et justifient par écrit les raisons pour lesquelles ils ne s’y conforment pas.

- La deuxième, également évoquée par le président Jean-Yves Le Déaut, concerne actuellement un paradoxe. Car lorsqu’une personne – ce que prévoit la loi du 22 avril 2005 – est hors d’état d’exprimer sa volonté, inconsciente en état pauci-relationnel, comme M. Vincent Lambert, le médecin a l’obligation de mettre en place une sédation profonde jusqu’à son décès, si cette personne est en fin de vie ou si l’interruption des traitements va provoquer sa mort. Une telle obligation s’impose au médecin, car on ignore si cette personne – qui est incapable de s’exprimer – est en train de souffrir. Mais, paradoxalement, lorsque la personne est consciente ou capable de s’exprimer, la demande de sédation profonde est du ressort de la décision du médecin. Lorsqu’une personne est en fin de vie ou que ses traitements sont interrompus, sa demande de pouvoir dormir jusqu’à son décès devrait s’imposer aux soignants et ne pas être du ressort du médecin : c’est là une demande très partagée.

Au demeurant, dans certains services de soins palliatifs, lorsqu’une sédation profonde jusqu’au décès est décidée, la personne est réveillée toutes les cinq heures pour s’assurer qu’elle veut continuer à dormir, démarche que certains jugent assez cruelle. Si la personne demande à dormir en cas de phase terminale d’une infection grave et incurable ou de phase avancée pour laquelle l’arrêt du traitement demandé par elle va provoquer la fin de vie, cette personne devrait en être le seul juge.

- La troisième est relative à une réflexion sur la procédure collégiale. Le Comité a proposé une réponse, mais qui n’est toutefois pas précise, selon laquelle il serait nécessaire de procéder à une réflexion et de prévoir des procédures qui soient plus collectives qu’elles ne le sont actuellement. Pour autant, le Comité a été frappé par le fait que, même sur ces demandes, très largement partagées, existent des divergences.

Par exemple, s’agissant des directives anticipées, selon la commission Sicard et l’avis n° 121 du CCNE, elles ne devraient pas s’imposer au soignant dans toutes les circonstances. Si une personne est en bonne santé et rédige des directives, celles-ci devraient être considérées comme des souhaits. En revanche, elles devraient s’imposer au soignant si la personne est malade ou si elle subit une intervention chirurgicale.

Que les directives s’imposent ou pas dans tous les cas, le Comité a estimé que les réflexions ayant suivi l’affaire Lambert – qui était jeune et en parfaite santé au moment de son accident – ont renforcé l’idée que, s’il avait alors rédigé des directives, la solution du litige en aurait été facilitée. Par conséquent, même chez des personnes jeunes et en bonne santé, la rédaction de directives présenterait un intérêt.

Pour ce qui est de la sédation profonde jusqu’au décès, existe une divergence sur le point de savoir si cette sédation devrait ou pourrait, à la demande de la personne, accélérer sa fin ou si cette sédation ne consiste qu’à la faire dormir jusqu’à sa fin. Ainsi, la commission Sicard, qui est très fermement opposée à l’euthanasie, considère qu’un geste létal accompli dans les phases ultimes de l’accompagnement entrerait dans la définition de la sédation profonde retenue par la loi Léonetti. En revanche, pour d’autres, toute accélération de la fin correspond à l’euthanasie.

Il en ressort donc que, s’il existe un consensus sur le principe de la sédation profonde, des divergences apparaissent en revanche sur les formes qu’elle peut revêtir.

Il est évident que suivant le type de sédation utilisée, le risque ou la probabilité que la fin s’accélère sont différents. Lorsque M. Michaël Schumacher est maintenu en coma thérapeutique pendant des mois, il est évident qu’il n’y a pas double effet, le traitement visant à le faire dormir. Si on sait faire dormir des personnes, les risques sont toutefois plus importants selon le type de sédation utilisé. Il est clair qu’une anesthésie générale – qui est une manière de faire dormir très profondément une personne – ne peut être mise en place au domicile dans les mêmes conditions que dans un service hospitalier.

Une troisième divergence porte sur l’opportunité de modifier la loi. Pour beaucoup – y compris le CCNE et la conférence des citoyens –, les nouveaux droits comme les directives anticipées et la sédation profonde nécessitent une révision de la loi. En revanche, pour d’autres, comme la commission Sicard, celle-ci ne serait pas éventuellement nécessaire, ces nouveaux droits seraient du ressort des bonnes pratiques.

Quant à l’assistance au suicide et à l’euthanasie, le Comité a constaté de profondes divergences – non pas en termes numériques, puisque les sondages font apparaître une majorité de 90 % favorable à l’assistance au suicide et à l’euthanasie – mais en ce qui concerne les raisons exposées.

Ces divergences se sont ainsi exprimées, au sein même du CCNE, lors de la rédaction de l’avis n° 121. Celui-ci, par souci de prendre en compte la vulnérabilité de certaines personnes, recommande de n’autoriser ni l’assistance au suicide ni l’euthanasie. Toutefois, une opinion minoritaire défendue par neuf membres du CCNE s’y est déclarée favorable dans certains cas, prenant plus en considération l’autonomie de la personne que la situation fâcheuse à laquelle pourrait être confrontée une personne vulnérable.

Le même clivage a traversé le débat public. En outre, un clivage de nature sémantique est apparu – y compris au sein du Comité – entre l’assistance au suicide et l’euthanasie. Pour la commission Sicard, il n’existe aucun rapport entre le fait d’ouvrir à une personne la possibilité de mettre fin à sa vie ou de demander à un médecin d’y procéder. Pour la conférence des citoyens, il n’existe aucune différence entre ces deux situations car, ce qui compte, c’est l’autonomie de la personne.

Dans le rapport sur le débat public, le CCNE ne s’est pas seulement limité à rendre compte du débat mais s’est également efforcé d’interroger des opinions qui lui paraissaient confuses mais intéressantes à examiner, voire des non-dits. À cet égard, il nous est apparu important de souligner que la fin de vie est un sujet de réflexion éthique très particulier qui nous concerne tous.

Il existe beaucoup de sujets de réflexion en éthique biomédicale qui ne concernent qu’une partie de la population, à propos desquels il y a ceux qui parlent en leur nom et ceux qui parlent des autres. Or, en ce qui concerne la fin de vie, nous parlons tous de nous, mais à des titres très divers : que nous soyons en bonne santé, malades, menacés par la maladie ou proches de la fin de vie. Nous parlons aussi des autres, des proches, des personnes que nous ne connaissons pas mais dont nous imaginons qu’elles ont une responsabilité. Aussi, la question de savoir de qui on parle et de quel point de vue on se place, lorsqu’on aborde la fin de vie, nous est apparue comme l’un des non-dits non explicités dans les débats, y compris dans les divergences. À ce propos, le Comité a été frappé par une enquête réalisée par le Coma Science Center situé en Belgique – dirigé par le professeur Steven Laureys – qui est l’un des deux centres les plus performants du monde pour l’étude des personnes se trouvant en état de conscience minimale (et dans lequel, au début, M. Vincent Lambert avait été suivi).

Publiée en 2011 dans le Journal of Neurology, cette enquête avait été effectuée auprès de 2 500 soignants de trente-deux États européens. 70 % d’entre eux avaient indiqué qu’il ne faudrait pas arrêter la nutrition et l’hydratation artificielles de leur patient se trouvant dans un état de conscience minimale. En revanche, 70 % de ces soignants avaient répondu qu’il faudrait procéder à cet arrêt dans le cas où ils seraient dans la même situation que leur patient.

Dans cet éditorial, le professeur Steven Laureys avait mis l’accent sur le fait que les soignants avaient du mal à se juger comme les autres ou à juger les autres comme eux-mêmes, ou, comme le dit Paul Ricoeur, à entrer en éthique, c’est-à-dire à se penser soi-même comme un autre.

Dès lors, on peut considérer qu’une partie des divergences provient de l’insuffisante explicitation sur les points de vue et les personnes dont on parle, lorsque l’on aborde la fin de vie.

S’agissant de l’évaluation à laquelle l’OPECST procédera, je me demande – ce qui est proche de nos préoccupations – s’il ne faudrait pas réfléchir aux meilleurs moyens d’animer un débat public lorsque se posent les questions éthiques figurant dans la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

Au fond, le CCNE considère que l’institution de la Commission de réflexion sur la fin de vie a été un facteur d’enrichissement du débat public. Car, si celle-ci n’avait pas été mise en place, l’animation du débat public aurait été plus pauvre.

Il nous a semblé que la participation des espaces régionaux d’éthique était importante mais que, pour l’instant, du fait de leur hétérogénéité due à la création récente de certains d’entre eux, leurs débats n’avaient pas forcément la dimension d’un débat national.

C’est pourquoi nous avons discuté avec la Commission nationale du débat public pour savoir si, hors de son champ habituel de compétences, elle ne pouvait pas être opératrice de certaines formes d’animation du débat public. En effet, la loi prévoit que le CCNE peut être à l’origine de l’organisation d’un débat public. Or, s’il en est l’opérateur à chaque fois qu’intervient un projet de loi touchant à des questions éthiques, il risquerait de ne plus pouvoir remplir ses autres missions.

La question est, dès lors, de savoir comment nous pouvons prendre l’initiative du débat public de la façon la plus large et sous les formes les plus diverses sans en être nous-mêmes l’opérateur.

Sur ce point, votre réflexion pourra nous aider.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président. – Je vous remercie de cet exposé, que j’ai beaucoup apprécié sans être médecin moi-même. J’ai été étonné par la différence qu’il peut y avoir dans l’appréciation d’un soignant, selon qu’il considère sa situation ou celle du soigné. La question de la fin de vie se pose pour tout le monde et de plus en plus. Il est humain de vouloir accompagner la souffrance par la sédation, mais ne pensez-vous pas que cela ouvrirait la porte à des excès, des débordements ou des tentations ? Que pourrait faire le législateur pour éviter ces risques ?

M. Jean-Claude Ameisen. – Je suis venu présenter un rapport synthétisant le débat public, pas un avis du CCNE. Si on transforme les soins palliatifs – les soins en fait – pour les rendre disponibles à tous les âges de la vie, les tentations particulières en toute fin de vie disparaîtront, parce que ce n’est jamais qu’une façon d’accompagner les personnes dans une phase particulière de leur vie. Les décisions vraiment importantes sont relatives à l’arrêt du traitement, car elles entraînent le décès ; il s’agit de réfléchir à l’écoute de l’expression de la volonté.

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé donne déjà la possibilité à toute personne consciente, informée et ayant eu le temps de réfléchir, d’arrêter un traitement qui lui sauve la vie, si elle décide que c’est la meilleure réponse et si on est sûr qu’on n’arrête pas les traitements d’une personne qui voudrait les continuer, d’où l’importance des directives anticipées et d’une approche collective. Considérer qu’une situation relève d’une obstination déraisonnable des médecins est une décision difficile à prendre et qui pose problème. Une fois la décision prise pour une personne en toute fin de vie, la sédation – qui est le moyen utilisé pour soulager la douleur, voire pour permettre d’être inconscient si on ne veut pas se voir mourir – ne me semble pas présenter de problème particulier. Ne risque-t-on pas, pour des raisons économiques, de subir une pression consistant à ne pas traiter car cela coûte cher, sans avoir demandé son avis à la personne ? De plus en plus, dans les services de réanimation, le réanimateur ne voit pas le patient ; c’est uniquement à partir de renseignements sur son âge ou son état qu’on décide de le faire entrer en réanimation ou pas. Le risque réside dans le fait que la décision médicale est découplée de l’appréciation sur l’état de la personne. Ces questions de pertes de chances sont importantes. Dès lors que les décisions relatives à l’arrêt de traitement ou à la constatation que la personne est en fin de vie sont valides, le type d’accompagnement que l’on procure ne devrait pas poser de problème.

M. Gilbert Barbier, sénateur. – Vous avez parlé d’infection avancée, en phase terminale ou non. Est-ce que vous considérez uniquement la fin de vie, et, si oui, dans quel délai – vous avez parlé de trois semaines. Est-ce que vous considérez aussi les personnes handicapées ? Je pense au cas de M. Vincent Lambert ou d’enfants qui ont souffert au moment de la naissance, ou qui naissent avec une hydrocéphalie. Il est possible de vivre avec des infirmités très importantes.

Je m’interroge sur la façon dont sont effectués les sondages sur les directives partagées. Je ne suis pas sûr que les personnes qui rédigent ces directives connaissent tous les éléments constituant une fin de vie accompagnée correctement et qu’elles aient une position suffisamment éclairée. Tout le monde est d’accord pour ne pas faire souffrir outre-mesure au cours des dernières semaines si l’on est condamné par un mal incurable et létal. Mais la prise en charge dans un service de soins palliatifs est possible – certains comme ceux du Dr Régis Aubry fonctionnent de façon très satisfaisante.

Je m’interroge en outre sur l’état psychologique du patient, l’environnement social étant très différent selon les familles et l’âge. Peut-on balayer tout ce que représente le problème de la fin de fin à court terme, voire à très long terme ?

M. Jean-Claude Ameisen. – J’ai noté l’ambiguïté qui a prévalu notamment dans le cas de M. Vincent Lambert : la loi confond les phases terminale et avancée. La première est facile à définir, mais pas la seconde. Une phase est-elle avancée parce qu’elle est profonde et avance vers la fin, ou est-elle avancée simplement parce qu’elle est profonde ? La tétraplégie est certes un handicap profond, mais elle permet de vivre plusieurs décennies.

Une personne qui est en fin de vie ou une personne qui suit des traitements qui la maintiennent en vie – ainsi une personne diabétique – sont dans des situations identiques en termes de conséquences d’arrêt de traitement : elles tombent dans une phase terminale. Par contre, je ne sais pas définir ce qu’est une phase avancée.

Les directives anticipées concernent soit une situation de fin de vie, soit une situation du type de celle de Vincent Lambert, avec l’arrêt du traitement ou de la nutrition et de l’hydratation artificielle. Le Conseil d’État a estimé, en février dernier, que la nutrition et l’hydratation artificielle sont à la fois un soin et un traitement ; elles peuvent donc être arrêtées en application de la loi. Si une personne dans la situation de Vincent Lambert bénéficiait d’un traitement de maintien en vie en plus d’une nutrition artificielle, des directives anticipées auraient pu relever que, dans une telle situation, elle ne souhaitait pas qu’on poursuive. On ne saura effectivement jamais si la personne était parfaitement éclairée. La vraie question est de savoir si quelqu’un d’autre serait mieux placé pour décider que la personne elle-même. C’est la pièce de théâtre où une personne simule sa mort, se réveille au moment de la lecture du testament et se dit qu’elle aurait dû écrire autre chose si elle avait connu la réaction des autres… Personne ne sait ce qui se passerait si une personne se réveillait. L’idée des directives anticipées est de mentionner ce qu’est, à tort ou à raison, la préférence de la personne. Si la personne n’est pas dans une situation où tout espoir de récupération est vain, le médecin peut refuser l’application des directives. Si l’état de la personne correspond à la situation décrite, c’est la personne concernée qui est le meilleur juge.

Vous évoquez la vulnérabilité de la personne. Cette question se pose aussi quand elle est consciente. Une personne qui arrête son traitement a-t-elle toute latitude pour réfléchir et décider ? Une des idées émises dans le rapport est que la personne rédigeant ses directives anticipées consulte au préalable un médecin spécialisé à cet effet. On pourra ainsi savoir que la personne a pu discuter et s’informer de ce que signifie une directive anticipée dans une situation dans laquelle on peut ne pas projeter.

Dans son avis n° 121, le CCNE a considéré que, dans ces situations ultimes, il n’y avait pas de raison que la volonté de la personne ne soit pas considérée comme essentielle. Dans son arrêt de juin 2014, le Conseil d’État se fonde uniquement sur ce qui a pu ressortir de l’expression de la volonté de la personne, en l’occurrence Vincent Lambert. Or ce n’est pas un critère objectif. Est-on vraiment dans des phases extrêmes de la fin de vie ? Si oui, la personne concernée doit dire ce qu’elle souhaite au moment de la prise de décision. Mais nous ne sommes pas dans ce cas lors de phases avancées où l’arrêt du traitement n’entraîne pas la fin.

Il en est de même pour la sédation, en fin de vie ou lorsque l’arrêt des traitements conduit à la fin de vie. Quand on ne se trouve pas en fin de vie, quand le décès ne va pas survenir dans les jours qui suivent, il ne s’agit pas de sédation, il s’agit d’une autre situation qui relève plutôt de l’assistance au suicide et de l’euthanasie.

Mme Dominique Gillot, sénatrice. – J’accompagne votre réflexion sur la distinction entre les différents cas de figure. Pour les soins qu’on arrête et qui peuvent entraîner la mort, notamment pour les personnes gravement handicapées, avec des maladies chroniques ou qui survivent avec des médicaments lourds, la question de la décision éclairée se pose. Il convient de prévoir une certaine protection des personnes vulnérables, pour prévenir la dérive que vous avez évoquée.

Vous avez parlé tout à l’heure de la qualité des directives selon la période ou l’état de la personne qui les a prononcées. J’aimerais que vous nous explicitiez votre cheminement sur ces points. Est-ce que quand on est jeune ou en bonne santé, l’on peut prendre des décisions anticipées valides ?

Vous avez évoqué la nécessité de former en amont le corps médical et de généraliser la pratique des soins palliatifs, en évoquant les 70 % de personnes âgées qui meurent accidentellement et précocement dans les services d’urgence, parce qu’elles n’ont pas été prises en charge ailleurs. Les accidentés de la route qui ont subi une atteinte létale sans entraîner de mort immédiate  meurent aussi dans de telles conditions ; ils restent quelques heures aux urgences, dans une situation d’angoisse et d’inconfort, sans bénéficier de la bienveillance des soins palliatifs. Il serait intéressant de pouvoir développer et valoriser ces soins palliatifs à tous les niveaux de prise en charge, à l’hôpital comme au domicile. Je crains malheureusement que les personnes ne soient jamais à égalité dans cet accompagnement en amont de la phase terminale, parce que cela dépend de l’environnement social et affectif, mais aussi de la capacité de cet environnement à surmonter ce traumatisme.

M. Jean-Claude Ameisen. – Je souhaiterais souligner un point mentionné dans notre rapport. On a improprement qualifié de dépendantes les personnes malades âgées ou handicapées, créant une distinction qui n’a pas lieu d’être avec les personnes plus jeunes. Or la vulnérabilité des personnes âgées s’accompagne bizarrement d’une diminution de la solidarité. L’hébergement en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) est à la charge des pensionnaires, alors que l’hébergement d’une personne dans la même situation, mais ayant moins de soixante ans, sera pris en charge par la collectivité. Plus la personne est vulnérable, donc dépendante, et moins la société estime nécessaire d’être solidaire. Il nous semble possible d’inverser cette approche pour que la solidarité soit d’autant plus nécessaire et importante que la personne est considérée comme vulnérable. Une personne qui réside dans un EHPAD et qui, elle-même ou via sa famille, paie les frais d’hébergement, peut avoir envie d’arrêter de vivre, car elle coûte à sa famille. C’est une pression assez inquiétante. Les risques de suicide sont les plus fréquents chez les jeunes ou chez les personnes âgées de plus de soixante-cinq ou soixante-dix ans, dans des situations de détresse sociale. En amont de la fin de vie s’exprime dans le débat cette gêne relative au fait que les personnes vulnérables âgées bénéficient d’une solidarité moins forte que les personnes vulnérables plus jeunes.

Une réflexion est nécessaire sur les accidentés. Le premier prélèvement d’organes dans une situation de type III selon la classification de Maastricht des dons d’organes (personnes pour lesquelles la mort survient à la suite d’une décision d’arrêt de traitements en réanimation) vient d’être réalisé. Qu’il s’agisse de cette situation ou des accidentés mentionnés par Mme Gillot, une réflexion est nécessaire sur le meilleur moyen de concilier, d’une part, l’accompagnement de fin de vie et le soulagement de la douleur sans obstination déraisonnable et, d’autre part, la situation d’obstination dans une bonne intention, non pas à l’égard de la personne, mais à l’égard d’autrui (prélèvement d’organe pour sauver quelqu’un). La perspective sera différente selon qu’une personne accidentée sera considérée comme potentielle donneuse ou comme en fin de vie. Il faut réfléchir à la conciliation de l’accompagnement et de la possibilité de prélever un organe.

M. Gilbert Barbier. – L’autorisation de prélèvement est soumise à une décision collégiale.

M. Jean-Claude Ameisen. – Je ne le crois pas. La loi considère que toute personne est considérée comme donneuse sauf si elle inscrit son nom dans un registre du non. Mais la famille est interrogée pour savoir si elle ne pense pas que la personne s’y serait opposée. Le nombre de refus en provenance des familles ne cesse d’augmenter, en particulier en région parisienne.

Il convient de ne pas tomber dans des situations extrêmes où on se préoccupe soit de la fin de vie de la personne, soit de la personne qui pourra être sauvée avec le prélèvement d’organe. A condition de les penser ensemble, je pense que c’est conciliable.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Directives anticipées et registre du non présentent des similitudes. Nous pensons qu’on peut résoudre le problème par la loi, en demandant une directive de son vivant. Puis on demande un nouvel avis à la famille qui, très souvent, est différent. C'est pour cela que la commission que vous avez prévue est utile.

M. Jean-Claude Ameisen. – Il manque, dans les directives de don d’organe, la possibilité de dire oui. Avec un registre du non et un registre du oui, on interrogerait la famille que si la personne n’a rien dit. La détention d’une carte de donneur, qui correspondrait à l’inscription sur un registre du oui, mais de facto sans valeur, constitue une forme d’expression insuffisante de la volonté de la personne. C’est la même chose avec les directives anticipées de fin de vie, qui permettent de respecter la volonté de la personne. En l’absence de telles directives, on interroge la famille, les proches et les soignants.

Le problème du don d’organe se pose de la même manière. Dans les pays où un registre du oui existe, c’est seulement si la personne ne s’est pas inscrite à ce registre que l’on demande à la famille si cette personne n’a pas exprimé une réticence. Si la personne porte une carte de donneur, mais que sa famille affirme qu’elle n’est pas sûre qu’elle voulait donner, on ne prélèvera pas, ce qui est paradoxal. On n’accorde pas une grande valeur à ce qui a été exprimé. L’idée d’encourager l’expression de la volonté pourrait même encourager la solidarité et la générosité dans les dons d’organe.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président. – Je voudrais réagir à vos propos sur les différents niveaux de solidarité en fonction de l’âge de l’individu. Que je sache, la vieillesse – y compris accompagnée de la maladie d’Alzheimer – n’est pas considérée comme une maladie. En tant que président de conseil général, je ne saurais comment faire pour financer toutes les maisons de retraite. Les personnes âgées dépendantes le sont de plus en plus tard : l’âge moyen d’entrée en EHPAD est de plus de quatre-vingts ans pour les hommes et de quatre-vingt-quatre ans pour les femmes. La durée de séjour est d’un peu plus d’un an. Les EHPAD sont payants car ils comportent le gîte et le couvert, la société étant solidaire uniquement quand les personnes sont malades.

M. Jean-Claude Ameisen. – Il en va de même pour les personnes handicapées : elles ne sont pas malades, mais la solidarité s’exerce envers elles tant qu’elles ont moins de soixante ans. Parmi les personnes de plus de soixante ans, certaines sont fragiles uniquement parce qu’elles sont âgées, d’autres parce qu’elles sont gravement malades ou handicapées. Ces deux situations sont différentes. Dans le premier cas, on peut considérer qu’il ne s’agit que d’hébergement ; dans le second, la situation devrait être la même, que la personne ait plus ou moins de soixante ans. Une personne handicapée n’est pas malade ; néanmoins, elle ne paie pas son hébergement dans une institution médicalisée tant qu’elle n’a pas plus de soixante ans.

Le rapport du CCNE expose un certain nombre de points de vue exprimés lors du débat, qui témoignent d’une incompréhension et d’un refus devant cette différence de traitement lié à l’âge. Cette situation conduit aussi, je l’évoquais tout à l’heure, au risque que la personne âgée malade ou handicapée, dont la famille doit prendre en charge l’hébergement dans un EHPAD, souhaite disparaître pour faire cesser d’imposer ce coût à ses proches. Ceci n’est évidemment pas favorable à une réflexion sereine en amont de la fin de vie.

M. Gilbert Barbier. – Les parents réclament un acharnement thérapeutique.

M. Jean-Claude Ameisen. – La décision d’arrêt de la nutrition et de l’hydratation peut être prise. Quand l’enfant ne décède pas si l’on arrête les traitements, il demeure en vie mais restera handicapé. C’est une situation extrêmement douloureuse, dans la mesure où la nutrition peut être effectuée sous forme habituelle pour un bébé car il s’agit de décider de faire entrer le nourrisson, le bébé, le nouveau-né ou le prématuré dans une situation de fin de vie. C’est un problème très complexe qui fait l’objet de réflexions des néonatalogistes. Nous mentionnons dans le rapport qu’il est, semble-t-il, jusqu’à aujourd’hui, indécidable : les décisions sont prises au cas par cas. Cela va au-delà de la question de l’obstination déraisonnable, dans le sens où on l’entend pour l’arrêt des traitements.

J’entends souvent dire qu’on « arrête les soins ». Pour le CCNE, on peut arrêter, dans certaines circonstances, des traitements qui maintiennent en vie, mais on n’arrête jamais les soins, on s’occupe toujours de la personne. L’arrêt des soins rejoint ce que je disais au début de mon intervention, à savoir la difficulté de dissocier, dans notre pays, l’idée de soin de celle de traitement. On soigne tout le monde et tout le temps, la question des traitements que l’on rajoute à ces soins dépend de l’expertise médicale et de la volonté de la personne.

M. Gilbert Barbier. – Qu’en est-il de l’insuffisant rénal dialysé pendant des années et qui souffre d’une autre affection ?

M. Jean-Claude Ameisen. – La dialyse est un traitement, pas un soin. Si on décide d’arrêter la dialyse, on n’arrête pas pour autant de soulager sa douleur. L’idée qui ressort de notre rapport est que le socle de la pratique médicale et de la santé publique est de prendre soin. Des traitements sont ajoutés aux soins quand cela est nécessaire. Tout comme le fait de confiner les soins palliatifs à la toute fin de vie, la confusion entre soins et traitements fait ressortir la difficulté que nous avons de soigner, au sens d’accompagner, des personnes dans un état de vulnérabilité. Il convient de diffuser, dans l’ensemble du corps médical, une culture des soins. Les soins palliatifs et leurs services spécialisés, tout comme d’autres spécialités médicales, seront alors envisagés quand apparaîtront des problèmes complexes nécessitant cette expertise particulière dépassant, par exemple, les compétences d’un généraliste, d’un cancérologue ou d’un pneumologue.

Il est très étonnant que la médecine soit démunie devant la douleur, la souffrance et la solitude. Il faut sortir du schéma dans lequel, quand la personne a mal, elle est envoyée ailleurs. Considérer que les soins palliatifs représentent une approche très spécialisée durant les trois dernières semaines de la vie ne résout pas le problème, sauf à multiplier à l’infini les services de soins palliatifs. L’idée qui ressort du débat public est de redistribuer les ressources plutôt que d’en créer de nouvelles. La pratique des soins palliatifs, au sens profond du terme, par les différentes spécialités de médecins, rendra inutile la multiplication des services de soins palliatifs.

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice. – Y a-t-il eu un travail de comparaison des pratiques et des textes dans les pays européens ? En Belgique, des parents et une équipe médicale ont renoncé à maintenir en vie un bébé, atteint d’un handicap majeur, mais je ne sais pas s’il y a eu sédation.

Le président Jean-Yves Le Déaut disait qu’on constatait une convergence de raisonnement entre le don d’organes et les directives de fin de vie, avec respectivement des registres du non et du oui. Ce qui est en cause est la souveraineté de l’individu à choisir son destin jusqu’à la fin. Dans le cas d’un éventuel registre du oui, ne pourrait-on envisager un oui « dégradable », par exemple renouvelable tous les cinq ans ?

M. Jean-Claude Ameisen. – On sait que le taux de remboursement optimal à l’hôpital court sur les seules trois dernières semaines de la vie. Si une personne bien informée se voit proposer une place dans un service de soins palliatifs, elle se doute que le médecin pense qu’il lui reste moins de trois semaines à vivre. C’est assez violent. Bizarrement, dans notre pays, les directives anticipées sont limitées à la fin de vie. En Allemagne et au Royaume-Uni, les directives anticipées concernent toutes les décisions que la personne voudrait voir prendre si elle n’était plus capable d’exprimer sa volonté : où doit-elle habiter, qui s’occupe de ses affaires… ? Y compris des décisions de toute fin de vie. Il s’agit de désigner une personne de confiance indépendamment de la fin de vie. Dans ces deux pays, les soins palliatifs sont possibles à tous les âges et les décisions sont à prendre sur tous les sujets, alors que, chez nous, c’est essentiellement pour la fin de vie. Le paradoxe, en France, est que les personnes de confiance pour les autres questions que l’action des médecins en fin de vie ne sont pas les personnes de confiance de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Une réflexion est donc nécessaire sur la signification des directives anticipées.

Le pourcentage d’enfants handicapés âgés d’un ou deux ans varie sensiblement d’un pays européens à l’autre. Ce n’est pas la fréquence du handicap à la naissance qui varie, mais la conduite des médecins après la naissance ou chez les prématurés. La notion d’obstination déraisonnable diverge dans les différents pays européens. Une réflexion au niveau européen permettrait de mieux comprendre les motivations et les conséquences de ces différentes approches.

Le consentement renouvelé pour les directives anticipées est aussi discuté. Dans le débat public, l’obligation de renouvellement ou la fixation de délais, tous les trois ou cinq ans par exemple, ont paru artificielles. On a suggéré de rendre les directives anticipées disponibles pour le corps médical : création d’un registre, inscription sur la carte Vitale… ou bien d’adresser, à intervalles réguliers, un courrier demandant à la personne si ses directives anticipées ont changé. C’est plus facile psychologiquement que de demander une reformulation complète des directives.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Je remercie M. Jean-Claude Ameisen et le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour ce travail très important pour la législation, la règlementation et les bonnes pratiques. Je retiens la suggestion de M. Ameisen selon laquelle l’Office pourrait évaluer le rapport du CCNE et travailler sur la meilleure façon d’animer un débat sur un sujet éthique. La loi dit qu’à chaque fois qu’on modifie la législation sur la bioéthique, il faut organiser un débat citoyen. Le débat sur la fin de vie est-il bien organisé ?

Je souhaiterais savoir si vous pensez que la conférence de citoyens a été utile. J’ai noté que la conférence de citoyens ne distingue pas l’assistance au suicide de l’assistance à l’euthanasie, au contraire de ce que pensent les experts.

Devons-nous modifier la loi, sachant que les avis sont partagés ? J’ai noté de vos propos que la loi confond phase terminale et avancée. Faut-il mettre en place un registre du oui, pour les directives anticipées comme pour les dons d’organes ? La loi de 2005 n’est-elle pas respectée parce qu’elle devrait être améliorée ?

Dernière question : pensez-vous, au CCNE, qu’une audition publique complémentaire de l’Office sur la sédation serait utile ? Le sujet est complexe en raison des différents types de sédation ou de l’entrée dans l’inconscience.

M. Jean-Claude Ameisen. – Le rapport n’évoque pas la question du don d’organe.

La conférence de citoyens a montré l’intérêt de voir réunies des personnes très diverses, dix-huit personnes qui ne se connaissaient pas. Nous avons vu réfléchir des personnes qui se confrontent pour la première fois à un sujet qui concerne tout le monde, mais qui nécessite expertise et connaissances nouvelles. Il est intéressant que la conférence de citoyens ait perçu le problème de façon différente, cela montre qu’il y a plusieurs façons de comprendre, cela augmente le champ des questions et des réponses possibles. Réfléchir à une question de ce type en croisant des regards divers est très intéressant. La conférence de citoyens n’est pas un moyen privilégié de débat public, mais tous les moyens de débat public qui réunissent des personnes venant d’horizons divers ont une utilité, plus grande que celle résultant des débats habituels avec des personnes de mêmes formations et qualités.

Le deuxième enseignement est la différence majeure entre les sondages, où l’on demande à chaque personne ce qu’elle pense au moment où on lui pose la question, et la rencontre de personnes qui réfléchissent ensemble à un sujet après avoir eu la possibilité de s’informer. C’est un contrepoint extrêmement utile pour vérifier que la réflexion se construit, qu’elle n’est pas seulement le reflet de ce que pensent les gens à un moment donné. Le côté pédagogique de la conférence de citoyens est intéressant. Nous avons été frappés par le fait que les citoyens, qui venaient de nous présenter leur avis, nous ont dit avoir été transformés par l’expérience. Certains se sont revus et ont même écrit des articles ensemble. Participer à une conférence de citoyens permet de dire au reste de la société que nous sommes tous capables de réfléchir, à condition de nous informer et de prendre le temps de nous réunir, indépendamment de l’opinion sur laquelle la conférence de citoyens se met d’accord.

Le CCNE, à travers son avis n° 121, et moi-même, pensons qu’une partie des évolutions nécessaires mérite ou nécessite une modification de la loi : directives anticipées, sédation profonde jusqu’au décès, délibération collective. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie se veut une transposition, à la fin de vie, de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Mais elle est perçue par beaucoup comme concernant plus les devoirs des médecins que les droits des patients. Plusieurs dispositions de la loi sont d’ailleurs issues du code de déontologie.

Une audition publique sur la sédation profonde serait sûrement utile. Mais ne risquerait-elle pas de donner l’impression que les modalités pratiques et précises de la sédation constitueraient les seuls éléments importants ? Je crains un débat d’experts sur les seules questions de modalités, alors que la question de fond est l’accélération de la fin de vie. Je me demande si ce débat sur la sédation ne gagnerait pas à être organisé dans un deuxième temps, une fois le paysage sur la fin de vie recomposé d’un point de vue législatif. La technique utilisée pour endormir les personnes ne préjuge pas du fait que le législateur choisira de donner ou non un droit à l’endormissement jusqu’au décès. Ce ne sont pas les médecins ni les biologistes qui sont, en dernier ressort, ceux qu’il faut consulter sur les questions fondamentales de la fin de vie. Ces techniques sont évidemment très importantes, mais le socle à définir consiste à statuer sur cette décision partagée.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Je vous remercie, Monsieur Ameisen. Nous allons reprendre contact avec vous pour examiner la possibilité d’une nouvelle audition publique sur un sujet à déterminer relatif à la fin de vie.

M. Jean-Claude Ameisen. – Je vous propose un sujet : les enjeux organisationnel, logistique, formatif, technique et économique sont majeurs. Comment transformer une organisation de soins palliatifs en toute fin de vie dans des services spécialisés en une culture de soins palliatifs proposable à domicile par tous les médecins ? Nous pensons que cette transformation ne demande pas d’effort supplémentaire et qu’elle peut s’effectuer par redéploiement de ressources. Il serait très intéressant d’en examiner la faisabilité.

M. François Commeinhes, sénateur.Je souhaiterais évoquer la chance que représente l’hospitalisation à domicile. Or, en raison des mentalités ou des habitudes, cette possibilité n’est pas suffisamment utilisée. Les soins palliatifs ne doivent pas être confinés à la fin de vie, ils sont quelquefois nécessaires pendant 20 ou 30 ans. En tant que médecin gynécologue obstétricien, je suis confronté aux interruptions thérapeutiques de grossesse à partir de 25 ou 28 semaines. La loi doit certes être clarifiée, mais tous les cas de figure ne pourront être prévus. Il faut distinguer les soins palliatifs de l’arrêt des soins curatifs à un certain stade. Nous le faisons au quotidien, en partenariat avec les familles, les patients et les confrères.

M. Jean-Claude Ameisen. – Cette confusion existe aussi dans d’autres domaines. Nous avons écrit dans le rapport que les soins palliatifs et l’accompagnement qu’ils procurent sont d’une très grande qualité, mais ils sont minoritaires dans notre pays. Pour une grande partie des personnes, cet accompagnement n’est pas disponible : comment faire en sorte qu’il le soit, non pas forcément en multipliant les structures spécialisées, mais à travers l’hospitalisation à domicile, voire les soins à domicile ? Comment faire en sorte que ce ne soit plus un problème spécifique de fin de vie, de service spécialisé et de spécialistes ?

M. François Commeinhes, sénateur.La preuve en est que tout le monde va mourir aux urgences. Très peu de personnes souhaitent mourir dans les EHPAD, les services de soins de suite et de réadaptation (SSSR) ou les services de soins palliatifs.

M. Jean-Claude Ameisen. – Tout le monde voudrait mourir à domicile, mais la manière selon laquelle le système de santé est organisé fait que, lorsque quelque chose de grave survient, le patient est envoyé aux urgences.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Le système allemand est différent. Les soins palliatifs sont prodigués à l’hôpital très en amont. Le patient revient ensuite chez lui et, quand on voit que la fin est proche – entre deux jours et deux mois –, il est transféré dans un établissement spécialisé qui n’est pas un service de soins palliatifs.

*

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous en venons à un point de l’ordre du jour que j’ai souhaité ajouter pour accélérer la publication de nos travaux concernant deux auditions ouvertes à la presse intervenues l’une au début, et l’autre à la fin de l’été dernier.

Mme Anne-Yvonne le Dain n’est pas disponible aujourd’hui pour présenter ses conclusions concernant l’audition publique du 3 juillet dernier, organisée en collaboration étroite avec les responsables de l’Alliance AllEnvi, sur le thème : « Construire une société nouvelle, améliorer notre compétitivité grâce à la recherche environnementale ». Ce n’est que partie remise pour une prochaine réunion.

J’invite maintenant le Premier vice-président Bruno Sido à présenter ses conclusions concernant l’audition publique du 25 septembre dernier sur le thème : « Le tournant énergétique allemand : quels enseignements pour la transition énergétique française ? »

– Présentation des conclusions de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST, relatives à l’audition publique du 25 septembre 2014 sur « Le tournant énergétique allemand : quels enseignements pour la transition énergétique française ? »

M. Bruno Sido. – L’Office parlementaire a organisé, à mon initiative, une audition publique, ouverte à la presse, sur le tournant énergétique allemand et ses enseignements pour la transition énergétique française.

Cette audition s’est déroulée au Sénat, en salle Médicis, quelques jours avant le renouvellement sénatorial. Cet inconvénient de calendrier fut partiellement compensé par la diffusion de l’audition, le jour même de sa tenue, sur la chaîne Public Sénat et sur le site Internet du Sénat.

J’avais souhaité, en effet, réunir rapidement, avant la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique un certain nombre de personnalités, acteurs et experts, français et allemands, susceptibles de nous éclairer sur les enseignements à tirer de l’expérience allemande. Depuis lors, la discussion du projet de loi sur la transition énergétique est intervenue à l’Assemblée nationale, au mois d’octobre. Elle doit se dérouler au début de l’année 2015 au Sénat.

Pourquoi diriger les projecteurs spécifiquement sur l’Allemagne ? Parce que la comparaison avec ce pays est souvent invoquée lorsqu’il est question de transition énergétique. L’Allemagne fait figure tantôt de modèle, tantôt d’épouvantail, mais le chemin suivi par ce pays est rarement l’objet d’une analyse détaillée, au-delà de l’invocation de principe.

De ce point de vue, l’audition du 25 septembre a permis d’éclaircir un certain nombre de points. Les intervenants réunis, de grande qualité, nous ont communiqué des éléments factuels et nuancés, provenant de sources diversifiées.

Ces éléments sont retranscrits dans le présent document, y compris les schémas et graphiques projetés sur écran qui figurent dans le second tome. Cette présentation en deux tomes étant destinée à un confort de lecture amélioré par rapport à un unique tome.

Les auditions publiques de l’OPECST constituent, à mon sens, un outil à disposition de tous, destiné à enrichir les futurs travaux.

C’est pourquoi il n’est pas question de tirer aujourd’hui, entre nous, de conclusions définitives sur le tournant énergétique allemand, mais simplement de mettre à disposition de chacun des membres de l’Office, puis de chacun des parlementaires, les éléments communiqués lors de l’audition.

Ces éléments sont d’une grande richesse et constituent, je le crois, une perspective particulière et originale sur un sujet d’une grande actualité.

Je ne serai pas beaucoup plus long, car si nous voulions analyser l’état des lieux de la transition énergétique en Allemagne, nous pourrions dire que c’est une catastrophe. Du lignite est brûlé pour pallier l’arrêt des centrales nucléaires. L’installation de lignes à très haute tension entre le nord de l’Allemagne, où se situe la production, et le sud, où se situe la consommation, fait débat.

Tirer des conclusions aujourd’hui serait prématuré puisque la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est en cours. Les représentants d’énergéticiens allemands, présents à l’audition du 25 septembre, nous ont présenté la situation et les obstacles auxquels ils étaient confrontés. Ces énergéticiens connaissent, en effet, de graves difficultés financières. Le financement de la transition énergétique pose problème. Les Allemands multiplient, en effet, les éoliennes et les lignes à haute tension. Ils possèdent une banque qui finance les travaux à des taux très bas.

Les Allemands font donc preuve d’une volonté forte mais la mise en œuvre du tournant énergétique est plus difficile que prévu.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je remercie notre collègue Bruno Sido. L’Office parlementaire adopte ces conclusions qui n’en sont donc pas vraiment. Si certains de nos collègues souhaitent effectuer une contribution à ce rapport, un délai d’une semaine leur est imparti pour cela.

La séance est levée à 18 h 30

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mardi 9 décembre 2014 à 16 h 30

Députés

Présent. - M. Jean-Yves Le Déaut

Excusés. - Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Alain Marty, M. Jean-Louis Touraine

Sénateurs

Présents. - M. Gilbert Barbier, Mme Marie-Christine Blandin, M. François Commeinhes, M. Roland Courteau, Mme Dominique Gillot, M. Bruno Sido

Excusés. - Mme Delphine Bataille, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Alain Houpert, M. Jean-Pierre Leleux, M. Jean-Pierre Masseret, M. Christian Namy, Mme Catherine Procaccia