Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 20 mai 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 66

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, Président puis de M. Bruno Sido, sénateur, Premier vice-président

Questions diverses 2

Audition du Comité économique, éthique et social du Haut Conseil des biotechnologies 4

Présentation des conclusions relatives à l’audition publique sur « Le numérique au service de la santé » du 15 mai 2014 par M. Gérard Bapt, député, et Mme Catherine Procaccia, sénateur 20

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 20 mai 2015

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président

La séance est ouverte à 17 heures

– Questions diverses

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. - Avant de commencer l’audition du Haut conseil des biotechnologies, je voudrais évoquer deux points divers.

Je souhaiterais d’abord lancer un appel à candidature pour la participation à deux auditions publiques en préparation, l’une le 29 juin sur le thème « Les robots et la loi », l’autre le 2 juillet sur le thème « Big data et agriculture ». L’idée est que ceux d’entre nous qui sont intéressés et susceptibles de se libérer puissent assurer des présidences de tables rondes, pour ensuite jouer le rôle de rapporteurs lors de la présentation des conclusions devant notre Office. Ceux qui sont intéressés doivent se manifester auprès du secrétariat, qui vous donnera les informations nécessaires. Le secrétariat se chargera de contacter nos collègues absents par messagerie.

Mon second point d’information concerne la résolution adoptée le mercredi 13 mai par le Sénat pour modifier son Règlement. Dans l'article 1er modifiant l'article 23 bis du Règlement du Sénat, figure le point suivant :

« 4. - La commission des affaires européennes et les délégations se réunissent en principe le jeudi, de 8 heures 30 à 10 heures 30 en dehors des semaines mentionnées au quatrième alinéa de l'article 48 de la Constitution, toute la matinée durant lesdites semaines, et de 13 heures 30 à 15 heures. »

Or, au nombre des délégations visées, le Sénat compte l'Office. Le rapport de la commission des lois du Sénat est sans ambiguïté à cet égard. Il me semble que cette disposition pose un problème de conformité à la Constitution, puisque le statut législatif de l’Office prévoit que « La délégation établit son règlement intérieur ; celui-ci est soumis à l’approbation des bureaux des deux assemblées ». En outre, il est difficile de comprendre qu’une des deux assemblées impose, via une résolution unilatérale, une contrainte de fonctionnement aux dix-huit membres de l'autre assemblée.

La disposition module la contrainte en utilisant la formule « en principe » ; mais cette formule ne vise qu'à prévoir des situations exceptionnelles – (le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, a évoqué ce point à la tribune en mentionnant le cas de l'invitation par la commission des affaires européennes d'un commissaire européen, dont les contraintes d'agenda primeraient) – or la présence de députés membres dans le cadre du fonctionnement de l'OPECST n'a évidemment aucun caractère exceptionnel.

Nous attendrons donc avec intérêt la décision du Conseil constitutionnel, qui a automatiquement été saisi, en vertu de l’article 61 de la Constitution, sachant que la saisine est suspensive, donc que rien n’est applicable d’ici là. Pour l’instant, je propose que nous ne modifions rien à notre ordre du jour prévu, ni à nos pratiques. J’ai demandé un rendez-vous au Président du Sénat, M. Gérard Larcher, qui a déjà donné à deux reprises son accord de principe, mais sans qu’une date soit à ce jour fixée. Souhaitez-vous évoquer d’autres questions diverses ?

M. Christian Bataille, député, vice-président. - Je souhaiterais faire une suggestion pour les semaines à venir, avant ou après les vacances d’été. Nous avons auditionné le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, M. Pierre-Franck Chevet. Le problème de la cuve de l’EPR de Flamanville a été évoqué de façon assez laconique, sans que soient fournies à cette occasion des informations précises, mais commenté de façon, à mon sens, extrêmement négative. Je crois qu’il est dans la vocation de l’Office d’aller plus au fond des choses. Aussi, je propose d’organiser, comme nous l’avons déjà fait sur d’autres sujets pointus ou spécifiques, une audition publique, au cours de laquelle nous pourrions entendre les avis, éventuellement contradictoires, des spécialistes sur le problème évoqué lors de cette audition.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Je pense que l’organisation d’une audition est de droit dès lors qu’un membre de l’Office la demande. En l’occurrence, j’estime souhaitable la tenue de cette audition publique pour approfondir cette question, comme nous l’avons déjà fait sur un grand nombre de sujets, par exemple l’accident de la centrale de Fukushima, les bio-similaires ou dernièrement les drones. En l’absence d’objection, cette audition publique sera assez rapidement organisée.

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, vice-présidence. - Je suis tout à fait d’accord pour l’organisation d’auditions publiques mais je pense qu’il faudrait clarifier la question de leurs suites. Celles-ci font-elles uniquement l’objet d’un compte rendu ou également de conclusions portées par un rapporteur, éventuellement sujettes à un vote ? Plusieurs auditions ont donné lieu à des suites différentes : un simple compte rendu, un compte rendu et des conclusions ayant fait l’objet d’un vote ou d’un accord tacite. Il n’est pas nécessaire d’en décider aujourd’hui mais il conviendrait de clarifier nos modalités de fonctionnement.

M. Jean-Yves Le Déaut. - À deux exceptions près, nous sommes presque toujours parvenus à un consensus. En l’absence de consensus, il est procédé à un vote sur les conclusions. À partir du moment où des désaccords s’expriment, chacun peut mettre au procès verbal une contribution exprimant sa position. S’agissant du sujet évoqué, s’il n’y avait pas consensus, ce principe sera appliqué.

Mme Marie-Christine Blandin. - Je n’y vois aucune difficulté. Comme par le passé, pour des auditions relatives à la grippe ou aux vaccins, nous nous étions bornés à un compte rendu des exposés, je souhaitais un éclaircissement sur notre mode de fonctionnement.

M. Jean-Yves Le Déaut. - C’est une décision du Bureau qui a considéré que l’apport d’une journée d’auditions était plus riche si elle était suivie d’un débat entre nous sur le sujet traité.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président. - Pour ma part, j’estime que si une audition publique doit bien entendu faire l’objet d’un compte rendu, sur lequel il est d’autant plus facile de parvenir à un consensus que son déroulement est filmé, nous n’avons pas nécessairement besoin de faire suivre celui-ci d’un avis.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Compte tenu des positions différentes des membres, nous essaierons de trouver un accord avant la prochaine audition.

– Audition de Mme Christine Noiville, présidente du Haut Conseil des biotechnologies (HCB), de M. Jean-Christophe Pagès, président du comité scientifique du HCB, de M. Claude Gilbert, président du Comité économique, éthique et social du HCB et M. Jean-Christophe Gouache, vice-président du comité économique, éthique et social

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. – Madame, Messieurs, , je vous remercie vivement d’avoir accepté collectivement cette discussion avec nous.

Permettez-moi d’abord de situer cette audition dans le programme de travail de l’OPECST. L’Office suit depuis son origine la question des biotechnologies. Je rappellerai seulement ses deux derniers rapports sur ce sujet, sans remonter au rapport ancien sur les OGM de 1998 :

– « Quelles leçons tirer de l’étude sur le maïs transgénique NK 603 ? », qui était le compte rendu de l’audition publique du 19 novembre 2012 et de la présentation des conclusions de cette journée le 18 décembre 2012. Participaient à cette audition M. Jean-François Dhainaut, précédent président du HCB, Mme Christine Noiville, alors présidente du comité économique, éthique et social du HCB, et M. Jean-Christophe Pagès, président du comité scientifique du HCB.

– « La place des biotechnologies en France et en Europe », que j’ai eu l’honneur de rapporter en janvier 2005.

La Commission du développement durable de l’Assemblée nationale a saisi, en février 2015, l’Office sur l’état des recherches en matière de biotechnologies et d’organismes génétiquement modifiés. Elle nous a demandé de mener une étude sur les enjeux économiques et environnementaux de toutes ces nouvelles biotechnologies, qui dépassent largement la transgénèse. L’Office a confié à Mme Catherine Procaccia, sénateur, et à moi-même cette étude concernant les nouvelles technologies dans les biotechnologies. Nous aurons sûrement l’occasion de nous revoir à ce sujet.

Par ailleurs, les ministres chargés de l’agriculture, de l’enseignement supérieur et de la recherche ont mis en place une mission dans les domaines de la recherche, de l’innovation et du développement, avec comme objectif d’élaborer un plan « Agriculture ‐ Innovation 2025 » ; elle rassemble MM. Pierre Pringuet, président du conseil d’administration d’Agroparistech, François Houllier PDG de l’INRA, Jean‐Marc Bournigal, président de l’IRSTEA, Mme Marie‐Noëlle Semeria, directrice du laboratoire CEA‐Leti, et M. Philippe Lecouvey, directeur de l’ACTA. Mme Catherine Procaccia et moi-même avons prévu de rencontrer les membres de cette mission le 11 juin prochain. Cette mission devrait inclure la problématique des biotechnologies et des OGM mais aussi d’autres sujets : agro‐écologie, biocontrôle, agroéquipements, développement de l’agriculture numérique et de la bioéconomie... Nous avons d’ailleurs prévu une journée d’étude le 2 juillet sur les liens entre agriculture, informatique et objets connectés, car c’est un sujet d’actualité. D’ores et déjà, les contacts pris entre nous montrent que l’étude de l’OPECST et la mission ministérielle sont complémentaires. En outre, elles s’échelonneront dans le temps, la mission ministérielle devant rendre ses travaux en septembre 2015 ; nous-mêmes commencerons nos travaux une fois les résultats de cette mission connus.

J’en viens maintenant à l’audition de ce jour. Le Haut Conseil des biotechnologies, créé par la loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM), est une instance indépendante chargée d’éclairer la décision publique sur toutes questions intéressant les biotechnologies. Placé auprès des cinq ministères chargés de l’environnement, de l’agriculture, de la recherche, de la santé et de la consommation, il est consulté sur des dossiers de demande de culture, d’essai, d’utilisation ou de commercialisation d’OGM. Il formule en outre des avis généraux sur l’évaluation des risques, la méthodologie et les impacts des biotechnologies. Enfin, le HCB mène des actions d’information se rapportant à ses missions.

La dernière audition du HCB par l’OPECST date de juin 2011 ; où le HCB était alors représenté par votre prédécesseur, M. Jean-François Dhainaut, Mme Christine Noiville, en tant que présidente du comité économique, éthique et social, et M. Jean-Christophe Pagès, déjà président du comité scientifique du HCB.

Madame Noiville, vous avez pris vos fonctions au début de l’année 2015. Nous avons regretté, comme vous, que vos ministères de tutelle n’aient pas procédé à la désignation des membres du HCB dès la fin du premier mandat de cinq ans se terminant le 30 avril 2014, la même mésaventure est arrivée à d’autres instances comme le HCTISN. Il en est résulté une situation fort dommageable où le HCB n’a pas fonctionné pendant les huit derniers mois de l’année 2014, au détriment des organismes de recherche et d’enseignement public ou privé ou d’établissements de production industrielle sollicitant auprès de vous des autorisations.

Nous serions très heureux de vous entendre présenter un bilan de l’activité du HCB, rappelant votre mode de fonctionnement et donnant une idée des dossiers en cours. À cause de la suspension des travaux du HCB en 2014, le dernier rapport d’activité publié par vos soins porte sur les années 2012 et 2013, mais vous pourrez sans doute nous donner des informations sur les principaux développements intervenus depuis le début de l’année 2015.

Nous avons maintenant un représentant auprès du HCB, Mme Anne-Yvonne Le Dain, et M. Gérard Bapt sera désigné pour la suppléer.

Un certain nombre de nos collègues, voyant les difficultés du HCB, ont douté de son utilité. On se rappelle la démission en janvier 2012 des représentants de plusieurs organisations siégeant au comité économique, éthique et social du HCB, en raison de positions trop divergentes et d’un dialogue difficile.

Au sein de la nouvelle configuration du HCB, ces problèmes sont-ils résolus ? Êtes-vous arrivés à un fonctionnement plus apaisé, ce qui est à mon sens nécessaire à un dialogue constructif ?

Madame la présidente, je vous donne la parole.

Mme Christine Noiville, présidente du Haut Conseil des biotechnologies. – Merci beaucoup Monsieur le Président. Mesdames et messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis ravie de me retrouver à nouveau devant vous, avec mes collègues
Jean-Christophe Pagès, Claude Gilbert et Jean-Christophe Gouache, dont vous avez cité les fonctions au sein du HCB, pour échanger sur le fonctionnement du Haut Conseil, et plus généralement sur les questions liées aux biotechnologies.

Je vais commencer par présenter le HCB, ses missions et les grandes caractéristiques qui marquent cette institution. Ensuite, je dirai quelques mots du deuxième mandat qui s’ouvre et des auspices sous lesquels il débute. Après quoi je laisserai la parole aux deux présidents pour que chacun expose les activités de son propre comité.

Je rappelle que le HCB a été mis en place en 2009 en application de la loi du 25 juin 2008 sur les OGM. Sa mission première est d’éclairer le Gouvernement sur toutes biotechnologies, ce qui lui donne un champ extrêmement large. Entre autres, le HCB est invité à donner un avis au Gouvernement sur toutes les demandes qui sont formulées par des pétitionnaires, chercheurs, industriels ; toutes les demandes d’utilisation confinée d’OGM, d’essais, qu’il s’agisse d’essais de plantes en champ, d’essais de thérapies géniques, de médicaments ou autres ; et toutes les demandes d’autorisations de mises sur le marché, qu’il s’agisse d’importations de plantes transgéniques, de mises en culture, de commercialisations de médicaments vétérinaires issus des biotechnologies, etc.

En plus de ces missions règlementaires, le HCB peut se saisir ou être saisi de toutes questions relatives aux biotechnologies.

Par ailleurs, le HCB est aussi un modèle très original comparé aux instances d’expertise classique (en France ou à l’étranger), puisque précisément il ne s’agit pas que d’une instance d’experts. Le législateur a voulu que le HCB compte non seulement un comité scientifique (CS), mais aussi un comité économique, éthique et social (CEES), composé de personnalités qualifiées (juristes, économistes, sociologues) et également de parties prenantes. Certaines questions d’impact environnemental et sanitaire relèvent du comité scientifique mais d’autres questions sont au centre des débats sur les biotechnologies : quels bénéfices ces produits peuvent-ils apporter aux consommateurs, quel intérêt pour les agriculteurs, quel apport en termes de compétitivité, les questions relatives à la protection des innovations, etc. ?

Deux comités coexistent, l’un composé de quarante scientifiques de différentes disciplines, l’autre de trente-trois personnalités qualifiées et parties prenantes, dont vingt-sept parties prenantes ; cela rend l’exercice délicat, comme vous l’avez dit tout à l’heure, mais c’est aussi ce qui fait la richesse du Haut Conseil.

Nous sommes généralement saisis par les cinq ministères auprès desquels nous sommes placés mais nous pouvons également être saisis par des associations agréées, des groupements professionnels ou de salariés, mais aussi des parlementaires – c’est déjà arrivé à deux reprises. Il est également prévu que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques puisse nous saisir, et nous serions évidemment ravis de pouvoir répondre à vos éventuelles demandes si le cas se présentait. Le HCB peut également s’autosaisir, comme cela a été fait à plusieurs reprises durant son premier mandat.

Pour terminer cette présentation générale, voici quelques chiffres que vous retrouverez dans le document que nous vous avons transmis.

D’abord, en termes de ressources humaines, outre les membres des comités et les présidents, le HCB est une équipe de neuf permanents, dont six chargés de missions et trois administratifs, avec un budget d’un million d’euros par an.

6 000 avis ont été rendus pendant le premier mandat, donc entre mai 2009 et mai 2014. Ce chiffre peut sembler colossal, mais une immense majorité de ces 6 000 avis sont des « avis de classement » d’utilisation confinée, soit pour la recherche, soit pour la production industrielle. En réalité, environ 80 avis concernent les essais de thérapie génique, les essais en champ de plantes transgéniques, les mises sur le marché de plantes transgéniques et des sujets plus globaux, sur lesquels je reviendrai dans un instant.

Je voudrais maintenant dire quelques mots de ce deuxième mandat qui débute. Comme vous l’avez dit, les choses ont mis du temps à se mettre en place, puisqu’il s’est précisément écoulé huit mois et demi entre la fin du premier mandat et le début du deuxième. Durant ces neuf mois, le HCB a été mis en sommeil ou entre parenthèses. Cela nous a posé un certain nombre de difficultés, notamment au regard de pétitionnaires, pour lesquels l’avis du HCB est absolument requis, notamment lorsqu’ils veulent expérimenter au plan français. C’est ainsi qu’un certain nombre de pétitionnaires qui nous ont proposé des projets de thérapies géniques ont été bloqués pendant plusieurs mois.

Comme M. Jean-François Dhainaut n’a pas souhaité se représenter à la présidence du HCB, il a fallu que le Gouvernement sélectionne un nouveau candidat pour l’auditionner, ce qui explique une partie du délai. Ce délai est, par ailleurs, lié à deux raisons principales.

La première est que le Gouvernement a souhaité – en partie à l’initiative de l’ancienne équipe dirigeante du HCB – procéder à un certain nombre de modifications quant au fonctionnement et à la composition du Haut Conseil. Ces modifications ont pris un certain temps, puisque le décret modificatif a été signé le 1er septembre 2014.

La seconde raison tient au fait que, sur la base de ce décret, chaque organisme a été invité à nommer ses représentants au HCB, ce qui a pris un peu de temps, notamment en ce qui concerne le comité économique éthique et social. L’un des éléments clés pour nous était de faire en sorte que les cinq importantes organisations qui avaient démissionné du comité économique, éthique et social durant le premier mandat reviennent à la table des discussions. Nous pensions que le deuxième mandat n’aurait pas grand intérêt si l’ensemble des opinions et des intérêts en jeu dans ces questions n’étaient pas présents pour participer aux débats. Nous y sommes parvenus – et j’en suis assez ravie – mais cela a pris du temps, comme vous pouvez l’imaginer. Les membres et les présidents ont finalement été nommés le 30 décembre 2014, ce qui nous a permis d’organiser une réunion plénière le 6 février 2015, d’adopter un nouveau règlement intérieur et de commencer nos travaux avec un équipe assez renouvelée, puisque Jean-Christophe Pagès reste président du conseil scientifique, mais Claude Gilbert, que je laisserai se présenter, devient président du comité économique, éthique et social.

Quant aux grandes orientations du HCB pour ce deuxième mandat, certaines sont induites par le décret du 1er septembre 2014 déjà évoqué et qui vient apporter toute une série de modifications au fonctionnement. Je propose de m’arrêter sur les deux principales modifications, mais, si vous le souhaitez, nous pourrions aller davantage dans les détails durant la discussion.

Ces deux grandes modifications tiennent d’abord à la composition du bureau du HCB. Le bureau est l’organe politique qui décide des grandes orientations et qui, notamment, se prononce sur les suites à donner aux saisines ou aux propositions d’auto-saisine. Ce bureau était auparavant composé de cinq personnes : le président, les deux présidents de comité, et deux vice-présidents, l’un pour le comité scientifique (CS) et l’autre pour le comité économique, éthique et social (CEES). Cela a posé des problèmes durant le premier mandat : le vice-président du comité économique, éthique et social pouvait être une partie prenante, donc le représentant d’un intérêt donné. Il était symboliquement et factuellement compliqué de travailler au bureau dans ce contexte. C’est la raison pour laquelle nous avons considéré qu’il serait intéressant d’avoir un bureau plus représentatif des différentes sensibilités représentées au sein du CEES, et qu’il serait meilleur d’élire deux vice-présidents pour le CEES ; en conséquence de quoi, nous avons proposé d’élire également deux vice-présidents pour le CS pour une question d’équilibre.

Après quelques mois de fonctionnement, je trouve cette évolution assez positive, même si j’ai bien conscience qu’elle tient beaucoup à la personnalité des présidents et des vice-présidents qui ont envie de travailler dans un esprit très constructif.

La seconde modification tient à la composition des comités. D’abord, l’autorité publique a voulu renforcer le poids d’un certain nombre de disciplines scientifiques au sein du comité scientifique. Au sein du comité économique, éthique et social, on a voulu, d’une part, intégrer davantage d’économistes, de juristes et de sociologues, et, d’autre part, mieux représenter un certain nombre de segments de filières par rapport au premier mandat : en particulier, entrent de nouveau représentants des semenciers, de nouveaux représentants des agriculteurs, et des représentants de la distribution qui n’étaient pas représentés au CEES pendant le premier mandat. Cette nouvelle composition est-elle de nature à faciliter la concertation ? Je laisserai à Claude Gilbert le soin de répondre à cette question ; il est mieux placé que moi pour vous répondre. On peut dire, au moins, que la diversité des intérêts et des points de vue est plus finement représentée au sein du CEES, ce qui me semble positif.

Au-delà de ces évolutions fonctionnelles, les orientations nouvelles tiennent aussi à la feuille de route que j’ai proposée au Gouvernement, et qu’on s’attelle désormais à mettre en œuvre avec mes collègues du bureau. Je n’en détaillerais pas tous les éléments, mais je retiendrai deux grands points qui me paraissent être les plus saillants.

Tout d’abord, il faut travailler à un repositionnement du HCB pour en faire non seulement une instance qui réponde aux demandes d’avis émanant du Gouvernement sur des dossiers règlementaires mais aussi pour être un organisme de veille et de réflexion sur les grands sujets transversaux au cœur des grands débats sur les biotechnologies.

La mission première du HCB est de rendre des avis au cas par cas sur des dossiers pétitionnaires. Il s’agit des dossiers de chercheurs ou d’industriels, qui, encore une fois, demandent à pouvoir expérimenter, produire, commercialiser. Le HCB doit assumer ce rôle. Vous lirez la liste que nous vous avons remise : nous ne chômons pas, puisque de nombreux avis sont régulièrement rendus depuis le début du deuxième mandat, sur des demandes d’essais de thérapies géniques, ou sur des utilisations confinées. Nous sommes néanmoins convaincus que le HCB doit, parallèlement, mieux se positionner, d’abord en organisme de veille au service des pouvoirs publics, mais aussi en organisme de réflexion, sur des questions plus globales, qui ne peuvent pas être correctement abordées au cas par cas via les demandes des pétitionnaires. Je pense en particulier à des questions comme celles abordées en fin de premier mandat, sur les questions d’accès aux données brutes, aux données d’évaluation des pétitionnaires, et de transparence de ces données ; sur des questions de propriété industrielle, par exemple, quelle place faut-il accorder au brevet d’invention dans le domaine de la protection des innovations végétales ? Toutes ces questions-là sont des questions clés dans le débat sur les biotechnologies, et elles ne peuvent pas être correctement abordées par le prisme des dossiers, au cas par cas. Nous avons choisi de dire que le HCB devait être un lieu de réflexion, d’échange et de conseil sur ces sujets.

C’est la perspective dans laquelle nous, bureau du HCB, nous sommes situés lorsque nous avons demandé à M. François Houllier de contribuer au travail qui lui a été demandé sur le sujet des biotechnologies. Je rappelle que François Houllier est en charge d’une mission « Agriculture Innovation 2025 », comme vous l’avez mentionné. Nous engageons à cet égard deux réflexions, d’une part, sur la question des nouvelles technologies – et je suis ravie d’apprendre que vous allez travailler aussi sur cette question – d’autre part, sur la question des essais en champ, la question étant : y-a-t-il une reprise possible des essais de plantes génétiquement modifiées en champ en France ou non ? Si oui, à quelles conditions ?

Le second point de la feuille de route qui nous paraît très important est de monter en puissance dans les domaines d’expertise nouveaux, en particulier sur l’expertise des impacts socio-économiques des OGM. Chacun comprend à quel point il est important de mieux étudier cette question. Le CEES compte toute une série de personnalités qualifiées et de parties prenantes qui apportent des éléments extrêmement utiles et intéressants à cet égard, mais il faut quand même monter en puissance sur ce plan et notamment si on prend en compte la dynamique qui est en cours au plan européen depuis maintenant environ deux ans. Cette dynamique est double.

D’une part, la Commission européenne a mis en place un bureau socio-économique, dont l’objectif est précisément d’évaluer, en plus des impacts environnementaux et sanitaires, les impacts socio-économiques des OGM : quels sont leurs bénéfices sociétaux, quels sont leurs impacts sociétaux moins bénéfiques, et pour qui ?

D’autre part, le corps règlementaire européen vient d’être modifié par une directive du 11 mars 2015, qui prévoit que les États membres de l’Union européenne, s’ils le souhaitent, pourront désormais interdire ou limiter la mise en culture de plantes génétiquement modifiées sur leur territoire, pour des raisons autres qu’environnementales ou sanitaires ; parmi ces autres raisons figurent notamment les impacts économiques et sociaux des plantes génétiquement modifiées.

Toutes ces raisons nous conduisent à penser que le HCB, dont la mission est de conseiller le Gouvernement, doit être plus robuste sur cette question des évaluations socio-économiques. Nous y travaillons beaucoup et nous sommes en passe d’être saisis par le Gouvernement d’une demande dans le cadre de la transposition de la directive européenne que j’ai citée. Cette demande vise à expliciter le rôle que nous aurons dans ce cadre, comment nous travaillerons et quelle sera notre méthodologie.

J’en ai terminé avec le panorama général ; vous avez également posé la question des travaux qui avaient eu lieu jusqu’à la fin du premier mandat, pendant les six mois qui ne sont pas couverts par le dernier rapport d’activité. Nous en avons dressé une liste, qui se trouve sur les deux pages qui accompagnent la présentation. Si vous avez des questions, nous sommes bien évidemment à votre écoute. Quant aux doutes sur l’utilité du HCB, je laisse d’abord mes collègues prendre la parole, et nous pourrons ensuite en discuter lors d’un débat tous ensemble.

M. Jean-Christophe Pagès, président du comité scientifique du HCB. – Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés et Mesdames et Messieurs les sénateurs, je poursuis, comme l’a indiqué M. le Président Jean-Yves Le Déaut, mon mandat de président du comité scientifique que j’avais débuté lors de la précédente mandature.

Pour le comité scientifique, comme l’a rappelé Christine Noiville, les évolutions ont été importantes quoique modestes en termes de composition. En particulier, nous avons souhaité compter un peu plus d'agronomes dans le comité scientifique, puisque nombre de questions que nous avons à traiter ont trait à la pratique qui est mise en œuvre, au-delà de la caractéristique des plantes génétiquement modifiées. Des évolutions en cours devraient nous permettre de continuer à renforcer cet aspect qui est particulièrement important pour nous.

Quant aux dossiers et aux évolutions du comité scientifique, les deux grands domaines à propos desquels le comité est amené à se prononcer n’ont guère changé. Dans un premier temps, il y a tout ce qui concerne les OGM en milieu dit « confiné », ce qui concerne le laboratoire, la recherche (essentiellement institutionnelle, faite par des universités ou des organismes de recherche). Nous continuons à traiter ces dossiers. Parmi les questions que vous nous avez transmises, il y en avait une concernant la vitalité de ces recherches, notamment sur les plantes génétiquement modifiées ; je pourrais vous donner quelques chiffres. Sur cette question-là, nous poursuivons la refonte et la dématérialisation des dossiers que nous avions entamées avec le ministère de la recherche. En effet, les questions que nous avons abordées sont les questions d’adéquation entre l’environnement de biosécurité dans lequel les recherches sont menées et les objets biologiques qui sont étudiés ; c’est quelque chose de relativement technique.

J’en profite pour répondre à quelques-unes de vos questions qui concernaient les rejets. Il n’y a pas de véritable rejet au niveau où nous nous situons, puisque nous vérifions les adéquations.

En revanche, dès lors qu’il y a inadéquation entre un environnement et une demande, nous informons le ministère de la recherche qui est l’autorité compétente : nous sommes un organisme de conseil, nous sommes consultés sur les questions, mais nous n’établissons pas les agréments in fine. Lorsqu’il y a inadéquation, un dialogue s’instaure et il y a soit une requalification par le demandeur et une restriction, s’il n’avait pas les locaux adaptés, soit une clarification, ce qui est le plus souvent le cas, quand le dossier était imprécis ou ne donnait pas l’ensemble des éléments nécessaires pour bien orienter le classement et donc l’agrément qui en résulte. Formellement, nous n’avons pas eu l’occasion de rejeter de dossier traité sur ce plan, c’est-à-dire en termes de recherche.

Toujours dans le cadre de ce qui est appelé « confiné », il y a les autorisations de production industrielle. L’autorité compétente est alors le ministère de l’environnement. Là encore, nous n’avons pas eu à formuler de rejet : les demandes portent essentiellement sur des micro-organismes, pour produire des vitamines ou des acides aminés (qui sont des compléments). Les conditions de confinement, pour l’instant en tout cas, ne posent pas de questions particulières car les industriels sont relativement bien outillés pour répondre à ces questions. Voilà les deux principales activités pour le groupe « confiné ».

À côté de cela, il y a les dossiers de thérapie génique que Christine Noiville a évoqués. Sur ces dossiers de thérapie génique, une évolution est en cours : un décret de modification du traitement des dossiers de thérapie génique a été proposé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et le ministère de la santé. Ce décret nous touchait en particulier, car il vise à fluidifier le trajet des dossiers, pour notamment éviter un retard dans le traitement des dossiers de thérapie génique qui ne sont pas associés à une dissémination. Au moment où les demandeurs déposent leur dossier auprès du ministère de la recherche, ce qui est une obligation réglementaire, le HCB – et le comité scientifique en particulier –, qui était amené à proposer un classement et un confinement pour les patients, devrait désormais statuer sur les potentialités de dissémination.

Cette évolution est logique puisque le confinement du patient et la durée pendant laquelle le patient devait rester dans ce confinement dépendait de cette possibilité ou non de dissémination. En donnant ces éléments rapidement, les dossiers auront un traitement amélioré du côté de l’ANSM. Dans ce décret, figuraient d’autres dispositions que je ne commenterai pas et qui étaient plus spécifiques à l’ANSM.

Voilà pour la partie confinée. Pour la partie dissémination, les dossiers restent essentiellement des dossiers de plantes génétiquement modifiées. Ce sont des dossiers règlementaires, qui concernent les risques sanitaires et environnementaux associés aux importations ou aux éventuelles cultures, ou éventuellement les essais en champ.

La modification principale a eu lieu au cours de notre précédent mandat. C’était une redéfinition de nos relations avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), et en particulier sur les aspects sanitaires où l’ANSES était amenée à se prononcer. Nous reprenons leur analyse, nous la complétons, nous posons éventuellement des questions, mais il n’y a pas une ré-analyse exhaustive par le HCB.

Nous travaillons de concert avec le CEES sur nombre des questions transversales, sur la question des essais en champ en particulier, au travers de la mission « Houllier ». Nous avons mis en place un groupe de travail trans-comité dans lequel nous contribuerons.

Pour ce qui est des nouvelles technologies, nous allons faire le recensement des technologies qui auront un impact sur les innovations en agriculture, et nous allons identifier un certain nombre de questions (essentiellement des questions de définition). C’est un point sur lequel la Commission européenne travaille déjà : un des freins qui a été identifié par les industriels est la catégorisation de certaines de ces nouvelles technologies. Nous allons donner des éléments au Gouvernement, pour qu’il puisse se positionner sur le plan européen, et contribuer à consolider ou à résoudre cette question ; ce n’est pas à nous de proposer une décision.

Je sais qu’il y avait d’autres questions qui concernaient notamment les huîtres triploïdes ou les biosimilaires, mais nous serons amenés à en parler à la suite de la présentation de Claude Gilbert.

M. Claude Gilbert, président du comité économique, éthique et social du HCB. – Tout d’abord, il est clair que nous sommes dans un contexte difficile. Les antagonismes sont durement construits. Nous sommes dans un paysage qui a longtemps été caractérisé par une guerre ouverte, et avec une violence très importante dans les propos. La tâche du CEES est a priori une tâche extrêmement difficile. Je vais pourtant reprendre quelques points qui laissent espérer des évolutions positives.

Comme cela a déjà été évoqué, le fait qu’un certain nombre de représentants d’organismes soient revenus signer est un fait extrêmement positif, et nous nous en réjouissons. Je tiens d’ailleurs à saluer ceux qui sont revenus ; ce n’était pas très facile pour eux, mais ils l’ont fait.

L’autre point positif, Christine Noiville l’a souligné, c’est que les personnalités qualifiées sont plus nombreuses. Maintenant elles sont au nombre de six, ce qui change déjà le mode de fonctionnement du CEES pour deux raisons.

Tout d’abord, ce sont des intermédiaires entre les parties prenantes et l’univers de la recherche, notamment l’univers de la recherche en sciences humaines et sociales. Je tiens d’ailleurs à insister sur le fait que les sciences humaines et sociales se sont très largement détournées de cette question des OGM ; question trop chaude, trop difficile, trop conflictuelle, trop difficile à réintégrer dans la réflexion académique… Là encore, c’est un effet extrêmement positif.

Nous avons des nouveaux arrivants, nous avons des distributeurs, nous avons des consommateurs, etc. Lorsqu’on me demande de présenter le CEES et que je dis que nous allons de l’Union Française des Semenciers, du LEEM (Les entreprises du médicament) jusqu’à Greenpeace, France Nature Environnement, les Amis de la Terre, cela surprend considérablement de voir l’ensemble de ces personnes assemblées. Il y a des intermédiaires : les syndicalistes, les associations de familles, l’Office parlementaire qui est représenté en tant que tel ; il y a le comité consultatif national d'éthique. Nous sommes une trentaine de personnes, et je crois qu’un équilibre a réussi à se constituer malgré tout.

Un autre effet positif est le mode de fonctionnement que nous avons adopté. Je suis un nouvel arrivant, mais j’ai réussi, en discutant avec mes collègues, à tirer les leçons de l’expérience de la précédente mandature. Nous avons modifié notre mode de fonctionnement, qui est pour beaucoup fondé sur les groupes de travail. Les plénières sont importantes, mais nous avons des groupes de travail. Nous n’avons plus de responsables de groupes de travail, mais des rapporteurs, qui rapportent régulièrement les travaux qu’ils effectuent dans le cadre de groupe de travail. Cela peut sembler anecdotique, mais ce ne l’est pas forcément. Dans les groupes de travail, nous arrivons à discuter, nous arrivons à échanger, et même ceux qui ont des positions opposées acceptent l’échange. Lorsque nous sommes en plénière, vous le savez mieux que moi, les postures prennent souvent le pas. Ainsi, nous avons réussi finalement à trouver une dynamique qui semble intéressante.

L’autre point qui change considérablement le travail du CEES, c’est que jusqu’à présent le CEES n’avait essentiellement qu’à réagir aux avis du conseil scientifique, sur les aspects des risques sanitaires et environnementaux.

Comme l’a dit Christine Noiville, la directive 2015-412, qui donne la possibilité aux gouvernements de se prononcer par rapport aux OGM sur des critères sociaux et économiques, change complètement la donne. Le champ de compétences qui avait été dégagé dans le cadre du HCB se remplit du fait même de ce changement qui a lieu au niveau européen. Bien entendu, cela nous donne des obligations, qui ne sont pas simples à régler. Nous devons monter en compétences sur les aspects sociaux et économiques : il faut vérifier les méthodes, les analyses qui existent en France et ailleurs.

Un autre point qui nous permet d’être un peu optimistes, est que nous avons évolué sur la façon d’élaborer des recommandations. Vous savez que le CEES émet des recommandations quand le CS émet des avis, c’est une nuance importante. Bien entendu, nous essayons de rapprocher les points de vue, mais, d’une certaine façon, nous sommes sans illusion. Nous cherchons à rapprocher les points de vue, mais on se donne comme objectif beaucoup plus important de faire en sorte que tous ceux qui prennent position développent complètement leurs arguments, exposent complètement leurs arguments, et cherchent, autant que nécessaire, les appuis en termes d’expertise pour appuyer leurs arguments.

Nous, le CEES, nous présentons comme des rassembleurs d’arguments et organisons la confrontation de ces arguments, sans nécessairement prendre position, mais de façon à ce que ceux qui nous sollicitent puissent avoir une vision à peu près complète des prises de positions et des arguments sur telle ou telle question.

Un dernier point qui peut changer aussi le mode de fonctionnement du CEES est que, jusqu’à présent, nous étions un peu enfermés dans un cadre hexagonal, et nous étions un peu également dans les questions des PGM (plantes génétiquement modifiées). La question des PGM est, à raison, au cœur des débats, mais d’autres OGM se profilent à l’horizon, et ils vont poser des problèmes redoutables. Je pense, par exemple, aux OGM présentés pour leurs vertus médicamenteuses. Je pense aussi aux OGM concernant les animaux. Tout cela ouvre un spectre considérable. Nous allons faire l’effort de nous décentrer dans les recommandations par rapport à l’hexagone, de faire sans arrêt des comparaisons, et de ne pas rester focalisés sur les abcès de fixation des débats actuels.

Nous commençons seulement : nous avons eu deux réunions plénières pour le moment, beaucoup de groupes de travail ont été mis en place ; j’ai l’impression que nous arrivons à avoir des échanges constructifs. Nous attendons avec un peu d’impatience d’être saisis pour pouvoir travailler complètement.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Nous vous remercions pour vos interventions. Je donne à présent la parole aux collègues souhaitant vous poser des questions, et vous pourrez réagir par la suite. Le Président Bruno Sido souhaite intervenir.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président. – Je vous remercie pour vos exposés.

À la lecture de votre plaquette de présentation et comme vous l’avez mentionné, je remarque que les OGM sont bien évidemment un aspect central de vos travaux.

Les OGM sont, de même, abordés de façon récurrente à la commission des affaires économiques du Sénat à laquelle j’appartiens depuis quinze ans – d’ailleurs sans que nous n’aboutissions jamais à des conclusions – ; il me surprend alors que vos rapports ne nous soient jamais parvenus. Je trouve cela regrettable, dans la mesure où le HCB est compétent et qu’en tant que « haute autorité », il a donné un certain nombre d’avis, qui devraient « faire autorité ».

Comme vos rapports ne me sont pas parvenus que pouvez-vous nous dire, sans entrer dans les détails, en quelques mots, sur les OGM et leurs apports éventuels ?

Mme Christine Noiville. – Je me contenterai de répondre sur le premier volet de la question ; je laisserai la seconde partie à mes collègues qui sont maintenant mieux placés que moi pour y répondre.

Faire en sorte que le HCB et ses avis soient plus lisibles est un troisième point évoqué dans ma feuille de route.

En tant que présidente du HCB mais aussi en tant que citoyenne, le débat sur les OGM me parait très confus : on comprend mal les enjeux, les articulations des positions des uns avec les opinions des autres, l’état des connaissances, les certitudes.

D’une certaine manière, les avis du HCB ne contribuent pas toujours à clarifier ce débat. Étant donné que les avis du HCB sont structurellement composés d’un avis scientifique et d’une recommandation du CEES, et que le principe que nous avons fixé est de ne pas cacher des opinions divergentes et de clarifier au mieux l’ensemble des positions, au bout du compte les avis deviennent difficilement lisibles.

Un des objectifs de ce deuxième mandat est précisément de faire en sorte, non seulement que les travaux soient mieux connus par l’ensemble des acteurs et en particulier par vous, les parlementaires, mais aussi qu’ils soient davantage compréhensibles, et qu’ils fassent ressortir les traits saillants dans le débat : que pouvons-nous dire de certain, à la fois sur le plan environnemental et sanitaire et sur le plan socio-économique ?

Bien que je ne sois pas sûre que nous en soyons à cette étape, sachez qu’il s’agit de la direction dans laquelle nous souhaitons travailler.

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice. – Je souhaiterais évoquer un aspect dans la continuité de vos propos.

Les organismes de recherche de la mission expertise de la recherche sont aujourd’hui de plus en plus impliqués dans le partage de la culture scientifique. Or, sur la question des OGM ou sur l’inventaire des autres biotechnologies que vous comptez faire, on observe un réel trou noir au niveau de la pédagogie, quoique les programmes scolaires préconisent l’apprentissage de ce que sont un OGM, une biotechnologie, ou la transgénèse.

Ce sujet est certes controversé, mais il ne s’agit pas là d’une raison de cette absence de pédagogie, puisque sur le nucléaire, très controversé, nous disposons de plaquettes consensuelles explicitant ce que sont un réacteur, la fission ou la fusion. Pour les OGM, les termes du débat sont beaucoup moins clairs.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. – Merci pour la qualité de votre présentation.

Comme vous l’avez dit, le HCB ne se consacre pas uniquement aux OGM. Un immense océan exploratoire s’ouvre à nous, dans des directions composites. En particulier, nous voyons arriver dans le monde médical des modifications complexes, notamment via la connexion avec le numérique et via les aspects cognitifs.

La question des OGM demeure une pierre angulaire des questionnements contemporains autour des biotechnologies, d’autant plus qu’elle a été interdite de recherche dans deux programmes-cadres de recherche et développement technologique (PCRDT) au niveau européen. Une décennie entière n’a pas vu de financements européens sur la question des OGM végétaux et des plantes supérieures. Dans le 6ème PCRDT, une virgule permettait d’interpréter qu’éventuellement, si l’on considérait que les recherches pouvaient, potentiellement, servir la santé humaine, certaines d’entre-elles étaient, dans certains cas, envisageables. Elles étaient néanmoins entièrement interdites dans le 5ème PCRDT.

Je soutiens les propos de Marie-Christine Blandin. Pendant dix ans, il y a eu une omerta sur la question des OGM. Aujourd’hui, il me semble que nous sommes en train d’en sortir. C’est pourquoi il est important de construire les éléments du dialogue.

Au vu de ces éléments, cette nouvelle mandature du HCB est essentielle. Le fait que les situations apparemment crispées du HCB semblent se résoudre, ou du moins aillent dans le sens d’un dialogue apaisé, notamment avec le retour d’un certain nombre de partenaires au HCB, est essentiel.

Je tenais simplement à souligner que le HCB a été le lieu où s’est cristallisée cette crispation. Cela ne me semble pas regrettable, bien au contraire. Dès le départ, le HCB, comme cela avait été décidé, a été le lieu de la confrontation entre la société, la science et les applications de la science dans la société.

Avec la nouvelle configuration du HCB et le retour d’un certain nombre de partenaires, le dialogue est à nouveau possible. Même s’il n’aboutit pas, il est important que l’on puisse au moins échanger. Je voudrais en remercier les anciens de l’équipe qui sont restés malgré les difficultés.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je voudrais m’associer à ce qu’a dit Anne-Yvonne Le Dain ; je pense que vous avez joué un rôle important.

Il n’empêche que les lignes n’ont pas bougé. Le monde est coupé en deux, entre une partie du monde qui utilise les OGM, et le reste.

Au début du débat sur les OGM, il n’existait pas de comité économique, éthique et social, bien que nous fussions un certain nombre à le demander.

Il est évident que les décisions d’un comité dépendent des personnes qu’on y nomme. Or, je pense que, à l’époque, le comité de préfiguration du HCB avait été constitué de manière à ce qu’il s’oriente vers la décision que l’on souhaitait obtenir. Il est grave d’avoir utilisé, alors, un certain nombre d’associatifs et de scientifiques de cette manière-là.

Je souhaiterais vous questionner sur un autre point. Au poste d’observation où se trouve le HCB, percevez-vous un freinage de la recherche en matière de biotechnologies en France ? Il serait intéressant que Jean-Christophe Gouache, qui vient de Limagrain, nous donne son avis, puisque Limagrain a ses activités de recherche majoritairement réalisées aux États-Unis.

Autrement dit, la coupure du monde que je mentionnais a-t-elle des effets négatifs en France ? Avons-nous, comme le disait Mme Marion Guillou dans le passé, perdu notre capacité d’expertise internationale dans ces domaines ? Le dialogue au sein du HCB permet, certes, d’établir un cessez le feu, mais les lignes ne bougent pas. Pensez-vous que les évolutions du HCB permettent d’avancer ?

Ensuite, pensez-vous que les autres technologies telles que la mutagenèse et la cisgénèse, plus fines, vont soulever de nouvelles questions ? Comment résoudre ces questions ?

En illustration de ces nouvelles questions, le Sénat s’est saisi, en anticipation, de la question des huîtres triploïdes, lors d’un débat où j’ai cru lire que Marie-Christine Blandin était intervenue.

Mme Marie-Christine Blandin. – Lors de ce débat, certains parlementaires ont fait preuve d’une confusion totale dans les définitions des termes employés (« OGM », etc.).

M. Jean-Yves Le Déaut. – Ces huîtres triploïdes sont-elles, à votre avis, le fruit d’une mutation « naturelle »? Avons-nous aujourd’hui un début d’explication scientifique de cette apparition d’huîtres triploïdes dans un endroit qui n’en comportait pas auparavant ?

M. Jean-Christophe Pagès. – Bien que cette question ne soit pas directement du ressort du HCB, je vais tout de même essayer de vous donner des éléments de réponse.

Des huîtres triploïdes ont été produites, en particulier par l’IFREMER, pour des qualités de croissance plus rapides. Ces huîtres ne sont pas des OGM au sens de la directive de 2001-18. Elles sont issues de croisements entre des huîtres tétraploïdes, qui ont en fait été induites à être tétraploïdes, avec des huîtres non tétraploïdes, dites normales. Il était anticipé que cette croissance augmentée se ferait au dépens des organes de reproduction des huitres. Théoriquement, les huîtres triploïdes ne se reproduisent pas, ou se reproduisent à de faibles niveaux qui permettent d’éviter une diffusion.

Néanmoins, à côté de cet aspect technologique des huîtres triploïdes, la triploïdie chez l’huître peut s’observer spontanément, mais de façon plutôt rare. Alors, la question se pose de savoir si l’observation de ces huîtres dans un élevage ostréicole correspond à cet événement rare, mais possible, ou s’il s’agit d’éventuels fuites ou mélanges. Cette question sera compliquée à résoudre, puisqu’il faut pour cela essayer d’identifier d’éventuelles évolutions dans les conditions naturelles qui auraient induit une augmentation de l’apparition spontanée des huîtres triploïdes.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Qui est expert sur cette question ?

M. Jean-Christophe Pagès. – L’Ifremer.

Mme Marie-Christine Blandin. – Pourquoi n’êtes-vous pas concernés par cette question?

M. Jean-Christophe Pagès. – Nous ne sommes pas experts parce que ces huîtres triploïdes ne sont pas réellement des biotechnologies ; elles sont issues de croisements.

Mme Christine Noiville. – Tout dépend de la définition que l’on donne des biotechnologies. Si l’on en retient une définition extrêmement large, mais la loi n’en donne pas, alors il est vrai que cette question se retrouve dans notre champ de compétences. Il ne s’agit néanmoins pas de notre cœur de métier.

Mme Marie-Christine Blandin. – Les premières huîtres triploïdes ont toutefois été obtenues par chocs thermiques ou électriques ; elles se situent ainsi dans le domaine des biotechnologies innovantes.

Mme Christine Noiville. – D’un autre côté, il est intéressant de noter que ces huîtres triploïdes ont été développées il y a maintenant très longtemps. On a alors le sentiment que, par capillarité, les difficultés qui se posent avec les OGM, se posent de même avec des techniques dites nouvelles, alors qu’elles ne le sont pas en réalité. Les huîtres sont un exemple typique.

Mme Marie-Christine Blandin. – Lors des débats dans l’hémicycle, certains, se voulant rassurants, ont donné à voir des clémentines sans pépins à leurs collègues, qui s’étonnaient qu’elles soient obtenues par biotechnologies.

En ce qui concerne votre champ de compétences, il sera nécessaire que vous définissiez ses limites avec précision.

M. Jean-Christophe Pagès. – Il existe de nombreux exemples historiques de sélections d’événements naturels, tels que les blés planifiables – qui sont hexaploïdes –, qui ont été obtenus par des croisements, mais qui ne correspondent pas aux graminées que l’on trouve dans les champs.

Les culards, parmi les bovins, ont une mutation dans le gène de la myostatine. Il existe d’autres exemples.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je vous rappelle que nous avons une contrainte d’horaire, puisque des collègues doivent par la suite présenter un rapport. Je propose de donner la parole à Jean-Christophe Gouache sur la question du freinage de la recherche, et nous aborderons ensuite la seconde partie de notre ordre du jour.

M. Jean-Christophe Gouache, vice-président du comité économique, éthique et social du HCB. – Au sujet des questions évoquées par Mme Marie-Christine Blandin sur la polyploïdie, il s’agit d’une caractéristique qui est largement répandue dans le domaine des plantes. La plupart des choses que l’on consomme sont des espèces polyploïdes. Vous avez mentionné les agrumes sans pépins ; la pastèque sans pépin est un croisement entre une pastèque diploïde et une pastèque tétraploïde, qui donne un fruit triploïde.

Alors, la question se pose de savoir s’il faut les classer dans les biotechnologies. La mutagenèse est-elle une biotechnologie ? Faut-il revenir en arrière sur des classifications déjà faites et rouvrir des débats sur des technologies vieilles de cinquante ans ? En tant que représentant du bureau du HCB, je m’arrêterai là ; je ne veux pas m’exprimer aujourd’hui en tant que partie prenante.

En ce qui concerne votre question sur les freins à la recherche, il m’est, là aussi, difficile d’y répondre ; je ne voudrais pas m’exprimer en tant que partie prenante.

Je vais tenter de répondre toutefois à votre question en ce qui concerne Limagrain. Pour des raisons politiques – nous sommes un actionnariat de paysans basés en France – nous avons installé notre principal laboratoire de recherche fondamentale à côté de notre siège, près de Clermont Ferrand. Toutefois, la situation actuelle fait que l’ensemble de nos travaux appliqués, et en particulier les essais, sont réalisés aux États-Unis, puisqu’il nous est impossible de les mener en France. Notre laboratoire a tout de même récemment été « inspecté citoyennement » en novembre-décembre 2014, avec en visée le projet GENIUS mené avec l’INRA, qui a d’ailleurs été de même « inspecté » à la même époque.

M. Jean-Christophe Pagès. – Pour compléter, j’ai effectué un recensement sur l’historique du précédent mandat du HCB. Pour les PGM, le nombre de dossiers soumis de « demandes d’utilisation confinée » n’a pas changé. La proportion de dossiers de PGM reste globalement la même que celle d’il y a cinq ans. L’historique est compliqué à faire parce que le ministère de la recherche ne possède pas une base de données informatique qui soit exploitable.

M. Jean-Christophe Gouache. – Il n’y a plus d’essais depuis 2008 en France.

M. Jean-Christophe Pagès. – En termes d’essais, il y en a eu deux, dont l’un a été détruit.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Il serait bon que vous fassiez une base rétrospective sur le début des essais.

Mme Christine Noiville. – C’est ce que l’on s’emploie à faire ; comme nous vous l’avons dit, nous commençons à travailler dessus.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Plus exactement, pourriez-vous préciser quand ont démarré les premiers essais en France, combien il y en a eu, quel a été le pic dans les années 1996/1997, comment cela a baissé, puis s’est stabilisé, proche de l’encéphalogramme plat ?

Mme Christine Noiville. – Actuellement, il n’y en a strictement aucun.

M. Claude Gilbert. – Il serait intéressant de regarder ce qu’il se passe dans d’autres pays comme la Suisse ou le Royaume-Uni, qui procèdent de façon différente. Notamment le cas de la Suisse est tout à fait intéressant ; c’est un pays d’« ultra démocratie » sur les procédures, et ils sont arrivés à une solution qui est, ni plus ni moins, de protéger de façon « bunker » l’endroit où on fait des essais.

Au-delà du cas de la France, il faut regarder ce qu’il se passe un petit peu partout ; par exemple, en Allemagne, il n’y a pas d’essais. Il faudrait prendre la mesure de la situation européenne pour bien resituer ce qu’il se passe en France concernant les essais.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. – Je voulais simplement dire que le maïs est un quasi-tétraploïde naturel, c’est un conglomérat de génomes différents. Le maïs, c’est aussi une culture historique !

Voilà un chantier épistémologique qu’il faudrait reprendre : le moment où la technologie s’est intéressée non seulement à la question de savoir comment soigner les humains, mais aussi à celle de ce qu’ils mangent. Qu’est-ce qu’il se passe en France, dans d’autres pays d’Europe, dans le monde ? L’Europe est à l’arrêt, mais ailleurs il se passe des choses.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Juste avant de laisser conclure Christine Noiville, je poserai juste une petite question, si vous pouviez y répondre de manière courte. Nous avons organisé une audition sur le thème des biosimilaires ; pour vous, les biosimilaires doivent-ils rentrer dans le champ de vos compétences ?

M. Jean-Christophe Pagès. – Quand la question nous est parvenue, j’ai interrogé l’ANSM. Les biosimilaires vont entrer dans nos compétences, en termes de production industrielle. Pour l’instant il n’y a pas eu de dossier en France ; il y a des importations d’équivalents de facteurs de croissance, qui sont produits à l’étranger. Dès lors qu’il y aurait une production en France, la cellule productrice serait déclarée en production industrielle : comme elle est elle-même un OGM, on aurait théoriquement son dossier.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Pourquoi les biosimilaires feraient-ils partie de vos compétences alors que les vaccins n’en font pas partie ?

M. Jean-Christophe Pagès. – Les vaccins ont au sein de l’ANSM un parcours particulier.

Mme Christine Noiville. – Les vaccins obtenus par biotechnologie, par génie génétique, font tout à fait partie de nos compétences.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Vous les examinez ?

Mme Christine Noiville. – Quand nous sommes saisis de dossier les concernant, oui.

M. Jean-Christophe Pagès. – On en a eu à examiner, concernant la dengue sur une base fièvre jaune.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Donc les médicaments et vaccins biosimilaires obtenus par génie génétique, passeront à l’ANSM avec un avis du HCB ?

Mme Christine Noiville. – La règlementation est européenne. Les évaluations et les autorisations de mise sur le marché se font à Bruxelles. En revanche, dès lors qu’une production sera sollicitée sur le territoire français, elle ne sera possible qu’après avis du HCB. Pour l’instant, nous n’avons pas été saisis.

M. Jean-Yves Le Déaut. – J’imagine qu’on demandera également l’avis de la Pharmacopée européenne à Strasbourg, sur les méthodes de production.

Mme Christine Noiville. – Oui, probablement.

M. Jean-Christophe Pagès. – Aujourd’hui, ce qu’ils demandent pour les biosimilaires, c’est essentiellement la pharmacocinétique.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. – Des biosimilaires produits en dehors du territoire européen peuvent-ils aujourd’hui être commercialisés en Europe ?

M. Jean-Christophe Pagès. – Oui, il y en a eu : une érythropoïétine, un facteur de croissance (le G-CSF). C’est l’ANSM qui les examine, mais elle ne les examine pas dans les bioproduits. Ça a été vu par les spécialités ; c’est pour cela qu’on ne les a jamais vus ; ce n’est pas Nicolas Ferry qui en est responsable.

Mme Christine Noiville. – Je vois que vous êtes pressés ; je veux juste dire encore un mot. Je ne peux pas ne pas répondre à la question que vous avez posé tout à l’heure, qui consistait à savoir si oui ou non le HCB était utile. Et c’est vrai qu’on peut se poser cette question à deux égards.

Certains se disent que, puisque le maïs génétiquement modifié est interdit à la culture en France, la messe est dite. Et, d’autre part, il y a ceux qui disent que ça ne sert à rien dès lors que les parties prenantes ne parviennent pas à un consensus au sein du CEES.

Ma vision des choses est évidemment complètement différente. Sur le premier point d’abord, notre mission ne porte pas exclusivement sur les PGM ; nous avons bien d’autres cas de figure à traiter. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un choix politique aujourd’hui a conduit à l’interdiction de la mise en culture d’un certain nombre de maïs génétiquement modifiés que demain la donne ne sera pas différente ; c’est aux politiques d’en décider ; c’est à nous HCB de les éclairer suffisamment, par exemple pour leur dire ce que les nouveaux types de plantes transgéniques aujourd’hui en développement peuvent apporter comme opportunités ou comme contraintes.

Quant au second point, je n’ai vu nulle part, ni dans la loi de 2008 ni dans les décrets de fonctionnement du HCB, que la mission du HCB était de faire en sorte que les parties prenantes se mettent d’accord dans une espèce de grande Pax Romana. Là n’est pas l’objectif du HCB, et ça serait bien naïf de penser que le HCB pourrait y parvenir. Bien sûr, il y a des consensus sur toute une série de points ; c’est, par exemple, assez intéressant de savoir que à propos des essais de thérapie génique, il est rare que nous n’ayons pas de consensus ; mais, sur un certain nombre d’autres sujets, les points de vue sont beaucoup plus divers. Que préférez-vous : une décision publique construite sur la base d’un large débat, d’opinions très différentes, de toutes les sensibilités et d’une expertise rigoureuse, ou fondée sur un consensus factice qui lui sert d’alibi ? Il y a un moment où il faut faire des choix politiques sur le fondement de débats, fussent-ils non consensuels.

M. Jean-Yves Le Déaut – Merci pour votre venue, et pour vos réponses qui nous ont tous éclairés.

– Présentation des conclusions relatives à l’audition publique sur « Le numérique au service de la santé » du 15 mai 2014 par M. Gérard Bapt, député, et Mme Catherine Procaccia, sénateur

M. Jean-Yves Le Déaut. – Nous abordons maintenant la présentation des conclusions relatives à l’audition publique du 15 mai 2014 sur « Le numérique au service de la santé » par M. Gérard Bapt, député, et Mme Catherine Procaccia, sénateur.

Mme Catherine Procaccia, sénateur. – L’Office a toujours inscrit dans son programme de travail des sujets liés à la santé. Le numérique est par ailleurs une de ses préoccupations grandissantes. L’avènement du numérique connecté est parfois comparé à l’invention de la machine à vapeur en Angleterre, qui a donné lieu à la première révolution industrielle au XIXe siècle.

Sur une saisine de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, en date du 28 février 2014, l’OPECST a désigné M. Gérard Bapt et moi-même comme rapporteurs pour une étude sur « Le numérique au service de la santé ». Une audition publique s’est tenue le 15 mai 2014 sur ce sujet. Il en ressort les principaux éléments suivants.

– « E-santé », une véritable révolution

Les aspects numériques de l’application des technologies de l’information et de la communication (TIC) à la santé sont souvent désignés par le terme d’« e-santé », ou télésanté. Cela concerne la télémédecine (téléconsultation, télé-expertise, télésurveillance médicale, téléassistance médicale et réponse médicale apportée dans le cadre de la régulation médicale), la domomédecine, les dossiers médicaux électroniques (dossier médical personnel-DMP, dossier hospitalier…) ou encore l’exploitation des données de santé (« big data »). La « mHealth », ou santé mobile, concerne les applications de santé sur téléphone portable, de plus en plus nombreuses, qu’elles soient grand public ou médicales.

Lors de l’audition, ont été décrites deux expériences : une de télécardiologie, qui a permis la collecte de données via un boitier, puis leur mise à disposition pour les médecins qui en ont besoin ; une autre, de télésurveillance, qui a permis le suivi des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque. La créativité technologique en matière d’e-santé paraît sans limites : ont ainsi été citées des pilules numériques ou des robots miniatures entrant dans le cerveau...

Dans un contexte de vieillissement de la population (maladies chroniques, maintien à domicile, dépendance…), d’accès aux soins sur l’ensemble du territoire et de contraintes croissantes sur les budgets, l’e-santé sera forcément porteuse de modifications en profondeur de notre système de santé. Le numérique de santé favorisera la prévention, le maintien à domicile et le suivi à distance des maladies chroniques (diabète, hypertension, insuffisance cardiaque…). Il apparaît comme un moyen de réformer notre système de santé, de le rendre plus proactif et préventif. Notre système de santé ne peut donc qu’évoluer avec le développement du numérique

– La santé partagée : parcours de soins, DMP, hôpital numérique

Lorsque les patients se rendent chez leur médecin, l’analyse médicale repose principalement sur les données récoltées in situ de façon instantanée, réduisant ainsi la capacité d’établir un diagnostic complet. On estime que, dans 12 % à 15 % des cas, les diagnostics émis pourraient être faux. L’historicité des données médicales pourrait réduire les redondances et les faux diagnostics, elle permettrait une plus grande coordination dans le parcours de soins, elle accroîtrait la qualité des soins en diminuant les coûts.

Mais force est de constater l’échec en France du dossier médical personnel (DMP), car vécu comme une charge inutile par les praticiens et comme une surveillance excessive par les patients. Au moment de l’audition publique, seuls 400 000 dossiers avaient été créés, la plupart restant inutilisés, pour un coût évalué par la Cour des comptes à plus de 500 millions d’euros. Au jour de l’examen des conclusions, le nombre de dossiers créés est d’environ 520 000, dont 290 000 ont été alimentés par 1,6 million de documents. Gérard Bapt est spécialiste du DMP, il complètera sans doute ce résumé. Il est certain que notre système de santé devra adopter une approche globale, et non plus sectorielle, et inclure la notion de système d’information. C’est l’objectif de l’hôpital numérique.

– L’hôpital numérique

On estime que moins de 15 % des hôpitaux sont en mesure d’alimenter le DMP de manière sécurisée, interopérable et automatisée. Les comptes rendus des médecins sont encore très souvent dictés à une secrétaire et diffusés sur support papier. Moins de 40 % des hôpitaux sont capables de fournir un document d’hospitalisation dans les huit jours suivant la sortie du patient. L’informatisation de ces comptes rendus permettrait une information de meilleure qualité à destination de tous les autres personnels de santé, urgentistes, médecins généralistes… et, en particulier, de ceux qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble : pompiers et usagers professionnels.

Le programme « Hôpital numérique » vise à gommer les clivages entre les établissements, mais aussi avec les centres d’hospitalisation à domicile (HAD). Quelque 120 000 nouveaux patients ont ainsi été « hospitalisés » en 2013 ; mais ce développement, souhaité par tous, se heurte encore aux systèmes d’information des médecins et des hôpitaux qui ne communiquent pas entre eux et à l’Internet haut-débit qui n’existe pas encore partout en France. Un outil informatique commun permettrait de planifier le parcours de soins (grossesse, chirurgie ambulatoire…), avec production d’alertes si une étape a été oubliée, sans oublier la surveillance centralisée par des dispositifs de mesure installés au domicile des patients.

L’évolution des technologies permet d’envisager de façon opérationnelle la télémédecine et la domomédecine, sans que le patient se rende à l’hôpital. Sur le plan technologique, les capacités des capteurs, des objets connectés (balance, tensiomètre…), des injecteurs et de la miniaturisation sont aujourd’hui remarquables. Les mesures de ces objets connectés sont ensuite centralisées et analysées.

Éviter l’hospitalisation et prévenir la maladie constituent des potentialités importantes d’économies budgétaires et une source de confort accru pour les patients qui seraient ainsi traités à domicile. Dans le contexte de vieillissement de la population, cette évolution est particulièrement utile. Il faudra cependant veiller à ce que la télémédecine ne soit pas considérée comme une médecine de seconde zone. Une phase d’appropriation par les patients, avec des garanties en termes de sécurité et de fiabilité, est donc un préalable. Ce qui nous amène au « Big data ».

– « Big data » ou traitement massif de données

La prolifération des données numériques est communément dénommé big data. Leur nombre serait passé de 1,2 zettaoctets par an en 2010 à 2,8 zettaoctets en 2012, avec une prévision de 40 zettaoctets en 2021. Elles sont issues de sources très variées, structurées ou non. Tous les domaines de la santé sont susceptibles de produire des données : l’imagerie, le diagnostic, les outils thérapeutiques, les données de condition physique et les outils de la pratique médicale.

Les outils connectés se développent et produisent des données à chaque instant : bracelets, montres, terminaux de bord (smartphones)… la frontière entre jeu et santé s’estompe. Ces outils savent tout de nous et le transmettent, on parle de « quantified self » (« quantification de soi »). D’où l’inquiétude des patients concernant l’intrusion de ces outils dans leur vie privée. Car nous produisons des données à notre insu, à travers ce que nous écrivons ou consultons chaque jour sur Internet. Ces données sont traitées très souvent également à notre insu et sont monétisables. Certains services Internet (Google Fit, Apple Health…) se sont spécialisés dans la santé, avec les mêmes objectifs.

Cette prolifération entraîne des comportements nouveaux. Les patients s’approprient leur santé par ce suivi, mais aussi en consultant les forums Internet sur les maladies et les médicaments ; la relation avec le médecin s’en trouve profondément modifiée. Cependant, la qualité des informations médicales qui sont publiées sur les sites Internet commerciaux (Doctissimo…) ne fait l’objet d’aucun contrôle en France. Un réel « service public d’information de santé » fiable est encore à construire.

Les capacités de traitement, d’analyse et de simulation de ces données numériques continueront à croître. L’analyse de ces données connectées permettra une amélioration de l’épistémologie, rendant ainsi possible de prévenir et d’agir avant que la pathologie ne soit déclarée. Mais il reste encore à assurer le bon équilibre entre exploitation des données et préservation de l’anonymat.

– Protection des données

Le besoin de protection des données médicales personnelles est à la hauteur de leur multiplication et de leur circulation croissante. Il constitue un véritable enjeu. Le patient exige une information complète et veut, à juste titre, être rassuré sur la sécurité de la conservation, de l’accès et de la circulation de ces données. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a récemment attiré l’attention des hébergeurs de données de santé et des établissements hospitaliers sur le respect de la confidentialité des données médicales. Au moment de l’audition publique, elle réfléchissait cependant à la possibilité de faire évoluer sa position sur l’interdiction de l’utilisation du numéro de sécurité sociale (NIR) pour les données de santé. Comme le dira très certainement Gérard Bapt, depuis l’audition, le projet de loi de modernisation de notre système de santé, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, a autorisé l’utilisation du NIR comme identifiant national de santé (INS).

Les récentes intrusions dans les systèmes informatiques des opérateurs téléphoniques (cas d’Orange pendant l’audition) confirment que les risques de piratage et de virus informatiques sont réels et peuvent concerner les systèmes informatiques de santé. D’ailleurs, aucun site Internet de vente pharmaceutique ne serait conforme à la règlementation, puisque leur hébergement ne serait pas sécurisé. Au niveau européen, la proposition de règlement du Conseil sur la protection des données (COM [2012] 11 final), en cours de discussion, définit ce que l’on entend par « données de santé » et étend à ce secteur l’obligation de notification des failles de sécurité (violations de données à caractère personnel), actuellement limitée aux opérateurs de télécommunication.

L’« e-santé » représente une opportunité formidable, à condition qu’elle soit accompagnée d’un cadre de confiance, dont la protection des données est un élément déterminant. Il est impératif de travailler dès à présent sur la sécurité, d’un bout à l’autre de ces systèmes, afin que l’individu puisse comprendre et garder le contrôle de ses données et de son environnement. Un haut niveau de sécurité des données de santé doit prévaloir, avec une transparence totale des règles en la matière.

– Filière industrielle

L’application de ces technologies à la santé pourrait, selon certains, engendrer la création de 200 000 emplois en France. Toutefois, le marché demeure peu structuré. Le foisonnement actuel de l’offre s’apparente à un émiettement. L’impératif absolu d’interopérabilité des systèmes engendre un besoin de normes, de référentiels et de certification, essentiellement à la charge de l’administration.

La « collaboration ouverte », avec l’« open source » et le « crowdfunding », permet des réalisations étonnantes à des prix défiant toute concurrence, comme par exemple l’impression en 3D au Soudan d’une prothèse dont les plans sont en accès libre sur Internet. Jouant le rôle d’interface multiculturelle, les « Living Labs » (une vingtaine en France dans le domaine de la santé) permettent le développement de nouveaux outils par les industriels et les médecins, en intégrant dès la conception les besoins des usagers. Le prix des dispositifs médicaux peut être divisé par dix. Le foisonnement des idées et l’enthousiasme collectif engendré par les nouvelles machines ne doit pas cependant nous empêcher de nous méfier des fausses bonnes idées.

– Un cadre juridique est indispensable

Dans tous ces domaines nouveaux, le besoin de règlementation est indispensable. Ce fut le cas du DMP, qui bute encore sur son cadrage juridique, c’est celui des « pilules numériques », qui sont dans un vide juridique total. On peut citer encore les besoins de règlementation en matière d’hébergement des données, de remboursement des actes de télémédecine, de HAD, de nouveaux dispositifs médicaux connectés… Un environnement de confiance doit être construit, pour éviter que ne se reproduise, pour le numérique de santé, la défiance récente envers notre système de supervision des médicaments...

Il ne s’agit cependant pas de multiplier les processus de labélisation : CNIL, DSSIS (Délégation à la stratégie des systèmes d'information de santé), Union européenne, industriels (Les entreprises des systèmes d’information sanitaires et sociaux – LESISS)… ni aller à l’encontre de la souplesse nécessaire à l’émergence de technologies nouvelles, avec le principe selon lequel « on avance en marchant ». Une mauvaise interprétation du principe de précaution ne doit pas devenir à un frein cette inventivité.

Et il faudra aussi trouver comment financer les infrastructures et investissements en numérique de santé (partenariats public-privé ?).

Apparaissent enfin les besoins de formation des praticiens et d’éducation des patients. Il s’agit d’éviter le risque du développement d’une médecine parallèle sur les moteurs de recherche et d’un recours systématique à l’autodiagnostic par les patients.

M. Gérard Bapt, député. – Cette journée d’audition, menée il y a déjà un an, avait été particulièrement riche et de qualité. Le compte rendu qui vient d’en être fait montre bien que les questions soulevées par le développement du numérique en santé avaient bien été posées. Le domaine de la santé n’échappe pas à la révolution du numérique, c’est une opportunité mais qui n’est pas sans dangers. La loi de modernisation de notre système de santé, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, et maintenant transmise au Sénat, traite de nombre de sujets très polémiques. Mais, sur le plan du numérique de santé, elle constitue un socle sur lequel, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, vous pourrez très largement vous appuyer. Le résultat du travail a été largement consensuel à l’Assemblée nationale. Avec l’apport des amendements correcteurs par rapport au projet de loi initial, il présente maintenant un certain nombre de garanties.

S’agissant du DMP, sorte monstre du Loch Ness, une preuve supplémentaire de son échec réside dans la note que nous avons reçue de l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP-Santé) : « À la fin du mois de mars 2015, on dénombre, sur l’ensemble du territoire national, 534 000 dossiers créés avec l’accord ou à la demande des patients par les établissements de santé ou les professionnels de santé. Dans l’ensemble de ces DMP créés, on note qu’il y a eu 154 877 consultations de leur DMP par les patients […] ». On voit donc que moins d’un patient sur trois a consulté son dossier depuis son ouverture. On ne nous fournit cependant pas le nombre de médecins qui ont consulté, alors que c’était l’objectif principal ; on ne nous le fournit pas parce qu’il est ridicule, je le sais par ailleurs. Souvent ces dossiers sont vides ou quasiment vides ; ce sont les établissements qui les créent, mais les médecins ne les remplissent pas et les hôpitaux n’ont souvent pas de système intranet intégré permettant de verser automatiquement des documents dans ces dossiers.

Nous avons finalement trouvé une issue au DMP en le confiant à l’assurance maladie, qui a une longue expérience en informatique de santé, avec la conservation et l’exploitation des données : système national d'informations inter-régions d'assurance maladie (SNIRAM) et programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI). L’assurance maladie pourra ainsi déployer un DMP redéfini : il ne sera plus un dossier médical « personnel », mais un dossier médical « partagé ». Ce dossier sera ainsi partagé entre le praticien et le patient, de même qu’entre équipes de soins. Il le sera aussi, avec un cadre formalisé, après avis de la CNIL, dans un parcours de soins coordonné qui intègrera les acteurs médico-sociaux et sociaux, ce qui est une grande novation. L’accès à un certain nombre de données de santé deviendra donc ainsi possible, avec un certain nombre de précautions et un droit d’opposition, en demandant le consentement exprès du patient lorsqu’il s’agit de sortir de la sphère de l’équipe de soins.

La seconde question qui s’est posée, avec un énorme retard, est celle de la messagerie sécurisée. Lorsque l’ASIP-Santé avait été créée, elle avait deux missions fondamentales : le DMP, avec l’échec que l’on constate, et la messagerie sécurisée. On a vu que le pilotage du DMP allait être confié à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Or, très certainement pour ne pas concurrencer le déploiement poussif de ce DMP de première génération, la messagerie sécurisée n’avait toujours pas vu le jour. Le projet de loi confie le pilotage du système de messagerie sécurisée conjointement à l’ASIP-Santé et à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Les missions de l’ASIP-Santé rétrécissent donc considérablement. Cette messagerie sécurisée deviendra un système d’interconnexion des différentes messageries sécurisées qui existent déjà par ailleurs. Des centres hospitaliers universitaires (CHU), des unions régionales des professionnels de santé (URPS), des agences régionales de santé (ARS) ont souvent déjà développé leur propre système de messagerie. Il s’agit maintenant de les mettre en relation pour qu’elles puissent correspondre.

La troisième question traitée par le projet de loi, abordée par Catherine Procaccia, est celle de la sécurité et de la confidentialité. Elle est très importante pour les patients. En l’état du texte, le projet de loi permet l’opposition du patient à ce que les données soient transmises, ce qui gêne le suivi du parcours de soins. La sécurité est un problème important, car très peu de grands CHU disposent de délégués à la sécurité capable d’intervenir en cas d’effraction des systèmes. L’exemple pouvant être cité en est l’IRM de M. Michael Schumacher, qui a, parait-il, été consulté quatre-vingt-trois fois, sans possibilité de traçabilité des personnes de l’établissement qui l’ont consulté… J’ai été à l’origine d’un amendement disposant que tout défaut ou accident de sécurité des systèmes d’information hospitaliers ou publics doit être signalé. Jusqu’à présent, chacun « met son mouchoir dessus », personne ne sait ce qui s’est passé chez son voisin. Il s’agit de prévenir, de tirer les conséquences de ces défauts ou accidents. On cite l’exemple de cet hôpital de la Gironde qui a pratiquement arrêté de fonctionner pendant trois jours, l’ensemble de son système informatique ayant bogué.

Le projet de loi présente une avancée notable sur la question de l’identifiant de santé, une base législative devant permettre l’utilisation du NIR, comme l’a rappelé Catherine Procaccia. Il aborde aussi la question des hébergeurs, qui étaient autrefois soumis à un agrément du comité français d’accréditation (COFRAC). Ils devraient désormais ressortir simplement à une procédure de certification, en accord avec la règlementation européenne. Là aussi, les problèmes de sécurité n’avaient pas été résolus. J’ai été à l’origine de l’adoption d’un amendement fixant des conditions de maintien en sécurité des données de santé par les hébergeurs ainsi certifiés.

Le big data avait entraîné une levée de boucliers, à mon sens justifiée, dans le projet de loi initial, l’ancien président du Collectif inter-associatif sur la santé (Le CISS), M. Christian Saut, l’ayant qualifié de « close data » en lieu et place d’un « open data ». Alors que tout le monde était stupéfait du monstre technocratique qui résultait de la rédaction initiale, les dispositions relatives à l’accès aux données de santé ont totalement été réécrites, faisant maintenant l’unanimité des acteurs : Institut des données de santé (IDS), patients, équipes de recherche, entreprises…

Le déploiement des systèmes d’information dans les hôpitaux, dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire (GHT), qui est un élément important du projet de loi, doit répondre à des conditions d’interopérabilité et non plus d’unicité du système, comme cela était prévu dans le projet initial. Pourquoi aurait-il fallu constituer un système d’information unique pour les hôpitaux se réunissant dans un même GHT ? Comme ils disposent déjà de systèmes propres qui fonctionnent, il suffit de les mettre en relation. Actuellement, les plateformes d’interopérabilité sont peu onéreuses et vont être certifiées dans le cadre de la messagerie sécurisée.

J’ai interrogé en vain la ministre de la santé sur le devenir de l’ASIP-Santé. Le projet de loi comporte déjà des dispositions relatives au regroupement de certaines structures et agences. Ainsi l’Institut de veille sanitaire (InVS), l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) se regrouperont dans un organisme unique : l’Institut pour la prévention, la veille et l’intervention en santé publique. J’estime que l’ASIP-Santé, qui a perdu ses fonctions de base sur le DMP et la messagerie sécurisée, devrait également pouvoir être regroupée, soit avec l’Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), soit avec l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), soit au sein du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales, où existe déjà une délégation à la stratégie des systèmes d’information de santé (DSSIS). L’ASIP-Santé verra son budget et ses effectifs rétrécir, mais conserverait une existence juridique, avec une direction générale et un conseil d’administration. Il reste donc au Sénat à prendre des initiatives…

Le projet de loi de modernisation de notre système de santé présente donc des avancées importantes en matière de numérique de santé. Il reste à les faire financer et expertiser, dans des formes assurant la sécurité. Ce n’est pas évident, car, le plus souvent, nous manquons d’experts et d’expertise, les agents de sécurité dépendant quelquefois de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI).

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président. – Je vous remercie. Anne-Yvonne Le Dain et moi-même avons rédigé un rapport sur la sécurité numérique et conclu que la sécurité absolue n’existe pas, en particulier sur Internet. En sait-on plus sur les supposées quatre-vingt-trois consultations de l’IRM de M. Schumacher ?

M. Gérard Bapt. – Ce nombre élevé d’accès serait normal si ces consultations émanaient de personnes appartenant à l’équipe de soins, mais il n’y a pas malheureusement pas de traçabilité de ces consultations. En outre, les cartes professionnelles circulent, surtout dans les grands hôpitaux. Cela peut aussi être le fait de pirates informatiques (hackers). On m’a fait récemment une démonstration concernant un ministre hospitalisé ; un technicien a pénétré dans le système de l’hôpital et a accédé à son dossier.

M. Bruno Sido. – Le problème persistera tant qu’on n’a pas résolu cette question.

Mme Dominique Gillot, sénatrice. – J’ai écouté avec attention votre présentation. Ces analyses, ces témoignages recueillis lors d’auditions, ces préconisations sont chaque jour dépassées par des pratiques individuelles de personnes qui ne se rendent pas compte des conséquences de leurs actes, voire de personnes qui mesurent ces conséquences, mais qui considèrent que l’avantage de passer outre est plus important que l’inconvénient. Ces personnes recherchent l’analyse de leurs données médicales personnelles sur Internet à travers des sites existants.

Mme Catherine Procaccia. – On peut citer l’exemple des podomètres connectés.

Mme Dominique Gillot, sénatrice. – C’est exact, mais il existe aussi des dispositifs beaucoup plus précis aujourd’hui. Les développeurs sont prêts à les mettre sur le marché. Pour l’instant, les considérations d’éthique constituent une protection. Mais ne croyez-vous pas que, un jour, la pression du client sera plus forte et que des personnes, qui voudront bénéficier d’un contrat d’assurance d’abord plafonné, et ensuite amélioré, seront prêtes à communiquer leurs données de santé, voire à s’inscrire dans un programme de prévention qui garantira à l’assureur qu’ils adoptent un comportement favorable à leur bonne santé ? Aujourd’hui aux États-Unis, des laboratoires sont prêts à envahir le marché avec des produits intelligents, connectés, implantés, qui permettront de contrôler la santé, l’évolution et la diffusion des thérapies, en fonction des besoins des personnes malades. Notre système d’éthique, de précaution, de prévention et de protection des données personnelles est toujours en retard par rapport au progrès technologique, qui nous dépasse. C’est une des raisons pour lesquelles je pense qu’il convient de se pencher sur la question de l’intelligence artificielle, de l’homme augmenté. Nous travaillons sur des aspects pragmatiques qui correspondent à notre démarche éthique, mais, à côté, se développent des pratiques qui peuvent séduire le consommateur, le patient ou l’usager. La question est la suivante : comment être en phase avec les évolutions technologiques ?

Mme Catherine Procaccia. – On ne le sera jamais, parce qu’une multitude d’individus ou d’entreprises, en démarrage (start-up) ou établies, réfléchissent. Les missions de nos institutions ne sont pas adaptées à l’évolution. Le projet de loi de santé répond aux questions qui se posaient il y a un an. La règlementation est toujours en retard. On peut aussi citer le rapport d'information n° 589 (2013-2014) de Mme Corinne Bouchoux, fait le 5 juin 2014, au nom de la mission commune d’information du Sénat, sur l'accès aux documents administratifs. Je ne voyais pas à l’époque ce que l’Office pouvait ajouter dans un rapport pour faire progresser les choses, tout le monde pouvant exercer un droit d’alerte en ce domaine.

Mme Dominique Gillot, sénatrice. – Dans le même domaine, les chercheurs expriment une demande relative au suivi des fièvres de type Ébola dans les pays émergents. Aujourd’hui, avec un téléphone basique, on peut assurer un suivi d’épidémiologie très large, même si cette solution n’est pas exempte de risques, car elle n’est ni contrôlée ni contingentée. Cela permettrait de juguler une épidémie beaucoup plus rapidement que ce que l’on est capable de faire aujourd’hui. C’est une question que l’on doit se poser.

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice. – Sur ce dernier point, une application est utilisée par l’armée française en Guyane, avec une liste de dix symptômes, pour ne pas retomber sur des diagnostics classiques de dysenterie ou de paludisme, c’est-à-dire de maladies connues. Elle fait apparaître un nouveau faisceau convergent de symptômes synchrones, qui déterminent une nouvelle pathologie.

Sur le traitement du big data, aux États-Unis, avant la création du système de santé de base, seules existaient les mutuelles choisies par l’employeur. Nous nous en rapprochons d’ailleurs, dans une certaine mesure. Dans ce système, tout est sous contrôle : le médecin, le pharmacien, la prescription de médicaments et la livraison de ces médicaments par porteur ; aucune place n’est laissée à l’intimité de la personne. En revanche, les énormes ordinateurs de ces mutuelles traitent « bêtement » les données qu’ils hébergent. Ils ont ainsi fait apparaître, trois ans avant nous, le lien entre Médiator et hypertension pulmonaire, ce qui a permis de retirer le médicament du marché. Comment pourrait-on disposer simultanément de l’avantage du traitement des données et l’avantage de la protection de l’intimité et de l’anonymat des données ?

M. Bruno Sido. – Je remercie les rapporteurs et je demande l’avis de nos collègues sur les conclusions présentées.

L’OPECST a approuvé à l’unanimité les conclusions et a autorisé la publication du rapport.

La séance est levée à 19 h 10

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mercredi 20 mai 2015 à 17 heures

Députés

Présents. - M. Gérard Bapt, M. Christian Bataille, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean-Yves Le Déaut

Excusés. - M. Alain Marty, Mme Dominique Orliac, M. Jean-Sébastien Vialatte

Sénateurs

Présents. - Mme Delphine Bataille, Mme Marie-Christine Blandin, Mme Dominique Gillot, Mme Catherine Procaccia, M. Bruno Sido

Excusés. - M. Roland Courteau, Mme Fabienne Keller, M. Pierre Médevielle