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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 17 juin 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 70

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, Président

Présentation du rapport annuel de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2)

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 17 juin 2015

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président

La séance est ouverte à 17 h 10

– Présentation du rapport annuel de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2)

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président. – Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2), mes collègues et moi-même sommes très heureux de vous accueillir aujourd’hui à l’Assemblée nationale pour la présentation de votre neuvième rapport d’évaluation.

En introduction, je voudrais simplement rappeler que la Commission nationale d’évaluation a été instituée par la loi du 30 décembre 1991, relative à la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue, dite aussi « loi Bataille », du nom de son rapporteur, notre collègue Christian Bataille, ici présent. Depuis sa création, la Commission joue un rôle crucial, puisqu’elle est chargée d’évaluer l'avancement des trois axes de recherche définis par cette loi, c’est-à-dire la séparation-transmutation, le stockage géologique et l’entreposage.

C’est notamment sur la base de l’évaluation de la CNE que le Parlement a ensuite décidé de reconduire ces trois axes de recherche, dans le cadre de la loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Cette loi, votée à l’unanimité, a notamment décidé la construction d’un stockage géologique réversible, sur une période de cent ans.

M. Denis Baupin, député. – Ce n’était pas à l’unanimité.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Vous n’étiez pas encore député à l’époque. À ma connaissance, aucun vote contre n’a été exprimé, il n’y a eu qu’un petit nombre d’abstentions. Pour vous agréer, nous pourrions aussi dire que cette loi a été votée a une très large majorité.

Cette loi a confirmé et étendu le rôle de la Commission nationale d’évaluation, tout en renforçant l’intervention de l’Office dans la nomination de ses membres. Elle prévoit aussi que le rapport annuel de cette nouvelle CNE – la CNE2 – soit transmis au Parlement, qui en saisit notre Office.

Je suis certain que nos collègues ici présents seront nombreux à vouloir poser des questions à la suite de la présentation de votre rapport. Compte tenu des contraintes horaires de chacun – je sais que certains parmi vous doivent partir avant la fin de la réunion – j’annonce dès à présent que je limiterai chaque intervention à cinq minutes. S’il reste des questions, nous procéderons à un second tour de table. En évitant toute monopolisation du temps de parole, chacun pourra s’exprimer. Je donne à présent la parole au président Jean-Claude Duplessy pour la présentation de ce neuvième rapport d’évaluation.

M. Jean-Claude Duplessy, président de la CNE2. – Merci, Monsieur le Président. Nous allons donc vous présenter les grandes orientations de notre rapport de cette année. Bien que ses membres soient bénévoles, les activités de la Commission restent toujours aussi soutenues. Nous avons organisé huit auditions publiques et six auditions restreintes. Nous avons auditionné quatre-vingt-trois ingénieurs et chercheurs de l’Andra, d’Areva, du CEA, du CNRS, d’EDF et des universités. Nous avons aussi réalisé plusieurs visites, en particulier à l’usine Areva de Malvési que nous ne connaissions pas et, voici quelques jours, sur les sites Areva du Creusot et de Saint-Marcel, près de Chalon-sur-Saône, où nous avons vu fonctionner les forges.

Cette année, vous trouverez dans notre rapport cinq grands axes d’analyse : le projet Cigéo de stockage des déchets MAVL (moyenne activité à vie longue) et HAVL (haute activité à vie longue), le devenir des déchets FAVL (faible activité à vie longue), les déchets de l’amont du cycle, le démantèlement des installations nucléaires – abordé à la suite de la demande que vous nous aviez adressée l’an dernier – et la séparation-transmutation. Conformément à sa mission, la Commission a aussi établi un panorama international. À ce sujet, je tiens à présenter les excuses des deux membres spécialistes de ce sujet, Frank Deconinck et Claes Thegerström, tous deux retenus à l’étranger. Sur le stockage géologique, je passe la parole à Emmanuel Ledoux.

M. Emmanuel Ledoux, vice-président de la CNE2. – Le premier chapitre de notre rapport est consacré au projet Cigéo de stockage géologique profond. Comme vous le savez, le projet Cigéo a pour objectif la conception et, ultérieurement, la construction d’un stockage géologique des déchets radioactifs HAVL et MAVL qui sont inscrits au programme industriel de gestion des déchets (PIGD). Ses caractéristiques principales sont également bien connues : ce stockage doit être réalisé à une profondeur de 500 mètres, dans une couche d’argilite d’âge callovo-oxfordien (COx) d’une épaisseur d’environ 130 mètres, donc apte à confiner les radionucléides susceptibles de s’échapper des conteneurs de déchets. Ce stockage se situera en Meuse/Haute-Marne, dans une zone appelée ZIRA, pour « zone d’intérêt pour une reconnaissance approfondie ».

Vous vous souvenez peut-être que, dans notre rapport précédent, nous avions attiré votre attention sur un risque de dérapage du dossier de demande d’autorisation de création (DAC) de Cigéo qui, selon la loi de 2006, devait être déposé en 2015. La nouvelle échéance pour le dépôt de la DAC est maintenant fixée à 2017. Dans son rapport, la Commission fait observer que, si ce report relâche un peu le calendrier, celui-ci reste toujours très serré. Elle souhaite qu’il soit désormais respecté, pour clarifier la gestion des déchets HAVL et MAVL.

À ce propos, la Commission se pose la questions suivante : comment concilier la précision exigée d’une DAC et la flexibilité de réalisation requise pour un ouvrage qui doit être exploité sur la longue durée, en restant réversible ?

En ce qui concerne les aspects scientifiques de ce projet, les études sur le comportement thermo-hydro-mécanique (THM) du COx ont conduit l’Andra à modifier de manière notable, par rapport à la phase d’esquisse, la configuration de la zone HAVL et son implantation au sein de la ZIRA. Il est apparu, à l'issue de ces études, que les critères THM ne devaient pas se limiter à des questions de température au voisinage des stocks de déchets. Ils doivent également prendre en compte l’état de contrainte engendré au sein du massif par la dissipation thermique qui peut, en certains endroits, générer des effets de traction susceptibles d’ouvrir, au moins localement, la roche. Des études et recherches sont encore nécessaires pour préciser le comportement THM du stockage, mieux définir l’extension des zones où le critère d’absence de fracturation du COx risque d’être violé et apprécier les conséquences d’une telle violation sur ses propriétés de confinement.

En conséquence, la Commission recommande à l’Andra de retenir dans la DAC un dessin d’architecture de la zone HAVL suffisamment prudent pour permettre le stockage de tous les déchets HAVL du PIGD dans le respect des règles de sûreté. Si une amélioration ultérieure des connaissances permettait une meilleure utilisation de l’espace souterrain, celle-ci pourrait éventuellement être proposée par la suite.

Un second point concerne les bitumes. Vous vous souvenez sans doute que, dans son rapport numéro 7, la Commission avait demandé à l’Andra et au CEA d’étudier très précisément le comportement des bitumes dans des conditions de température particulières, par exemple celles pouvant résulter d’un échauffement provoqué par un incendie. L’Andra et le CEA s’étaient engagés à déposer pour la fin de l’année 2014 les rapports conclusifs de ces études, ce qui a été fait en temps et en heure. La Commission a donc pu en examiner les résultats qui montrent, dans les conditions thermiques d’un incendie important, la tenue des colis de bitumes et l’inertie chimique des enrobés bitumineux. Ces nouvelles données dissipent les craintes liées aux incendies d’origine externe aux colis dans les installations de Cigéo. Néanmoins, la Commission estime que l’Andra devra poursuivre les études relatives à la stabilité chimique des enrobés bitumineux sur la durée d’exploitation du stockage, c’est-à-dire à peu près cent ans.

M. Jean-Claude Duplessy. – Un autre aspect des études sur Cigéo concerne la question des coûts, que nous évoquons depuis plusieurs années et qui intéresse la société, comme l’a montré le débat public. Nous commençons à disposer d’un certain nombre d’informations à ce sujet. C’est l’économiste de la Commission, Jacques Percebois, qui va les évoquer.

M. Jacques Percebois. – En effet, je vais insister sur la dimension économique. L’Andra poursuit un dialogue avec les producteurs de déchets sur deux plans : d’une part, pour établir une première version des spécifications des colis primaires qui seront stockés – à cet égard, la Commission recommande que l’Andra puisse intervenir le plus en amont possible dans le processus de contrôle du respect des spécifications des colis envoyés à Cigéo – et, d’autre part, pour estimer les coûts de Cigéo. Cette estimation fait toujours l’objet d’un certain nombre de divergences entre l’Andra et les producteurs qui souhaitent prendre immédiatement en compte des opportunités visant à réduire le coût du stockage. La Commission, pour sa part, réaffirme son souhait que les dépenses soient bien évaluées de manière prudente, comme le prévoit la loi, que les optimisations reposent sur des bases scientifiques et techniques solides et que la sécurité et la sûreté ne soient jamais sacrifiées sur l’autel des économies budgétaires.

Il nous a paru intéressant, en particulier cette année, de réaliser une comparaison avec la situation internationale, notamment au sein de l'association Edram (International Association for Environmentally Safe Disposal of Radioactive Materials) qui regroupe la plupart des organismes chargés du stockage de déchets radioactifs. Celle-ci a publié en 2012 une méthodologie d’évaluation du coût d'un stockage géologique. Malgré la diversité indéniable des situations nationales, la plupart des estimations concluent que le coût d'un stockage géologique ne représente que quelques pour cents du coût de production de l’électricité.

En revanche, les méthodes de financement des stockages géologiques varient d'un pays à l'autre. Trois approches sont principalement utilisées : des provisions inscrites au bilan des producteurs, des versements à un fonds interne particulier, ou des provisions versées à un fonds externe spécifique. Les modes de constitution des provisions ou d’alimentation des fonds sont diversifiés. À titre d’exemple, en Suède, les redevances sont versées dans un fonds externe qui les place en titres publics. Le montant des redevances est révisé tous les trois ans, après aval des autorités, après réactualisation des coûts. Cette approche suédoise nous semble intéressante parce qu’elle permet la constitution progressive des provisions et évite surtout un « effet falaise », en raison du rythme régulier de la révision des évaluations du coût, tout au long de la réalisation du projet.

M. Jean-Claude Duplessy. – Un des points qui nécessite une attention particulière concerne les déchets FAVL, pour lesquels la Commission suit les recherches menées par les acteurs de la loi. M. François Roure va faire un point sur ce sujet.

M. François Roure, membre de la CNE2. – Les déchets de haute activité seront pris en charge par Cigéo, au sein des argiles du jurassique, à 500 mètres de profondeur. Pour les déchets FAVL, l’Andra effectue des recherches plus à l’ouest, dans le bassin de Paris qui se présente comme une pile d’assiettes. Ces couches géologiques, plus jeunes, datent de l’Albien. Elles sont constituées d’argilites datant de 110 millions d’années seulement, proche d’aquifères constitués par des grès.

La prospection menée par l’Andra sur le territoire de la communauté de communes de Soulaines, dans l’Aube, concerne un secteur où les argilites affleurent en surface, ce qui impose un stockage à couverture remaniée (SCR). L’Andra a déjà réalisé des forages dans ce secteur et en a étudié les propriétés sismiques, ce qui a permis de montrer l’absence de déformation importante.

Mais nous souhaiterions que l’Andra étudie également un éventuel site de stockage de déchets FAVL, sur un territoire où des séries argileuses pourraient permettre la création d’un stockage à couverture intacte (SCI). La Commission recommande de poursuivre les reconnaissances géologiques et d’étudier les impacts éventuels qu’un stockage à couverture remaniée des déchets FAVL aurait sur l’environnement, notamment pour prendre en compte un transfert éventuel de radioéléments dans le système aquifère. S’agissant d’une couverture remaniée, il convient aussi d’examiner l’action de l’érosion pour prouver que le confinement sera durable. En conclusion, la Commission rappelle que le concept de SCR reste fragile pour des radionucléides à vie longue car il n’offre pas a priori les garanties de la couverture naturelle d’un stockage sous couverture intacte.

Un autre point concerne les déchets de l’usine Comurhex à Malvési, dans l’Aude, où la géologie, issue d’une histoire plus complexe, s’avère très différente de celle de la région parisienne. La proximité des Pyrénées a induit des traces de compression datant d’une soixantaine de millions d’années et celle de la Méditerranée l’ouverture, à l’Oligocène, du bassin du golfe du Lyon. De ce fait, contrairement au bassin parisien, des systèmes de failles découpent les couches géologiques dans ce secteur. La prospection menée actuellement par Areva vise à caractériser la compartimentation des roches, ainsi que les dépôts de l’Oligocène, considérés comme susceptibles d’accueillir ces déchets. Areva étudie la possibilité de stocker in situ les déchets produits par l’usine Comurhex de Malvési, pour l’essentiel à radioactivité naturelle renforcée. La Commission recommande de poursuivre les travaux de caractérisation du site, en précisant ses propriétés de confinement, et de suivre l’évolution de la minéralogie des déchets historiques et leur comportement vis-à-vis de la lixiviation.

M. Jean-Claude Duplessy. – Toutes ces études sont menées non par l’Andra mais par Areva, avec un groupe d’experts internationaux. Ce sujet se rapproche de celui des résidus de traitement des minerais d’uranium stockés sur les sites miniers. Nous continuerons donc, de la même façon, à suivre les études menées à Malvési. Un autre aspect nouveau que nous avons été amenés à aborder concerne le démantèlement des réacteurs. Sur ce point, je donne la parole à Robert Guillaumont.

M. Robert Guillaumont, membre de la CNE2. – Le problème du démantèlement des réacteurs a une envergure mondiale et il faudra certainement mener beaucoup de recherche et développement dans ce domaine dans les années qui viennent. En ce qui concerne la France, neuf installations ont été arrêtées, essentiellement des réacteurs de première génération, entre 1973 (Chinon A1) et 1998 (Creys-Malville), ainsi qu’un réacteur à eau pressurisée (REP Chooz A) de 340 MWe et l’usine d’enrichissement d’uranium Georges-Besse 1.

En ce qui concerne les réacteurs de première génération, le problème des graphites rejoint celui du stockage des déchets FAVL. La majorité de ces graphites sont en effet très peu actifs, mais contiennent du Chlore 36 qui est un radionucléide à vie longue.

Le problème posé par l’usine Georges-Besse est celui du recyclage des aciers. Des recherches sont en cours, pour essayer de les décontaminer par fusion, afin de les recycler éventuellement dans la filière nucléaire, par exemple pour réaliser des conteneurs de déchets. Au-delà de ces réacteurs de première génération se profile le démantèlement du parc actuel qui comporte cinquante-huit réacteurs à eau légère, ainsi que l’EPR.

EDF se préoccupe depuis quelques années des problèmes que cela pose et nous a fait part d’un certain nombre de dispositions visant à minimiser le volume des déchets de démantèlement des REP du parc nucléaire actuel. Le démantèlement en cours à Chooz permettra de bénéficier d’un retour d’expérience pour la suite de ce programme. Étant donné le grand volume de déchets à venir, le premier enjeu concerne la réalisation d’un inventaire prévisionnel le plus réaliste possible de ces déchets, dont le recyclage et la valorisation doivent éventuellement être envisagés. Compte tenu de la faible capacité actuelle de prise en charge des déchets TFA, en comparaison des quantités à venir, la Commission demande l’élaboration d’un schéma industriel permettant de répondre aux besoins. Elle recommande aussi de poursuivre la recherche de pistes d’optimisation, ainsi que les études nécessaires à l’évaluation des nuisances environnementales qui pourraient en découler, notamment celles liées au stockage in situ des déchets et à leur transport.

La Commission souhaite connaître les études et recherches déjà entreprises par les producteurs de déchets sur la mesure de très faibles radioactivités de radionucléides contenus dans d’importantes quantités de matériaux variés. Ces études et recherches constitueraient un support utile aux réflexions du groupe de travail mis en place par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur le principe d’un seuil de libération, en regard des pratiques européennes. Cette question relève de l’ASN mais la Commission se préoccupe de savoir si les moyens pour mesurer et identifier les déchets susceptibles d’être libérés sont en place. Il s’avère en effet très difficile de mesurer une radioactivité faible dans un très grand volume de déchets.

M. Jean-Claude Duplessy. – M. Maurice Leroy va nous présenter la situation sur le dernier axe de recherche, celui de la séparation-transmutation.

M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE2. – La loi de 2006 dispose que les recherches sur la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue doivent être conduites en relation avec celles menées sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires, dans la lignée du forum Génération IV.

Des organismes de recherche (CNRS, universités françaises, SCK-CEN en Belgique) explorent les possibilités que pourraient offrir une filière au thorium ou le couplage d’accélérateurs avec des réacteurs (ADS), pour produire de l’énergie et transmuter les éléments radioactifs à vie longue.

Pour sa part, le CEA s'est vu confier le développement et la maîtrise d’ouvrage du démonstrateur technologique Astrid, réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (RNR-Na) de quatrième génération qui utilisera comme combustible du plutonium et de l'uranium appauvri. En 2050, nous disposerons d’environ 450 000 tonnes d’uranium appauvri provenant de l’enrichissement. La recherche et développement porte également sur le cycle des matières, uranium et plutonium, puisque, dans les concepts de réacteur à neutrons rapides le combustible plutonium est issu du recyclage des combustibles et, que, à terme, le cycle du combustible sera fermé. Les réacteurs à neutrons rapides peuvent être iso-générateurs – c’est-à-dire produire autant de plutonium qu’ils en consomment –, surgénérateurs – en produire plus qu’ils n’en consomment –, ou sous-générateurs, ce qui permet de consommer le plutonium en fin de cycle.

Le retour d'expérience acquis en France et dans les autres pays du Forum Génération IV sur les RNR-Na est conséquent, puisqu’il est de l’ordre de quatre cents années. Le démonstrateur technologique Astrid doit prouver qu’un certain nombre d’innovations permettront d’atteindre un degré de sûreté supérieur à celui des réacteurs de troisième génération, du type de l’EPR, en intégrant le retour d’expérience de Fukushima. Le système de conversion de l’énergie sodium-gaz, couplé à une turbine à gaz, qui évite tout contact sodium-eau, constituerait un saut technologique en rupture totale avec le passé. Certains évoquent un nouveau Superphénix, alors que ce dernier comportait un circuit primaire sodium, un circuit secondaire sodium et de l’eau pour transmettre l’énergie. Dans ce nouveau système, l’eau est remplacée par de l’azote, ce qui évite tout risque de contact entre le sodium et l’eau. La Commission recommande que la recherche et le développement sur les échangeurs sodium-gaz et sur le couplage d’Astrid à des turbines à gaz soient intensifiés.

Le CEA met progressivement en place un dispositif très conséquent pour atteindre les objectifs du programme Astrid. L’avant-projet sommaire du réacteur enregistre des progrès continus. La recherche et le développement sont poursuivis en France, dans les installations du CEA ou dans le cadre de partenariats forts avec l’industrie, et à l’étranger. La Commission recommande de renforcer les liens entre les partenaires dans la perspective de leur engagement ferme dans la mise en œuvre du projet. Lorsque le projet va se développer, un engagement long et durable des industries concernées sera en effet nécessaire.

La mise en œuvre d’Astrid doit également permettre d’étudier la transmutation de l’américium et la consommation du plutonium existant, en fin de cycle, lorsque sera décidé l’arrêt du parc de réacteurs à neutrons rapides. Le combustible chargé en américium qui serait mis en couverture des cœurs de réacteurs à neutrons rapides pour la transmutation, serait constitué d’une céramique d’oxyde mixte UAmO2, préparée selon le procédé de métallurgie des poudres, exactement comme l’oxyde UPuO2 utilisé pour les combustibles MOX. Les études portent sur l’optimisation de ce combustible. La Commission considère que le CEA doit poursuivre les études fondamentales sur les propriétés des oxydes U-Am et sur leur mise en forme pour fabriquer ultérieurement le combustible. En effet, le comportement de ces oxydes mixtes est différent de celui des oxydes U-Pu. La possibilité de la transmutation de l’américium dépend des conclusions de ces études.

M. Jean-Claude Duplessy. – J’en arrive au panorama international, pour lequel nous bénéficions de l’expérience de nos collègues étrangers. Ce panorama leur permet aussi de donner un avis sur la situation française, avec une vue plus impartiale que celle des observateurs français.

La France, la Finlande et la Suède sont les trois seuls pays où le processus d’obtention d’autorisation de création d’un stockage géologique profond de déchets HAVL a atteint un niveau de maturité suffisant. En Finlande, pays le plus avancé, l'autorité de sûreté STUK a émis un avis favorable, sur les plans scientifique et technique, au projet présenté par l’agence de gestion des déchets, POSIVA. Une décision du gouvernement est attendue dans les prochains mois. En Suède, le processus d'autorisation est en cours et s’étendra sur plusieurs années. Les autres pays sont nettement moins avancés. Le Royaume-Uni et l'Allemagne ont repris des recherches afin d’identifier un site adéquat pour implanter un stockage géologique, soit l’équivalent de la situation en France en 1991. Aux États-Unis d’Amérique, depuis l’arrêt du projet Yucca Mountain, l’entreposage à sec des combustibles usés constitue une solution d’attente d’un exutoire adéquat.

Le démantèlement d'installations nucléaires et l'assainissement des sites représentent un domaine d'activité qui prend de plus en plus d’importance. Ces activités dépendent de critères nationaux permettant de considérer les sites comme assainis et ouverts à des activités non nucléaires. Elles dépendent aussi des règles selon lesquelles des matériels décontaminés peuvent être libérés ou déclassés et considérés comme non radioactifs. En l’absence d’harmonisation internationale, les réglementations et pratiques varient fortement d'un pays à l'autre. Nous sommes favorables à une réglementation européenne, puis internationale, permettant une harmonisation. Par exemple, si, en France, nous n’avons pas le droit de réutiliser des aciers provenant d’un site nucléaire, des automobiles Volkswagen, Volvo ou Mercedes utilisant de l’acier déclassé venant de Suède ou d’Allemagne sont pourtant vendues dans notre pays.

Enfin, la Commission s’est intéressée aux incidents survenus récemment au WIPP (Waste Isolation Pilot Plant), au Nouveau Mexique. Le premier concerne un incendie provoqué par un appareil de manutention. Le deuxième a conduit à la diffusion de radionucléides dans le stockage et son environnement.

En mars 2015, le laboratoire national de Savannah River a rendu public un premier rapport sur ce dernier incident. Sa conclusion principale est qu’un fût (n° 68660) contenait des substances chimiquement incompatibles entre elles. La configuration des matériaux à l'intérieur du conteneur, en conjonction avec cette incompatibilité, a provoqué une réaction chimique exothermique incontrôlée. L'augmentation de pression due à l'accumulation de gaz à l'intérieur du fût a détruit l'intégrité du colis. Cela a permis aux gaz et matériaux radioactifs de réagir avec l'air et d'autres matériaux en dehors du fût, provoquant les dégâts observés dans la zone « WIPP P7R7 » et des rejets de matières radioactives. Un seul fût non conforme est passé au travers du contrôle qualité. Cet incident souligne le caractère crucial de l’assurance qualité tout au long de la chaîne d’élaboration des colis primaires et des colis de stockage des déchets. Cela renvoie à la recommandation forte que nous avons formulée pour Cigéo, en demandant que l’Andra soit impliquée aussi tôt que possible en amont du processus de fabrication des colis, pour éviter ce genre d’incident.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je vous remercie pour la présentation de ce rapport qui nous apporte des informations très importantes sur l’avancement des recherches et des études dans le domaine de la gestion des matières et déchets radioactifs. Avant de donner la parole à nos collègues, je vais juste formuler une remarque sur une suggestion que vous avez faite.

Vous avez indiqué qu’il serait nécessaire d’étudier la discordance entre la souplesse requise par la réversibilité et la rigidité du processus de dépôt d’une demande d’autorisation de création, qui laisse peu de place aux évolutions après la délivrance de l’autorisation initiale. C’est d’ailleurs pour cela que nous souhaitions introduire, au travers d’un amendement, une phase d’essai dans un alvéole pilote au début de la construction de Cigéo, avant de revenir devant le Parlement. Un certain nombre de nos collègues ne souhaitant pas que cela se fasse, cet amendement, présent après la première lecture de la loi, a été abandonné. C’est une question que j’avais posée en termes législatifs et qui avait été reprise par des collègues sénateurs.

Or, la réversibilité consiste aussi à laisser la possibilité aux générations futures de faire évoluer le stockage géologique, par exemple pour prendre en compte de nouvelles données scientifiques. Je souhaiterais que vous puissiez étudier cette question pour le rapport de l’an prochain.

Je donne à présent la parole au premier vice-président.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président. – Cela fait longtemps que je travaille sur le projet de stockage géologique et je constate qu’il évolue lentement. Vous aviez donné une définition de la réversibilité voici déjà deux ans et il semblerait que d’autres se proposent d’y travailler à nouveau. Je suis également assez surpris des problèmes spécifiques posés par les déchets bitumineux destinés à Bure-Saudron, alors que l’objectif premier de ce stockage est bien d’assurer le plus haut niveau de sûreté aux déchets HAVL.

M. Jean-Claude Duplessy. – J’étais, pour ma part, inquiet de l’utilisation de cette matrice bitumineuse dans le stockage géologique. Mais, initialement, ces déchets, actuellement entreposés essentiellement à Cadarache, Marcoule et à La Hague, étaient déjà identifiés en tant que déchets MAVL destinés au stockage géologique profond.

M. Bruno Sido. – Je voudrais m’arrêter sur la très grande quantité de déchets à très faible activité, qu’ils soient à vie courte ou à vie longue. Un peu comme pour les OGM, les métaux très faiblement radioactifs ne peuvent être réutilisés chez nous, mais peuvent pourtant être importés et consommés. Ces choix ont des implications en termes de coût.

Pour ce qui concerne l’optimisation du stockage géologique, vous mentionnez un allongement de vingt ans de la durée d’entreposage des déchets HAVL. On comprend bien l’intérêt d’attendre leur refroidissement mais comment vont-ils être entreposés durant cette durée ?

M. Jean-Claude Duplessy. – La question de l’éventuel déclassement des TFA est sous la responsabilité de l’ASN. Notre mission consiste à vérifier que si l’ASN donne des instructions, les chercheurs des différents organismes sauront répondre à celles-ci en proposant des solutions adaptées.

S’agissant de l’allongement de vingt ans de l’entreposage des combustibles usés avant leur stockage, cette option est proposée par les producteurs dans le cadre des optimisations du coût de Cigéo, puisqu’elle permettrait d’accroître la densité du stockage. Toutefois, elle pourrait conduire à un arrêt du fonctionnement de Cigéo pendant une longue période. Nous estimons qu’il ne faut pas autoriser une mesure qui conduirait à une perte de compétences au cours de la vie de Cigéo.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je donne à présent la parole à Christian Bataille, vice-président.

M. Christian Bataille, député, vice-président. – Je poserai trois questions dans le temps qui m’est imparti.

La première concerne la transparence. Avec le sénateur Christian Namy, dans notre rapport d’évaluation du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs 2013-2015, nous avons demandé à la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) d’assurer la transparence des échanges entre l’Andra et les producteurs concernant le projet de stockage géologique, notamment vis-à-vis de la CNE2. En effet, la transparence est essentielle pour la sûreté dans le domaine nucléaire et, comme vous l’indiquez à juste titre dans votre rapport, ces échanges pourraient avoir des conséquences sur la sûreté du futur stockage. Or, vous posez dans votre rapport un certain nombre de questions qui laissent penser que vous n’avez toujours pas à ce jour une visibilité complète de ces échanges. Qu’en est-il ? Recevez-vous systématiquement les comptes rendus de ces réunions de coordination ou avez-vous la possibilité d’y assister ? Comment votre visibilité sur ces échanges pourrait-elle être améliorée ?

Ma deuxième question porte sur les combustibles usés non retraités. La Cour des comptes et l’Autorité de sûreté nucléaire ont suggéré d’intégrer au projet de stockage géologique profond la possibilité d’accepter directement ce type de déchets. Cette option n’entre pas dans la politique de gestion durable des matières et déchets radioactifs définie par la représentation nationale dans la loi du 28 juin 2006 – le rapporteur de la loi de 1991 n’avait d’ailleurs pas non plus du tout cela à l’esprit. L’article 6 de la loi de 2006 prévoit en effet que « La réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs [soit] recherchée, notamment par le traitement des combustibles usés ». Pourriez-vous préciser les conséquences de cette demande sur le plan pratique ? Faut-il juste agrandir un peu les accès au centre ? S’agit-il de dimensionner plus largement le stockage ? Des recherches complémentaires sur le colisage et le confinement des déchets seront-elles nécessaires ? Tout cela pourrait-il avoir un impact sur les délais et le coût du projet ? Il s’agit, encore une fois, d’un choix qui n’a jamais été validé par le Parlement.

Ma troisième question porte sur le coût du projet Cigéo. Vous vous êtes penchés sur les implications pour le projet Cigéo de l’évaluation de son coût et du financement nécessaire. Il est vrai que ce projet est le seul au monde à faire l’objet d’une évaluation financière sur un siècle. C’est un peu, à titre de comparaison, comme si l’on décidait de calculer le coût d’une ligne TGV en ajoutant au coût de construction celui d’exploitation et de maintenance, sans oublier la fiscalité, sur cent ans. Il s’agit donc d’un exercice très difficile. Même si la Cour des comptes a démontré qu’une variation importante de ce coût aurait un impact très faible sur celui de l’électricité, pour les producteurs, comme vous l’indiquez, elle aurait un effet à court terme sur leur trésorerie et leur cotation en bourse. Cela explique que si l’Andra a déjà transmis une évaluation au Gouvernement, les producteurs de déchets la trouvent élevée. Pour éviter des effets de palier, vous proposez donc que l’évaluation du coût du stockage géologique soit revue tous les trois ans. Pensez-vous qu’une commission financière indépendante, un peu sur le modèle de la vôtre, serait adaptée pour assurer un tel suivi ? Nous l’avions proposé avec Christian Namy dans le même rapport d’évaluation du PNGMDR.

M. Jean-Claude Duplessy. – En ce qui concerne les combustibles usés non retraités, voici deux ou trois ans lorsque la question est apparue, nous avions demandé à l’Andra de s’assurer a minima que les investissements envisagés pour la descenderie, la recette du fond, les premières galeries au fond, etc. ne conduiraient pas à une impossibilité pour un éventuel stockage direct de ceux-ci. L’Andra a répondu qu’elle dimensionnerait suffisamment les installations pour recevoir ce type de colis. S’agissant des autres conséquences, nous allons demander à l’Andra de nous les présenter. Mais je ne peux donner une réponse sur des dossiers que nous n’avons pas encore pu examiner. Je passe la parole à Jacques Percebois sur les questions socio-économiques.

M. Jacques Percebois. – Concernant votre première question relative à la transparence, beaucoup de réunions techniques, avec une implication en termes de coûts, ont eu lieu entre l’Andra et les producteurs. Nous avons été associés, en tant qu’observateurs, à une dizaine de réunions, sous la présidence de la DGEC, au cours desquelles a été débattu l’impact de ces choix techniques sur le coût de Cigéo, puisque l’objectif était de présenter un coût à la ministre. Au cours de ces réunions, nous avons obtenu un certain nombre d’informations, notamment quant au rapprochement des différents chiffres, sachant que nous ne pouvons les divulguer, puisqu’il revient à la ministre d’officialiser l’évaluation du coût de Cigéo. Néanmoins, il apparaît que le chiffre qui devrait être retenu sera supérieur au précédent, ce qui aura des conséquences significatives en termes de provisions, et, éventuellement, un impact sur le cours des actions, alors même que certains producteurs sont dans une situation qui pourrait être qualifiée de difficile. Nous restons sur le constat d’une certaine convergence, même si des divergences subsistent sur certains points. Nous en avons donné une liste : sur le rythme de creusement, la période de dépôt des déchets HAVL, etc. Globalement, ces incertitudes ne représentent qu’un petit pourcentage du coût du kilowattheure, tout comme c’est le cas pour les pays étrangers ayant un projet identique.

Nous sommes en accord sur la difficulté de l’exercice consistant à évaluer des coûts sur une période de l’ordre du siècle. Des variations dans cette évaluation n’ont donc rien de choquant, a fortiori au vu des dérives constatées dans le passé sur les grands projets. Par contre, il faut qu’il y ait convergence sur le coût de la première phase du projet, ce qui est effectivement le cas. C’est la raison pour laquelle il nous semblerait pertinent de réévaluer, comme en Suède, ce coût tous les trois ans, ce qui permettrait de lisser l’augmentation des provisions. Initialement, les Suédois avaient envisagé un rythme annuel mais il s’est avéré trop contraignant, en raison du nombre d’études à mener. La Commission doit-elle y être associée, en continuant à participer à des groupes de travail entre l’Andra et les producteurs, ou une commission ad hoc doit-elle être constituée ? C’est une question d’ordre politique.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je donne maintenant la parole à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. – Je voudrais d’abord vous féliciter de ce rapport, et aussi saluer le talent de M. Jacques Percebois qui, année après année, nous présente un rapport sur les coûts sans jamais donner de chiffres, ce qui constitue un exercice particulièrement difficile. Le président d’Areva disait l’autre jour, durant une audition à l’Assemblée nationale, que le coût de Cigéo était astronomique. Pourriez-vous nous en donner une estimation ?

D’autre part, quelles leçons pouvons-nous tirer pour le projet Cigéo, s’agissant d’un ouvrage totalement inédit, des dérives très importantes, en termes de coût et de délais, constatées sur certains projets nucléaires, tels que la construction de l’EPR, alors que nous avions déjà construit des réacteurs nucléaires auparavant ?

Sur le plan de l’évaluation des coûts, il existe une différence majeure entre un projet tel qu’une ligne TGV et Cigéo : les coûts fixes d’investissement interviennent, pour le premier, avant l’exploitation, et, pour le deuxième, après l’exploitation. Même le jour où l’électricité d’origine nucléaire ne sera plus produite en France, il restera pendant assez longtemps à gérer des coûts liés à la production actuelle, ce qui change significativement l’impact d’une erreur dans l’évaluation.

Par ailleurs, vous avez dit que vous préconisiez le système suédois d’évaluation triennale. Recommandez-vous également de nous inspirer de ce modèle en ce qui concerne le transfert des provisions dans un fonds externe ? Certains d’entre nous défendent cette solution dans l’hémicycle.

S’agissant des déchets bitumineux, quelles seraient les conséquences, en cas d’incendie, de la proximité entre ceux-ci et d’autres types de déchets ? Les études menées ont-elles eu des conséquences sur l’organisation du stockage ? Quels seraient les effets, à une profondeur plus importante, d’une possible réaction entre matériaux incompatibles, telle que celle survenue au WIPP ?

Pour la réversibilité, l’ASN ayant déclaré qu’elle ferait des propositions dans ce domaine, il me semble préférable que le Parlement ne se soit pas précipité pour analyser ce sujet, même si un jour ou l’autre ce débat sera nécessaire. Êtes-vous associés aux travaux de l’ASN sur cette question ?

Concernant le démantèlement, vous avez souhaité une harmonisation entre les différents pays. Je note une dissymétrie très importante sur la méthode d’évaluation des coûts. Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, l’évaluation est faite de façon indépendante. Pour le seul site de Sellafield, le coût du démantèlement a ainsi été évalué à 75 milliards d’euros. Dans d’autres pays, dont la France, cette évaluation est réalisée par les producteurs. On aboutit ainsi pour l’ensemble des installations d’EDF, d’Areva et du CEA, à un coût de 35 milliards d’euros, un peu moins de la moitié de celui de Sellafield. Préconisez-vous aussi une harmonisation des modalités d’évaluation de ces coûts, en proposant qu’elle soit réalisée de façon indépendante ?

Enfin, pour Astrid, pourriez-vous préciser le calendrier de sa mise en service, compte tenu de la quinzaine d’années nécessaires aujourd’hui pour construire un réacteur en France ?

M. Jean-Claude Duplessy. – Étant donné qu’une majorité des questions portent sur les aspects financiers, je donne la parole à Jacques Percebois.

M. Jacques Percebois. – Votre première question portait sur l’estimation du coût, puisque nous n’avons mentionné aucun chiffre. En audition publique, l’Andra ne nous en a jamais divulgués. Par conséquent nous ne pouvons pas en communiquer officiellement. Néanmoins, comme je l’ai indiqué, j’ai été associé ès-qualités aux discussions entre l’Andra et les producteurs de déchets radioactifs sur les coûts. Par conséquent, je peux indiquer officieusement, devant la représentation parlementaire, le chiffre que j’ai compris. Le coût initial de 14-16 milliards passerait aux alentours de 28 milliards d’euros, après un pic à plus de 30 milliards. Si l’on ne peut que se féliciter de la prudence de l’Andra, à certains moments des économies d’échelle apparaissent possibles. Les producteurs se sont prévalus de leur expérience en matière de grands travaux pour demander la réduction de certains postes.

Votre deuxième question porte sur la possibilité d’évaluer les risques de dérive au vu de l’expérience sur d’autres projets. Cette question pourrait faire l’objet d’une analyse académique très intéressante : certains grands projets n’ont pas connu de dérive, contrairement à d’autres qui ont été confrontés à des mutations, d’ordre technologique ou législatif. Mais je n’ai pas ici les moyens de répondre à cette question.

La troisième question porte sur l’intérêt d’un fonds dédié. Le législateur a prévu que des provisions soient constituées au sein des entreprises. Certains pays ont choisi un fonds dédié au sein des entreprises et d’autres un fonds dédié externe. La Commission n’a pas à se prononcer sur le choix du législateur. Un fonds dédié externe présente l’avantage de pérenniser à très long terme, en assurant la stabilité du fonds et en permettant de faire face à une disparition de l’entreprise. Toutefois, transférer la responsabilité de la gestion à un fonds peut donner le sentiment que le principe pollueur-payeur n’est pas vraiment appliqué, puisque l’État devient responsable, en dernier ressort, en cas de disparition d’une entreprise. Il s’agit d’un débat intéressant, mais qui relève du législateur, non de la Commission.

La quatrième question a trait au démantèlement. EDF ayant bénéficié de beaucoup d’économies d’échelle durant la construction des réacteurs a estimé qu’il en serait de même pour leur démantèlement. Il est très difficile, pour l’instant, d’aller plus loin, faute d’expérience. Dans son dernier rapport de 2014, la Cour des comptes attire l’attention sur le risque, au vu de certaines expériences étrangères, que les coûts s’avèrent au final plus élevés.

M. Jean-Claude Duplessy. – Il y a quelques jours nous nous sommes rendus à Chooz, avec Mme la sénatrice Marie-Christine Blandin. Maurice Leroy ayant, à cette occasion, interrogé les interlocuteurs d’EDF sur les coûts, je lui passe la parole.

M. Maurice Leroy. – J’ai en effet posé la question des coûts et la réponse que j’ai obtenue est intéressante. En 1955, le réacteur Chooz A est entrée en fonction et a produit jusqu’à son arrêt 38 milliards de kilowattheures, alors que le budget du démantèlement, qui, à ce jour, n’a pas été dépassé, serait de 400 millions d’euros, soit moins d’un centime par kilowatt.

M. Jean-Claude Duplessy. – S’agissant des bitumes, quelques alvéoles, de 500 mètres utiles en longueur, leur seront dédiés. Je vous suggérerais de demander à l’Andra de montrer les films des tests de colis bitumineux soumis à une température de 800 degrés.

M. Denis Baupin. – Est-ce une température suffisante ? Lors de l’incendie survenu dans le tunnel du Mont-Blanc, la température a atteint 1 400 degrés.

M. Jean-Claude Duplessy. – Pour atteindre 1 400 degrés, il faut, comme dans le tunnel du Mont-Blanc, deux ou trois camions remplis d’hydrocarbures. Dans la conception de Cigéo pratiquement rien ne pourra brûler. Tout est conçu pour que, à chaque instant, la charge au feu à côté d’un fût de bitumes ne permette pas une combustion de plus d’une heure. Il sera impossible d’atteindre 800 degrés à l’extérieur d’un colis.

Quant à la comparaison avec le WIPP, celui-ci est en réalité situé plus en profondeur que Cigéo.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Il se trouve à plus de 600 mètres, dans un dôme de sel.

M. Jean-Claude Duplessy. – Il s’agit effectivement d’un stockage très profond.

Sur le sujet de la réversibilité, la Commission travaille de façon indépendante de l’ASN. Lorsque le Gouvernement les interroge, ces deux instances répondent séparément. Ainsi, nous avons rendu l’année dernière un avis sur la réversibilité qui a été rendu public. Nous rencontrons régulièrement les représentants de l’ASN, mais nos réflexions sont indépendantes. Disposer de deux avis indépendants constitue un atout.

Pour Astrid, je donne la parole au professeur Leroy.

M. Maurice Leroy. – Le couplage d’Astrid au réseau doit s’envisager vers 2030-2035. C’est pour cela que l’engagement sur le long terme des différents partenaires est important pour aboutir à la construction. Il ne faut pas aller trop vite, puisqu'un parc de réacteurs fonctionne actuellement, mais il ne faut pas non plus trop tarder, pour éviter des phénomènes de perte de compétences. Les choses se mettent en place, les industriels se sont rassemblés et les coopérations internationales sont établies, par exemple avec la Russie pour irradier, le jour venu, le cœur.

M. Denis Baupin. – Quelle durée la période de tests aurait-elle ?

M. Maurice Leroy. – Une fois le réacteur couplé au réseau, il sera nécessaire d’expérimenter la transmutation. La commercialisation de ce type de réacteur ne pourrait s’envisager avant 2050. À Beloïarsk, en Russie, le réacteur à neutrons rapides BN-600 a été couplé au réseau en 1980 et n’a atteint son régime de croisière qu’après une quinzaine d’années.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je donne à présent la parole à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel, député. – Tout d’abord, je voudrais, à mon tour, vous remercier pour le travail que vous avez réalisé. Ces rapports, toujours très précis et clairs, nous confortent dans l’idée que nous bénéficions, grâce à la CNE2, d’une information de qualité.

Ma question concerne un point que vous avez signalé dans le chapitre cinq concernant la séparation-transmutation, plus particulièrement dans sa conclusion, en page 53 : « La Commission rappelle que la séparation-transmutation des éléments radioactifs à vie longue est un objectif inscrit dans la loi de 2006 et qu’il ne pourra être atteint qu’après la réalisation du réacteur Astrid. Dans le contexte actuel, il semble à la Commission que les acteurs du projet ont besoin que cet objectif soit clairement réaffirmé. »

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la signification de ce paragraphe ? Quelles sont les recommandations que vous feriez pour réaffirmer clairement le dit objectif ?

M. Maurice Leroy. – Comme vous le savez, le CEA est confronté à des restrictions de crédit relativement importantes. Il convient de s’assurer que les recherches sur la transmutation de l’américium se poursuivent. À cette fin, il faut des spécialistes, capables de travailler la matière constituée par les actinides mineurs. Il faut que la recherche et le développement permettent, le jour venu, de mettre en place les dispositifs permettant de manipuler des quantités importantes d’américium. Il faut que les expériences de transmutation passent de l’échelle du gramme à cette du kilo. C’est une chose nécessaire pour réaliser la transmutation.

M. Jean-Claude Duplessy. – Si nous avons indiqué cela, c’est que nous avions le sentiment que, dans le contexte économique difficile du CEA, il fallait rappeler que ce devait être une priorité.

M. Patrick Hetzel. – Je pense que cela a une incidence sur les préconisations que l’OPECST pourrait être amené à formuler. Je me demande si nous n’aurions pas intérêt, à un moment ou à un autre, à mettre l’accent sur ce point dans la programmation des investissements d’avenir ou de l’Agence nationale de recherche (ANR), pour sécuriser la poursuite des recherches menées dans ce domaine. Je partage votre analyse : ce n’est pas à l’heure actuelle considéré comme prioritaire, parce que d’autres projets sont engagés.

M. Maurice Leroy. – J’ajouterais que les chercheurs travaillant sur les actinides mineurs sont très peu nombreux, d’autant qu’il s’agit d’un domaine peu attractif, dans la mesure où les travaux le concernant sont peu cités dans les publications scientifiques, alors que l’indice de citation est un élément clef de l’évaluation des chercheurs par leurs pairs.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je donne la parole à Mme Marie-Christine Blandin, par l’intermédiaire de la voix du premier vice-président.

M. Bruno Sido, pour Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice. – M. Denis Baupin a déjà posé l’une des trois questions de Marie-Christine Blandin, relative aux coûts de démantèlement. Mais ses deux autres questions abordent le même sujet, sous d’autres angles : a-t-il été tenu compte, pour l’usine Georges-Besse, des tonnes d’amiante qui entourent chaque unité d’enrichissement ? Par ailleurs, existe-t-il des normes pour la formation des sous-traitants ? En effet, lors de la visite de Chooz, le directeur du site a déclaré à ce sujet : « Je ne m’occupe pas des sous-traitant, je n’ai que quatre interlocuteurs : les entreprises avec lesquelles j’ai contractualisé ».

M. Jean-Claude Duplessy. – Je vais être malheureusement très bref, car nous venons juste de commencer à étudier cette question du démantèlement et EDF nous a, pour l’instant, uniquement présenté sa stratégie. Nous n’avons pas engagé d’analyse sur Georges-Besse I, dont le démantèlement vient de commencer. Pour l’instant, nous ne disposons pas des informations nécessaires. Cela fait partie des sujets que nous pouvons étudier cette année. En ce qui concerne la formation des sous-traitants, ce n’est pas un sujet qui concerne la Commission, puisqu’il n’existe ni recherche, ni étude en ce domaine. Il s’agit néanmoins d’un sujet extrêmement important, plusieurs rapports de l’IRSN et de l’ASN ayant montré que de nombreux problèmes étaient liés à une formation insuffisante des sous-traitants. Cela a été notamment constaté au Japon. Mais il s’agit là d’un problème relevant plus du domaine législatif que de celui de la CNE2.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Avant de passer à un deuxième tour de table, je voudrais poser quelques questions.

J’ai d’abord deux remarques sur ce qui a été dit. D’une part, il revient à la loi, non à l’Autorité de sûreté nucléaire, de fixer un seuil de libération. À cet égard, en évoquant le cas des automobiles Mercedes ou Audi, vous semblez contester l’absence d’un tel seuil. D’autre part, si nous avons pu nous amuser de la façon dont notre collègue Denis Baupin a titillé M. Jacques Percebois sur la question des coûts du stockage, il convient de garder en tête que l’ordre de grandeur est le suivant : la production d’électricité représente 2 % du PIB, soit, avec les taxes, 40 milliards par an, ou 2 000 milliards sur 50 ans. En comparaison, le coût du stockage, qu’il soit de 14 ou 28 milliards, représente moins de 2 %. S’il y a des investissements à réaliser, on ne peut parler d’incertitude, même si cela arrangerait un certain nombre de personnes qui, en maintenant l’illusion d’un aléa, souhaitent figer la situation. Je trouve toutes les opinions sur l’énergie nucléaire respectables. Même si l’on est partisan de la sortie du nucléaire, il faudra traiter la question du stockage géologique. Je pense qu’il faut le faire le plus rapidement possible, si possible de façon consensuelle.

J’en viens à ma première question.

Le 22 avril dernier, l’IRSN a publié un rapport sur la maîtrise des risques en exploitation du projet Cigéo. Ce rapport souligne les progrès très importants réalisés par l’Andra en matière de sûreté, mais indique aussi qu’en l’état actuel du projet, dans certaines situations extrêmes, les risques d’incendie ou d’explosion ne peuvent être totalement écartés. Vous avez plutôt minimisé ces risques. Estimez-vous que vous êtes en phase avec l’IRSN sur cette appréciation ?

Une deuxième question, déjà posée l’année dernière, concerne le potentiel géothermique en Meuse/Haute-Marne qui fait l’objet d’une polémique et même d’un recours administratif récent, d’ailleurs rejeté. L’IRSN a pour sa part jugé que ce potentiel géothermique n’avait rien d’exceptionnel. Comment l’avez-vous évalué ?

M. Denis Baupin. – Il a été fait appel de ce jugement.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Cela ne change rien au jugement prononcé.

M. Jean-Claude Duplessy. – Nous allons essayer de formuler des réponses brèves, pour permettre un plus grand nombre de questions.

Sur les risques d’incendie, nous avons été rassurés par les études sur les colis de bitumes. Mais en dehors de ces déchets existent aussi des déchets pyrophoriques, sodés ou organiques. Nous avons demandé à l’Andra et aux producteurs de présenter les caractéristiques et colis de chacune de ces catégories de déchets. Nous avions émis un avis négatif sur l’idée d’un co-stockage. Nous pourrons donner un avis lorsque nous aurons évalué les réponses.

Sur la géothermie, je passe la parole à Emmanuel Ledoux.

M. Emmanuel Ledoux. – Comme vous l’avez indiqué, la Commission s’est exprimée deux fois au sujet de la géothermie, dans son rapport numéro 5, sur la base des études présentées par l’Andra, et dans son rapport numéro 8, à la demande du Comité local d'information et de suivi (CLIS) du laboratoire souterrain de recherche sur la gestion des déchets radioactifs de Bure, qui nous avait demandé d’émettre un avis sur un rapport réalisé par un bureau d’étude suisse.

Trois questions concernant la géothermie portaient sur la qualité du réservoir : sa température – celle-ci n’est pas défavorable –, sa productivité et la qualité chimique de l’eau extraite. Si mes souvenirs sont exacts, le point essentiel de la polémique concerne la productivité du réservoir. Les opposants arguaient que l’Andra n’aurait pas donné des informations exactes à ce sujet. C’est un point que la Commission avait relevé dans sa première analyse. La qualité du réservoir n’était pas inférieure à celle constatée dans le centre du bassin parisien. La Commission s’était clairement exprimée, en indiquant que si l’on voulait faire produire le réservoir, les débits seraient suffisants. Toutefois, l’eau extraite ne serait pas particulièrement chaude et serait extrêmement salée, ce qui imposerait de la réinjecter dans le gisement. Or, réinjecter l’eau dans les grès du Trias pose d’importants problèmes hydrodynamiques et hydro-chimiques de colmatage. Tous les essais réalisés sur cette même formation dans le bassin parisien ont abouti à un échec. Ce point de vue avait été également endossé par l’IRSN. Il s’agit d’un gisement difficile à exploiter et peu intéressant.

M. Christian Bataille. – Je voudrais ajouter deux remarques. À propos du fonds dédié, Denis Baupin a posé une question pertinente que j’avais déjà soulevée au moment du vote de la loi de 2006. Pour l’anecdote, j’avais dit qu’EDF était assis sur son magot, correspondant aux sommes provisionnées, et ne voulait pas le lâcher. Nous avions suggéré que ce fonds dédié soit placé sous la houlette de la Caisse des dépôts et consignations. C’est une bonne idée, sur laquelle il faudra revenir.

Je voudrais – puisque je suis un peu le père de la CNE au travers de la loi de 1991 – féliciter son président et ses membres de la qualité de ce rapport et du travail effectué. Je crois qu’il faut souligner que c’est la passion de la science qui les anime, et non la rémunération. Ils en sont d’autant plus méritants.

M. Jean-Claude Duplessy. – Je suis très sensible, ainsi que mes collègues, aux compliments de M. Christian Bataille.

M. Denis Baupin. – Comme l’a indiqué Christian Bataille, nous pouvons nous retrouver sur la mise en place d’un fonds dédié. Dans le passé, une proposition de loi pour la création d’un tel fonds avait d’ailleurs été déposée et signée par un certain François Hollande.

S’agissant du coût, le débat ne porte pas sur la part relative qu’il représente par rapport à l’activité, mais sur sa prise en charge par les consommateurs de l’électricité produite aujourd’hui, à l’origine de ces déchets, plutôt que par les contribuables de demain, dans le cas où ce coût aurait été mal évalué. Indépendamment des montants, il s’agit d’une question éthique importante.

A la lumière de vos propos sur la nécessité de maintenir les compétences sur la durée d’exploitation du stockage, la question de la sous-traitance apparaît d’autant plus cruciale. Sur une durée d’une centaine d’années, quelle sera la capacité réelle à assurer le respect des règles de séparation des différents types de déchets ? Dans la conclusion du rapport de l’IRSN, de nombreuses préoccupations sont mentionnées.

Sur la géothermie, il conviendrait de déterminer si des gens ne seraient pas tentés d’aller chercher le gisement en ayant oublié l’existence du stockage. Cette question mérite également d’être posée.

J’avais aussi quelques questions sur la situation d’Areva qui s’est dégradée beaucoup plus vite qu’on ne pouvait le penser, ce qui pose un problème de pérennité sur le long terme. Quelles seraient vos préconisations pour garantir la sécurisation des déchets placés sous la responsabilité d’Areva ? Dans les plans de restructuration d’Areva, va-t-on continuer à mettre autant d’argent et de personnel sur la sûreté ? C’est d’autant plus préoccupant qu’il y a depuis vingt ans des déchets à La Hague en attente d’être reconditionnés. Pour la première fois, l’ASN a évoqué le problème de saturation des piscines qui pourrait conduire à en construire de nouvelles. Est-ce que la CNE2 pourrait, dans son prochain rapport, avoir un regard sur ces questions aux implications lourdes ?

M. Jean-Claude Duplessy. – Nous sommes sensibilisés à ce problème. Lorsque vous visitez La Hague, vous voyez que les colis de verre sont entreposés dans une installation industrielle de première qualité. En revanche, l’entreposage des déchets MAVL, les premiers à être stockés, constitue une difficulté majeure. Nous examinons la stratégie des producteurs pour préparer ces déchets MAVL. Je suis convaincu que la Commission sera amenée à évoquer les déchets MAVL d’Areva et du CEA durant plusieurs années.

M. Maurice Leroy. – Je ne partage pas complètement votre approche sur la prise en charge du financement des infrastructures. Le raisonnement que vous appliquez aux installations nucléaires peut l’être tout aussi bien à un aéroport, une autoroute ou à des rails. Il faut aussi les démanteler une fois l’exploitation terminée. Autant la démarche liée aux matières dangereuses est spécifique, autant je ne vois pas en quoi elle diffère, entre ces applications, sur le plan du financement.

M. Denis Baupin. – Même si je comprends votre argument, il existe une différence d’échelle qui explique que des législations particulières, prévoyant un financement et une surveillance spécifiques, aient été mises en place.

M. Maurice Leroy. – Cela prouve surtout que le secteur nucléaire dispose d’une avance dans ce domaine.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Nous sommes tout à fait d’accord sur le principe. Il est évident qu’il faut préciser le mieux possible le coût réel des charges de long terme. Mais le paradoxe, c’est que ceux qui disent cela ne doivent pas retarder les solutions définitives, car ils font précisément porter, de cette façon, l’incertitude sur les générations futures.

M. Denis Baupin. – C’est le Parlement qui a décidé de retirer l’article et c’est l’ASN qui s’est proposée de travailler sur la notion de réversibilité.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Le Parlement n’a rien décidé, mais une commission spéciale, au sein de laquelle un certain nombre de parlementaires – dont un parlementaire aujourd’hui présent et qui a agi pour que cet article soit retiré – se sont fortement impliqués. Pour ma part, j’estime que nous devrions nous préoccuper le plus rapidement possible de cette question.

M. Denis Baupin. – Le jour où ce débat sera posé, il faut qu’il le soit dans de bonnes conditions, non au travers d’un cavalier législatif dans une loi sur la croissance. Ce sujet mérite un véritable débat de fond, pour définir ce qu’est la réversibilité, dans quelles conditions elle se fait, quelles sont les étapes au cours desquelles le Parlement doit prendre des décisions, etc. Il y aura une majorité et une minorité. C’est la démocratie. La famille politique à laquelle j’appartiens sera probablement en désaccord. Qui plus est, en examinant comment l’amendement proposé par le Sénat modifie le code de l’énergie, il apparaît que s’il prévoyait bien une phase pilote et, à la fin de celle-ci, le dépôt d’un projet de loi par le Gouvernement, il ne prévoyait pas que ce dernier soit adopté. Cela prouve qu’un tel sujet ne peut être traité au travers d’un simple amendement.

M. Jean-Yves Le Déaut. – L’amendement que j’avais rédigé et qui a été repris par le sénateur Gérard Longuet prévoyait bien un débat parlementaire après la phase pilote. Si cela n’était pas explicité dans l’amendement, c’est que les parlementaires n’ont pas le droit de faire une injonction au Gouvernement. Tout le monde a compris que, conformément aux recommandations de la CNE2, il ne fallait pas retarder au-delà de 2017 le démarrage de la phase pilote de Cigéo. La garantie d’un débat était claire. Mais les opposants ne réclament pas un débat, ils veulent empêcher le démarrage du projet.

M. Denis Baupin. – Je confirme que je ne veux pas du démarrage de Cigéo. Ma position est peut-être minoritaire. Mais, au jour d’aujourd’hui, les conditions de ce démarrage ne sont pas réunies, comme le montrent le rapport de l’IRSN mentionné, la réflexion engagée par l’ASN sur la réversibilité, la demande de l’ASN sur la clarification de l’inventaire, les études complémentaires sur les déchets MAVL évoquées par la CNE, etc. Rien ne garantit que ces conditions puissent être remplies. Il ne faut pas lancer un projet sans certitude quant à notre capacité de le réaliser.

M. Jacques Percebois. – Je voudrais ajouter une remarque. Je suis d’accord pour dire qu’il faut bien évaluer les coûts, pour éviter les transferts intergénérationnels. Mais s’il y a des transferts intergénérationnels, ce sera probablement entre consommateurs d’électricité, pas vers les contribuables.

M. Denis Baupin. – Cela dépendra de la situation du marché de l’électricité.

M. Jacques Percebois. – À ce sujet, je signale que les transferts intergénérationnels peuvent se produire en sens inverse. Ainsi, lors de la construction de ses cinquante-huit réacteurs, EDF a très prudemment prévu un amortissement sur trente ans. Les tarifs de l’électricité ont, de ce fait, très fortement augmenté. Ceux qui en ont profité, ce sont les consommateurs d’électricité des années 1990, qui ont en quelque sorte bénéficié de l’effort des consommateurs précédents. Les transferts générationnels existent toujours, même s’il faut les minimiser.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je voudrais encore poser deux dernières questions. Comme vous le rappelez, dans le panorama international, en Allemagne, l’ensemble des partis politiques – écologistes compris – se sont accordés, dans une loi votée en 2013, sur la nécessité de poursuivre la recherche d’un site de stockage géologique. En effet, l’Allemagne doit, elle aussi, trouver une solution à la gestion des déchets déjà produits, même si elle a décidé l’arrêt progressif de ses centrales nucléaires. Il semblerait, au vu de cette décision, que les écologistes allemands ne partagent pas les doutes de leurs homologues français sur le stockage géologique. À cet égard, disposez-vous de plus de détails sur la situation du site historique de Gorleben, dans lequel le ministre de l’environnement de Basse-Saxe – lui aussi écologiste – a accepté la poursuite des recherches ?

Par ailleurs, lors du vote de la loi du 28 juin 2006, la représentation nationale a unanimement décidé la création d’un centre de stockage géologique profond, après avoir longuement débattu des différentes options possibles. Certains opposants contestent ce choix, malgré l’existence – et vous l’avez dit plusieurs fois, tout comme l’ASN – d’un consensus scientifique international. Ils proposent de revenir à une option d’entreposage provisoire de longue durée en subsurface, dans l’attente d’une hypothétique solution définitive. Cette option a été écartée en 2006, pour plusieurs raisons : l’impossibilité de garantir la stabilité de la société sur cette durée, de garantir la pérennité d’un ouvrage d’entreposage sur plus de cent ans et le refus de faire supporter aux générations futures la charge de trouver et de financer une solution définitive à la gestion de ces déchets. Ma question est simple. Pensez-vous que les résultats des recherches et études menées depuis neuf ans modifient la validité des objections qui avaient conduit à écarter l’entreposage de très longue durée ?

M. Jean-Claude Duplessy. – Pour l’instant nous n’avons rien vu qui nous amène à changer les conclusions que la première CNE avait remises dans son rapport de 2006, défavorable à l’entreposage de longue durée.

M. Denis Baupin. – Dans le cas où le stockage en profondeur s’avérerait impossible, nous aurons ainsi fermé la porte à toute solution alternative.

M. Jean-Claude Duplessy. – De toute façon, un entreposage peut être reconstruit tous les cent ans. Nous avons donné un ensemble d’arguments qui ont été présentés de façon claire par M. Jean-Yves Le Déaut. Ils nous apparaissent toujours aussi valables. Nous ne sommes pas favorables à l’entreposage de longue durée pour des raisons de sûreté et de sécurité, mais aussi parce qu’il laisserait la charge de ces déchets radioactifs aux générations futures. L’exemple de l’URSS qui s’est délitée ne nous rassure pas sur la stabilité à long terme des sociétés.

M. Denis Baupin. – Je comprends votre démarche et la logique qui vous amène à considérer que le stockage en profondeur est préférable à l’entreposage en subsurface, à condition que l’on sache construire un stockage en profondeur dans des conditions de sûreté suffisantes. Ce que je conteste en partie, en termes de choix politiques, c’est que, avant d’avoir vérifié que le plan A ne s’avère pas irréalisable, pour des raisons techniques, économiques ou d’acceptation de la population, le plan B se trouve écarté.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Les recherches sur la faisabilité des différentes options ont été menées à partir de la première loi de 1991. C’est sur la base de leurs résultats que des choix ont été faits en 2006. Même si l’IRSN pose un certain nombre de questions, je ne crois crois pas qu’elle ait remis en cause la solution du stockage réversible.

M. Denis Baupin. – Elle ne l’a pas validée non plus.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Si, puisqu’elle précise qu’il faut réaliser des recherches complémentaires sur certains aspects, ce qui valide l’option d’une phase pilote que nous appelons à mettre en œuvre le plus rapidement possible, puisque cette phase permettrait, dans des conditions limitées par rapport à l’exploitation industrielle, de disposer d’un retour d’expérience et de pouvoir prendre une décision informée par la suite. Il s’agit de continuer le processus en cours, dont il serait difficile de dire qu’il a été mené de façon précipitée alors qu’il a débuté en 1991. Que certains souhaitent, par tous les moyens, empêcher d’avancer sur une solution définitive, cela peut se comprendre. En empêchant cette solution d’être mise en œuvre, on décrédibilise globalement la filière nucléaire.

M. Denis Baupin. – Elle n’a plus besoin de nous pour cela, et le fait bien toute seule.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Ce ne sont pas les mêmes causes ni les mêmes problèmes.

M. Denis Baupin. – Qu’en est-il de l’EPR et de sa cuve ?

M. Jean-Yves Le Déaut. – Nous organisons justement une audition publique sur cette question le 25 juin prochain.

M. Jean-Claude Duplessy. – En ce qui concerne la Commission, nous avons suivi les travaux qui avaient été menés par le CEA, pilote du troisième axe de recherche consacré à l’entreposage de très longue durée. Ce que nous savons, c’est qu’un entreposage de cent ans peut être reconduit, tant que la société est stable. Mais cela ne fait que repousser le problème. Les études ont été réalisées, mais cette solution ne permet pas de garantir que la société future sera complètement débarrassée du problème de la gestion des déchets radioactifs.

Concernant Gorleben, nous avions rencontré il y a trois ans au parlement allemand deux députés écologistes. Leur position, conforme aux décisions gouvernementales prises par la suite, était que le stockage géologique représente la seule solution raisonnable pour le futur, mais que Gorleben n’était pas un choix très judicieux, y compris pour des raisons sociologiques. En conséquence, ces parlementaires recommandaient de poursuivre les études, éventuellement aussi à Gorleben, pour rechercher un ou plusieurs sites, y compris dans l’argile.

En 2013, les Allemands ont décidé que, pour traiter le problème, il fallait lancer un programme comparable à celui mis en place par la loi « Bataille » en 1991, pour rechercher des sites de stockage et les évaluer, en considérant que, comme en France, environ trente ans seraient nécessaires, à partir de 2013, pour l’aboutissement de ce processus. L’Allemagne aurait donc une trentaine d’années de retard sur la France dans ce domaine.

M. Denis Baupin. – L’Allemagne sera très en avance sur nous en ce qui concerne la stratégie en matière nucléaire. Si nous pouvions suivre l’exemple de nos voisins sur ce plan, j’en serais ravi.

M. Jean-Yves Le Déaut. – L’Office a publié, à la fin de l’année 2014, un rapport sur la transition énergétique en Allemagne. L’Allemagne est sans aucun doute en avance sur certains points, mais je ne suis pas certain que le retour aux centrales à charbon soit un progrès.

Je voudrais revenir sur le cas du projet de stockage géologique américain de Yucca Moutain, mentionné dans le rapport de la CNE2. Ce projet a été arrêté du fait de l’opposition d’un seul sénateur du Nevada. Nous avons récemment rencontré le président du laboratoire national de recherche de Sandia, à Albuquerque, ainsi que le responsable des recherches sur le stockage des déchets radioactifs. Ils estiment tous deux que ce dossier sera bientôt rouvert, ce parlementaire ne se représentant pas aux prochaines élections.

M. Denis Baupin. – Cet exemple pose la question du suivi à long terme de tels projets.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Il démontre surtout que des individus déterminés peuvent freiner des décisions.

Je remercie le président et les membres de la CNE2 de cette présentation de leur rapport qui nous a permis de faire un point très complet sur l’état des études et recherches sur la gestion des matières et déchets radioactifs. Je les remercie aussi d’avoir répondu à l’ensemble de nos questions.

La séance est levée à 19 h 30

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mercredi 17 juin 2015 à 17 heures

Députés

Présents. - M. Christian Bataille, M. Denis Baupin, M. Patrick Hetzel, M. Jacques Lamblin, M. Jean-Yves Le Déaut

Excusés. - M. Claude de Ganay, M. Laurent Kalinowski, M. Philippe Nauche, Mme Dominique Orliac, M. Jean-Louis Touraine, M. Jean-Sébastien Vialatte

Sénateurs

Présents. - Mme Delphine Bataille, Mme Marie-Christine Blandin, M. Roland Courteau, M. Bruno Sido

Excusés. - M. Patrick Abate, M. François Commeinhes, Mme Dominique Gillot, M. Alain Houpert, Mme Fabienne Keller, M. Jean-Pierre Leleux, M. Pierre Médevielle, M. Christian Namy, Mme Catherine Procaccia