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Commission des affaires sociales

Mercredi 26 novembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente puis de Mme Martine Carrillon-Couvreur, Vice-présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Claude Ameisen, médecin et rechercheur dont la reconduction à la tête du Comité national consultatif d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé est envisagée par le Président de la République

– Examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur le transport de patients (M. Pierre Morange, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 26 novembre 2014

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission
puis de Mme Martine Carrillon-Couvreur, vice-présidente)

——fpfp——

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Claude Ameisen, médecin et chercheur dont la reconduction à la tête du Comité national consultatif d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé est envisagée par le Président de la République (application de l’article 13 de la Constitution).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Mes chers collègues, je suis heureuse de saluer la présence parmi nous de M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, le CCNE.

Nous l’avions déjà auditionné en octobre 2012, lors de sa désignation à la présidence de cet organisme ; il nous faut aujourd’hui l’entendre à nouveau puisque le Président de la République envisage de le reconduire dans ses fonctions.

Cette audition intervient dans le cadre de l’article 13 de la Constitution et nous devrons, à son issue, rendre un avis.

Je vous rappelle que, conformément au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Quelques indications sur le déroulement de la procédure. L’audition est publique, ouverte à la presse, retransmise en direct. Le scrutin est secret et doit avoir lieu hors la présence de la personne auditionnée ; il ne peut donner lieu à délégation de vote ; il sera effectué par appel public ; des bulletins vous seront distribués à cet effet ; deux scrutateurs en surveilleront le bon déroulement. Le dépouillement du scrutin sera effectué ultérieurement dans mon bureau afin que, conformément à l’article 5 modifié de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il puisse avoir lieu au même moment dans les commissions compétentes des deux assemblées : la commission des affaires sociales du Sénat auditionne M. Ameisen le 2 décembre prochain. Il m’appartiendra ensuite de communiquer le résultat du vote à la présidence de l’Assemblée nationale, puis de vous en informer lors de la prochaine réunion de notre commission.

Je donne maintenant la parole à M. Jean-Claude Ameisen.

M. Jean-Claude Ameisen. Le CCNE est le premier comité consultatif national d’éthique créé au monde, il y a maintenant trente et un ans. Il compte quarante membres nommés par une quinzaine d’institutions et dont le mandat est de quatre ans, renouvelable une fois. Son président est nommé par le Président de la République pour une période de deux ans renouvelable.

Le CCNE a pour mission de produire des avis – ce que nos collègues anglo-saxons appellent des opinions, c’est-à-dire, en fait, des réflexions. La loi dispose qu’il peut les assortir de recommandations lorsqu’il le juge utile. Je le précise, car on croit souvent que la mission du Comité est de recommander.

Le Comité est également chargé d’organiser une journée annuelle de débats en public. En particulier, des élèves de première et de terminale d’une dizaine de lycées en France, qui ont travaillé au cours de l’année, sur la base du volontariat, avec leur professeur de philosophie ou de sciences de la vie et de la terre, viennent présenter devant le CCNE, en public, le résultat de ces travaux sur des sujets d’éthique biomédicale qu’ils ont choisis et en débattre. Cette contribution à la réflexion a pour nous une grande importance et nous aimerions que l’initiative s’étende à d’autres établissements.

La loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique nous a confié une mission supplémentaire : lorsqu’un projet de loi est envisagé, le Comité initie l’organisation d’un débat public sous la forme d’états généraux comprenant des conférences de citoyens, après quoi il établit un rapport.

Ce qui nous a beaucoup occupés au cours des deux dernières années, ce sont les questions touchant à la fin de vie. Le Président de la République a nommé en juillet 2012 la commission de réflexion sur la fin de vie en France, dite commission Sicard, et a annoncé dès cette nomination qu’il saisirait le CCNE une fois que la commission lui aurait rendu son rapport, ce qu’elle a fait en décembre 2012.

Le CCNE a donc émis un avis sur les questions éthiques liées à la fin de vie, qu’il a rendu en juillet 2013, et dans lequel il proposait en conclusion, puisque le Président de la République avait annoncé le dépôt d’un projet de loi, la tenue d’états généraux réunissant des conférences de citoyens. C’était la première fois que le CCNE s’engageait dans une aventure de ce type.

Dans cette perspective, nous avons lancé à l’été 2013 un appel d’offres public pour choisir un prestataire. Un point important, qui a surpris nombre d’instituts : nous souhaitions que les citoyens ne soient ni indemnisés, ni rémunérés, mais seulement défrayés. Nous avons donc retenu l’Institut français d’opinion publique (IFOP), qui a sélectionné dix-huit personnes selon des critères de niveau de diplôme et de revenu, de résidence, de catégorie d’agglomération, d’âge et de sexe sinon représentatifs de la société française – ce qui supposerait un panel de près de mille personnes –, du moins conformes à la population de référence définie par l’INSEE. Ces dix-huit personnes se sont réunies pendant quatre week-ends.

Comme cela se pratique dans plusieurs pays d’Europe du Nord et au Canada, nous avons choisi les personnalités avec lesquelles elles pouvaient dialoguer pendant trois de ces week-ends pour s’informer à propos des questions en débat. Lors de la formulation de l’avis 121 du Comité, les opinions avaient été contradictoires sur la question de l’euthanasie et de l’assistance au suicide, les points de vue étant unanimes sur le reste : la majorité du CCNE recommandait de ne pas modifier la loi en ce sens et une minorité a élaboré une opinion opposée. Pour sélectionner les intervenants, nous nous sommes donc appuyés à la fois sur le choix des rapporteurs de l’avis majoritaire et sur celui du rapporteur de l’opinion minoritaire. Nous avons également décidé de proposer aux citoyens dix intervenants représentant l’horizon le plus large possible, puis de les laisser choisir les autres eux-mêmes. En d’autres termes, nous ne voulions pas les influencer, mais leur permettre de poursuivre leur réflexion après avoir reçu une information minimale.

Ils ont ensuite rédigé leur avis. Toujours pour ne pas les influencer et bien que cela nous intéressât beaucoup, nous avons décidé que le Comité ne participerait pas à leurs auditions ni à leur réflexion. Nous leur avons donc demandé de donner eux-mêmes, en notre présence, la conférence de presse destinée à exposer leur avis et à répondre aux questions des journalistes.

Une fois cette étape franchie, nous nous sommes engagés dans un autre exercice, pour nous inédit. Le Conseil d’État, réfléchissant au cas de M. Vincent Lambert, a en effet demandé au CCNE, au Conseil national de l’ordre, à l’Académie nationale de médecine et à M. Jean Leonetti de lui adresser des observations écrites de nature générale pour l’éclairer sur les questions concernant l’obstination déraisonnable et ce que la loi du 22 avril 2005 et le code de la santé publique appellent le maintien artificiel de la vie, pour des personnes qui, comme M. Vincent Lambert, se trouvent dans un état dit pauci-relationnel.

Nous avons donc réfléchi, travaillé et produit ces observations écrites, en nous interrogeant en particulier sur la notion de procédure collégiale mentionnée dans la loi du 22 avril 2005. Il s’agit d’une procédure de consultation par le médecin des autres soignants, d’autres médecins, de la famille et des proches, mais au terme de laquelle il décide seul. Il nous a donc semblé que l’on ne pouvait parler de procédure collégiale, mais bien d’une procédure de consultation préalable à une décision prise seul, et qu’il serait peut-être bon d’en faire une délibération et une décision collectives, comme dans d’autres pays, dont l’Allemagne. En effet, l’élément essentiel – celui qu’a retenu le Conseil d’État dans son jugement – est ce que l’on peut savoir de la volonté que la personne aurait exprimée. Or, paradoxalement, le médecin est le moins bien placé pour le dire puisque, dans de tels cas, il ne l’a pas connue avant qu’elle devienne incapable de s’exprimer. Nous avons donc réfléchi à ce que pourraient être cette délibération et cette décision collectives.

Puis, conformément à la loi relative à la bioéthique, nous avons travaillé à un rapport qui ne doit pas être confondu avec l’avis du CCNE sur la fin de vie, que nous avions déjà rendu, mais portait sur ce que nous avions perçu du débat public sur le sujet – constat, demandes, contradictions, enjeux éthiques.

Grâce à la commission Sicard qui avait organisé des débats avec des citoyens dans neuf villes, des états généraux étaient en quelque sorte amorcés. En outre, une fois notre avis rendu, j’avais réuni en septembre 2013 tous les directeurs des espaces régionaux de réflexion éthique – formellement créés il y a deux ans, à raison d’un par région en principe – pour leur demander, conformément à l’une de leurs missions, de donner aux discussions une dimension plus large d’états généraux en organisant dans leur région des débats publics sous la forme qu’ils jugeraient la meilleure et, s’ils le souhaitaient, sur la base du volontariat. Huit espaces régionaux de réflexion éthique nous ont rendu compte des débats ainsi organisés, sous des formes très diverses d’ailleurs, et nous en avons mis le résultat en ligne.

Notre rapport est donc issu à la fois des travaux de la commission Sicard, de ces débats dans les espaces régionaux de réflexion éthique, de la conférence des citoyens, de l’avis 121 du CCNE, mais aussi du rapport 2013 de l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) sur la fin de vie des personnes âgées et du travail du comité de bioéthique du Conseil de l’Europe sur le processus décisionnel en fin de vie, auxquels s’ajoutent plusieurs autres opinions. Il dresse un constat, se fait l’écho de plusieurs demandes et recommandations et rend compte de l’émergence, selon nous très générale dans le pays, de deux nouveaux droits sur lesquels je reviendrai, mais aussi de grandes divergences concernant l’assistance au suicide et l’euthanasie. Ces divergences concernent l’argumentation, les recommandations, voire, y compris au sein du CCNE, la sémantique : qu’entend-on vraiment par « assistance au suicide » ? En quoi cela diffère-t-il de l’euthanasie, du laisser-mourir, de l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation artificielles pour une personne qui se trouve dans la situation de Vincent Lambert ?

Ce travail nous a d’autant plus occupés et intéressés que la durée des débats – plus de deux ans au total – a permis à la fois d’approfondir et d’étendre notre réflexion, à l’image, sans doute, de ce qui s’est passé pour l’ensemble de la société. En d’autres termes, certaines questions, que nous n’avions pas considérées comme essentielles, sont apparues lorsque nous avons tenté de comprendre ce qui s’exprimait dans la société.

Nous avons par ailleurs rendu trois autres avis. Le premier, à la demande du ministère de la santé, sur les problèmes éthiques posés par la commercialisation d’autotests de dépistage rapide de l’infection par le VIH. Le deuxième, à la demande de la direction générale de la santé, sur les nouvelles méthodes de séquençage complet de l’ADN d’un fœtus à partir d’une goutte de sang maternel prélevée à huit semaines de grossesse, notamment pour rechercher une trisomie 21. Le troisième résultait de la mission d’observation et de questionnement éthique portant sur les avancées des neurosciences, que nous a confiée la loi relative à la bioéthique de juillet 2011. Il concernait la « neuro-amélioration », ce que l’on appelle en anglais, d’un terme assez ambigu, neuro-enhancement, qui signifie à la fois « neuro-accroissement » et « neuro-amélioration » – comme si toute amélioration découlait nécessairement de l’augmentation d’un certain nombre de caractéristiques.

J’en viens aux trois principaux sujets sur lesquels nous travaillons actuellement. D’abord, l’assistance médicale à la procréation (AMP). Plusieurs questions se posent à propos de son indication : cryopréservation des ovocytes en vue d’une grossesse future, insémination au sein d’un couple de femmes, anonymat des donneurs de gamètes, gestation pour autrui (GPA). Nous avons décidé de ne pas les étudier séparément, mais d’aborder l’AMP comme une question globale, un peu à l’image de la fin de vie, et d’appliquer à ces différents problèmes la grille de lecture que nous jugerions intéressante de ce point de vue général, en lieu et place de réflexions plus étroites qui risqueraient d’être contradictoires. Le ou les avis qui en découleront ne devraient pas être rendus publics avant le printemps ou l’été prochain.

Ensuite, nous étendons notre travail sur le séquençage de l’ADN chez le fœtus en réfléchissant aux questions éthiques liées aux nouvelles techniques de séquençage complet de l’ADN à tous les âges de la vie.

Enfin, dans un domaine pour nous inhabituel, nous étudions les questions éthiques posées par la dégradation de la biodiversité et par les changements climatiques.

Un mot sur nos activités et relations internationales. Un sommet mondial des comités d’éthique a lieu tous les deux ans. Le dernier s’est tenu à Mexico à l’été 2014 ; le prochain sera organisé à Berlin. S’y ajoutent, une à deux fois par an, les réunions du forum des comités d’éthique nationaux (NEC Forum) de l’Union européenne. La dernière a eu lieu la semaine passée à Rome. Enfin, nous avons institué depuis quelque temps des relations trilatérales avec nos homologues allemand – le Deutscher Ethikrat – et anglais – le Nuffield Council on Bioethics –, elles aussi rythmées par une à deux réunions annuelles. Cette dimension internationale est essentielle à la réflexion du CCNE.

C’est d’ailleurs le premier de nos trois principaux projets pour l’avenir : développer notre réflexion dans un contexte international. En travaillant avec les comités consultatifs d’éthique d’autres pays, nous identifions leurs points aveugles, leurs a priori, et eux les nôtres, ce qui enrichit considérablement la réflexion. Nous avons ainsi demandé aux comités anglais et allemand de réfléchir aux implications éthiques de la diversité législative en Europe et dans le monde concernant l’AMP, en particulier la GPA. Ce point pourra faire l’objet d’un travail dans le cadre du sommet mondial de Berlin. Le problème se pose surtout au niveau européen. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour européenne de justice garantissent que toutes les pratiques autorisées en Europe sont a priori compatibles avec le respect des droits fondamentaux de la personne. Comment le concevoir alors que chaque pays a, légitimement, sa propre conception de ce respect, en l’occurrence celui des droits de la femme ?

De même, à propos de la biodiversité, sujet de portée mondiale, il n’est pas question de s’en tenir à ce que pense le comité d’éthique français. Nous souhaitons donc faire appel à nos collègues d’Europe et d’autres continents, en particulier dans l’hémisphère sud. Avant de finaliser notre avis, nous prévoyons par conséquent d’organiser, dans le contexte de la conférence sur le climat qui se tiendra en décembre 2015 à Paris, un symposium international avec des homologues d’autres pays, afin de voir dans quelle mesure l’approche éthique peut nourrir les réflexions des experts et des organisations non gouvernementales sur le sujet.

Par ailleurs, au cours du débat public sur la fin de vie, il nous est apparu que les espaces régionaux de réflexion éthique sont encore très hétérogènes : certains sont tout récents, d’autres plus anciens. Sans doute faudrait-il associer d’autres institutions aux réflexions publiques à venir. Nous discutons actuellement avec la Commission nationale du débat public de l’aide que celle-ci, passant du domaine environnemental aux questions d’éthique biomédicale, pourrait nous apporter dans l’organisation de tels débats.

Notre troisième projet est d’étendre aux étudiants le travail que le Comité conduit depuis longtemps avec les lycéens. Nous avons donc noué depuis cet été avec l’École normale supérieure un partenariat aux termes duquel, à partir du début de l’année prochaine, des séminaires transdisciplinaires impliquant des étudiants en sciences humaines et sociales et en sciences « dures », ainsi que des enseignants de l’ENS, vont réfléchir avec des membres du CCNE à des questions touchant l’éthique biomédicale. Un colloque annuel permettra d’ouvrir cette réflexion au public.

J’insisterai en conclusion sur le rôle pédagogique du CCNE, bien mis en lumière par la réflexion sur la fin de vie et ses diverses modalités de communication : ma conviction est que la mission du CCNE n’est pas de penser à la place de la société, mais de lui permettre de mieux réfléchir et de mieux choisir dans les domaines où les enjeux éthiques et de respect des droits de la personne sont importants.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, monsieur Ameisen, de cette présentation globale de vos travaux. Il s’agit de sujets délicats sur lesquels il nous est toujours difficile de légiférer, car, en ce domaine, aucune loi ne peut se fonder sur une certitude absolue : personne n’a raison ni tort, mais chacun se prononce en conscience.

M. Jean-Louis Touraine. Au nom du groupe SRC, je tiens à dire que c’est pour nous un plaisir et un honneur d’auditionner le professeur Jean-Claude Ameisen, chercheur en immunologie internationalement reconnu, écrivain de talent et président en exercice du CCNE. Créé par le président Mitterrand, ce comité s’est penché sur une diversité de sujets scientifiques nouveaux et sur les questions qu’ils posent aujourd’hui à notre société, à nos concitoyens – en particulier les jeunes générations, à l’intention desquelles il développe une action pédagogique –, au législateur et aux pouvoirs publics.

Cette approche diffère évidemment d’une réflexion philosophique. Si les philosophes actuels pourraient, le cas échéant, converser avec Socrate, Platon ou Aristote, le bio-éthicien d’aujourd’hui ne saurait avoir d’échanges fructueux avec ses éventuels homologues de l’Antiquité, dont les connaissances n’étaient pas assez avancées pour que se posent dans les termes présents les problèmes que nous affrontons. Les greffes, les cellules souches embryonnaires, les cellules souches pluripotentes induites, les neurosciences, l’acharnement thérapeutique, les autotests de dépistage du sida, les tests génétiques fœtaux sur sang maternel : tout cela est le fruit de la recherche récente. Cela confirme que les esprits doivent pouvoir se mobiliser en permanence pour trouver des solutions, parfois évolutives, en acceptant de se remettre en question lorsque l’évolution des techniques et des sciences le nécessite.

Parmi les préoccupations actuelles, la fin de vie est aujourd’hui, pour nous, la plus importante, à l’heure où s’annoncent de nouvelles dispositions. La loi Leonetti a apporté un bénéfice, elle était d’ailleurs plutôt consensuelle, mais l’on s’aperçoit qu’elle ne suffit pas. D’une part, elle n’est pas assez appliquée. D’autre part et surtout, elle ne rend pas compte de toutes les situations de détresse de certaines personnes qui souhaitent – selon leur conception – décider dans la dignité de leur fin de vie et qui ne trouvent pas satisfaction dans l’état actuel de la loi. En la matière, si certains cas défrayent la chronique, d’autres sont la partie immergée de l’iceberg.

Deux attitudes sont possibles, qui ont été abondamment débattues à diverses reprises : soit compléter la loi en l’étendant légèrement, soit faire une nouvelle loi. Sur ce point, j’aimerais connaître la position de M. Ameisen, celle du Comité qu’il préside, voire son avis personnel. Comment progresser en ce domaine en allant au-delà de la loi Leonetti ? Par quelles dispositions nouvelles pourrait-on la faire évoluer en toute sérénité ?

J’ai beaucoup apprécié les propos sur la nécessité d’une implication collégiale, en effet essentielle à la qualité de la décision, mais aussi au confort de tous : de la société, qui ne verra pas un parti pris unique l’emporter, des familles concernées, des personnels de santé eux-mêmes, appelés à prendre des décisions lourdes, difficiles, parfois sources de tourments.

Je tiens également à saluer la manière dont le professeur Ameisen et l’ensemble du Comité cherchent à produire non seulement des réflexions mais aussi des décisions concrètes, en s’aidant – ce qui est nouveau – du contexte international. C’est essentiel s’agissant de la fin de vie, car nous sommes entourés de pays dotés de dispositifs distincts qu’il ne s’agit pas de copier mais dont il faut savoir qu’ils existent, d’autant que les Français peuvent y avoir recours. Il en va de même de la GPA : des couples français se rendent à l’étranger afin d’utiliser ce moyen de procréation. Que devons-nous faire ensuite ? Nous serions coupables de faire l’autruche.

La vérité, disait Condorcet, appartient à ceux qui la cherchent et non à ceux qui prétendent la détenir. Telle est la démarche du CCNE, en quête permanente de la vérité, avec détermination mais humilité, en acceptant de reconsidérer les décisions d’avant-hier pour élaborer celles de demain.

Pour toutes ces raisons, le groupe SRC émettra un avis très favorable à la reconduction de M. Ameisen à la présidence du CCNE.

M. Jean-Pierre Door. Je m’exprimerai au nom du groupe UMP, avec d’autant plus de modestie et de concision que je remplace M. Leonetti, absent ce matin.

Le CCNE existe depuis trente et un ans et vous y appartenez, monsieur Ameisen, depuis près de dix ans, comme membre puis comme président.

Les travaux du CCNE sont d’autant plus importants qu’ils concernent des sujets majeurs et sensibles : la fin de vie, problème illustré par le cas de Vincent Lambert ; la PMA et la GPA, deux dossiers non clos appelant des réponses extrêmement précises. Le rôle du CCNE est également essentiel pour la recherche, en particulier dès lors que, dans différents domaines, celle-ci est liée au principe de précaution.

La loi relative à la bioéthique, revue il y a peu, est appelée à évoluer encore, car, en cette matière, on ne peut rien graver dans le marbre. De quelle manière, selon vous ?

Comment s’effectuent les nominations des membres du CCNE et quand sont-ils remplacés ?

Le groupe UMP renouvellera bien entendu sa confiance à M. Ameisen pour présider le CCNE. En outre, nous prendrons très régulièrement l’initiative d’interpeller celui-ci à propos des questions que soulèvera l’évolution de la société. L’éthique n’est-elle pas la science morale qui dicte les règles de comportement de l’homme en société ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. En effet, les parlementaires peuvent saisir le CCNE par l’intermédiaire du président de l’Assemblée nationale.

Mme Véronique Massonneau. Je m’exprimerai au nom du groupe écologiste. Monsieur Ameisen, l’annonce de votre reconduction à la présidence du CCNE, aujourd’hui soumise à notre commission, est une bonne nouvelle. Les avis du Comité, toujours éclairants et éclairés, permettent à la fois d’enrichir et d’apaiser les débats. Je songe en particulier à votre avis sur la fin de vie.

J’aimerais mieux comprendre à quel niveau se place la réflexion du Comité. Si l’éthique se situe à la frontière du moral et du scientifique, comment s’articule-t-elle aux réalités humaines et dans quelle mesure les prend-elle en considération ?

Je citerai deux cas précis, de manière quelque peu provocatrice. Est-il éthique de contraindre des femmes à traverser la frontière pour aller se faire inséminer ou, encore pire, à pratiquer elles-mêmes l’insémination dans leur chambre à coucher, avec les risques sanitaires que cela comporte ? Est-il éthique de contraindre des femmes et des hommes à quitter notre pays pour choisir leur propre fin de vie ? Telles sont les questions que je me pose comme législateur lorsque j’aborde des problèmes de société comme la fin de vie ou la PMA. Doivent-elles dépendre de l’appréciation du parlementaire ou relèvent-elles également du domaine de compétence du Comité ?

En ce qui concerne la fin de vie, quel est votre avis sur les directives anticipées ? Doivent-elles être opposables, pour que la demande du patient soit prise en considération ? Comment faire en sorte que cette demande soit connue et respectée, y compris dans les services de réanimation et aux urgences ?

Quelles pistes de réflexion ouvririez-vous pour améliorer l’accompagnement des personnes âgées en fin de vie dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ? Ces établissements, qui sont leur dernier domicile, manquent de personnel, les directives anticipées y sont parfois méconnues, ainsi que la prise en compte de la douleur. Le personnel soignant fait beaucoup d’efforts mais n’est pas toujours formé à la fin de vie. En outre, faute de personnel présent le week-end et la nuit, les seniors sont alors envoyés aux urgences, où ils sont nombreux à mourir dans les vingt-quatre heures. Nos seniors ne sont pas entendus alors que ce sont eux qui devraient être le mieux accompagnés.

Mme Jacqueline Fraysse. Je m’exprimerai pour ma part au nom du groupe GDR. Le CCNE mène une activité passionnante et exerce des responsabilités majeures au regard des avancées scientifiques et des questions que celles-ci posent à notre société, quant à l’intérêt de leur application pour les êtres humains et leur organisation, mais aussi quant aux limites qu’elles appellent pour éviter des dérives contraires au respect de la personne humaine.

La tâche est d’autant plus difficile qu’au-delà de la connaissance scientifique, qui évolue en permanence, entrent en jeu des convictions personnelles qui doivent être respectées. D’où la nécessité impérative d’échanges larges – y compris internationaux, cela a été dit –, notamment avec la jeunesse qui perçoit les questions de société en fonction de son expérience propre, et de décisions collégiales.

Je n’insisterai pas sur les sujets d’actualité que sont la fin de vie et la GPA. Il s’agit de problèmes concrets sur lesquels nous devrons bientôt, comme députés, nous prononcer, ce qui n’est pas facile. Pour éclairer notre réflexion, l’avis du CCNE est précieux.

Jusqu’à preuve du contraire, le Comité fonctionne bien, ses avis sont pertinents et nous avons apprécié le travail qu’il a effectué sous votre responsabilité, monsieur Ameisen. Nous n’avons donc aucune raison de ne pas soutenir votre candidature à la présidence de ce grand organisme.

Mme Michèle Delaunay. Monsieur le président, j’ai bien entendu votre position sur toutes les formes de PMA, dont je vous remercie d’avoir souligné le caractère multiple.

J’aimerais toutefois vous interroger sur l’une d’elles : non pas la gestation pour autrui, mais la gestation pour soi-même. Je veux parler de l’utilisation par les femmes, en dehors d’indications médicales comme la stérilité ou les suites d’une intervention chirurgicale, de leurs propres ovocytes cryoconservés.

Il s’agit d’une authentique révolution, que beaucoup ne mesurent pas. À mon modeste point de vue, j’estime que la seule inégalité entre les hommes et les femmes est l’agenda biologique. Or nous avons la possibilité de moduler cet agenda, sans difficulté majeure, en permettant à une femme d’utiliser ses propres ovocytes en vue d’une gestation pour elle-même quand elle devient stérile du fait de la ménopause – dont on sait qu’elle est relativement précoce dans bien des cas –, sous réserve d’un avis médical qui témoignerait que cette femme peut porter un enfant et mener la grossesse à terme.

J’aimerais connaître votre avis d’éthicien sur ce cas très particulier, que je plaide aujourd’hui pour la première fois ou presque, au nom de l’égalité, comme on l’a fait à propos de la PMA ou de la GPA, mais de l’égalité entre hommes et femmes cette fois.

M. Pierre Morange. La base de données de l’assurance maladie est l’une des plus importantes au monde. Au-delà des problèmes de sécurité informatique et de la nécessité de proscrire toute marchandisation, que pensez-vous de la possibilité d’utiliser ces données au service de la stratégie nationale de santé, à condition de les anonymiser ? Je crois savoir que votre prédécesseur y était assez ouvert.

Dans quelle mesure votre approche éthique, nourrie, vous l’avez dit, d’échanges au niveau européen et mondial, est-elle compatible avec l’analyse médico-économique sur laquelle reposent désormais bien des choix sanitaires ?

M. Olivier Véran. Monsieur Ameisen, à l’époque des travaux de la mission que j’ai conduite sur la filière sang et qui vous avait entendu, j’attendais l’avis du CCNE sur les critères d’exclusion du don de sang touchant plusieurs catégories de population, dont les HSH – les hommes qui ont eu au cours de leur vie une ou plusieurs relations sexuelles avec un autre homme – et les personnes ayant séjourné dans certaines régions à une période donnée. Cet avis n’a toujours pas paru, ce qui m’inquiète. On attend un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne sur cette question précise et les réquisitions de l’avocat général pourraient laisser penser que nous devrons de toute façon revenir sur ces dispositions. Ne serait-ce pas l’honneur de la France que de le faire avant d’y être contrainte par une décision de justice européenne ? On est plus serein lorsque l’on agit de son propre chef.

En ce qui concerne le don d’organes, les Français se déclarent a priori tout à fait disposés à donner et à recevoir des organes. Pourtant, depuis la loi Caillavet, lorsque l’on demande l’avis des familles, généralement dans une situation de détresse aiguë, le taux de refus est considérable et ferait perdre jusqu’à 1 500 greffons, c’est-à-dire autant de vies. Dans d’autres pays, on ne sollicite pas l’avis de la famille, on lui annonce simplement qu’un prélèvement d’organes va être effectué. Le CCNE a-t-il réfléchi à cette éventualité ?

M. Gilles Lurton. Évoquant la situation de Vincent Lambert, vous avez dit qu’en général, le médecin appelé à se prononcer n’avait pas connu le patient à l’époque où il pouvait exprimer sa volonté. Quel pourrait être dans ces cas le rôle du médecin traitant ?

S’agissant de la fin de vie, il convient de faire preuve d’une grande humilité face aux situations de détresse auxquelles les médecins sont très fréquemment confrontés. Des personnes qui, bien portantes, auraient tout à fait pu donner des directives anticipées sur leur fin de vie ont tendance à s’accrocher à la vie une fois gravement malades. De ce point de vue, la loi Leonetti a apporté une forme d’équilibre et permet aux médecins de réagir à de très nombreuses situations. Le problème n’est-il pas plutôt l’accès trop limité aux soins palliatifs, remarquables dans notre pays ?

Je m’associe enfin aux propos d’Olivier Véran sur le don d’organes. Le budget de la sécurité sociale que nous venons d’examiner en témoigne, le nombre de donneurs d’organes post mortem a très fortement diminué au cours des dernières années alors que beaucoup auraient pu faire part de leur vivant de leur volonté de donner.

M. Michel Liebgott. L’existence du CCNE montre que nous sommes en mesure de nous poser des questions que des sociétés plus pauvres ne pourraient se permettre. Ne s’agit-il pas de problèmes de riches, et avons-nous vraiment les moyens de continuer ainsi ? Je songe en particulier aux efforts considérables consentis pour développer les soins palliatifs en fin de vie. Les services de soins palliatifs semblent donner satisfaction, mais sont-ils à la hauteur des besoins pour les années à venir ? Le problème n’est-il pas d’ordre culturel ? On meurt de plus en plus en institution plutôt qu’à la maison, au milieu de sa famille. Mais cette dernière possibilité supposerait de pouvoir accéder à certains médicaments qui accélèrent la fin de vie. L’exemple de l’Oregon le montre, ce n’est pas parce que l’on est en droit de provoquer la fin de vie qu’on le fait nécessairement. Ne devrions-nous donc pas offrir cette possibilité, puisque nous n’avons plus les moyens financiers d’une prise en charge à l’hôpital ou en soins palliatifs ?

M. Dominique Dord. Les progrès scientifiques font apparaître chez nos concitoyens de nouveaux besoins et de nouvelles demandes que nous devons satisfaire ou encadrer par la loi. Le Parlement intervient ainsi dans des champs inédits qui soulèvent des questions éthiques complexes. De ce fait, ces questions risquent d’être prisonnières de discussions politiques.

Dans ce contexte, le CCNE joue-t-il un rôle suffisant dans l’élaboration de la loi ? Avez-vous des propositions à formuler pour que les parlementaires fassent plus systématiquement appel à lui ?

Mme Monique Iborra. La loi Leonetti, plutôt consensuelle, s’est rapidement révélée insuffisante ; il faut donc aller plus loin, comme le demandent nombre de nos concitoyens. En revanche, la loi sur l’interruption volontaire de grossesse dont on fête aujourd’hui le quarantième anniversaire n’était pas consensuelle, loin s’en faut, au moment de son adoption. À la lumière de votre expérience, estimez-vous qu’un projet de loi sur la fin de vie puisse être consensuel ?

Mme Chaynesse Khirouni. Les progrès de la médecine et de la biologie de la reproduction soulèvent de nombreuses questions, très débattues dans nos sociétés, mais sur lesquelles les législations sont très disparates en Europe. Créé moins d’un an après la naissance en France du premier enfant conçu par fécondation in vitro, le CCNE n’a cessé depuis lors d’être associé aux évolutions législatives.

Avec la contraception et l’interruption volontaire de grossesse, le développement des techniques d’aide à la procréation a permis de dissocier la sexualité de la reproduction et, dans une certaine mesure, de donner le choix d’avoir ou non un enfant, ainsi que d’accompagner les couples qui ont des difficultés à concevoir.

À l’heure où la PMA se développe considérablement, pourriez-vous faire le point sur les réflexions du CCNE sur ces questions, notamment sur les éventuelles évolutions législatives à envisager, puisque le Comité a été saisi pour avis par le Président de la République ?

M. Michel Issindou. Le CCNE traite de sujets éminemment complexes et délicats touchant à la philosophie, à la psychologie, à l’éthique et d’autant plus susceptibles de diviser nos concitoyens qu’ils renvoient à l’expérience personnelle de chacun. Pour nous, la difficulté est de les transcrire en droit, faute de pouvoir légiférer dans une certitude absolue et d’être assurés de faire une bonne loi, acceptable par le plus grand nombre.

Mieux réfléchir pour mieux choisir, disiez-vous : c’est une très belle formule. Les choix politiques tentent parfois de s’appuyer sur des conférences de citoyens comme celles que vous avez évoquées, car il est toujours bon de revenir vers le peuple. Mais l’on ne trouve pas toujours satisfaction : trop formés, les citoyens deviennent experts ; trop spontanés, ils nous déçoivent. Comment les préparez-vous ? Cette démarche peut-elle être transposée à d’autres sujets de société ?

M. Gérard Bapt. Je m’interroge comme Pierre Morange sur l’open data et la sécurité des données personnelles de santé.

Par ailleurs, j’ai appris récemment le décès d’une jeune femme de vingt-trois ans, étudiante en pharmacie à Lille, qui a succombé à une embolie pulmonaire massive ; elle était sous Diane 35, que son médecin lui avait prescrit sans en respecter l’indication.

Si le nombre d’interruptions volontaires de grossesse n’a pas diminué depuis quarante ans, cela s’explique sans doute par des raisons sociodémographiques plutôt que par la crainte de tels accidents.

Quoi qu’il en soit, l’éthique peut-elle admettre que des praticiens qui sont des autorités morales, universitaires et à l’hôpital tiennent en toute impunité dans des colloques ou dans la presse des propos contraires aux recommandations de bonne pratique, se moquant des institutions qui les délivrent ? Les familles des victimes, en tout cas, ne le comprennent pas.

M. Fernand Siré. Si la fin de vie peut être naturelle – due à la vieillesse, à la maladie avec toutes ses contraintes –, certains refusent de l’affronter sous cette forme. La loi Leonetti encadre le premier cas de figure, mais ce dernier problème reste entier. Les soins palliatifs ne suffisent pas à le résoudre. Il faudrait une coopération entre ces services et le médecin de famille. Médecin retraité, j’ai récemment dû gérer, dans les conditions que l’on peut imaginer, la fin de vie d’une patiente à son domicile, totalement délaissée, à vingt kilomètres de l’hôpital où elle avait auparavant reçu des soins palliatifs. La fin de vie doit être humaine, ce qui suppose la présence du médecin de famille et de la famille elle-même, y compris à l’hôpital.

M. Philip Cordery. Monsieur Ameisen, je vous félicite de votre action à la tête du CCNE. Élu des Français de l’étranger dans des pays où la PMA et la fin de vie sont encadrées de longue date, je me réjouis que vous ayez insisté sur la dimension européenne de votre réflexion.

Avez-vous étudié la législation de ces pays ? Comment comptez-vous nourrir vos futurs avis de leur expérience dans ces deux domaines ?

Par ailleurs, comment tenir compte du phénomène de mobilité européenne lié à la PMA ? Chaque semaine, des centaines de femmes françaises viennent en Belgique pour cette raison. En d’autres termes, certaines formes de PMA sont ouvertes aux Français, mais à condition d’avoir les moyens de voyager. Nous ne pouvons décliner toute responsabilité à cet égard.

M. Bernard Accoyer. La loi Leonetti, adoptée à une très large majorité et reconnue comme un texte de qualité, souffre de deux maux. D’abord, elle n’est pas assez connue des professionnels ni du public. Ensuite, nous manquons de moyens pour développer les soins palliatifs et pour y ouvrir les nombreuses places dont nous aurions besoin. Avant d’aller plus loin, ne faudrait-il pas remédier à ces deux problèmes ?

En matière d’éthique, il convient de redoubler d’attention et de prudence pour ne pas heurter une société particulièrement tendue. Sur les textes éthiques de portée importante, en particulier sur la fin de vie et la PMA, ne faudrait-il pas exiger un consensus politique et, à défaut, une majorité qualifiée ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Quand on parle des directives anticipées à propos de la fin de vie, on oublie souvent la pédiatrie : par définition, les tout-petits n’ont pu exprimer leur volonté. L’actualité récente nous a rappelé ce problème. Comment légiférer en la matière ?

Par ailleurs, parmi les inégalités dont souffre notre société, l’inégalité d’accès à l’information sur la fin de vie est criante. À cet égard, nos concitoyens ne sont pas égaux devant la mort.

M. Jean-Claude Ameisen. Merci à tous pour la richesse et la diversité de vos questions.

S’agissant de la fin de vie, deux problèmes ont particulièrement incité le CCNE à approfondir sa réflexion.

D’abord, qu’est-ce qu’une délibération et une décision collégiale ou collective ? Dans le premier cas, elle est prise par un collège de personnes choisies à cette fin, mais non dans le second. Ce problème se pose d’ailleurs dans d’autres domaines que la fin de vie.

L’autre question est celle, extrêmement douloureuse, de la fin de vie des nouveau-nés. La loi Leonetti s’applique à tout ce que le législateur a appelé « phase avancée d’une affection grave et incurable » et qui est extrêmement difficile à définir. Une personne tétraplégique est dans une phase avancée d’une affection grave et incurable, mais n’est pas en fin de vie. Les nouveau-nés dont nous parlons ne le sont pas non plus, un peu comme Vincent Lambert, mais l’importance du handicap conduit à se demander s’il faut poursuivre l’hydratation et l’alimentation. Cette situation doit être distinguée de celle, plus simple, des personnes en phase terminale d’une affection grave et incurable. Il s’agit alors de savoir comment accompagner une fin de vie qui, de toute façon, aura lieu. Le fait d’avoir soumis à une même approche ces deux situations qui sont extrêmement différentes, comme l’a montré le cas de Vincent Lambert, est une source de complexité supplémentaire. Il faudrait selon nous les traiter séparément.

Dans notre rapport, nous avons commencé par constater ce que nous avons qualifié de scandale : d’après les données dont nous disposons, 80 % de nos concitoyens en fin de vie n’ont pas accès à des soins palliatifs. En d’autres termes, la loi visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, adoptée il y a quinze ans, ne se traduit toujours pas dans la réalité.

En outre, nous sommes sans doute le seul pays d’Europe où l’on ne meurt pas chez soi, mais à l’hôpital ou en institution. Nous estimons que l’on pourrait peut-être faire de grands progrès à condition de ne pas se focaliser sur l’approche propre à notre système de santé dans les tout derniers jours de la vie. Lorsque nous leur avons présenté notre rapport il y a un mois, nos collègues anglais et allemands étaient très surpris d’apprendre qu’en France les soins palliatifs correspondaient aux trois dernières semaines de la vie. Aux termes de la loi du 9 juin 1999, il s’agit pourtant de soins de support, d’un soulagement de la douleur et de la souffrance et d’un accompagnement humain dans toutes les circonstances de la vie où c’est nécessaire. Nous avons fait l’effort de construire des services de soins palliatifs qui sont dans leur immense majorité très bons, mais en ne leur donnant pour mission que de s’occuper des derniers moments : cela traduit notre difficulté à accompagner les personnes à tous les âges de la vie. L’adjectif « palliatifs » lui-même est éloquent : il s’agit de ce que l’on fait lorsque l’on ne peut pas faire autre chose. Cette formule ne suffit pas à qualifier le soulagement de la douleur.

Voilà pourquoi nous avons proposé que l’on réfléchisse, à l’occasion de la loi santé et de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, à des réformes qui pourraient avoir des conséquences majeures sur l’accompagnement en fin de vie, au lieu de se focaliser sur la fin de vie en elle-même.

À cet égard, cela a été dit, la situation dans les EHPAD, mais aussi dans les maisons et institutions qui accueillent des personnes handicapées vieillissantes, est déplorable. 85 % des EHPAD n’ont pas d’infirmières de nuit, de sorte qu’au-delà d’une certaine heure, en cas de problème, on envoie la personne concernée aux urgences hospitalières. Or 13 000 personnes de plus de 75 ans y meurent au cours des heures qui suivent leur admission, alors que l’on savait qu’elles allaient décéder à moyen ou à court terme. Cet état de fait est poignant. Nous n’accompagnons pas les personnes en amont, de sorte qu’il n’est guère étonnant que nous ne sachions pas non plus le faire au cours des derniers jours de la vie.

Les services de soins palliatifs sont dédiés au soulagement de la douleur et de la souffrance ainsi qu’à l’accompagnement. Mais une personne un tant soit peu informée à qui l’on apprend qu’elle va être admise en soins palliatifs ne peut qu’en conclure, étant donné le taux de remboursement résultant de la tarification à l’activité, que des médecins pensent qu’elle ne sera plus là dans trois semaines. L’éthique biomédicale repose sur deux piliers : le droit de savoir et le droit de ne pas savoir. Or si les soins palliatifs sont les soins des trois dernières semaines de la vie, ceux qui les reçoivent ne peuvent pas ne pas savoir qu’ils sont condamnés, même s’ils préféreraient rester dans l’ignorance.

Il en va de même des directives anticipées. En Allemagne ou en Angleterre, celles-ci ne concernent pas seulement ce que la personne voudrait que l’on fasse lorsque la situation sera très grave du point de vue médical, mais aussi ce qu’elle souhaiterait, quand elle ne pourra plus exprimer sa volonté, quant à son logement, ses biens, la personne de confiance qui parlera en son nom. Cette manière de ne pas limiter les directives anticipées à la partie ultime de la vie, la plus douloureuse, encourage à en rédiger. Curieusement, d’après ce que j’en comprends, la personne de confiance au sens de la loi Leonetti n’est pas la même que celle qui se charge de défendre les droits de la personne dans les autres domaines. On a ainsi fait de la toute fin de vie un champ spécifique au lieu de viser le respect des droits de la personne de manière générale, face à toute forme de difficulté.

Du point de vue des coûts, le Comité estime, comme la commission Sicard, que nous devrions réaffecter nos moyens humains et financiers à la formation des médecins plutôt que de construire de nouveaux services. En présence d’un problème cardiaque, un médecin généraliste n’appelle pas le cardiologue en première intention ; en revanche, tout se passe comme si seuls des spécialistes des soins palliatifs pouvaient soulager la douleur et la souffrance des personnes en fin de vie. Cette dimension devrait faire partie intégrante de la médecine et du soin, de sorte que l’on ne ferait appel à un spécialiste ou à un service spécialisé que face à une difficulté particulière.

Il est étrange que, dans ce domaine, les médecins avancent qu’ils ne connaissent pas bien la loi, ce qu’ils ne disent jamais au moment de pratiquer une greffe d’organes, acte pourtant encadré par un nombre considérable de dispositions législatives : dans ce cas, c’est la médecine qu’il s’agit de connaître ; un médecin ne considère pas qu’il a mal fait une greffe par méconnaissance de la loi ! En revanche, pour la majorité des médecins, la fin de vie est d’ordre juridique ; elle n’est pas entrée dans les pratiques médicales. De même, l’étude réalisée par l’ONFV en 2013 montre qu’une partie significative des infirmiers et infirmières à domicile et une part très majoritaire des aides à domicile – les seuls, dans 90 % des cas, à s’occuper des personnes en fin de vie à domicile – ne sont pas formés à la délivrance de soins palliatifs.

En ce qui concerne les directives anticipées, voici ce que nous disons dans le rapport, comme d’ailleurs dans notre avis 121. Auditionné par le Comité, avec Didier Sicard, début 2013, Jean Leonetti se prononçait lui-même en faveur d’une évolution sur certains points de la loi qui porte son nom ; il a d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens. La loi du 22 avril 2005 a souhaité étendre aux situations de fin de vie la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, mais, ayant beaucoup emprunté au code de déontologie de la médecine, elle porte en réalité davantage sur les devoirs des médecins que sur les droits des patients. Ce que le Comité a entendu lors du débat public et que Jean Leonetti a lui-même exprimé, me semble-t-il, c’est qu’en accordant une plus grande attention à la volonté de la personne, on inscrirait véritablement la loi du 22 avril 2005 dans la continuité de celle du 4 mars 2002. « Nous voudrions que, lorsque nous demandons quelque chose, on nous écoute au lieu de nous dire “on va voir” » : tels sont les premiers mots que l’on entend à ce sujet, dans tout le pays.

Une directive s’impose. La loi définit la directive anticipée comme un souhait dont le médecin doit tenir compte. Si le patient a formulé une demande, le médecin doit la satisfaire – à condition, naturellement, que la situation le permette, faute de quoi le médecin expliquera pour quelle raison la directive ne peut s’appliquer.

Celle-ci doit-elle s’imposer dans tous les cas, ou seulement lorsque la personne l’a rédigée alors qu’elle était malade et pouvait donc se faire une idée de ce que serait sa fin de vie ? Cette question fait débat, et nous en rendons compte dans le rapport. L’affaire Vincent Lambert a conduit certains à penser, y compris au sein du Comité, qu’il serait plus facile de disposer de directives anticipées rédigées par une personne en bonne santé que de spéculer sur ce que pouvait alors être sa volonté. D’une manière générale, si l’on souhaite que les directives soient contraignantes, c’est dans le but de tenir compte de la volonté de la personne.

Une seconde demande de droit s’est exprimée, de manière assez partagée, à propos de la sédation. De manière très paradoxale, lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, comme Vincent Lambert, la loi Leonetti oblige le médecin à procéder à une sédation profonde si elle est en fin de vie ou si l’on arrête les traitements ou l’alimentation, car on ne peut être sûr qu’elle ne souffre pas ; en revanche, lorsque la personne est consciente, l’indication d’une sédation profonde à sa demande dépend du médecin. Il arrive même dans certains services que le médecin endorme le patient, puis le réveille quatre heures plus tard pour s’assurer qu’il veut continuer à dormir ! Il est donc proposé que toute demande d’endormissement jusqu’à la fin soit obligatoirement respectée au lieu d’être suspendue à une décision médicale.

Le consensus porte sur le droit de pouvoir être endormi. Mais la sédation doit-elle éventuellement, à la demande de la personne, abréger la période qui la sépare du décès ou ne devrait-elle entraîner qu’un endormissement jusqu’au décès ? Cette question fait débat au sein de la commission Sicard et dans bien des secteurs de la société. Selon le rapport de la commission Sicard, un geste létal en toute fin de vie peut être considéré comme une application de la sédation profonde prévue par la loi Leonetti. Les interprétations divergent donc. Selon nous, la demande de sédation, au sens de l’endormissement, devrait pour le moins être satisfaite ; c’est ce qui ressort de ce que nous avons entendu dans le pays.

J’en viens au débat sur la collégialité, moins abouti. Lorsque la personne est hors d’état de s’exprimer, qu’elle n’a pas désigné de personne de confiance ni rédigé de directives anticipées, à l’instar de Vincent Lambert, n’appartient-il pas à l’ensemble des proches, aux soignants et au médecin, comme en Allemagne, par exemple, de tenter d’établir non pas ce qu’elles feraient à sa place – ainsi qu’on l’a fait dans le cas de Vincent Lambert –, mais ce qu’elles ont entendu de sa volonté ?

Nous citons à ce sujet dans le rapport une enquête très intéressante réalisée en 2011 par Steven Laureys, directeur du Coma Science Group de l’université de Liège, l’un des plus grands centres mondiaux d’étude des personnes en situation de conscience minimale ou en état pauci-relationnel, et où Vincent Lambert a été examiné. 2 500 soignants de tous les pays du Conseil de l’Europe se sont prononcés à 70 % pour le maintien de l’hydratation et de la nutrition artificielles lorsque le patient est en état de conscience minimale depuis plus d’un an. À la même question posée à leur propre sujet, dans l’hypothèse où ils se trouveraient eux-mêmes dans cette situation, ils étaient 70 % à préférer l’option contraire. Et l’introduction de Steven Laureys à son étude soulignait ce paradoxe : le médecin ne tente pas de se penser « soi-même comme un autre », pour reprendre les mots de Paul Ricœur.

Ce n’est pas rendre service au médecin que de lui demander de décider seul, dans un domaine qui ne relève pas, selon nous, de l’expertise médicale. De cette dernière dépendent le diagnostic et le pronostic : la gravité de l’état du patient, l’existence d’un espoir. La décision d’arrêt des traitements, de l’alimentation et de l’hydratation est quant à elle une décision humaine. Rappelons qu’il y a en France 1 500 personnes dans la même situation que Vincent Lambert.

Telles sont les trois demandes que nous sentons venir de la société et qui tendent à tenir compte de la volonté de la personne, que celle-ci soit ou non capable de l’exprimer.

Revenons à l’avis 121 du CCNE. Dans un pays où 80 % des personnes qui en ont besoin n’ont pas accès aux soins visant à soulager leur douleur et leur souffrance et à les accompagner, l’assistance au suicide ou l’euthanasie aurait une forte probabilité d’apparaître comme une solution alternative. A contrario, dans tous les pays qui l’ont instituée, il s’agit non d’une solution alternative mais d’une exception, dès lors que l’accompagnement existe. Ainsi, dans l’Oregon ou dans l’État de Washington, la loi subordonne la délivrance d’une autorisation d’assistance au suicide – qui concernera 0,5 % des patients, ce qui signifie que 99,5 % terminent leur vie en bénéficiant d’un accompagnement – au fait d’avoir eu la possibilité d’accéder à un service de soins palliatifs. En Suisse, dans le canton de Vaud, il y a eu dans un service de soins palliatifs deux demandes de suicide assisté en dix ans. Dans ces situations, la chambre du patient est considérée comme son domicile personnel, dont les médecins se retirent afin de lui laisser faire ce qu’il veut. Bref, le suicide assisté n’est pas proposé à la place de l’accompagnement mais en sus. Une évolution qui affecterait nos pratiques en la matière sans offrir cet accompagnement risquerait ainsi de créer une situation bien différente de celle qui a cours dans ces États ainsi qu’en Belgique ou aux Pays-Bas. Le problème principal est donc l’accompagnement, sans condescendance, dans le respect de la volonté exprimée. Il s’agit là non de mon opinion personnelle mais de ce qui ressort de notre analyse de la situation.

En ce qui concerne l’évolution de la loi relative à la bioéthique, l’approche adoptée par le législateur en 2011 me paraît fournir les indications nécessaires. Au lieu d’une révision systématique, il est prévu que le Comité initie l’organisation d’un débat public lorsqu’un projet de loi est envisagé. À mes yeux, il ne doit pas le faire seul, sauf à changer de vocation : il devrait animer la réflexion en en créant les conditions, en proposant un questionnement et des critères d’objectivité, à charge pour divers opérateurs dont c’est la fonction d’organiser concrètement le débat proprement dit. Tel est selon moi le sens de l’« initiative » que la loi confie au CCNE.

Il est bon que la loi soit révisable, mais toute loi l’est, par définition. L’idée d’un rendez-vous régulier n’a plus guère de sens : mieux vaut réfléchir lorsqu’un problème se pose que, par principe, tous les cinq ou dix ans. En revanche, si aucun problème ne s’est posé, une réflexion publique sur l’ensemble des questions de bioéthique est bienvenue. Mon seul souci est le suivant : que la société ne considère pas que le CCNE a pour rôle d’animer la réflexion publique en amont du dépôt d’un projet de loi. La réflexion en amont est d’autant plus intéressante qu’elle se déroule dans un climat serein. Lorsque la société sait qu’un projet de loi va être déposé, les enjeux sont plus cristallisés. Par conséquent, s’il convient que le Comité favorise l’élaboration d’une réflexion publique lorsqu’un projet existe, il est également opportun qu’il puisse étudier les sujets qui lui paraissent importants indépendamment de tout projet ; si, par la suite, on envisage une réforme, la réflexion aura eu lieu, dans la sérénité.

Nous sommes un comité consultatif ; nous tentons d’éclairer des enjeux complexes, parfois contradictoires, de mettre en avant ceux qui nous semblent importants, mais nous ne devons pas nous substituer à la société, encore moins au législateur. Vous souhaitez, dites-vous, nous solliciter ; tout ce qui peut nourrir les échanges entre le Comité et le législateur est utile et plus cette démarche s’émancipe de l’urgence, plus notre contribution sera intéressante.

Le CCNE joue en quelque sorte auprès de la société le rôle du médecin qui offre au patient la possibilité d’un « choix libre et informé » – ce que l’on appelait auparavant le consentement libre et éclairé. À une personne qui n’est pas elle-même médecin, le médecin doit donner suffisamment d’éléments pour qu’elle puisse, avec son aide, décider de ce qu’elle souhaite faire. De même, nous proposons à la société une information, un éclairage, un questionnement qui lui permettront de décider, sans préjuger de cette décision.

Faut-il un vote consensuel sur les questions de bioéthique ? Nous le disons dans notre rapport sur la fin de vie, il est des questions qui nous semblent faire consensus dans le pays, d’autres non ; notre rôle est d’identifier les unes et les autres, sans préjuger en rien, là non plus, de la décision du législateur.

J’en viens au don d’organes. Dans ce domaine comme dans d’autres, nous payons en quelque sorte la crainte que nous inspire l’expression de la volonté des personnes.

D’abord, il est étrange de parler de don quand cette volonté n’a jamais été exprimée : il s’agit alors d’un prélèvement, auquel la famille a donné son accord compte tenu de ce que pensait, de son vivant, la personne sur le corps de laquelle un organe est prélevé. De deux choses l’une : soit la personne a fait don de ses organes par anticipation, auquel cas il s’agit d’un don par-delà la mort, soit elle n’a jamais rien dit, de sorte que l’on ne peut parler de don mais seulement d’un prélèvement licite.

Dans bien des pays, il existe à la fois un registre du « non », comme chez nous, et un registre du « oui ». En France, on a longtemps évité de solliciter le consentement des personnes de crainte d’induire un refus, sans réaliser qu’il existe toujours trois réponses possibles : soit on dit « non », soit on dit « oui », soit on ne dit rien. Si on dit « oui », inutile de demander à la famille ; si on dit « non », inutile de demander à la famille ; si on a préféré, ce qui est tout à fait envisageable, ne dire ni « oui » ni « non », la décision appartiendra à la famille, dans un moment douloureux – juste après un accident très grave, quand la personne est perdue – qui complique toujours les choix, ce qui explique la fréquence des refus.

La peur de solliciter le consentement produit ainsi cette situation paradoxale où l’on parle de don, mais où l’on ne demanderait même pas l’avis de la famille. Encourageons plutôt l’expression de la volonté ; celui ou celle qui préfère ne pas songer à ce qui se passera lors de son décès confie ainsi à ses proches la lourde tâche de dire, le moment venu, ce qu’ils croient qu’elle en pensait.

Lors des états généraux organisés par Jean Leonetti avant la révision de la loi relative à la bioéthique, trois conférences de citoyens ont eu lieu : l’une sur l’embryon, la deuxième sur l’AMP, la troisième sur les greffes. Dans ce dernier cadre, les participants ont demandé la création d’un registre du « oui ».

L’alternative est la suivante : soit demander de moins en moins, au point de ne plus solliciter l’avis de la famille ; soit, au contraire, demander de plus en plus aux membres de la société de s’engager, en pariant sur leur générosité – le registre du « non » est d’ailleurs très réduit. La méfiance a priori vis-à-vis des réponses potentielles nuit au lien social ; au contraire, la confiance encourage l’adhésion. Les familles sont d’autant plus fondées à se demander pourquoi on leur tombe dessus au moment où un proche est en train de mourir qu’on ne lui a jamais demandé son avis auparavant. Les cartes de donneur n’ont d’ailleurs aucune valeur légale, parce que le « oui » lui-même est aujourd’hui sans valeur, contrairement au « non ».

S’agissant de l’exclusion du don du sang, la lenteur du processus, que je regrette moi aussi, est à la mesure de la complexité de la question posée au CCNE. Il s’agit en effet de concilier deux impératifs essentiels : d’une part, la protection d’autrui, qui impose la sécurisation maximale du don du sang ; d’autre part, le respect de la personne, qui interdit ce qui, dans le questionnaire adressé aux candidats au don et dans son mode de traitement, peut apparaître comme une discrimination. Par ailleurs, notre mobilisation sur la fin de vie a pu repousser à la périphérie d’autres problèmes que nous avions à traiter, dont celui-ci. J’espère que nous rendrons notre avis sous peu.

En ce qui concerne l’AMP, le Président de la République n’a pas saisi le Comité ; il en avait l’intention, mais y a renoncé en apprenant que celui-ci s’était autosaisi de ces questions. Nous avons procédé à cette auto-saisine car nous n’avions pas reçu de message clair selon lequel un projet de loi était envisagé, sans quoi nous aurions organisé des états généraux et une conférence de citoyens – ce que nous nous efforcerions de faire si un texte s’annonçait.

En la matière, sous couvert de la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne s’appliquent à la fois le principe de libre circulation des personnes en Europe et des législations divergentes que ces cours jugent également compatibles avec le respect des droits fondamentaux. C’est ce qui distingue la situation européenne de celle d’autres pays où ces droits fondamentaux ne sont pas garantis. En d’autres termes, l’existence d’une mère porteuse en Thaïlande, en Irlande ou en Grande-Bretagne ne comporte pas les mêmes implications du point de vue du respect des droits fondamentaux de la personne.

Chacun des pays peut avoir sa propre interprétation de cette base commune. Nous devons penser cette contradiction. Chaque fois que nous y sommes confrontés, elle nous choque : comment pouvons-nous interdire ce qu’il suffit de traverser la frontière pour faire ? Tel est le sens de la réflexion que nous avons entamée avec nos collègues allemands et anglais : comment penser, du point de vue éthique, cette libre circulation et cette disparité des législations ? Cette dernière est-elle source de richesse, à la manière de la diversité culturelle ? Différentes manières d’appliquer les mêmes principes peuvent-elles coexister, ou faut-il une uniformisation ?

L’un des risques de la seconde option, que le CCNE connaît depuis longtemps, est le suivant : si l’on peut faire ailleurs ce qui n’est pas possible chez nous, on pourrait considérer que tous les États européens devraient s’aligner sur celui qui permet le plus. Selon cette logique, la réflexion éthique n’a plus lieu d’être puisqu’un droit créé dans un État donné devrait immédiatement être valable dans tous les autres.

Prenons l’exemple de la GPA. Nous sommes en train d’y retravailler, mais le CCNE a publié en 2010 un avis recommandant de ne pas lever l’interdiction pour une raison fondamentale : le risque d’instrumentalisation des mères porteuses. Si l’on considère que l’interdiction de la GPA en France protège les femmes de ce risque, le fait que l’on puisse y recourir dans d’autres pays d’Europe, qui estiment qu’il ne s’agit pas d’une instrumentalisation, empêche-t-il les citoyennes françaises d’être protégées ?

Comment penser ces questions en étant à l’écoute de ce qu’en pensent nos voisins ? Ceux-ci se préoccupent-ils également de nous permettre de respecter ces principes de la manière que nous estimons la meilleure, ou considèrent-ils que si nous interdisons ce qu’ils ont autorisé, c’est que nous n’avons rien compris ?

On a toujours intérêt à tenter de comprendre ce qui conduit à privilégier telle ou telle approche, même si cela peut entraîner des changements. Le problème n’est pas de savoir s’il est bien ou mal d’autoriser une pratique, mais d’en saisir les raisons du point de vue de la protection des droits fondamentaux de la personne.

Un problème d’articulation entre conduites peut également se poser lorsque l’on envisage de faire évoluer une conduite donnée. En France, le don du sang est gratuit ; il ne l’est pas dans d’autres pays européens, non plus que le don d’ovocytes. Quand on fonde un système de santé sur la gratuité, certaines conduites envisageables dans des pays qui, à tort ou à raison, n’ont pas fait de même sont plus difficiles à modifier.

D’où l’intérêt d’une réflexion de dimension internationale. Lors des conférences de citoyens, parmi les différentes personnes que nous avons proposé aux participants d’entendre, pendant une heure et demie chacune – non pour les former, ce qui reviendrait pour moi à les déformer, mais pour leur permettre de s’informer –, il y avait deux présidents de comités d’éthique venus l’un du Portugal, où la législation est la même que la nôtre, l’autre de Belgique, où la loi est très différente. Souvent, en France, on parle de ce que font les autres, mais sans leur demander de venir nous expliquer pourquoi ils agissent ainsi.

Au demeurant, le comité d’éthique d’un pays donné n’est pas nécessairement en phase avec la législation nationale. Cela a d’ailleurs pu arriver au CCNE au cours de ses trente ans d’existence. Les comités d’éthique sont des comités de réflexion qui questionnent les pratiques et les lois.

J’ai été interrogé sur le renouvellement des membres du Comité. Tous les membres sont nommés pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois, et le Comité est renouvelé par moitié tous les deux ans. Il conserve ainsi une mémoire tout en évoluant progressivement. Le renouvellement intégral qui a cours dans d’autres comités d’éthique européens ne garantit pas la même continuité.

Depuis trente et un ans, les mêmes institutions nomment les membres. Le Président de la République nomme cinq personnalités en raison de leur appartenance aux « principales familles philosophiques et spirituelles » : il s’agit depuis l’origine, sans que cela ne figure dans les textes, d’un ou d’une philosophe et de quatre personnes appartenant aux familles de pensée catholique, protestante, musulmane et juive. Le ministère de la santé, le ministère de la justice, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Collège de France, l’Académie de médecine, l’Académie des sciences, l’Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil d’État, etc., une quinzaine d’institutions au total, nomment chacune un à trois membres. Leur grande diversité a pour but de favoriser celle des membres, de leur profil, de leur parcours.

En effet, un comité consultatif d’éthique appelé à examiner des questions ayant trait à la biologie ou à la médecine ne saurait être composé uniquement de médecins et de biologistes, sauf à être jugé illégitime dans le monde entier. Car il ne s’agit pas là d’expertise médicale – sur le dosage d’un antibiotique, sur la voie d’abord d’une intervention chirurgicale –, mais de veiller à ce que les progrès de la biologie et de la médecine bénéficient au mieux à la personne et respectent ses droits. Voilà pourquoi il est nécessaire d’inclure des juristes, des philosophes, des sociologues, des anthropologues.

Lorsque nous avons à préparer un avis, notre premier mouvement consiste d’ailleurs à élaborer un langage commun. Un problème de biologie ou de médecine très sophistiqué n’a rien de familier pour un juriste, un philosophe ou une sociologue. Une question de droit très pointue paraît extrêmement complexe à un biologiste, à un médecin ou à un philosophe. Comment les appréhender de manière à réfléchir ensemble en parlant de la même chose et en nous comprenant ?

La diversité de point de vue, d’origine, de formation des participants devrait être considérée comme une richesse, utile au débat public. Or cette conception fait défaut dans notre pays. Les médecins ont l’habitude de réfléchir entre eux, les philosophes également, etc. Pourtant, un peu comme dans la recherche transdisciplinaire, on peut, en croisant les regards, élaborer une réflexion dont aucun des participants n’aurait été capable seul. Le moment le plus fécond n’est pas celui où l’on débat ensemble, où l’on oppose des points de vue contraires, mais celui où l’on part de ces points de vue pour construire une réflexion nouvelle. Quelque forme que doive prendre la réflexion collective – conférence de citoyens, comité consultatif, etc. –, elle enrichira le débat public si elle s’appuie ainsi sur la diversité des participants.

Lors de la conférence de citoyens que nous avons organisée, j’ai d’ailleurs été très frappé de voir combien dix-huit personnes ne se connaissant absolument pas, extraordinairement diverses, peuvent prendre au sérieux leur mission, s’informer, dialoguer, se poser des questions qui ne recoupent pas nécessairement celles du Comité – c’est d’ailleurs tout l’intérêt et le but d’une telle conférence. En répondant à une enquête d’opinion, on dit ce que l’on pense, mais en réfléchissant avec d’autres après s’être informé, on finit par ne plus nécessairement penser la même chose.

Cette dimension créative, émergente, est bien plus développée dans les pays d’Europe du Nord. Les conférences de citoyens sont nées au Danemark au début des années 1980 ; aujourd’hui, elles y précèdent obligatoirement toute décision importante du Parlement.

Précisons que cette réflexion collective n’a à mon sens d’intérêt que si elle est consultative. Lorsque nous avons organisé la conférence de citoyens, certains journaux ont parlé de « jurys citoyens ». Mais un jury prend une décision, alors que la conférence faisait partie des instances consultatives mobilisées au cours du débat. C’est au législateur qu’il appartient de décider.

Revenons à l’AMP. En ce qui concerne la question de la « gestation pour soi », je ne souhaite pas m’étendre sur le problème de la cryopréservation des ovocytes en vue d’une utilisation ultérieure puisque le CCNE est en train d’y travailler. Je crois toutefois que la question ne se pose pas en termes d’équivalence. L’égalité n’est pas l’identité, ni la ressemblance : c’est l’égalité des droits indépendamment des différences. Que la part prise par les femmes à l’enfantement devienne plus semblable à celle qui incombe aux hommes n’est donc pas un gage d’égalité. Si l’égalité est complexe à penser, c’est justement qu’elle s’exerce dans la différence.

Parmi les différents problèmes qui se posent ici, je ne citerai que l’instrumentalisation de la femme. On l’a bien vu avec l’offre d’Apple et celle de Facebook, il peut être très intéressant pour un employeur de rembourser à ses employées la cryopréservation – non prise en charge par l’assurance maladie aux États-Unis – à condition qu’elles ne soient pas enceintes ni n’élèvent un enfant pendant la période où elles travaillent pour lui. Celles qui déclineraient la proposition n’auraient qu’à aller voir ailleurs. En d’autres termes, ce qui peut apparaître comme une forme de liberté pourrait bien se révéler une contrainte très lourde.

S’agissant des données de santé, Didier Sicard, président d’honneur du CCNE, est à la tête d’un organisme dont le but est de mettre plus facilement les données de l’assurance maladie à la disposition des équipes de recherche. Je pense comme lui que c’est essentiel. N’a-t-il pas suffi d’examiner pendant quarante-huit heures les données de l’assurance maladie pour s’apercevoir des effets graves du Mediator, alors que quinze ans d’observation pharmacologique n’avaient pas montré grand-chose ? Compte tenu de l’immense pouvoir explicatif de ces données, le fait de ne pas les rendre disponibles pour la société pourrait être considéré comme une forme de non-assistance à personne en danger.

En Angleterre, par exemple, de telles données sont collectives. Cela pose évidemment d’importants problèmes de protection des données et de confidentialité. Ils sont d’ailleurs de plus en plus prégnants en recherche biomédicale puisqu’il va être de plus en plus difficile, voire impossible, d’anonymiser les données génétiques. Mais, à condition de se donner les moyens de protéger la vie privée, il faut utiliser ces données sauf à faire preuve d’une forme d’aveuglement volontaire, néfaste à la santé publique. Car elles sont cruciales pour comprendre les avantages, les inconvénients et les coûts comparés des différentes approches possibles en la matière.

S’agissant enfin des prises de position de certains praticiens sur lesquelles j’ai été interrogé, le CCNE continue de travailler sur les enjeux éthiques de la communication d’informations scientifiques et médicales, à propos desquels il a déjà rendu un avis et qui faisaient partie des thèmes de la réunion européenne des comités d’éthique à Rome. Il s’agit d’ailleurs d’un sujet récurrent. L’une des premières saisines du comité d’éthique de l’INSERM lorsque j’en étais le président concernait ainsi une entreprise de biotechnologie qui prétendait avoir mis au point un test de diagnostic de l’autisme avant ou après la naissance – on en est loin aujourd’hui, une dizaine d’années plus tard.

L’aspect déontologique et les questions d’intégrité ne sont pas directement de notre ressort. Pour nous, l’enjeu est de faire en sorte que la société et les pouvoirs publics assurent la diffusion d’une information validée, aussi peu biaisée ou sujette à des liens d’intérêts que possible. Plutôt que d’essayer de faire taire des voix qui, selon nous, ne disent pas le vrai, donnons autorité et visibilité à des informations entérinées et recoupées, que chacun sera capable de trouver dans le concert des opinions.

J’espère avoir répondu à la plupart de vos questions.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, monsieur Ameisen. Vous entendre est toujours un ravissement et une véritable bouffée d’oxygène, malgré la gravité des sujets évoqués. Notre commission a d’ailleurs la possibilité de vous auditionner à tout moment pour dresser des bilans d’étape de vos travaux.

La présidente rappelle les conditions dans lesquelles le scrutin va se dérouler, conformément à l’article 29-1 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Il est alors procédé au scrutin par appel nominal.

*

(Présidence de Mme Martine Carrillon-Couvreur, vice-présidente)

La Commission examine ensuite le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur le transport de patients (M. Pierre Morange, rapporteur).

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. À la demande de son coprésident M. Pierre Morange, la MECSS s’est saisie de la question du transport de patients, en travaillant sur le fondement d’une insertion de la Cour des comptes dans son rapport sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. La MECSS s’est réunie sur ce thème d’avril à novembre 2014, avant d’adopter le 18 novembre dernier le rapport qui va nous être présenté.

Son sujet n’est pas sans lien avec celui de la mission d’information sur l’organisation de la permanence des soins, dont notre présidente Mme Catherine Lemorton est rapporteure, ne serait-ce que parce que la permanence des soins suppose une permanence opérationnelle des transports lorsque l’état de santé des patients ne leur permet pas de se déplacer seuls. Le rapport de cette autre mission d’information devrait nous être présenté le 17 décembre prochain, avant l’examen du projet de loi relatif à la santé, lequel pourrait permettre de débattre d’évolutions législatives dans ces deux domaines.

M. Pierre Morange, rapporteur. En effet, le rapport de la MECSS s’inscrit dans la continuité du rapport publié par la Cour des comptes en septembre 2012, après les rapports présentés par MM. Jean-Claude Mallet et Gérard Dumont ainsi que par M. Didier Eyssartier, mais aussi dans le cadre de la réflexion sur la permanence des soins.

Particulièrement dynamiques, les dépenses de transport de patients sont passées de 2,3 milliards en 2003 à 4 milliards d’euros en 2013. Entre 2001 et 2010, leur augmentation au sein de l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) a été de 63 %, contre 39 % pour les autres dépenses comprises dans ce périmètre.

Pour expliquer cette évolution, on a coutume d’invoquer trois facteurs. D’abord, le vieillissement démographique, ensuite, l’augmentation du nombre de personnes atteintes d’affections de longue durée (ALD), qui concernent 60 % des personnes transportées et concentrent 80 % des dépenses de transport. Cinq pathologies dominent : le cancer, pour 23 % des dépenses, l’insuffisance rénale chronique – essentiellement les dialyses –, à hauteur de 17 %, les troubles psychiatriques et les maladies cardio-vasculaires, pour 15 % et, enfin, le diabète. Le troisième facteur de cette progression est le regroupement géographique des plateaux techniques spécialisés.

Mais d’autres paramètres interviennent : la gouvernance du secteur n’est pas maîtrisée ; l’offre de transports est hétérogène et hypertrophiée ; la demande n’est pas correctement encadrée et le contrôle reste insuffisant.

D’une manière générale, le dynamisme de la dépense s’explique par un dévoiement du sens initial de la prescription du transport de patients. Celui-ci dépend en principe d’une décision médicale, laquelle est soumise au code de la sécurité sociale, en particulier à son article L. 322-5 : le mode de transport choisi doit être le moins onéreux qui soit compatible avec l’état du patient, et celui-ci doit être orienté vers l’établissement approprié le plus proche.

Or, du côté des patients, cette prestation médicale est désormais perçue comme un droit au transport justifiant la délivrance d’une sorte de bon de transport.

Quant aux professionnels de santé, ils ne s’appuient pas assez sur le référentiel de prescription de transport de 2006, lui-même insuffisant. Il arrive, d’ailleurs, que la prescription soit établie par une secrétaire médicale, parfois même a posteriori, sous la pression des entreprises de transport.

Du côté des transporteurs, en effet, qui se répartissent entre les ambulances, les véhicules sanitaires légers (VSL) et les taxis, on observe des stratégies d’optimisation financière. Entre 2003 et 2013, les dépenses de transport en ambulance sont passées de 900 millions à 1,6 milliard d’euros ; les dépenses de VSL sont restées stables, à 800 millions d’euros, alors que le poste taxis est passé de 500 millions à 1,5 milliard d’euros. Cette forte hausse doit être mise en relation avec la tarification, celle des taxis étant supérieure de 50 % en moyenne à celle qui s’applique aux VSL. On constate par ailleurs une très forte augmentation de la flotte de taxis, le nombre de véhicules conventionnés passant de 31 000 à 37 000 entre 2009 et 2013.

À ces paramètres s’ajoute, je l’ai dit, une gouvernance éclatée. Deux ministères pilotent le transport de patients : le ministère des affaires sociales et de la santé, par l’intermédiaire des agences régionales de santé (ARS), dont dépendent les agréments, et des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), qui gèrent le conventionnement et le ministère de l’intérieur, qui supervise les taxis, sachant que ce sont les maires qui délivrent les autorisations de stationnement. En outre, l’articulation entre l’agrément et le conventionnement fait défaut. Tous ces facteurs empêchent de rationaliser l’offre pour répondre à la demande.

Enfin, le contrôle est insuffisant, notamment lorsqu’il s’agit de vérifier les surfacturations, et les pénalités ne sont pas assez dissuasives.

Dans son rapport – adopté à l’unanimité par les membres de la MECSS, ce dont je remercie la coprésidente Mme Gisèle Biémouret et l’ensemble des membres de la mission, sans oublier nos administrateurs qui ont fourni un travail remarquable –, la MECSS formule 22 préconisations.

Pour coordonner le pilotage – c’est le premier chapitre –, nous proposons en premier lieu d’inclure un volet transport dans les schémas régionaux d’organisation des soins des ARS, afin de mieux appréhender l’effet du regroupement de plateaux techniques sur les déplacements. Deuxièmement, pour mieux articuler la délivrance de l’agrément et le conventionnement, les CPAM seraient désormais chargées de l’agrément, par délégation de compétence de l’ARS. Cette unité de commandement mettra un terme à la situation absurde dans laquelle le retrait de l’agrément entraîne automatiquement le déconventionnement alors que la réciproque n’est pas vraie. Troisièmement, un représentant des caisses primaires locales d’assurance maladie participerait au comité de transport sanitaire. Quatrièmement, les données, en particulier le répertoire national des transports de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), seraient partagées entre tous les acteurs ; les ARS y tiennent beaucoup.

Pour restructurer l’offre, ensuite, notre cinquième préconisation tend à harmoniser la tarification des transports assis professionnalisés (TAP) en rapprochant les tarifs des taxis et ceux des VSL, sur le fondement du kilométrage et de la prise en charge, abstraction faite des retours à vide et des temps d’attente qui n’ont pas à être facturés à l’assurance maladie. En revanche, une majoration bénéficierait aux transports partagés, dont le développement pourrait permettre d’économiser 150 millions d’euros par an, à en croire la Fédération nationale des transporteurs sanitaires. On voit la portée d’une simple rationalisation – car rationaliser, et non rationner, telle est l’antienne de la MECSS.

Notre sixième préconisation vise à actualiser l’arrêté de 1995 qui définit les plafonds d’autorisation de mise en service des véhicules sanitaires en fonction des besoins de la population. Elle a été quelque peu anticipée par l’adoption de l’article 45 du PLFSS pour 2015.

Septième préconisation : rendre conforme l’avis de la commission départementale ou communale quant à la délivrance des autorisations de stationnement des taxis, toujours afin de réguler l’offre.

J’en viens au chapitre de la rationalisation des dépenses, qui correspond à nos préconisations 8 à 12. La huitième préconisation consiste à favoriser le transport partagé dans les VSL et les taxis. La neuvième tend à inciter les patients à utiliser un mode de transport individuel car, dans nombre de cas, le simple remboursement des frais de stationnement pourrait heureusement se substituer aux dépenses de transport de patients. Dixième préconisation : créer une carte individuelle de transport pour les patients atteints de pathologies chroniques, notamment celles qui nécessitent des dialyses, afin d’instaurer une sorte de forfaitisation.

La onzième proposition concerne la budgétisation hospitalière des dépenses de transport qui constitue un sujet sensible : les transporteurs de patients redoutent que les petites entreprises de transport disparaissent faute de pouvoir répondre aux appels d’offres qui en découleraient. Rappelons que, sur les 5 500 entreprises de transport de patients existantes, qui regroupent 55 000 salariés, 4 % seulement emploient plus de 50 salariés. Toutefois, 40 % des entreprises de transport sanitaire possèdent aussi une flotte de taxis.

La budgétisation hospitalière suppose d’introduire un volet transport dans la conférence médicale d’établissement ; de rendre obligatoire l’individualisation des prescriptions des praticiens hospitaliers afin de les responsabiliser – 63 % des prescriptions de transport émanent des établissements de soins – et de garantir la traçabilité de l’acte ; enfin, de restructurer les flux de transport au sein de l’hôpital grâce à une gestion centralisée incluant l’anticipation des sorties, la création de salons d’attente, la centralisation de la commande de transport et la revitalisation du « tour de rôle », lequel évitera d’exclure les petits transporteurs en donnant leur chance à tous ceux qui satisfont aux clauses techniques et aux normes sanitaires.

Douzième proposition : demander au Gouvernement de publier le décret d’application de l’article 39 du PLFSS pour 2014, qui permet de mener des expérimentations en vue d’internaliser la prestation de transports.

D’autres préconisations ont pour objet de renforcer et d’améliorer le contrôle. La treizième tend à compléter le formulaire de prescription de transport par la mention du point d’arrivée et, le cas échéant, de l’origine. Quatorzième préconisation : encourager la dématérialisation de la prescription auprès des professionnels de santé et des transporteurs. Préconisation 15 : rendre obligatoire la géolocalisation de tous les véhicules – ambulances, VSL et taxis – en en faisant une condition du conventionnement avec l’assurance maladie. Seizième proposition : améliorer le référentiel de prescription de 2006 précité en l’affinant par des fiches repères établies par la CNAMTS et validées par la Haute Autorité de santé (HAS). Dix-septième proposition : donner pour instruction aux directeurs des CPAM d’appliquer systématiquement des pénalités financières lors d’un recouvrement d’indus et de saisir tout aussi systématiquement le juge pénal.

Dernier chapitre : la rénovation des transports urgents pré-hospitaliers.

Dans cette perspective, la dix-huitième préconisation tend à demander au Gouvernement de prendre le décret d’application de l’article 66 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, qui permet de mener des expérimentations concernant les transports sanitaires urgents pré-hospitaliers.

La dix-neuvième vise à instaurer des plateformes communes aux services d’incendie et de secours (SDIS) et aux services d’aide médicale urgente (SAMU), à rebours d’une opposition « culturelle » entre « rouges » et « blancs ». Dans les départements qui ont expérimenté ces plateformes, les compétences de chacun ne sont nullement remises en cause. On ne peut continuer de faire dépendre de dispositifs séparés ces deux structures qui bénéficient de financements publics.

Vingtième proposition : faire participer un représentant de l’assurance maladie au comité départemental de l’aide médicale urgente.

Vingt-et-unième proposition : revoir les secteurs de la garde ambulancière. En la matière, le principe est le suivant : les transporteurs privés assurant la garde perçoivent un forfait de 346 euros par période de douze heures et un abattement de 60 % sur le tarif conventionnel s’applique à chaque déplacement. Or la garde ambulancière est très peu utilisée dans certains territoires, au point que l’on peut s’interroger sur la nécessité d’un tel dispositif financièrement aussi lourd et pourtant insuffisant dans la mesure où l’indemnité couvrirait à peine 75 % du coût, selon les transporteurs sanitaires. En outre, on constate des tentatives de contournement du dispositif : certaines entreprises chargées d’établir le « tour de garde » organisent la carence pour faire sortir des véhicules à plein tarif la nuit, ce qui n’est pas tolérable.

Il est donc proposé que les SDIS prennent le relais lorsque le nombre de déplacements et les besoins ne justifient pas le maintien de la garde ambulancière. Plus précisément, le redécoupage serait non seulement géographique mais temporel, grâce à une distinction entre la période qui précède minuit, où le nombre de demandes est maximal, et la seconde partie de la nuit – dite nuit profonde –, qui, ne nécessitant pas un système de garde ambulancière, pourrait être couverte par les SDIS, déjà présents dans les départements.

La vingt-deuxième et dernière préconisation consiste en une mesure disciplinaire de retrait de l’agrément des entreprises de transport sanitaire qui ne respecteraient pas leurs obligations de garde ambulancière.

Dans son rapport de septembre 2012, la Cour des comptes évaluait à 450 millions d’euros les économies susceptibles d’être réalisées sur les dépenses de transport de patients, dont un tiers résulterait d’un plus grand respect du référentiel de prescription, un tiers de la réforme de la garde ambulancière et un tiers du contrôle et de la lutte contre la fraude.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. Merci, monsieur le rapporteur, de cette présentation complète et dense, sur un sujet difficile dont il a beaucoup été question au cours des dernières années et à propos duquel je salue, comme en d’autres matières, votre persévérance.

Mme Gisèle Biémouret. Coprésidente de la MECSS, je salue à mon tour votre excellent travail, monsieur le rapporteur.

Notre Assemblée, tous courants confondus, est d’accord avec la Cour des comptes : il faut maîtriser les dépenses de transport de patients. Le Gouvernement prend lui aussi le problème au sérieux puisqu’il a inclus cet objectif parmi les dix priorités assignées aux ARS pour 2014 en matière de gestion du risque, et a introduit dans le PLFSS pour 2015, à l’article 45, une mesure destinée à mieux maîtriser l’offre de taxis conventionnés pour transporter des malades dans les territoires.

Élue d’un territoire rural, j’ai constaté le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre des patients atteints d’une ALD et le regroupement des plateaux techniques auxquels vous attribuez la hausse des dépenses. Je partage également vos préoccupations sur le rôle des SDIS et la manière dont ils sont détournés de leur mission première en raison de la carence ambulancière. Votre proposition de créer une plateforme commune au SAMU et au SDIS dans les zones peu peuplées me paraît donc appropriée. Nous l’expérimentons dans le Gers depuis plusieurs années, avec succès.

Vous proposez par ailleurs de transférer des ARS aux CPAM la délivrance des agréments et l’autorisation de mise en service des véhicules. Ne serait-il pas cependant logique que les ARS, qui jouent un rôle reconnu dans la répartition de l’offre de soins, continuent de délivrer les agréments et d’évaluer les transports sanitaires ? L’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) a d’ailleurs décidé de renforcer son appui aux ARS en créant un logiciel destiné à évaluer l’effet sur les transports existants d’une réorganisation de l’offre de soins.

En conclusion, votre rapport nous sera particulièrement utile dans la perspective du projet de loi relatif à la santé qui nous sera bientôt soumis.

Mme Joëlle Huillier. Le très bon rapport de M. Pierre Morange ayant été adopté à l’unanimité le 18 novembre par la MECSS, dont je fais partie, je ne me permettrai que d’apporter quelques précisions à ses conclusions sans qu’il soit question de les remettre en cause.

En ce qui concerne la coordination du pilotage, l’ensemble des préconisations devrait au préalable faire l’objet d’une étude d’impact globale. Les auditions ont montré qu’il existait des initiatives de pilotage concerté. Gardons-nous donc d’appliquer séparément les mesures préconisées si nous voulons parvenir à un pilotage simple, efficace et compris de tous.

S’agissant de la restructuration de l’offre, l’harmonisation tarifaire du transport assis professionnalisé par le rapprochement entre les tarifs des VSL et ceux des taxis me paraît tout à fait pertinente. Là encore, une étude d’impact s’impose cependant en amont, tant les réglementations diffèrent.

Au chapitre de la rationalisation des dépenses, il est proposé de créer une carte individuelle de transport qui indiquerait le mode de transport requis pour les patients atteints d’une pathologie chronique nécessitant des trajets itératifs. Je signale que l’assurance maladie conduit à partir du 1er décembre une expérimentation portant sur les soins itératifs relatifs au traitement de l’insuffisance rénale chronique. Il serait intéressant d’en connaître les résultats avant de procéder à une généralisation.

Dans le même chapitre, j’apporterai un léger bémol à la dernière préconisation, consistant à demander au Gouvernement de prendre le décret d’application de l’article 39 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 qui permet de mener des expérimentations afin d’internaliser la prestation de transports non urgents au sein des établissements de santé. Je n’ai pas d’objection quant au fond, mais vu les difficultés que connaissent ces établissements, je doute que le moment soit bien choisi pour envisager de nouvelles expérimentations alors que les ARS sont libres d’en lancer, en les faisant financer par le fonds d’intervention régional (FIR). D’autant, monsieur le rapporteur, que vos autres propositions, tout à fait opportunes, limitent beaucoup l’intérêt de celle-ci.

En ce qui concerne enfin le renforcement des contrôles, je n’ai aucune observation à formuler, sinon pour confirmer qu’il est urgent de mettre en œuvre vos préconisations.

Je vous renouvelle mes félicitations pour ce rapport qui dresse un état des lieux très clair et propose des mesures permettant de répondre aux besoins de la population dans un cadre structuré indispensable, garant de la bonne gestion des fonds de la sécurité sociale.

M. Jean-Pierre Door. Un patient doit pouvoir se déplacer pour bénéficier de soins et pour regagner son domicile après une hospitalisation ou après une consultation spécialisée. Mais les dépenses de transport de patients ont considérablement augmenté, selon l’assurance maladie, et continuent d’augmenter d’année en année. La Cour des comptes observait en septembre 2012 que « les déterminants de [la dépense] demeuraient insuffisamment étudiés » mais qu’« une action résolue et cohérente permettrait […] des économies », ou tout au moins une rationalisation. Tel est l’objectif de ce rapport à la fois concis et riche de pistes. Je retiendrai principalement les suivantes.

D’abord, la préconisation 16 relative au respect du référentiel de prescription. Celui-ci, totalement perdu de vue depuis plusieurs années, doit maintenant être affiné par la CNAMTS et validé par la HAS, entièrement indépendante, insoupçonnable et chargée de l’évaluation médico-économique, laquelle est fondamentale. Le respect du référentiel devra faire l’objet d’un contrôle.

Ensuite, la préconisation 11 sur les dépenses hospitalières. À la sortie de l’hôpital, les transports sont prescrits par une infirmière, un interne, un externe, voire une autre personne du service, qui orientent tantôt vers un taxi, tantôt vers une ambulance, etc. Et, au bout du compte, la dépense est répertoriée dans la médecine de ville. Il faut absolument distinguer, dans la prise en charge des dépenses, ce qui relève de l’hôpital de ce qui relève des soins de ville.

La préconisation 15 consiste à rendre obligatoire la géolocalisation, qui existe déjà pour les taxis et pour les transports publics. Assurément intéressante, ne sera-t-elle pas cependant difficile à mettre en œuvre ?

La proposition de dématérialisation de la prescription mérite elle aussi d’être soutenue.

J’en viens à mes questions.

Avant même l’examen du projet de loi relatif à la santé, qui contiendra probablement des dispositions concernant les transports, la mission d’information sur l’organisation de la permanence des soins conclura ses travaux dans quelques semaines. Il en ressort que, s’agissant des soins ambulatoires, les relations entre les transporteurs privés et le SDIS sont difficiles car, trop souvent, le SDIS se déplace en réponse à des appels qui ne justifient pas son intervention, se substituant aux transporteurs classiques. Je l’ai moi-même constaté comme vice-président d’un SDIS. Ce phénomène a un coût et tend à détourner le SDIS de son cœur de métier.

Par ailleurs, pendant la première partie de la nuit, ce sont souvent les maisons médicales de garde – elles sont aujourd’hui 300 à 400 en France – qui assurent la permanence des soins : on peut être orienté vers ces structures en appelant le 15. L’assurance maladie ne pourrait-elle prendre en charge le trajet qui en découle pour les habitants de territoires ruraux ou éloignés des centres urbains qui n’ont pas de moyens personnels de se déplacer ? On orienterait ainsi le flux de patients vers les permanenciers au lieu de surcharger les urgences hospitalières. Nous en parlerons dans le rapport de la mission d’information sur la permanence des soins que j’ai l’honneur de présider.

Enfin, le rapport n’aborde pas la prise en charge des déplacements entre la Corse et le continent, qui couvre non seulement des urgences mais aussi des consultations spécialisées ou même des consultations simples, voire le trajet de la personne accompagnant le patient. Il ne s’agit pas de la supprimer, car elle répond à des besoins, mais d’en évaluer le coût annuel.

Membre de la MECSS, je donne naturellement mon satisfecit au rapporteur pour cet excellent travail.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. En 2007, le rapport de notre collègue M. Georges Colombier sur la prise en charge des urgences médicales abordait déjà les problèmes d’engorgement et la possibilité d’y remédier en orientant les patients vers d’autres structures. C’est donc un travail de longue haleine que nous poursuivons ici.

Mme Isabelle Le Callennec. Je remercie à mon tour M. Pierre Morange pour cet excellent rapport, très attendu, particulièrement éclairant et très utile en vue de l’optimisation des dépenses sociales que nous appelons tous de nos vœux. Il souligne d’importantes dérives – le mot est du rapporteur – et souligne la nécessité d’une réorganisation du secteur et d’une rationalisation des dépenses dans lesquelles les ARS seront certainement appelées à jouer un rôle majeur.

Le rapport a été voté à l’unanimité par la MECSS et j’espère qu’il le sera également par notre commission, mais il restera alors à mettre en œuvre ses préconisations. Or, lors de l’examen du PLFSS pour 2015, plusieurs amendements de notre collègue Bérengère Poletti, fondés sur un rapport d’information sur les arrêts de travail et les indemnités journalières également voté à l’unanimité par la MECSS, n’en ont pas moins été rejetés. Je fais le rêve que, lors des débats sur le projet de loi relatif à la santé, des amendements qui relayeraient des recommandations du présent rapport puissent être votés sinon à l’unanimité, du moins à la majorité. Ce serait un progrès pour nous tous.

M. le rapporteur. J’ai proposé dès 2006 l’interconnexion des fichiers afin de lutter contre la fraude sociale. Le décret d’application correspondant est paru en 2010. Et nous venons seulement de finaliser le dispositif grâce à l’adoption d’un amendement permettant d’inscrire les données relatives aux montants de prestations reçues dans le répertoire national commun de protection sociale et de rendre les échanges de données automatiques. J’en remercie mes collègues de la commission ainsi que tous ceux qui l’ont voté dans l’hémicycle.

Ce ne fut pas facile : il y a fallu une réflexion politique et une longue maturation. Défavorable au départ, le Gouvernement a fini par s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée. La mesure a été adoptée et le dispositif pourra être opérationnel. Le Gouvernement n’escompte-t-il pas de la lutte contre la fraude quelque 500 millions d’euros, qui doivent être portés à 900 millions à la suite des préconisations de Bruxelles ? Il me semble qu’il ne peut que s’associer à notre démarche.

Enfin, sans préjuger du vote de la MECSS sur le présent rapport, j’avais déposé des amendements au PLFSS 2015, notamment sur la géolocalisation obligatoire et sur la délégation de compétence des ARS aux CPAM en matière d’agrément, qui n’ont malheureusement pas été adoptés. Mais je ne doute pas qu’à force de remettre l’ouvrage sur le métier, nous parviendrons à faire accepter ces propositions de bon sens qui transcendent les clivages idéologiques et concourent à un objectif partagé de maîtrise des dépenses.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. J’avais moi-même proposé il y a sept ans par voie d’amendement une disposition sur le transport des enfants handicapés vers les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) qui a finalement été retenue il y a peu par le comité interministériel du handicap. Mieux vaut tard que jamais, pour ces enfants et leur famille.

Mme Chaynesse Khirouni. Monsieur le rapporteur, je partage votre souhait d’améliorer le transport de patients et de mieux structurer l’offre et la demande au sein du parcours de soins.

Je profite de l’occasion pour étendre le débat au transport d’enfants handicapés en taxi, à propos duquel des parents m’ont alertée dans ma circonscription. Ce problème n’est pas abordé dans le rapport, mais lui est indirectement lié.

Au-delà des questions de coût et d’optimisation des dépenses, c’est la sécurité des enfants qui doit être améliorée. Les parents déplorent notamment l’absence d’équipement adapté, ne serait-ce qu’un simple siège rehausseur. De nombreux chauffeurs ne connaissent pas bien le handicap et n’adoptent pas toujours un comportement adapté à la situation. Il convient d’accompagner et de rassurer les familles qui confient leur enfant à une tierce personne, et de faire en sorte que les chauffeurs assurent une prestation de qualité, irréductible à une course simple.

Pouvons-nous envisager de travailler sur cette question ?

M. Dominique Dord. Merci à M. Pierre Morange pour cet excellent rapport, que je regarderais de très près si j’étais ministre de la santé : quatre milliards d’euros de dépenses, quelque 500 millions d’euros d’économies potentielles, ce n’est pas rien, surtout s’agissant d’un domaine qui déchaîne moins les passions que d’autres en cette matière.

Je suis toutefois surpris de ne pas y trouver le moindre élément kilométrique. Avec ces quatre milliards d’euros, combien parcourt-on de kilomètres ? Naturellement, cet aspect n’est pas le seul pertinent si l’on songe aux courses en ville ou à certains déplacements très spécifiques, mais ces cas sont l’exception et non la règle. Cette lacune est d’autant plus surprenante que l’administration fiscale est la reine des barèmes kilométriques !

À mes yeux, la proposition la plus importante est celle qui vise l’harmonisation tarifaire entre les VSL et les taxis. Encore faut-il avoir ici la main légère, car en remettant en cause l’économie actuelle du transport sanitaire, on risque de créer d’autres problèmes.

Mme Annie Le Houérou. Je félicite à mon tour le rapporteur et l’ensemble de la MECSS pour ce rapport.

La première préconisation tend à « prévoir un volet transport dans les schémas régionaux d’organisation des soins des ARS afin de mieux appréhender, lors du regroupement des plateaux techniques, l’impact sur les déplacements et les dépenses de transport et de mieux prendre en compte l’opportunité de créer des centres de soins de proximité pour les soins itératifs comme la dialyse ».

Elle témoigne de l’effet de la centralisation de l’offre de soins dans des plateaux techniques très sophistiqués. Ainsi, on a tendance à orienter les malades atteints d’un cancer vers ces centres très spécialisés, souvent régionaux, ce qui impose à ces patients des déplacements très pénibles, alors que l’on pourrait trouver des solutions beaucoup moins onéreuses, par exemple des chimiothérapies délocalisées dans des hôpitaux de proximité, sous la responsabilité d’infirmières spécialisées qui resteraient en lien avec le médecin ayant défini le protocole. Nous devons nous efforcer d’accroître la coopération entre les pôles d’excellence et les hôpitaux de proximité. Il nous faudra également développer la télémédecine, pour une prise en charge au plus près du patient, beaucoup plus confortable. Dans ma circonscription, certains patients se mettent en route à cinq heures du matin ou repartent à minuit pour se faire soigner à Rennes ou à Saint-Brieuc, à deux ou trois heures de leur domicile. Je songe aussi à la télédialyse. Nous devons d’autant plus évoluer en ce sens que la population vieillit. La stratégie nationale de santé nous y aidera.

La proposition de M. Jean-Pierre Door sur le transport des personnes vulnérables vers les maisons médicales de garde mériterait également d’être étudiée.

Un meilleur service, un service de proximité, sans compromettre la qualité de la prise en charge, tel est en somme l’objectif que nous devons viser.

Mme Bernadette Laclais. Je salue à mon tour ce travail approfondi, équilibré et complet, qui vise à améliorer la qualité de la prise en charge tout en maîtrisant la dépense.

Comme M. Dominique Dord, je suis élue d’un département de montagne, où l’on compte les trajets en heures plutôt qu’en kilomètres. Il convient donc de concilier les deux approches.

Dans le droit-fil du propos de Mme Annie Le Houérou, j’aimerais évoquer une belle expérimentation qui a permis, dans la vallée de la Maurienne, d’ouvrir des places en chimiothérapie de jour, sous la responsabilité de l’hôpital du chef-lieu, ce qui évite des transports coûteux et surtout très fatigants pour les patients. Les malades ne se déplacent plus qu’une fois par mois pour un contrôle. Il existe dans nos territoires bien d’autres innovations qui méritent d’être mises en avant et de nourrir notre réflexion.

Il convient également d’étudier avec les villes les questions de stationnement et de circulation, afin de gagner un temps précieux du point de vue du coût comme du confort des malades – qui préoccupe aussi la MECSS.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. Au-delà de l’aspect financier, c’est en effet la qualité du transport des patients, et plus généralement des personnes vulnérables, qui est en jeu. Nous sommes tous interpellés sur ces sujets et nous ne pouvons plus nous dispenser de cette réflexion. Comme l’a rappelé notre collègue Chaynesse Khirouni à propos du transport des enfants handicapés, trop souvent les intervenants sont mal informés, peu sensibilisés, ce qui rejaillit sur la qualité du service. Les personnes transportées sont parfois moins bien traitées que des colis : c’est inadmissible !

Du transport dépend l’égalité d’accès à des soins de qualité, et plus généralement l’accès aux différents lieux de vie des personnes appelées à fréquenter les établissements et services médico-sociaux. Peut-on compléter en ce sens le volet transport que le rapport propose d’inclure dans les schémas régionaux d’organisation des soins des ARS ? Cela pourrait contribuer à renforcer l’appui de l’ANAP aux ARS.

Au-delà de cette préconisation, pourrait-on compléter la réglementation en vigueur, notamment en matière d’agrément, par une charte spécifique comportant des obligations de sensibilisation, de formation et d’engagement des professionnels, en contrepartie d’une labellisation « Handitransport », sur le modèle du label Handibat dans le bâtiment ?

M. le rapporteur. Je vous remercie tous pour vos éloges ; ils s’adressent en réalité à l’ensemble des membres de la MECSS, dont les préconisations de sagesse sont toujours collectives – c’est la spécificité de cette mission.

Madame Gisèle Biémouret, si je propose de transférer l’agrément des ARS aux CPAM, c’est parce que celles-ci se situent au niveau opérationnel et que la proximité qui en découle les rend plus à même d’assurer l’agrément comme le conventionnement. Les ARS, de création récente, doivent assumer une mission stratégique de premier plan qui comprend déjà l’aspect environnemental, le secteur médico-social, l’organisation de la démocratie sanitaire, etc., dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire. Soyons pragmatiques : déchargeons les des tâches trop lourdes en gestion. En revanche, les ARS doivent avoir accès à toutes les données en vue de l’élaboration du schéma régional d’organisation des soins.

Madame Joëlle Huillier, vous avez raison de demander des études d’impact : il va de soi que nos préconisations ne sauraient être appliquées du jour au lendemain, sans évaluation. Diverses expérimentations existantes peuvent nourrir cette approche pragmatique. L’évaluation doit être globale, pluridisciplinaire et plurifactorielle. Toutefois, et sans oublier le caractère obligatoire de l’étude d’impact préalable en matière législative, ne différons pas trop la mise en œuvre de mesures de bon sens qui font l’unanimité au sein de la représentation nationale.

Quant à la budgétisation hospitalière des dépenses de transport, j’en propose le principe sachant que la montée en puissance serait progressive. Tel est le sens des préconisations tendant à introduire un volet transport dans la conférence médicale d’établissement de l’hôpital, à individualiser les prescriptions hospitalières de transport, à réguler les flux de transport par la gestion des lits et l’anticipation des sorties. Quant à la revitalisation du « tour de rôle » pour la commande du transport, elle devrait apaiser les inquiétudes des petits transporteurs qui craignent d’être défavorisés par rapport aux grandes entreprises.

Monsieur Jean-Pierre Door, le respect des référentiels de prescription est une préoccupation ancienne et essentielle. Contrairement à ce que l’on croit souvent, ces référentiels ne portent pas atteinte à la liberté de prescription du médecin, mais représentent une aide, un outil de formation professionnelle en quelque sorte. Les fiches repères doivent être établies par la CNAMTS au titre de son rôle assurantiel et médico-économique, mais être aussi validées par la HAS afin que l’on ne puisse les soupçonner d’être dictées par la seule considération de l’efficacité économique.

La géolocalisation des taxis ne pose pas de difficultés techniques. C’est essentiellement l’aspect financier qui motive les réserves des fédérations de taxis à cet égard. À l’heure actuelle, la géolocalisation se fonde sur le volontariat. Rappelons que la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur promeut la géolocalisation pour améliorer le service rendu aux clients mais ne la rend pas obligatoire. Ici, l’objectif est à la fois économique et sanitaire, la géolocalisation conditionnant le conventionnement avec l’assurance maladie. Cette proposition devrait pouvoir trouver une issue heureuse si nous faisons preuve de pédagogie.

En ce qui concerne les SDIS, le coût de déplacement d’un camion représente en théorie 110 euros – contre 65 euros pour une ambulance – et près de dix fois plus si l’on tient compte de l’armement et du personnel embarqué, à en croire l’Association des départements de France. Une rationalisation de l’offre est donc nécessaire, d’autant que l’intervention en cas de sinistre, cœur de métier des sapeurs-pompiers, ne représente plus que 20 % de leur activité, contre plus de 52 % pour le secours à personne.

La prise en charge des transports à destination des maisons médicales de garde est un véritable enjeu, car l’offre de soins se doit d’être déconcentrée, dans les cas cités par M. Jean-Pierre Door comme s’agissant des plateaux techniques ultraspécialisés que d’autres ont évoqués. Les maisons médicales de garde ne font pas à ce jour partie du dispositif mais l’évaluation médico-économique pourrait conduire à les intégrer au parcours de soins. Il est légitime que la mission d’information sur la permanence des soins formule une préconisation en ce sens.

S’agissant enfin de la Corse, l’évaluation est évidemment nécessaire. Le problème est le même que pour les zones rurales ou de montagne en général, les centres hyperspécialisés se trouvant sur le continent.

La pédagogie est l’art de la répétition, Madame Isabelle Le Callennec !

Madame la présidente, madame Chaynesse Khirouni, si le transport des enfants handicapés, sujet très douloureux, n’est pas abordé dans le rapport, c’est uniquement parce qu’il relève de l’enveloppe médico-sociale et non de l’enveloppe des soins de ville. La situation est totalement anormale : le transport des enfants handicapés ou des personnes en grande dépendance est assuré dans un cadre insuffisamment normé, par des chauffeurs non formés. Il faut quelque 760 heures de formation pour prétendre au diplôme d’ambulancier, 70 heures pour un auxiliaire ambulancier qui peut conduire un VSL, mais les chauffeurs de taxi qui transportent des enfants autistes, trisomiques, handicapés moteur ou en situation de dépendance ne disposent d’aucune formation spécifique !

En la matière – je parle sous le contrôle de Mme la présidente, rapporteure de la mission d’information en cours sur la mise en œuvre des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie –, il reste donc beaucoup à faire. Sans doute faudra-t-il s’appuyer sur des dispositifs d’agrément, de conventionnement ou de codification obligatoires. En zone rurale, le transport de patients représente 70 % à 80 % du chiffre d’affaires des taxis, soit 30 000 à 40 000 euros par an : c’est à un véritable problème économique qu’ils sont confrontés.

Monsieur Dominique Dord, le rapport comporte des références kilométriques. Vous avez souligné à juste titre l’importance de la valorisation tarifaire. La tarification du transport en VSL ou en ambulance repose sur une prise en charge assortie d’un tarif kilométrique ; dans le cas des taxis, s’y ajoutent le temps d’attente ou le retour à vide. Ce qui engendre, faute de contrôle, des surfacturations et des surévaluations kilométriques. Voilà pourquoi la CPAM des Hauts-de-Seine a développé l’application Cactus (Contrôle automatisé des caisses sur les transports sanitaires), qui permet de croiser de multiples données – cotisations URSSAF, flotte de véhicules circulant dans le secteur, références kilométriques grâce à une application Michelin, absentéisme du personnel – et d’identifier ainsi des transporteurs « à risque » afin de mieux cibler le contrôle.

Madame Annie Le Houérou, l’offre de soins doit, je l’ai dit, être déconcentrée, qu’il s’agisse de dialyses, de chimiothérapie ou de télémédecine, dans le cadre du schéma régional d’organisation des soins – un peu sur le modèle des structures de rang successif dans le système sanitaire des armées.

Madame Bernadette Laclais, la proximité et ses conséquences sur le temps de transport sont essentiels. Même dans les grandes métropoles, la pertinence du kilométrage est relativisée du fait des embouteillages. Il faut en tenir compte dans la tarification et viser toutes les formes d’optimisation, qu’il s’agisse du transport partagé ou d’une gestion des transports tenant mieux compte de l’origine et de la destination. S’agissant en particulier des établissements de soins dont émanent, je le rappelle, 63 % des prescriptions, le simple fait de mieux appréhender les flux d’entrées et de sorties en vue d’une hospitalisation ou d’une consultation et de créer des salons d’attente rationalisera la gestion du temps.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. Merci encore, monsieur le rapporteur. Mes chers collègues, nous passons au vote en vue d’autoriser la publication du rapport.

La commission autorise, à l’unanimité, le dépôt du rapport d’information sur le transport de patients en vue de sa publication.

La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 26 novembre 2014 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, M. Joël Aviragnet, M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane, Mme Valérie Boyer, Mme Sylviane Bulteau, Mme Marie-Arlette Carlotti, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Françoise Dumas, M. Richard Ferrand, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Hélène Geoffroy, M. Jean-Patrick Gille, M. Henri Guaino, Mme Joëlle Huillier, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, M. Michel Liebgott, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, M. Hervé Morin, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, Mme Luce Pane, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Louis Roumegas, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. François Vannson, M. Olivier Véran, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. François-Xavier Villain

Excusés. – M. Ibrahim Aboubacar, M. Stéphane Claireaux, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean Jacques Vlody