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Commission des affaires sociales

Mardi 17 février 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 31

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Examen de la proposition de loi de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (n° 2512) (MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, rapporteurs)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 17 février 2015

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission des affaires sociales examine sur le rapport de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (n° 2512).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Depuis la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d’accès aux soins palliatifs, le sujet difficile et complexe qui nous réunit aujourd’hui a fait l’objet de nombreux débats et réflexions ; et, depuis 2012, plusieurs travaux ont jalonné la route qui nous a conduits au présent texte : on peut mentionner le rapport de la commission Sicard et les travaux du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), présidé par M. Ameisen – que nous avons auditionné –, sans oublier la proposition de loi de M. Jean Leonetti visant à renforcer les droits des patients en fin de vie, que nous avons examinée en juin 2013, et la proposition de loi de Mme Véronique Massonneau visant à assurer aux patients le respect de leur choix de fin de vie, texte dont nous avons débattu il y a quelques semaines.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise a fait l’objet, à l’initiative du Président Claude Bartolone, d’une consultation citoyenne sur le site de l’Assemblée. Cette consultation, lancée à titre expérimental, a obtenu un gros succès d’audience puisque, entre le 2 et le 16 février, pas moins de 11 923 contributions ont été déposées par les internautes. Je laisserai les rapporteurs nous donner leur sentiment sur le contenu de cette consultation, notamment sur la façon d’exploiter les contributions recueillies.

Enfin, comme à l’ordinaire, j’ai saisi mon homologue de la commission des finances des amendements dont la recevabilité financière me paraissait douteuse. Ont ainsi été déclarés irrecevables les amendements identiques AS1, AS9, AS55 et AS62, ainsi que les amendements AS113, AS119 et AS115.

M. Alain Claeys, corapporteur. En juin dernier, le Premier ministre nous a demandé un rapport sur la question des patients en fin de vie, question dont vous avez rappelé, madame la présidente, qu’elle a fait l’objet de nombreux travaux depuis l’élection du Président de la République. On peut évoquer, entre autres, le rapport commandé par ce dernier à M. Sicard, l’avis du Comité consultatif national d’éthique et le rapport publié par cette instance sur la base de débats publics et d’autres travaux. Enfin, sous la présente législature, votre commission a examiné deux propositions de loi sur le sujet.

Au seuil de nos travaux, l’établissement d’un nouveau rapport nous est rapidement apparu inutile : la question était plutôt celle d’une avancée législative qui pût s’appuyer sur les rapports précédents et réunir opposition et majorité. Je ne reviendrai pas, d’autre part, sur les nombreuses auditions que nous avons conduites ; elles témoignent de ce que la représentation nationale et l’exécutif ont à répondre à une question centrale, l’égalité de nos concitoyens face à la mort. Sur ce sujet, des inégalités subsistent entre les territoires et les hôpitaux, mais aussi entre les patients qui meurent à domicile ou en maison de retraite. Ce sont 51 % de patients qui, rappelons-le, décèdent au sein des services d’urgence.

Les soins palliatifs, qui sont de droit, sont très inégalement répartis sur le territoire. On n’en administre guère à domicile et dans les maisons de retraite et, lorsqu’ils font l’objet d’un service dédié au sein des hôpitaux, ils n’interviennent qu’en toute fin de vie ; qui plus est, ils n’ont que peu de lien avec les soins curatifs, sauf en cancérologie. De telles inégalités sont très vivement ressenties par nos concitoyens. Enfin, la fin de vie pose également l’enjeu central de la formation des médecins.

Il est donc indispensable que notre proposition de loi s’accompagne d’un engagement de l’exécutif sur le développement des soins palliatifs et sur la formation des médecins. Le Président de la République s’est déjà exprimé à ce sujet ; le ministère de la santé et le secrétariat d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche doivent aussi s’engager.

Nos concitoyens ont formulé deux vœux très clairs : celui d’être entendus ; celui d’avoir la possibilité d’une fin de vie apaisée et digne, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou de leurs proches. C’est à cette double interpellation que Jean Leonetti et moi avons tenté de répondre.

La fin de vie fait débat : faut-il laisser, voire faire mourir les patients concernés ? Notre texte ne tranchera pas cette question, dont nous devons débattre de façon calme et apaisée.

Nous ne partions pas de rien puisque la loi Kouchner de 2002 et la loi Leonetti de 2005, adoptée à l’unanimité, avaient déjà fixé un cadre. La nécessité d’un nouveau texte tient cependant à plusieurs raisons, à commencer par la méconnaissance de la loi Leonetti, laquelle, je le dis d’autant plus facilement que je l’avais votée, est également tournée vers les médecins davantage que vers les patients, auxquels notre texte entend donc conférer de nouveaux droits ; pour ce faire notre proposition de loi vise les directives anticipées, qui s’imposeront au médecin – moyennant certains garde-fous –, sans supprimer, bien entendu, le colloque singulier qui le lie aux patients et à leur entourage.

Nos concitoyens, je l’ai dit, veulent également être entendus : c’est l’enjeu de la sédation profonde continue, jusqu’au décès, administrée conjointement à l’abandon des traitements curatifs. Cette demande, formulée dans des conditions précisées à l’article 3, engage donc des actes médicaux ; elle pourra intervenir dans trois cas de figure, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.

Le Parlement, je crois, commettrait une faute en n’apportant pas de réponse aux inégalités que j’évoquais et aux aspirations de nos concitoyens.

Vous avez enfin évoqué, madame la présidente, la consultation citoyenne décidée par le président de l’Assemblée nationale. Une telle consultation ne me choque en rien, bien au contraire : il n’est pas question d’opposer démocratie représentative et démocratie participative, quelle que soit la forme qu’elle prenne, et, sur de tels sujets, un éclairage peut être utile au législateur. Cependant, comme je l’ai dit au président Bartolone, les contributions seront d’autant plus utiles qu’elles reposeront sur des avis éclairés. Chacun n’ayant pas le même niveau d’interprétation sur des sujets parfois complexes, un accompagnement me paraît nécessaire. Les services de la commission ont procédé au dépouillement des quelque 10 000 contributions sur le présent texte ; sans doute faudra-t-il réfléchir aux moyens de renforcer ce type de procédure.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Je partage bien entendu ce qui vient d’être dit. Alain Claeys et moi avons travaillé sur la base d’une lettre de cadrage du Premier ministre qui énumérait les trois thématiques évoquées : la sédation en phase terminale, l’opposabilité des directives anticipées et le développement des soins palliatifs.

La loi de 1999 a ouvert droit aux soins palliatifs ; celle de 2002 a rendu la parole du malade opposable s’agissant de l’arrêt des traitements ; celle de 2005, enfin, a condamné l’acharnement thérapeutique et imposé la non-souffrance et le non-abandon. Or ces trois lois ne sont pas appliquées – c’est d’ailleurs le premier constat de Didier Sicard dans son rapport. Autrement dit ce nouveau texte, pour être appliqué – et ce faisant échapper aux critiques ultérieures sur son contenu –, appelle des moyens. Le développement des soins palliatifs et la formation des médecins sont deux enjeux aussi essentiels, de ce point de vue, que le vote d’un nouveau dispositif législatif. On ne change pas les mœurs avec des lois ; en l’occurrence c’est notre culture médicale, focalisée sur la guérison bien plus que sur le soulagement des souffrances, qui doit profondément évoluer.

J’en viens aux deux mesures-phares de notre proposition de loi. La première a trait au caractère contraignant des directives anticipées : l’opposabilité, elle, poserait des problèmes juridiques, en particulier dans les situations d’urgence, où il peut être difficile d’avoir connaissance de ces directives : des soins de réanimation, dans le cas d’un suicide ou d’un accident sur la voie publique, par exemple, peuvent être nécessaires avant toute réflexion sur les souhaits éventuels du malade. L’une des faiblesses majeures de la loi de 2005 est l’absence de cadre pour la rédaction des directives anticipées, rédaction dont on peut constater la difficulté, surtout lorsque l’on est en bonne santé. Aussi proposons-nous de confier à la Haute autorité de santé (HAS) et au Conseil d’État le soin de donner un cadre à cette rédaction, conformément à la procédure suivie dans des pays qui, tels le Royaume-Uni et l’Allemagne, ont des législations comparables à la nôtre. Avec ce support, la rédaction des directives anticipées sera claire pour chacun, ce qui facilitera notamment la tâche des médecins qui auront à les suivre.

Quant à la sédation en phase terminale, on a observé qu’elle est déjà possible ; elle l’est, c’est vrai, mais le médecin peut aussi ne pas l’administrer. Or 12 % des Français meurent dans des souffrances physiques intolérables, et près de 80 % des étouffements, par exemple, ne font l’objet, en fin de vie, d’aucun traitement de nature à les soulager. Comme l’a suggéré Alain Claeys, il faut donc passer d’un devoir des médecins à un droit qui est comme son miroir, le droit des malades. Il n’y a là rien qui doive choquer le corps médical, car il est évident qu’un patient à qui il ne reste que peu de temps à vivre doit être soulagé de ses douleurs ou, s’il est réfractaire au traitement, faire l’objet d’une sédation. Les médecins devraient administrer ces soins ; mais, si cette injonction à leur devoir ne suffit pas, la demande du patient doit être de droit.

La sédation revient à endormir profondément le patient ; M. Claeys et moi ne sommes pas favorables à la solution qui consiste à le réveiller périodiquement pour lui demander s’il continue de souffrir : la sédation, à notre sens, doit aller jusqu’au terme de la vie et être profonde, afin d’apaiser réellement la souffrance.

Quant au fait de savoir si la sédation contribue à accélérer la mort, cela nous paraît être un faux problème : d’une part, les sédatifs peuvent tout aussi bien allonger que raccourcir la vie, à supposer d’ailleurs qu’ils aient un effet. Puisque la sédation se prolonge jusqu’au décès, nul ne saura jamais ce qu’il en est sur ce point. D’autre part, ma conviction est que, au moment considéré, la qualité de la vie prime sur sa durée. Le devoir d’assistance trouve donc, avec la sédation profonde, son aboutissement le plus logique.

Sur la consultation citoyenne, je réserverai la primeur des analyses au président de l’Assemblée. Alain Claeys et moi, respectivement président et rapporteur d’une mission d’information sur la révision des lois bioéthiques, avions, dans ce cadre, lancé une telle consultation sur internet, d’ailleurs assortie de nombreuses auditions ouvertes au public. Cette opération avait permis de rassembler des panels de citoyens sur l’ensemble du territoire. Je rappelle aussi que c’est l’un de nos amendements à la loi sur la bioéthique de 2011 qui a rendu ce type de consultation obligatoire. On peut toutefois regretter que celle dont nous parlons arrive trop tard, et surtout qu’elle ne s’appuie sur aucun support, comme l’a noté Alain Claeys. Ce faisant elle a donné un écho à l’avis, non de l’ensemble de nos concitoyens, mais plutôt de ceux d’entre eux qui, organisés en associations, ont des convictions souvent tranchées sur ces sujets. Bref, une telle expérimentation avait déjà eu lieu, et dans de meilleures conditions puisque, d’une durée de six mois, elle s’était faite sur la base d’un support énumérant les différents courants de pensée sur le sujet : cela avait permis des échanges fructueux entre informations et contributions.

Le fait que la majorité et l’opposition se réunissent sur un texte comme celui-ci n’implique nulle trahison de part et d’autre : c’est au contraire le signe d’une convergence qui fait suite à des doutes fertiles et légitimes. Alain Claeys et moi n’avons négocié aucun compromis en acceptant telle ou telle disposition en échange d’une autre ; nous avons surmonté certaines oppositions, forts de la conviction que notre texte fait avancer la cause de l’accompagnement de la fin de vie et qu’il évitera des souffrances inutiles à certains de nos concitoyens.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Comme je l’avais indiqué lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Véronique Massonneau, nul n’a raison ou tort sur de tels sujets, qui font appel à des convictions intimes, par définition toutes respectables. Je ne doute donc pas de la qualité d’un débat qui transcendera nos clivages habituels, dès lors qu’il sera question de l’attitude de chacun face à la mort, la sienne comme celle de ses proches. Aucun jugement ne sera donc porté sur les positions des uns et des autres.

Mme Michèle Delaunay. Je salue la démarche que consacre le présent texte, celle de la recherche d’un consensus politique tout au long de débats qui ont duré plusieurs mois. Ils font suite aux travaux du Comité consultatif national d’éthique, qui avait procédé à de nombreuses auditions sur l’ensemble du territoire, et au débat public qui s’était ouvert à la suite de procès très médiatisés. Je salue également le travail des deux rapporteurs, qui, avec la sérénité et le sens de la mesure qu’on leur connaît, ont su mener à bien leur tâche.

Notre consensus politique est en effet le fruit d’une démarche exceptionnelle, tout particulièrement sur des sujets de cette gravité, et il correspond aux attentes de la majorité des Français : de fait, en de telles matières, qui pourrait proclamer détenir la vérité ? Beaucoup de sondages en témoignent, qui interrogent nos concitoyens sur ce qu’ils préfèrent, entre une mort dans la souffrance et une mort plus rapide – quand la grande majorité d’entre eux préféreraient ne pas mourir du tout. (Sourires.) Bref, la plus grande prudence s’impose.

Cette proposition de loi est nécessaire, car on meurt encore de nos jours comme on mourait sous Louis XIV. Parce que l’on meurt plus tard, parfois après avoir échappé à des chocs très sévères, on peut mourir dans de grandes souffrances, telles que des artérites ou des étouffements.

Le texte qui nous est soumis ne présente que des avancées : nul, parmi nous ou parmi nos concitoyens, ne parle à son sujet de recul. Ces avancées contribueront à résorber les inégalités face à la mort : inégalités entre les territoires, on l’a rappelé, mais plus encore entre les âges, les plus défavorisés étant, paradoxalement, les patients les plus âgés.

La sédation prolongée est un droit nouveau, et la prise en compte de la volonté de la personne en tant que telle, plutôt que de sa famille ou de son entourage, me semble être une avancée majeure. Le texte comporte aussi des avancées considérables sur les soins palliatifs, qui sont un droit auquel tous les patients, nous le savons, n’ont pas accès.

Enfin, si je puis exprimer un avis de praticienne, les dispositions qui nous sont soumises me paraissent opératives, tant elles apportent des solutions concrètes tout en restreignant la possibilité de s’y soustraire. On parle toujours de la qualité de vie des malades, mais ce texte nous invite à considérer la qualité de la mort, que nous devons regarder comme une exigence au moins égale. Nous faisons un pas en avant en ce sens ; et si d’autres progrès ne sont pas à exclure dans le futur, ils dépendront d’abord de l’égal accès de chacun aux soins palliatifs, y compris au regard de leur qualité.

M. Jean-Louis Touraine. Madame la présidente, mes chers collègues, je voulais à mon tour féliciter Alain Claeys et Jean Leonetti, ainsi que tous les groupes de travail, ceux de la société civile comme ceux de l’Assemblée nationale. Nos rapporteurs ont effectué un travail méritoire d’analyse, de concertation et de recherche d’un consensus. Il nous permet à tous – les Français et nous-mêmes – d’être éclairés et il nourrit cette proposition de loi qui comporte des avancées substantielles et des droits additionnels pour nos concitoyens confrontés à la mort.

Il reste quelques situations qui peuvent paraître insuffisamment prises en compte, évoquées par Alain Claeys quand il analyse les différentes circonstances d’application du texte. Il existe aussi des risques de disparités d’application si les recommandations ne sont pas suffisamment claires. J’en tire deux conséquences : ce texte doit être enrichi par le travail parlementaire ; le résultat final devra lui-même être retouché à l’avenir pour s’adapter à l’évolution de la réflexion dans notre société. Personnellement, je propose deux amendements et j’en soutiens plusieurs autres.

Selon les données publiées en 2012 par l’Institut national d’études démographiques (INED), chaque année dans notre pays, entre 2 000 et 4 000 personnes terminent leur vie en ayant une aide active à mourir de la part des médecins. En outre, comme le rappelait Manuel Valls fin 2009, et comme l’indiquait une enquête publiée par Le Nouvel Observateur dès 2007, plus de 2 000 soignants ont reconnu avoir, en conscience, aidé médicalement des patients à mourir. Les juges sont désarçonnés par l’inadéquation entre les pratiques et la loi.

L’aide active à mourir est donc la question principale dont il nous faut débattre ici et dans l’hémicycle. Dans certaines circonstances d’exception, doit-elle être le choix du médecin, par exemple sous la forme d’une sédation médicalement décidée qui peut abréger la vie, comme le prévoit la proposition de loi ? Doit-elle être le choix du patient, après avis d’un collège de médecins, comme certains amendements le suggèrent ? L’esprit de la proposition de loi – donner plus de responsabilité aux patients qu’à la seule équipe médicale – milite pour ce deuxième choix.

En ce qui concerne mon groupe, je propose de ne pas en rester le coreprésentant avec Michèle Delaunay, afin de pouvoir m’exprimer avec une totale liberté sur les amendements qui sont signés par une grande partie des députés de mon groupe et soutenus par d’autres.

Mme Isabelle Le Callennec. Permettez-moi tout d’abord de rendre hommage à Jean Leonetti. Auteur de la loi éponyme adoptée à l’unanimité en 2005, il s’emploie sans relâche et avec passion à en expliquer les contours aux équipes médicales et aux familles.

Dix ans après la promulgation de cette loi, on s’accorde généralement à reconnaître qu’elle répond à une très grande majorité des situations de fin de vie. En revanche, tous les rapports insistent sur le fait qu’elle est mal connue et pas systématiquement appliquée, que les soins palliatifs auxquels les patients devraient pouvoir prétendre ne sont pas accessibles à tous, et qu’il y a lieu de s’interroger sur quelques rares situations que la loi ne couvre pas.

Cette question fondamentale de la fin de vie a fait l’objet d’une large concertation, souhaitée par le Président de la République « dans un esprit de rassemblement » : avis du Comité consultatif national d’éthique, rapport Sicard, et même consultation citoyenne qui aurait donné lieu à environ 12 000 contributions sur le site de l’Assemblée nationale en moins de quinze jours. Nous autres, commissaires aux affaires sociales, nous aimerions prendre connaissance de ces contributions qui sont censées alimenter nos travaux parlementaires.

Revenons à cette proposition de loi que vous qualifiez, chers collègues, d’opérative. Je veux saluer la contribution des deux rapporteurs : Jean Leonetti, du groupe UMP, et Alain Claeys, du groupe SRC. Leurs travaux nous éclairent sur l’état de la prise en charge de la fin de vie dans notre pays et proposent les moyens de l’améliorer via cette proposition de loi dont nous partageons pleinement l’esprit : le refus de l’acharnement thérapeutique et de l’obstination déraisonnable ; la non-souffrance de la personne mais l’interdiction de tuer qui est et doit rester absolue.

À l’instar de Robert Badinter, nous estimons que le droit à la vie est le premier des droits de l’homme et que personne ne peut disposer de la vie d’autrui. C’est la raison pour laquelle nous restons opposés à toute légalisation de l’euthanasie. Nous mettons aussi en garde contre la tentative d’aide active à mourir qui risque de recouvrir les mêmes réalités.

Au contraire, nous estimons que notre corpus juridique doit créer les conditions favorables à un accompagnement tout au bout de la vie. Il s’agit de nos semblables ; ils se trouvent dans une situation d’extrême fragilité et rien dans notre regard ne doit trahir l’idée qu’ils ne seraient plus dignes de vivre. Nous avons de nombreux témoignages d’équipes qui travaillent dans des unités de soins palliatifs. Si les demandes de recours à l’euthanasie existent, dans l’immense majorité des cas elles ne sont pas réitérées dès lors que les personnes sont soutenues et accompagnées, que leur souffrance est soulagée.

Nous devons donc parvenir à concilier le devoir des médecins et le droit des malades. Si la loi est mal appliquée par le monde médical, c’est par manque d’information et de formation. Le Président de la République a annoncé que la formation des jeunes médecins allait être renforcée dès la prochaine rentrée universitaire, ce dont nous nous réjouissons.

Si le recours aux soins palliatifs n’est pas systématique, c’est parce que notre pays ne compte pas suffisamment d’unités spécialisées. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes s’est intéressée aux personnes décédées à l’hôpital en 2009 : seulement un tiers de celles qui auraient pu recevoir des soins palliatifs en a effectivement bénéficié. La Cour constate néanmoins des progrès réels entre 2007 et 2012 : une augmentation de 35 % des unités spécialisées, de 65 % des lits identifiés et de 24 % des équipes mobiles. Pour les équipes qui y font un travail remarquable de soin, pour les bénévoles des associations qui s’engagent avec humanité dans l’accompagnement psychologique, la crainte est grande qu’une légalisation de l’euthanasie ne soit prétexte à relâcher les efforts.

Nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti nous proposent une voie d’amélioration de la loi sans en dévoyer l’esprit, notamment grâce à deux mesures emblématiques : une meilleure prise en compte des directives anticipées, contraignantes et non opposables ; un droit absolu à la prise en compte de la souffrance via la sédation profonde et continue jusqu’à la mort, quand le pronostic vital est engagé à court terme.

Dans sa très grande majorité, le groupe UMP estime qu’un point d’équilibre a été trouvé grâce à ce texte. Notre société a été bien malmenée par des réformes sociétales qui l’ont profondément divisée. Dans le contexte actuel, nos concitoyens attendent de nous, sur des sujets aussi sensibles, des propositions qui rassemblent.

M. Arnaud Richard. Je m’associe à nos collègues pour saluer la qualité du travail de Jean Leonetti et Alain Claeys.

La loi Leonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie, adoptée à l’unanimité en 2005, constitue un point d’équilibre : elle permet de mieux respecter l’expression et la volonté des malades et de prendre en compte les souffrances de ceux qui sont en fin de vie, en faisant progresser les soins palliatifs ; elle autorise toute personne malade à refuser un traitement dont elle estime qu’il est devenu déraisonnable ; elle donne au médecin le droit d’interrompre ou de ne pas entreprendre des traitements qu’il estime inutiles, condamnant ainsi clairement l’acharnement thérapeutique.

Pour autant, des difficultés majeures subsistent : la douleur des patients n’est pas suffisamment prise en charge ; l’obstination déraisonnable demeure malheureusement une réalité dans notre pays ; l’accès aux soins palliatifs n’est pas toujours effectif ; la formation des médecins est encore largement insuffisante sur ce sujet.

Comment, dès lors, faire en sorte qu’il n’y ait ni souffrance ni abandon ni acharnement ? Si la loi de 2005 a permis d’éliminer des zones d’ombre, il en reste encore quelques-unes et deux questions majeures se posent. Doit-on et peut-on aller plus loin, dans certains cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit plus à soulager les patients qui souffrent de manière insupportable ? Doit-on et peut-on assumer un acte médical pour mettre fin à cette souffrance insupportable et irréversible ?

Ces deux questions en soulèvent de nombreuses autres. À partir de quel moment est-il possible de considérer que les traitements ne permettront pas d’éviter une issue fatale ? Comment juger du caractère insupportable de la douleur ? Comment s’assurer du consentement du patient ? Que faire dans les cas où ce consentement ne peut plus être obtenu ? Comment comprendre les directives anticipées alors même que le questionnement, face à la mort, évolue ? Comment être certains de ne pas emprisonner un malade dans une formulation ancienne de sa volonté ?

Tenter de répondre à une question si intime et personnelle exige d’adopter une attitude profondément humble. Face à l’extraordinaire complexité de la fin de vie et de l’idée même de légiférer sur ce sujet, il est nécessaire de prendre des précautions.

Je souhaite ici affirmer l’opposition de notre groupe à la légalisation de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté qui revient à consentir à la société, fût-elle représentée par le médecin, un droit sur l’existence de chacun, qui outrepasse largement le respect – pourtant souhaité par tous – de la personne.

Une évolution de la loi peut être envisagée pour éviter les souffrances, les abandons, l’acharnement, mais une rupture abrupte des digues érigées par la loi Leonetti risquerait d’entraîner des dérives qui, selon nous, seraient insupportables. Nos collègues Claeys et Leonetti, conscients du risque, tentent de préserver cet équilibre en proposant deux mesures phares : des directives anticipées qui s’imposeraient au médecin ; l’affirmation claire d’un droit à la sédation en phase avancée ou terminale. Cette proposition de loi permettrait à ceux qui sont proches de la mort, s’ils le demandent, de s’endormir plutôt que d’être confrontés à une souffrance intolérable, ou à ce qu’ils peuvent parfois vivre comme une déchéance. C’est une nuance infime et pourtant essentielle qui nous sépare de l’équilibre trouvé en 2005.

Mme Véronique Massonneau. Nous voilà réunis pour débattre du texte qui a servi à justifier, il y a trois semaines, le renvoi en commission de celui que je défendais ici même. Vous comprendrez, mes chers collègues, que je serai donc doublement attentive à ce que notre commission prenne le temps d’aborder consciencieusement les nombreuses questions de fond que soulève cet important sujet de la fin de vie.

Il s’agit bien d’ouvrir de nouveaux droits pour les patients. Vous conviendrez, et je m’adresse particulièrement à l’opposition, que les soins palliatifs – qui existent depuis 1999 – ne constituent pas un nouveau droit. S’il vous plaît, ne réduisons pas ce débat à une opposition simpliste et totalement erronée entre les soins palliatifs et le droit de choisir sa fin de vie y compris par l’euthanasie. Cette vision manichéenne est fausse et elle ne fait pas avancer le dialogue. Je regrette que certains amendements de l’opposition soutiennent cette posture clivante et stérile.

Chers collègues, je vous invite plutôt à déposer une proposition de loi concernant les soins palliatifs, et pas une proposition de résolution qui n’a pour but que de nier le choix du patient et défaire chacun de la liberté de disposer de son corps. Déposez une proposition de loi qui permette enfin que les soins palliatifs ne soient plus uniquement opposés à d’autres choix possibles de fin de vie de façon pavlovienne, mais qu’ils soient bien considérés à leur juste valeur. Les écologistes, qui ont déjà initié de telles propositions, seront alors prêts à soutenir la vôtre. Ce n’est pas le sujet du jour et vous comprendrez que les écologistes écarteront les amendements qui iraient dans ce sens.

Aujourd’hui, il s’agit d’ouvrir de nouveaux droits pour les personnes en fin de vie, comme l’annonce l’intitulé de ce texte. Quels sont donc ces nouveaux droits ? Les directives anticipées, désormais opposables et mentionnées sur la carte Vitale, ont une valeur exécutive et non plus seulement consultative. Cette mesure figure dans la proposition de loi que j’ai défendue ici, et je ne peux que saluer cette avancée. En fait, il s’agit du seul réel nouveau droit proposé par ce texte, et qui ne concerne que les cas où la personne est inconsciente et a rédigé des directives anticipées.

Quant à la mise en place d’une sédation profonde et continue jusqu’à la mort, elle existe déjà. Il en va de même pour l’arrêt de l’alimentation et de la nutrition artificielles du patient, ce que le Conseil d’État a requis dans le cas de Vincent Lambert. Pour cet homme dont la situation faisait polémique, en l’absence de directives anticipées, l’hydratation et l’alimentation artificielles auraient pu être suspendues depuis longtemps.

Des médecins utilisent déjà la sédation à visée ultime. En revanche, ce texte ne laissera plus le médecin libre de choisir d’y avoir recours ou non à la place de son patient. Il y sera contraint si le patient le demande et si sa situation le justifie. Monsieur Leonetti, vous avez évoqué des pratiques particulières qui perdurent, comme celle de réveiller son patient pour vérifier qu’il souhaite toujours poursuivre la sédation. Je ne reproche rien aux médecins ; je comprends très bien qu’ils puissent craindre d’être poursuivi en justice, d’autant que les interprétations possibles sont nombreuses compte tenu du caractère flou de la législation actuelle.

Il s’agit de sécuriser le médecin pour mieux garantir le choix du patient mais, chers collègues, peut-on dire sincèrement qu’il s’agit d’un nouveau droit ? Il s’agit plutôt d’une amélioration de l’écriture d’un texte qui a déjà dix ans, qui est toujours mal appliqué car ambigu. Je dirais même que c’est le service minimum. Comment pourrions-nous nous contenter de cela ? Les nombreux concitoyens qui m’ont parlé de leur cas personnel, souvent douloureux, attendent une véritable avancée. Je n’imagine pas me retrouver en face d’eux et leur dire dans les yeux qu’ils doivent se satisfaire de ce texte.

Croyez-vous sincèrement que cette proposition endiguera un phénomène dramatique : ces Français qui vont mourir à l’étranger, comme des clandestins, dans des pays où leur choix est réellement respecté ? Si nous, écologistes, ne pouvons pas nous opposer à ce texte, nous ne pouvons pas non plus l’approuver en l’état.

Nous attendons donc que notre commission le fasse évoluer afin qu’il corresponde concrètement aux attentes des Français, comme le candidat Hollande le leur a promis. De nombreux amendements très intéressants ont été déposés, ce dont je me réjouis. Votons en conscience et débattons avec un seul souci : le respect de l’ultime liberté de chacun.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Merci d’accueillir le passager clandestin que je suis, n’étant pas membre de votre commission.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous êtes le bienvenu.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Lors de la consultation citoyenne esquissée par la présidence de l’Assemblée nationale, il n’eût pas été anormal que les trois propositions de loi existantes – celle des rapporteurs, celle de Mme Massonneau et celle du groupe RRDP – fussent soumises aux citoyens sans que l’on privilégiât l’une d’elles. À ma connaissance, il s’agit bien d’une proposition de loi et non d’un projet de loi, même si le Gouvernement y semble d’autant moins hostile qu’il a peut-être contribué à l’inspirer ou à la valider. J’emploie des termes mesurés, à dessein.

Après 1 000 jours de consultations auprès d’instances ou de personnalités dont on savait à l’avance qu’elles étaient hostiles à l’aide active à mourir, nous voici donc saisis d’une proposition de loi. J’insisterai, moi aussi, sur les soins palliatifs puisque les radicaux de gauche sont à l’origine de la loi de 1999 sur le sujet. Reste à mettre tous les moyens financiers en face de cette avancée considérable.

Vous qui êtes médecin, Monsieur Leonetti, vous savez mieux que moi que, dans certains cas, les soins palliatifs ne soulagent plus le patient. Que faire ? Vous proposez la sédation profonde et continue. Sommes-nous sûrs que celle-ci ne s’accompagne pas d’une agonie lente, longue, et de souffrances provoquées par la faim, la soif, d’éventuelles phlébites, escarres ou infections ? Si tel est le cas, ce dispositif ne répond pas à l’objectif recherché : partir sans souffrir. Il ne faudrait pas que le patient souffre encore plus que s’il était décédé d’une mort naturelle.

Je mesure bien la différence qui existe entre la sédation dite profonde et continue et l’aide active à mourir, mais elle est extrêmement théorique. C’est une sédation profonde et continue jusqu’au décès, comme vous le dites. Dans Libération, M. Claeys parle d’une « aide à mourir » qui prend la place du « laisser mourir ». En réalité, l’objectif est le même, mais l’on peut penser qu’une aide active à mourir, dans des conditions qui ne soient pas celles que vous décrivez, sera moins douloureuse pour le patient qu’une sédation dite profonde et continue. Je pense que la sédation profonde et continue est plus confortable pour le médecin que pour le patient. Le médecin ne pourra être accusé d’avoir procédé à ce que le code pénal qualifie de meurtre, de meurtre aggravé ou d’empoisonnement ; il pourra dire qu’il s’est borné à soulager la souffrance sans apporter une aide active à mourir. En réalité, l’issue est la même et la dualité est largement fausse.

Cette proposition de loi aurait encore un plus grand mérite si elle était amendée de manière à donner le choix au patient entre votre solution et une autre qui serait l’aide active à mourir. Au fond, cela concerne le patient. J’entends parler de texte de consensus, de rassemblement. Nous ne sommes pas sur un point où la priorité des priorités serait de rechercher des équilibrages politiques ; nous sommes sur un point où il est indispensable d’agir pour le patient, pour qu’il ait une mort sans souffrance. Cela mérite une réflexion approfondie. Nul ne sait quelle est la bonne solution, car celle-ci dépend très largement de convictions personnelles.

Objectivement, en ce qui concerne les soins médicaux, je m’alarme d’un fait : l’article 3 de votre proposition de loi – qui est fondée sur l’arrêt des traitements – considère l’hydratation et la nutrition artificielles comme des traitements. Faute de définition légale ou réglementaire, on ne savait pas très bien jusqu’à présent si l’hydratation et la nutrition artificielles étaient ou non des traitements. Les qualifiant de traitements, vous rendez obligatoire leur arrêt. Je ne suis pas sûr que cela soit un progrès pour la qualité de la mort du patient, je pressens même plutôt le contraire. Comme notre but n’est pas de rendre le décès plus douloureux qu’il ne l’est actuellement, au contraire, je me pose des questions sur votre texte qui ne correspond pas à ce que souhaite notre groupe. Peut-être sommes-nous dans l’erreur ? En tout cas, je me suis permis d’exposer avec sincérité ce que je ressens à la lecture de ce document intéressant.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Touraine, je prends acte de votre demande de ne plus être responsable pour le groupe SRC, compte tenu d’amendements que vous serez amené à présenter et qui sont d’ailleurs soutenus par des parlementaires d’autres groupes.

M. Gérard Sebaoun. Nous abordons ce texte avec gravité et sérieux. Pour ma part, je veux écarter deux sujets : les sondages – dont nous devons nous méfier à ce stade – qui indiqueraient que les Français préfèrent telle ou telle fin de vie et qu’ils plébiscitent l’euthanasie ; les soins palliatifs qui ne sont pas le sujet de cette proposition de loi, même si on doit leur donner toute la place qu’ils méritent et qu’ils n’ont pas encore dans notre pays, comme l’ont souligné Alain Claeys et Véronique Massonneau.

Cette proposition de loi se veut un texte d’équilibre et je respecte le travail accompli. Avec d’autres, j’ai déposé des amendements qui visent à apporter des précisions car, dans un tel texte, tous les mots ont un sens. À l’alinéa 4 de l’article 8, on nous parle de directives « manifestement inappropriées », une formule qui illustre mon propos et nous invite à aller plus loin dans l’exercice de notre responsabilité de législateur. D’autres amendements porteront sur le fond du débat et iront au-delà du champ de nos deux rapporteurs : l’aide active à mourir, qu’elle prenne la forme d’un suicide médicalement assisté ou d’une euthanasie. Nous serons plusieurs à engager ce débat que réclament nos concitoyens, certains d’entre eux depuis plus de trente ans.

Les débats font rage depuis longtemps sur ces sujets, ici et au-delà de nos frontières. La loi adoptée récemment au Québec présente l’immense avantage d’embrasser totalement le triptyque des soins de fin de vie : les soins palliatifs ; la sédation palliative, dite continue dans la proposition de loi ; et l’aide médicale à mourir.

Dans un amendement portant article additionnel à l’article 3, je proposerai d’introduire dans ce texte l’exception d’euthanasie qui a été défendue à la fois par la conférence citoyenne et par la Comité consultatif national d’éthique dès 2001. Nous pouvons raisonner en conscience sur ce que pourrait être une exception d’euthanasie.

Notre attention va être portée sur des mots aussi nobles que « dignité » ou « conscience », qui ont fait l’objet de réflexions innombrables. Nous y reviendrons avec la conscience et la dignité que réclame une telle discussion.

M. Bernard Perrut. Nos concitoyens expriment de plus en plus souvent la volonté d’être maîtres de leur vie et de leur mort, et déplorent une mort de moins en moins humaine, de plus en plus distante, loin de chez soi, loin des siens, à l’hôpital le plus souvent.

La loi Leonetti du 22 avril 2005 interdit à juste raison toute obstination déraisonnable et respecte le double objectif de « non abandon » et de « non souffrance » qui est au cœur de la problématique de la demande de mort, et affirme que dans les moments les plus difficiles, la qualité de vie, je devrais dire la « qualité de mort », prime sur la durée de vie.

Nous attendions que les soins palliatifs se développent, mais le constat est déplorable puisque depuis 2012, il n’y a pas eu de nouveau plan et que 20 % seulement des personnes concernées peuvent y accéder. Combien d’unités de soins palliatifs ? Combien de lits identifiés en soins palliatifs ? Les chiffres sont ridiculement bas et les inégalités territoriales connues.

Les soins palliatifs sont particulièrement importants car non seulement ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance physique, mais ils prennent aussi en compte la souffrance psychologique, sociale, spirituelle et permettent de soutenir les familles et les proches.

Une nouvelle loi n’a de sens aujourd’hui que si nous développons les soins palliatifs, développons la formation des médecins et des soignants, aidons celles et ceux qui veulent accompagner leurs proches en fin de vie.

Le texte de 2005 mettait l’accent sur le devoir des médecins envers les malades, et cette proposition de loi donne aujourd’hui un nouveau droit aux malades. Les professionnels de santé en sont les garants. Mais le périmètre de ce droit demeure incertain. Comment définir les mots « dignité et apaisement » ? Peuvent-ils tout justifier ? Dans quelles conditions ?

Quant aux directives anticipées, elles permettront au malade de préciser sa volonté sur sa fin de vie, prévoyant le cas où il ne serait pas en mesure de s’exprimer. Ce n’est plus un souhait, mais désormais une volonté contraignante pour le médecin – on l’a dit à l’instant.

Vous créez un droit à la sédation profonde en phase terminale et continue jusqu’au décès, avec pour but de soulager le malade en situation de souffrance insupportable. On peut s’interroger sur l’article 3 de la proposition de loi qui indique que « la demande du patient… est de ne pas prolonger inutilement sa vie ». Comment définir le mot « inutilement » ? Comment juger si une vie est utile et jusqu’où ? L’utilité d’une vie est-elle un critère de dignité ?

Je terminerai sur un point important : j’attache beaucoup d’importance au statut du témoignage de la personne de confiance, où à défaut de la famille. Pour moi, la mort doit être un moment vécu et partagé avec ses proches, et pas un moment de solitude.

Gardons, chers collègues, la volonté de respecter l’équilibre trouvé, et n’allons pas vers une aide médicalisée active à mourir. Pensons aux dérives qui peuvent se produire en Belgique et aux Pays-Bas. Et n’oublions pas la définition du terme « euthanasie ». Celui-ci, qui vient du grec « euthanasia », signifie : bonne mort, douce et sans souffrance. C’est à la suite d’un glissement sémantique qu’il désigne maintenant l’action qui provoque la mort.

M. Michel Liebgott. C’est un beau débat que nous poursuivons aujourd’hui, après nos interventions successives dans le cadre de la proposition de loi de Mme Massonneau, déposée au nom du groupe écologiste. J’observe toutefois que l’euthanasie que l’on peut provoquer ou que l’on peut souhaiter pour soi-même, est une démarche avant tout individuelle alors que nous essayons de légiférer pour l’ensemble des populations qui se trouvent en situation de souffrance et qui subissent des injustices majeures pour des raisons territoriales, pour des raisons liées à leur catégorie socio-professionnelle, ou simplement parce qu’elles n’ont pas pu avoir accès à tel ou tel service de médecine spécialisée.

Nous devons avoir à cœur de faire en sorte que tout le monde puisse bénéficier des meilleurs soins durant sa vie. Or ce n’est pas forcément le cas. En matière d’accès aux soins, il y a en effet de profondes injustices. Mais la « bonne mort » est aussi profondément injuste, puisque nous savons que la moitié seulement des médecins maîtrisent la loi Leonetti de 2005, que 20 % seulement des personnes qui pourraient bénéficier des soins palliatifs en bénéficient, et que les deux tiers des soins palliatifs sont concentrés dans cinq régions. C’est dire si le système actuel est injuste !

Certes, c’est un débat de société évoluée – d’ailleurs, aujourd’hui, on ne parle pas seulement d’espérance de vie, mais aussi d’espérance de vie « en bonne santé ». Mais je crois qu’avant d’envisager une nouvelle étape qui serait celle du suicide assisté – auquel je ne suis pas forcément opposé à titre personnel – il nous faut assurer la généralisation des soins palliatifs de la loi Leonetti et, je l’espère, demain, de la loi Claeys-Leonetti, que nous adopterons sans doute.

M. Rémi Delatte. La loi Leonetti s’est imposée comme socle fondamental de l’approche et de la prise en charge de la fin de vie. La condamnation de l’obstination déraisonnable, la procédure collégiale d’arrêt des traitements, la création des directives anticipées en sont les actes fondateurs qui devraient assurer à chaque personne de pouvoir bénéficier d’une mort apaisée.

Cela conduit à s’interroger sur le bien-fondé qu’il y aurait à revisiter la loi du 22 avril 2005. En effet, tout y est dit, même si son application se heurte à deux obstacles qu’il convient de corriger : d’abord sa diffusion est insuffisante dans les sphères professionnelles et dans le grand public ; ensuite, le recours aux soins palliatifs est trop restreint et mal réparti sur les territoires, faute de structures adaptées et en raison de l’insuffisance de formation des praticiens.

Certes, nous avons, comme parlementaires, la responsabilité de prendre en compte l’évolution sociétale d’une part, et la réalité d’une fin de vie qui change et qui s’allonge d’autre part. Cependant, nous avons aussi le devoir, sur un sujet aussi sensible, de rester rigoureux sur ce qui pourrait apparaître comme un progrès mais qui, rapidement, s’avérerait être les prémices d’un suicide médicalement assisté. Je pense à l’article 4, avec le traitement à visée sédative jusqu’au décès et à l’article 2, avec la reconnaissance, en tant que traitement, de la nutrition et de l’hydratation artificielles.

Il faut, j’ai envie de dire : « toute la loi Leonetti, rien que la loi Leonetti ». En effet, adossée aux dimensions de l’éthique médicale et de l’intime confiance qui anime la relation entre le patient et le soignant, le texte de 2005 garantit déjà à chacun les conditions d’une mort digne d’une société moderne.

M. Philip Cordery. Je tiens à mon tour à saluer le travail des deux auteurs et corapporteurs de cette proposition de loi qui crée de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, et permettra de répondre, dans une grande mesure, aux Français qui nous demandent d’agir pour apaiser la fin de vie.

Cette proposition répond à l’engagement présidentiel n° 21 de M. François Hollande de faire que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».

Cette proposition de loi inscrit pour la première fois dans la loi et le code de la santé publique le droit à mourir dans la dignité. Elle renforce le choix du patient de terminer sa vie comme il l’entend en rendant opposables les directives anticipées.

Elle reconnaît pour la première fois le traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès. J’avoue me poser les mêmes questions que M. Schwarzenberg. Mais discutons-en.

Cette proposition de loi permet des avancées importantes. Je pense néanmoins que nous pouvons aller plus loin. Tous les sondages confirment d’ailleurs qu’une grande majorité de Français souhaite que nous légiférions sur le fait que l’on puisse mettre fin à la vie de la manière la plus digne et la plus apaisée possible.

Ce texte vise les patients : il les place au centre des décisions pour leur fin de vie. C’est pourquoi je considère que le choix est la question centrale de cette proposition de loi, et qu’il mériterait d’être élargi pour que les patients – comme c’est le cas dans d’autres pays comme les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg ou le Québec – aient la possibilité de recourir à un dispositif d’aide médicalisée active à mourir s’ils le souhaitent, et pour que nous passions du « laisser mourir » au « faire mourir ». C’est notre rôle de législateur que de pouvoir en débattre et en décider ensemble.

M. Gilles Lurton. Tous, ici, nous sommes sensibilisés à cette question de la fin de vie. Tous ici, nous pouvons nous accorder pour offrir à chaque être humain une fin de vie apaisée et digne, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur Alain Claeys.

Tous les personnels médicaux et les équipes de soins palliatifs que j’ai pu rencontrer s’accordent à dire que la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a permis d’évoluer, et à ce titre, je tiens à rendre un hommage appuyé à cette loi dans laquelle « tout est dit ».

Cette loi a parfaitement concilié l’absolue nécessité de soulager la souffrance et la dignité de la personne humaine. Or le texte qui nous est proposé aujourd’hui va beaucoup plus loin et appelle de ma part de nombreuses interrogations qui restent sans réponse actuellement.

Ma première interrogation porte sur l’article 2 et sur la rédaction de la phrase : « Lorsque les traitements n’ont d’autres effets que le maintien artificiel de la vie, […] ils sont suspendus ou ne sont pas entrepris. » Le texte de la loi de 2005 se contente d’indiquer que ces traitements « peuvent » être suspendus ou ne pas être entrepris, ce qui donne au médecin une certaine latitude d’user de sa connaissance médicale, et une certaine marge de manœuvre. Certes, l’actuelle proposition de loi précise que les traitements seront suspendus ou ne seront pas entrepris « sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient et selon la procédure collégiale ». Mais en l’absence de volonté du patient, comment réagira-t-on ?

Enfin, la dernière phrase de l’article 2 introduit une disposition radicale selon laquelle « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement ». L’interprétation de ces termes peut, de mon point de vue, être lourde de conséquences, notamment pour des personnes qui ne sont pas en fin de vie et qui pourront ainsi décider d’arrêter d’être nourries et/ou hydratées.

L’article 3 fait également naître chez moi un certain nombre de questions. Que veut dire « traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance » ? Est-ce un endormissement comme je crois l’avoir compris dans les propos de notre corapporteur Jean Leonetti ? Est-ce un traitement ayant pour objectif de donner la mort ? L’ambiguïté de cet article fait envisager une possibilité d’euthanasie et ne laisse là non plus aucun espace d’interprétation pour le soignant.

J’avoue être très interrogatif sur ce que pourra engendrer cette proposition de loi qui repose principalement sur le motif que la loi de 2005 n’est pas appliquée. Si elle n’est pas appliquée, il faut la faire appliquer et ériger les soins palliatifs, auxquels tout être humain doit avoir droit, en principe fondamental.

M. Jean-Patrick Gille. Il s’agit d’améliorer et de poursuivre la loi Leonetti, et son application. Je voudrais moi aussi saluer le travail des rapporteurs – et particulièrement celui de mon collègue Jean Leonetti, car il m’est arrivé par le passé de porter quelques vives critiques – et leurs propositions. Celles qui portent sur la sédation profonde et sur les directives anticipées contraignantes font l’objet d’un consensus.

Certains veulent aller plus loin, créer un droit nouveau, la possibilité d’un suicide assisté ou d’une assistance médicale à mourir en fin de vie, qui ne s’imposerait bien évidemment à personne. Je comprends que certains s’y refusent – même si j’ai toujours du mal à admettre que l’on puisse refuser un droit aux autres. Mais je considère que notre devoir est sans doute, dans un premier temps, d’acter le consensus qui nous est proposé par les rapporteurs et d’en discuter, dans un deuxième temps, ici et surtout dans l’hémicycle avec l’ensemble des parlementaires. La question est assez simple à résumer : est-ce que l’on accorde à celui qui se sait condamné le choix de choisir sa mort et d’en choisir l’heure ? Vous avez bien compris que j’y étais favorable.

Peut-être ai-je mal saisi ce qu’a dit Arnaud Richard ? Je considère en tout cas que la légalisation de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté n’aboutit pas à consentir un droit exorbitant à la société. Elle crée au contraire un droit individuel, qui peut paraître extravagant à certains, ou légitime à d’autres. C’est aujourd’hui que la société dispose d’un droit exorbitant, dont elle délègue la responsabilité aux médecins.

M. Leonetti a fait le choix d’avancer étape par étape. Cette méthode, tout à fait respectable, a néanmoins ses limites, en raison même du sujet traité. Va-t-on ou non accorder ce droit individuel ? La question et inévitable et je pense que nous aurons ce débat dans l’hémicycle parce qu’il est attendu par nombre de nos concitoyens.

M. Dominique Dord. À mon tour de saluer le travail remarquable de nos deux rapporteurs, qui ont su faire preuve d’équilibre, de nuance et de sensibilité sur un sujet aussi difficile.

Personnellement, je ne me résous pas à l’idée qu’un jour notre droit puisse consacrer l’euthanasie sous une forme ou sous une autre. J’ai de la peine à comprendre que l’on puisse parler de « droit » en la matière. En tout cas, pour moi, ce qui est certain, c’est que cela ferait franchir à notre législation une nouvelle frontière.

Nos compatriotes et nos collègues qui sont ici porteurs de ces « droits nouveaux » peuvent légitimement considérer que la mort douloureuse de plusieurs dizaines milliers de nos compatriotes chaque année nourrit ce débat légitime sur l’euthanasie. Mais le débat d’aujourd’hui aurait-il lieu si la loi de 2005 était appliquée ? Si les soins palliatifs étaient généralisés, un tel débat perdrait de sa substance et, pour le coup, apparaîtrait vraiment dogmatique.

Mes chers collègues, j’ai envie de vous croire. Mais en quoi cette loi nouvelle permettra-t-elle la généralisation effective des soins palliatifs ? Sera-t-elle appliquée ? Ou s’agit-il de la dernière étape avant le prochain texte qui, lui, finira par légaliser l’euthanasie dans notre pays ? Faute de cette généralisation des soins palliatifs, je crains malheureusement que telle soit la pente sur laquelle nous sommes engagés.

Mme Sandrine Hurel. Madame la présidente, je voudrais à mon tour saluer l’excellent travail de nos deux corapporteurs.

Ce texte touche à une question intime et personnelle. Mais cette question nous est aussi posée très clairement par nos concitoyens qui souhaitent l’évolution du droit relatif à leur fin de vie, ou à celle de leurs proches.

Ce texte apporte des réponses et des avancées sociétales incontestables : la possibilité d’une sédation profonde ; des outils juridiques, parmi lesquels l’opposabilité des directives anticipées ; la désignation d’une personne de confiance. Je pourrais le voter en l’état, sans ambiguïté. Mais je crois qu’il doit être aussi une étape vers un dispositif plus ambitieux et peut-être plus ouvert sur la question de l’aide active à mourir. Voilà pourquoi j’ai proposé un certain nombre d’amendements.

Un amendement à l’article 3 sur le dispositif de la sédation profonde prévoit une clause de revoyure, pour ne pas fermer le débat et se ménager la possibilité de faire évoluer le dispositif par la suite, si l’opinion publique nous le demandait. D’autres amendements visent à sécuriser l’opposabilité des directives anticipées – au cas où un médecin qui n’y serait pas favorable déciderait de ne pas les appliquer.

J’ai également déposé un amendement prévoyant que la sédation profonde puisse avoir lieu à domicile, comme à l’hôpital. En effet, nos concitoyens réclament aussi de pouvoir mourir à domicile.

Mes chers collègues, je suis persuadée que le débat parlementaire permettra d’avancer positivement sur ce texte.

M. Élie Aboud. Je voudrais d’abord remercier les deux rapporteurs.

Depuis des années, règne entre le corps médical et le législateur un flou complet, à l’origine d’une situation malsaine. D’un côté, le corps médical dit qu’il n’est là que pour soigner et qu’au-delà, c’est au législateur et à l’exécutif de décider, ce qui est faux si on se réfère, justement, à la loi. Et de l’autre, le législateur lui transfère certaines responsabilités, qui sont sources d’angoisse.

Nos rapporteurs ont su ne pas céder à deux courants complètement opposés. Les tenants du premier souhaitent que l’on ne fasse rien parce qu’après tout, ces questions relèvent de la volonté de Dieu. Les tenants du second défendent avec vigueur le « laisser tout faire » et prônent la liberté absolue : il y a la liberté de vivre, et celle de mourir.

Nos rapporteurs ont abouti à un texte que je résumerai en une phrase : « tout faire sans laisser faire ». Les citoyens attendaient un tel texte. J’espère que, comme l’a dit brillamment notre collègue Dord, le corps médical appliquera enfin les lois existantes pour ne pas laisser ce débat de société, ce débat philosophique aux mains de certaines personnes qui ne maîtriseraient pas le sujet.

Mme Véronique Besse. Je voudrais revenir sur quelques points.

Premièrement, oui, nous devons remettre au cœur des débats le problème des soins palliatifs. La présente proposition de loi ne fait pas, à mon goût, suffisamment mention des soins palliatifs qui devraient être au cœur du droit à la fin de vie. Nous devons d’abord faire respecter la loi de 1999 qui garantit à tous les malades un accès aux soins palliatifs. Or aujourd’hui, je le rappelle, seulement 20 % des personnes concernées y ont accès.

Les soins palliatifs sont une bonne réponse au « mal mourir ». Il faut prendre acte de toutes les recommandations des rapports sur la fin de vie, notamment celui de la Cour des comptes, qui préconise le développement des soins palliatifs en France.

Deuxièmement, il faut mettre l’accent sur l’importance d’assurer la qualité de vie du patient. La notion de sauvegarde de la dignité existe dans le code de la santé publique où il est écrit que : « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’au dernier moment, assurer par des soins appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage ». La dignité du mourant est respectée si la qualité de la vie du patient est correctement assurée par le médecin, en priorité grâce aux soins palliatifs.

Troisièmement, il faut supprimer l’idée que la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement. Il serait grave de confondre traitement et maintien en vie. La nutrition et l’hydratation artificielles n’ont pas pour objet de soigner mais de maintenir en vie. Celui qui ne peut pas se nourrir n’est pas forcément malade ni en fin de vie, il est simplement fragile. Si la nutrition et l’hydratation artificielles étaient considérées comme thérapeutiques, la loi pourrait alors autoriser leur arrêt, et pas seulement pour les personnes en fin de vie, mais tout au long du parcours de soins.

Enfin, la sédation profonde et continue modifie l’utilisation des traitements de son objectif principal. Elle permet d’éviter le ressenti de la douleur, mais aussi de la souffrance parce que c’est un processus d’endormissement.

L’article 3 de la loi pose problème car il fait disparaître le critère de l’intention. Il faut se demander quelle est l’intention de la sédation : accélérer la mort ou soulager les souffrances ?

Signalons, pour terminer, que le rapport Sicard précisait que : « L’administration de doses massives d’un sédatif ne peut pas s’appeler « à double effet ». Il s’agit que l’on veuille ou non d’une pratique euthanasique lente, surtout si elle est accompagnée de l’arrêt des traitements. »

M. Alain Claeys, corapporteur. J’interviendrai brièvement pour lever une ambiguïté. Véronique Massonneau et d’autres intervenants ont parlé des soins palliatifs tout en disant… que nous n’étions pas là pour parler d’une loi sur les soins palliatifs. Mais c’est un continuum, et on ne peut pas discuter de cette proposition de loi sans mettre en perspective le contexte.

Bien sûr, cette proposition de loi ne traite pas des soins palliatifs. Mais je crois que nous ferions collectivement une grave erreur en n’interpellant pas l’exécutif sur l’état actuel des soins palliatifs et de la formation. On ne peut pas opposer soins curatifs, soins palliatifs et fin de vie. C’est un continuum qui exige d’être extrêmement précis. Or dans l’ensemble des dispositifs qui existent dans notre pays, les soins palliatifs sont dispensés de façon inégale sur le territoire, notamment dans les maisons de retraite, à domicile, etc. Il faut qu’on le dise et que l’on obtienne un certain nombre de réponses.

Ensuite, à travers vos interventions, vous avez fait surgir, au-delà du débat sur l’aide active à mourir, toute une série de questions. Par exemple, M. Roger-Gérard Schwartzenberg a abordé l’idée introduite à l’article 2 – et non à l’article 3 – selon laquelle « la nutrition et l’hydratation artificielle constituent un traitement ». D’autres se sont interrogés sur l’adverbe « inutilement ». Mais toutes ces questions seront examinées à l’occasion des amendements qui devraient permettre d’améliorer notre propre texte.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Merci à tous les intervenants qui ont posé de bonnes questions. Les mots, dans ce texte, sont lourds, et ne pas admettre les réalités qu’ils recouvrent serait source de confusion. Nous devons avancer dans la clarté et bien exprimer ce que nous voulons avec ce texte.

Je remercie bien sûr Mme Delaunay et Mme Le Callennec qui ont exprimé le soutien de leur groupe à cette proposition de loi qui vise effectivement à rassembler.

Je voudrais rappeler à M. Touraine et à M. Sebaoun que c’est M. Sicard qui avait proposé l’exception d’euthanasie. J’ajoute que M. Sicard considère que depuis la loi de 2005, cette exception d’euthanasie n’a plus d’intérêt. On peut bien sûr en discuter, mais vous devez savoir qu’elle pose d’énormes problèmes dans une démocratie : qui la décide ? Ou c’est un droit ouvert, ou c’est un droit restreint. Mais restreindre un droit qui a vocation à être universel, c’est juridiquement très compliqué.

Monsieur Richard, ce texte n’ouvre pas la voie à l’euthanasie et au suicide assisté. C’est une évidence. Si tel avait été le cas, je n’aurais pas accepté la mission que m’a confiée le Premier ministre et je ne serais pas corapporteur. Il n’y a aucune ambiguïté sur ce point.

Monsieur Schwartzenberg, le Comité consultatif national d’éthique est hostile à l’aide active à mourir. On ne peut pas l’accuser d’être partisan d’autant que sa composition a été remaniée récemment. Je n’imagine pas que le Président de la République ait pu nommer des nouveaux membres sur la foi de leurs opinions en la matière.

Je tiens à vous dire amicalement que vous ne pouvez pas affirmer des choses fausses. Premièrement, en cas d’anesthésie générale, le patient n’a ni faim, ni soif. On peut dire qu’on meurt de déshydratation, même si cela ne correspond pas à la réalité. En revanche, dire qu’on meurt de souffrance, de faim et de soif sous une sédation profonde est un mensonge. Je l’entends de la part de l’Alliance Vita et de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité mais je m’étonne qu’un esprit aussi éclairé que le vôtre puisse le reprendre à son compte.

Deuxièmement, on peut débattre longtemps sur le point de savoir si l’hydratation et la nutrition artificielles sont un traitement. Selon moi, c’est le cas. Le Conseil d’État en a également jugé ainsi. Lorsqu’on met un tube dans l’estomac du patient, on lui demande son avis précisément parce qu’il s’agit d’un traitement.

Si la mort est un scandale, comme le pensait Vladimir Jankélévitch, ce texte a vocation à garantir l’absence totale de souffrance.

Pour abréger une vie au moyen d’une sédation profonde, il faut administrer au patient des doses d’Hypnovel dont la disproportion est évidente. La proposition de loi ne cherche pas à masquer l’euthanasie derrière la sédation profonde. Cette technique n’a pas d’autre but que d’empêcher toute douleur physique ou psychique.

Je suis d’accord avec Mme Hurel sur la nécessité de développer les procédures au domicile.

Madame Besse, les soins palliatifs ne sont pas oubliés. Le texte renvoie aux dispositions, déjà nombreuses, qui s’y rapportent. Nous ne sommes toutefois pas opposés à ce que le texte rappelle la nécessité de leur mise en œuvre, comme l’a soulignée la Cour des comptes dans son dernier rapport.

Beaucoup de bonnes questions ont été posées. Comme Mme la présidente, je considère qu’il n’y a pas ceux qui sont en avance et ceux qui sont en retard. Il n’y a pas d’un côté, les bons – Belges et Canadiens – et de l’autre, les mauvais – Français, Espagnols, Anglais ou Allemands. Chacun appréhende ces sujets avec sa culture. Les différences en la matière ne correspondent d’ailleurs pas à la traditionnelle séparation entre Nord et Sud. Les soins palliatifs sont nés en Angleterre ; l’euthanasie y est peu débattue car de très nombreux bénévoles accompagnent les personnes en fin de vie.

Ne cédons pas à la caricature ! Ces sujets méritent un débat dans lequel les mots sont posés sur des réalités. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait Albert Camus.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (art. L. 1110-5 du code de la santé publique) : Droit des malades et droit des patients en fin de vie

La Commission examine l’amendement AS122 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cet amendement prévoit la prise en compte du meilleur apaisement possible des douleurs dans les traitements et les soins qui sont apportés au patient.

M. Alain Claeys, corapporteur. Je suis favorable à cet amendement, sous réserve de substituer au terme de « douleurs » celui de « souffrance » qui figure déjà à l’alinéa 2 de l’article 4.

M. Élie Aboud. Cet amendement illustre le flou et le transfert de responsabilité vers le médecin que je dénonçais précédemment. J’en comprends l’esprit et j’y adhère. Mais, en tant que médecin, je pourrais, selon mes convictions, être amené à considérer que le meilleur apaisement réside dans la mort. La notion que vous introduisez avec cet amendement prête trop à interprétation.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. J’entends la remarque de M. Aboud mais cette notion vient compléter une phrase qui établit le cadre dans lequel celle-ci s’applique. Vos craintes sont infondées. Je remercie le rapporteur pour sa suggestion qui permet de prendre en compte la souffrance psychique qui est une réalité.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Je veux rassurer mon confrère. Le code de déontologie prescrit toutes les deux pages de tout mettre en œuvre pour apaiser la souffrance. Cela ne conduit pas pour autant à pratiquer l’euthanasie.

Que faisons-nous avec la sédation profonde jusqu’au décès, si ce n’est apaiser la souffrance, sans que cela ne relève de l’euthanasie ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je tiens à rappeler que dans cette commission, nous ne sommes rien d’autre que des élus de la nation. Nous ne débattons pas de médecin à médecin, mais entre collègues députés.

M. Gérard Sebaoun. J’attire votre attention sur l’alinéa visé. Celui-ci confère à toute personne le droit de recevoir tous les traitements. Or, les soins tendant à atténuer la douleur sont, que je sache, des traitements. Il ne m’apparaît donc pas nécessaire de préciser la notion de souffrance.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Tous les textes qui se rapportent à la fin de vie emploient deux termes qui sont peut-être ambigus : les traitements, d’une part, et les soins, d’autre part, ces derniers ayant une acception plus générale. En anglais, la distinction est plus claire entre cure et care. Cela ne me gêne pas d’introduire la précision souhaitée par Mme Le Dain car elle permet de viser la prise en charge globale du malade.

Mme la présidente Catherine Lemorton. La rectification de l’amendement est la suivante : les mots « des douleurs » sont remplacés par les mots : « de la souffrance » :

Suivant l’avis favorable des rapporteurs, la Commission adopte l’amendement ainsi rectifié.

La Commission est saisie de l’amendement AS123 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cet amendement tend à préciser que les actes médicaux sont conduits avec bienveillance.

M. Alain Claeys, corapporteur. Cette précision paraît inutile comme le reconnaît l’exposé sommaire de l’amendement en indiquant que « la bienveillance se développe de manière explicite au sein du corps médical ». Je vous suggère le retrait de votre amendement.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. J’accepte de le retirer. Je rappelle toutefois qu’il a fallu l’intervention du Président de la République pour que cette préoccupation soit prise en compte dans les études de médecine.

M. Élie Aboud. Peut-on imaginer des soins conduits avec malveillance ?

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement AS121 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je retire l’amendement au bénéfice des observations précédentes du rapporteur.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement AS146 des rapporteurs.

M. Alain Claeys, corapporteur. Il s’agit de la rectification d’une erreur matérielle.

La Commission adopte l’amendement.

La Commission examine l’amendement AS24 de Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Cet amendement a pour objet de remplacer le droit à une fin de vie digne et apaisée par le droit au respect de son choix de fin de vie. La notion de dignité, qui figure déjà dans le code de la santé publique, est trop subjective pour faire l’objet d’une définition universelle. Elle devrait reposer sur des critères précis. Je suis favorable au respect total du choix du patient. Tel est le sens de cet amendement.

M. Jean Leonetti, corapporteur. J’émets un avis défavorable sur cet amendement qui témoigne de la constance de Mme Massonneau. Il ouvre la voie à la mort donnée par le médecin à la demande du malade. Ce n’est pas l’objet de la proposition de loi. Je partage votre appréciation sur le flou qui caractérise la notion de dignité. Mais le respect du choix de fin de vie est également une notion suffisamment large pour inclure la demande de mort.

M. Philip Cordery. Je suggère à Mme Massonneau, à l’instar d’amendements à venir, d’ajouter au droit à la dignité du patient le respect de son choix de fin de vie plutôt que de l’y substituer.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission est saisie de l’amendement AS116 de M. Philip Cordery.

M. Philip Cordery. Chaque personne a le droit à une fin de vie apaisée pour mourir dans la dignité. Alors que les patients sont au cœur de la proposition de loi, la liberté de choix de ces derniers pour leur fin de vie est un principe essentiel qui doit être inscrit dans la loi.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Je suis défavorable à cet amendement qui est sans ambiguïté. L’exposé sommaire fait référence à l’assistance médicalisée active à mourir. Or, la proposition de loi n’a pas pour objectif d’ouvrir la voie à une euthanasie active.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel AS147 des rapporteurs.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AS11 de M. Gérard Sebaoun et AS68 de Mme Sandrine Hurel.

M. Gérard Sebaoun. Cet amendement affirme également le respect par les professionnels de santé du choix de fin de vie de la personne, mais je vous invite à considérer sa place dans le texte. L’amendement s’inscrit dans le droit fil des dispositions relatives aux droits des malades. La notion de dignité, aussi complexe soit-elle, doit être maintenue.

Les professionnels de santé ont pour mission d’être continûment aux côtés des patients en fin de vie. Ils veillent à utiliser l’ensemble des moyens à leur disposition, à commencer par les soins palliatifs. Au-delà, ils mettent en œuvre les nouveaux droits prévus dans la proposition de loi.

L’inscription de ce principe dans le troisième alinéa de l’article lui donne une signification différente de celle proposée dans les précédents amendements.

Mme Sandrine Hurel. L’amendement vise à consolider la notion de choix du patient quant aux conditions de sa fin de vie. Il prévoit que les actions des professionnels de santé doivent être cohérentes avec l’expression de la volonté du patient.

M. Jean Leonetti, corapporteur. J’exprime le même avis que sur les amendements précédents. L’objectif reste de laisser le libre choix total au malade, y compris d’une fin au moyen d’une euthanasie active. Le positionnement dans le texte n’y change rien : l’amendement aboutit aux mêmes résultats.

M. Gérard Sebaoun. Je m’inscris en faux contre l’argumentation du rapporteur. Le texte ne mentionne nulle part l’aide médicalisée à mourir. Le principe que défend cet amendement vaut pour les nouveaux droits donnés au patient. Le choix du malade intervient puisque vous lui proposez des directives anticipées ou la sédation profonde et continue. Il n’est pas question d’aide active à mourir. Vous extrapolez par rapport à ce que nous écrivons.

Mme Sandrine Hurel. L’idée est de renforcer le choix du patient à l’égard des outils proposés dans le texte.

M. Gérard Bapt. J’ai cosigné l’amendement AS68 car il se borne à demander que les décisions médicales prises pour assurer une fin de vie digne et apaisée soient cohérentes avec l’expression de la volonté du patient. Il ne faut pas y voir la volonté d’introduire une dimension supplémentaire.

M. Jean-Louis Touraine. Il s’agit de savoir si l’on respecte l’esprit de la loi, à savoir donner davantage de place au choix du patient, plutôt que de voir les décisions imposées par l’équipe soignante. Les patients ont le droit d’exprimer leur préférence sur les différentes possibilités qui leur sont offertes. Il ne faut pas voir de malice dans les formulations proposées qui ne font que rappeler l’esprit de la proposition de loi.

M. Alain Claeys, corapporteur. En l’absence de directives anticipées, les personnes n’ont-elles pas droit à une fin de vie digne et apaisée ?

Mme Michèle Delaunay. L’équivoque à laquelle prête cet amendement me fait retirer ma signature. Soit il est superfétatoire, soit il est équivoque. Son apport n’est pas suffisant pour justifier l’ambiguïté qu’il introduit.

M. Jean-Louis Touraine. Dans neuf cas sur dix, il n’y aura pas de directives anticipées. Il faut malgré tout que la personne, tant qu’elle est consciente, puisse exprimer sa préférence dans un cadre que nous pourrons définir. Le texte doit préciser que la volonté du patient l’emporte sur les décisions du personnel soignant.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Si le patient peut exprimer son avis, les directives anticipées n’ont pas d’intérêt.

Le texte ouvre deux droits nouveaux majeurs : le droit à une sédation profonde en phase terminale et le droit à des directives anticipées dont l’opposabilité est renforcée. De devoirs des médecins, ils deviennent des droits des malades. Soyons clairs, si on ouvre tous les droits à la demande du malade, nous devrons répondre à la demande de mort.

Si cet amendement entend défendre l’idée générale du respect du choix du patient, il n’a pas d’intérêt car cette question est abordée ultérieurement. S’il s’agit de donner une portée générale à ce principe, l’amendement dépasse les avancées proposées dans le texte.

M. Gérard Sebaoun. Plus je relis les alinéas 2 et 3, plus je suis convaincu que cet amendement a sa place. La volonté du patient n’apparaît nulle part dans l’article 1er alors qu’elle mérite d’y figurer, d’une manière ou d’une autre.

Mme Sandrine Hurel. Je peux entendre que cet amendement est superfétatoire mais notre volonté est d’insister sur le choix donné au patient. En revanche, il n’est pas équivoque. Vous avez reconnu à l’instant, monsieur Leonetti, que le patient doit s’exprimer s’il est en capacité de le faire. Je ne vois pas de malice dans cet amendement qui prévoit seulement que les moyens mis en œuvre doivent l’être en cohérence avec l’expression de la volonté du patient.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je crois comme mes collègues que l’article 1er doit faire référence au respect de la volonté du patient qui fonde le texte.

Si le patient ne souhaite pas recevoir la sédation profonde, que M. Leonetti a précédemment qualifiée très justement d’anesthésie, il faut qu’il puisse l’exprimer. Cette solution, qui semble présenter quelques inconvénients, ne doit pas lui être imposée.

M. Philip Cordery. Il y a une différence entre le droit à quelque chose et la liberté de choisir entre plusieurs possibilités. Il faut inscrire dans l’article 1er, qui garantit le droit à une fin de vie digne, le choix du patient quant aux moyens d’atteindre cet objectif.

M. Gérard Sebaoun. Je retire mon amendement au bénéfice de celui de Mme Hurel.

L’amendement AS11 est retiré.

Suivant l’avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l’amendement AS68.

La Commission examine l’amendement AS 25 de Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Je souhaiterais qu’il y ait un projet de loi sur l’aide active à mourir. Comment juger de la dignité d’un patient ? Je crois que c’est à lui seul qu’il revient de juger quelle est sa dignité ou son indignité. Cet amendement vise à le préciser dès l’article 1er.

M. Jean Leonetti, corapporteur. La notion de dignité est définie par des textes internationaux, textes relatifs aux droits de l’homme ou issus du Conseil européen, qui traitent du respect de la personne humaine. Ils définissent la dignité comme étant liée à notre humanité. L’expression « ma dignité » c’est l’estime de soi. Notre dignité ne peut être un élément d’appréciation. En revanche, quelle que soit notre situation ou notre souffrance, l’estime de soi procède de nous-mêmes. La dignité est liée à la personne humaine, et ne décline pas avec nos forces.

M. Élie Aboud. C’est faire une confusion que de dire que toute personne est seule juge de sa propre dignité et prétendre que cette même personne sera juge de sa fin de vie. Un patient en traitement psychiatrique, placé sous tutelle est digne à mes yeux mais est-il en état de juger ?

M. Gérard Bapt. M. Leonetti devrait préciser sa conception de la dignité humaine car la dignité d’un corps inconscient peut être jugée par son entourage. Un amendent déposé à l’article 3 traite de ce sujet. Vous semblez dire que seule une personne consciente est capable de porter un jugement sur sa propre dignité.

M. Gérard Sebaoun. La notion de dignité humaine relève bien de textes internationaux. M. Jean-Denis Bredin, en 2000, a dit du respect de soi que : « personne ne doit jamais être humilié, ni dans son esprit, ni dans son corps, ni dans sa vie, ni dans sa mort ». Un magistrat du Conseil supérieur de la justice de Belgique a considéré que : « De tous les droits de l’homme, c’est sans doute la dignité humaine, ce droit moderne, né des souffrances de l’humanité, fût-il incertain et même mouvant, qui donnera au juge les moyens de défendre ensemble la dignité et la liberté, sans doute inséparables, sinon confondues ».

M. Alain Claeys, corapporteur. Ces définitions donnent bien le double sens, personnel et universel, de la dignité.

Mme Michèle Delaunay. La notion de dignité humaine va au-delà de la mort même. Le cadavre aussi a droit au respect et, à ce stade, la notion échappe au soi.

M. Jean Leonetti, corapporteur. L’épisode fâcheux du lancer de nain illustre à l’envi ce débat entre liberté et dignité. Les personnes participant à ce « jeu » étaient consentantes. Le Conseil d’État a cependant interdit cette pratique en considérant, précisément, qu’elle portait atteinte à la dignité humaine et que la liberté de faire n’était pas garante de la dignité des intéressés. Dignité et liberté peuvent être confondues, mais aussi antagonisées et, dans ce cas, la jurisprudence du Conseil d’État montre bien que la dignité l’emporte sur la liberté.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 1er modifié.

Article 2 (art. L. 1110-5 du code de la santé publique) : Refus de l’obstination déraisonnable

La Commission est saisie de l’amendement AS165 des rapporteurs.

M. Alain Claeys, corapporteur. Le médecin ne doit ni poursuivre, ni a fortiori, mettre en œuvre des actes qui lui apparaissent inutiles ou disproportionnés afin de respecter le refus de l’obstination déraisonnable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AS166 des rapporteurs et AS214 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cet amendement vise à clarifier la formulation : « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable », en substituant au mot « par », le mot « avec » ; cela semble plus clair.

M. Alain Claeys, corapporteur. Votre amendement est satisfait par le nôtre.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je retire mon amendement au profit de celui des rapporteurs.

L’amendement AS214 est retiré.

L’amendement AS166 est adopté.

La Commission est saisie de l’amendement AS125 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il s’agit de préciser que les soins poursuivis de façon déraisonnable ou disproportionnée le sont dans l’attente de bénéfices escomptés, d’un certain mieux-être ou d’une amélioration au regard de la maladie et de la souffrance.

M. Gérard Sebaoun. Cet amendement, qui pourrait être de bon sens, est satisfait par la rédaction du deuxième alinéa de l’article 1er.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Je suis défavorable à cet amendement. Aux termes des lois du 4 mars 2002 relatives aux droits des malades et à la qualité du système de santé et du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, lorsqu’un malade est conscient, c’est lui qui détermine ce qui lui paraît disproportionné. Il peut refuser une amputation au péril de sa vie et il faudra alors se borner à lui dispenser des soins palliatifs. Votre rédaction restreint la notion d’acte disproportionné, elle obligerait à pratiquer l’amputation contre l’avis du patient. Elle risque d’affaiblir le libre arbitre de ce dernier au regard de ce qui utile ou inutile, proportionné ou disproportionné.

L’amendement est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement AS105 de Mme Sandrine Hurel.

Mme Sandrine Hurel. Cet amendement vise à renforcer la possibilité de choix du patient en ce qui concerne les conditions de sa fin de vie. Il doit pouvoir décider l’arrêt d’un traitement s’il juge celui-ci disproportionné.

M. Alain Claeys, corapporteur. L’amendement va au-delà du débat que nous avons eu sur l’article 1er. Il est satisfait par la loi du 4 mars 2002, dite Kouchner.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement AS75 de M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Cet amendement vise à reprendre les termes exacts utilisés par le conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) lorsqu’il a été interrogé par le Conseil d’État sur la notion d’obstination déraisonnable. Le CNOM a considéré qu’il y avait obstination déraisonnable dès lors qu’un patient était dans une situation de « maintien artificiel sans vie relationnelle et sans espoir d’évolution favorable ».

M. Jean Leonetti, corapporteur. La loi du 22 avril 2005 considère que l’obstination déraisonnable, lorsqu’elle a pour seul but le maintien artificiel de la vie, concerne les patients privés de conscience et de vie relationnelle. La décision du Conseil d’État l’a confirmé – avec une subtilité lorsqu’il a précisé qu’il s’agissait d’un malade spécifique. Qu’on lise Descartes ou Pascal, une personne, même sans conscience, est toujours digne, elle demeure humaine. On peut néanmoins se poser la question de la pertinence du maintien de sa vie qui n’est plus que biologique. À mes yeux, deux critères sont liés : pour être, il faut avoir conscience d’exister et avoir une relation à l’autre. En revanche, si j’ai conscience de moi-même mais que je n’ai pas de relation à l’autre, je suis encore dans une vie qui n’est pas que végétative. Il vaudrait alors mieux mentionner une absence totale de conscience et une absence totale de relation à l’autre. Cela correspond à ce que nous avons voulu écrire dans la proposition de loi au sujet des corps artificiellement maintenus en vie sans espoir d’évolution favorable.

On m’a fait dire que je voulais tuer toutes les personnes handicapées. Il ne s’agit pas de personnes polyhandicapées ou qui ont perdu leurs facultés cognitives mais de gens qui n’ont plus de conscience ni de relation à l’autre en raison de lésions cérébrales majeures et irréversibles. À la lumière de la décision du Conseil d’État, nous pourrions chercher une rédaction précisant ce que nous entendons par : d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie.

Mme Martine Carillon-Couvreur. Je suis reconnaissante à M. Leonetti d’avoir abordé un sujet qui mérite en effet des précisions. La question est de savoir jusqu’où on peut aller et ce que nous considérons être la conscience de soi et la relation aux autres. J’entends que l’on vous a fait des reproches ; il est vrai que nous sommes souvent interrogés par des proches de personnes atteintes de polyhandicaps graves. Il faudrait que nous approfondissions notre réflexion en la matière.

M. Gérard Sebaoun. Je suis prêt à retirer cet amendement sous réserve d’une réécriture présentée en séance.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Le Conseil d’État dit que, dans ces conditions, on peut arrêter le maintien artificiel de la vie et, lorsque cela est possible, sur le fondement de directives anticipées ou de témoignages. Il considère que cela est une condition nécessaire mais pas suffisante. Pour ma part, je considère qu’aller au-delà et maintenir en vie une personne qui n’a pas conscience d’elle-même ni de relation à l’autre entre dans le cadre de l’obstination déraisonnable.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement AS126 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il s’agit d’un amendement visant à clarifier la rédaction.

Suivant l’avis favorable des rapporteurs, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS167 des rapporteurs.

M. Alain Claeys, corapporteur. Cet amendement vise à préciser par quels moyens la volonté du patient sera prise en compte.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS127 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Plutôt que de renvoyer la mention des soins palliatifs à un autre article, cet amendement tend à préciser que les soins destinés à assurer la qualité de vie du patient, visés au présent article, sont des soins palliatifs.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Ce sont bien des soins palliatifs qui sont visés, donc l’avis est favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques AS2 de M. Dino Cinieri, AS97 de M. Dominique Tian et AS110 de M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Dino Cinieri. La nutrition et l’hydratation ne sont pas des traitements dans la mesure où ces apports sont aussi nécessaires au corps en bonne santé. Il faut donc les poursuivre jusqu’à la fin de la vie. L’hydratation ne maintient pas une personne en vie mais lui procure un bien-être que nous devons à toutes les personnes en fin de vie.

M. Dominique Tian. La nutrition et l’hydratation artificielles ne sont pas nécessairement utilisées pour des malades en fin de vie, elles n’ont pas pour objet de soigner mais de maintenir en vie. Elles ne peuvent donc pas être considérées comme thérapeutiques.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. L’importance de la nutrition et de l’hydratation artificielles est considérable. Le fait de les considérer comme des traitements conduirait à les arrêter automatiquement. Or qui peut nous garantir que les patients ne connaîtront pas des conditions de décès très pénibles ? Il s’agira d’une anesthésie et pas d’une sédation ; la personne sera alors coupée de tout contact avec l’environnement extérieur. Dans ces conditions, l’utilité de prolonger cette période, qui peut durer de huit à dix jours, est nulle pour le patient et la famille. Je comprends donc mal l’intérêt de l’ensemble de ce dispositif.

Mme Michèle Delaunay. Le corps médical en général est enclin à penser que l’on n’a ni faim ni soif dans ces conditions. Il faut cependant reconnaître que le défaut d’hydratation entraîne une sécheresse des muqueuses et de l’inconfort. J’ai, moi aussi, du mal à considérer l’hydratation comme une simple thérapeutique.

M. Alain Claeys, corapporteur. Nous ne faisons que reprendre la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014. Je rappelle que nous n’en sommes pas encore à l’article 3, relatif à l’arrêt des traitements, mais à l’article 2 qui a pour objet l’obstination déraisonnable.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Nous ne sommes pas ici les porte-plume du Conseil d’État mais le législateur. C’est précisément parce qu’il y a des jurisprudences parfois bizarres qui ne concordent pas entre elles que le législateur doit trancher sans s’en remettre à des juridictions, aussi prestigieuses soient-elles. Je rappelle que, sur un sujet évoqué précédemment, la Cour européenne des droits de l’homme a contredit le Conseil d’État.

M. Jean Leonetti, corapporteur. Le débat sur l’hydratation et la nutrition, en 2005, a abouti à un consensus pour reconnaître qu’il s’agissait d’un traitement. Une hydratation et une nutrition artificielles représentent une intervention sur le corps de l’autre. Cet acte consiste à ouvrir l’estomac pour y poser une sonde gastrique, c’est mettre une perfusion dans une veine. Selon la loi du 4 mars 2002, cela nécessite l’accord du patient. Il ne s’agit donc pas d’un soin simple mais d’une thérapeutique. La preuve en est que, passé un certain temps, on est conduit à remplacer la sonde gastrique par un tube placé dans l’estomac, c’est une gastrostomie, un geste chirurgical. Sauf à considérer que l’intervention chirurgicale n’est pas un traitement, il y a un problème. Aussi, placer quelqu’un sous respirateur constitue-t-il un traitement ? Vous allez répondre oui. Arrêter un respirateur dans certaines conditions est-il licite ? La réponse est oui lorsque, par exemple, il y a des lésions cérébrales irréversibles. Pourquoi serait-il moins naturel de faire circuler de l’air dans un poumon que d’ouvrir un estomac et y placer un tube pour faire passer des nutriments ?

Certes, la symbolique de l’hydratation et de l’alimentation peut ne pas être la même, cependant, je n’ai jamais entendu dire que l’arrêt d’un respirateur entraînait un étouffement désagréable du malade. M. Schwartzenberg a raison, nous sommes dans le cadre d’une anesthésie générale. Or, sous anesthésie générale, on ouvre des crânes ou des thorax, on coupe des jambes et jamais personne ne s’est réveillé en faisant état de sensations désagréables. Depuis la loi du 4 mars 2002, l’arrêt d’un traitement de survie, qui peut être interrompu ou ne pas être mis en œuvre, propose la mise en place d’une sonde gastrique qui peut être refusée par le patient. C’est bien qu’il s’agit d’un traitement. En revanche, le texte présenté aujourd’hui fait au médecin l’obligation – ce qui, auparavant, n’était qu’un devoir – de sédater profondément le malade afin d’éviter tout désagrément.

Lorsque l’on pratique une sédation, il est logique de ne pas appuyer à la fois sur le frein et l’accélérateur et de maintenir une vie de manière lente et excessive. On ne peut cependant pas dire qu’il y a une souffrance. En revanche, si on arrête l’hydratation d’une personne à qui on n’administre pas une sédation, Dominique Tian a raison, il s’agit d’un soin que le malade ne peut pas refuser. On ne peut pas dire qu’il ne s’agit pas d’un traitement. Cela le Conseil d’État ne l’a pas décidé : il a simplement constaté que, dans la loi du 22 avril 2005, cela est interprété comme un traitement. Il a alors fallu adapter la terminologie, faute de quoi, prendre un cachet d’aspirine relèverait du traitement alors que la pose d’une sonde gastrique relèverait du soin.

Dans la mesure où cela figure déjà dans la loi, nous aurions pu ne pas l’écrire dans le présent texte. Mais le retirer à ce stade risquerait de créer une confusion entre le soin et le traitement sur le plan juridique et judiciaire.

M. Gérard Sebaoun. Si l’on ne précise pas que l’alimentation et l’hydratation artificielles constituent un traitement, nous rencontrerons des difficultés à l’article suivant qui prévoit la sédation jusqu’au décès et l’arrêt de tout traitement.

M. Alain Claeys, corapporteur. Comme l’a dit M. Leonetti, il faut se reporter à l’article 3.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

La séance est levée à vingt heures cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 17 février 2015 à 17 h 30

Présents. – M. Élie Aboud, M. Joël Aviragnet, M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Véronique Besse, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, Mme Sylviane Bulteau, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Alain Claeys, M. Stéphane Claireaux, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Patrick Gille, Mme Sandrine Hurel, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, M. Laurent Marcangeli, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, Mme Monique Orphé, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Gérard Sebaoun, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Louis Touraine, M. Jean Jacques Vlody

Excusés. – Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Christian Hutin, Mme Bérengère Poletti, M. Olivier Véran

Assistaient également à la réunion. – M. Dino Cinieri, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg