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Commission des affaires sociales

Mercredi 6 mai 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 46

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition de M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi (n° 2739) (M. Christophe Sirugue, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 6 mai 2015

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission procède à l’audition de M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi (n° 2739) (M. Christophe Sirugue, rapporteur)

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi : après avoir entendu ce matin les partenaires sociaux, nous auditionnons cet après-midi les deux ministres concernés par le texte : M. Rebsamen, compétent pour les titres I à III, et Mme Touraine pour le titre IV.

Ce projet de loi a été présenté en conseil des ministres le 22 avril : important et attendu, il soulève de nombreuses questions, comme l’ont montré les longues interventions des partenaires sociaux. Sans entrer dans le détail, je me bornerai à souligner que ce texte de modernisation sociale et de solidarité est en parfaite cohérence avec les objectifs poursuivis par la majorité depuis 2012.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs, je vous remercie de nous avoir invités, ma collègue Marisol Touraine et moi-même, à vous présenter le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi.

Je laisserai à Mme Touraine la parole sur le volet important du projet de loi qui concerne la prime d’activité.

Je commencerai par l’histoire de ce texte.

Le dialogue social est la marque du quinquennat de François Hollande. Depuis 2012, cette méthode a fait ses preuves : les trois grandes conférences sociales et les cinq accords nationaux interprofessionnels sont l’expression de cette réussite. En juillet dernier, j’ai proposé aux partenaires sociaux de se saisir de la question de l’efficacité du dialogue social dans l’entreprise : nous l’avons évoquée lorsque je suis venu devant votre commission le 9 juillet dernier.

Si ces négociations n’ont pas abouti, cela ne marque ni l’échec du dialogue social dans son ensemble, ni la fin des réformes menées par le Gouvernement sur ces sujets. Légitimement, le Gouvernement a repris la main.

Pour avancer sur ces sujets cruciaux pour tous les salariés et toutes les entreprises du pays, il a fallu viser un point d’équilibre. C’est à cette fin que j’ai consulté les représentants syndicaux et patronaux tout au long du processus d’élaboration du projet de loi. Je crois pouvoir affirmer devant vous que le point d’équilibre est atteint. Le texte que je vous présente est le fruit de plus de neuf mois de dialogue avec les partenaires sociaux.

Il était important que le Gouvernement prenne ses responsabilités en préparant un projet de loi sur le sujet, car les salariés et les entreprises de notre pays ont tout à gagner, chacun en conviendra, à un dialogue social de meilleure qualité.

Le dialogue social existe. Chaque année, près de 36 000 accords sont conclus dans les entreprises. Toutefois, des sondages récents font apparaître qu’un tiers seulement des salariés auraient une bonne image des syndicats, ce qui donne une idée de la crise de légitimité auxquels ils sont confrontés. Cette crise n’épargne d’ailleurs pas les autres formes de représentation, à commencer par les élus. Ma conviction est qu’il est plus que jamais nécessaire de redonner de la force aux représentants du personnel. Je crois également que ce défi pourra être relevé en partant du niveau de vie le plus proche des salariés, c’est-à-dire de l’entreprise.

Créer les conditions d’un dialogue social plus vivant, plus efficace et plus proche des réalités des entreprises et des préoccupations des salariés, c’est répondre à la fois à une double exigence démocratique et d’efficacité économique.

Une exigence démocratique, tout d’abord : le principe de la participation des salariés est inscrit dans la Constitution. Il est juste en effet que les salariés soient associés, par l’intermédiaire de leurs représentants, aux décisions qui concernent leurs conditions de travail, leur pouvoir d’achat, leur formation et leurs emplois. Ils ont le droit, et ce droit doit être effectif et réel, de participer aux choix stratégiques qui déterminent non seulement leur vie dans l’entreprise, mais bien souvent aussi leur avenir.

Un dialogue social plus performant permet également de répondre à une exigence d’efficacité, sociale tout d’abord : des relations plus confiantes dans les entreprises sont le gage d’une meilleure qualité de vie au travail. Un dialogue social constructif, c’est également l’assurance que les fruits de la croissance, lorsqu’elle est là, profiteront à tous et qu’en cas de difficultés pour l’entreprise, des solutions justes seront trouvées. C’est ce qu’attendent nos concitoyens.

Un dialogue social plus performant est de surcroît un facteur décisif d’efficacité économique. On parle beaucoup de coût du travail et du capital : or ces points ne sont pas les seuls à entrer dans la compétitivité d’une entreprise. Sa capacité à innover, à améliorer la qualité de ses produits et à satisfaire les attentes de ses clients – tout ce qu’on appelle la compétitivité hors coût – est tout aussi importante. En la matière, l’exemple de nos voisins allemands, suédois ou autrichiens, doit nous inspirer. La capacité qu’ont eue certains leaders de la DGB – Deutscher Gewerkschaftsbund – allemande à prendre toute leur part dans les décisions stratégiques qui se sont révélées très positives dans les grands groupes, par exemple automobiles, montre que c’est un non-sens d’opposer dialogue social et performance économique. Chacun le sait ici : les deux sont complémentaires.

Pour être performante, l’entreprise doit être un lieu de coopération et d’engagement collectif. Il lui faut investir dans les compétences en en préparant une gestion prévisionnelle et s’inscrire dans le long terme. Les salariés doivent également pouvoir être entendus et participer aux débats qui permettent de définir les orientations stratégiques, avec, à la clef, un climat social apaisé et une motivation plus forte et plus importante des salariés.

Telle est ma conviction : un dialogue social plus efficace est vital à la fois pour les salariés, pour les entreprises et pour le pays.

Comment se satisfaire du nombre élevé d’entreprises et de salariés exclus, de droit ou de fait, du dialogue social ? Comment se satisfaire des discriminations qui touchent ceux qui s’engagent au service des autres salariés, qu’ils soient délégués du personnel ou délégués syndicaux ? Comment se satisfaire, enfin, de discussions où la forme, bien souvent, prend le pas sur le fond, sans que la voix des uns et des autres puisse porter comme il se doit ?

Le projet de loi que je vous présente aujourd’hui est un texte de progrès social, qui changera le quotidien des millions de salariés et des milliers d’entreprises que compte notre pays. Il vise quatre objectifs.

Premier objectif : assurer la représentation de tous les salariés. Pour l’heure, seuls les salariés des très petites entreprises de quelques secteurs – l’artisanat ou l’agriculture, par exemple – ont accès à la représentation. Mon ambition est de permettre à chacun des 4,6 millions de salariés des TPE de notre pays d’être représenté sous une forme qui corresponde aux spécificités des entreprises de très petite taille. C’est pourquoi le projet de loi prévoit la création de commissions paritaires régionales, composées d’employés et d’employeurs issus des TPE. Ces commissions seront des lieux de dialogue et de conseil pour les salariés comme pour les employeurs. Ce sera une première en Europe ; la démocratie sociale s’en trouvera renforcée à la fois dans les TPE et dans notre pays.

Deuxième objectif : rendre le dialogue social plus vivant et plus efficace.

Je le soulignais en préambule : certaines obligations de consulter et de négocier sont aujourd’hui trop formelles, au détriment de débats stratégiques dans lesquels les salariés peuvent réellement faire entendre leur voix et peser sur les décisions qui sont prises. Ce constat est très largement partagé par les partenaires sociaux.

C’est ainsi que la mesure proposée dans le projet de loi s’inscrit dans la continuité d’un travail engagé de longue date par les partenaires sociaux. Elle prolongera en leur donnant toute leur portée les dispositions de la loi sur la sécurisation de l’emploi, qui elles-mêmes reprenaient l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Je pense notamment à la mise en place de la consultation sur les orientations stratégiques et à la création d’une base unique de données économiques et sociales, qui est actuellement déployée dans les entreprises. Ces mesures visaient déjà à mettre les représentants du personnel au cœur de la prise de décision.

C’est un nouveau cap très important que le texte permettra de franchir en prévoyant de passer de dix-sept obligations d’information et de consultation à trois consultations annuelles : la première portera sur les orientations stratégiques et leurs conséquences, la deuxième sur la situation économique et financière, la troisième sur la situation sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Les douze obligations de négociations seront quant à elles regroupées en trois blocs cohérents : le premier portera sur la rémunération, le temps de travail et la répartition de la valeur ajoutée, le deuxième sur la qualité de vie au travail, et le troisième sur la gestion des emplois et des compétences. Le dialogue social aura ainsi beaucoup plus de sens pour tous. C’est un aspect très important, qui redonnera, nous l’espérons, un élan aux vocations syndicales ou de représentants du personnel. Elles en avaient bien besoin…

Troisième objectif : adapter les institutions représentatives du personnel à la taille des entreprises.

J’ai souhaité partir d’un principe clair : toutes les institutions ont leur pertinence. C’est pourquoi elles sont toutes maintenues, avec les missions et les compétences qui leur sont associées. Ce que prévoit le projet de loi, c’est un fonctionnement plus simple et mieux adapté à la spécificité des entreprises, notamment celles de petite taille. Il suffit de tourner le regard vers nos voisins européens pour trouver chez eux un droit plus simple ou des possibilités d’adaptation en fonction de la taille ou de la nature des entreprises. Une inspiration est sans doute à puiser dans ces formes d’adaptation.

La possibilité de mettre en œuvre une délégation unique du personnel (DUP) sera étendue aux entreprises jusqu’à 300 salariés. Cette DUP comprendra également le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Pour les entreprises de plus de 300 salariés, il sera possible de regrouper tout ou partie des institutions représentatives du personnel (IRP) afin de créer un cadre de discussion plus souple. L’accord majoritaire, c’est-à-dire celui qui sera conclu par des syndicats qui ont obtenu 50 % des voix aux élections professionnelles, permettra aux acteurs du dialogue social de définir eux-mêmes non seulement le périmètre des instances et ses règles de fonctionnement, mais aussi les moyens des représentants, qui pourront être renforcés. Ce sera une reconnaissance du rôle central des syndicats, qui sont les mieux à même de redéfinir une partie des règles du jeu. Qui pourrait penser qu’ils concluraient des accords qui iraient contre le dialogue social ? Ce ne serait pas leur faire confiance !

Il n’est pas question, comme d’aucuns ont pu le craindre, d’affaiblir ou de faire disparaître le CHSCT. Au contraire, le projet de loi prévoit de le valoriser et de le renforcer. Au sein de la DUP, il conservera toutes ses prérogatives, notamment celles d’ester en justice et de recourir à des expertises. Dans le cadre des institutions regroupées par accord majoritaire dans les entreprises de plus de 300 salariés, une commission spécifique portant sur les sujets d’hygiène, de santé et de conditions de travail sera instituée. Le projet de loi prévoit enfin que tout salarié d’un établissement appartenant à une entreprise de plus de cinquante salariés sera couvert par un CHSCT, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. C’est une avancée importante car, depuis les lois Auroux, le CHSCT est au cœur des questions de sécurité, de santé au travail et de qualité de vie dans les entreprises.

Quatrième et dernier objectif : reconnaître, valoriser et favoriser l’engagement des salariés dans l’entreprise.

Les inégalités salariales dont sont victimes certains représentants du personnel, notamment syndicaux, ne sont pas acceptables. Elles sont cependant une réalité : elles nuisent à l’engagement, notamment des plus jeunes. Le projet de loi prévoit donc un mécanisme de non-discrimination salariale, qui concernera tous les représentants du personnel dont les heures de délégation occupent 30 % ou plus du temps de travail. Il prévoit également de développer les conditions d’une meilleure articulation entre engagement syndical et vie professionnelle. Un entretien de prise de fonctions, au début du mandat, et un entretien de repositionnement professionnel, à 1’issue de mandat, seront institués.

Le projet de loi prévoit en outre un dispositif de valorisation des compétences acquises au travers de l’exercice d’un mandat, qui permettra à tous ceux qui s’engagent de voir leur expérience au service des autres salariés valorisée.

Il faut par ailleurs continuer d’agir en faveur de l’égalité femmes-hommes. C’est pour répondre à cette ambition que l’obligation de représentation équilibrée entre femmes et hommes sur les listes des élections professionnelles est inscrite dans le projet de loi. C’est une novation majeure du projet de loi. Dans la lignée de ce qui a été accompli dans le domaine politique, la représentation équilibrée doit progresser dans le domaine social. Elle passe également par la composition des instances représentatives du personnel. Le Gouvernement a une volonté très forte d’agir en ce sens.

Voilà pour la partie du texte qui porte sur le dialogue social. Il faut le mesurer, ce sera une réforme profonde qui transformera durablement les relations de travail dans les entreprises, au bénéfice des salariés, de l’efficacité des entreprises et de la croissance dont notre pays a tant besoin.

Le projet de loi comporte deux autres volets dans le champ du travail et de l’emploi, qui marquent eux aussi des avancées sociales.

Le premier concerne l’intermittence du spectacle.

La loi sanctuarisera et pérennisera le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle. Elle définira également une méthode, qui mettra les partenaires sociaux au centre de la prise de décision. L’enjeu est de mieux articuler les niveaux interprofessionnel et professionnel pour une approche renouvelée et, espérons-le, plus efficace des négociations.

Je tiens à saluer une nouvelle fois la qualité des travaux de Mme Archambault et de MM. Combrexelle et Gille. Ce dernier, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour cette partie du texte, s’assurera jusqu’au bout du processus législatif que leurs propositions seront bien traduites dans la loi.

Le second volet concerne le compte personnel d’activité et, plus largement, la sécurisation des parcours professionnels. La création du compte personnel d’activité est une réforme majeure qui marquera notre histoire sociale. Comme l’a dit le Président de la République, ce compte, qui sera un droit pour tous à l’horizon 2017, sera le capital de ceux qui travaillent. Il rassemblera les droits individuels des salariés, à commencer par les droits à la formation : compte personnel à la formation, compte épargne-temps, compte pénibilité. L’ambition du Gouvernement est de réunir ces droits en un seul « lieu » et de les décloisonner pour permettre à chacun d’être acteur de son parcours professionnel. Ce compte préfigure l’avenir de nos droits sociaux. Chaque salarié pourra construire son parcours selon ses aspirations, sans crainte de la mobilité et surtout sans avoir à pâtir de ses choix. C’est un sujet sur lequel nous devrons travailler ensemble, sur la base des propositions des partenaires sociaux, qui seront consultés et se trouveront au cœur de l’élaboration des dispositions.

La loi contiendra également des mesures concrètes en faveur des publics les plus éloignés de l’emploi. Le rôle central de l’AFPA – Association pour la formation professionnelle des adultes – dans le service public de l’emploi sera reconnu comme tel et renforcé.

En conclusion, ce projet de loi défend une conception ambitieuse du progrès et de la démocratie sociale. Je sais pouvoir compter sur vous pour enrichir ses dispositions dans un esprit d’équilibre.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, monsieur le ministre.

Nous avons le plaisir d’accueillir deux de nos collègues de la Délégation aux droits des femmes : Mme Coutelle, sa présidente, et Mme Mazetier, sa rapporteure pour avis, puisque la Délégation s’est saisie pour avis du texte.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les députés, j’interviens pour présenter le titre IV du projet de loi, qui crée la prime d’activité.

Avant d’en exposer les principes et la mise en œuvre, je tiens à saluer tout particulièrement les travaux de votre collègue Christophe Sirugue, qui ont fortement inspiré cette réforme majeure pour le soutien de l’activité salariée et du pouvoir d’achat des travailleurs modestes.

La prime d’activité traduit l’engagement du Gouvernement en faveur du travail. Comme j’ai entendu un grand nombre d’interrogations à son sujet, je tiens à préciser les deux objectifs que nous poursuivons à travers la mise en œuvre de ce dispositif.

Il s’agit tout d’abord de valoriser, y compris sur le plan financier, la reprise ou l’augmentation d’activité, qui peuvent se traduire par des coûts supplémentaires pour les salariés. La reprise ou l’augmentation d’activité peuvent en effet faire perdre à un salarié le bénéfice des aides sociales qu’il percevait dans le cadre du revenu de solidarité active (RSA) ou le conduire à des dépenses supplémentaires – frais de déplacement ou de garde d’enfant, par exemple.

Le second objectif, qui se superpose au premier, est de donner du pouvoir d’achat à des Français qui ont parfois le sentiment qu’ils n’ont droit à rien parce qu’ils gagnent trop pour bénéficier d’aides sociales, mais pas assez pour être concernés par les baisses d’impôts qui bénéficieront à 9 millions de foyers fiscaux dès la rentrée prochaine.

La prime d’activité soutiendra les Français qui prennent ou reprennent une activité, ce qui ne signifie pas que les salariés à temps très partiels n’en bénéficieront pas. Toutefois, c’est entre 80 % du SMIC et un peu plus du SMIC que le gain sera le plus important par rapport à aujourd’hui. Ainsi, un travailleur célibataire et sans enfant percevant le SMIC à temps plein pourra percevoir une prime de quelque 130 euros par mois, ce qui représentera un gain de 67 euros de pouvoir d’achat par rapport à ce qu’il perçoit à l’heure actuelle en aides diverses. Il convient en effet de comparer le montant de la prime avec le supplément de pouvoir d’achat que cette prime offre à son bénéficiaire par rapport aux dispositifs actuels.

Des dispositifs existent déjà, notamment la prime pour l’emploi et le RSA activité. Toutefois, l’empilement de ces mesures les rend illisibles et inefficaces. Le RSA activité renvoie vers l’aide sociale ce qui doit relever de la valorisation du travail ; quant à la prime pour l’emploi, elle est perçue par des Français qui ne le savent même pas ou ne s’y attendent pas. Ces deux dispositifs sont donc supprimés. Les ressources qui y sont consacrées seront affectées au financement de la prime d’activité – soit 4 milliards d’euros au total.

À partir de ces principes et dans le cadre de cette enveloppe financière, je souhaite insister sur trois points.

Premièrement, je veux rappeler ce que la prime n’est pas. La prime d’activité soutient l’activité : ce n’est donc pas un mécanisme de lutte contre la pauvreté.

Des mesures ont déjà été adoptées contre la pauvreté, notamment dans le cadre du plan ambitieux contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, dont la revalorisation exceptionnelle de 10 % du RSA, la revalorisation de 25 % à 50 % d’allocations familiales ou encore la Garantie jeunes – je ne suis pas exhaustive. Ces mesures, qui produisent des résultats, ciblent les personnes les plus pauvres. Ce n’est pas l’objet de la prime d’activité.

Deuxième point : le barème de la prime, qui détermine sa montée en puissance. Ceux qui avaient droit au RSA activité en travaillant quelques heures par semaine ne se retrouveront pas dépourvus de toute aide. Le texte ne fera aucun perdant parmi les personnes les plus modestes et les travailleurs les plus précaires, qui sont souvent des femmes. Toutefois, c’est à partir d’un demi-SMIC que les salariés bénéficieront d’un gain de pouvoir d’achat significatif par rapport à aujourd’hui : c’est en effet le niveau à partir duquel les personnes perdent le bénéfice du RSA et des compléments qui l’accompagnent, notamment l’allocation logement.

À titre d’exemple, pour un célibataire sans enfant qui gagne entre 0,8 et 1,1 SMIC, autrement dit entre 900 et 1 200 euros nets par mois, le gain de pouvoir d’achat sera d’environ 67 euros par mois. Le dispositif s’arrête à 1,3 SMIC.

La troisième caractéristique de la prime, qui découle de ses objectifs, est de valoriser une activité nécessairement individuelle : toutefois, comme elle prend le relais du RSA activité qui, lui, est familialisé, nous avons introduit une variable de familialisation qui permet de prendre en compte la composition de la famille. Le dispositif conjugue donc individualisation et familialisation afin qu’aucun travailleur à bas revenus ayant charge de famille ne soit perdant – je pense en particulier aux familles nombreuses ou aux familles monoparentales.

En revanche, le caractère individualisé de la prime fait que, dans un couple, lorsque le conjoint, le plus souvent la femme, prend ou reprend une activité, cette prise ou reprise d’activité est valorisée à part entière. Chacun des deux revenus est valorisé de manière équivalente, ce qui n’est pas le cas avec le RSA activité.

La prime d’activité traduit également l’engagement du Gouvernement pour la jeunesse, puisqu’elle ouvre un droit nouveau pour plus d’un million de jeunes actifs. Parmi les 5,6 millions de travailleurs modestes susceptibles de bénéficier de la prime, plus d’un million seront des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans. Aujourd’hui, ils sont à peine 5 000 à bénéficier du RSA activité. La comparaison de ces deux chiffres est spectaculaire.

En effet, la prime d’activité sera ouverte aux actifs à partir de dix-huit ans, sans discrimination pour les actifs de dix-huit à vingt-cinq ans, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, puisque les jeunes actifs en bénéficieront selon les règles de droit commun, sans restriction particulière. C’est une avancée sociale majeure pour ceux qui, comme moi, défendent l’universalité de la protection sociale. Rien ne justifie qu’à travail égal un jeune ne reçoive pas la prime d’activité au seul motif qu’il est jeune.

La prime d’activité visant à soutenir une meilleure insertion sur le marché du travail, le projet de loi écarte de la prime d’activité les jeunes en formation initiale. Il existe pour eux d’autres dispositifs. Faire de la prime d’activité un instrument de soutien financier aux étudiants, par exemple, sans considération de leur activité reviendrait à brouiller le message.

Toutefois, lorsqu’un jeune travaille à temps plein ou presque ou qu’un salarié reprend par ailleurs des études pour se qualifier, ils doivent être davantage considérés comme des salariés en étude que comme des étudiants stricto sensu. Quant aux apprentis en troisième année d’apprentissage, ils sont en passe d’achever leur intégration professionnelle. C’est pourquoi, conformément au souhait du Président de la République, la prime d’activité sera étendue par amendement gouvernemental aux étudiants et aux apprentis, dès lors qu’ils ont une activité substantielle d’au moins 78 % du SMIC – nous avons parlé de 0,8 SMIC par souci de simplicité, mais il n’était évidemment pas question d’écarter les apprentis. Or le taux de 78 % correspond à la fois à la rémunération garantie d’un apprenti en troisième année d’apprentissage ayant au moins vingt et un ans et au niveau de ressource individuelle à partir duquel le jeune travailleur est considéré non plus comme à la charge de ses parents pour les prestations sociales, mais comme un actif autonome.

La prime d’activité s’inscrit donc dans le cadre de la modernisation de la protection sociale que nous avons engagée depuis trois ans pour l’adapter aux mutations du monde du travail. Comme d’autres réformes, elle renforce les garanties collectives attachées à des parcours professionnels individuels, en accompagnant les salariés lors de périodes d’emploi précaire ou faiblement rémunéré.

En cela, la protection sociale n’est pas de l’assistanat, comme se plaisent à le répéter certains, qui ont oublié que la protection sociale a précisément été mise en place pour accompagner les risques nés de l’organisation du travail instaurée par la révolution industrielle. C’est ce que nous faisons avec cette réforme comme nous l’avons fait pour les carrières longues ou la pénibilité : en renforçant la protection sociale, nous renforçons les droits attachés au travail.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Je veux insister sur l’importance de ce texte, qui permet des avancées significatives sur des sujets débattus parfois depuis fort longtemps par les partenaires sociaux.

Il en est ainsi de la représentation des salariés des TPE, de la simplification et de l’adaptation à la taille des entreprises du fonctionnement des institutions représentatives du personnel, de la reconnaissance du parcours et de l’acquisition des compétences de ceux qui choisissent de consacrer du temps à un mandat syndical, ou encore du compte personnel d’activité. S’agissant enfin de la prime d’activité, il convenait d’en finir avec l’injustice d’un dispositif excluant une partie de nos concitoyens, en l’occurrence les jeunes, et d’imaginer une nouvelle approche de l’accompagnement des travailleurs qui ont besoin de la solidarité nationale.

Monsieur le ministre, l’article 1er traite de l’institution de commissions paritaires interprofessionnelles au niveau régional en vue de représenter les salariés et les employeurs des entreprises de moins de onze salariés. Les auditions auxquelles nous avons procédé révèlent des inquiétudes sur la nature des représentants issus de ces entreprises. Il est évidemment avantageux de disposer de représentants au plus près des réalités : toutefois, les organisations syndicales nous ont alertés sur les difficultés qu’elles pourraient rencontrer à trouver un vivier suffisant. Est-il envisageable d’assouplir le profil des personnes susceptibles d’être élues dans ces commissions ?

La mise en place de la délégation unique du personnel a pour objectif de lisser les seuils sociaux dans le souci de favoriser l’emploi – la question des seuils sociaux a été posée par plusieurs de nos collègues de l’opposition au cours des auditions de ce matin. Le projet de loi élargit la DUP aux entreprises de 300 salariés : c’est une bonne chose. Toutefois, monsieur le ministre, dispose-t-on d’études prouvant que la possibilité de mettre en place la DUP favorise l’emploi ? De la même manière, des effets sur l’emploi sont-ils attendus du gommage, prévu par l’article 16 du texte, des effets de seuil applicables aux PME ?

L’article 15 élargit la possibilité de négocier l’accord avec des élus du personnel non mandatés par une organisation syndicale. La question du mandatement est un sujet délicat que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ensemble : un tel dispositif ne risque-t-il pas d’aboutir à l’affaiblissement, voire à l’évitement des organisations syndicales ?

Je laisserai à M. Gille le soin d’évoquer la question des intermittents.

S’agissant de la création du compte personnel d’activité, de quels éléments sera-t-il composé ? Pourriez-vous préciser votre propos sur le sujet ?

Madame la ministre, comment seront prises en compte la composition et les charges du foyer pour la part familialisée de la prime d’activité ? Quelles seront les différences à ce sujet avec le RSA activité ? Quelles sont enfin – question fondamentale – les simplifications envisagées de la base ressource ?

S’agissant des étudiants et des apprentis qui pourraient bénéficier de la prime d’activité, est-il envisagé de définir une durée minimale d’activité ouvrant droit à la prime ? Il s’agit, pour parler clair, d’éviter de rendre éligibles à cette prime les jobs d’été.

Enfin, comment sera financé à enveloppe budgétaire constante l’élargissement de la prime aux étudiants et aux apprentis concernés ?

M. Jean-Patrick Gille, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, l’article 20 du texte reprend le « scénario de sortie de crise » qu’Hortense Archambault, Jean-Denis Combrexelle et moi-même avions esquissé dans le cadre de la mission de concertation que nous avons conduite au second semestre de 2014 à la suite du conflit des intermittents du spectacle.

Il s’agit d’inscrire dans la loi et le code du travail un cadre stabilisé permettant de conforter le régime tout en le contenant, reprenant le scénario que nous avions esquissé, sinon par consensus, du moins à la suite de discussions associant tous les partenaires.

À cette fin, le principe de règles spécifiques aux métiers du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma sera inscrit dans le code du travail, ce qui permettra de pérenniser l’existence des annexes VIII et X et d’écarter dorénavant tout chantage sur leur maintien à chaque cycle de négociations. C’est bel et bien, contrairement à ce que l’on entend parfois, une manière de sanctuariser le régime de l’intermittence en l’inscrivant dans la solidarité interprofessionnelle de l’assurance chômage.

Il fallait revoir la méthode de négociation, d’où proviennent la plupart des problèmes qui engendrent, je le rappelle, un conflit tous les deux ans et un gros conflit tous les dix ans. En effet, comme c’est le secteur interprofessionnel qui gère, selon la loi, les règles de l’assurance chômage, y compris les mesures relatives aux annexes VIII et X, et que les employeurs et les salariés concernés par ces annexes ne sont pas présents aux négociations dont ils ne font que découvrir les résultats, ces derniers ont pris l’habitude, pour les contester, de se tourner vers l’État, lequel rappelle à son tour que la négociation incombe aux seuls partenaires sociaux… Pour en finir avec ce « triangle infernal », il fallait trouver un dispositif permettant d’associer les professionnels concernés aux négociations menées par les partenaires sociaux interprofessionnels au sein de l’UNEDIC. L’article 10 prévoit, par souci de subsidiarité, de déléguer aux partenaires sociaux représentatifs de l’ensemble des professions du spectacle la négociation de leurs règles spécifiques, à charge pour eux de transmettre aux partenaires sociaux au niveau interprofessionnel, qui aura le dernier mot, un document de cadrage. Peut-être serons-nous amenés à préciser ce point : convient-il d’instaurer une concertation préalable obligatoire ? En effet, l’ensemble des partenaires craint l’autonomisation du cadrage financier pour le seul secteur du spectacle, alors que toute négociation doit s’inscrire dans les règles générales de l’assurance chômage. Il conviendrait donc que les partenaires sociaux s’entendent sur un cadrage général de l’assurance chômage préalablement à la concertation des partenaires représentatifs d’un secteur professionnel.

Il s’agissait enfin d’actualiser la liste des métiers autorisant, sans le rendre obligatoire, le recours au contrat à durée déterminée d’usage (CDDU). Nous avions songé à mieux encadrer le CDDU : les auditions ont montré que les partenaires sociaux, sans y être formellement opposés, ne sont pas demandeurs. Une conférence sur l’emploi culturel est prévue pour le mois de septembre, les discussions visant à la préparer débutant au mois de mai.

L’article 10 du texte s’inscrit dans le cadre de la responsabilisation des différents acteurs, responsabilisation qui permettra de reconnaître le rôle d’un secteur professionnel important qui a su se structurer et qui pèse pour 3 % du produit intérieur brut. Il convient donc de l’accompagner en matière de dialogue social, notamment dans l’articulation entre le plan interprofessionnel, qui a la légitimité, je le répète, pour établir les règles de l’assurance chômage, et ce secteur professionnel, dont les spécificités sont fortes.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La délégation aux droits des femmes s’est saisie de ce texte, car si les femmes représentent 48 % de la population en termes d’emploi, elles représentent plus de 72 % des travailleurs pauvres et moins de 37 % des élus du personnel. La délégation est donc très intéressée par ce texte et en salue les avancées.

Monsieur le ministre, l’article 1er instaure les commissions paritaires régionales interprofessionnelles : ne conviendrait-il pas de créer d’emblée de bonnes habitudes en prévoyant que ces commissions seront composées à parité d’hommes et de femmes ?

Nous saluons l’article 5, qui introduit l’obligation pour les listes aux élections professionnelles de comprendre une proportion de femmes et d’hommes qui reflète leur proportion respective dans les collèges électoraux. Le Gouvernement travaillant depuis 2012 à favoriser la mixité des métiers, ne conviendrait-il pas d’aller plus loin qu’une représentation « miroir » en instaurant des bonus, par exemple en heures de délégation, pour les organisations syndicales qui iraient au-delà de ce qui est exigé en la matière ? Ne serait-il pas également possible d’accompagner ce très bel article 5 de mesures visant à lever les freins à l’engagement syndical ? Celles qui tendent à valoriser les acquis de l’expérience ou à lutter contre les discriminations vont évidemment dans le bon sens : toutefois, le taux d’heures de délégation est trop haut pour concerner la plupart des femmes élues, qui n’ont qu’un mandat et donc peu d’heures de délégation. Il conviendrait d’instaurer des mécanismes d’incitation à l’engagement des femmes dans l’activité syndicale et le dialogue social.

Les articles 13 et 14 modifient substantiellement les modalités d’information, de consultation et de négociation. Si nous adhérons naturellement à l’objectif de simplification, d’identification et de dynamisation du dialogue social, celui-ci provoquera toutefois une perte de repères importante en termes d’égalité professionnelle puisque des documents, des moments, des lieux et des thèmes disparaissent de la rédaction actuelle des articles. Je pense tout particulièrement au rapport de situation comparée qui est la pierre d’angle, dont les acteurs se sont emparés, de la construction de la négociation pour l’égalité professionnelle. Retrouvera-t-on des données sexuées aussi claires et précises dans la base de données unique ? Tel que le projet de loi est actuellement rédigé, neuf thématiques précises de négociation permettant l’égalité professionnelle disparaissent : pourquoi le législateur devrait-il revenir sur ce qu’il a adopté il y a seulement quelques mois ?

Enfin, madame la ministre, alors que les femmes représentent 72 % des personnes en sous-emploi, vous avez indiqué que la prime d’activité permettra d’articuler individualisation et familialisation, afin d’éviter qu’elle ne serve à subventionner le travail précaire. Nous sommes toutefois très attentives au fait que ni le barème ni les modes de calcul de la prime ne figurent dans la loi. Et surtout, les pensions alimentaires, trop souvent versées de manière très aléatoire et incomplète, ne devront pas être considérées comme des revenus dans le calcul de la prime d’activité, sous peine de fragiliser le dispositif.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous allons maintenant entendre les représentants des groupes.

M. Michel Liebgott. Toutes les organisations syndicales que nous avons auditionnées se sont montrées relativement satisfaites de ce texte. Celui-ci apporte, notamment, une ouverture considérable aux TPE qui, jusqu’à présent, se sentaient écartées : 4,6 millions de salariés seront enfin représentés. Étant originaire de la région industrielle qui a connu le conflit Arcelor-Mittal, je n’oublie pas que les salariés des grands groupes s’en sortent souvent beaucoup mieux que les intérimaires ou les sous-traitants, d’autant que les entreprises ont de plus en plus souvent tendance à externaliser bon nombre de fonctions.

Ce projet de loi était donc d’autant plus attendu que nous devons rattraper un énorme retard par rapport à des pays comme la Suède, la Norvège ou le Danemark, où les taux de syndicalisation atteignent 50 %. Quant à l’Allemagne, dont le système est assurément différent du nôtre, il faut savoir que les comités d’entreprise se mettent en place à compter de cinq salariés…

Certes, les représentants du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) ont donné le sentiment de vouloir supprimer tous les seuils, de n’être favorables qu’aux accords d’entreprise et de vouloir, sinon réduire le code du travail à cent pages, comme en Suisse, du moins d’en supprimer les deux tiers. Rappelons au passage que le code du travail français ne compte que 675 pages si l’on en exclut les jugements – il n’est donc pas si énorme que d’aucuns le prétendent.

Nous avons pu leur rappeler que des salariés se plaignent de discriminations salariales incontestables liées à leur engagement syndical, qui est ressenti par beaucoup comme un handicap, ce qui n’incite pas les plus jeunes à rejoindre leurs aînés dans l’action syndicale. Cette situation ne sera pas sans conséquence sur les négociations des prochaines années.

L’Union professionnelle artisanale (UPA) a toutefois reconnu que, depuis 2001, les commissions interprofessionnelles fonctionnaient très bien au plan régional dans le domaine de l’artisanat. Je tiens également à me féliciter des actions menées dans le domaine agricole ou dans celui des professions libérales ; autrement dit, certains partenaires sociaux représentants des employeurs ont une attitude positive. Ces partenaires ont également souligné l’intérêt de la prime d’activité, qui ne doit être conçue ni comme une aide sociale ni comme un substitut au salaire et ne devra donner lieu à aucun effet d’aubaine. C’est pourquoi nous devons nous montrer vigilants : l’enthousiasme des employeurs sur ce point peut susciter quelque méfiance.

Le débat parlementaire permettra d’aborder des questions relatives au mandatement, à l’extension à la médiation, à l’amélioration de la qualité de la banque de données économiques et sociales, aux conditions d’application de la DUP, à l’indépendance du CHSCT – s’il y a des avantages à ce que le comité d’entreprise s’intéresse aux conditions de travail, il n’est pas inutile qu’une entité particulière y soit dédiée – ou à l’opportunité de négociations salariales annuelles – j’y suis plutôt favorable.

Personne ne peut nier, y compris du côté patronal, que ce texte témoigne d’une volonté incontestable de simplification permettant à la France de se rapprocher de systèmes plus vertueux. Certes, l’Allemagne n’est pas la France : je remarque toutefois que les progrès réalisés en Allemagne sur la question du SMIC sont dus à la pression des partis de gauche, notamment du SPD.

Enfin, une disposition de la loi de sécurisation de l’emploi de juin 2013 prévoit la représentation des salariés dans les conseils d’administration. Alors qu’ils siègent en Allemagne à parité avec les actionnaires dans les conseils de surveillance des entreprises, ce n’est pas encore totalement le cas en France : dix entreprises du CAC40 se refusent à appliquer ces dispositions au motif que la loi ne les y oblige pas en tant que holdings ayant moins de cinquante salariés…

M. Gérard Cherpion. Après l’échec des négociations entre les partenaires sociaux au moins de janvier dernier, le Gouvernement a tranché avec ce projet de loi relatif au dialogue social. Mais cet échec du dialogue traduit précisément une désillusion dans un domaine qui constituait pourtant une des grandes ambitions du candidat Hollande. Qui plus est, ce texte arrive dans un contexte de hausse du chômage et, ce matin, les partenaires sociaux nous disaient qu’il n’aurait aucune incidence sur l’emploi, ce qui, il est vrai, n’est pas forcément son objectif.

Il contient des avancées en matière de simplification mais pas de grandes ambitions réformatrices. La création des commissions TPE correspond vraiment à une nécessité : 4,6 millions de salariés sont concernés, c’est une bonne chose. La réforme des instances représentatives du personnel (IRP), visée par les articles 8 et 9, intéresse les entreprises de 50 à 300 salariés pour l’élargissement et l’avancement de la DUP. Je m’interroge sur ce seuil de 300, pourquoi ne pas aller plus loin, peut-être jusqu’à 1 000 de façon à simplifier le système de façon plus conséquente ? Les entreprises de plus de 300 salariés ont la possibilité de regrouper les IRP à la carte et par accords majoritaires. Mais si ces mesures constituent des avancées, il faudrait aller plus loin, et offrir davantage de souplesse aux entreprises ; or rien n’est proposé par rapport au seuil des 50 salariés. J’ai d’ailleurs noté, monsieur le ministre, qu’à aucun moment dans votre propos vous n’avez prononcé le mot « seuil ». Selon une étude de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises, le franchissement des seuils apporte un nombre important de 35 obligations supplémentaires et majore indirectement le coût de l’heure travaillée de près de 4 %. Vous aviez proposé, il fut un temps, de suspendre les seuils pour une durée d’un an ; pourquoi n’êtes-vous pas allé jusqu’au bout de cette excellente idée ?

En ce qui concerne la rationalisation de l’agenda social des entreprises, je voudrais vous féliciter, le passage de dix-sept obligations à l’information à trois grandes consultations me paraît très positif. Le regroupement de douze obligations négociées selon des périodes différentes en trois blocs me paraît tout à fait aller dans le bon sens, mais le projet de loi réorganise les obligations existantes sans pour autant les simplifier. Il met de l’ordre dans ce qui était devenu un véritable fouillis dans le code du travail, mais vous précisez bien dans le texte qu’aucun thème de négociation ne pourra être supprimé ; sans forcément parler de suppression, une fusion aurait pu être envisagée.

La possibilité de négocier en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise, prévue à l’article 15, pose le problème du mandatement. Ce souci existait déjà à l’époque de la loi sur les 35 heures. On l’a senti ce matin à travers les auditions des partenaires sociaux ; mon sentiment est qu’ils sont globalement hostiles à cette proposition.

Pour ce qui regarde les intermittents du spectacle, j’adhère aux propos de Jean-Patrick Gilles : ce qui m’inquiète, c’est la mise en place d’un mode dérogatoire de négociation, car c’est bien cela qui est inscrit dans le texte. Les professionnels pourraient ainsi proposer leurs propres paramètres d’indemnisation aux partenaires sociaux interprofessionnels qui négocient la convention d’assurance chômage. N’avez-vous pas l’impression que l’inscription dans la loi, geste éminemment politique, pourrait créer un précédent dangereux, dans la mesure où d’autres professions pourraient à leur tour demander à sortir de la convention générale de l’assurance chômage en excipant de particularités qui leur sont propres – les travailleurs saisonniers, par exemple ?

Pour ce qui est de la mise en place du compte personnel d’activité, je vous retournerai le compliment que vous m’avez fait lors du dépôt de ma proposition de loi : vous m’aviez reproché de ne pas avoir consulté les partenaires sociaux. Mais dans le cas présent, vous n’avez pas respecté les dispositions de l’article L. 1 du code du travail en inscrivant dans la loi un dispositif qui, finalement, se résume à un article d’appel pour satisfaire une partie de votre majorité… Et si j’étais dans votre majorité, cela ne me suffirait assurément pas ! Bon nombre de questions se posent, notamment sur le financement de la portabilité des droits : comment éviter une nouvelle hausse du coût du travail, mais également certains effets contre-productifs, particulièrement en ce qui concerne l’embauche des seniors ?

J’avais cru comprendre, madame la ministre, le dispositif de la création de la prime d’activité mais, après votre présentation, j’avoue qu’un bon Dafalgan me sera utile… Je n’ai pas retrouvé dans le texte tous les éléments que vous nous avez expliqués. Pour ce qui est du nombre de bénéficiaires, on recensait environ 6,3 millions de foyers fiscaux concernés par la PPE, et 700 000 personnes par le RSA. On estime que 2,8 millions de personnes devraient bénéficier de la prime d’activité, sur une base de 5,6 millions… J’ai un peu de mal à comprendre, mais vous allez sûrement me fournir des explications et je vous en remercie par avance. Se pose également le problème de l’extension de la prime d’activité aux apprentis, dans des conditions quelque peu complexes, mais nous aurons l’occasion d’y revenir. Quoi qu’il en soit, la nouvelle prime touchera un public plus réduit, et même si ce sera plus intéressant pour certains, il y aura de nombreux perdants dans cette affaire – 820 000 ménages environ, si mes comptes sont justes. Le dispositif intègre les salariés apprentis mais exclut les étudiants et les apprentis en formation initiale, ce qui n’est pas forcément choquant. Je partage votre analyse mais celle-ci mériterait toutefois une explication plus fine sur le niveau de l’indemnisation.

M. Francis Vercamer. Pour le groupe UDI, ce texte manque de cohésion : on ne distingue pas clairement son objectif. Il ne répond pas au constat critique que vous aviez établi, monsieur le ministre, au mois de juillet dernier, qui faisait référence au nombre conséquent de règles et d’obligations construisant un cadre complexe, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Manque de cohésion, disais-je, car ce projet de loi aborde des sujets très variés, ce qui lui confère un aspect fourre-tout avec des titres sans grands rapports entre eux. Et pour ce qui est du dialogue social, qui constitue le sujet même du projet de loi au point de lui conférer son titre, on a l’impression de rester au milieu du gué. Manque de volonté du Gouvernement ? Absence d’accord entre les partenaires sociaux ? Je ne sais, je les renvoie dos à dos. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas vraiment de schéma nouveau et audacieux.

C’est pour nous une déception : comme vous le savez, les centristes croient beaucoup au dialogue social, notamment pour l’évolution du droit et la construction de règles adaptées à la réalité des entreprises. On peut même considérer que l’annonce faite en début de semaine par le Président de la République et le Premier ministre de la création d’une mission sur la place de la négociation dans les entreprises ne clarifie pas les objectifs du projet de loi qui nous est présenté. Certes, cette mission est intéressante et nous avions déjà avancé un certain nombre d’idées à ce sujet, mais son annonce avant même que nous ayons entamé l’examen du texte a de quoi surprendre et illustre cette fâcheuse tendance du Gouvernement à fractionner les débats sur un même sujet ce qui ne contribue pas à clarifier les objectifs qu’il se fixe. Si on ajoute à cela les amendements du Gouvernement qui viennent d’être annoncés, on se retrouve avec un projet de loi à l’image des textes de cette législature : décousus, sans objectif et sans vision d’ensemble.

La modélisation des institutions représentatives du personnel, qui tend à les simplifier, passe à côté de son sujet. Certes, la fusion des délégués du personnel des CE et des CHSCT va dans le bon sens, même si des réserves au sujet de ce dernier demeurent, comme je l’ai relevé ce matin devant les partenaires sociaux, dans la mesure où cette possibilité implique la création d’un nouveau seuil de 300 salariés alors même que chacun s’accorde à reconnaître que la multiplication des seuils sociaux et des obligations qui en découlent constitue déjà un sujet de complexité. Cette dernière question est ainsi laissée en friche.

Par ailleurs, le projet de loi exclut les PME et surtout les TPE du champ de la simplification, les partenaires sociaux en ont fait la remarque ce matin, alors même que ce sont ces entreprises qui sont susceptibles de créer de nouveaux emplois. Pire, les TPE héritent d’une nouvelle obligation à travers les commissions paritaires régionales. Nous n’y sommes évidemment pas opposés puisque nous avions soutenu un dispositif similaire, mais ces créations de commissions doivent être accompagnées de mesures traitant d’une manière ou d’une autre les seuils, soit en les relevant, soit en les modifiant, soit en les lissant.

En ce qui concerne le compte personnel d’activité, nous comprenons tout l’enjeu de la transférabilité des droits dans un contexte de plus grande diversité des parcours professionnels et de mobilité accrue des salariés. Nous partageons ce souci d’atténuer les effets de rupture et de sécuriser les phases de transition : la portabilité des droits acquis par le salarié concourt à la sécurisation des parcours. En revanche, nous comprenons moins l’empressement du Gouvernement à introduire un tel dispositif dans ce texte au point de ne même pas respecter l’article L. 1 du code du travail, comme l’a relevé Gérard Cherpion, puisque la décision a été prise sans concertation avec les partenaires sociaux. On devine d’ailleurs, derrière cette proposition, davantage une logique de congrès qu’une logique de progrès…

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis. Ça, c’est recherché !

M. Francis Vercamer. Le contour du dispositif reste à préciser, son contenu est incertain, ce qui n’a pas échappé aux partenaires sociaux, la question de sa faisabilité reste entière. Cela alors même que les employeurs et les salariés commencent à appréhender concrètement la réforme de la formation professionnelle et que la mise en œuvre du compte pénibilité demeure une source de complexité majeure pour de nombreux employeurs. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit aux chefs d’entreprises présents ce matin : « Vous avez aimé le compte pénibilité, vous adorerez le compte personnel d’activité ». Ils ont apprécié…

M. le ministre. Vous auriez dû le dire aux salariés…

M. Francis Vercamer. Vous avez évoqué la possibilité d’enrichir le texte par des amendements ; sachez que le groupe UDI en déposera et qu’il espère être entendu.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Vercamer, pour répondre à votre coquinerie, je vais m’en permettre une : vous dites avoir l’impression d’être au milieu du gué, mais ce sentiment est peut-être permanent chez les centristes.

Mme Véronique Massonneau. Ce texte a pour objet d’améliorer la qualité et l’efficacité du dialogue social, ce qui est une bonne chose. J’apprécie le progrès dans la parité entre les femmes et les hommes comme la prise en compte des parcours professionnels des élus et délégués d’entreprise ainsi que la valorisation de ces parcours – et je sais de quoi je parle. Comme à mon habitude, j’irai droit au but et vous poserai quelques questions auxquelles j’espère que vous voudrez bien répondre.

Quels seront les moyens alloués aux commissions paritaires régionales, dont nous saluons la création, afin que la représentation des nombreux salariés des TPE soit efficace ?

En ce qui concerne la création des DUP, sans avoir d’opposition de principe au regroupement des instances représentatives du personnel, je ne crois pas que la simplification dans le seul but de permettre à l’entreprise de réaliser une économie puisse constituer une motivation valable. Ces fusions ne doivent pas se faire au détriment des salariés et je souhaite que vous puissiez nous apporter des garanties sur ce point. Au-delà, un texte relatif au dialogue social devrait apporter des progrès en matière de protection des salariés, en particulier dans le domaine de l’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail, prérogatives du CHSCT.

La fusion de la prime à l’emploi et du RSA activité au profit de la prime d’activité constitue une mesure nécessaire au regard du dysfonctionnement actuel. Certains citoyens n’ont pas recours à ces dispositifs à cause de leur complexité. Nous approuvons le soutien à ces travailleurs pauvres, mais nous ne saurions cautionner l’exposé des motifs lorsqu’il présente ces dispositifs comme moyen d’incitation au travail ; personne ne se satisfait d’un RSA.

Je tiens enfin à relever un paradoxe. À travers le pacte de responsabilité, le Gouvernement incite les employeurs à recruter au salaire minimum, grevant ainsi les ressources de la Sécurité sociale du fait du dispositif « zéro charges » ; or, dans le même temps, la solidarité nationale compense la faiblesse de ces salaires qui ne permettent pas de vivre correctement.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Après les porte-parole des groupes, nous allons entendre les autres orateurs.

Pour ma part, je me félicite que les salariés des TPE trouvent enfin leur place au sein du dialogue social grâce à la création des commissions paritaires régionales (CPR). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la majorité des dossiers présentés devant les prud’hommes proviennent de TPE : cela prouve bien qu’il y a une carence dans le dialogue social de ces entreprises qui sera amélioré par ces instances, cela même si la CFDT a rappelé que 93 % des salariés dans notre pays sont couverts par des accords. Par ailleurs, je prends acte que les deux dispositifs qu’étaient le RSA et la PPE pourraient être remplacés par la prime d’activité.

Enfin, dans l’exposé des motifs, monsieur le ministre, un adverbe me gêne au sujet de la création de la délégation unique du personnel (DUP). Certes, le fonctionnement sera plus simple avec une délégation du personnel entièrement élue par les salariés et les institutions demeurent, les compétences et les missions également. Cependant, la dernière phrase indique que les moyens actuels des élus seront « globalement préservés », j’aurais préféré lire : « entièrement préservés ».

Mme Isabelle Le Callennec. Ce projet de loi est censé dépasser l’échec des négociations entre les partenaires sociaux qui n’ont pas trouvé le point d’équilibre dont vous parliez tout à l’heure, monsieur le ministre ; à les écouter ce matin, ils ne partagent toujours pas la même définition d’un dialogue social efficace. En même temps, le Premier ministre vient d’installer une commission « accords collectifs et travail » et son intention est de moderniser notre système de relations sociales et sa pratique : c’est bien qu’il ne croit même pas à l’issue de ce projet de loi… J’avoue ne pas comprendre. Le constat est largement partagé que le dialogue social est absolument nécessaire et, de mon point de vue, au plus proche des entreprises, mais, aujourd’hui, il est extrêmement complexe. Il est vrai que nous avons fait des propositions et que ce texte continue de provoquer des critiques et des interrogations. Parmi les critiques, je n’en citerai qu’une, j’ai encore reçu à ce sujet un courrier de la Fédération française du bâtiment : l’article 1er et la création des CPR sont loin de faire l’unanimité que l’on prétend. Les organisations de salariés se posent la question des moyens ; quant aux artisans, ils sont vent debout contre cet article.

J’aimerais être bien sûre d’avoir compris que le regroupement des institutions représentatives du personnel à la carte sera ouvert à toutes les entreprises de cinquante salariés tout en leur laissant le choix – l’idée de choisir me paraît excellente : les situations ne sont pas exactement les mêmes selon la filière et le nombre de salariés.

Pour ce qui est du compte personnel d’activité, je n’y vois que l’addition de dispositifs existants dont certains ont déjà du mal à se mettre en place : le compte personnel de formation dont la mise en œuvre au sein des entreprises est très laborieuse et le compte pénibilité que nombreuses entreprises considèrent comme une usine à gaz, mais je sais que vous travaillez à l’améliorer.

S’agissant de la prime d’activité, je suis tout à fait d’accord pour supprimer avant de créer. Au lieu d’additionner les dispositifs comme on le fait trop souvent, ici on en supprime deux pour n’en faire plus qu’un. Le problème est que cela ne concernera pas exactement les mêmes personnes et qu’on ne sait pas encore exactement combien cela va coûter : le Président de la République vient de rajouter un million de jeunes bénéficiaires. Vous venez, madame la ministre, de nous apporter de nouveaux éléments sur les publics visés ; reste que le financement de la prime d’activité n’est pas très clair.

M. Gérard Sebaoun. Ma question excède le champ du projet de loi tout en ayant un rapport direct avec lui : comme vous le savez, monsieur le ministre, depuis quelque temps, les notions d’aptitude et d’inaptitude au travail sont débattues et, de longue date, le MEDEF souhaite les modifier. Vous avez confié à notre collègue Michel Issindou ainsi qu’à deux autres personnalités, un rapport qui doit vous être remis très prochainement. Dans la loi « croissance et activité », un article était consacré à ce sujet, mais le Parlement ne l’a pas retenu ; l’article 6 de la loi relative à la santé prévoyait le traitement de la question par voie d’ordonnance, mais Mme la ministre des affaires sociales l’a retiré dans l’attente des conclusions du rapport précité. Ma question est donc la suivante : attendez-vous le rapport de notre collègue, le présent projet de loi sera-t-il le véhicule législatif retenu pour traiter ce sujet éminemment important aux yeux des salariés ?

M. Rémi Delatte. Nous déplorons tous la multitude et la complexité des obligations administratives, fiscales et sociales qui pèsent sur l’entreprise en France ; je regrette au passage que certains choix récents, comme celui du compte pénibilité, confirment cette spécificité nationale. Le texte présenté est empreint de bonnes intentions dont celle de conforter le dialogue social et d’apporter quelques assouplissements et simplifications, notamment dans le domaine des consultations des IRP – Gérard Cherpion s’en est fait l’écho, je n’y reviens pas.

Reste que l’article 1er irrite très fortement les professions indépendantes, comme l’a souligné notre collègue Isabelle Le Callennec. Monsieur le ministre du travail et de l’emploi, l’instauration d’une instance représentative du personnel par le biais de la création des CPR est majoritairement rejetée par les chefs d’entreprise concernés. Au fond, je me demande si cette disposition ne s’appliquerait pas mieux aux entreprises de moins de cinquante salariés. Pour le coup, l’effet de seuil serait reporté à cinquante, et je comprends les toutes petites entreprises qui redoutent une ingérence dans leur fonctionnement et une complexité accrue, et se méfient à l’idée de mettre en place une nouvelle technostructure coûteuse et inadaptée aux très petites entreprises souvent éloignées et dispersées, et qui plus est difficile à faire fonctionner du fait du manque de disponibilité des membres de ces commissions paritaires régionales, qui devront être issus des TPE. Qui plus est, cette instance est promise à d’inévitables télescopages avec les organisations existantes, qu’elles soient paritaires, professionnelles ou consulaires. Pourquoi ne pas retenir ce principe des CPR pour les entreprises employant entre onze et cinquante salariés et, pour les plus petites, continuer à faire confiance à un dispositif qui fonctionne, à un modèle social fondé sur la relation humaine, la confiance et le bon sens ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. Je tiens à remercier M. le ministre pour avoir réaffirmé que le dialogue social constitue un élément majeur pour la démocratie dans l’entreprise comme pour la compétitivité et l’efficacité économique. Ce texte doit être créateur de nouveaux droits du salarié. Ne devrait-on pas aller plus loin dans la représentation des salariés au conseil d’administration des entreprises, particulièrement celles de moins de 5 000 salariés, poursuivant la démarche engagée dans le cadre de la loi relative à la sécurisation de l’emploi de 2013 ?

Par ailleurs, je souhaitais interroger Mme la ministre au sujet de la prime d’activité et relayer une inquiétude qui s’est fait jour à propos de son attribution aux travailleurs étrangers. Pouvez-vous nous confirmer qu’elle sera maintenue pour les travailleurs étrangers actuellement bénéficiaires de la prime à l’emploi ?

Enfin, la lutte contre le non-recours constitue un véritable enjeu. Au-delà du projet de loi, un dispositif a-t-il été pensé et préparé afin d’améliorer l’accès à la prime d’activité et de diminuer le taux de non-recours à ce droit ?

M. Arnaud Richard. Madame la ministre, tous les républicains et les démocrates présents dans cette salle partagent votre avis sur le fait que la protection sociale ne relève pas de l’assistanat. En revanche, je partage quelque peu l’avis de mon collègue Cherpion au sujet de la nécessité d’un antalgique après la présentation du mécanisme de la prime d’activité… Je croyais avoir compris le projet de loi, je vais très probablement devoir le relire ! Dispose-t-on d’études précises permettant d’établir l’impact réel des mécanismes d’incitation au retour à l’emploi ? Je ne le pense pas.

La PPE et le RSA ne sont pas aujourd’hui pleinement satisfaisants, je vous l’accorde. Au mois de novembre dernier, Matignon avait prévu qu’il y aurait des perdants dans cette réforme ; aujourd’hui, vous nous soutenez qu’il n’y en aura pas. Mes calculs ne sont peut-être pas aussi précis que ceux de M. Cherpion, mais j’ai le sentiment qu’un million de nos compatriotes actuellement bénéficiaire de la PPE ou du RSA ne se retrouveront pas dans la prime d’activité. On peut avoir une philosophie politique, mais il faut être sûr et très précis et ne pas laisser entendre que personne n’y perdra. Manifestement, si l’on peut utiliser ce terme, les perdants sont ceux qui, selon vous, appartiennent à la catégorie des ménages les plus aisés de notre société – nous parlons de gens qui gagnent un peu plus de 1,2 fois le SMIC… L’ouverture aux étudiants et apprentis est une bonne chose, mais la masse budgétaire demeurant la même, il va falloir, madame la ministre, nous donner des éléments un peu plus détaillés. Tablez-vous toujours sur 4 milliards d’euros ? Le nombre de bénéficiaires se situe autour de 5,6 millions, et il va falloir y ajouter les étudiants salariés et les apprentis… Honnêtement, je suis un peu perdu. J’imagine que les débats parlementaires nous permettrons de mieux comprendre les choses.

La mensualisation enfin est une bonne chose et je veux saluer le travail de notre collègue Sirugue qui prône une réforme de l’ensemble des minima sociaux en France. Mais la question est posée : quid de l’avenir de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et du RSA dans sa partie maintenue, dit RSA socle ? Je note enfin que la situation des personnes qui se trouve en hospitalisation n’est pas prise en compte dans les modalités de calcul du revenu.

M. Denys Robiliard. On entend ici où là que ce texte ne serait pas une vraie réforme mais une réformette ; il m’a semblé que M. Vercamer s’inscrivait dans ce propos en disant qu’il n’y avait rien dans ce projet de loi qu’il allait cependant amender… Certes, l’importance d’une réforme ne se mesure pas au volume des protestations qui l’accueillent, mais tout de même ! L’instauration d’une représentation de tous les salariés des TPE est une avancée inédite, même si des systèmes de représentation existaient déjà dans le secteur de l’artisanat avec les commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat (CPRIA) et dans le secteur agricole. Ajoutez à cela la valorisation des parcours syndicaux, la rationalisation de l’information et de la consultation des instances représentatives du personnel, la réarticulation des IRP, la mise en place du compte d’activité qui permettra de nourrir – notamment sur les questions de fongibilité des droits – la future négociation sociale, et la création de la prime d’activité ; si cela n’est pas une réforme, je ne sais pas ce qu’il faut faire !

En ce qui concerne la délégation unique du personnel, l’élargissement est double : non seulement la possibilité est étendue aux entreprises comptant jusqu’à 300 salariés, mais la DUP inclura désormais le CHSCT alors qu’elle ne regroupait jusqu’à présent que les délégués du personnel et le comité d’entreprise. Je m’interroge toutefois sur la capacité de DUP à préserver la spécialisation du CHSCT, sur le plan fonctionnel mais également sur celui des compétences et des procédures particulières à cette institution. Ce doit être faisable, mais il faudra y être très attentif.

Ma deuxième question porte sur les administrateurs salariés. Vous avez procédé, monsieur le ministre, à une première évaluation de la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Des difficultés sont apparues dans la mise en œuvre des règles applicables aux administrateurs salariés dans certains groupes tout simplement parce que l’organe dirigeant se trouve au sein d’une société qui n’a que très peu ou pas du tout de salariés. Le présent projet de loi pourrait-il être l’occasion de tenter de trouver une solution techniquement adaptée à ce cas de figure ?

Mme Catherine Coutelle. Je ne redirai pas ce que Sandrine Mazetier, rapporteure pour la Délégation aux droits des femmes, a dit de ce texte que nous trouvons très positif. En ce qui concerne la représentation équilibrée des hommes et des femmes, je me réjouis que nous passions d’une incitation inscrite dans la loi relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite Génisson, mais dont on a vu les limites, à une contrainte. Toutefois, à la différence de ma collègue Sandrine Mazetier, je ne crois pas la parité inscrite dans la Constitution se résume au « miroir », autrement dit à la représentation du nombre de femmes relevé à un moment donné dans un lieu donné ; si nous nous en étions tenus à cela, jamais nous n’aurions pu instaurer la parité dans nombre de domaines. La parité, pour nous, c’est essayer, par étapes, d’aller vers l’égalité de la représentation ; mais sans doute faut-il aussi accompagner les femmes dans le syndicalisme. Cela peut être un processus de long terme, mais c’est cela qui doit demeurer l’objectif, et non l’effet miroir. D’autant que je m’interroge : est-ce à dire que dans certains métiers où il y a 80 % de femmes, il devra y avoir 80 % de représentants syndicaux féminins ? J’aimerais que l’on trouve une autre formule.

L’article 13 du projet de loi vise à réduire le nombre des informations ou des consultations obligatoires du comité d’entreprise, ce qui m’amène à poser une question très précise à laquelle je n’ai pas jusqu’à présent trouvé réponse : quelle est la visibilité aujourd’hui de l’égalité professionnelle dans les entreprises ? Le projet de loi modifie les articles L. 2323-47 et L. 2323-57 du code du travail. Or aucune des personnes que nous avons consultées, ni le Haut conseil à l’égalité des femmes et des hommes (HCEfh) n’ont pu nous dire ce que devient le rapport de situation comparée. Or, dans le cadre de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, nous venons de le renforcer avec des indicateurs plus précis. Cela commence à fonctionner et un décret d’application prévoyant des sanctions a été pris : quarante-cinq entreprises ont ainsi été sanctionnées fin 2014 et on est passé de 16 % d’accords en 2013 à 35 % à la fin de l’année 2014. L’effet du rapport de situation comparée est donc très incitatif. Les syndicats que nous avons entendus hier à l’occasion d’une table ronde nous ont indiqué que les négociateurs commençaient à comprendre le fonctionnement du dispositif et à avoir des réponses. Je ne voudrais pas, monsieur le ministre, que les rapports de situation comparée disparaissent : ce serait pour la Délégation aux droits des femmes un casus belli. Je souhaiterais enfin vous interroger au sujet de la représentation paritaire au sein du collège des employeurs.

Mme la ministre. Une grande part des questions ont porté sur les titres I à III. Pour ce qui est du titre IV, qui traite de la prime d’activité, le rapporteur Christophe Sirugue m’a demandé de préciser le mécanisme d’individualisation et de familialisation en montrant les différences avec le dispositif actuel.

L’objectif poursuivi est très clairement de ne pas faire de perdants parmi les familles modestes. La composition du foyer sera donc prise en compte selon une logique assez proche de celle du RSA activité : le montant forfaitaire retenu pour le calcul de la prestation sera majoré en fonction du nombre d’enfants et, le cas échéant, du statut de parent isolé. En revanche, les simplifications de la base ressources reposent sur un changement de logique par rapport à ce qui avait été retenu pour la mise en place du RSA activité, qui restait marqué par le caractère de minimum social du RSA dont il était une composante. C’est précisément ce paradoxe que nous avions dénoncé à l’époque : ceux qui nous accusent systématiquement de défendre l’assistanat et de confondre revenus d’activité et revenus de l’aide sociale sont les mêmes qui ont mis en place, avec le RSA activité, un dispositif qui confond totalement la logique de minimum social avec celle d’un complément d’activité ! Du coup, parce que c’était un minimum social, le RSA activité prenait en compte absolument toutes les ressources, comme cela est inscrit dans la loi. La base ressources incluait par exemple les aides en nature reçues d’un proche, cadeaux de Noël ou autres, monétaires ou financiers, les ressources que l’on ne touchait pas mais que l’on aurait dû toucher – des pensions alimentaires non versées, par exemple –, des revenus théoriques tirés d’un patrimoine quand bien même ils seraient purement latents – une résidence secondaire héritée, par exemple, dont on était supposé tirer un bénéfice alors qu’on n’en dégageait aucun.

En ce qui concerne la prime d’activité, la règle est simple, les ressources retenues pour son calcul sont strictement énumérées par la loi : il s’agit des revenus d’activité ou des revenus de remplacement des revenus professionnels : indemnités chômage, indemnités journalières – ce qui signifie, en réponse à M. Arnaud Richard, que la situation des personnes hospitalisées est prise en compte –, les prestations sociales, particulièrement les allocations familiales, et les revenus soumis à l’impôt sur le revenu. Sont donc exclus de cette base ressources les revenus non imposables au titre de l’IR, les aides en nature et les dons. Le débat aura lieu au sujet de l’extension précise de ces prestations.

Vous m’avez également interrogée, monsieur le rapporteur, sur l’éventuelle durée minimale d’activité, afin de ne pas intégrer les jeunes travaillant dans le cadre de jobs d’été d’un mois dans la liste des bénéficiaires de la prime. Il ne s’agit pas de dire que les jeunes qui travaillent un mois l’été ne travaillent pas, mais que la logique de la prime est d’accompagner le retour à l’emploi afin de favoriser l’insertion, et pas seulement d’apporter un complément à un emploi à un moment donné. On pourrait imaginer une durée minimale de trois mois correspondant à la durée du versement de la prime, puisque celle-ci prend en compte les revenus des trois mois précédents, et est réactualisée sous les trois mois.

Vous m’avez ensuite fait part de vos préoccupations relatives au financement à enveloppe constante. Les apprentis et les étudiants qui seront inscrits dans le périmètre par les amendements que présentera le Gouvernement représentent un peu moins de 200 000 personnes. En ce qui concerne les apprentis, ils figurent dans le cadre de financement initialement prévu. Pour les étudiants, il s’agira de déterminer si l’on module le barème sans le modifier – je rappelle que celui-ci résulte de projections et qu’il est donc purement indicatif. En gros, si l’on baisse de 10 euros les prestations envisagées, on doit pouvoir verser la prime aux étudiants. Le barème pourra faire l’objet de discussions dans l’hémicycle mais, dans la mesure où il s’agit de dispositions relevant du domaine réglementaire, nous souhaitons surtout organiser une concertation et agir de la façon la plus transparente qui soit.

Mme Mazetier m’a interrogée sur le cas des couples notamment et a bien signifié qu’elle ne concevait pas la prime comme un substitut au travail précaire. Je veux à nouveau insister sur ce point : ce n’est pas un élément du plan pauvreté. Certes, il y a des situations de précarité auxquelles il faut répondre et c’est précisément là l’enjeu de ce plan ; mais la prime d’activité n’a pas pour objet d’apporter un complément de revenu aux gens les plus pauvres, mais un complément de revenu et un soutien à l’insertion dans l’activité à des gens qui ne comptent pas nécessairement parmi les plus pauvres. Le public directement visé, je le répète, est celui dont les revenus se situent entre 0,5 et 1,2 SMIC.

Contrairement à ce qui existait auparavant, ce dispositif va encourager le travail des deux membres d’un couple. Concrètement, les deux membres d’un couple gagnant le SMIC bénéficient pour l’heure d’une prestation inférieure à ce qu’ils auront demain, puisque les deux actifs toucheront chacun une prime d’activité. Jusqu’à maintenant, un plus un ne faisait pas deux, mais à peu près un et demi. Dans le nouveau dispositif de prime d’activité, il n’y a aucune incitation à ce que le conjoint – en pratique, la femme – ne prenne pas une activité : au contraire, elle a tout à y gagner.

En ce qui concerne les prestations alimentaires, qui font partie des débats à venir, le Gouvernement a pris une mesure importante : le fonds de garantie des impayés des prestations alimentaires, par le biais de la Caisse d’allocations familiales qui se substitue au conjoint défaillant, assure le versement des impayés jusqu’à 100 euros par enfant en se retournant ensuite contre le mauvais payeur. Ce sujet a été bien identifié par le Gouvernement qui souhaite accompagner les femmes placées dans cette situation.

J’ignore si je peux apporter des éléments complémentaires à M. Cherpion, mais je vais essayer car je m’en voudrais qu’il prenne trop de Dafalgan : il ne faut pas abuser des médicaments… Combien de personnes sont-elles concernées ? Cela me permettra de répondre aussi à Mme Le Callennec. Comme pour tout dispositif social, une population cible a été déterminée, 5,6 millions de personnes en l’occurrence, dont on estime qu’elles peuvent prétendre au bénéfice de la prestation. Sachant qu’une prestation connaissant 100 % de taux de recours, cela n’existe pas, nous formons l’hypothèse, au regard de ce qui se pratique, que le taux de recours sera de l’ordre de 50 % – il nous appartiendra d’ailleurs de l’améliorer, et je répondrai à Mme Fanélie Carrey-Conte sur la manière dont nous espérons y parvenir.

Certains, qui n’ont droit ni à la PPE ni au RSA, bénéficieront de la prime d’activité ; d’autres, qui représentent quelque 800 000 personnes, ne bénéficieront plus des dispositifs existants – notamment de la PPE – et ne toucheront pas non plus la prime d’activité. Toutefois ces « perdants » perçoivent une part si faible de PPE – de l’ordre de 15 euros – qu’ils ignorent souvent en être bénéficiaires. D’autre part, sur ces 800 000 personnes, de 40 à 50 % sont des concubins, dont l’un des deux pouvait être éligible à la PPE même si les revenus du ménage sont élevés, alors qu’un couple marié disposant du même revenu ne l’était pas. Le Gouvernement, dans ces conditions, peut assumer qu’il y ait des « perdants ».

Des actions seront par ailleurs menées pour favoriser le taux de recours à la prestation, madame Carrey-Conte ; la simplicité du nouveau dispositif, notamment avec la déclaration de ressources trimestrielle et non plus mensuelle, y contribuera. La CNAF lancera également une campagne de communication, et, à terme, un accès dématérialisé sera mis en place, incluant une application pour les smartphones.

Pour ce qui concerne les étrangers, la prime d’activité est par nature réservée aux actifs qui travaillent en France. Il ne serait pas justifié de soutenir le système des travailleurs détachés, lesquels, au reste, ne bénéficient pas non plus de la PPE. Les travailleurs étrangers hors Union européenne qui ne justifient pas d’un séjour régulier en France de cinq ans au moins ne seront pas éligibles non plus, conformément aux conditions classiques en matière de prestations sociales, surtout si elles ont pour objet l’insertion dans le marché du travail. Une partie de ces personnes – je dis bien une partie seulement – peuvent, il est vrai, bénéficier de la PPE, même si les montants ne sont pas forcément très élevés.

M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Les organisations syndicales ont alerté, rappelait M. Sirugue, sur la difficulté de trouver un vivier suffisant pour assurer une représentation des TPE dans les commissions paritaires régionales, alors que, de façon un peu contradictoire, d’autres confédérations syndicales souhaitent que ces instances soient surtout composées de représentants de TPE. Le Gouvernement s’est efforcé de traduire une représentation fidèle des salariés, étant entendu que les membres de ces instances seront d’autant mieux à même de comprendre les problèmes des TPE qu’ils y travaillent. Le système représentatif envisagé est donc cohérent avec le rôle de conseil qui, à nos yeux, doit être celui des commissions paritaires régionales. Une meilleure visibilité devrait aussi favoriser la participation aux élections professionnelles dans les TPE : les organisations syndicales pourront en effet, comme elles y tenaient, faire figurer sur leur propagande électorale l’identité des personnes qu’elles envisagent de désigner dans les commissions. Je comprends votre question, monsieur le rapporteur, mais si le vivier des TPE s’avère insuffisant pour pourvoir deux ou trois sièges au maximum dans chaque région, il faut sans doute s’interroger sur l’implantation syndicale. Bref, la nouvelle organisation ne me semble pas soulever de difficultés insurmontables.

Vous m’avez aussi demandé si des études montrent que la DUP, dont le Gouvernement entend relever le seuil de 200 à 300 salariés, favorise l’emploi. Je reviendrai sur les effets de seuil, dont traite l’article 16. En ce domaine, nous avons pris le parti de réformer en profondeur le nombre d’obligations qui s’attachent au franchissement des seuils, afin de rendre le système plus simple et plus clair. C’est notamment le cas de la DUP, au sein de laquelle seront regroupés les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT. De ce fait, le fonctionnement des instances sera mieux adapté à la taille des entreprises. Quant à la décision d’embaucher, monsieur le rapporteur, elle ne tient pas à un seul facteur ; on entend souvent dire, par exemple, qu’elle dépend aussi du fait de savoir si l’on pourra licencier. Quoi qu’il en soit, le projet de loi apporte plusieurs solutions en ce domaine.

Depuis sa création, la DUP est un réel succès ; elle concerne plus de 60 % des entreprises de 50 à 200 salariés disposant d’une instance représentative du personnel. D’après la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), 24 % des entreprises de 200 à 300 salariés ont une DUP. Certaines entreprises ont au demeurant choisi de garder un comité d’entreprise et une délégation du personnel séparés, et cette possibilité demeurera. Le texte, en tout cas, fluidifiera le fonctionnement de la DUP en élargissant son périmètre. Enfin, nous avons choisi d’harmoniser les seuils, notamment avec le passage de 150 ou 200 salariés à 300. Autant de mesures qui favoriseront le dialogue au sein des entreprises.

On parle beaucoup aussi du mandatement. Le texte, fruit d’une étroite concertation avec les organisations patronales et syndicales, doit avant tout permettre à tous les salariés d’accéder au dialogue social. Il n’est pas acceptable que des centaines de milliers d’entre eux soient privés d’accords d’entreprise sur les salaires, la prévoyance ou l’organisation du temps de travail, et laissés à la seule main de l’employeur. De nouvelles possibilités de négociation seront ouvertes en l’absence de délégué syndical : cela ne modifie en rien, faut-il le rappeler, le système actuel puisque, dans ce cas précis, l’employeur peut d’ores et déjà négocier avec une institution représentative du personnel ou, à défaut, un salarié mandaté. Il pourra toujours le faire, bien entendu, mais, avant toute négociation, il devra vérifier qu’aucun élu n’est mandaté pour négocier en priorité avec lui. Cette mesure, qui ne plaira sans doute pas à tout le monde, constitue par conséquent un encouragement à négocier sous le contrôle des organisations syndicales, et elle élargit le champ de la négociation. Loin d’affaiblir ou de contourner les syndicats, comme certains le craignent, elle en renforce le rôle central.

Une autre crainte s’est exprimée quant à la suppression des commissions paritaires de validation, aujourd’hui saisies, aux termes de la loi, pour des accords signés par des instances représentatives du personnel non mandatées. D’après les remontées du terrain, unanimes, ces commissions fonctionnent très mal dans de nombreuses branches ; aussi proposons-nous de substituer au système actuel un dépôt des accords visés auprès des services de l’État. Toutes les garanties seront donc maintenues.

Plusieurs interventions ont porté sur le compte personnel d’activité. Il s’agit d’une avancée majeure, qui marquera l’histoire sociale de notre pays. Plusieurs comptes individuels ont été créés à l’initiative de la gauche : compte épargne-temps, compte personnel de formation ou compte pénibilité – les partenaires sociaux ont aussi fait une proposition intéressante concernant l’assurance chômage avec les droits rechargeables. L’idée d’une sécurisation sociale des parcours professionnels fut une antienne des années quatre-vingt-dix, reprise par plusieurs formations politiques. Les objectifs sont désormais clairement affichés : lisibilité, portabilité des droits, fongibilité et sécurisation des parcours. Comme le Président de la République l’a justement souligné, le compte personnel d’activité constituera le capital de ceux qui ne possèdent rien d’autre que leur force de travail. Bref, cette proposition n’est en rien un contournement de l’article L. 1 du code du travail : les partenaires sociaux rempliront une coquille dont il serait néanmoins abusif de dire qu’elle est vide. In fine, c’est bien sûr la représentation nationale qui, en tout état de cause, aura à trancher.

M. Gille a précisé les contours du cadre de négociation inédit pour le régime des intermittents. La réforme de l’intermittence associera les organisations représentatives du secteur du spectacle, qui jusqu’alors n’en étaient pas partie prenante, et les organisations interprofessionnelles. L’exigence de représentativité est respectée, puisque les règles spécifiques de l’assurance chômage des intermittents seront élaborées par leurs organisations représentatives. Le régime sera pérennisé, puisque les annexes VIII et X figureront désormais dans la loi. L’interprofession définira la trajectoire financière et les grands principes ; les organisations du monde du spectacle, elles, fixeront les règles et actualiseront la liste des métiers visés : elles ont en effet toute légitimité pour le faire, dès lors qu’elles sont au plus près des réalités du terrain. Le système, on le voit, repose sur la confiance à l’égard des partenaires sociaux. Force est de constater qu’aujourd’hui, on use et on abuse du CDD d’usage…

Vous avez soulevé de vrais sujets, madame Mazetier, et je vais m’efforcer de vous convaincre que le texte comporte d’authentiques avancées, qui d’ailleurs ne remettent nullement en cause, notamment, l’utilité du rapport de situation comparée, non plus que les obligations du code du travail en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Toutes les données du rapport de situation comparée seront intégrées à la base de données unique qui se substituera à lui : il n’y aura donc aucune perte d’information. Cette base de données sera périodiquement actualisée, et la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise inclut l’item « égalité entre les femmes et les hommes ». Le projet de loi prévoit des dispositions similaires pour l’ensemble des rapports existants. Tout le monde, y compris les défenseurs de la cause féministe, a donc à gagner à la simplification proposée.

Le projet de loi ne remet pas davantage en cause l’obligation de négociation en matière d’égalité professionnelle ou, à défaut, l’obligation faite à l’employeur d’établir un plan d’action unilatéral, obligations assorties d’une pénalité équivalant à 1 % des rémunérations, aux termes de l’article L. 2242-5-1 du code du travail. Cet article, dans la numérotation simplifiée, deviendra le L. 2242-9.

Les obligations touchant à la mise en œuvre d’un plan d’action et à son dépôt auprès de l’administration demeurent : les articles visés, L. 2323-47 et L. 2323-57, deviennent le 2° de l’article L. 2323-17. Je conviens de l’aspect « jeu de piste » de la chose, mais le projet de loi, loin de remettre en cause les acquis en matière d’égalité entre hommes et femmes, permet des progrès considérables, en particulier à travers l’obligation d’une représentation équilibrée lors des élections professionnelles : c’est là une réforme de grande ampleur, qui d’ailleurs n’est pas accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par les organisations professionnelles.

Mme Mazetier m’a aussi interrogé sur la parité au sein des commissions territoriales. Le texte ne reprend pas cet objectif au demeurant légitime, certains partenaires sociaux ayant fait valoir, comme je l’ai rappelé, qu’il serait déjà difficile de trouver, au sein des TPE, suffisamment de candidats pour siéger dans ces instances. Je reste néanmoins ouvert, bien entendu, à toute solution intelligente.

Quant à la question d’accorder un bonus à ceux qui iraient au-delà de l’effet de miroir, madame Mazetier, le Gouvernement a opté pour une représentation équilibrée, fondée sur le poids respectif de chaque sexe au sein du corps électoral. Faire mieux en faveur de l’un des deux sexes, comme vous le suggérez, est discutable car cela revient par définition à désavantager l’autre. Notre objectif est d’assurer le respect de l’équilibre des sexes au sein des entreprises, de la même façon que la parité, en politique, est en quelque sorte un miroir de la société.

Mme Catherine Coutelle. Sinon, il y aurait plus de femmes élues, car il y a plus d’électrices que d’électeurs…

M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Le véritable objectif est la mixité des métiers ; même une représentation strictement paritaire ne permettrait pas de l’atteindre. Ce n’est pas en bougeant le miroir, si vous me passez l’expression, que l’on améliorera l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde du travail, mais bien en travaillant sur la mixité des métiers. Reconnaissez avec moi que les mesures présentées par le Gouvernement représentent des avancées majeures.

S’agissant de l’accompagnement je comprends l’objectif, mais une règle qui favoriserait l’un des deux sexes dans les conditions d’exercice du mandat constituerait une rupture d’égalité : elle me semble donc impossible juridiquement. Les mesures relatives à la validation des acquis de l’expérience (VAE) ou à l’entretien professionnel doivent en tout cas bénéficier aux femmes.

M. Liebgott, M. Robiliard et Mme Carrey-Conte m’ont interrogé sur la représentation des salariés au sein des conseils d’administration : c’est là un enjeu majeur pour mettre les salariés au cœur de la performance économique des entreprises. Chacun cite en exemple, à juste titre, le cas de Volkswagen en Allemagne. Une première avancée est intervenue dans le cadre de la loi de sécurisation de l’emploi, qui rend obligatoire cette représentation dans les entreprises de plus de 5 000 salariés – ou de plus de 10 000 à l’international quand le siège est en France. Mais cette mesure sous-estimait l’intelligence dont savent faire preuve certains pour contourner la loi : seules trente-trois sociétés dont les actions sont prises en compte pour le calcul de l’indice SBF 120 (sociétés des bourses françaises) ont désigné des représentants des salariés au sein de leur conseil d’administration… C’est bien sûr insuffisant. Le Gouvernement est donc ouvert à une nouvelle discussion sur le sujet.

M. Cherpion a émis, sur les commissions paritaires régionales, des opinions opposées à celles de son collègue de l’UMP M. Delatte. Par le fait, les deux positions existent : celle de l’UPA, selon laquelle ces instances fonctionnent bien ; celle de la CGPME, qui soutient le contraire. Mme Le Callennec, de son côté, a évoqué la Fédération française du bâtiment (FFB), qui, sur la question de la représentation, est en conflit avec l’UPA et relève à la fois du MEDEF et de la CGPME. J’ai rencontré son président et me suis efforcé de le convaincre. Le système fonctionne pour l’UPA et pour la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB : il n’y a pas de raison qu’il n’en aille pas de même pour la FFB. Ne jouons pas à nous faire peur…

La simplification a été saluée, par exemple sur le regroupement des dix-sept obligations d’information et de consultation du CE en trois grandes consultations ; elle permettra de mieux prendre en compte les enjeux stratégiques et les préoccupations des salariés.

Sur les seuils, nous avons tout de même un peu avancé. Le Gouvernement a opté pour une harmonisation en relevant à 300 salariés les seuils actuellement fixés à 150 et à 200. Le seuil de 300 salariés, outre qu’il existe déjà, a l’avantage d’être celui à partir duquel la représentation syndicale est pour ainsi dire générale, puisque celle-ci atteint alors 95 % – et 93 % pour les instances représentatives du personnel. Lors de ma prise de fonction, j’ai proposé aux responsables de l’ensemble des organisations syndicales de suspendre, pendant deux ou trois ans, l’application du seuil de cinquante salariés, d’autant que la loi prévoit déjà un délai d’application d’un an : cela, leur avais-je fait observer, priverait le patronat de son argument selon lequel cet effet de seuil empêcherait la création de 500 000 à 1 million d’emplois. Mais les organisations syndicales ayant rejeté cette proposition, je ne l’ai pas retenue. Du coup, l’argument patronal demeure…

Le compte personnel d’activité, je le répète, n’implique en rien un contournement de l’article L. 1. Les partenaires sociaux seront consultés, mais il est normal que la représentation nationale fixe le cadre ; j’ai déjà fait part de mes observations sur certaines propositions.

M. Vercamer nous reproche un certain immobilisme sur les seuils ; mais la majorité à laquelle il appartenait n’a rien changé aux 35 heures qu’elle ne cessait pourtant d’incriminer, non plus d’ailleurs qu’aux seuils, pendant les dix années où elle fut aux affaires.

L’idée d’une sécurisation des parcours professionnels, je l’ai dit, n’est pas nouvelle. Sur ce point, je réserve la primeur de mes suggestions à ma formation politique, qui, je l’espère, les fera sienne. Les partenaires sociaux seront bien entendu associés à la réflexion.

Le Premier ministre a confié à Jean-Denis Combrexelle, expert reconnu, une mission sur la hiérarchie des normes. Comment concilier protection des salariés et contraintes économiques des entreprises ? Les deux objectifs ne s’opposent pas mais leur équilibre est délicat, d’autant qu’on ne peut balayer l’histoire d’un revers de main. Nous devons nous garder de toute vision idéologique, et attendre les conclusions de la mission à l’automne.

La loi, madame Massonneau, donnera aux commissions paritaires régionales tous les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement, sans aucune charge supplémentaire pour les entreprises. Les pertes de salaire, pour les 180 membres de ces instances, seront compensées par le fonds paritaire de financement du dialogue social, institué par la loi du 5 mars 2014 ; cela ne représentera que 0,41 % de ses ressources. Lesdits membres bénéficieront aussi d’autorisations d’absence et d’une protection. Ainsi conçu, le dispositif paraît satisfaire les organisations syndicales et patronales.

Pourquoi, madame la présidente, l’exposé des motifs du projet de loi précise-t-il que les moyens des élus seront « globalement » – et non « totalement » – « préservés » ? Parce qu’il y aura, tout de même, quelques légères différences, sur lesquelles les partenaires sociaux se sont aussi interrogés : par exemple, les heures de délégation, pour les membres des DUP et des CHSCT dans les entreprises de 50 à 174 salariés, passeront de 66 à 65. Les moyens seront bel et bien conservés, comme je l’avais initialement annoncé.

Je crois avoir répondu aux questions de Mme Le Callennec. Le compte personnel de formation n’est ouvert que depuis quatre mois ; j’ai réuni les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) avant-hier pour les mobiliser, notamment sur la simplification et la mise à jour du système informatique. Le dispositif fonctionnera. À ce stade, 1,4 million de comptes ont été ouverts ; les formations doivent ensuite être certifiées, ce qui, j’en conviens, prend du temps. J’ai demandé aux OPCA d’accélérer le processus, l’inventaire et le répertoire impliquant une double vérification. Les choses, à n’en pas douter, auront avancé dans quelques mois. Sur le compte de prévention de la pénibilité, nous attendons les propositions de M. Sirugue. Le compte personnel d’activité, qui regroupera le compte de pénibilité, le compte de formation et le compte épargne-temps, ouvrira en tout cas de nouveaux droits aux salariés.

Mme Touraine et moi-même, monsieur Sebaoun, avons confié à Michel Issindou une mission sur l’aptitude et la médecine au travail. Le rapport nous sera remis d’ici une quinzaine de jours ; nous pourrons donc suivre ses préconisations, en concertation avec les partenaires sociaux, pour enrichir le projet de loi, sans doute dès son examen en première lecture.

Les procédures particulières du CHSCT seront préservées, monsieur Robiliard ; la spécialisation des équipes de la DUP sur les questions relevant du CHSCT a fait l’objet d’un débat avec les organisations syndicales. Dans la mesure où les élus auront plus d’heures de délégation, la question des conditions de travail prendra, je le crois, une place de plus en plus importante. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement reste attentif à ce sujet.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur le ministre, je vous remercie car avec Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, vous nous avez donné des réponses très complètes.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 6 mai 2015 à 16 heures 15

Présents. – M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, Mme Sylviane Bulteau, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Richard Ferrand, Mme Monique Iborra, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, Mme Lucette Lousteau, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, Mme Monique Orphé, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Gérard Sebaoun, M. Christophe Sirugue, M. Francis Vercamer

Excusés. - Mme Gisèle Biémouret, Mme Valérie Boyer, M. Philip Cordery, M. Christian Hutin, M. Michel Issindou, Mme Dominique Orliac

Assistaient également à la réunion. - Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Patrick Gille, M. Régis Juanico, Mme Sandrine Mazetier