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Commission des affaires sociales

Mercredi 1er février 2017

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Jean-Patrick Gille, Vice-président

– Examen du rapport d’information sur l’avenir de la prévention spécialisée (Mme Kheira Bouziane-Laroussi, rapporteure)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 1er février 2017

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Jean-Patrick Gille, vice-président de la Commission)

La Commission des affaires sociales procède à l’examen du rapport d’information sur l’avenir de la prévention spécialisée (Mme Kheira Bouziane-Laroussi, rapporteure).

M. Jean-Patrick Gille, président. Notre commission a décidé de créer une mission d’information relative à l’avenir de la prévention spécialisée et a désigné, le 4 mai dernier, notre collègue Kheira Bouziane comme rapporteure.

Voici venu le moment d’entendre les conclusions de cette mission, qui a donné lieu à des déplacements sur le terrain, à Dijon, Metz et Marseille, et jusqu’à Molenbeek, en Belgique.

Mme Kheira Bouziane-Laroussi, rapporteure de la mission d’information. Le rapport que je vous présente aujourd’hui est le fruit de six mois de travail de la mission d’information, présidée par notre collègue Denis Jacquat, que je tiens à remercier pour les excellentes conditions dans lesquelles nous avons travaillé.

Ce rapport arrive au bon moment pour les acteurs de la prévention spécialisée, ainsi que le montrent l’intérêt qu’ils ont porté à nos auditions et l’accueil que nous avons reçu lors de nos déplacements.

Les 2 000 éducateurs spécialisés de France sillonnent chaque jour nos territoires en difficulté pour aller à la rencontre de jeunes marginalisés, isolés, parfois en danger, ainsi que de leurs familles. Ils établissent avec ces jeunes des liens de confiance pour les orienter vers les dispositifs de prise en charge les plus adaptés, dont les missions locales, qui sont des partenaires privilégiés.

Ce travail remarquable et indispensable est, cependant, insuffisamment connu, voire reconnu. Il s’agit pourtant d’une mission de service public, comme l’a rappelé très clairement M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports lorsque nous l’avons auditionné. Compétence des départements depuis le mouvement de décentralisation en 1983 et en 1986, la prévention spécialisée est, à juste titre, adossée à la protection de l’enfance.

La singularité du travail de la prévention spécialisée est connue par les professionnels, par ceux qui en bénéficient, ainsi que par les départements les plus impliqués. L’action des éducateurs de rue est basée sur des principes essentiels : la libre adhésion, l’anonymat, la non-institutionnalisation de la pratique et le travail avec l’ensemble des interlocuteurs institutionnels pertinents.

Les éducateurs s’adaptent aux réalités du terrain pour intervenir sur place aux moments les plus adéquats. On les situe plus facilement dans les zones urbaines, mais aussi sur les territoires ruraux, de façon insuffisante à mes yeux. Ils travaillent de jour comme de nuit, en semaine, le week-end, pendant les vacances scolaires et à tout moment qu’ils jugent opportun pour leur action.

Malgré le professionnalisme et la souplesse dont font preuve les éducateurs spécialisés, comme les précieux généralistes de l’aide et de l’accompagnement, la profession subit aujourd’hui, selon le sociologue Laurent Mucchielli, une crise profonde qui pourrait remettre en cause son existence même dans certains territoires où elle apparaît indispensable. Mal connue et mal considérée, difficilement évaluable quant à ses effets directs et de court terme, variable d’ajustement des budgets départementaux, la prévention spécialisée souffre dans notre pays.

Elle souffre d’abord d’une baisse très importante de son financement, alors que ses missions sont en train de s’étendre à de nouveaux domaines, comme la prévention de la délinquance ou de la radicalisation.

Elle souffre également d’une difficulté de positionnement par rapport à son rôle éducatif et préventif. Dans ce contexte difficile, le présent rapport entend tirer toutes les conséquences d’un constat simple, mais fondamental : la prévention spécialisée est une politique publique essentielle pour notre jeunesse, surtout celle qui est le plus en difficulté, et l’on ne peut donc pas la priver de ses moyens, même si elle doit être réinterrogée dans ses pratiques, comme en conviennent les professionnels.

Les travaux de la mission ont permis d’identifier plusieurs pistes de nature à consolider la place de la prévention spécialisée. En effet, la prévention spécialisée a besoin de visibilité et elle manque de cadrage. Nous avons pu constater un véritable besoin d’orientation pour l’exercice des missions des éducateurs de rue. Il nous semble qu’il revient à l’État, qui n’a plus produit de référentiels depuis 1972, de fixer ce cadre. D’ailleurs, la direction générale de la cohésion sociale a été mandatée par le ministre de la ville et la ministre des familles pour établir un guide national, qui devrait paraître prochainement.

Le rapport que je vous présente est favorable à l’élaboration d’un texte réglementaire rappelant plus précisément le contenu et le positionnement de la prévention spécialisée. Il propose également d’élaborer un guide d’évaluation de la prévention spécialisée sur lequel les conseils départementaux pourront s’appuyer pour travailler en confiance avec les associations, avec des critères objectifs, clairs et standardisés.

Il convient aussi de donner une place mieux identifiée à la prévention spécialisée dans le pilotage national de la politique de l’enfance. Ceci devra passer par la mise en place, au sein du nouveau Conseil national de la protection de l’enfance, d’une commission permanente spécifique à ce domaine. Elle permettra de construire, au-delà des nécessaires moments de prise de conscience ponctuels, une interaction régulière avec les professionnels de la prévention spécialisée, les services de l’État et les collectivités.

Lors de cette mission, nous avons identifié plusieurs difficultés que rencontre la prévention spécialisée et, en premier lieu, le besoin d’un financement pérenne.

Le pilotage national des grandes orientations doit être complété par une réflexion portant sur la gestion territoriale de cette politique décentralisée. Le rapport que je vous présente insiste sur le rôle primordial que joue et que doit continuer à jouer le département dans la coordination et le financement du travail des associations gestionnaires. Le rapport insiste également sur l’importance que doit prendre la contractualisation pluriannuelle pour sécuriser les financements et permettre un travail efficace.

La forme associative de l’immense majorité des services de prévention spécialisée ne peut justifier les politiques soudaines, parfois drastiques, de diminution des budgets, qui sont constatées dans certains départements. Certains ont même fait disparaître ce financement.

Le rapport s’engage également sur un diagnostic partagé par l’ensemble des acteurs rencontrés : le caractère facultatif de la prévention spécialisée dans les compétences du département contribue à sa fragilité.

Sur le plan juridique, il s’avère que, si une collectivité a établi une convention avec une association, elle est tenue de la financer.

Cependant, dans la réalité, ces conventions peuvent être facilement remises en cause puisque le département peut estimer, sans recours juridique possible pour les associations, qu’il n’y a plus besoin de prévention spécialisée sur son territoire. Le rapport propose donc de clarifier le cadre juridique et d’inscrire dans la loi le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée, au même titre que les autres dimensions de l’aide sociale à l’enfance.

Aujourd’hui, la prévention spécialisée doit faire face à de nouveaux défis. Le rapport fait des propositions et donne des pistes de travail pour rendre son action encore plus pertinente. Partant du constat que la grande majorité des jeunes suivis est en situation de rupture ou de décrochage scolaire, le rôle essentiellement éducatif de la prévention spécialisée doit passer par un renforcement de son rapport avec le cadre scolaire.

Les établissements scolaires apparaissent comme des lieux d’intervention incontournables pour la prévention spécialisée, dans la mesure où l’un des premiers signes révélateurs des difficultés chez les jeunes est la rupture avec l’institution scolaire. Des expériences existent sur le terrain, mais le rapprochement est jusqu’ici trop dépendant de la bonne volonté des chefs d’établissement. Notre rapport préconise l’élaboration d’une convention-cadre nationale avec le ministère de l’éducation nationale.

Par ailleurs, si la rue reste un lieu d’intervention classique de la prévention spécialisée, force est de constater qu’aujourd’hui, les jeunes sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux. Il est donc important de compléter le travail de rue par une intervention des éducateurs sur le net. Cet enjeu est bien intégré par les associations, qui ne savent cependant pas toujours y faire face ou qui n’en ont pas les moyens. Le rapport préconise de s’appuyer sur la démarche du ministère de la ville, dite les « Promeneurs du Net ». Ce dispositif permet de développer une présence sur les réseaux sociaux pour prolonger le suivi des jeunes rencontrés dans la rue ou pour toucher des publics tout aussi marginalisés, mais qui ne sont pas présents dans l’espace public.

Au fil des travaux de la mission, ont été évoquées, parmi les difficultés que rencontrent les jeunes, celles liées à la santé, comme les problèmes d’ordre psychique ou mental, ou encore d’addiction. Le rapport préconise un rapprochement avec les structures sanitaires via la participation des éducateurs de rue aux instances de pilotage ou à la création de structures relais adaptées aux publics de la prévention spécialisée. À la problématique de la santé, on pourrait ajouter celles du logement, de la formation, des loisirs, voire, pour certains jeunes, de la subsistance.

Le rapport met également en lumière la nécessaire adaptation de la formation des intervenants.

La question de la formation des éducateurs a jusqu’ici été souvent négligée, faute de moyens. Il est vrai que les éducateurs spécialisés sont des professionnels reconnus et appréciés. Néanmoins, des améliorations significatives peuvent être recherchées. La formation initiale d’un éducateur est très généraliste et se déroule dans des structures communes préparant à d’autres professions : elle ne permet pas aux étudiants d’appréhender la nature et l’intérêt du travail de la rue. Il serait donc judicieux, pour renforcer l’attractivité de la filière et la préparation à ce métier difficile, d’approfondir la spécialisation en fin de cursus et de permettre aux étudiants d’effectuer des stages en situation réelle.

S’agissant de la formation continue et face aux nouveaux enjeux que sont la prévention de la délinquance et de la radicalisation ou encore l’intervention sur le net, les professionnels sont demandeurs de formations pour être mieux préparés et mieux équipés. Il est important que les pouvoirs publics financeurs prévoient des moyens spécifiques pour accompagner l’effort réalisé par les associations gestionnaires, au même titre que tout employeur privé. Mais vu la rareté de leurs moyens, la formation est souvent le parent pauvre de leurs actions.

Je n’ai commenté que quelques éléments du rapport très riche qui vous est proposé. Vous aurez compris que la crise de la prévention spécialisée nous oblige à rappeler à quel point ce travail est précieux pour notre jeunesse. Le rapport trace des pistes pour mettre fin au malaise des éducateurs en dessinant l’avenir d’une prévention spécialisée consolidée sur tous les plans, mieux cadrée, mieux définie, mieux financée, mieux accompagnée, pour évoluer vers de nouveaux enjeux. La « prev », comme l’appellent ceux qui la connaissent bien, pourra être enfin, selon la formule d’une professionnelle auditionnée, « une politique publique à part entière et entièrement à part ».

C’est dans cet esprit qui peut, à mon sens, être largement partagé dans notre commission, que je vous propose d’adopter ce rapport.

M. Jean-Patrick Gille, président. Monsieur Jacquat, souhaitez-vous ajouter quelques mots en tant que président de la mission d’information ?

M. Denis Jacquat, président de la mission d’information. Mme la rapporteure a été extrêmement modeste puisqu’elle n’a pas indiqué que la mission avait adopté ce rapport à l’unanimité. Je tiens également à souligner l’excellent esprit qui a présidé à nos travaux, notre objectif étant que la prévention spécialisée, si utile dans notre pays, soit défendue au plus haut niveau et, si possible, inscrite dans le marbre.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je voudrais d’abord, au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain, féliciter nos collègues pour le travail réalisé dans le cadre de cette mission. Il était nécessaire qu’une mission d’information mène une réflexion sur la prévention spécialisée afin de lui assurer une meilleure reconnaissance, ce secteur souffrant depuis plusieurs années d’une sorte d’abandon, comme l’ont précisé certains des professionnels que nous avons auditionnés.

Depuis les années soixante-dix, ce domaine d’intervention du secteur social n’avait jamais fait l’objet d’un travail approfondi ni d’une refondation, la décentralisation ayant, entre-temps, rebattu les cartes des politiques publiques de proximité. Les acteurs de terrain et les associations qui les accompagnent étaient donc dans l’attente, et parfois même découragés, parce qu’ils constataient que personne n’apportait les garanties nécessaires à leur mission, essentielle, de service public.

Je voudrais revenir sur la proposition n° 3, qui invite à élaborer un texte réglementaire définissant les orientations doctrinales fondamentales et précisant le positionnement de la prévention spécialisée. C’est un point très important, qui permettra de reprendre les choses sur le fond.

La contractualisation pluriannuelle, qui va toucher à la question sensible des financements, est aussi une proposition très attendue, car il existe, sur notre territoire, de nombreuses disparités qui mettent en difficulté les équipes de prévention spécialisée.

Enfin, la proposition n° 6 vise à réécrire les dispositions du code de l’action sociale et des familles afin d’établir clairement le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée.

Je voudrais, dans le cadre de mon intervention, faire le lien entre les propositions de cette mission et la réflexion conduite à l’époque par Mme la ministre Marie-Arlette Carlotti sur le travail social. Des états généraux ont eu lieu, qui ont permis, pendant deux ans, à l’ensemble des acteurs de travailler dans le cadre de groupes d’études, faisant apparaître la nécessité d’une clarification dans le domaine de la prévention spécialisée. C’est ce que vous confirmez dans ce rapport. À titre personnel, je m’en félicite, et notre groupe est satisfait de ce travail qui vient compléter les orientations du plan d’action sociale proposé en novembre 2016.

Quant à la question de la formation, elle est essentielle. Sa spécificité doit être mieux prise en compte dans les cursus et tout au long de la formation continue.

J’en viens à une nouvelle problématique, concernant les risques de radicalisation.

Les éducateurs de la prévention spécialisée sont au cœur du problème et ont besoin de disposer d’outils, comme les Promeneurs du Net. J’ai pu le constater moi-même dans mon département, où j’ai reçu des professionnels qui m’ont expliqué comment ils travaillaient. Autant d’éléments nouveaux qui nécessitaient un travail approfondi, ce que vous avez fait, madame la rapporteure. Cela nous permettra, dans les années à venir, de mieux relever les défis auxquels il nous faudra faire face.

Les auditions auxquelles j’ai pu participer ont montré de très fortes attentes. Nous sommes, je crois, tous d’accord pour dire que ce rapport apporte des réponses.

M. Denis Jacquat, président de la mission d’information. Madame la rapporteure, je vous remercie d’avoir présenté en détail les conclusions de la mission d’information. Je vous remercie également pour l’ensemble du travail que nous avons réalisé ensemble, et ce, en parfaite intelligence puisque nous étions l’un et l’autre entièrement convaincus de l’utilité de la prévention spécialisée.

La mission d’information sur l’avenir de la prévention spécialisée a réalisé une quinzaine d’auditions, qui nous ont permis d’entendre M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, les administrations centrales concernées, les grandes fédérations têtes de réseaux, ainsi que de très nombreuses associations de prévention spécialisée, qui ont pu nous exposer leurs difficultés.

La mission a également réalisé quatre déplacements en France, à Dijon, Metz et Marseille, mais aussi en Belgique, à Molenbeek. Ces visites nous ont permis de nous rendre compte de l’hétérogénéité de la situation de la prévention spécialisée aujourd’hui, de ses enjeux, et d’effectuer des comparaisons riches d’enseignements.

Le rapport présenté ce matin par la rapporteure reflète fidèlement les constats que nous avons pu faire en rencontrant tous ces acteurs. La prévention spécialisée est un outil très important pour permettre aux jeunes marginalisés de retrouver des perspectives. Malheureusement, elle fait l’objet d’un investissement trop inégal des conseils départementaux qui en ont la compétence – je rappelle que c’est une compétence non obligatoire – depuis les réformes de décentralisation.

Dans ce contexte financier difficile, il me semblait important que notre commission s’interroge sur l’avenir de cette mission. La rapporteure fait des propositions concrètes auxquelles je souscris totalement et qui s’appuient très largement sur ce que nous avons entendu pendant les auditions et vu lors de nos déplacements. Les éducateurs de rue, qui font un travail difficile dans les quartiers, avec beaucoup de professionnalisme, ont besoin d’un cadre juridique précis, de moyens suffisants et d’accompagnement, compte tenu de la nécessaire évolution de leur métier.

La prévention spécialisée traverse régulièrement des crises dues à son financement et à son positionnement, comme j’ai pu le constater dans d’autres fonctions lors de la décentralisation de cette mission vers les départements, en 1983 et en 1986. Dans le contexte d’une nouvelle crise due à une diminution des moyens, incompatible avec l’extension du champ d’action de la prévention spécialisée, par exemple en matière de prévention de la délinquance et du radicalisme religieux, le rapport de la mission est très attendu par les associations et les éducateurs. Je souhaite qu’il contribue, au même titre que les travaux conduits en ce moment par le Gouvernement sur ce sujet, à donner la reconnaissance qu’il mérite à ce métier essentiel pour la cohésion sociale et la protection de notre jeunesse. Nous devons renforcer les moyens d’agir sur l’ensemble de notre territoire.

Je rappelle que le texte du rapport a été adopté à l’unanimité par la mission d’information et que le groupe Les Républicains est tout à fait favorable à ce rapport.

Mme Dominique Orliac. Tout d’abord, j’aimerais féliciter notre collègue pour son rapport fort complet et détaillé, qui permet de dresser un bilan de la prévention spécialisée.

La prévention spécialisée est une mission éducative destinée à permettre aux jeunes en voie de marginalisation de rompre avec l’isolement et de retisser des liens avec le reste de la société. Nous le savons, aujourd’hui encore plus qu’hier, cette mission et les actions qui sont menées dans ce cadre sont essentielles, tant nous connaissons, malheureusement, ce qui peut résulter de l’abandon de jeunes parfois fragiles, qui partent à l’étranger ou sur le chemin de la radicalisation.

Notre groupe partage votre constat des difficultés rencontrées sur le terrain, notamment faute de moyens financiers. Les dépenses en matière de prévention spécialisée sont très faibles puisqu’elles représentent en moyenne moins de 5 % des crédits de la protection de l’enfance, comme cela figure dans votre rapport.

Bien que la prévention spécialisée soit étroitement liée à l’aide sociale à l’enfance, notre groupe a déploré, lors de l’examen du projet de loi de finances, en novembre dernier, une diminution trop importante des crédits de l'action 19 du programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Si, pour nous, radicaux de gauche, l’école de la République est l’une des bases de notre socle républicain, les activités parascolaires telles que l’engagement sportif ou le vivre-ensemble à travers la vie associative sont tout aussi importantes que l’école, et peut-être plus encore aujourd’hui qu’hier, après les attentats perpétrés dans notre pays ces deux dernières années, car c’est lors d’activités parascolaires que les jeunes peuvent se rencontrer dans un cadre différent et apprendre les valeurs de respect, d’entraide, de cohésion et de solidarité. Il est donc très important de se donner des moyens financiers afin d’encourager le vivre-ensemble, et ce, également en dehors de l’école.

Enfin, le travail des éducateurs de rue permet d’éviter certaines dépenses publiques. Les jeunes accompagnés se trouvent le plus souvent dans une situation sociale et sanitaire très difficile, en état de décrochage scolaire, dans un environnement familial dégradé ou en prise avec la délinquance. La mission des éducateurs de rue est de leur permettre de reprendre leur scolarité ou de suivre une formation, de les aider à se loger, de réduire les comportements à risques ou encore de les sortir de leur isolement par des activités collectives. Leur rôle est donc essentiel.

Les douze propositions que vous faites à la fin de votre rapport me semblent très judicieuses et très intéressantes, notamment votre proposition n° 5, qui vise à favoriser une contractualisation pluriannuelle avec l’ensemble des partenaires financeurs, et votre proposition n° 7, qui prévoit d’élaborer une convention-cadre nationale entre le ministère de l’éducation nationale et les acteurs de la prévention spécialisée.

À ce sujet, vous rapportez que vous avez rencontré des intervenants en Belgique, à Molenbeek, notamment l’association « Le Foyer ». Il serait intéressant de savoir comment sont financés les ateliers – que vous mentionnez à la page 57 de votre rapport – ayant pour objectif de développer la pensée critique, et plus généralement les actions de prévention spécialisée en Belgique. La Belgique ayant des institutions très décentralisées, je me demandais quels organismes publics, si tel était le cas, avaient la charge de financer ces actions.

M. Gilles Lurton. Je tiens d’abord à m’associer aux félicitations adressées à notre rapporteure, ainsi qu’au président Denis Jacquat, pour l’écoute dont ils ont su faire preuve au cours des quinze auditions menées par la mission d’information.

J’ai eu l’occasion de participer à toutes ces auditions et j’ai pu poser toutes les questions qui me préoccupaient sur un sujet important, qui pose malheureusement beaucoup de problèmes, du fait du renoncement de certaines collectivités locales à participer aux dépenses destinées à la prévention spécialisée. Il y a plusieurs raisons à cela.

Il y a, d’abord, la diminution des dotations de l’État aux collectivités locales et l’explosion des dépenses sociales des départements – je pense notamment à l’allocation personnalisée d’autonomie et au revenu de solidarité active (RSA) –, ce qui oblige les collectivités à se recentrer sur leurs compétences obligatoires et à laisser de côté celles qui sont facultatives.

Autre raison, sans doute : le manque de visibilité des résultats de la politique de prévention spécialisée. Il n’est pas toujours aisé, pour les professionnels de la prévention spécialisée et pour les travailleurs de rue, de quantifier le résultat de leur action. Je m’en suis entretenu à plusieurs reprises avec différents acteurs de ma circonscription, qui relatent ces difficultés et cherchent des solutions pour donner plus de transparence à leur travail.

Nous devons tous avoir conscience de ces problèmes. Si nous ne percevons pas toujours le résultat du travail des acteurs de la prévention spécialisée, je reste convaincu, pour ma part, que les élus locaux comprendront très vite dans quelle impasse nous conduira ce manque de visibilité.

Troisième raison, enfin, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a dissocié la compétence de prévention spécialisée des départements pour la confier aux métropoles. Je n’arrive toujours pas à comprendre le motif de ce transfert. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que cela a rendu la politique de prévention spécialisée illisible et inaudible pour les acteurs locaux.

Je regrette également que les travaux que nous avons menés avec Mme Bouziane-Laroussi et M. Jacquat ne nous aient pas conduits à nous pencher sur ces sujets avant d’adopter la loi relative à la protection de l’enfant. Cela nous aurait permis d’affirmer la prévention spécialisée dès l’article 1er comme un axe fondateur de la protection de l’enfant, plutôt que de la renvoyer à l’article 5 de la loi, ce que j’avais d’ailleurs fortement contesté lors de l’examen du texte.

Aujourd’hui, à l’issue de ces travaux passionnants, je me demande s’il ne conviendrait pas de rendre cette compétence à l’État afin d’avoir une politique unifiée sur l’ensemble du territoire. C’est un peu le sens de la proposition n° 2, qui vise à mettre en place, au sein du Conseil national de la protection de l’enfance, une commission permanente consacrée à la prévention spécialisée. J’en comprends bien l’objectif, mais est-ce suffisant ? L’État clarifiera-t-il vraiment sa position ?

M. Gérard Sebaoun. Merci, madame la rapporteure, d’avoir abordé le sujet de la prévention spécialisée, qui est méconnu. Pour avoir chapeauté celle-ci pendant trois ans dans mon département, je peux vous dire que j’ai eu affaire à un monde très hétéroclite, très particulier, où la confiance avec les élus n’était pas toujours au rendez-vous. Beaucoup d’élus confondaient la politique « jeunesse » et la prévention spécialisée. Et quelle que soit la majorité du moment, certains se portaient volontaires pour agir avec ces associations de terrain, alors que d’autres souhaitaient les voir n’importe où, mais pas sur leur territoire.

Par ailleurs – s’agissant des plus jeunes – il était difficile de contractualiser avec les collèges. Cela dépendait essentiellement de la qualité ou de la connaissance des principaux de collège. La tâche des acteurs de terrain s’en trouvait compliquée.

Il faudrait mener un travail auprès des élus, qui connaissent mal ce monde. Puisqu’ils sont les financeurs, ils ont l’impression de détenir les clefs de la prévention spécialisée, alors que la prévention spécialisée va bien au-delà.

Cela étant dit, madame la rapporteure, je souhaiterais vous interroger sur deux points.

D’abord, le partage des informations, qui me semble essentiel, mais que les éducateurs remettent régulièrement en cause lorsque nous en discutons avec eux.

Ensuite, une phrase de votre rapport, qui figure au début de la page 67, et que je cite : « Comme en matière de prévention de la délinquance, la prévention spécialisée peut, grâce à des méthodes qui ont fait leurs preuves, apporter un précieux concours à la lutte contre les extrémismes religieux ou politiques. »

Pour ma part, je ne sais pas qui détermine ce qui relève de l’extrémisme religieux ou politique. On voit bien à quoi cela peut mener, mais on voit bien aussi que ce type de phrase risque de semer la confusion. Nous sommes dans un pays de liberté et il est difficile d’affirmer, par exemple, face au positionnement politique de tel ou tel, que c’est un extrémiste. Je souhaiterais une réponse de votre part car cette phrase me paraît particulièrement ambigüe.

Mme Geneviève Levy. Je m’associe pleinement aux félicitations qui vous ont été adressées, et je voudrais vous apporter mon témoignage : dans ma circonscription, à Toulon, et plus largement dans le département du Var, les crédits n’ont jamais été réduits, et la prévention spécialisée y est très bien menée – principalement par une association.

Je pense que les difficultés que l’on rencontre sur le terrain sont de plusieurs ordres. D’abord, comme vient de le dire notre collègue, les contacts avec d’autres institutions, et en particulier avec l’éducation nationale, sont difficiles ; selon moi, ce serait à l’État d’intervenir. Ensuite, il manque un cadre réglementaire et juridique à ce type d’actions associatives. Enfin, il faudrait que les éducateurs soient mieux formés – c’est très demandé.

En conclusion, votre rapport constitue une excellente base de réflexion, mais il conviendrait d’aller plus loin.

M. Christophe Cavard. Je félicite moi aussi les membres de la mission, le président et la rapporteure pour leur travail, dans un domaine auquel je suis tout particulièrement sensible – pour des raisons professionnelles. Les personnels de la prévention spécialisée qui sont présents dans quasiment tous les départements – même si quelques départements ont malheureusement vu disparaître un certain nombre d’équipes – méritent toute notre reconnaissance.

J’approuve la proposition n° 6, qui vise à établir clairement le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée. Dans la mesure où cette proposition a emporté l’unanimité, j’espère qu’elle sera largement reprise par la suite, quel que soit le résultat des prochaines élections. Cette compétence n’étant pas obligatoire, la prévention spécialisée est devenue une variable d’ajustement budgétaire pour un certain nombre de départements, avec toutes les difficultés qui en découlent.

Mais je m’arrêterai plus longuement sur la proposition n° 10.

J’ai participé aux trois commissions d’enquête qui ont été créées à la suite des attentats. Celle qui était liée à l’affaire Merah s’est tenue de janvier à novembre 2015 ; elle était présidée par Eric Ciotti et son rapporteur était Patrick Menucci. En juin, j’avais fait une proposition qui a été validée par la commission d’enquête : recourir à des équipes d’éducateurs formées aux problématiques de la radicalisation, et spécialisées, notamment, dans le « désembrigadement ». Aujourd’hui, des équipes travaillent en ce sens, dans les Bouches-du-Rhône, autour de Saint-Etienne, etc. L’idée était de disposer d’équipes de professionnels, pouvant servir d’équipes référentes, dans les régions, pour d’autres professionnels – notamment des travailleurs sociaux – intervenant dans les mêmes domaines. Je pense que cette proposition pourrait faire écho à la proposition n° 10.

Je précise que la prévention spécialisée a remis au ministère de l’intérieur un guide, qui fait état de la façon dont ses équipes peuvent intervenir auprès des publics, notamment auprès des familles. Vous savez en effet que le « désembrigadement » passe aussi par les familles.

Madame la rapporteure, il me semblerait intéressant de mettre en œuvre cette proposition n° 10, en corrélation avec les travaux qui ont été menés par les commissions d’enquête.

Mme Annie Le Houérou. La prévention spécialisée a pour objectif de prévenir la marginalisation des adolescents et des jeunes adultes. Elle tient sa spécificité de ses interventions de rue, où les éducateurs vont à la rencontre des jeunes qui se mettent hors du cadre institutionnel, qu’ils rejettent en général.

La prévention spécialisée est aussi en marge de nos institutions, en marge des compétences des différentes collectivités locales définies par la loi.

Elle relève aujourd’hui de la prévention de l’enfance, à la charge des départements, lesquels ne peuvent se dérober à leur obligation par manque de moyens. Cependant, les communes et les communautés de communes ont aussi leur part de responsabilité, au titre des politiques « jeunesse ». L’État a également son rôle à jouer, par le biais de l’éducation nationale, au titre des politiques de cohésion sociale ou de la ville, voire au titre des politiques du ministère de la justice.

On mesure là toute la complexité de la mise en œuvre de la prévention spécialisée, d’autant que dans ce contexte confus et diffus, la réussite de ces politiques repose sur une parfaite complémentarité entre les différents acteurs.

Je voudrais souligner l’importance des associations, en général des associations militantes, qui se débattent pour obtenir reconnaissance et financements leur permettant de fonctionner correctement et de venir en aide aux jeunes en décrochage. Il s’agit d’apporter à ces jeunes des réponses concrètes, d’en sortir certains de l’errance, d’addictions ou de ruptures familiales qui leur enlèvent tout repère, voire de les sortir de la radicalisation.

Je pense qu’il est indispensable de clarifier encore les orientations et les compétences – c’est votre troisième proposition – et de rendre plus lisible l’action de ceux qui mettent en œuvre cette politique, en favorisant la contractualisation pluriannuelle avec l’ensemble des partenaires financeurs – c’est aussi ce que vous proposez.

Je vous remercie pour votre travail et vos propositions très concrètes et judicieuses, qui redonneront aux professionnels de la prévention spécialisée, au service de nos jeunes et de leurs familles, la reconnaissance qui leur est due. J’espère que ces propositions trouveront prochainement leur traduction.

Mme Véronique Massoneau. Mes remerciements vont à Mme Kheira Bouziane et à M. Denis Jacquat pour le travail qu’ils ont fourni. Ce rapport a pour objet d’analyser au plus près les problématiques qui traversent la prévention spécialisée. Vous avez d’ailleurs organisé plusieurs déplacements sur le terrain, ce qui vous a donné une vision précise de la situation. Et vous nous proposez des solutions.

J’observe que les évolutions récentes de la prévention spécialisée posent la question du positionnement et de la cohérence de cette politique. Parfois, elle fait partie intégrante de la politique de protection de l’enfance, et parfois, elle est intégrée à la politique de la ville et à la prévention de la délinquance. Il serait nécessaire de définir clairement les contours et le cadre dans lesquels s’inscrit la prévention spécialisée.

On l’a dit, la prévention spécialisée est bien une politique appartenant au champ de protection de l’enfance. Elle participe, par ses actions de prévention, de manière générale, à la prévention de la délinquance, et même à la prévention de la radicalisation depuis plusieurs années – sans que ce soit son but premier.

Parfois, la prévention spécialisée est « diluée » dans la politique de la ville. Or les zones d’intervention et de besoins de la prévention spécialisée ne correspondent pas nécessairement à la géographie prioritaire de la politique de la ville. Des interventions sont, par exemple, menées en zone rurale auprès de jeunes ayant des difficultés sociales très importantes.

Pouvez-vous nous donc en dire plus sur le positionnement des acteurs de la prévention spécialisée vis-à-vis des politiques de prévention de la délinquance et de la politique de la ville ?

M. Rémi Delatte. Je m’associe bien sûr aux compliments qui ont été adressés à Mme Kheira Bouziane et M. Denis Jacquat pour ce rapport tout à fait intéressant, utile pour mieux positionner la prévention spécialisée.

Je voudrais simplement reprendre la proposition n° 5 : « Favoriser une contractualisation pluri-annelle avec l’ensemble des partenaires financiers ». Je pense qu’il faudrait aller au-delà et développer une relation de réseaux, en particulier avec les services municipaux, le cas échéant avec les services communautaires, notamment dans le cadre du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), où la prévention spécialisée a toute sa place.

L’idée est de pouvoir renforcer, autour des jeunes en difficulté, les moyens de les aider, de les accompagner pour les sortir des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Ce serait une vraie reconnaissance pour les professionnels qui sont, à un moment ou à un autre, des acteurs de la vie locale. Cela améliorerait l’efficacité et la pertinence de leur travail.

M. Jean-Patrick Gille. J’ai une question à poser à Mme la rapporteure, pour rebondir sur la question de Mme Massoneau. Qui pilote la prévention spécialisée, entre la politique « jeunesse » et la politique de la ville ? Aujourd’hui, c’est le même ministère. Mais ce n’est pas toujours le cas.

Par ailleurs, le Premier ministre a installé jeudi dernier le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COPJ). Je voudrais m’assurer que l’on va mener, dans le cadre de ce nouveau conseil, une réflexion sur la prévention spécialisée.

Madame la rapporteure, je vous laisse répondre aux questions de vos collègues.

Mme la rapporteure. Je tiens à remercier mes collègues pour ces nombreuses questions, qui confirment l’intérêt du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui.

Je voudrais rebondir sur ce qu’a dit le président de la mission, M. Denis Jacquat, à propos de nos auditions. Nous avons entendu de nombreux acteurs, institutionnels ou associatifs, mais nous avons aussi reçu de nombreuses contributions de la part de ceux que nous n’avons malheureusement pas pu rencontrer. Je voudrais tous les remercier.

Ce rapport est très attendu par les associations, les professionnels, mais aussi par les acteurs de terrain, les communes et les collectivités territoriales. Ces dernières sont parfois confrontées à la disparition de la prévention spécialisée sur leur territoire. Elles essaient alors de combler ce vide sur les territoires désertés – involontairement – par les associations.

Lors de nos auditions, nous avons constaté la grande diversité des associations. Il y en a de toutes petites, mais aussi de gigantesques, comme à Marseille où plusieurs associations se sont regroupées, ce qui assure d’ailleurs une certaine complémentarité. Cela étant, où commence la prévention spécialisée ? Où commence la prévention de la délinquance ? Où commence la prévention de la radicalisation ? C’est un vrai sujet.

Je ne vous cacherai pas que je souhaite que l’on fasse bien la distinction : la prévention spécialisée, dans ma conception, doit rester dans la protection de l’enfance et ne pas se trouver mélangée aux actions autres qui ont été imposées par les évènements. Ce sont des choses complètement différentes, même si certaines associations se sont investies dans la lutte contre la délinquance ou contre la radicalisation – « à côté » de la prévention spécialisée.

Il faut faire prévaloir cette idée sur tout le territoire. En effet, les politiques de lutte contre la délinquance et la radicalisation sont en train de « vampiriser » les moyens de la prévention spécialisée. Un redéploiement des moyens a lieu au détriment de la prévention spécialisée.

Je précise – pour rejoindre la question de Mme Orliac – que la prévention spécialisée évite des dépenses et des dégâts qui pourraient être importants. C’est pour cela que je la distingue des deux autres types de prévention.

Mme Orliac parlait de l’expérience de la Belgique : nous avons été frappés par les caractéristiques de l’action menée à Molenbeek. D’ailleurs, l’idée nous était venue de nous rendre dans cette ville parce que j’avais entendu parler du travail associatif qui y était réalisé
– en matière de prévention d’une manière générale, et de prévention de la radicalisation en particulier.

On compte 1 500 associations à Molenbeek. Elles sont portées par un budget colossal venant de la commune – qui est le partenaire privilégié sur toutes ces questions.

L’association que nous avons visitée, « Le Foyer », s’apparente aux centres sociaux que l’on trouve chez nous dans de nombreux territoires, avec une offre très diversifiée et des intervenants de très haute qualité. Le jour de notre visite, on nous a présenté une action de décryptage de l’information et de l’image, menée en direction des jeunes, avec les enfants et leurs parents, et dirigée par une anthropologue. Je ne sais pas si, sur vos territoires, des anthropologues interviennent dans les centres sociaux… C’est vous dire tout l’intérêt et toute l’importance qui est donnée à ce travail de prévention dans sa globalité.

Monsieur Lurton, vous avez soulevé un problème important, en rapport avec la loi NOTRe et la métropolisation. Je partage vos inquiétudes, dans la mesure où la prévention spécialisée risque d’être détachée de la protection de l’enfance. C’est un sujet qu’il faudra suivre. On devra éclaircir les objectifs à poursuivre et les moyens qu’on voudra se donner pour les atteindre. Non pas que je sois contre les métropoles… Mais on a besoin d’une orientation claire. D’où les propositions que nous avons faites.

M. Sebaoun s’est interrogé sur le partage de l’information. Il est exact qu’à une certaine époque, les acteurs de la prévention spécialisée étaient très jaloux des informations qu’ils détenaient. Pour les communes, qui souhaitaient mener une action de protection de l’enfance efficace, cela posait problème. Celles-ci se sont parfois trouvées en opposition avec les acteurs de la prévention spécialisée qui ne voulaient pas dévoiler, qui les noms, qui les familles…

Malgré tout, une réflexion a été conduite sur le travail de la prévention spécialisée. Et ses acteurs sont prêts à travailler, parce qu’il en va de la protection de notre jeunesse. Ils ont analysé leurs pratiques. Nous avons d’ailleurs rencontré aujourd’hui des associations de prévention spécialisée très ouvertes et prêtes à évoluer.

Concernant l’extrémisme religieux, il faut retenir que la particularité de l’action de prévention spécialisée peut amener les éducateurs à être en contact avec des jeunes dont le comportement est susceptible d’alerter. D’ailleurs, à Molenbeek, c’est le cas. Sans faire de la prévention spécialisée la lutte contre la radicalisation par excellence, les éducateurs, et les personnes que reçoivent ces éducateurs, peuvent être aussi des acteurs de la lutte contre les extrémismes. L’un n’exclut pas l’autre.

Je suis d’accord avec Mme Levy qui pense que le travail doit être poursuivi et qu’il faut aller plus loin. C’est en tout cas le vœu de cette mission, lequel semble partagé par un certain nombre d’entre nous.

Oui, monsieur Cavard, la formation des éducateurs est nécessaire. Malheureusement, elle est limitée par les moyens dont disposent les associations. Mais soyons honnêtes. Si ce sont des associations qui les portent aujourd’hui, c’est parce que l’on y trouve un intérêt. Les associations coûtent moins cher qu’un service porté, par exemple, par les départements. On se doit donc de reconnaître le travail des associations et leur donner les moyens de le remplir dans les meilleures conditions – formation continue, mais aussi rémunération des éducateurs, dont le travail doit également être reconnu.

Madame Le Houérou, vous avez évoqué la relation que nous souhaitons établir entre éducation nationale, prévention, protection de l’enfance, et cohésion sociale. Il y a entre elles une grande complémentarité.

Vous avez également évoqué les associations « militantes ». Effectivement, on parle beaucoup des moyens qui sont mis à la disposition des associations pour payer le service, et notamment les salaires des éducateurs. Mais je voudrais m’arrêter sur le travail qui est réalisé par de nombreux bénévoles, qu’on ne reconnaît pas – ou en tout cas que l’on n’évalue pas. On doit leur rendre hommage pour ce qu’ils font sur les territoires, avec beaucoup d’abnégation et de compétence.

Notre collègue Véronique Massoneau est intervenue à propos de l’évolution récente de la prévention spécialisée et des dispositions réglementaires qui la régissent. La prévention spécialisée doit relever de la protection de l’enfance, même si des passerelles peuvent exister vers la cohésion sociale ou la lutte contre les dérives sectaires ou religieuses. La prévention spécialisée permet de prévenir la délinquance. Un lien existe forcément, et je crois que ce n’est pas contradictoire.

Monsieur Delatte, la prévention spécialisée a toute sa place dans les CLSPD, comme dans les réseaux qui peuvent être tissés sur les territoires, avec les agglomérations et, demain peut-être, avec la métropole. Et effectivement, cela peut venir en complément de l’action menée par le département.

Je terminerai sur la question de notre président Jean-Patrick Gille concernant l’orientation des politiques « jeunesse ». La prévention spécialisée n’est pas explicitement mentionnée dans le décret portant création du COPJ. Cependant on peut penser, au vu de l’investissement consenti par le ministère de la ville sur la prévention spécialisée, que les éducateurs de rue ne seront pas oubliés.

M. Jean-Patrick Gille, président. Nous y serons attentifs.

Madame la rapporteure, merci pour toutes ces réponses. Mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de ce débat.

La Commission autorise, à l’unanimité, la publication du rapport d’information sur l’avenir de la prévention spécialisée. (Applaudissements)

La séance est levée à dix heures trente.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 1er février 2017 à 9 heures 30

Présents. – M. Pierre Aylagas, M. Alain Ballay, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, Mme Valérie Boyer, Mme Marie-Arlette Carlotti, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Christophe Cavard, M. Yves Censi, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Jean-Pierre Door, M. Richard Ferrand, M. Jean-Patrick Gille, M. Henri Guaino, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Marie-Thérèse Le Roy, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Philippe Noguès, M. Robert Olive, Mme Dominique Orliac, Mme George Pau-Langevin, M. Jean-Louis Roumégas, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Francis Vercamer

Excusés. – M. Élie Aboud, Mme Sylviane Bulteau, M. Stéphane Claireaux, M. Dominique Dord, M. Christian Hutin, Mme Isabelle Le Callennec, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Monique Orphé, M. Bernard Perrut, M. Arnaud Viala, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Jean Jacques Vlody

Assistait également à la réunion. – Mme Annie Le Houerou