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No 1769

 

 

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 février 2014

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

portant observations sur la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordres dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social (no 1686)

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Chantal GUITTET

Députée

——

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; Mmes Annick GIRARDIN, Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; MM. Christophe CARESCHE, Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, M. André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, M. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Mme Axelle LEMAIRE, MM. Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Arnaud LEROY, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : LA PROPOSITION DE LOI SUR LA LUTTE CONTRE LE DUMPING SOCIAL ET LA CONCURRENCE DÉLOYALE : UN TEXTE QUI PRÉSENTE DE RÉELLES AVANCÉES MAIS QUI COMPORTE DES DISPOSITIONS PROBLÉMATIQUES 7

I. DE RÉELLES AVANCÉES LÉGISLATIVES 7

A. L’EXTENSION DU DEVOIR D’INJONCTION DU MAITRE D’OUVRAGE EN CAS DE TRAVAIL DISSIMULÉ PAR LE COCONTRACTANT 7

B. L’ALLONGEMENT DE LA LISTE DES DOCUMENTS EXIGIBLES PAR LES INSPECTEURS DU TRAVAIL POUR LUTTER CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL 8

C. L’OUVERTURE DE LA POSSIBILITÉ D’ESTER EN JUSTICE AUX ASSOCIATIONS ET SYNDICATS 8

D. LA SIGNATURE DES MARCHÉS PUBLICS CONDITIONNÉE À LA PRODUCTION DE L’ATTESTATION D’ASSURANCE DÉCENNALE OBLIGATOIRE 9

II. DES ARTICLES QUI DOIVENT ETRE MODIFIÉS OU SUPPRIMÉS 10

A. L’EXTENSION DE L’OBLIGATION DE VIGILANCE DE L’ENTREPRISE BÉNÉFICIAIRE : UN ARTICLE TROP CONFUS ET MAL RÉDIGÉ 10

B. L’ÉLARGISSEMENT DES CAS OÙ LE MAÎTRE D’OUVRAGE OU LE DONNEUR D’ORDRE PEUT ÊTRE TENU AU PAIEMENT DES SALAIRES : UN OBJECTIF LOUABLE, UNE RÉDACTION IMPARFAITE 10

C. L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ PENALE DU MAITRE DE L’OUVRAGE : UNE RÉDACTION DU TEXTE QUI CRĖE EN L’ÉTAT UNE IMMUNITÉ PÉNALE D’UN MOIS 12

D. LA MISE EN PLACE D’UNE LISTE NOIRE D’ENTREPRISES : UNE MAUVAISE RÉDACTION POUR UNE BONNE DISPOSITION 12

DEUXIÈME PARTIE : DES AMÉLIORATIONS SUPPLEMENTAIRES NECESSAIRES POUR RENFORCER LE DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LA CONCURRENCE DELOYALE ET LES TRAFICS DE MAIN D’OEUVRE 15

I. À DEFAUT DE LA CRÉATION D’UNE CARTE DU TRAVAILLEUR EUROPÉEN, CRÉER UNE CARTE PROFESSIONNELLE DU TRAVAILLEUR DU BATIMENT 15

II. AMELIORER LES CONDITIONS RÉGLEMENTAIRES DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL 16

A. RENFORCER LES AMENDES PRÉVUES POUR NON PRÉSENTATION DES DOCUMENTS EXIGIBLES PAR LES INSPECTEURS DU TRAVAIL QUI CONTRÔLENT LES DÉCLARATIONS DE DÉTACHEMENT 16

B. ETENDRE LES SANCTIONS POUR TRAVAIL ILLEGAL ET OFFRES ANORMALEMENT BASSES 16

1. L’extension de la circonstance aggravante de bande organisée 16

2. La lutte contre la concurrence déloyale des offres anormalement basses 16

C. RENFORCER LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES POUR TRAVAIL ILLEGAL EN COMPLEMENT DES SANCTIONS PENALES 17

1. Le renforcement du pouvoir des préfets 17

2. Le renforcement du pouvoir des Urssaf 18

D. ENCADRER RIGOUREUSEMENT LE DÉTACHEMENT « INTRA-GROUPE » 18

CONCLUSION 19

TRAVAUX DE LA COMMISSION 21

CONCLUSIONS 23

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE 25

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 29 mai 2013, nos collègues Gilles Savary, Michel Piron et votre rapporteure vous présentaient un rapport d’information sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs1 dans lequel était formulées vingt-et-une propositions pour lutter le plus efficacement possible contre la concurrence déloyale sous forme de dumping social qui se développe actuellement en Europe à la faveur tant des faiblesses de la directive sur le détachement des travailleurs 2 que de son contournement frauduleux.

À la suite de ce rapport, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a repris à son compte, le 11 juillet 2013, un certain nombre de nos recommandations, telles que l'instauration d'une agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe, la création d'une carte du travailleur européen et l'introduction d'un salaire minimum de référence, afin d'harmoniser socialement les conditions de détachement.

Le 2 décembre 2013, la question du détachement des travailleurs a par ailleurs fait l’objet d’un débat en séance publique, montrant à quel point ce sujet était d’actualité.

De fait, au niveau européen, le trilogue sur la révision de la directive n’a toujours pas abouti, même si un pas important a été franchi le 9 décembre dernier, sous l’impulsion de la France, puisque les ministres du travail européen se sont mis d’accord sur un texte qui instaure une liste de mesures de contrôles ouvertes ainsi que sur un mécanisme de responsabilité solidaire obligatoire du donneur d’ordre dans le bâtiment.

Bien que quelques progrès aient été réalisés, le compromis final sera de l’avis de tous difficile à atteindre, et il semble malheureusement peu probable qu’il puisse être réalisé avant la nomination de la nouvelle Commission européenne à l’automne prochain.

Pourtant l’urgence est réelle dans notre pays, et il est nécessaire de légiférer rapidement pour combattre le travail illégal et la concurrence déloyale par le biais de l’optimisation sociale, qui mettent à mal des pans entiers de notre économie, tels que le bâtiment et les travaux publics, le transport routier, ou encore l’agro-alimentaire, et favorisent l’émergence de salariés « low cost ».

C’est l’objet de la proposition de loi dont notre commission s’est saisie pour observations, en application de l’article 151.1.1. du Règlement, qui vise, en parallèle des mesures volontaristes annoncées par le M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social telles que le plan de lutte contre le travail illégal pour 2013-2015 ou le projet de réforme du corps des inspecteurs du travail à renforcer la législation pour rétablir les conditions d’une concurrence loyale.

Cette proposition de loi a pour objectif d’instaurer plusieurs mesures préventives et répressives pour lutter plus efficacement contre le dumping social, la concurrence déloyale et les abus de sous-traitance. S’il s’agit d’un texte présentant de réelles avancées, celui-ci peut toutefois être amendé pour plus de clarté et complété pour plus d’efficacité.

PREMIÈRE PARTIE : LA PROPOSITION DE LOI SUR LA LUTTE CONTRE LE DUMPING SOCIAL ET LA CONCURRENCE DÉLOYALE : UN TEXTE QUI PRÉSENTE DE RÉELLES AVANCÉES MAIS QUI COMPORTE DES DISPOSITIONS PROBLÉMATIQUES

Le chapitre premier comprend six articles qui introduisent des dispositions pour renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre en matière de lutte contre la concurrence déloyale, via l’instauration d’une solidarité financière en matière de salaires et la mise en place d’une liste « noire » d’entreprises et de prestataires de main d’œuvre ayant été condamnés pour travail illégal.

Le chapitre deux comprend quant à lui deux articles qui modifient d’autres codes que le code du travail ; ils visent à assurer une protection aux salariés en situation de vulnérabilité et à conditionner la signature de marché à la détention d’une assurance décennale obligatoire.

Certaines de ces dispositions sont directement inspirées des travaux que nous avons menés au sein de notre commission, et représentent une avancée législative réelle ; en revanche, le texte comporte des dispositions qui demeurent problématiques.

I. DE RÉELLES AVANCÉES LÉGISLATIVES

A. L’EXTENSION DU DEVOIR D’INJONCTION DU MAITRE D’OUVRAGE EN CAS DE TRAVAIL DISSIMULÉ PAR LE COCONTRACTANT

Actuellement, l’information donnée par un agent de contrôle n’impose pas au maître de l’ouvrage d’adresser l’injonction prévue par l’article L. 8222-5 du code du travail en cas d’irrégularité de son entreprise cocontractante. En effet, cet article impose au maître de l’ouvrage ou au donneur d’ordre de faire cesser la situation de travail dissimulé en cas d’irrégularité des seuls sous-traitants ou d’un subdélégataire.

L’article 3 vise ainsi à étendre le devoir d’injonction du maître de l’ouvrage privé au cas d’irrégularité de l’entreprise avec laquelle il a contracté. Il s’agit d’une disposition conforme à l’objectif du texte.

B. L’ALLONGEMENT DE LA LISTE DES DOCUMENTS EXIGIBLES PAR LES INSPECTEURS DU TRAVAIL POUR LUTTER CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL

L’article 4 propose d’ajouter dans la liste des documents que les agents de contrôle habilités à lutter contre le travail illégal peuvent se faire présenter, les documents relatifs aux prestataires de services établis à l’étranger intervenant en France pour y réaliser une prestation à l’aide de travailleurs détachés.

Cette mesure, qui doit être soutenue, permettra aux agents autres que les inspecteurs du travail de pouvoir se faire présenter les déclarations de détachement, aussi bien auprès des prestataires de services étrangers qu’auprès des donneurs d’ordre.

C. L’OUVERTURE DE LA POSSIBILITÉ D’ESTER EN JUSTICE AUX ASSOCIATIONS ET SYNDICATS

Dans notre rapport sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs3, nous soulignions que du fait de la méconnaissance de leurs droits ainsi que de leur vulnérabilité, la probabilité que les travailleurs détachés qui ne voient pas leurs droits respectés acceptent qu’un syndicat ou une association ou toute autre partie tierce este en justice pour leur compte était faible. C’est pourquoi nous suggérions que des parties tierces puissent engager une procédure sans l’approbation des travailleurs qui subissent un dommage.

L’article 7 reprend cette proposition à son compte et prévoit ainsi de donner la possibilité aux associations, aux syndicats professionnels et aux syndicats de salariés de la branche concernée de se constituer partie civile y compris en l’absence d’accord du salarié ou en l’absence de poursuites par le Parquet. Il s’agit de permettre aux associations ou syndicats professionnels et aux syndicats de salariés chargés de la défense des intérêts collectifs des entreprises et des salariés, et régulièrement déclarés depuis au moins cinq ans à la date des faits de se porter partie civile en cas de travail illégal de nature à fausser la concurrence.

Cet article est perfectible. D’une part, le délai de cinq ans d’ancienneté de l’organisation prévu dans la rédaction actuelle ne semble pas cohérent avec le droit actuel, et notamment avec le seuil de deux ans prévu en droit du travail pour la représentativité des organisations syndicales, prévu aux articles L. 2121-1 et suivants du Code du travail.

En outre, il convient de s’interroger aussi sur la possibilité de compléter cet article 7 pour introduire une possibilité de recours de ces mêmes organismes devant le tribunal des affaires sociales et devant le conseil des prud’hommes.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 7 ne permet pas, en effet, aux organisations syndicales de faire valoir les droits des salariés détachés, ni les droits des salariés victimes du travail dissimulé, du marchandage et du prêt illicite de main d’œuvre, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et la cour d’appel. Or, les droits attachés à la reconnaissance ou à la prise en charge d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne peuvent se faire valoir que devant cette juridiction.

Il ne permet pas non plus à ces organisations de faire valoir les droits résultant directement du contrat de travail (rappel de salaire, remise de bulletin de paie ou de certificat de travail, versement de l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire, etc.) qui ressortent exclusivement de la compétence du conseil de prud’hommes.

D. LA SIGNATURE DES MARCHÉS PUBLICS CONDITIONNÉE À LA PRODUCTION DE L’ATTESTATION D’ASSURANCE DÉCENNALE OBLIGATOIRE

L’article 8 propose de conditionner la signature des marchés à la production de l’attestation d’assurance décennale obligatoire. Tous les travaux de construction d’ouvrages au sens de l’article 1792 du code civil sont soumis à l’assurance obligatoire de responsabilité décennale et de dommages-ouvrage, sauf ceux qui sont énumérés à l’article L. 243-1-1 du code des assurances. Le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux prévoit la justification de la souscription de cette assurance obligatoire par le titulaire du marché dans les quinze jours à compter de la notification du marché. Les entreprises, françaises ou étrangères, faisant l’impasse sur cette obligation peuvent donc se voir notifier un marché public, sans pour autant disposer de cette assurance et il sera très difficile pour elles de la souscrire après coup.

Afin de lutter contre cette concurrence déloyale causée aux entreprises dûment assurées, il est nécessaire d’imposer au candidat auquel il est envisagé d’attribuer le marché la production à ce stade d’une attestation d’assurance décennale.

Un arrêté des ministres des finances et du travail fixera les mentions obligatoires de cette attestation (telles que le numéro du contrat d’assurance souscrit par le professionnel, la nature des garanties couvertes ; leur période de validité, leur montant, la nature des travaux garantis…).

II. DES ARTICLES QUI DOIVENT ETRE MODIFIÉS OU SUPPRIMÉS

A. L’EXTENSION DE L’OBLIGATION DE VIGILANCE DE L’ENTREPRISE BÉNÉFICIAIRE : UN ARTICLE TROP CONFUS ET MAL RÉDIGÉ

L’article 1er étend l’obligation de vigilance de l’entreprise bénéficiaire d’une prestation de service internationale à la vérification du dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l’Inspection du travail. Une telle obligation pourrait entraîner, en cas de manquement, sa solidarité pour le paiement des salaires et des indemnités dues aux travailleurs concernés. Cette disposition est applicable aux seuls marché et contrats dont les montants excèdent un seuil fixé par décret, à 3 000 euros, à l’instar de ce qui existe en matière de travail illégal.

Si l’intention de cet article est bonne, sa rédaction le rend de facto inapplicable, les inspecteurs du travail n’ayant pas les moyens de sa mise en œuvre. En outre, la rédaction de l’article ne couvre pas l’exhaustivité des situations de détachement, puisqu’elle ne concerne que les prestations de service de prestataires « établis hors de France » ; de ce fait, les entreprises françaises qui auraient créé des filiales « boîtes aux lettres » ne rentreraient pas dans le champ d’application de l’article.

En réalité, ce même objectif – procurer aux inspecteurs du travail le moyen d’être informé sur les détachements en cours – serait plus efficacement rempli en créant un système de double déclaration.

Actuellement, seule l’entreprise qui détache est tenue d’établir une déclaration de détachement ; or, les entreprises ne procèdent pas toujours aux déclarations de détachement, que ce soit par souci de dissimulation ou par méconnaissance de leurs obligations. On estime ainsi que seuls 30 % des détachements font réellement l’objet d’une déclaration. L’efficacité du dispositif serait accrue si on exigeait aussi du donneur d’ordre qu’il fasse une déclaration de sous-traitance à l’inspection du travail où est accomplie la prestation – ce qui serait plus facile à contrôler car le donneur d’ordre n’est pas mobile – en plus de la déclaration de détachement faite par l’entreprise qui détache ses salariés.

B. L’ÉLARGISSEMENT DES CAS OÙ LE MAÎTRE D’OUVRAGE OU LE DONNEUR D’ORDRE PEUT ÊTRE TENU AU PAIEMENT DES SALAIRES : UN OBJECTIF LOUABLE, UNE RÉDACTION IMPARFAITE

L’article 2 propose d’élargir les cas dans lesquels un maître d’ouvrage ou un donneur d’ordre peut être tenu au paiement des salaires des employés des sous-traitants présents sur le marché, y compris lorsque le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre n’a pas de relation directe avec ce sous-traitant.

Cette solidarité porte sur le paiement total ou partiel des salaires, dans la limite du salaire minimum légal ou conventionnel. Elle couvre toutes les situations de non-respect des règles de rémunération, y compris celles des travailleurs détachés en France payés en deçà du SMIC ou du salaire minimal conventionnel. En cas de signalement à un maître d’ouvrage d’une situation de défaut du paiement intégral ou partiel des salaires minimaux chez un des sous-traitants du marché par un agent de contrôle ou une organisation syndicale, le maître d’ouvrage sera tenu de faire cesser la situation. À défaut, il sera responsable solidairement avec l’entreprise du paiement des salaires. La mise en jeu de la responsabilité solidaire du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre repose sur un dispositif ciblé, après signalement par les services de contrôle habilités à lutter contre le travail illégal (Inspection du travail, URSSAF, police, gendarmerie, Impôts).

Cet article répond à un objectif louable, mais il faudra être vigilant au moment de la rédaction du décret d’application et veiller à ce que les conditions de signalement de la régularisation soient bien précises, afin de permettre au donner d’ordre ou au maître d’ouvrage d’attester de leur bonne foi et ainsi de se prémunir contre une responsabilité conjointe et solidaire qui ne serait pas justifiée.

Peut-être faudrait-il en outre s’interroger sur l’opportunité de créer l’obligation pour toute entreprise qui détache des salariés d’avoir un correspondant unique pour les donneurs d’ordre ou les maîtres d’ouvrage ? L’article 9 de la proposition de révision de la directive d’application de la directive 96/71/CE prévoit en effet l’« obligation de désigner, pour la durée de la prestation des services, une personne de contact pour négocier au nom de l'employeur, si nécessaire, avec les partenaires sociaux compétents dans l'État membre dans lequel le détachement a lieu, conformément à la législation et aux pratiques nationales. ». Mais l’article 9 n’ayant pas encore fait l’objet d’un accord en trilogue, il serait sans doute plus sage d’inscrire d’ores et déjà cette disposition en droit français.

Par ailleurs, il limite l’information du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre au seul non-paiement total ou partiel du salaire dû au salarié du sous-traitant direct ou indirect aux fins de régularisation de la situation signalée. Or, le socle minimal que doivent respecter les entreprises qui détachent des salariés, conformément à la directive sur le détachement des travailleurs, ne se limite pas au seul respect des dispositions en matière de salaire, mais comporte aussi tout un ensemble de normes à respecter relatives aux libertés individuelles et collectives dans la relation de travail, aux discriminations et à l’égalité professionnelle entre les femmes et les homme, à la protection de la maternité, aux congés de maternité et de paternité, aux congés pour événements familiaux, aux conditions de mise à disposition et garanties dues aux salariés par les entreprises exerçant une activité de travail temporaire, à l’exercice du droit de grève, à la durée du travail, aux repos compensateurs, aux jours fériés, aux congés annuels payés, à la durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs, aux conditions d'assujettissement aux caisses de congés et intempéries, aux règles relatives à la santé et à la sécurité au travail, à l’âge d'admission au travail, à l’emploi des enfants et au travail illégal. Il s’agit-là en réalité de dispositions très importantes pour la protection des travailleurs, et nul doute que l’extension de l’article 2 à l’ensemble de ces points serait de nature à lutter contre le travail illégal.

C. L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ PENALE DU MAITRE DE L’OUVRAGE : UNE RÉDACTION DU TEXTE QUI CRĖE EN L’ÉTAT UNE IMMUNITÉ PÉNALE D’UN MOIS

L’article 5 propose d’engager la responsabilité pénale du maître de l’ouvrage public ou privé ou du donneur d’ordre professionnel lorsqu’ils poursuivent en connaissance de cause pendant plus d’un mois l’exécution d’un contrat passé avec une entreprise en situation irrégulière au regard de ses obligations sociales. Dans cette situation, la sanction pénale sera celle prévue à l’article L. 8224-1 du code du travail qui réprime le recours sciemment aux services d’une personne effectuant un travail dissimulé, à savoir emprisonnement de trois ans et d'une amende de 45 000 euros.

En l’état, cette disposition crée une immunité pénale de fait pendant un mois du donneur d’ordre ; il s’agit d’une disposition plus laxiste que le droit existant, puisqu’actuellement, l’infraction de recours à travail dissimulé est une infraction instantanée. L’article 5 tel que rédigé dans la proposition permettrait en effet à des donneurs d’ordre ou maître d’ouvrage de recourir en toute connaissance de cause – car informés par les agents de contrôles – pendant un mois à des entreprises qui pratiquent du travail dissimulé.

Il serait utile d’obliger le sous-traitant ayant manqué à ses obligations d’informer par écrit l’agent de contrôle qui l’a verbalisé, ainsi que le donneur d’ordre, de la régularisation de sa situation. Si rien n’est fait dans un délai raisonnable, laissé à l’appréciation du juge, ce dernier pourrait décider de poursuivre le donneur d’ordre ou le sous-traitant pour manquement aux obligations sociales.

D. LA MISE EN PLACE D’UNE LISTE NOIRE D’ENTREPRISES : UNE MAUVAISE RÉDACTION POUR UNE BONNE DISPOSITION

Dans notre rapport sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, nous soulignions qu’il apparaissait évident que la fraude au détachement se développait aussi parce que certaines entreprises font, en toute connaissance de cause, appel à des entreprises indélicates, ce qui est rendu possible dans la mesure où aucune publicité n’est faite autour de ces entreprises. Nous invitions alors les autorités européennes, et à défaut le Gouvernement, à mettre en place un liste noire d’entreprises et de prestataires de services indélicats, sur le modèle des listes noires qui existent dans l’aviation civile.

Nous appelions de nos vœux que toute entreprise condamnée à une sanction pour fraude à la législation sur le détachement des travailleurs, ou à tout le moins les entreprises n’ayant pas honoré leurs sanctions, soient inscrites sur une liste noire européenne publique, avec pour effet, au moins temporaire :

- l’interdiction de répondre à des appels d’offres ;

- l’interdiction de sous-traiter pendant une période donnée ;

- l’interdiction de fournir une prestation de services de main-d’œuvre pendant une période donnée.

L’article 6 de la proposition de loi reprend en partie cette idée à son compte, et met en place une « liste noire » d’entreprises et de prestataires de services qui ont été condamnées pour des infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l’article L. 8211-1 du code du travail (travail dissimulé, marchandage, prêt illicite de main d’œuvre, emploi d’étrangers sans titre de travail…), dans les cas où l’amende prononcée est d’un montant d’au moins 45 000 euros.

Cette liste qui sera publiée sur le site internet du ministère du travail, pour une durée d’une année à compter du jugement définitif, mentionnera le nom, les coordonnées postales et les numéros d’identification – répertoire INSEE en France ou équivalent pour les autres États membres de l’Union européenne – de ces entreprises ou de ces prestataires de services. Cette liste noire, inspirée de celle mise en place au niveau européen dans l’aviation civile, aura un caractère préventif et dissuasif vis-à-vis des entreprises et des prestataires de services, notamment sur le plan économique.

Le seuil de 45 000 euros fixé dans la rédaction actuelle apparaît trop élevé et risque de rendre cette disposition inefficace. Il serait plus utile de fixer un seuil plus faible, voire une inscription à partir de la condamnation au premier euro, ce qui permettrait de faire de cette liste un instrument de lutte contre le dumping social vraiment efficace.

Rappelons qu’elle n’aurait qu’un caractère informatif et n’empêcherait en rien les donneurs d’ordre ou les maîtres d’ouvrage de contracter avec des entreprises inscrites sur la liste.

DEUXIÈME PARTIE : DES AMÉLIORATIONS SUPPLEMENTAIRES NECESSAIRES POUR RENFORCER LE DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LA CONCURRENCE DELOYALE ET LES TRAFICS DE MAIN D’OEUVRE

I. À DEFAUT DE LA CRÉATION D’UNE CARTE DU TRAVAILLEUR EUROPÉEN, CRÉER UNE CARTE PROFESSIONNELLE DU TRAVAILLEUR DU BATIMENT

Dans le rapport de votre commission sur la proposition de révision de la directive sur le détachement des travailleurs, votre rapporteure et nos collègues Gilles Savary et Michel Piron avaient appelé de leurs vœux la création d’une carte du travailleur européen, qui serait de nature à faciliter le contrôle des détachements.

En effet, dans de nombreux cas, du fait de la chaîne de sous-traitance, segmentée, et, dans le secteur du bâtiment, du caractère nomade des chantiers, il est quasiment impossible pour les inspecteurs du travail de se procurer à temps les documents nécessaires à leur travail. Une carte du travailleur européen, électronique et sur le modèle de la carte vitale, et s’inspirant de la carte, facultative, qui existe déjà en France dans le bâtiment et qui sert au calcul des congés payés, permettrait une identification rapide de l’entreprise et du travailleur. Celle-ci contiendrait les données actualisées concernant chaque travailleur, permettant d’en faciliter les contrôles tant par les maîtres d’ouvrage en relation avec leur nouvelle responsabilité conjointe et solidaire telle que prévue par la nouvelle directive, que par les corps de contrôle de chaque État.

Dans l’attente d’une éventuelle création de cette carte à l’échelle européenne, il apparaît important que notre pays se mobilise. C’est pourquoi, il serait nécessaire de compléter le texte actuel de la proposition de loi par une disposition qui instaure la mise en place d’une carte d’identification des travailleurs dans le bâtiment, délivrée par la caisse des congés payés du bâtiment, pour les travailleurs de ce secteur particulièrement touché par la fraude aux faux détachements.

L’idée est de permettre une identification rapide des travailleurs présents sur les chantiers, et un contrôle rapide par les inspecteurs du travail des documents les concernant (contrat de travail, employeur, etc…). Cette carte serait donc une carte à puce, et contiendrait un certain nombre d’informations nominatives.

II. AMELIORER LES CONDITIONS RÉGLEMENTAIRES DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL

A. RENFORCER LES AMENDES PRÉVUES POUR NON PRÉSENTATION DES DOCUMENTS EXIGIBLES PAR LES INSPECTEURS DU TRAVAIL QUI CONTRÔLENT LES DÉCLARATIONS DE DÉTACHEMENT

Actuellement, le défaut de présentation des documents exigibles l’inspection du travail qui vérifie la déclaration de détachement est constitutif de l’amende prévue pour les contraventions de quatrième classe, soit 450 euros maximum (conformément à l’article 131-13 code pénal) ; il peut être également constitutif du délit d’obstacle à l’accomplissement des fonctions de l’agent de contrôle, punissable d’une peine d’un an emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros (article L. 8114-1 du code du travail).

Le donneur d’ordre qui ne déclare pas la prestation de sous-traitance pourrait se voir infliger la même sanction.

Il convient de s’interroger sur l’opportunité de renforcer ces amendes, qui apparaissent relativement peu lourdes eu égard aux enjeux financiers.

B. ETENDRE LES SANCTIONS POUR TRAVAIL ILLEGAL ET OFFRES ANORMALEMENT BASSES

1. L’extension de la circonstance aggravante de bande organisée

Actuellement, la circonstance aggravante de « bande organisée » ne s’applique que pour l’emploi d’étrangers sans titre de travail. Il serait judicieux d’étendre et d’adapter cette notion à toutes les formes de travail illégal (travail dissimulé, prêt illicite de main d’œuvre, marchandage).

Cette circonstance aggravante permettra de recourir à des moyens d’enquête plus adaptés (infiltration, perquisition, prolongation de la garde à vue). Les peines pour les personnes physiques et morales seront conformes à l’article 131-38 du code pénal.

2. La lutte contre la concurrence déloyale des offres anormalement basses

Il s’agit d’anticiper la transposition de la directive « marchés publics » en prévoyant des dispositions permettant de ne pas retenir des offres qui au regard des prix annoncés ne peuvent en aucun respecter les obligations légales applicables dans les domaines du droit social, du droit travail, du droit environnemental établis par le droit de l’Union et le droit national. Cette disposition serait par ailleurs en parfaite cohérence avec la réglementation européenne. En effet, aux termes de l’article 3 de la directive 96/71/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, les États membres doivent veiller à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises qui détachent des salariés garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d'emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l'État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées : par des dispositions législatives, réglementaires ou administrative, et ou par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d'application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent :

a) les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;

b) la durée minimale des congés annuels payés ;

c) les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s'applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;

d) les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;

e) la sécurité, la santé et l'hygiène au travail ;

f) les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d'emploi des femmes enceintes et des femmes venant d'accoucher, des enfants et des jeunes ;

g) l'égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d'autres dispositions en matière de non-discrimination.

C. RENFORCER LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES POUR TRAVAIL ILLEGAL EN COMPLEMENT DES SANCTIONS PENALES

Le dispositif de la proposition pourrait être complété utilement en renforçant les sanctions administratives pour travail illégal, en complément des sanctions pénales.

1. Le renforcement du pouvoir des préfets

Le préfet a le pouvoir de fermeture d’un chantier eu égard à la pétition et à la gravité des faits constatés et à la proportion des salariés concernés. Ce dispositif existe actuellement mais est peu utilisé. Par ailleurs le non-respect de la décision du préfet est actuellement sanctionné par une amende de 38 euros, montant très faible dont le caractère n’est pas dissuasif. Il apparaît nécessaire de relever le niveau de l’amende et de prévoir une peine d’emprisonnement.

2. Le renforcement du pouvoir des Urssaf

La non-transmission du formulaire A1 des travailleurs détachés à l’URSSAF devrait être sanctionnée par une amende administrative dûe à chaque formulaire non transmis.

D. ENCADRER RIGOUREUSEMENT LE DÉTACHEMENT « INTRA-GROUPE »

On assiste à des situations de détachements abusifs de sociétés ou de groupes internationaux qui se situent hors de France et qui disposent d’un établissement en France n’employant volontairement que très peu de salariés. L’activité de l’établissement français est alors assurée majoritairement par des travailleurs détachés du groupe, ce qui permet à ces entreprises de minorer leurs charges patronales.

Il est indispensable de limiter le détachement intra-groupe à des missions spécifiques distinctes des tâches effectuées habituellement par les salariés dans leur établissement d’accueil.

CONCLUSION

La mobilité des travailleurs est un atout pour l’économie européenne et notre économie nationale ; d’ailleurs la France est un des pays qui détachent le plus de travailleurs. Mais les dérives constatées rendent nécessaire cette proposition de la loi, qui vise à lutter sur notre territoire contre le travail illégal, à mieux encadre le détachement pour en éviter les dérives, à protéger notre économie contre le dumping social et les travailleurs étrangers contre ce que votre rapporteure nomme des abus de faiblesse, dont l’exploitation s’assimile parfois à de l’esclavage moderne.

Ce n’est que le début d’un travail qu’il faudra poursuivre au niveau de l’Europe pour arriver à harmoniser nos pratiques sociales et fiscales, faute de quoi les excès constatés et les abus continueront de prospérer au détriment de tous les travailleurs.

La mobilisation au niveau européen ne doit donc pas faiblir, car c’est bien à ce niveau que se jouent les principaux enjeux.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mardi 4 février 2014, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

M. Gilles Savary. Nous travaillons avec Mme Chantal Guittet et au sein de cette commission depuis plus d’un an sur ce sujet, et je souhaitais vous faire remarquer que cette proposition de loi est l’aboutissement de notre travail, ce qui est très positif pour notre commission. Par ailleurs, ce texte va nous fournir des outils simples, qui permettront de dissuader le travail illégal par détachement et d’augmenter les sanctions sur le travail illégal. J’ajoute qu’on va introduire le grief de circonstance aggravante en bande organisée, lequel facilitera le travail de la police et de la gendarmerie, ainsi qu’étendre au niveau national à tous les secteurs la responsabilité conjointe et solidaire. Nous avons en effet, comme l’a rappelé Chantal Guittet, un véritable enthousiasme d’un certain nombre de patrons – BTP, sociétés d’intérim – pour ces dispositions alors même qu’un peu partout en Europe les législations se durcissent – regardez ce qui se produit en Allemagne avec le salaire minimum et le durcissement des conditions de détachement intra-groupe ; même chose en Grande-Bretagne, qui est officiellement pour la libre-circulation des travailleurs et qui pourtant veut durcir les conditions d’accès à son territoire… La France, et nous devons nous en réjouir, est prudente aujourd’hui et en avance face à ce sujet délétère et délicat qui produit de la xénophobie. L’exercice n’est pas aisé, car il faut faire en sorte que les Européens partagent un destin commun mais ne se détruisent pas les uns les autres. Nous sommes, je le rappelle, dans la feuille de route qui avait été votée ici même à l’issue de l’examen de notre rapport d’information : vigilance et fermeté face à Bruxelles et consolidation de notre législation nationale ; ceci est très positif pour notre travail commun au sein de cette commission.

M. Pierre Lequiller. Le travail qui a été fait lors de votre mission d’information est remarquable, et je l’ai soutenu. Je voudrais faire deux remarques. Le projet de directive européenne ne couvre que le bâtiment pour la responsabilité conjointe et solidaire : il y a encore du travail à accomplir au niveau européen. Par ailleurs, le problème principal actuellement provient des détournements de la directive, et non de la directive elle-même ; c’est la fraude à la règle européenne, pas la règle européenne elle-même qui pose difficulté. Il faudrait peut-être insister plus sur le fait que la mobilité des travailleurs est quelque chose de positif.

La Présidente Danielle Auroi. Oui, notre commission s’est emparée de ce sujet et c’est très positif que cela aboutisse, et je précise que c’est aussi parce que nous nous sommes emparés très en amont de ce sujet que les choses ont fonctionné. Ceci étant, j’aurais une remarque sur un point : la carte de travailleur du bâtiment me paraît un peu délicate, car il y a un risque de fichage.

Mme Chantal Guittet, rapporteure. Nous avons en effet toujours été en faveur de la mobilité – je vous renvoie à ce propos à notre rapport d’information – et d’ailleurs la France est un des pays qui détachent le plus… Par ailleurs, je rejoins M. Lequiller sur la question de la responsabilité conjointe et solidaire, qui doit en effet être étendue à tous les secteurs. Concernant la carte, il est vrai qu’il y a un risque de fichage, mais comment contrôler autrement que les salariés sont bien couverts ? C’est un outil en premier lieu de protection des salariés, qui voient souvent leurs droits bafoués.

M. Gilles Savary. Nous cherchons avant tout à remettre le détachement à sa juste place et à lutter contre la concurrence déloyale, et, bien évidemment, nous sommes pour le détachement et sommes pleinement conscients de tout ce que l’immigration de travail a apporté à la France et notamment à son économie.

La Présidente Danielle Auroi. Les conclusions du rapport, dont le texte figure ci-après, sont donc adoptées à l’unanimité.

CONCLUSIONS

La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 151-1-1 du règlement de l’Assemblée nationale ;

Vu la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale ;

Considérant que la présente proposition de loi est nécessaire eu égard à la lenteur du processus d’adoption de la directive sur la révision de la directive 96/71/CE concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ;

Considérant que certaines des dispositions de cette proposition de loi constituent de réelles avancées dans la lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale mais que certaines d’entre elles doivent être modifiées ;

Considérant que certaines dispositions doivent être ajoutées pour parfaire encore le dispositif de lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale, qui menacent des pans entiers de l’économie nationale ;

Approuve l’extension du devoir d’injonction du maître d’ouvrage en cas de travail dissimulé par le cocontractant ;

Approuve l’allongement de la liste des documents exigibles par les inspecteurs du travail pour lutter contre le travail illégal ;

Approuve l’ouverture de la possibilité d’ester en justice aux associations et syndicats ;

Approuve la disposition prévoyant que la signature des marchés publics soit conditionnée à la production de l’attestation d’assurance décennale obligatoire ;

Estime que l’article 1er de la proposition de loi, sur l’extension de l’obligation de vigilance de l’entreprise bénéficiaire, partant d’une intention louable, est trop confus et mal rédigé, et doit être amendé ;

Approuve l’objectif des dispositions de l’article 2 relatives à l’élargissement des cas où le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre peuvent être tenus au paiement des salaires, mais considère que sa rédaction est imparfaite et qu’il doit être amendé ;

Approuve l’objectif de l’article 5 quant à l’engagement de la responsabilité pénale du maître de l’ouvrage, mais déplore que la rédaction du texte créée en l’état une immunité pénale d’un mois, et considère ainsi que celui-ci doit être amendé ;

Approuve la création par l’article 6 d’une liste noire des entreprises non vertueuses, mais considère que sa rédaction actuelle n’est pas satisfaisante et doit être amendée ;

Estime nécessaire, à défaut de la création d’une carte du travailleur européen, de créer une carte professionnelle du travailleur du bâtiment ;

Estime nécessaire de renforcer les amendes prévues pour non présentation des documents exigibles par les inspecteurs du travail qui contrôlent les déclarations de détachement ;

Estime indispensable d’étendre les sanctions pour travail illégal et offres anormalement basses ;

Estime nécessaire de renforcer les sanctions administratives pour travail illégal en complément des sanctions pénales, en renforçant le pouvoir des préfets et celui des Urssaf ;

Estime indispensable d’encadrer rigoureusement le détachement « intra-groupe ».

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE

Ø Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) :

– M. Claude Cochonneau, président de la commission emploi ;

– Mme Natacha Marquet, chargée de mission.

Ø Synhorcat : M. Didier Chenet, président.

Ø Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) :

– M. Albert Quenet, premier vice-président, président de PRO BTP ;

– M. Dominique Proux, relations institutionnelles et européennes ;

– Mme Valérie Guillotin, juriste, chargée de mission au service des affaires juridiques et sociales.

Ø Mouvement des entreprises de France (MEDEF) :

– Mme Chantal Foulon, directrice adjointe à la direction des relations sociales ;

– Mme Kristelle Hourques, chargée de mission sénior à la direction des affaires publiques.

Ø SYNTEF-CFDT :

– M. Olivier Gomes ;

– M. Luc Durand.

1 Rapport d’information no 1087, Le détachement des travailleurs : cheval de Troie du travailleur low cost, propositions pour une politique européenne contre le dumping social, Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron ; 29 mai 2013.

2 Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

3 Rapport d’information no 1087, Le détachement des travailleurs : cheval de Troie du travailleur low cost, propositions pour une politique européenne contre le dumping social, Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron ; 29 mai 2013.