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N° 2856

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 juin 2015

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES1

sur la proposition de directive relative au secret d’affaires

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Audrey LINKENHELD

Députée

——

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain Bocquet, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE SUR LE SECRET D’AFFAIRES : UN PROJET A PRIORI MODESTE MAIS DONT LES IMPLICATIONS FORTES ET LES ENJEUX MULTIPLES RALENTISSENT LA NÉGOCIATION 7

A. L’ÉTAT DES NÉGOCIATIONS : UNE PROPOSITION DE DIRECTIVE TRÈS DISCUTÉE AU PARLEMENT EUROPÉEN 7

1. L’examen préliminaire par le Conseil 7

2. L’examen en première lecture au Parlement européen 8

B. UN OBJECTIF D’HARMONISATION AU NOM DE LA FLUIDITÉ DU MARCHÉ INTÉRIEUR ET DE L’ENCOURAGEMENT À L’INNOVATION 9

1. Une directive visant à améliorer le fonctionnement du marché intérieur pour favoriser l’innovation 9

2. La nécessité de remédier aux divergences nationales 10

a. Les dispositions françaises relatives au secret d’affaires 10

b. Des lacunes qui reflètent plus largement l’insuffisance de la législation européenne 11

3. Des moyens qui restent toutefois à préciser 11

II. LA NECESSITE DE REMEDIER AUX IMPERFECTIONS D’UN TEXTE QUI DEMEURE IMPRECIS ET INCOMPLET, AFIN DE GARANTIR UNE PROTECTION EFFECTIVE DES DROITS FONDAMENTAUX 13

A. LA DÉFINITION DU SECRET D’AFFAIRES, SOURCE POTENTIELLE D’INSÉCURITÉ JURIDIQUE 13

1. Une définition large sur le modèle de l’accord sur les ADPIC 13

2. Les modifications soutenues par la France au sein du Conseil 14

3. La nécessité de préciser encore davantage la définition du secret d’affaires 15

B. L’ÉPINEUX PROBLÈME DES EXONÉRATIONS (JOURNALISTES, TRAVAILLEURS ET SYNDICATS, LANCEURS D’ALERTE) 15

1. Les journalistes 18

a. La notion imprécise de l’« usage légitime » 18

b. La nécessité d’une protection effective 18

2. Préserver les droits des représentants des salariés 19

3. L’enjeu de la mobilité des travailleurs 20

4. Les lanceurs d’alerte 21

C. LES SANCTIONS ET LA PROCÉDURE JUDICIAIRE 21

1. Le régime de sanctions 21

2. La confidentialité versus le contradictoire dans la procédure judiciaire 22

D. LE SECRET D’AFFAIRES FACE AUX DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 22

1. Le secret d’affaires comme préalable aux droits de propriété intellectuelle 23

2. Le secret d’affaires comme alternative aux droits de propriété intellectuelle 23

3. Le secret d’affaires comme concurrent au DPI 23

CONCLUSION 25

TRAVAUX DE LA COMMISSION 27

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 29

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE 33

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L’objet de cette communication est d’examiner la proposition de directive sur « la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ».

La proposition de directive comporte vingt articles répartis en quatre chapitres : les deux premiers délimitent le champ de la protection du secret d’affaires, les deux derniers prévoient les mesures liées à la mise en œuvre de cette protection. S’y ajoutent vingt-huit considérants qui viennent éclairer le sens des dispositions de la proposition de directive.

Votre Rapporteure souhaite préciser d’emblée que la présente communication n’a pas pour objectif de raviver le débat sur le secret d’affaires qui a eu lieu au moment de l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale du projet relatif à la croissance et à l’activité, mais bien d’examiner avec rigueur et objectivité, comme en a l’habitude la Commission des Affaires européennes, la proposition de directive relative au secret d’affaires.

Votre Rapporteure a entendu, en un mois et demi, dans un temps imparti court pour un sujet aussi transversal, une vingtaine d’intervenants : des avocats, des journalistes, des syndicats nationaux et européens, des représentants de la Commission européenne, des administrations et ministères français, des parlementaires européens et des experts, tant à Paris qu’à Bruxelles.

Pour mémoire, il n’existe pas de définition légale du secret d’affaires en France. Par ailleurs, les pays européens qui en donnent une définition le font de manière différente et dans des textes épars. Seule la définition des « renseignements non divulgués » figurant dans l’accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)2, annexé aux accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), offre à ce stade une base de définition commune, puisque les États membres et l’Union européenne en sont déjà signataires, même si celle-ci n’est pas formellement appliquée, n’ayant pas été intégrée dans le droit communautaire.

Chacun s’accorde ainsi à considérer que, contrairement aux droits de propriété intellectuelle classiques, le secret d’affaires n’ouvre pas de droits exclusifs à leur détenteur. Toute pratique conforme aux usages commerciaux honnêtes est licite, sans qu’il soit nécessaire d’acquitter une redevance au titulaire du secret d’affaires. Ses concurrents ou d’autres tiers peuvent découvrir le même secret de façon indépendante, le développer et l’utiliser librement. En revanche, son appropriation illicite pose problème et c’est sur ce point que porte la proposition de directive.

À l’heure actuelle, le secret d’affaires est en effet invoqué dans de nombreux contentieux, notamment lorsque des fournisseurs, partenaires commerciaux ou employés divulguent des informations confidentielles, telles qu’un savoir-faire particulier ou une liste de clients, à une entreprise concurrente. De telles pratiques constituent une forme de concurrence déloyale qui peut avoir des conséquences désastreuses sur la situation économique de l’entreprise victime. Dans une affaire évoquée lors d’une audition, le préjudice invoqué par l’entreprise a par exemple été évalué à 235 millions d’euros, sans compter la destruction de 50 emplois.

.

I. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE SUR LE SECRET D’AFFAIRES : UN PROJET A PRIORI MODESTE MAIS DONT LES IMPLICATIONS FORTES ET LES ENJEUX MULTIPLES RALENTISSENT LA NÉGOCIATION

L’état actuel des négociations et l’âpreté des discussions sur la proposition de directive au sein du Parlement européen témoignent de l’importance du secret d’affaires pour l’Union européenne. Toutefois, si les objectifs économiques affichés par la Commission européenne peuvent paraître fondés, les moyens envisagés pour y parvenir doivent être précisés au regard des droits fondamentaux en jeu au plan social et citoyen.

A. L’ÉTAT DES NÉGOCIATIONS : UNE PROPOSITION DE DIRECTIVE TRÈS DISCUTÉE AU PARLEMENT EUROPÉEN

La proposition de directive sur le secret d’affaires est l’aboutissement d’un processus commencé en 2010 et balisé par diverses études effectuées à la demande de la Direction générale du Marché intérieur et des Services de la Commission européenne.

Une consultation publique a été ouverte entre le 11 décembre 2012 et le 8 mars 2013. Elle est toutefois sujette à controverse, compte tenu du faible niveau de participation (386 réponses reçues), de la surreprésentation des grandes entreprises industrielles et des nombreux contacts préalables que celles-ci semblent avoir eus avec la Commission (3). On peut en outre regretter l’absence de dialogue social européen avec les représentants des syndicats nationaux et européens et de concertation formelle avec les organisations non gouvernementales (ONG) ainsi que les journalistes, qui sont pourtant directement impactés par le texte.

La proposition de directive a été adoptée le 28 novembre 2013 et transmise au Parlement européen ainsi qu’au Conseil.

1. L’examen préliminaire par le Conseil

Les premières discussions au sein du Conseil se sont conclues par l’adoption d’une orientation générale lors du Conseil compétitivité du 26 mai 2014 (2013/0402(COD)).

Plusieurs modifications significatives ont été proposées par le Conseil par rapport au texte initial afin de :

- conserver la définition du secret d’affaires telle que prévue à l’article 39 de l’accord sur les ADPIC, tout en apportant des précisions sur la « valeur commerciale » (considérant 8) ;

- préciser que la directive ne portait que sur la procédure civile et non la procédure pénale (considérant 8) ;

- permettre aux États membres d’adopter, à l’égard de certaines dispositions de la directive, des mesures plus protectrices des détenteurs de secrets d’affaires (article 1) ;

- adopter une définition plus synthétique de l’obtention illicite (article 3) ;

- allonger le délai maximum de prescription porté de deux à six ans (article 7) ;

- trouver un meilleur équilibre entre la protection du secret d’affaires et le respect du principe du contradictoire (article 8).

Durant les négociations, la France a contribué à certaines de ces modifications et a obtenu en particulier les deux avancées suivantes :

D’une part, un nouveau considérant a été introduit, visant à préciser la définition des informations ou savoir-faire concernés par le secret d’affaires, lesquels doivent avoir « une valeur commerciale, effective ou potentielle […] en particulier dans la mesure où leur obtention, utilisation ou divulgation illicite est susceptible de porter préjudice aux intérêts de la personne qui en a licitement le contrôle en ce qu’elle nuit à son potentiel scientifique et technique, à ses intérêts économiques ou financiers, à ses positions stratégiques ou à sa capacité à faire face à la concurrence ».

D’autre part, l’article 4-1 de l’orientation générale du Conseil prévoit désormais que « l’obtention, l’utilisation ou la divulgation de secret d’affaires est considérée comme licite dans la mesure où elle est requise par le droit national ou le droit de l’Union », ce qui permet de clarifier la possibilité notamment pour les administrations nationales (services fiscaux, sanitaires, douaniers, autorités de régulation) de ne pas se voir opposer le secret d’affaires dans le cadre de leurs activités.

2. L’examen en première lecture au Parlement européen

Au sein du Parlement européen, l’examen de la proposition de directive a été attribué à la Commission des Affaires juridiques, dite « Commission JURI ». Le texte y fait l’objet d’un très vif débat, en marge duquel plus de trois cents amendements ont été déposés.

Lors du déplacement de votre Rapporteure à Bruxelles, le 7 mai 2015, la Rapporteure de la Commission JURI, Mme Constance Le Grip, s’attelait alors à la difficile rédaction d’amendements de compromis. Les changements proposés par Mme Le Grip tendent pour l’essentiel à renforcer, au nom de la démocratie et du pluralisme, la protection des lanceurs d’alerte et des journalistes. Plusieurs considérants devraient être modifiés en ce sens.

Le vote en Commission JURI est prévu pour le 16 juin prochain. En fonction du résultat, la Rapporteure Le Grip obtiendra ou non un mandat pour mener le trilogue avec le Conseil et la Commission européenne. En tout état de cause, le Parlement français, par la voix de la Commission des Affaires européennes, est fondé à se prononcer, au regard des questions soulevées dans le débat public national et européen, sur l’opportunité de la proposition de directive, et notamment sur les modalités de son articulation avec certains droits fondamentaux.

B. UN OBJECTIF D’HARMONISATION AU NOM DE LA FLUIDITÉ DU MARCHÉ INTÉRIEUR ET DE L’ENCOURAGEMENT À L’INNOVATION

On peut partager les objectifs économiques de la proposition de directive, qui, pour favoriser l’innovation, vise à améliorer le fonctionnement du marché intérieur et à remédier à la disparité des droits nationaux en cas d’appropriation illicite d’une information considérée comme confidentielle. Toutefois, les moyens envisagés par la proposition de directive pour y parvenir doivent être précisés pour garantir le respect des droits fondamentaux.

1. Une directive visant à améliorer le fonctionnement du marché intérieur pour favoriser l’innovation

La proposition de directive sur le secret d’affaires se fonde sur l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui concerne le rapprochement des législations nationales en vue d’améliorer le fonctionnement du marché intérieur et d’encourager l’innovation.

Le considérant 7 de la proposition de directive reprend ainsi sans surprise le principe fondateur du marché intérieur : « Vu les différences de protection juridique des secrets d’affaires entre États membres, ces secrets ne bénéficient pas d’un niveau de protection uniforme dans toute l’Union, ce qui entraîne une fragmentation du marché intérieur dans ce domaine et affaiblit l’effet dissuasif global de la règlementation. Le marché intérieur est concerné dans la mesure où ces différences réduisent les incitations pour les entreprises à entreprendre des activités économiques transfrontalières liées à l’innovation, notamment la coopération en matière de recherche ou de fabrication avec des partenaires ».

Dans cette perspective, la proposition de directive vise à harmoniser les législations nationales en matière de secret d’affaires. Elle propose ainsi créer une définition commune du secret d’affaires et d’harmoniser les moyens permettant de prévenir et de sanctionner la divulgation, l’obtention et l’utilisation illicites d’informations commerciales confidentielles. Elle s’emploie également à faciliter le traitement, par les juridictions, des cas de violation du secret d’affaires, en vue notamment du retrait du marché des produits concernés par une atteinte et du versement de dommages et intérêts à la partie lésée.

2. La nécessité de remédier aux divergences nationales

Les États-Unis se sont dotés il y a longtemps déjà d’un dispositif législatif complet pour faire face aux violations du secret d’affaires et aux risques d’espionnage économique, celui-ci étant, selon le directeur de la NASA « le plus grand transfert de richesse de l’histoire ». L’Economic Espionage Act de 1996 prévoit ainsi au niveau fédéral des sanctions pénales pour la « misappropriation » de secrets d’affaires, y compris à des fins économiques.

Au sein de l’Union européenne en revanche, les législations nationales en matière de secret d’affaires varient grandement entre les différents États membres. Depuis 1990, la Suède dispose d’un dispositif législatif spécifique. Toutefois, dans de nombreux États membres, le secret d’affaires demeure une notion éclatée, qui n’a pas d’existence juridique stabilisée, ni de définition uniforme. Il y est fait référence de manière fragmentée dans différents codes ou textes juridiques.

Ainsi, les droits nationaux font appel à des instruments législatifs très divers, tels que le droit de la concurrence, le droit des contrats, principalement celui des contrats de travail, ou encore le droit pénal.

a. Les dispositions françaises relatives au secret d’affaires

S’agissant des dispositions qui s’appliquent en France en matière de secret d’affaires, peuvent être cités, sans prétendre à l’exhaustivité, l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, l’article 430-10 du Code de commerce, l’article L.612-24 du Code monétaire et financier ainsi que l’article 5-6 du Code des postes et télécommunications.

Il faut également évoquer la notion de secret industriel et commercial, mentionnée dans la loi du 17 juillet 1978 instituant la Commission d’accès aux documents administratifs.

En outre, certains textes permettent de sanctionner l’accès frauduleux à des secrets d’affaires. Il s’agit notamment des dispositions relatives aux délits d’atteinte au secret professionnel (article 226-13 du Code pénal), d’escroquerie (article 313-1), d’atteinte au secret des correspondances (article 226-15), de vol (article 311-1), d’abus de confiance (article 314-1), de recel (articles 321-1 et suivants), d’intrusion dans les systèmes informatisés de données (article 323-1) ou d’entrave au fonctionnement de ceux-ci (article 323-2), d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (articles 411-6 et suivants), de révélation par un directeur ou un salarié d’un secret de fabrique (articles L. 1227-1 du Code du travail et L. 621-1 du Code de la propriété intellectuelle), de violation des droits du propriétaire de dessins et modèles (L. 521-1) ou des titulaires des brevets (L. 615-1 et suivants).

Enfin, l’article L. 1227-1 du Code du travail, repris à l’article L. 621-1 du Code la propriété intellectuelle visant le vol de secret de fabrique par des salariés d’une entreprise, est l’unique disposition pénale française en la matière. Il convient d’ailleurs de souligner que la pénalisation de la captation des secrets d’affaires est quasiment inexistante en Europe.

b. Des lacunes qui reflètent plus largement l’insuffisance de la législation européenne

Ces multiples dispositions présentent des lacunes exploitables par les contrevenants : la définition du vol ne prend guère en considération les biens immatériels, le délit d’intrusion dans un système informatisé de données n’est efficace qu’en cas d’intrusion avérée et ne punit pas la captation de ces données, celui de révélation d’un secret de fabrique ne concerne que les salariés de l’entreprise, le secret professionnel ne s’applique lui aussi qu’à un nombre restreint de personnes, etc. Nombreux sont les dossiers judiciaires qui n’ont pu aboutir en raison d’un problème d’incrimination.

Surtout, la place laissée au juge dans l’interprétation de ces dispositions ne crée pas les conditions d’une réelle sécurité juridique, d’une uniformité d’application et d’une prévisibilité de la loi. Elle pose également un problème d’accessibilité de la norme et induit une rupture d’égalité dans la mesure où tous les acteurs du monde économique n’ont pas les moyens de s’offrir la même qualité de conseil juridique, ce qui laisse place à des stratégies d’intelligence juridique asymétriques ayant pour but d’exploiter la faiblesse de certains.

3. Des moyens qui restent toutefois à préciser

C’est donc le manque de clarté des dispositions nationales et l’insécurité juridique qu’il engendre qui motivent l’intervention de la Commission européenne. L’objectif de la proposition de directive n’est pas de créer une nouvelle forme de protection mais plutôt d’harmoniser les pratiques nationales.

Sur le principe, votre Rapporteure prend acte de l’objectif d’une telle proposition de directive, dans la mesure où l’harmonisation poursuivie peut effectivement combler certaines lacunes des droits nationaux et favoriser la coopération en matière de recherche et développement (R&D), ainsi qu’en matière d’innovation, alors que les échanges se mondialisent toujours davantage. En effet, l’internationalisation, le recours croissant à la sous-traitance et l’allongement des chaînes d’approvisionnement exposent de plus en plus les entreprises à des « appropriations illicites ». Ces facteurs économiques s’inscrivent dans un cadre plus général d’évolution du contexte social et de changement des comportements : facilité accrue du transfert d’informations à l’ère numérique (emails, cloud computing), mobilité croissante des salariés qui les amène à travailler successivement dans différentes entreprises concurrentes…

Pourtant, deux lacunes importantes soulèvent des doutes quant à l’utilité réelle du texte. Tout d’abord, il faut rappeler que l’harmonisation prévue par la proposition de directive est minimale, c'est-à-dire que les États membres ont certes la possibilité d’appliquer des dispositions en vigueur plus protectrices des secrets d’affaires mais aussi de ne rien changer en considérant que leur droit national est d’ores et déjà conforme aux nouvelles obligations européennes. Ensuite, l’intérêt même de l’harmonisation se trouve réduit, compte-tenu des inquiétudes majeures dont la proposition de directive est porteuse. Elle soulève en effet dans la pratique un certain nombre de difficultés d’application, notamment au regard de certains droits fondamentaux.

II. LA NECESSITE DE REMEDIER AUX IMPERFECTIONS D’UN TEXTE QUI DEMEURE IMPRECIS ET INCOMPLET, AFIN DE GARANTIR UNE PROTECTION EFFECTIVE DES DROITS FONDAMENTAUX

Votre Rapporteure souhaite attirer l’attention de la Commission sur quatre points en particulier. Tout d’abord, les définitions retenues comportent une potentielle insécurité juridique. Par ailleurs, les exonérations sont trop imprécises pour garantir une protection effective des travailleurs et syndicats, des journalistes et des lanceurs d’alerte. Il faut de surcroît s’interroger sur certaines questions de procédure et enfin sur l’articulation entre secret d’affaires et droits de propriété intellectuelle.

A. LA DÉFINITION DU SECRET D’AFFAIRES, SOURCE POTENTIELLE D’INSÉCURITÉ JURIDIQUE

La proposition de directive a pour objectif d’instaurer une définition commune du secret d’affaires. Toutefois, comme le reconnaissaient les représentants de la Direction générale du Marché intérieur et des Services, rencontrés à Bruxelles le 7 mai 2015, « identifier ce qu’est un secret d’affaires est en soi une tâche difficile ».

Pour désigner les informations confidentielles protégées, les dispositions légales, les entreprises et les universitaires utilisent des termes variés : « renseignements non divulgués », « informations commerciales confidentielles », « savoir-faire », « technologie propriétaire », « secret commercial » ou encore « secret de fabrique ». Dans sa proposition, la Commission a donc préféré utiliser le concept de « secret d’affaires ».

Le terme « secret de fabrique » n’est pas adéquat car trop lié au secteur industriel, alors que la protection du secret apparaît essentielle pour le secteur des services, qui représente 70 % du produit intérieur brut (PIB) européen. Il est à cet égard surprenant que, lors des auditions, la Commission européenne et les avocats d’affaires aient cité plus fréquemment des exemples industriels – notamment les affaires Alstom Power, DuPont de Nemours, Michelin et AMSC – alors que, de leur propre avis, l’enjeu semble porter d’abord sur les services et les affaires immatérielles.

1. Une définition large sur le modèle de l’accord sur les ADPIC

À la différence du système juridique américain, la Commission européenne n’a pas souhaité, dans sa proposition de directive, fixer les cas précis qui pourraient relever du secret d’affaires et a privilégié un cadre large, similaire à celui de l’accord sur les ADPIC.

Ainsi, la définition du secret d’affaires figurant à l’article 2 de la proposition de directive reproduit les termes de l’article 39 paragraphe 2 de l’accord sur les ADPIC (4). Le seul changement se résume au fait que le texte de la Commission se réfère à des « informations » secrètes et non à des « renseignements non divulgués ».

Aux termes de l’article 2 de la proposition de directive, les secrets d’affaires sont définis comme des informations qui répondent aux trois critères cumulatifs suivants :

« a) Elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration de l’assemblage exact de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles ;

b) Elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes ;

c) Elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a licitement le contrôle, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes ».

Les critères énoncés à l’alinéa a) favorisent une interprétation restrictive du secret d’affaires. En effet, comme l’ont révélé les auditions, le secret doit s’apprécier au regard des informations que l’ « homme de métier » – spécialiste du domaine d’activité concerné – est réputé connaître. Ne pourront dès lors être protégées par le secret que les informations dont même les spécialistes n’auraient pas connaissance, et non des informations générales accessibles à tous. Dans le cas contraire, si le caractère secret devait être vérifié par rapport aux connaissances d’un individu lambda, le nombre d’informations protégées par le secret d’affaires serait extrêmement large.

2. Les modifications soutenues par la France au sein du Conseil

Dans le cadre des discussions préliminaires sur la proposition de directive au sein du Conseil, la France a souhaité préciser la définition du secret d’affaires. En s’inspirant de l’avis no 384.892 rendu le 31 mars 2011 par le Conseil d’État sur la proposition de loi dite « Carayon » (5), elle a ainsi proposé l’ajout d’un élément objectif pour préciser la notion de « valeur commerciale » et circonscrire le texte aux informations qui sont, en elles-mêmes, dignes de protection.

Désormais, le considérant 8 du texte du Conseil du 26 mai 2014 (2013/0402) précise que des « informations ou savoir-faire ont une valeur commerciale, effective ou potentielle (…)en particulier dans la mesure où leur obtention, utilisation ou divulgation illicite est susceptible de porter préjudice aux intérêts de la personne qui en a licitement le contrôle en ce qu’elle nuit à son potentiel scientifique et technique, à ses intérêts économiques ou financiers, à ses positions stratégiques ou à sa capacité à faire face à la concurrence ». Une telle précision était indispensable pour protéger la liberté d’information et d’expression ainsi que pour circonscrire le secret aux seuls intérêts économiques privés sans qu’ils n’heurtent l’intérêt général ou public.

3. La nécessité de préciser encore davantage la définition du secret d’affaires

Pour que la proposition de directive puisse produire tous ses effets, et pour rassurer la société civile, votre Rapporteure estime toutefois préférable que la modification ajoutée dans le considérant 8 soit directement intégrée à la définition du secret d’affaires dans l’article 2 de la proposition de directive. Il s’agirait d’indiquer que les informations ou savoir-faire dignes de protection doivent avoir une « valeur commerciale, effective ou potentielle ». Il est en effet important d’apporter cette précision d’appréciation qualitative de la valeur commerciale, le secret d’affaires n’ayant de sens qu’en lien avec l’avantage comparatif qu’il procure.

Votre Rapporteure souligne que la définition du secret d’affaires doit être la plus précise possible afin de limiter la marge d’interprétation dont disposera la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Cela est d’autant plus important que le secret d’affaires a vocation à s’appliquer dans les vingt-huit États membres et que certains pays sont dans les faits moins protecteurs des libertés que d’autres. Le législateur européen ne devrait jamais omettre cette problématique lorsqu’il crée une norme pour l’ensemble de l’Union européenne.

B. L’ÉPINEUX PROBLÈME DES EXONÉRATIONS (JOURNALISTES, TRAVAILLEURS ET SYNDICATS, LANCEURS D’ALERTE)

La définition du secret d’affaires étant acquise, la proposition de directive présente plusieurs exonérations, cas dans lesquels l’obtention, l’utilisation et la divulgation d’un secret d’affaires sont en toute situation considérées comme licites. Aucune mesure, procédure ou réparation ne peut alors être entreprise sur le fondement de la directive.

D’une part, selon l’article 4 paragraphe 1, l’obtention d’un secret d’affaires est considérée comme licite lorsqu’elle résulte :

a) d’une découverte ou d’une création indépendante ;

b) de l’observation, de l’étude, du démontage ou du test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est licitement en possession de la personne qui obtient l’information ;

c) de l’exercice du droit des représentants des travailleurs à l’information et à la consultation, conformément aux législations et pratiques nationales et à celles de l’Union ;

d) de toute autre pratique qui, eu égard aux circonstances, est conforme aux usages commerciaux honnêtes.

Dans le texte du Conseil, une nouvelle exception a été introduite à la demande de la France. Ce paragraphe 1 bis stipule que « l’obtention, l’utilisation ou la divulgation de secret d’affaires est considéré comme licite dans la mesure où elle est requise par la droit national ou le droit de l’Union ».

Votre Rapporteure approuve ces dispositions qui ont pour but de permettre aux administrations nationales (services fiscaux, sanitaires, douaniers, autorités de régulation…) de ne pas se voir opposer le secret d’affaires dans le cadre de leurs activités.

Par ailleurs, l’article 4 paragraphe 2 de la proposition de directive consacre l’exercice de certains droits fondamentaux : « Les États membres veillent à ce qu'il n'y ait pas de droit à l'application des mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive lorsque l'obtention, l'utilisation ou la divulgation présumée du secret d'affaires s'est produite dans l'une des circonstances suivantes :

a) usage légitime du droit à la liberté d'expression et d'information ;

b) révélation d'une faute, d'une malversation ou d'une activité illégale du requérant, à condition que l'obtention, l'utilisation ou la divulgation présumée du secret d'affaires ait été nécessaire à cette révélation et que le défendeur ait agi dans l'intérêt public ;

c) divulgation du secret d'affaires par des travailleurs à leurs représentants dans le cadre de l'exercice légitime de leur fonction de représentation ;

d) respect d'une obligation non contractuelle ;

e) protection d’un intérêt légitime ».

Votre Rapporteure se félicite de la volonté exprimée par la Commission européenne de faciliter l’articulation entre les différents droits définis dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne visés au considérant 23 de la proposition de directive, tant économiques comme le « droit d’entreprise » ou le « droit de propriété » que sociétaux ou sociaux comme la « liberté d’expression et d’information » ou la « liberté professionnelle et le droit de travailler ». Cette idée se retrouve dans l’étude d’impact, qui prend soin de préciser que la directive n’aura pas d’incidence négative en matière de droits fondamentaux, et ajoute qu’elle « promouvra le droit de propriété et la liberté d’entreprise »6 tout en garantissant la liberté d’expression et d’information.

Votre Rapporteure se félicite également qu’un principe d’harmonisation maximale ait été retenu pour les cas d’exclusion ou d’exonération de responsabilité (journalistes, travailleurs, lanceurs d’alerte), afin d’assurer une protection maximale des droits fondamentaux dans l’ensemble de l’Union européenne. Cela garantit en effet que tout régime complémentaire de sanctions éventuellement prévu par les États membres, notamment au plan pénal, ne puisse pas aller à l’encontre de ces exclusions.

Il n’en reste pas moins que, malgré l’affichage de cette volonté, la proposition de directive reste largement perfectible du point de vue du respect des droits fondamentaux. À ce stade, elle ne protège en effet explicitement que les travailleurs et leurs représentants et reste imprécise quant aux journalistes et aux lanceurs d’alertes. Or, au regard des scandales récents – UBS, HSBC et LuxLeaks pour ne citer qu’eux – il semble bien que le texte devrait être plus détaillé à ce sujet.

Alors que le cas des États-Unis, évoqué plus haut, offre un exemple de protection du secret d’affaires très développé, il est primordial d’insister en parallèle sur l’existence du Premier amendement de la Constitution, qui protège de manière absolue et sans aucune restriction possible la liberté d’expression : « Le Congrès ne fera aucune loi relative à l'établissement d'une religion, ou à l'interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d'expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d'adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis ».

1. Les journalistes

a. La notion imprécise de l’« usage légitime »

Si selon l’article 4 paragraphe 2 de la proposition de directive, « un usage légitime du droit à la liberté d’expression et d’information » peut prévaloir sur une demande de mesure de protection du secret d’affaires, on peut s’interroger sur la signification réelle de cette expression.

Aucun des interlocuteurs auditionnés – ni la Commission européenne, ni la Chancellerie française – n’a su apporter une réponse satisfaisante sur l’origine de l’adjectif « légitime ». Les ONG et les journalistes entendus par votre Rapporteure ont quant à eux tenu à dénoncer cette rédaction vague et équivoque.

En droit français, seule la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation fait référence à la notion d’usage légitime de la liberté d’expression notamment dans le cadre d’injures publiques (7).

En raison de l’imprécision des termes employés dans la proposition de directive, votre Rapporteure doute que celle-ci permette donc en l’état de garantir effectivement la protection des journalistes. Or, les libertés d’informer et d’être informé sont des droits fondamentaux garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’UE ainsi que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés publiques (CEDH). À une époque où, malgré l’encadrement légal de qualité qui existe dans les pays européens, ces droits sont encore soumis à rude épreuve, la protection des journalistes doit être effective.

b. La nécessité d’une protection effective

Compte tenu des préoccupations exprimées par les représentants de la société civile, le Parlement européen a engagé un travail de réflexion visant à préciser le paragraphe 2 de l’article 4 définissant les causes d’exemption. Des amendements en ce sens ont notamment été déposés par la Rapporteure de la Commission JURI, Mme Constance Le Grip.

Tout en approuvant cette démarche, votre Rapporteure considère qu’il faut aller plus loin en proposant d’amender le corps même de la directive. Il semble en effet indispensable d’exclure explicitement les journalistes du champ d’application de la proposition de directive. C’est d’autant plus important dans un contexte de révolution numérique, où la législation en matière de protection des sources est largement obsolète. Les auditions menées par votre Rapporteure ont d’ailleurs montré que tant la Commission européenne que les avocats d’affaires semblent favorables à cette exclusion des journalistes du champ d’application de la proposition de directive.

Par ailleurs, pour asseoir encore davantage les intentions démocratiques, il pourrait être précisé dans un considérant que la directive n’affecte pas les traditions constitutionnelles, les législations et les pratiques des États membres en matière de liberté d’expression, de protection des sources des journalistes et des lanceurs d’alerte, ni la faculté des États membres à les mettre en œuvre dans le cadre de l’application de la présente directive.

2. Préserver les droits des représentants des salariés

Un grand nombre de situations de travail ne semble par ailleurs pas couvert par les exemptions prévues à l’article 4.

Là aussi, comment interpréter pour les représentants des salariés « l’exercice légitime de leur fonction de représentation » (8) ?

La réponse à cette question est d’autant plus difficile que les syndicats n’ont pas été consultés dans le processus de rédaction de cette directive alors qu’il est évident qu’elle les concerne. Il est regrettable que « le dialogue social européen » qui caractérise les directives dites « sociales » et prévoit une consultation large et systématique des syndicats n’ait pas pu être mis en œuvre en l’espèce. Dans la mesure où la directive traite directement des droits des salariés, cette absence de concertation avec les syndicats n’est guère acceptable.

Les syndicats européens n’ont pu mesurer l’étendue de la proposition de directive que lors de l’émergence du débat français autour du projet de loi Macron (9) et des amendements relatifs au secret d’affaires. Ils ont fait part, lors des auditions, de l’ampleur de leurs craintes relatives à leur capacité actuelle de divulguer aux salariés ou à la presse par exemple, les projets de cession ou de reprise d’entreprise, de délocalisation, des activités dans les filiales et autres choix stratégiques gardés secrets.

Afin d’éviter tout abus, et de donner plein sens aux dispositions, floues, de l’article 4, l’exercice de la représentation des travailleurs doit être suffisamment garanti. Pour cela, votre Rapporteure propose de faire référence, dans l’article 4 paragraphe alinéa c), aux critères jurisprudentiels de la CJUE déterminant cet exercice.

Dès lors, la communication, par un représentant de travailleurs, d’informations couvertes par le secret d’affaires serait considérée comme licite, si : « il existe un lien étroit entre la communication et l’exercice de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, et cette communication est strictement nécessaire à l’exercice desdits travail, profession ou fonctions » (10).

3. L’enjeu de la mobilité des travailleurs

Votre Rapporteure estime plus largement que la proposition de directive ne résout pas l’articulation entre le secret d’affaires invoqué par l’employeur, et les savoir-faire des travailleurs, dans le cadre de mobilités professionnelles. Cette proposition ne doit pas se montrer plus défavorable pour les salariés que l’actuel équilibre des clauses de non concurrence et des clauses de confidentialité.

L’article 3 paragraphe 3 alinéas b) et c) de la proposition de directive prévoit, s’agissant des salariés, que ces derniers n’engageront leur responsabilité du fait de la divulgation ou de l’utilisation d’un secret d’affaires que dans l’hypothèse où ils agissent en violation d’une obligation contractuelle ou légale. Or c’est le principe même des clauses de non concurrence ou des clauses de confidentialité. Ces dernières, fréquentes dans les contrats établis par les sociétés soucieuses de préserver leurs secrets d’affaires, sont soumises à des conditions strictes de validité et forment un cadre pour le départ et la mobilité du travailleur.

Il convient de relever qu’il est admis, notamment en droit français, que les clauses de non-divulgation ou plus généralement de non concurrence voient leur licéité soumise à la condition, entre autres, qu’elles ne constituent pas une atteinte disproportionnée et injustifiée aux libertés individuelles. Ainsi, si ces clauses doivent en particulier être justifiées par la nécessité de protéger un intérêt de l’ancien employeur, elles ne peuvent en aucun cas avoir pour effet de restreindre la liberté d’expression du salarié ou de l’empêcher d’exercer un emploi conforme à son expérience professionnelle.

Il faut veiller à maintenir cet équilibre existant et à ne pas modifier le rapport de forces au détriment des salariés. Le secret d’affaires ne devrait pas permettre de protéger plus d’informations que ne le font les clauses de concurrence.

Pour ce faire, votre Rapporteure estime que la définition du secret d’affaires doit être modifiée de façon à intégrer dans le corps de la proposition de directive les recommandations du considérant 8 (11).

Dès lors, le secret d’affaires ne saurait concerner les connaissances et compétences obtenues par des travailleurs dans l'exercice normal de leurs fonctions.

De plus, afin de protéger les droits des travailleurs, votre Rapporteure insiste sur le fait que le délai de prescription (12) pour ouvrir un recours contre la divulgation ou l’utilisation d’un secret d’affaires ne doit pas être supérieur à deux ans. Au-delà il se révèlerait être un véritable frein à la mobilité des travailleurs.

4. Les lanceurs d’alerte

S’agissant enfin des lanceurs d’alerte, votre Rapporteure estime que la protection des personnes agissant à titre individuel dans une démarche citoyenne doit être spécifiée dans le cadre de l’article 4 de la proposition de directive, pour leur permettre de bénéficier d’un régime d’exonération. Sur ce point, on peut d’ailleurs déplorer qu’aucune disposition protectrice du secret des sources n’ait été mise en place jusqu’ici, notamment au niveau français.

C. LES SANCTIONS ET LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

Du point de vue procédural, la proposition de directive pose question quant au régime de sanctions ainsi qu’au respect du principe du contradictoire.

1. Le régime de sanctions

Il est à souligner que le régime de sanctions prévu par la proposition de directive ne porte que sur le volet civil de la protection du secret d’affaires. La section 1 du chapitre III de la proposition de directive établit les principes généraux applicables aux instruments de droit civil visant à empêcher et à réprimer les actes d’appropriation d’un secret d’affaires. Ces instruments doivent notamment être justes, équitables, effectifs et dissuasifs (article 5) ainsi que proportionnés (article 6). Ils peuvent également consister en des mesures de sauvegarde pour empêcher l’usage abusif de procédures judiciaires (article 6). L’article 7 instaure un délai de prescription.

À ce jour, pour la majorité des États membres de l’Union Européenne, la protection du secret d’affaires s’inscrit dans le droit commun de la responsabilité civile, comme l’a montré l’étude de droit comparé réalisée pour la Commission européenne.

Le principe de l’harmonisation minimale laisse aux États membres, une fois la directive transposée, le soin de mettre en place ou non un arsenal complémentaire au niveau national. La France pourrait ainsi, en matière de sanctions, ne pas avoir à créer un régime de responsabilité ad hoc et conserver la possibilité d’imposer des amendes civiles aux auteurs de recours abusifs.

À l’inverse, elle pourrait décider de mettre en place des sanctions pénales pour certaines situations. Néanmoins l’harmonisation maximale prévue par la proposition de directive et renforcée par les suggestions de votre Rapporteure (journalistes, travailleurs et syndicats, lanceurs d’alerte) garantit qu’aucune protection ou sanction, qu’elle soit civile ou pénale, ne puisse menacer les droits fondamentaux de liberté d’expression et d’information.

2. La confidentialité versus le contradictoire dans la procédure judiciaire

L’article 8 prévoit des dérogations au droit commun de la procédure civile et des mesures procédurales destinées à protéger les secrets d’affaires au cours des procédures judiciaires. Il s’agit de l’apport essentiel de la directive en la matière. Cet article créé en effet, une obligation de confidentialité à la charge de tous les participants à une procédure judiciaire relative à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret d’affaires afin qu’ils ne soient pas autorisés à utiliser ou divulguer un secret d’affaires dont ils ont eu connaissance en cours d’instance.

Surtout, cet article énonce des mesures procédurales que le juge est susceptible d’ordonner en vue de préserver la confidentialité des secrets d’affaires au cours de la procédure judiciaire et notamment des restrictions à l’exercice des droits de la défense (restriction d’accès aux documents et aux audiences, établissement et mise à disposition d’une version non confidentielle de la décision judiciaire dans laquelle les passages contenant les secrets d’affaires ont été supprimés).

Il convient ici de rappeler que les orientations adoptées par le Conseil le 26 mai 2014 ont permis, grâce notamment aux propositions françaises, un meilleur équilibre, lors des procédures judiciaires, entre la confidentialité et le respect du principe du contradictoire, d’une part, en ne restreignant l’accès aux informations qu’aux tiers et non aux parties, et, d’autre part, en imposant aux États de veiller à ce que les parties, leurs avocats, les agents de la juridiction, les témoins et les experts, ne soient pas autorisés à utiliser ou à divulguer un secret d’affaires dont ils ont eu connaissance en cours d’instance. Votre Rapporteure s’en félicite.

D. LE SECRET D’AFFAIRES FACE AUX DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Votre Rapporteure fait le constat que la proposition de directive consacre la protection du secret d’affaires comme un quasi-droit de propriété intellectuelle. À cet égard, des précisions, notamment juridiques, sur l’inévitable articulation entre le secret d’affaires et le droit de propriété intellectuelle (DPI) auraient pu utilement être apportées, notamment juridiques.

Le dixième considérant souligne que la protection par le secret d’affaires ne crée aucun droit exclusif nouveau « dans l’intérêt de l’innovation et de la concurrence ». Il stipule donc qu’ « il devrait donc rester possible de découvrir indépendamment les mêmes savoir-faire et informations, et les concurrents du détenteur du secret d’affaires devraient être libres de soumettre à l’ingénierie inverse tout produit obtenu de façon licite ». Toutefois, ce considérant ne règle pas la question du cumul avec les droits intellectuels existants.

Votre Rapporteure juge nécessaire de clarifier cette articulation entre le secret d’affaires et les DPI, à la fois lorsque le premier précède le second, lorsqu’ils se cumulent et lorsqu’ils sont exclusifs l’un de l’autre.

1. Le secret d’affaires comme préalable aux droits de propriété intellectuelle

Durant le processus de recherche et de création, une grande quantité d’informations sont compilées et développées. Des connaissances d’une valeur économique importante sont progressivement élaborées et ne peuvent souvent pas faire l’objet d’une protection par les DPI, mais elles sont tout aussi importantes pour l’innovation et pour la compétitivité des entreprises. Dans ce cas, la protection du secret d’affaires est nécessaire pour garder secrète une invention jusqu’au dépôt de la demande de brevet.

2. Le secret d’affaires comme alternative aux droits de propriété intellectuelle

Le secret d’affaires peut offrir aussi une véritable alternative au brevet. Des informations capitales aux yeux des concurrents ne sont pas obligatoirement divulguées lors du dépôt de brevet (par exemple la meilleure manière de mettre en œuvre l’invention). Ici, le secret d’affaires intervient comme une alternative efficace au brevet, car il protège autant d’informations que ne l’aurait fait le brevet. Cela est également vérifiable lorsque la complexité de l’objet rend peu probable son imitation par des concurrents.

Votre Rapporteure estime en revanche que la proposition de directive pourrait clairement exclure la possibilité de protéger comme secret d’affaires une donnée qui a déjà fait l’objet d’un brevet dans le passé et aujourd’hui tombée dans le domaine public.

3. Le secret d’affaires comme concurrent au DPI

Ces deux droits peuvent entrer en conflit, par exemple lorsqu’un bien ou une information est couvert à la fois par le droit d’auteur et le secret d’affaires. L’extension continue du champ d’application du droit d’auteur, qui peut désormais protéger des logiciels, des modes d’emplois ou même des contrats rend inévitable certaines situations de chevauchement avec la protection du secret d’affaires.

Tel peut être le cas lorsqu’une entreprise n’est pas titulaire du droit d’auteur sur une œuvre – qui revient à un employé par exemple – mais invoque le secret d’affaires qui englobe cette œuvre, et qu’elle n’a pas pris la précaution de se faire céder les droits d’auteurs. Le conflit entre le droit de divulguer découlant du droit d’auteur et la confidentialité du secret d’affaires reste sans solution.

Votre Rapporteure rappelle à cet égard que la France résiste en ce moment-même au projet européen de réforme du droit d’auteur et à l’uniformisation des cultures au nom du tout économique.

La question du secret d’affaires renvoie, dans ces principes, à un conflit de même nature au sein de l’Union européenne, celui de la lutte entre deux types d’intérêts : les intérêts économiques – qu’exprime le secret d’affaires – et les droits fondamentaux autres qu’économiques, création artistique ou littéraire mais aussi droits des salariés ou liberté d’information.

La France doit en toute circonstance être extrêmement vigilante à ce que la réforme d’une législation relative aux quasi-droits et droits intellectuels telle qu’envisagée par la Commission européenne, ne puisse pas porter atteinte, au nom du marché intérieur, aux droits fondamentaux sociaux et sociétaux.

CONCLUSION

La proposition de directive relative au secret d’affaires demeure perfectible. Elle ne saurait, malgré les apports bénéfiques attendus du point de vue de l’innovation et de la coopération économique, être adoptée en l’état par le Parlement européen alors qu’elle soulève des problèmes juridiques majeurs, comme votre Rapporteure s’est efforcée de le démontrer dans ce rapport.

Il convient de s’assurer, au-delà des avancées déjà obtenues par la France et par la mise en place de garde-fous supplémentaires, que la définition et la déclinaison du secret d’affaires ne puissent fragiliser le respect, dans tous les États membres, des droits fondamentaux à l’expression et à l’information, les droits des travailleurs, ainsi que les droits de propriété intellectuelle.

C’est pourquoi il est utile et nécessaire que le Parlement français puisse affirmer une position claire dans la perspective du vote au Parlement européen et des négociations à venir.

Pour ces raisons, votre Rapporteure a soumis à la commission des Affaires européennes une proposition de résolution qui reprend les principaux points évoqués dans ce rapport.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 9 juin 2015, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

La Présidente Danielle Auroi. Je remercie et félicite la Rapporteure pour ce rapport très complet sur un sujet très complexe. Pour ma part, j’aurais souhaité que la Commission européenne retire cette proposition de directive relative au « secret d’affaires » eu égard au réel poids des lobbys dans l’élaboration de celle-ci.

Votre proposition de résolution est très précise et aborde tous les sujets dans un souci d’exhaustivité. Il est donc essentiel que la commission compétente au fond, soit la commission des Affaires économiques, s’en saisisse afin que les collègues se rendent compte de tous les risques encourus, dans le domaine des DPI, de la liberté d’information. J’approuve tout à fait cette proposition de résolution qui a pour principe premier la protection des droits fondamentaux, et notamment la défense des journalistes et des lanceurs d’alerte.

C’est un sujet extrêmement sensible et il faut faire le lien entre cette proposition de directive et le TTIP (accord sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. À force de trop vouloir faire plaisir aux États-Unis, on risque de mettre en danger la culture européenne dans sa spécificité.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. Je vous remercie pour vos encouragements. J’ai eu à cœur de traiter ce sujet, ardu et sensible dans tous les détails, par-delà les grands principes.

Je défendrai bien sûr cette proposition de résolution en commission des Affaires économiques dont je suis membre par ailleurs. Je ne pense pas cependant que j’en serai Rapporteure car il n’est pas dans les coutumes de la commission des Affaires économiques d’être rapporteur « à double titre ».

La Présidente Danielle Auroi. Sous ces réserves, il est proposé à la commission des Affaires européennes d’approuver la proposition de directive relative au secret d’affaires, en l’état des informations dont elle dispose.

La Présidente Danielle Auroi. Je mets aux voix la proposition de résolution européenne.

La commission a adopté la proposition de résolution ci-après :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secret d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites (COM(2013) 813 final),

Constate les divergences nationales existant en matière de secret d'affaires dans l’Union européenne et prend acte de la volonté d'harmonisation de la législation, avec notamment la mise en place d’une définition commune, afin de mieux dissuader et sanctionner l’appropriation illicite d’un secret d’affaires et faciliter le développement de l'innovation dans le cadre du marché intérieur ;

Rappelle que contrairement aux droits de propriété intellectuelle, le secret d’affaires n’ouvre pas de droits exclusifs à leur détenteur, que ses concurrents ou d’autres tiers peuvent découvrir de façon indépendante un même secret, que toute pratique conforme aux usages commerciaux honnêtes est acceptée, et que la proposition de directive porte donc uniquement sur l’appropriation illicite du secret ;

Insiste sur l’indispensable articulation entre les différents droits définis dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne visés au considérant 23 de la proposition de directive, tant économiques comme le « droit d’entreprise » ou le « droit de propriété » que sociétaux ou sociaux, comme la « liberté d’expression et d’information » ou la « liberté professionnelle et le droit de travailler » ;

Insiste également sur l’articulation entre, d’une part, les intérêts économiques privés liés à une information commerciale, technologique ou un savoir-faire et, d’autre part, l’intérêt public éventuellement lié à ces mêmes informations ;

Fait part des inquiétudes persistantes de la société civile européenne quant aux atteintes que pourrait porter la proposition de directive à l’équilibre entre les différents droits fondamentaux cités à l’alinéa précédent ;

Regrette de ce point de vue que la concertation autour de cette directive se soit limitée à une simple consultation publique ouverte menée par la Commission européenne, dont le résultat est par ailleurs sujet à controverse, compte tenu de la faible participation (386 réponses reçues), de la surreprésentation des grandes entreprises industrielles et des contacts préalables de celles-ci avec la Commission ;

Regrette en particulier l’absence de dialogue social européen formel lors du processus d’élaboration de la proposition de directive par la Commission européenne alors que le texte impacte directement les organisations représentatives des salariés, et les travailleurs eux-mêmes ;

Regrette également l’absence de consultation et de dialogue formel avec d’autres membres de la société civile, tels que les ONG ou les journalistes ;

Constate que les inquiétudes exprimées sont renforcées par l’emploi non motivé du conditionnel dans les considérants 8 et 12 de la proposition de directive, censés venir apaiser les craintes d’une utilisation abusive de la protection du secret d’affaires à l’encontre des journalistes, des travailleurs et des lanceurs d’alerte ;

Constate que dans le corps de la proposition de directive, à l’article 2 relatif aux définitions, la rédaction exacte de l’article 39§2 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) a été conservée sans autre précision.

Se félicite toutefois que la France ait obtenu l’introduction d’un considérant dans le texte issu du Conseil du 26 mai 2014 qui indique que ces informations ou savoir-faire doivent avoir « une valeur commerciale, effective ou potentielle […] en particulier dans la mesure où leur obtention, utilisation ou divulgation illicite est susceptible de porter préjudice aux intérêts de la personne qui en a licitement le contrôle en ce qu’elle nuit à son potentiel scientifique et technique, à ses intérêts économiques ou financiers, à ses positions stratégiques ou à sa capacité à faire face à la concurrence » ;

Appelle par une modification à l’article 4-2 à exclure les activités des journalistes du champ d’application de la proposition de directive, afin de répondre aux inquiétudes formulées notamment dans un contexte de révolution numérique où la législation n’est plus actualisée en matière de protection des sources ;

Suggère d’expliquer en complément dans un nouveau considérant que seule cette exclusion des journalistes du champ d’application de la proposition de directive est à même de préserver la liberté d’expression et d’information ;

Suggère de rappeler dans le même nouveau considérant que la proposition de directive n'affecte pas les traditions constitutionnelles, les législations et les pratiques des États membres en matière de liberté d’expression, de protection des sources des journalistes, et d’alerte éthique et, la faculté des États membres de les mettre en œuvre dans le cadre de l’application de la présente directive ;

Se félicite à cet égard des avancées obtenues par la France au Conseil ;

Se félicite également de la précision apportée à l’article 4-1 par le texte d’orientation du Conseil, sur proposition de la France, prévoyant que « l’obtention, l’utilisation ou la divulgation de secret d’affaires est considérée comme licite dans la mesure où elle est requise par le droit national ou le droit de l’Union », ce qui permet de clarifier la possibilité pour les administrations nationales (services fiscaux, sanitaires, douaniers, autorités de régulation…) de ne pas se voir opposer le secret d’affaires dans le cadre de leurs activités ;

Juge qu’étant donné l’impact de la proposition de directive sur les droits des salariés, les articles 3 et 4 doivent être remaniés dans le sens d’une protection encore accrue des représentants des salariés ;

Propose ainsi d’intégrer à la proposition de la directive les critères issus de la jurisprudence européenne en matière d’information des représentants du personnel, et liés à l’exercice de leur travail, profession ou fonctions ;

Souligne que l’objectif de protection du secret d’affaires ne doit pas restreindre la mobilité des travailleurs, et que l’équilibre actuel entre l’utilisation des clauses de non-concurrence et des clauses de confidentialité d’une part et la protection du secret d’affaires d’autre part, doit être préservé ;

Accueille favorablement l’exclusion dans le considérant 8 relatif à la définition du secret d’affaires, des connaissances et compétences obtenues par les travailleurs dans l'exercice normal de leurs fonctions et celles généralement connues de personnes appartenant aux milieux qui traitent habituellement le type d'informations en question ou leur sont aisément accessibles ;

Insiste également sur le fait que les délais de prescription doivent être maintenus à deux ans maximum ;

Juge que la protection des lanceurs d’alerte agissant à titre individuel dans une démarche citoyenne doit être spécifiée dans le cadre de l’article 4 de la proposition de directive, en leur permettant de bénéficier également d’une forme d’exemption ;

Prend acte de la clause d’harmonisation minimale voulue par le Conseil, permettant par exemple à la France de ne pas créer de régime de responsabilité ad hoc et de conserver la possibilité d’imposer des amendes civiles aux auteurs de recours abusifs ;

Se félicite qu’un principe d’harmonisation maximale soit entériné pour les cas d’exclusion ou d’exonération de responsabilité (journalistes, travailleurs, lanceurs d’alerte), afin d’assurer une protection maximale des droits fondamentaux dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, garantissant que tout régime éventuel de sanctions pénales prévu par les États membres ne puisse pas aller à l’encontre des exclusions ;

Soutient les dispositions sur lesquelles les négociations de la France au Conseil ont abouti pour permettre un meilleur équilibre lors des procédures judiciaires entre la confidentialité et le respect du principe du contradictoire, en ne restreignant l’accès aux informations qu’aux tiers et non aux parties et en imposant aux États de veiller à ce que les parties, leurs avocats, les agents de la juridiction, les témoins et les experts ne soient pas autorisés à utiliser ou divulguer un secret d’affaires dont ils ont eu connaissance en cours d’instance ;

Fait état de sa préoccupation concernant l’incidence éventuelle de cette proposition de directive sur l’application de toute autre législation pertinente telle que celle sur les droits de propriété intellectuelle, et regrette que le considérant 28 évoque seul et succinctement le risque de chevauchement entre le champ d’application de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle et le champ d’application de la directive, cette dernière prévalant en tant que lex specialis ;

Juge nécessaire une clarification dans la proposition de directive quant à l’articulation entre le secret d’affaires et les droits de propriété intellectuelle, à la fois lorsque le premier précède le second, lorsqu’ils se cumulent et lorsqu’ils sont exclusifs l’un de l’autre ;

Accueille favorablement toutes propositions d'amendements du Parlement européen allant dans le sens d’un meilleur équilibre entre tous les droits fondamentaux précités, au regard en particulier des divergences d’application par les États membres ;

Juge nécessaire que le Parlement français puisse affirmer une position claire alliant soutien à l’innovation et respect des droits fondamentaux par le biais de la présente proposition de résolution et ainsi faire entendre sa voix dans les négociations en cours au Parlement européen et celles à venir au Conseil de l’Union européenne. »

La commission autorise la levée de la réserve parlementaire, en tenant compte des observations contenues dans la proposition de résolution européenne adoptée.

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE

1. Olivier COUSI, avocat, cabinet GIDE 

2. Edwy PLENEL, Médiapart 

3. Jérôme BARZUN, avocat, cabinet AyacheSalama 

4. Hervé DEMAILLY, président de la Conférence des écoles du journalisme (CEJ) et maitre de conférences à CELSA Paris-Sorbonne 

5. Fabrice ARFI, Médiapart 

6. Audition conjointe de :

- Emmanuel BENARD, avocat, cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP

- Jérôme PHILIPPE, avocat, cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP

- Hervé PISANI, avocat, cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer LLP

7. Audition conjointe de :

Claudia MENNE, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats 

- Séverine PICARD, conseillère à la Confédération européenne des syndicats ;

- Martin JEFFLEN, président d’EUROCADRES 

8. Alexandre ADAM, conseiller juridique adjoint, Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne 

9. Constance LE GRIP, députée européenne (PPE), rapporteur de la directive relative au secret d’affaire, commission JURI 

10. Vincent CASSIER, avocat, cabinet Sybarius ;

11. Kerstin JORNA, directrice de la propriété industrielle, de l’innovation et des normes, direction générale chargée du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME, Commission européenne 

12. Audition conjointe de :

Xavier HUBERT, conseiller juridique, cabinet de M. MACRON, ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique

Delphine HUMBERT, conseillère droit civil et économique et professions judiciaires, cabinet de Mme TAUBIRA, Garde des Sceaux, ministre de la Justice 

- Elie PATRIGEON, conseiller parlementaire, cabinet de Mme TAUBIRA, Garde des Sceaux, ministre de la Justice 

- Carole CHAMPALAUNE, directrice de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS), Ministère de la Justice 

- Christine SOUDRY (DACS) 

- Cécile VITON (DACS) 

- Julie SAINT PAUL (DACS) 

13. Eric PERES, secrétaire général de FO Cadres 

14. Liza BELLULO, conseillère juridique au SGAE

1 La composition de cette Commission figure au verso de la présente page

2 Accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), annexe 1 C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994.

3 () Towards legalised corporate secrecy in the EU ? How industry, law firms and the European Commission worked together on EU “trade secrets” legislation, Corporate Europe Observatory, 28 avril 2015.

4 () Article 39§2 de l’accord sur les ADPIC : « Les personnes physiques et morales auront la possibilité d'empêcher que des renseignements licitement sous leur contrôle ne soient divulgués à des tiers ou acquis ou utilisés par eux sans leur consentement et d'une manière contraire aux usages commerciaux honnêtes, sous réserve que ces renseignements :

a) soient secrets en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de leurs éléments, ils ne sont pas généralement connus de personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre de renseignements en question ou ne leur sont pas aisément accessibles;

b) aient une valeur commerciale parce qu'ils sont secrets; et

c) aient fait l'objet, de la part de la personne qui en a licitement le contrôle, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrets ».

5 () Le Conseil d’État avait indiqué dans son avis précédemment cité l’obligation de clarté pour cette définition : « les caractéristiques des informations susceptibles d’être protégées devront être clairement définies par la loi (…). Les informations à protéger devraient être définies par leur niveau, comme, par exemple celles dont la divulgation à des personnes non autorisées serait de nature à compromettre la sécurité de l’entreprise ou sa compétitivité, compte tenu de leur importance particulière, commerciale, financière, scientifique ou technique pour l’entreprise ».

6 Commission européenne, Etude d’impact accompagnant la proposition de directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l’obtention, l'utilisation et la divulgation illicites (SWD/2013/0471 final). La citation concerne aux articles 17 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

7 () Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 3 juin 2014, 13-80.48.

8 () Article 4 § 2 alinéa c) de la proposition de directive.

9 () Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, 11 décembre 2014.

10 () Arrêt du 22 novembre 2005, affaire C-384/02.

11 () Considérant 8 : « Il convient de mettre en place, au niveau de l'Union, des règles pour rapprocher les systèmes législatifs nationaux de façon à garantir des possibilités de recours suffisantes et cohérentes dans tout le marché intérieur en cas d'obtention, d'utilisation ou de divulgation illicites d'un secret d'affaires. À cette fin, il importe d'établir une définition homogène du secret d'affaires sans imposer de restrictions quant à l'objet à protéger contre l'appropriation illicite. Cette définition devrait donc être construite de façon à couvrir les informations commerciales, les informations technologiques et les savoir-faire lorsqu'il existe à la fois un intérêt légitime à les garder confidentiels et une attente légitime de protection de cette confidentialité Par nature, cette définition devrait exclure les informations courantes et ne devrait pas être étendue aux connaissances et compétences obtenues par des travailleurs dans l'exercice normal de leurs fonctions et à celles qui sont généralement connues de personnes appartenant aux milieux qui traitent habituellement le type d'informations en question ou leur sont aisément accessibles ».

12 () Article 7 de la proposition de directive.