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PROJET DE LOI

autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française

et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation

de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France,

non couvertes par des programmes français

NOR : MAEJ1503437L/Bleue-1

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ÉTUDE D’IMPACT

I- Situation de référence et objectifs de l’accord

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Gouvernement français a progressivement mis en place des mesures visant à verser des réparations matérielles aux victimes des persécutions antisémites perpétrées pendant la guerre par les autorités allemandes d’Occupation ou les autorités de fait dites « Gouvernement de l’État français » et à répondre à ses responsabilité historiques.

A partir de 1946, la France a étendu le régime de pensions d’invalidité pour les victimes de guerre, instauré au lendemain de la Première Guerre mondiale, en prévoyant de nouveaux cas d’ouverture du droit à pension. Puis à partir de 1948, un régime spécifique a été ouvert aux victimes de la déportation par l’attribution à ces dernières du statut de déporté politique (art. L. 286 et R. 327 du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre).

Ce régime de pensions d’invalidité est ouvert aux ressortissants français. Il a été limitativement étendu à d’autres nationalités en application d’accords bilatéraux conclus par la France au sortir de la guerre avec la Belgique, la Pologne, le Royaume-Uni et l’ex-Tchécoslovaquie ainsi qu’à certains réfugiés bénéficiant des conventions internationales de 1933 et 19381. Il repose sur une présomption d’imputabilité de la maladie ou de l’invalidité aux conséquences de la déportation et est considéré comme l’un des plus généreux d’Europe (avec un niveau moyen annuel de pension de l’ordre de 32 000 euros/base 2012).

Depuis la reconnaissance par le Président de la République, en 1995, de la responsabilité de l’État dans la déportation des Juifs de France, des mesures de réparation matérielle complémentaires ont été adoptées. En 1998, le régime des pensions pour les déportés politiques a été étendu aux requérants devenus Français après la Seconde Guerre mondiale élargissant ainsi le nombre de bénéficiaires.

Un régime spécifique d’indemnisation au bénéfice des orphelins d’un parent mort en déportation, ouvert quant à lui à toutes les nationalités, a été instauré en 2000.

Une Commission d’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) a été par ailleurs créée en 1999 afin d’examiner les demandes individuelles présentées par les victimes ou par leurs ayants droits pour la réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens matériels et financiers intervenues du fait des législations antisémites prises. La CIVS est exclusivement chargée d’examiner des demandes de réparations matérielles.

Enfin, en 2001, un accord a été conclu entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique relatif à l’indemnisation des spoliations bancaires intervenues pendant la Seconde Guerre mondiale2.

Ces derniers dispositifs sont ouverts sans critère de nationalité.

Bien que ces mesures aient progressivement étendu le champ des réparations, il est apparu que certaines victimes de la déportation depuis la France n’avaient pu avoir accès à notre régime de pensions d’invalidité, du fait de leur nationalité ni pu bénéficier de mesures de réparations versées par d’autres pays ou institutions.

Dans ce contexte, il a été décidé de négocier avec les Etats-Unis un accord dont l’objectif était de compléter les dispositifs d’indemnisation en vigueur afin d’assurer la prise en compte de toutes les victimes n’ayant pu avoir accès au régime français ou à tout autre régime.

L’accord prévoit la mise en place d’un fonds d’indemnisation de 60 millions de dollars versés par les autorités françaises aux autorités américaines qui assumeront seules la responsabilité du recensement de l’ensemble des demandes – quels que soient la nationalité et le lieu de résidence du demandeur –, de leur traitement et de l’indemnisation des bénéficiaires selon des critères qu’elles détermineront unilatéralement.

Cet accord a aussi pour objectif de constituer le moyen définitif, global et exclusif de répondre à toute demande ou toute action qui pourrait être entreprise, aux États-Unis, contre la France ou ses démembrements au titre de la déportation liée à la Shoah depuis notre territoire.

Dans cette perspective, l’accord crée une obligation internationale contraignante pour les autorités américaines et prévoit expressément l’engagement des autorités américaines à assurer à la France et à ses démembrements une paix et une sécurité juridiques durables.

Le champ d’application de l’accord inclue les démembrements de l’État, terme qui vise les entreprises ou entités publiques françaises, quel que soit leur statut juridique, qui pourraient être mises en cause, directement ou indirectement, au titre de la déportation liée à la Shoah comme cela a pu être le cas par exemple de la SNCF aux États-Unis. L’accord vise de ce fait des garanties de sécurité juridique les plus larges possibles.

II- Conséquences estimées de la mise en œuvre de l’accord

Aucune conséquence économique, sociale, administrative ou environnementale notable n’est attendue de la mise en œuvre du présent Accord. Ce dernier n’a par ailleurs aucun impact sur l’égalité entre les hommes et les femmes. En revanche, des conséquences financières et juridiques méritent d’être soulignées.

- Conséquences financières

L’Accord prévoit le versement d’une somme de 60 millions de dollars par le Gouvernement de la République française au Gouvernement des États-Unis d’Amérique (le montant équivalent en euros sera déterminé en fonction du taux de change à la date du versement). Ce versement se fera dans un délai de 30 jours à compter de l’entrée en vigueur de l’Accord.

Ce montant de 60 millions de dollars, qui correspond à un point d’équilibre au regard notamment des demandes de compensations exprimées par certains avocats américains (pm. 200 millions de dollars) a été établi en tenant compte de différents critères :

- le nombre de bénéficiaires potentiels – survivants de la déportation ou leurs ayants droits pour ceux décédés après-guerre – estimé à quelques milliers à ce stade mais qui ne sera connu qu’après une procédure de recensement engagée par les autorités américaines ; une marge d’aléas pour pouvoir répondre à un possible afflux de demandes a de ce fait été prévue ;

- la volonté de mettre en place une indemnisation juste pour les bénéficiaires et en cohérence avec le régime des pensions d’invalidité des victimes civiles de la guerre par référence au niveau moyen de pension annuelle de l’ordre de 32 000 euros par an/bas 2012 ;

- la nécessité de pouvoir intégrer une part encadrée d’antériorité dans les indemnisations pour les survivants de la déportation qui n’avaient pu bénéficier du régime des pensions ouvert il y a 70 ans, ou pour leurs ayants droit pour ceux décédés récemment.

- Conséquences juridiques

Articulation du texte avec les accords ou conventions internationales existantes

Cet Accord vient compléter les régimes en termes d’indemnisation des victimes de la déportation ouverts par le Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre3 qui n’est ouvert qu’aux Français, à quelques autres nationalités en application d’accords bilatéraux conclus par la France au lendemain de la seconde Guerre Mondiale (avec la Belgique, la Pologne, le Royaume-Uni et l’ex-Tchécoslovaquie) ainsi qu’à certains réfugiés.

Il s’agit du second accord conclu avec les États-Unis après celui de 20014 portant sur l’indemnisation des victimes de spoliations bancaires intervenues dans le cadre des persécutions antisémites perpétrées pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le présent Accord permettra l’indemnisation de toutes les victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par le régime de pensions d’invalidité du fait de leur nationalité, qu’elles résident ou non aux États-Unis.

Les Français étant déjà éligibles au régime de droit commun du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ne sont pas couverts par cet accord.

Par cet accord, et conformément à l’objectif de mise en œuvre d’une sécurité juridique durable, le Gouvernement des États-Unis s’engage à reconnaître et à faire respecter l’immunité de juridiction de la France et de ses démembrements.

Sur le plan judiciaire, alors que le risque de contentieux devenait croissant, le Gouvernement des États-Unis s’engage à clôturer l’ensemble des procédures en cours ou à venir et, sur le plan politique, toute autre action engagée à tout niveau de gouvernement aux Etats-Unis. Cet engagement permet de couvrir notamment toute initiative législative susceptible de viser l’un des démembrements de la France aux États-Unis dès lors qu’il prévoit que le Gouvernement américain entreprend toute mesure nécessaire pour assurer une paix juridique durable au niveau fédéral, des États ou local. Le Gouvernement des États-Unis devra ainsi entreprendre toute action à l’encontre des mesures jugées contraires à l’esprit ou à la lettre de l’Accord.

III – Historique des négociations

En dépit des mesures de réparations mises progressivement en place en France, des déportés survivants, ou leurs ayants droits, n’ayant pas eu accès au régime de pensions d’invalidité du fait de leur nationalité, ou à des compensations versées par d’autres États ou institutions, ont tenté à partir des années 2000 d’obtenir des réparations par d’autres voies notamment devant les juridictions américaines.

Des projets de loi ont été introduits au Congrès américain pour permettre aux juridictions américaines de poursuivre toutes entreprises ayant joué un rôle dans le transport des victimes de la déportation, faisant ainsi craindre le développement d’un contentieux majeur, notamment pour la SNCF. Dans ce contexte, des discussions informelles ont été engagées entre la France et les États-Unis à partir de 2012 afin de trouver une solution à la situation de ces victimes non couvertes par le régime des pensions d’invalidité des victimes de guerre ou par tout autre régime.

Dans ce cadre, la conclusion d’un accord intergouvernemental a été proposée aux autorités américaines. Cette approche, dans un cadre négocié et non contentieux, a recueilli le soutien de la communauté juive française et des grandes organisations juives américaines.

Des négociations ont formellement débuté au mois de février 2014 visant à conclure un accord intergouvernemental aux fins d’indemnisation de ces victimes de la Shoah déportées depuis la France et non couvertes par le régime français.

Elles ont été conduites, côté américain, par l’ancien ambassadeur, Stuart Eizenstat, conseiller spécial du Secrétaire d’État sur les questions liées à la Shoah, déjà négociateur et signataire de l’Accord de Washington de 2001 sur les avoirs bancaires, et, pour la partie française, par l’ambassadrice pour les droits de l’Homme, Patrizianna Sparacino-Thiellay, en charge de la dimension internationale de la Shoah, des spoliations et du devoir de mémoire.

Les négociations ont eu lieu à un rythme soutenu avec l’ambition de conclure dans les meilleurs délais pour tenir compte notamment de l’âge avancé des déportés survivants. Elles se sont achevées début novembre 2014.

IV – État des signatures et ratifications

L’Accord a été signé par les deux chefs de délégation à Washington le 8 décembre 2014. Conformément à la procédure américaine d’approbation des accords internationaux dite « C-175», le chef de délégation américain disposait des pouvoirs nécessaires à la signature et à l’approbation de cet accord qui ne nécessitera pas, du côté américain, de procédure ultérieure d’approbation parlementaire.

Les deux parties ont souligné à cette occasion la valeur symbolique d’une conclusion en cette année de célébration du soixante-dixième anniversaire des débarquements alliés en Normandie et en Provence.

L’entrée en vigueur très attendue de l’Accord pourrait par ailleurs intervenir alors que sera célébré tout au long de l’année 2015, le soixante-dixième anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis et la fin de la seconde guerre mondiale.

V - Déclarations ou réserves

Sans objet.

1 Convention de Nansen du 28/10/1933 (pour les réfugiés russes, autrichiens, espagnols) et Convention de Genève du 10/02/1938 (pour les réfugiés en provenance d'Allemagne et d'Autriche).

2 Décret n° 2001-243 du 21 mars 2001 portant publication de l’Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique relatif à l’indemnisation de certaines spoliations intervenues pendant la Seconde Guerre mondiale, signé à Washington le 18 janvier 2001.

3 http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?cidTexte=LEGITEXT000006074068

4 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000578143&fastPos=4&fastReqId=1337923906&categorieLien=id&oldAction=rechTexte


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