Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 228

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 septembre 2012.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’assistance médicalisée pour une fin de vie
dans la dignité,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Thierry BRAILLARD, Jean-Noël CARPENTIER, Ary CHALUS, Gérard CHARASSE, Jeanine DUBIE, Olivier FALORNI, Paul GIACOBBI, Annick GIRARDIN, Joël GIRAUD, Jacques KRABAL, Jacques MOIGNARD, Dominique ORLIAC, Stéphane SAINT-ANDRÉ et Alain TOURRET,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Choisir la mort devrait être la dernière liberté.

Pourtant ce droit de choisir les conditions de son décès reste souvent refusé aux patients en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, génératrice de souffrances insupportables.

Il y a là une atteinte à la liberté de décision du malade en fin de vie, atteinte qui n’est pas compatible avec le respect de la volonté de chacun et avec le droit de mourir dans la dignité. Droit revendiqué dès 1978 par une proposition de loi déposée par le sénateur radical de gauche Henri Caillavet.

Certes, depuis une quinzaine d’années, des progrès réels ont été accomplis.

La loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs

D’abord, le développement – encore trop limité – des soins palliatifs, destinés à soulager la douleur, à apaiser les souffrances psychiques, à accompagner les patients en phase terminale pour permettre une fin de vie digne et humaine.

La possibilité d’accéder aux soins palliatifs étant alors très rare, le Parlement a pris en 1999 l’initiative de légiférer pour mieux assurer l’accès à ceux-ci. C’est l’objet de la proposition de loi déposée le 31 mars 1999 par Roger-Gérard Schwartzenberg et les députés radicaux de gauche. Cette proposition de loi « visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs » a été adoptée, avec l’appui du gouvernement de Lionel Jospin, par l’Assemblée nationale le 6 mai 1999 et par le Sénat le 27 mai 1999. Elle est devenue, sous ce même intitulé, la loi du 9 juin 1999.

Toutefois, malgré cette loi et trois « programmes triennaux de développement des soins palliatifs », le nombre d’unités ou d’équipes mobiles de soins palliatifs reste insuffisant. Comme le souligne le rapport de l’Observatoire national de la fin de vie publié le 15 févier 2012.

Deux tiers des personnes qui décèdent relèveraient d’une prise en charge palliative, soit 332 000 par an. Or, beaucoup de ces patients sont loin d’en bénéficier. À l’hôpital, en soins aigus, un tiers des mourants dispose d’une prise en charge palliative, soit seulement la moitié de ceux qui en auraient besoin. Aux urgences, 64 % des personnes qui décèdent nécessiteraient des soins palliatifs et seuls 7,5 % en bénéficient.

Par ailleurs, parmi les médecins libéraux, seuls 2,6 % des généralistes ont reçu une formation aux soins palliatifs.

Il est donc indispensable de consacrer davantage de moyens au développement de ces soins pour que puissent y accéder bien davantage de patients qu’aujourd’hui. D’autant qu’il existe de fortes inégalités territoriales dans notre pays, certains départements étant nettement sous-dotés en réseaux de soins palliatifs, voire n’en possédant aucun.

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie

Seconde avancée importante, mais elle est aussi trop limitée : la loi Leonetti du 22 avril 2005 « relative aux droits des malades et à la fin de vie ». Proscrivant « l’obstination déraisonnable », c’est-à-dire l’acharnement thérapeutique, ce texte consacre le droit de tout patient de refuser ou d’arrêter un traitement, même si cela met sa vie en danger, et l’obligation pour le médecin de respecter la volonté de celui-ci.

Cette loi reconnaît donc le droit de « laisser mourir » par l’arrêt des soins, notamment par l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation artificielle. Ce qui, parfois, peut risquer de conduire à des conditions douloureuses de décès.

En revanche, la loi Leonetti continue à interdire le « faire mourir », le fait de donner la mort par une démarche active et non plus passive. Encore que la distinction entre les deux situations soit devenue particulièrement ténue, voire artificielle.

En effet, le cinquième alinéa de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, issu de ce texte, reconnaît au médecin, s’il « constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable », la faculté de lui appliquer un « traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie ». Ce qu’on appelle souvent le « double effet ».

Surtout, dans certains cas, même les soins palliatifs ne parviennent pas ou plus à soulager la douleur du patient incurable en phase terminale. D’où la nécessité d’adopter des mesures pour permettre, pour ces patients aussi, le droit à une mort digne.

Une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité

Il est donc nécessaire d’aller au-delà de la loi de 2005 et de reconnaître, dans ces cas exceptionnels, le droit d’obtenir une assistance médicalisée pour terminer sa vie au patient en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique jugée insupportable et qui ne peut être apaisée.

Ces patients doivent avoir le droit de mourir dans la dignité, médicalement assistés, dans les meilleures conditions possibles.

Dans plusieurs pays, le droit a commencé à évoluer. Les Pays-Bas (loi du 12 avril 2001), la Belgique (loi du 28 mai 2002), le Luxembourg (loi du 16 mars 2009) ont autorisé l’aide active à mourir, en l’encadrant strictement. Par une décision du 22 mars 2002, la Haute Cour de Londres a reconnu un « droit de mourir » à une patiente atteinte d’une infection incurable. Par une décision du 17 janvier 2006, la Cour suprême des États-Unis a validé une loi de l’Oregon sur le « suicide médicalement assisté ».

Actuellement, le droit pénal assimile l’aide active à mourir à un assassinat s’il y a eu préméditation, à un meurtre en l’absence de préméditation et dans la plupart des cas à un meurtre aggravé du fait de la circonstance aggravante de la vulnérabilité de la victime (art. 221-4, 3° du code pénal) ou à un empoisonnement par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort (art. 221-5).

Même si, en fait, ces sanctions pénales sont rarement prononcées, le législateur ne peut se défaire ainsi de ses responsabilités et s’en remettre à l’appréciation – aléatoire et variable – de juridictions statuant coup par coup et cas par cas. Il ne peut laisser ainsi les praticiens, saisis d’une demande légitime d’assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité, exposés au prononcé éventuel de telles peines ou de sanctions disciplinaires par l’Ordre des médecins.

L’exercice du droit de mourir médicalement assisté doit bien sûr être très strictement encadré par des règles et procédures d’une extrême précision. Mais l’impératif doit bien être celui-ci : se fonder sur le respect de la volonté exprimée par le malade, sur le libre choix par chacun de son destin personnel, bref sur le droit des patients à disposer d’eux-mêmes. Ultime espace de liberté et de dignité.

Ce droit à disposer d’une assistance médicalisée correspond, par ailleurs, au 21e des 60 engagements pour la France souscrits par le nouveau chef de l’État dans sa campagne présidentielle de 2012 :

« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »

Au demeurant, plusieurs textes de loi, émanant de députés ou de sénateurs de diverses sensibilités politiques, ont déjà été enregistrés dans ce domaine.

Ainsi, les députés radicaux de gauche ont déposé le 17 juin 2009 une proposition de loi « instaurant le droit de vivre sa mort ».

De même, le groupe socialiste, radical et citoyen a déposé le 7 octobre 2009 une proposition de loi « relative au droit de finir sa vie dans la dignité », qui a été examinée par l’Assemblée nationale le 24 novembre 2009, mais qui, recueillant 202 voix pour et 326 voix contre, n’a pas été adoptée.

Par ailleurs, à côté du cas des patients en phase terminale, il convient de reconnaître aussi ce droit à une assistance médicalisée aux malades atteints d’une affection incurable qui, sans menacer immédiatement leur vie, leur inflige de très fortes souffrances sans espoir de guérison. En 2003, une vive émotion a été suscitée par les poursuites engagées contre la mère et le médecin du jeune Vincent Humbert, qui, conformément aux vœux de celui-ci, l’avaient aidé à mourir pour mettre un terme à ses souffrances.

De même, en 2008, une même émotion a résulté du suicide de Chantal Sébire, après le rejet par le tribunal de grande instance de Dijon de sa requête sollicitant que son médecin traitant soit autorisé à lui prescrire le traitement lui permettant de terminer sa vie dans le respect de sa dignité.

« La grandeur de l’homme, c’est de lutter. De lutter pour vivre, jusqu’au bout, jusqu’au-delà des limites et, quand ce n’est plus possible, de dormir. » C’est ce qu’écrivait le Pr Léon Schwartzenberg dans son livre Changer la mort en 1977. Il y a trente-cinq ans.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 1110-9 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à disposer, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant, par une aide active, une mort rapide et sans douleur. »

Article 2

Après l’article L. 1111-10 du même code, il est inséré un article L. 1111-10-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-10-1. – Lorsqu’en application du dernier alinéa de l’article L. 1110-9, une personne demande à son médecin traitant une assistance médicalisée pour mourir, celui-ci saisit sans délai deux autres praticiens pour s’assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle elle se trouve. Le patient peut également faire appel à tout autre membre du corps médical susceptible d’apporter des informations complémentaires.

« Le médecin traitant et les praticiens qu’il a saisis vérifient, lors d’un entretien avec la personne malade, le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande présentée. Ils l’informent aussi des possibilités qui lui sont offertes par les dispositifs de soins palliatifs adaptés à sa situation et prennent, si la personne le désire, les mesures nécessaires pour qu’elle puisse effectivement en bénéficier.

« Dans un délai maximum de quatre jours suivant cet entretien, les médecins lui remettent, en présence de sa ou de ses personne(s) de confiance, un rapport comportant leurs conclusions sur son état de santé. Si ces conclusions attestent, au regard des données acquises de la science, que la personne malade est incurable, que sa souffrance physique ou psychique ne peut être apaisée ou qu’elle la juge insupportable, que sa demande est libre, éclairée et réfléchie et s’ils constatent alors qu’elle persévère, en présence de sa ou de ses personne(s) de confiance, dans sa demande, l’assistance médicalisée pour mourir doit lui être apportée.

« La personne malade peut à tout moment révoquer sa demande.

« L’acte d’assistance médicalisée intervient en présence et sous le contrôle du médecin traitant qui a reçu la demande et a accepté d’accompagner la personne malade dans sa démarche ou du médecin vers lequel elle a été orientée. Il ne peut intervenir avant l’expiration d’un délai de deux jours à compter de la date de confirmation de sa demande.

« Toutefois, si la personne malade le demande, et avec l’accord du médecin qui apportera l’assistance, ce délai peut être abrégé. La personne peut à tout moment révoquer sa demande.

« Les conclusions médicales et la confirmation des demandes sont versées au dossier médical de la personne. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté l’assistance adresse à la commission nationale de contrôle prévue à l’article L. 1111-13-2 un rapport exposant les conditions du décès. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article. »

Article 3

L’article L. 1111-11 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-11. – Toute personne capable majeure peut rédiger des directives anticipées relatives à la fin de sa vie pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées sont modifiables ou révocables à tout moment.

« À condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin doit en tenir compte pour toute décision la concernant.

« Dans ces directives, la personne indique ses souhaits en matière de limitation ou d’arrêt des traitements et, le cas échéant, les circonstances dans lesquelles elle désire bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir telle que régie par l’article L. 1111-10-1. Elle désigne dans ce document la ou les personnes de confiance chargées de la représenter le moment venu. Les directives anticipées sont inscrites sur un registre national automatisé tenu par la Commission nationale de contrôle des pratiques relatives au droit de finir sa vie dans la dignité mentionnée à l’article L. 1111-13-2. Toutefois, cet enregistrement ne constitue pas une condition de validité du document.

« Les modalités de gestion du registre et la procédure de communication des directives anticipées au médecin traitant qui en fait la demande sont définies par décret en Conseil d’État. »

Article 4

La section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du même code est complétée par un article L. 1111-13-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1111-13-1. – Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, se trouve de manière définitive dans l’incapacité d’exprimer une demande libre et éclairée, elle peut bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir à la condition que celle-ci figure expressément dans ses directives anticipées établies dans les conditions mentionnées à l’article L. 1111-11.

« Sa ou ses personnes de confiance en font alors la demande à son médecin traitant qui la transmet à deux autres praticiens au moins. Après avoir consulté l’équipe médicale, les personnes qui assistent au quotidien la personne malade et tout autre membre du corps soignant susceptible de les éclairer, les médecins établissent, dans un délai de huit jours au plus, un rapport déterminant si elle remplit les conditions pour bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.

« Lorsque le rapport conclut à la possibilité de cette assistance, la ou les personnes de confiance doivent confirmer le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande anticipée de la personne malade en présence de deux témoins n’ayant aucun intérêt matériel ou moral à son décès. L’assistance médicalisée est alors apportée après l’expiration d’un délai d’au moins deux jours à compter de la date de confirmation de la demande.

« Le rapport des médecins est versé au dossier médical de l’intéressé. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’assistance médicalisée adresse à la Commission nationale de contrôle mentionnée à l’article L. 1111-13-2 un rapport exposant les conditions dans lesquelles celui-ci est intervenu. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article, ainsi que les directives anticipées. »

Article 5

La même section 2 est complétée par deux articles L. 1111-13-2 et L. 1111-13-3 ainsi rédigés :

« Art. L. 1111-13-2. – Il est institué auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de la santé, une Commission nationale de contrôle des pratiques relatives au droit de mourir dans la dignité. Celle-ci est chargée de vérifier, chaque fois qu’elle est rendue destinataire d’un rapport d’assistance médicalisée pour mourir, si les exigences légales ont été respectées. Si ces exigences ont été respectées, les articles 221-3, 221-4, 3° et 221-5 du code pénal ne peuvent être appliqués aux auteurs d’une assistance médicalisée.

« Lorsqu’elle estime que ces exigences n’ont pas été respectées ou en cas de doute, la Commission susvisée peut saisir du dossier le procureur de la République. Les règles relatives à la composition ainsi qu’à l’organisation et au fonctionnement de cette Commission sont définies par décret en Conseil d’État.

« Art. L. 1111-13-3. – Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats où elle était partie la personne dont la mort résulte d’une assistance médicalisée pour mourir mise en œuvre selon les conditions et procédures prescrites aux articles L. 1111-10 et L. 1111-11. Toute clause contraire est réputée non écrite. »

Article 6

Le dernier alinéa de l’article L. 1110-5 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les professionnels de santé ne sont pas tenus d’apporter leur concours à la mise en œuvre d’une assistance médicalisée pour mourir. Le refus du médecin ou de tout membre de l’équipe soignante de participer à une procédure d’assistance médicalisée est notifié au demandeur. Dans ce cas, le médecin est tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible de déférer à sa demande. »

Article 7

Les charges éventuelles qui résulteraient pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.


© Assemblée nationale