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N° 439

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2012.

PROPOSITION DE LOI

visant à réviser la loi dite « Fauchon »
et à supprimer toute impunité pénale des responsables d’entreprise dans le drame de l’amiante,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Pierre DECOOL, Christian HUTIN, Gérald DARMANIN, Bernard GÉRARD, Thierry MARIANI, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Marc-Philippe DAUBRESSE, Lionnel LUCA, Alain MARC, Thierry LAZARO, Daniel FASQUELLE, Laurent MARCANGELI, Paul SALEN, Alain LEBOEUF, Alain MOYNE-BRESSAND, Yves ALBARELLO, Josette PONS, Daniel GIBBES, Jean-Claude MATHIS, Philippe LE RAY, Jean-Claude BOUCHET, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Luc MOUDENC, Gilles LURTON, Anne GROMMERCH, Michel VOISIN, Frédéric REISS, Thierry SOLÈRE, Sophie DION, Didier QUENTIN, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Michel TERROT, Dominique DORD, Camille de ROCCA SERRA, Jean-Louis CHRIST, Yannick MOREAU, Francis VERCAMER, Alain TOURRET, Jean-Luc BLEUNVEN et Michel LEFAIT,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 dite « loi Fauchon » a eu pour objet de limiter le risque pénal principalement pour les décideurs publics et privés. Rappelons que la condamnation pénale du premier magistrat de la ville après l'incendie du "Cinq-sept" à Saint-Laurent du Pont en 1970 a amorcé un mouvement de pénalisation à l'encontre des élus locaux en matière de responsabilité pour des faits non intentionnels.

Une première tentative pour endiguer la montée du risque pénal avait été opérée par la loi du 13 mai 1996 laquelle imposait aux magistrats d'examiner in concreto le comportement du prévenu (art. 121-3 du Code pénal) et plus particulièrement d'établir que l'élu « n'a pas accompli les diligences normales compte tenu des compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie » (art. L. 2123-24 du Code général des collectivités territoriales). Devant le succès mitigé de ces dispositions, le Parlement s’est livré à une nouvelle discussion des textes applicables en 2000.

Désormais, le troisième alinéa de l'article 121-3 du Code pénal dans sa rédaction actuelle prévoit qu' « il y a délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Quant à l'article 121-3 alinéa 4 du Code pénal, il dispose que « les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. »

Ainsi la loi distingue deux catégories d'auteurs parmi les personnes physiques. Les auteurs directs qui continuent à répondre d'une faute d'imprudence simple, ordinaire et les auteurs indirects dont la responsabilité sera plus difficile à engager puisqu'il faudra pour cela établir soit une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence, soit une faute caractérisée.

Le but annoncé du législateur était de rompre avec la théorie de l'équivalence des conditions appliquée par le juge pénal et permettant de condamner toutes les personnes ayant concouru, de près ou de loin, au dommage. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la loi du 10 juillet 2000 constitue un difficile numéro d’équilibre. Ainsi que l’avaient noté certains auteurs, « la loi du 10 juillet 2000 marque la volonté de “dépénaliser” les fautes les moins graves ; mais elle entend également éviter que cette “dépénalisation” ne s’accompagne de l’impossibilité, pour la victime, d’obtenir la réparation de son dommage » (V. Nathalie Guillemy. INRS. TS. 11-01).

Certes, il n’est pas question de revenir ici globalement sur ce dispositif de la loi Fauchon. Ainsi que l’écrivait Alain Saffar : « la loi trouve elle-même un équilibre entre la volonté, d'un côté, de ne pas pénaliser à l'excès la vie sociale, d'une manière générale, qu'elle soit publique ou privée, et tous les comportements et, de l'autre, de faire en sorte que les gens qui sont dans des postes à responsabilités puissent les exercer : ils ont des pouvoirs particuliers pour cela et ils doivent assumer ces responsabilités. La loi trouve un équilibre entre ces deux écueils et il n'est pas envisagé d'en changer pour l'instant » (V. Le drame de l'amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir. Rapport d'information Sénat n° 37, 2005-2006).

En revanche, il est clair que cette réglementation constitue un obstacle dans le règlement de l'affaire de l'amiante, véritable drame sanitaire (3 000 décès par an avec des estimations de 100 000 morts d'ici 2025), à tel point que le sénateur Pierre Fauchon a lui-même déclaré : « il est tout à fait certain que, si la loi s'avère mal faite, il faut la corriger. Je serais le premier à proposer de le faire ».

Or, jusqu’à présent, les tribunaux ont estimé que la loi Fauchon empêchait de reconnaître la responsabilité pénale des personnes poursuivies. Paradoxalement donc, le juge civil peut reconnaitre que l’employeur a commis une « faute inexcusable », et le juge pénal refuser de reconnaître qu’il a commis une « faute caractérisée ».

Le bon sens ne saurait se satisfaire de cette solution et ce d’autant qu’en Italie, le 13 février 2012, au terme d’un procès qui a duré trois ans, le Tribunal de Turin a condamné à 16 ans de prison deux anciens dirigeants de la société Eternit.

On notera également que la mission d’information de 2006 sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante (rapport AN n° 2884) proposait de modifier les dispositions légales pour réaffirmer l’obligation de respecter les règles particulières de sécurité et de prudence (V. dans le même sens : Rapport d’information AN n° 2090 de 2009 intitulé « Les victimes de l’amiante : une prise en charge originale mais perfectible »).

Pourquoi ce qui est possible en Italie ne l’est-il pas en France ? Deux éléments ont été mis en évidence par les praticiens : le parquet jouit d’une plus grande indépendance en Italie et la loi Fauchon constitue un frein pour un procès amiante.

Dans ces conditions, il convient de modifier la loi et de prévoir qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, la responsabilité de l’auteur indirect du dommage peut être engagée même en l’absence d’une violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité. En effet, cette violation « manifestement délibérée » d’une réglementation est une faute pour le moins difficile à établir puisqu’il faut que la personne ait été au courant de la loi et l’ait violée délibérément.

Telles sont les dispositions de la proposition de loi que nous vous demandons d’adopter.


PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le quatrième alinéa de l’article 121-3 du code pénal est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les présentes dispositions ne sont pas applicables en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, dans les conditions prévues aux articles L. 411-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale. »


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