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N° 593

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2013.

PROPOSITION DE LOI

visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs
et à assurer le respect du principe de laïcité,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Thierry BRAILLARD, Jean-Noël CARPENTIER, Ary CHALUS, Gérard CHARASSE, Jeanine DUBIÉ, Olivier FALORNI, Paul GIACOBBI, Annick GIRARDIN, Joël GIRAUD, Jacques KRABAL, Jacques MOIGNARD, Dominique ORLIAC, Stéphane SAINT-ANDRÉ et Alain TOURRET,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’article 1 de la Constitution de 1958 dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». En application du principe de laïcité, la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadre le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

L’école publique est l’école de tous. Elle a vocation à accueillir sur les mêmes bancs tous les élèves quelles que soient leur condition, leur confession, leur opinion. L’école de la République leur permet de vivre ensemble, par-delà leurs différences. Elle assure, comme le disait Pierre Mendès France, « l’apprentissage en commun de la vie commune ».

Pour cela, l’école publique doit être un espace de neutralité et de laïcité, soustraite à l’influence des religions qui doivent se limiter à la sphère privée. Espace public par excellence, l’école publique doit être selon l’expression de Jean Zay, ministre radical de l’Éducation nationale de 1936 à 1939, « cet asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». Elle doit échapper aux tensions confessionnelles ou identitaires qui pourraient troubler la quiétude de la vie scolaire.

La loi précitée du 15 mars 2004 interdit donc, à l’école publique, les signes et tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, afin d’y empêcher ce que la circulaire du 15 mai 1937 prise par Jean Zay appelait le « prosélytisme », la « propagande confessionnelle », c’est-à-dire l’ostentation de la foi.

Ce qui apparaît nécessaire à l’école pour l’apprentissage des enfants à partir de six ans, l’est tout autant pour les plus jeunes.

S’agissant de l’accueil des enfants de moins de six ans, il existe des écoles maternelles, des garderies et des services d’assistant(e)s maternel(le)s municipaux, obéissant aux règles du service public. Il en découle, pour les agents du service public, l’obligation d’assurer leurs fonctions avec neutralité, c’est-à-dire sans implication de leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques. Ce principe de neutralité traduit dans le service public le principe constitutionnel de respect de la laïcité.

Toutefois, les services d’accueil de la petite enfance sont exclus du champ d’application de la directive européenne sur les services. Par ailleurs, aucun texte législatif ou réglementaire n’impose une obligation de neutralité aux professionnels de la jeunesse qui ne travaillent pas pour le service public, bien qu’ils soient placés sous la supervision d’autorités publiques délivrant les autorisations nécessaires à leur activité. Pour les assistant(e)s maternel(le)s à domicile, en particulier, c’est le président du conseil général qui délivre les agréments garantissant la sécurité, la santé et l’épanouissement des mineurs accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives des personnels.

Par ailleurs, la France connaît, depuis de nombreuses années, une pénurie de places d’accueil pour la garde des enfants de moins de six ans. Dans ce contexte, certains parents peuvent rencontrer des difficultés pour trouver des personnels agréés qui accueillent leur enfant à leur domicile tout en respectant leur volonté légitime de neutralité.

Or, outre la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et son article 26 (« Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants »), plusieurs engagements internationaux ou européens peuvent être invoqués par les citoyens des États signataires pour faire valoir ce droit fondamental :

- la Convention européenne des droits de l’homme (1950) et en particulier l’article 2 du Protocole n° 1, sur le droit à l’instruction dont la Cour de Strasbourg a précisé la portée (arrêt Folgero et autres c/ Norvège du 29 juin 2007) en indiquant qu’il n’établit pas de distinction entre enseignement public et enseignement privé ;

- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) ;

- le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) ;

- la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 14), proclamée en 2000 et dotée d’une force juridique contraignante depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009.

Toutefois, en pratique, l’absence de législation nationale sur l’obligation de neutralité dans le secteur de l’accueil de la petite enfance conduit, parfois, à faire obstacle au droit fondamental des parents de choisir le genre d’éducation de leurs enfants. L’actualité relance régulièrement ce débat de société sans qu’aucune réponse appropriée n’y soit apportée.

Dans l’affaire de l’association Baby-Loup, un contentieux très médiatisé a été porté devant la justice, entre la salariée d’une crèche refusant d’enlever son voile dans l’exercice de ses fonctions et la directrice adjointe de l’établissement, alors que le règlement intérieur affirmait très explicitement la neutralité de cette structure d’accueil. Il est très regrettable qu’une crèche privée laïque rencontre d’importantes difficultés pour faire respecter le principe de laïcité.

L’ensemble de ces éléments impose de clarifier les règles qui définissent les conditions d’accueil de la petite enfance en dehors du domicile parental, dans les différentes structures collectives (crèches, haltes-garderies, jardins d’enfants) et à domicile (crèches familiales, assistant(e)s maternel(le)s).

Cette proposition de loi vise donc à introduire une obligation de neutralité dans les dispositifs législatifs relatifs à la qualification professionnelle (article L. 2324 du code de la santé publique) et à l’agrément des personnes habilitées à accueillir de jeunes enfants (article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles, s’agissant des assistant(e)s maternel(le)s et des assistants familiaux).

Au demeurant, dans sa délibération n° 2011-67 du 28 mars 2011, le collège de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a recommandé au Gouvernement d’ « examiner l’opportunité d’étendre aux structures privées des secteurs social, médicosocial et de la petite enfance chargées de missions de service public ou d’intérêt général, les obligations notamment de neutralité qui s’imposent aux structures publiques de ces secteurs ».

De même, dans un avis du 5 juillet 2011, le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) a considéré que les personnels des établissements privés associatifs ou d’entreprise qui prennent en charge des enfants sur un mode collectif se doivent d’appliquer « les règles de neutralité et à l’impartialité ».

Pour le HCI, l’enfant a droit à la neutralité et à l’impartialité, notamment sur le fondement de la Convention internationale des droits de l’enfant et de l’article 371-1 du code civil qui définit l’autorité parentale.

Dans l’affaire de la crèche de l’association Baby-Loup, la Cour d’appel de Versailles a confirmé, le 27 octobre 2011, le jugement rendu le 13 décembre 2010 par le conseil des prud’hommes de Mantes-la-Jolie, avec ces considérants :

« Considérant que les statuts de l’association précisent que celle-ci a pour objectif la revalorisation de la vie locale sans distinction d’opinion politique ou confessionnelle ;

Considérant que conformément à ces dispositions la crèche doit assurer une neutralité du personnel dès lors qu’elle a pour vocation d’accueillir tous les enfants du quartier quelle que soit leur appartenance culturelle ou religieuse ; que ces enfants, compte tenu de leur jeune âge, n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse ;

Considérant qu’en conséquence l’association pouvait légitimement s’opposer à ce que Mme L. porte le voile dans l’exercice de ses fonctions ».

Le dispositif de cette proposition de loi est identique à celui de la proposition de loi déposée par Mme Françoise Laborde et les membres du groupe RDSE et adoptée par le Sénat le 17 janvier 2012.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 2324-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Après le troisième alinéa, il est inséré un II ainsi rédigé :

« II. – Lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière publique, les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse.

« Les établissements et services ne bénéficiant pas d’une aide financière publique peuvent apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact d’enfants. Ces restrictions régies par l’article L. 1121-1 du code du travail, figurent dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service.

« Les deux alinéas précédents ne sont pas applicables aux personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé. Toutefois, lorsqu’elles bénéficient d’une aide financière publique, ces personnes accueillent tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances de leurs représentants légaux. Leurs activités assurent le respect de la liberté de conscience des enfants. » ;

2° Le premier alinéa est précédé de la mention : « I. – » et le quatrième alinéa de la mention : « III. – ».

Article 2

Après l’article L. 227-1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 227-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 227-1-1. – Lorsqu’elles bénéficient d’une aide financière publique, les personnes morales de droit privé qui accueillent des mineurs protégés au titre du présent chapitre sont soumises à une obligation de neutralité en matière religieuse.

« Les personnes morales ne bénéficiant pas d’une aide financière publique peuvent apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact des mineurs. Ces restrictions régies par l’article L. 1121-1 du code du travail, figurent dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service.

« Les deux alinéas précédents ne sont pas applicables aux personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé. Toutefois, lorsqu’elles bénéficient d’une aide financière publique, ces personnes morales accueillent tous les enfants mineurs, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances. Leurs activités assurent le respect de la liberté de conscience des mineurs. »

Article 3

Avant l’article L. 423-23 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 423-22-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 423-22-1. – À défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l’assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d’accueil d’enfants. »


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