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N° 644

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2013.

PROPOSITION DE LOI

tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011
relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Thierry BRAILLARD, Jean-Noël CARPENTIER, Ary CHALUS, Gérard CHARASSE, Jeanine DUBIÉ, Olivier FALORNI, Paul GIACOBBI, Annick GIRARDIN, Joël GIRAUD, Jacques MOIGNARD, Dominique ORLIAC, Stéphane SAINT-ANDRÉ et Alain TOURRET,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi de bioéthique du 7 juillet 2011 régit d’une manière particulièrement restrictive la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Pourtant, l’enjeu, c’est la médecine régénératrice. Ce sont les thérapies cellulaires, qui visent à remplacer des cellules déficientes ou insuffisamment nombreuses par des greffes de cellules. Ces recherches ouvrent la voie au traitement d’affections graves et souvent incurables aujourd’hui : maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaques), cardiopathies, hépatites, diabète insulino-dépendant, lésions de la moelle épinière.

Le vote consensuel du 22 janvier 2002

Au début des années 2000, avec la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, chargée notamment de la Santé, le ministre de la Recherche avait élaboré un projet de loi de bioéthique visant à réviser la législation initiale de 1994. Avec la volonté de parvenir à un large consensus, dépassant les clivages politiques.

En effet, sur ces sujets difficiles qui touchent aux convictions intimes, il n’y a pas une éthique de gauche et une éthique de droite, mais une éthique commune à définir ensemble. Sans affrontements stéréotypés. Sans antagonismes artificiels. Sur de telles questions, personne ne détient seul la vérité. Chacun doit la rechercher avec mesure, scrupule et écoute d’autrui.

Après avoir recueilli les avis positifs du Comité consultatif national d’éthique, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et de l’Académie des sciences, il avait été prévu d’autoriser les recherches sur les cellules souches issues d’embryons dits « surnuméraires », c’est-à-dire ne faisant plus l’objet d’un projet parental. Conçus par fécondation in vitro et conservés par congélation, ceux-ci devaient, selon la législation de 1994, être détruits au-delà d’un délai de cinq ans.

Ce texte de loi soumettait bien sûr ces recherches à un dispositif d’encadrement très strict. D’une part, elles ne pouvaient être effectuées qu’avec l’accord écrit préalable des couples concernés, qui pouvaient bien sûr s’y opposer s’ils les jugeaient contraires à leurs propres convictions éthiques ou spirituelles qui devaient être évidemment respectées. D’autre part, ces recherches devaient avoir une finalité médicale. Enfin, elles ne pouvaient être entreprises que si leur protocole avait fait l’objet d’une autorisation délivrée par une agence spécialement créée, qui allait devenir l’Agence de la biomédecine.

Le 22 janvier 2002, ce projet de loi de bioéthique avait été adopté par l’Assemblée nationale à une très large majorité (325 voix contre 21) qui dépassait les frontières partisanes. Ainsi, plusieurs élus UDF et 51 députés RPR avaient voté en sa faveur, dont MM. Sarkozy, Fillon, Accoyer, Borloo, Debré, Juppé et Mmes Alliot-Marie et Bachelot.

Les lois de bioéthique du 6 août 2004 et du 7 juillet 2011

Cependant, après l’élection présidentielle et le changement de gouvernement en mai 2002, ce texte a été profondément modifié par les nouveaux ministres de la Santé et de la Recherche qui ont déposé ou accepté des amendements le dénaturant lors de la suite de sa lecture au Parlement. Résultat : alors que le texte présenté par les précédents ministres, Mme Guigou et M. Schwartzenberg, et voté par les députés en janvier 2002 posait en principe l’autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires, celui adopté définitivement et promulgué le 6 août 2004 retient la position contraire. Il prohibe ces recherches, admettant seulement qu’elles soient menées « à titre exceptionnel » et « par dérogation ». L’autorisation était la règle, elle devient l’exception.

Ce principe général d’interdiction sauf dérogation est maintenu dans la nouvelle loi de bioéthique du 7 juillet 2011, dont l’article 41 dispose : « La recherche sur l’embryon humain, les cellules souches embryonnaires et les lignées de cellules souches est interdite ».

Comme dans la loi précédente du 6 août 2004, de telles recherches ne peuvent être autorisées qu’à titre exceptionnel et dérogatoire, par décision ponctuelle prise conjointement par les ministres chargés de la Santé et de la Recherche. On ne peut que regretter ce statu quo.

En effet, cette interdiction de principe, même assortie de dérogations éventuelles, est préjudiciable aux malades, qui aspirent à voir les recherches progresser et développer de nouvelles thérapeutiques susceptibles de leur apporter des chances de guérison. Entraver ainsi la recherche, c’est pénaliser les patients.

C’est aussi, évidemment, handicaper nos chercheurs en leur imposant des obstacles, alors que ces recherches sont menées activement dans beaucoup d’autres pays de l’Union européenne (dont la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, l’Espagne, le Portugal) ainsi qu’aux États-Unis, en Russie, en Chine et au Japon.

Pour leur part, les chercheurs français, soumis à un régime de dérogations accordées avec une relative parcimonie, risquent d’être distancés dans la compétition scientifique internationale, marquée par de nombreuses avancées.

Cette situation persiste bien que les instances qualifiées – l’Agence de la biomédecine (rapport d’octobre 2008), le Conseil d’État (avis de mai 2009), l’Académie nationale de médecine (rapports des 22 juin et 6 décembre 2010) et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (rapport du 8 juillet 2010) – aient pris position à plusieurs reprises pour que le régime d’interdiction assorti de dérogations soit remplacé par un régime d’autorisation encadrée.

Comme le souligne l’OPECST dans son rapport du 8 juillet 2010, « prôner un interdit pour en organiser la transgression revient à stigmatiser les chercheurs qui conduisent ces recherches… Un régime d’autorisation encadrée par l’Agence de biomédecine est plus adapté à la réalité scientifique et tout aussi protecteur de l’embryon. »

En fait, la position arrêtée en 2004, puis maintenue en 2011 semble inspirée surtout par des convictions spirituelles, très respectables, mais omet l’article Ier de notre Constitution qui rappelle que la France est « une République laïque ». La loi ne peut donc privilégier telle conviction philosophique ou religieuse par rapport à telle autre, au risque d’imposer une vision estimable, mais particulière, à l’ensemble de la société.

On ne peut, dans un État laïque, confondre article de foi et article de loi. Pour sa part, en février 2001, le Président Chirac, attentif à cet impératif de laïcité inscrit dans la Constitution, avait publiquement approuvé l’autorisation des recherches sur les cellules embryonnaires prévue par le gouvernement de cohabitation dirigé par Lionel Jospin.

Pourtant, nous en sommes toujours au régime de l’interdiction de ces recherches. Onze ans après le vote consensuel de l’Assemblée nationale du 22 janvier 2002, qui avait approuvé un projet de loi de bioéthique posant leur autorisation en principe.

Beaucoup de temps a été perdu depuis. Au préjudice des chercheurs et surtout des malades en attente de thérapies nouvelles.

Le rôle de l’État n’est pas d’entraver la science biomédicale par une législation inappropriée et obsolète.

Il importe donc d’agir pour modifier cette législation. Afin que la recherche cesse d’être la recherche du temps perdu.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L’article L. 2151-5 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Art. L. 2151-5. – I. – Aucune recherche sur l’embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d’un embryon humain ne peut être autorisé que si :

« 1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ;

« 2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s’inscrit dans une finalité médicale ;

« 3° En l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ;

« 4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

« II. – Une recherche ne peut être menée qu’à partir d’embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l’objet d’un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu’avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation. À l’exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l’article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l’issue d’un délai de réflexion de trois mois. Le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n’ont pas débuté.

« III. – Les protocoles de recherche sont autorisés par l’Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites. La décision de l’agence, assortie de l’avis du conseil d’orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, dans un délai d’un mois et conjointement, demander un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision :

« 1° En cas de doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence scientifique d’un protocole autorisé. L’agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation du protocole est réputée acquise ;

« 2° Dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, lorsque le protocole a été refusé, l’Agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, le refus du protocole est réputé acquis.

« En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation, l’agence suspend l’autorisation de la recherche ou la retire. L’agence diligente des inspections comprenant un ou des experts n’ayant aucun lien avec l’équipe de recherche dans les conditions fixées à l’article L. 1418-2.

« IV. – Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation. »


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