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N° 865

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mars 2013.

PROPOSITION DE LOI

visant à donner la possibilité aux entreprises d’inscrire
dans leur règlement intérieur le principe de neutralité
à l’égard de toutes les opinions ou croyances,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Éric CIOTTI,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Ce principe fondamental implique la neutralité de l’État et des personnes publiques à l’égard des cultes et l’égalité entre les confessions. La République respecte ainsi toutes les croyances, mais n’en reconnaît aucune, afin que chacun puisse exprimer sa liberté de conscience, l’une des plus belles de nos libertés publiques.

Le principe de laïcité ne s’applique qu’aux personnes publiques, auxquelles il impose, comme à ses agents, une stricte neutralité religieuse. Ce principe d’impartialité est au cœur de l’État républicain. Il est l’un des corollaires de l’égalité devant la loi.

Depuis quelques années, on assiste pourtant à la montée en puissance de revendications relatives à l’expression religieuse dans les entreprises.

Le Haut Conseil à l’intégration (HCI) a rendu, le 6 septembre 2011, un avis consacré à « l’expression religieuse et la laïcité dans l’entreprise ». Selon l’avis du HCI, « il est clair que le droit français a pris en compte, au cours des deux dernières décennies, le développement des problématiques liées à l’expression et aux pratiques religieuses dans l’entreprise. […] Les salariés des entreprises privées ne sont pas actuellement soumis aux mêmes exigences de stricte neutralité laïque que les agents du service public. Néanmoins, il apparaît que, sur le lieu de travail, la réserve en matière religieuse est préférable à l’expression revendicative d’une identité religieuse qui s’accompagne en général de demandes dérogatoires mal perçues par la majorité des salariés, en regard de l’égalité de traitement et du vivre ensemble. »

L’émergence de la visibilité religieuse au sein des entreprises peut parfois conduire à entraver le bon fonctionnement de l’entreprise et susciter de nombreuses tensions entre salariés.

Les restrictions portées au principe de liberté religieuse dans le champ du droit du travail ne sauraient en effet se fonder sur le principe de laïcité qui ne s’applique pas dans l’entreprise privée. Dans l’entreprise, doivent être conciliés la force obligatoire du contrat, le principe de non-discrimination et la liberté religieuse.

Le principe de non-discrimination doit ainsi être respecté : comme en dispose l’article L. 1132-1 du code du travail, les discriminations directes et indirectes, notamment celles fondées sur les convictions religieuses, sont interdites et pénalement sanctionnées (art. 225-1 du code pénal). La liberté religieuse se trouve également protégée par la prohibition des discriminations fondées sur les convictions religieuses à toutes les étapes de la carrière du salarié (article L. 1132-1 du code du travail).

La liberté religieuse, même reconnue constitutionnellement, n’est pas pour autant absolue. Elle doit être conciliée avec le bon fonctionnement de l’entreprise dans le cadre du contrat de travail. Ces restrictions sont subordonnées au principe de proportionnalité et au lien avec l’activité de l’entreprise et à la nature de la tâche à entreprendre par le salarié.

Aux termes de l’article L. 1121-1 du code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Ainsi, dans la relation qui lie l’employeur et le salarié, la liberté du salarié de manifester ses croyances doit être conciliée avec le droit du chef d’entreprise de tirer les conséquences de la nature de la tâche confiée à ce salarié.

Ces restrictions peuvent être prévues par le contrat de travail qui est la loi des parties ou par le règlement intérieur de l’entreprise.

La question du règlement intérieur est donc posée dans le cadre d’une réflexion sur les limitations ou autorisations de l’expression religieuse dans l’entreprise. Le code du travail dispose en effet, dans son article L. 1321-3, que : « le règlement intérieur ne peut contenir :

1) Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu’aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l’entreprise ou l’établissement.

2) Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

3) Des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap. »

Il est donc admis que l’employeur, en l’état actuel de la législation, ne peut prévoir dans son règlement intérieur d’interdiction générale et absolue quant à la tenue vestimentaire ou au port d’insignes religieux.

Seules deux types de restriction à la liberté religieuse peuvent actuellement être inscrits par l’employeur dans le règlement intérieur. D’une part, l’employeur peut légitimement invoquer les impératifs de sécurité, d’hygiène et de santé. D’autre part, il peut invoquer la nature de la tâche à accomplir par le salarié telle que définie par le contrat de travail.

Pourtant, il est utile d’indiquer que, ces dernières années, de nombreuses voix se sont fait entendre pour consacrer dans la loi, en la complétant, cette jurisprudence.

Ainsi :

- le rapport « Stasi » du 11 décembre 2003 : « Au regard des difficultés que rencontrent certaines entreprises, la commission recommande qu’une disposition législative, prise après concertation avec les partenaires sociaux, permette au chef d’entreprise de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux, pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne » ;

- l’avis du Haut conseil à l’intégration (HCI) du 1er septembre 2011 qui propose que soit inséré dans le code du travail un « article autorisant les entreprises à intégrer dans leur règlement intérieur des dispositions relatives aux tenues vestimentaires, au port de signes religieux et aux pratiques religieuses dans l’entreprise (prières, restauration collective...) au nom d’impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle ou la paix sociale interne » ;

- la résolution n° 3397 adoptée à l’Assemblée nationale, le 31 mai 2011, sur proposition du groupe parlementaire UMP, portant sur « l’attachement au respect des principes de laïcité, fondement du pacte républicain, et de liberté religieuse ». Cette résolution « estime souhaitable que, dans les entreprises, puisse être imposée une certaine neutralité en matière religieuse, et notamment, lorsque cela est nécessaire, un encadrement des pratiques et tenues susceptibles de nuire à un vivre ensemble harmonieux ».

On notera que ces prises de position semblent aller au-delà de la simple consécration de la jurisprudence évoquée précédemment sur l’article L. 1121-1. En effet, elles renvoient toutes, implicitement ou explicitement, au critère de « paix sociale », qui ne ressort pas à l’heure actuelle de la jurisprudence et qui renvoie à un impératif de cohésion nationale.

Depuis la très récente décision de la Cour de cassation du 19 mars 2013 relative à l’affaire Babyloup, il apparaît qu’une crèche privée ne peut pas apporter des restrictions à la liberté religieuse sur le seul fondement du règlement intérieur. Elle doit s’appuyer sur les seuls critères objectifs de sécurité, salubrité... évoqués plus haut.

La présente proposition de loi propose de modifier le code du travail pour donner la possibilité au chef d’entreprise, dans le cadre du règlement intérieur, de réglementer l’expression d’opinion, y compris religieuse, au sein de l’entreprise. Dans le cadre du dialogue social interne à l’entreprise, cette solution permettra de tenir compte de la nature des tâches accomplies et de la spécificité de chaque structure.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

À l’article L. 1121-1 du code du travail, après le mot : « accomplir », sont insérés les mots : « par des impératifs tenant à la sécurité, à la santé, à la neutralité à l’égard de toutes les opinions ou croyances en fonction des tâches exercées, ».

Article 2

Au 2° de l’article L. 1321-3 du même code, après le mot : « accomplir », sont insérés les mots : « par des impératifs tenant à la sécurité, à la santé, à la neutralité à l’égard de toutes les opinions ou croyances en fonction des tâches exercées, ».


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