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N° 916 (rectifié)

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 avril 2013.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

relative à la transparence de la vie publique
et à la prévention des conflits d’intérêts,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

François de RUGY, Barbara POMPILI, Laurence ABEILLE, Éric ALAUZET, Brigitte ALLAIN, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC, Jean-Louis ROUMEGAS et Eva SAS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi ne vient pas de nulle part, et n’a rien d’une démarche opportuniste. Certains de ses auteurs avaient, il y a deux ans à peine, proposé à l’Assemblée nationale d’adopter une grande partie des mesures ici proposées. Malgré un débat de qualité, la majorité d’alors avait rejeté les propositions formulées.

Qui ne voit aujourd’hui que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la transparence financière de la vie politique, la lutte contre les conflits d’intérêts et le rétablissement de la confiance entre élus et citoyens demeurent à réaliser ?

Le rétablissement, aux yeux de l’opinion, de la légitimité morale des responsables politiques à agir doit être vu comme un impératif absolu, car il est la condition première du retour à la crédibilité de l’action publique et, au final, à son efficacité.

L’analyse qui inspirait les auteurs de la proposition de loi de 2011 est aujourd’hui toujours d’actualité.

Certes, au cours des quinze dernières années, de nombreuses avancées législatives ont conduit à la définition d’un corpus imposant de dispositions destinées à assurer la transparence financière de la vie politique. Celles-ci ont eu pour ambition de traiter des principaux aspects concourant à la transparence de la vie politique.

Concernant la déclaration de patrimoine, on notera notamment :

– la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, qui instaure l’obligation de déclaration de patrimoine pour les membres du gouvernement, les députés européens et les dirigeants d’organismes publics ;

– le décret d’application n° 96-762 du 1er septembre 1996 concernant l’obligation de déclaration de son patrimoine, qui précise les modalités de déclaration de patrimoine d’un certain nombre de hauts responsables publics ;

– la circulaire du 1er septembre 1996, relative aux déclarations de situation patrimoniale de certains élus ou des titulaires de certaines fonctions qui prévoit l’information des assujettis de l’obligation qui leur incombe, des conséquences qui s’y attachent et des modalités pratiques de leur déclaration ainsi que l’information de la commission et la mise en œuvre des sanctions ;

– la loi n° 95-65 du 8 février 1995 relative à la déclaration du patrimoine des membres du Gouvernement et des titulaires de certaines fonctions, qui étend notamment l’obligation de déclaration du patrimoine aux membres de l’organe délibérant d’un EPCI à fiscalité propre et sanctionne d’inéligibilité le non-respect de cette obligation ;

– la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, qui étend le dispositif au président, aux membres du gouvernement de Polynésie, ainsi qu’aux représentants à l’assemblée de Polynésie.

Les modifications législatives ont également conduit à la création de la commission pour la transparence financière de la vie politique, instaurée par la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique qui en fixe la composition et détermine ses compétences, complétée par le décret d’application n° 96-763 du 1er septembre 1996 relatif à la commission pour la transparence financière de la vie politique qui détermine ses règles de fonctionnement et établit les procédures et modèles de déclaration de situation patrimoniale.

Concernant le financement des partis politiques, la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques plafonnait les dons des personnes morales et a ouvert le financement public aux formations politiques non représentées au Parlement. La loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique a introduit l’interdiction des dons de personnes morales (à l’exception des partis politiques) et augmenté le remboursement des frais de campagne jusqu’à 50 % du plafond de dépenses. Enfin, la loi de finances pour 2006 (n° 2005-1719) a doublé les dons autorisés pour les particuliers, en les portant à 7 500 €.

Concernant l’obligation d’élaborer des comptes de campagne et les sanctions afférentes, on citera la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique qui introduit un seuil de 1 % des voix à l’article L. 52-12 du code électoral à partir duquel s’impose pour les candidats l’obligation d’établir un compte de campagne, fait peser l’obligation de tenir un compte de campagne sur les candidats ayant reçu des dons de personnes physiques et prévoit à titre de sanction une inéligibilité pour le candidat dont le compte de campagne laisse apparaître un dépassement du plafond de dépenses électorales (il peut être déclaré inéligible pendant une période maximale de 3 ans par le juge de l’élection), pour le candidat n’ayant pas satisfait l’obligation de déposer ses comptes de campagne (il peut être déclaré inéligible pendant 3 ans par le juge de l’élection) ainsi que pour le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin (il peut lui aussi être déclaré inéligible pour une durée maximale de 3 ans).

Le plafonnement des dépenses électorales pour les élections des députés, conseillers généraux et conseillers municipaux a été instauré par la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification de financement des activités politiques, qui a créé la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pour veiller à l’application de la loi.

Outre ces avancées législatives et réglementaires nombreuses et effectives, les travaux de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique présidée par Monsieur Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’État n’ont trouvé qu’un début d’application dans les règlements des Assemblées. Le projet de loi annoncé par le précédent gouvernement n’a pas trouvé sa traduction dans la réalité.

Le paradoxe souligné lors des débats de 2011 demeure : c’est alors que l’arsenal législatif et réglementaire destiné à réguler le financement de la vie politique, à assurer sa transparence et à prévenir les conflits d’intérêt n’a jamais été aussi complet que la suspicion est la plus répandue.

Les auteurs de la présente proposition de loi organique ont pour intention de traiter de la situation de tous les responsables politiques, et ce, notamment pour ne pas créer de distorsion entre les parlementaires et l’ensemble des élus concernés par leurs propositions. Ils ont donc simultanément déposé une deuxième proposition de loi, qui en est le complément naturel : ces deux textes complémentaires doivent être considérés comme un seul et même dispositif.

S’il ne fallait retenir qu’un motif pour agir et agir vite, les auteurs de la présente proposition rappellent l’introduction de l’exposé des motifs de la proposition de 2011 : « Invités à porter un jugement sur leurs responsables politiques, y lisait-on, 72 % de nos compatriotes interrogés par l’institut TNS SOFRES entre le 23 et le 26 septembre 2011 estiment que les élus et les dirigeants politiques sont “plutôt corrompus” contre 19 % qui déclarent les considérer “plutôt honnêtes”. »

La même question, posée en 2013, aboutit à un jugement encore plus accablant, puisque la proportion de Français qui jugent les élus « plutôt corrompus » a encore progressé de 5 points, pour atteindre 77 % !

Attendre serait coupable. Tergiverser mettrait en danger l’attachement même des Français à la République. De commissions en comités, tout a été dit : le diagnostic a été établi, et les remèdes sont connus.

Rien ne mine plus surement et plus insidieusement le pacte républicain, ce pacte qui lie le peuple à ses représentants, que le sentiment du soupçon et de la défiance. Depuis des années, les politiques de tous bords rivalisent de discours sur la République et ses valeurs sans que rien
– ou si peu – ne change. Nous devons, maintenant, passer des discours aux actes.

***

Le chapitre Ier est relatif à la transparence de la situation patrimoniale des parlementaires.

L’article premier modifie l’article L.O. 135-1 du code électoral.

Le  oblige une modification de la déclaration patrimoniale à chaque changement de situation, enlevant la mention « chaque fois qu’ils le jugent utile », trop vague.

Le  adapte l’article aux nouvelles obligations de dépôt de déclaration de revenus, d’intérêts et de copie des déclarations fiscales. Il renforce également les sanctions applicables. Ne sont prévues actuellement qu’une peine de 30 000 € d’amende, la privation des droits civiques et l’interdiction d’exercer une fonction publique. Il est proposé de compléter cette liste par une peine d’emprisonnement de deux ans.

Le  rajoute à la déclaration patrimoniale, la transmission à l’Autorité de la déontologie de la vie publique d’une déclaration d’intérêts, dès la prise de fonction et en cas de changement de situation, ainsi que le dépôt annuel d’une déclaration de rémunérations et la transmission de la copie des déclarations fiscales pour l’ensemble des mandats et fonctions concernés par l’article 2 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique. La déclaration patrimoniale, de revenus et d’intérêts seront publiées au Journal officiel. Le modèle, le contenu et les conditions de mise à jour et de conservation de ces déclarations seront fixés par un décret en Conseil d’État. Les parlementaires n’ayant pas transmis leurs déclarations se verront privés de leurs indemnités.

Le II abroge un article du code électoral en conséquence du 3°.

L’article 2 revient sur la règle du secret des déclarations de patrimoine des parlementaires. Ces dernières sont actuellement transmises à la Commission pour la transparence financière de la vie politique et protégées par les dispositions du code pénal relatives à l’atteinte à la vie privée. Il est proposé de les rendre publiques, tout en anonymisant les noms des tiers qui pourraient y figurer afin de ne pas porter atteinte à leur vie privée.

L’article 3 modifie le 2° de l’article L.O. 146 du code électoral. Actuellement l’incompatibilité du mandat parlementaire ne concerne que les fonctions dans les sociétés exclusivement financières. Il est proposé d’élargir l’incompatibilité aux sociétés principalement financières.

L’article 4 vise à rendre incompatible toute fonction d’avocat ou de conseil avec le mandat parlementaire

L’article 5 vise à rendre publique l’utilisation faite par les parlementaires des crédits qui leur sont alloués pour la prise en charge des frais afférents à l’exercice du mandat parlementaire et à la rémunération de collaborateurs. L’absence d’une déclaration annuelle suspendrait leur versement.

L’article 6 vise à plafonner à la moitié de l’indemnité parlementaire de base les rémunérations qui résultent de l’exercice, par un parlementaire, d’une activité privée lucrative. Il est en effet dans la nature de l’indemnité parlementaire de se substituer à la rémunération précédemment perçue. Dans ces conditions, il est peu acceptable que certains parlementaires cumulent leur indemnité parlementaire avec des rémunérations tirées d’une activité professionnelle, qui peuvent être bien supérieures, faisant peser le risque de conflits d’intérêts.

L’article 7 substitue l’ensemble des références à la Commission pour la transparence financière de la vie politique par des références à l’Autorité de la déontologie de la vie publique.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article 1er

I. – L’article L.O. 135-1 du code électoral est ainsi modifié :

1° À la fin du deuxième alinéa, les mots : « chaque fois qu’ils le jugent utile » sont supprimés ;

2° Le cinquième alinéa est remplacé par un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait pour un député d’omettre sciemment de déclarer ses intérêts, son patrimoine ou ses revenus ou d’effectuer une déclaration manifestement mensongère est puni de deux ans d’emprisonnement, 30 000 € d’amende et de l’interdiction des droits civiques selon les modalités prévues par l’article 131-26 du code pénal, ainsi que de l’interdiction d’exercer une fonction publique selon les modalités prévues par l’article 131-27 du même code. »

3° L’article est complété par cinq alinéas ainsi rédigés :

« Dans les deux mois qui suivent son entrée en fonction, le député est également tenu d’adresser une déclaration certifiée sur l’honneur exacte et sincère de ses intérêts à l’Autorité de la déontologie de la vie publique. Cette déclaration est actualisée à chaque changement de situation. L’Autorité de la déontologie de la vie publique tient un registre des déclarations faites par les députés, qui sont publiées au Journal officiel de la République française.

« Le député adresse chaque année, avant le 31 janvier, une déclaration à l’Autorité de la déontologie de la vie publique, qui recense les rémunérations, de quelque nature qu’elles soient, qu’il a perçues durant l’année écoulée. L’Autorité de la déontologie de la vie publique tient un registre des déclarations faites par les députés, qui sont publiées au Journal officiel de la République française. Est également publiée au Journal officiel de la République française, la liste des députés qui n’ont pas adressé de déclaration à l’Autorité de la déontologie de la vie publique.

« Le député est tenu d’adresser une copie des déclarations qu’il a souscrites en application des articles 170 à 175 A du code général des impôts et, le cas échéant, en application de l’article 885 W du même code, dans le mois qui suit le dépôt de ces déclarations. À défaut de communication, la commission peut demander à l’administration fiscale copie de ces mêmes déclarations.

« Les indemnités mentionnées aux articles 1er et 2 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement, ne peuvent pas être versées aux personnes visées au premier alinéa qui n’ont pas transmis les déclarations prévues par cet article.

« Le modèle, le contenu et les conditions de mise à jour et de conservation de ces déclarations sont fixés par un décret en Conseil d’État. »

II. – En conséquence, l’article L.O. 135-3 du code électoral est abrogé.

Article 2

L’article L.O. 135-2 du code électoral est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. L.O. 135-2. – Les déclarations déposées par le député conformément aux dispositions des trois premiers alinéas de l’article L.O. 135-1 du code électoral ainsi que, éventuellement, les observations qu’il a formulées, sont publiées au Journal officiel de la République française. Les noms autres que celui du député qui effectue les déclarations sont anonymisés.

« Les conditions de publication de ces déclarations sont fixées par un décret en Conseil d’État. »

Article 3

Au troisième alinéa de l’article L.O. 146 du code électoral, le mot : « exclusivement » est remplacé par le mot : « principalement ».

Article 4Le code électoral est ainsi modifié :

1° L’article L.O. 146-1 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 146-1. – Est incompatible avec le mandat de député toute fonction de conseil ou d’avocat. » ;

2° L’article L.O. 149 est abrogé ;

3° À l’article L.O. 151-3, les mots : « les articles L.O. 149 ou » sont remplacés par les mots : « l’article ».

Article 5

Après l’article L.O. 151-2 du code électoral, il est inséré un article L.O. 151-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L.O. 151-2-1. – Le montant ainsi que les modalités de la prise en charge des frais afférents à l’exercice du mandat parlementaire et à la rémunération de collaborateurs assistant les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat dans l’exercice de leur mandat sont fixés par chaque assemblée.

« Chacun des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat est tenu de déclarer auprès de l’assemblée à laquelle il appartient, chaque année, avant le 30 juin, l’utilisation qu’il a faite des fonds qui lui ont été alloués sur le fondement du premier alinéa. Chaque assemblée tient un registre des déclarations faites par ses membres, qu’elle rend publiques sur son site Internet. Elle rend également publique la liste de ses membres qui n’ont pas effectué cette déclaration.

« L’absence de déclaration au 1er juillet entraîne la suspension de la prise en charge des frais mentionnés au premier alinéa. »

Article 6

L’article 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le parlementaire qui exerce une activité professionnelle de quelque nature qu’elle soit ne peut cumuler les rémunérations et indemnités afférentes à cette activité avec son indemnité parlementaire de base que dans la limite d’une fois et demie le montant de cette dernière. »

Article 7

Le code électoral est ainsi modifié :

I. – À l’article L.O. 135-1, les mots : « la Commission pour la transparence financière de la vie politique » sont remplacés par quatre fois par les mots : « l’Autorité de la déontologie de la vie publique ».

II. – À l’article L.O. 135-3, les mots : « la Commission pour la transparence financière de la vie politique » sont remplacés par les mots : « l’Autorité de la déontologie de la vie publique ».

III. – À l’article L.O. 136-1, les mots : « la Commission pour la transparence financière de la vie politique » sont remplacés par les mots : « l’Autorité de la déontologie de la vie publique ».

IV. – À l’article L.O. 136-2, les mots : « la Commission pour la transparence financière de la vie politique » sont remplacés par les mots : « l’Autorité de la déontologie de la vie publique ».


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