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N° 1027

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mai 2013.

PROPOSITION DE LOI

visant à assurer le principe de laïcité
dans les entreprises privées,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jacques MYARD,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Constitution de 1958 dispose à son article premier : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Grâce au renforcement de son dispositif législatif au cours de la dernière décennie, notre pays a affirmé clairement son attachement au principe de laïcité face aux attaques dont il est l’objet.

Le principe de laïcité s’est affirmé en conformité avec les exigences de liberté de conscience, reconnue comme l’un des principes fondamentaux de la République.

Mais force est de constater que cet acquis républicain subit des attaques répétées du fait de revendications religieuses et culturelles agressives de la part d’une minorité d’activistes.

L’attachement au principe de laïcité s’est traduit par l’adoption de plusieurs textes législatifs :

- Le 15 mars 2004 a été votée l’interdiction du port de signes et de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics. De cette façon était protégée dans les services publics l’obligation de neutralité scolaire, garant de la liberté de convictions et de conscience des élèves.

- Une résolution réaffirmant l’attachement au principe de laïcité a été votée à l’Assemblée nationale le 31 mai 2010.

- Le 11 octobre 2010 a été adoptée la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.

La règle de la neutralité qui résulte du principe de laïcité s’applique ainsi dans le secteur public ou dans les organes privés gérant un service public. Ses agents sont soumis à un strict régime de neutralité qui résulte de l’impartialité de l’État.

Mais elle ne concerne pas le champ des entreprises privées qui fait l’objet pourtant de plus en plus de revendications sur le plan de l’affichage de l’identité et de la pratique religieuses. Ces revendications, source de tensions, mettent à mal le principe d’égalité de traitement entre les salariés ; elles nuisent à l’harmonie sociale et à la nécessaire cohésion d’ensemble de l’entreprise.

Au sein de l’entreprise ce sont les principes de non-discrimination, de liberté religieuse qui prévalent ainsi que le dispose le code du travail dans son article L. 1132-1.

Le code du travail encadre strictement les restrictions à la liberté religieuse, qui doivent figurer dans le règlement intérieur des entreprises (article L. 1321-3), et énonce à son article L. 1121-1 que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

La jurisprudence admet des restrictions à ce principe de liberté religieuse pour des raisons tenant à la sécurité, l’hygiène ou encore l’image de l’entreprise.

La jurisprudence concernant la crèche « Baby loup », association de loi 1901, illustre les difficultés en la matière et les lacunes existantes pour faire face à des pressions et dérives communautaristes.

Rappelons les faits : en 2008 une salariée de la crèche est licenciée pour avoir refusé d’enlever son voile sur son lieu de travail malgré la clause du règlement intérieur qui prévoit que « le principe de la liberté de conscience et de religion ne peut faire obstacle au principe de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby loup… »

Si le conseil des prud’hommes de Mantes-la-Jolie en décembre 2010 et la Cour d’appel de Versailles le 27 octobre 2011 ont donné raison à l’association Baby loup, la Cour de cassation a annulé le 19 mars 2013 le jugement de Versailles en renvoyant les parties devant la cour d’appel de Paris. Les juges du premier degré avaient insisté sur la mission de service public de la crèche, les juges du second degré sur la nature du public accueilli, des enfants.

Saisie, la Halde, sous la présidence de J. Bougrab, en octobre 2010 et contrairement à son prédécesseur, prenait position en faveur de la crèche en soulignant la notion d’intérêt général attaché à la mission de la crèche Baby loup.

La Cour de cassation, quant à elle, énonce dans la décision précitée que le principe de laïcité n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; elle se réfère dès lors à l’application des dispositions du code du travail (L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1, L. 1321-3) selon lesquelles les restrictions à la liberté religieuse « doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnée au but recherché » ; elle a considéré en l’espèce que la crèche Baby loup, en instaurant une restriction « générale et imprécise » avait outrepassé ses droits.

Ces fluctuations sur le périmètre de la laïcité dans notre société sont génératrices de confusion et d’incertitudes. Il importe dans l’intérêt de tous de clarifier les règles pour que le principe de laïcité et celui de neutralité qui en découle s’appliquent au secteur privé. Il apparaît légitime que les entités privées bénéficient aussi du respect de la laïcité qui sert l’idéal de tolérance et de respect promus par la République.

Au moment où notre pays est en proie à des tensions fortes, où les discours de haine et de repli se propagent, il convient tout particulièrement de faire respecter le principe de laïcité dans ces lieux privés où vivent et travaillent nos concitoyens de toutes confessions. Ils sont par excellence des lieux de sociabilisation où doit s’exercer pleinement le vouloir vivre ensemble, sans qu’il soit fait état de distinctions de croyances.

Il est donc proposé de compléter le code du travail afin que tout salarié soit tenu à une obligation de neutralité et s’abstienne, en conséquence, du port de tout signe ou tenue vestimentaire ostensible d’appartenance religieuse. De même, tout salarié s’abstient de manifestation d’activités affichant une appartenance religieuse sur son lieu de travail.

Cette règle de neutralité, qui répond à la nécessité de préserver l’harmonie sociale dans l’entreprise, est mentionnée dans le règlement intérieur.

Ces dispositions ne s’appliquent pas aux entreprises à finalité confessionnelle, telles, par exemple, la vente d’objets pieux ou d’aliments soumis à prescription religieuse.

Telle est la proposition de loi que je vous demande, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après l’article L. 1121-1 du code du travail, il est inséré un article L. 1121-1 bis ainsi rédigé:

« Art. L. 1121-1 bis. – Au sein de l’entreprise, afin de préserver l’harmonie sociale, tout salarié s’abstient du port de signe ou tenue vestimentaire ostensible d’appartenance religieuse.

« Il s’abstient également de toute manifestation d’activités affichant une appartenance religieuse.

« Le règlement intérieur de l’entreprise mentionne expressément l’obligation de neutralité en matière de croyances à cette fin.

« Le présent article ne s’applique pas aux entreprises à vocation confessionnelle. »


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