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N° 2661

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mars 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre obligatoire la participation au vote.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

François de RUGY, Barbara POMPILI, Laurence ABEILLE, Brigitte ALLAIN, Éric ALAUZET, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, François-Michel LAMBERT, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC et Eva SAS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le vote est l’acte citoyen qui fonde notre démocratie. Il garantit au peuple l’expression de sa souveraineté et confère aux représentant-e-s élu-e-s une légitimité d’action.

Or, depuis trente ans, l’abstention est en constante augmentation. Son taux a atteint 43 % aux élections législatives de 2012 et 36,5% aux municipales de mars 2014, les records pour ces deux types de scrutins, et s’élevait à plus de 56% lors des européennes de mai 2014. Cela ne fait plus guère de doute : la France traverse un cycle de désaffection civique et électorale.

Si cette situation est devenue un danger pour notre démocratie, c'est parce que le vote confère légitimité, autorité et stabilité à nos institutions. La baisse continue de la participation électorale signifie l'exclusion pure et simple de certaines catégories de population – les plus fragiles - au sein des représentations locales, nationales et européennes. Qui peut affirmer, dès lors, que le suffrage universel demeure l’expression de la volonté populaire ?

De plus, l’augmentation du taux d’abstention a conduit les partis politiques et les candidat-e-s à consacrer une grande partie de leur temps de campagne et de leurs moyens à convaincre les électrices/teurs d’aller voter, plutôt qu’à leur proposer un projet et des propositions. Cela constitue, de fait, une rupture d’égalité des candidat-e-s devant le suffrage, puisque ceux qui disposent des plus gros moyens en la matière bénéficient d’un avantage qui peut être décisif.

Face à ces dérives, le législateur n’est pas resté inactif.

D’une part, il a cherché à restaurer un climat de confiance entre le peuple et ses représentant-e-s en faisant adopter en 2013 les lois sur la transparence de la vie publique. Ces textes ont permis la création de la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et l’instauration de nouvelles règles d’exemplarité pour les élu-e-s : incompatibilités professionnelles, publication de déclarations d’intérêts et meilleur contrôle des situations patrimoniales.

D’autre part, il a mis en place des mesures de justice et d’équité électorale, telles que la reconnaissance du vote blanc. Certes, les bulletins blancs ne sont toujours pas intégrés aux suffrages exprimés, mais ils sont désormais comptabilisés et communiqués séparément des bulletins nuls lors de la proclamation des résultats. Cette disposition consacre, pour le citoyen, la possibilité d’exprimer son insatisfaction à l’égard de l’offre électorale.

Aujourd’hui, alors que la crise du vote se pérennise, il vous est proposé de placer l’électrice/teur face à ses responsabilités et de rendre le vote obligatoire.

Pour les signataires de la présente proposition de loi, le vote n’est pas simplement l’expression d’un droit, il est également l’accomplissement d’un devoir envers la République. Car en glissant son bulletin dans l’urne, l’électrice/teur participe à la désignation de représentant-e-s appelé-e-s à exercer des responsabilités, à légiférer, et à gérer des collectivités avec des compétences et des budgets importants. La République accorde des droits à tou-te-s les citoyen-ne-s. Il est logique qu’elle impose des obligations pour que le vivre-ensemble soit possible.

Si les tenants du vote facultatif considèrent que le vote obligatoire est contraire à la liberté de conscience, la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme a indiqué par deux fois le contraire, rappelant que l’obligation de voter laissait au citoyen la liberté de choisir son candidat ou de voter blanc.

De plus, le régime de l’obligation n’est pas totalement absent de notre tradition démocratique. L’article L318 du code électoral, qui traite des élections sénatoriales, dispose que « tout membre du collège électoral qui, sans cause légitime, n'aura pas pris part au scrutin, sera condamné à une amende de 100 euros », et l’article 267 du code de procédure pénale rappelle l'obligation de répondre à une convocation de jury d’assise.

Enfin, partout où le vote obligatoire est entré en vigueur, l’abstention a considérablement reculé. Lors de son introduction en Belgique en 1893, le taux de participation aux élections a instantanément doublé, passant de 48% en 1892 à 94,6% en 1894. Aux dernières élections européennes, le taux d’abstention variait parfois de soixante points entre les pays où le vote est obligatoire - La Belgique, le Luxembourg - et ceux où il est facultatif.

Face à ce constat, il paraît nécessaire de prévoir une sanction à la fois sérieuse et acceptable pour toute personne qui refuserait de participer aux scrutins. En Belgique, par exemple, le trop bas niveau de contravention a conduit l’administration à une impasse : avec un prix d’amende inférieur au coût de recouvrement, la justice n’a plus intérêt à poursuivre les abstentionnistes, qui se multiplient. À l’inverse, la contravention de 700 euros prévue pour les élections du Land autrichien du Vorarlberg, ou bien les privations de droit civiques envisagées dans certains pays, nous ont paru disproportionnées et contre-productives au regard de notre ambition de réconcilier les électrices/teurs et le vote. Compte-tenu du régime des contraventions français, il nous a semblé qu’une amende de deuxième classe – 35 euros pour une amende forfaitaire, jusqu’à 150 euros en cas de récidive - constituait une sanction équilibrée. Par ailleurs, dans la mesure où l’inscription sur les listes électorales est déjà obligatoire mais qu’aucune contravention n’est prévue pour ceux qui y dérogent, nous avons considéré nécessaire de sanctionner à niveau égal les non-inscrits et les non votants.

À l’évidence, la lutte contre l’abstention ne peut se limiter à des actions coercitives et appelle de nouvelles dispositions pour encourager les citoyen-ne-s à se réapproprier le suffrage universel. La présente proposition devrait s’accompagner de mesures permettant de simplifier le vote par procuration et par correspondance, de développer le vote électronique, de perfectionner les listes électorales et d’améliorer les mécanismes d’inscription automatique. Une réflexion plus large est également souhaitable sur l’engagement civique et la vitalité de la démocratie. Elle devra aborder les questions cruciales de l’implication de la jeunesse, de la participation des étrangers aux élections locales, ou encore des réformes institutionnelles nécessaires à la modernisation de notre république.

Mais dans l’attente de ces adaptations et face à l’urgence de lutter contre la crise du vote, il vous est demandé de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

À l’article L. 1 du code électoral, les mots : « et universel » sont remplacés par les mots : « universel et obligatoire ».

Article 2

Le chapitre VII du titre Ier du livre Ier du même code est complété par un article L. 117-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 117-2. – Le fait pour toute personne remplissant les conditions requises pour être électeur de contrevenir à l’obligation de s’inscrire sur les listes électorales mentionnée au premier alinéa de l’article L. 9 est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe. Est puni de la même peine le fait pour tout électeur de ne pas participer au scrutin sans cause légitime. »


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