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N° 3133

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à réserver l’acquisition de la nationalité française
par le
droit du sol aux seuls enfants de parents étrangers ressortissants d’un pays européen,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Éric CIOTTI, Pierre LELLOUCHE, Alain MARLEIX, Guy TEISSIER, Charles-Ange GINÉSY, Guy GEOFFROY, Claude GOASGUEN, Dominique LE MÈNER, Patrice VERCHÈRE, Bernard DEFLESSELLES, Bernard BROCHAND, Jean-Claude GUIBAL, Laurent FURST, Fernand SIRÉ, Josette PONS, Yves NICOLIN, Jacques LAMBLIN, Dominique DORD, Alain MOYNE-BRESSAND, Paul SALEN, Patrick BALKANY, Jean-Claude BOUCHET, Marc FRANCINA, Marie-Louise FORT, Alain CHRÉTIEN et Annie GENEVARD,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 1988, le rapport de la Commission de la nationalité présidée par M. Marceau Long rappelait que « les éléments essentiels de rattachement retenus par les États pour attribuer leur nationalité sont la naissance sur le territoire (droit du sol – jus soli) ou la filiation (droit du sang – jus sanguinis). À ces critères usuels, il convient d’ajouter, pour la nationalité acquise après la naissance, celui du mariage avec un national et celui de la résidence sur le territoire. Ces différents critères peuvent se combiner de manière très diverse. »

Ainsi, nous sommes actuellement dans une législation hybride qui procède à la fois du droit du sang et du droit du sol.

Historiquement, alors que le droit du sol était la règle sous la monarchie, le code Napoléon établi au début du 19e siècle prévoyait le droit du sang strict (n’est français que l’enfant né d’un père français ou d’une mère française).

Au 19e siècle, le droit du sol est progressivement réintroduit pour faire face à des besoins importants en soldats et en travailleurs :

- en 1851 est instauré le principe du double droit du sol : est français l’enfant né en France d’un parent qui y est lui-même né ;

- en 1889 est instauré le principe du droit du sol qui est encore en vigueur aujourd’hui : l’enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité s’il réside en France depuis cinq ans.

Aujourd’hui, les articles 21-7 à 21-11 du code civil posent les règles relatives à l’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France.

Concrètement, le droit du sol peut être mis en œuvre selon trois modalités possibles :

- entre treize et seize ans, par déclaration des parents, pour un enfant ayant vécu cinq années en France depuis l'âge de huit ans (2e alinéa de l’article 21-11 du code civil).

- entre seize et dix-huit ans, par déclaration de l'intéressé, ayant vécu cinq années en France depuis l'âge de onze ans, sans l'accord nécessaire des parents (1er alinéa de l’article 21-11 du code civil).

- à dix-huit ans, cette acquisition est automatique, sous réserve d'un séjour de cinq années depuis l'âge de onze ans (le 1er alinéa de l’article 21-7 : « [t]out enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans ».)

En 2014, plus de cent cinq mille ressortissants étrangers ont acquis la nationalité française, en hausse de 8,6 % en un an. (Ministère de l’intérieur - direction générale des étrangers en France - Ministère de la justice, 9 juillet 2015). Environ trente mille jeunes bénéficient chaque année du droit du sol.

La France fait preuve d’une grande générosité en matière d’acquisition de la nationalité, mais force est de constater que le consensus autour de cette générosité est aujourd’hui rompu.

L’acquisition de la nationalité implique l’adoption de valeurs et de normes collectives, un dénominateur commun qui permet de se penser et de vivre ensemble. Elle relève d’un contrat entre le citoyen, qui doit s’engager à respecter les règles de la République, et l’État.

Or, en application de ce droit du sol, certains étrangers peuvent devenir Français sans l’avoir expressément souhaité, de façon quasiment automatique. Pourtant, le seul fait de naître ou de vivre en France quelques années peut être insuffisant pour être intégré à la Communauté et en partager les valeurs fondamentales. Un accès facilité à la nationalité française crée les conditions d’une dévalorisation de celle-ci, cet accès ne doit être appréhendé ni comme une récompense et encore moins comme un droit. Il n’est pas souhaitable qu’un individu puisse devenir français par occasion ou par le fruit hasard.

Il appartient aux pouvoirs publics de décider souverainement des critères permettant de devenir Français. Comme le soulignait Patrick Weil « La nationalité est un des éléments de la souveraineté de l’État qui a le pouvoir de déterminer à qui et comment celle-ci doit ou peut être accordée ».

La présente proposition de loi propose de restreindre l’automaticité du droit du sol en prévoyant que la nationalité acquise par ce biais ne demeure en vigueur que pour les enfants de parents ressortissants des 28 pays de l'Union européenne, car l’Europe a une histoire, une civilisation et un destin communs.

Les enfants nés de parents extracommunautaires n’obtiendraient plus automatiquement la nationalité française à leur majorité. Ils pourraient en revanche passer par la procédure classique de naturalisation.

Une telle restriction apparaît tout à fait compatible avec les principes constitutionnels ou nos engagements internationaux.

En effet, si le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de ce type de mesures, il a souligné, dans une décision du 20 juillet 1993, que la disposition par laquelle le législateur avait décidé que l’acquisition de la nationalité française devrait faire l’objet d’une manifestation de volonté de la part de l’intéressé ne méconnaissait aucun principe de valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, dans un autre domaine que celui du droit de la nationalité, il a reconnu au législateur la possibilité d’établir une distinction entre les étrangers selon leur nationalité (1).

De leur côté, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) comme la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) reconnaissent aux États parties une réelle marge de manœuvre dans l’édiction des règles relatives à la nationalité. Ainsi, la première a jugé, dans un arrêt du 2 mars 2010 (2), que la définition des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relevait de la compétence de chaque État membre de l’Union européenne. De plus, en vertu de la jurisprudence constante de la seconde, le droit d’acquérir une nationalité particulière ne figure pas parmi les droits consacrés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou ses protocoles (3).

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Au premier alinéa de l’article 21-7, au second alinéa de l’article 21-9 et au premier alinéa et à la première phrase du second alinéa de l’article 21-11 du code civil, après le mot : « étrangers », sont insérés les mots : « ressortissants de l’un des États membres de l’Union européenne ».

1 () Décision n° 2011-137 QPC du 17 juin 2011, M. Zeljko S. [Attribution du revenu de solidarité active aux étrangers], considérant n° 5.

2 () CJUE, grande chambre, 2 mars 2010, Janko Rottman contre Freistaat Bayern, C-135/08.

3 () CEDH, 4e section, 12 janvier 1999, Karassev c. Finlande, n° 31414/96 et CEDH, 2e section, 13 novembre 2001, Poenaru c. Roumanie, n° 30913/96.


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