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N° 3267

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2015.

PROPOSITION DE LOI

relative au renforcement des prérogatives
du
président du conseil départemental en matière de
lutte
contre la fraude au revenu de solidarité active,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Éric CIOTTI, Jean-Claude BOUCHET, Xavier BRETON, Laurence ARRIBAGÉ, Julien AUBERT, Jacques Alain BÉNISTI, Xavier BERTRAND, Valérie BOYER, Bernard BROCHAND, Alain CHRÉTIEN, Philippe COCHET, Olivier DASSAULT, Nicolas DHUICQ, Jean-Pierre DOOR, David DOUILLET, Daniel FASQUELLE, Annie GENEVARD, Bernard GÉRARD, Charles-Ange GINESY, Philippe GOSSELIN, Philippe GOUJON, Claude GREFF, Jean-Claude GUIBAL, Christophe GUILLOTEAU, Michel HEINRICH, Jacques KOSSOWSKI, Jacques LAMBLIN, Guillaume LARRIVÉ, Thierry LAZARO, Bruno LE MAIRE, Thierry MARIANI, Damien MESLOT, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Yves NICOLIN, Michel PIRON, Didier QUENTIN, Sophie ROHFRITSCH, François SCELLIER, Éric STRAUMANN, Lionel TARDY, Dominique TIAN, Philippe VITEL, Marie-Christine DALLOZ, Marc-Philippe DAUBRESSE, Franck GILARD, Charles de LA VERPILLIÈRE, Alain MARLEIX, Jacques PÉLISSARD, Jean-Marie SERMIER et Jean-Charles TAUGOURDEAU,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Créé par la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, le revenu de solidarité active (RSA) répond à trois objectifs : lutter contre la pauvreté ; inciter à la reprise d’une activité et simplifier et rendre plus lisible le système de solidarité nationale. Il présente la particularité d’être cofinancé1 par les départements pour le RSA « socle »2 et par l’État via le Fonds national des solidarités actives en complément du socle précité avec le RSA « activité »3.

Depuis sa création, le nombre de bénéficiaires n’a cessé de croître. Entre 2009 et 2014, le nombre de personnes percevant le RSA a augmenté de 409 000 personnes, soit une hausse de 28 %. De septembre 2013 à septembre 20144 cette augmentation a été de :

– + 6,2 % de foyers bénéficiaires du RSA (soit 2,39 millions de foyers) ;

– + 4,6 % de foyers bénéficiaires du RSA socle (soit 1,584 million de foyers).

Le coût pour les finances publiques est de l’ordre de 10 milliards d’euros, soit 4 milliards de plus que ce qui avait été annoncé lors de la création de ce mécanisme de solidarité.

Le haut niveau de protection sociale dont bénéficient les Français suppose de ne tolérer aucune fraude ou abus. C’est ainsi que peut être maintenue la légitimité du système aux yeux de ceux qui le financent via leurs cotisations.

Comme le souligne Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État « La fraude en matière sociale, comme en matière fiscale, a longtemps bénéficié d’une certaine indulgence en France. Deux évolutions ont néanmoins conduit à atténuer, voire à inverser ce constat. La première est la prise de conscience de l’enjeu représenté par la lutte contre la fraude, dans un contexte de dégradation des comptes sociaux. La seconde de ces évolutions est la mutation de l’opinion publique, qui procède elle-même, notamment, des inquiétudes croissantes qui font jour sur la pérennité de notre système de protection sociale. »

Aussi, alors que la fraude aux prestations a pendant longtemps bénéficié de peu d’attention, aujourd’hui, les Français n’acceptent plus que certains individus puissent percevoir indûment des allocations. Au-delà de la perte de ressources que ces fraudes constituent, elles sont sources d’injustice et mettent en péril la confiance des assurés dans notre système de protection sociale.

Si la Cour des comptes estime que l’enjeu financier de la fraude aux prestations sociales n’est pas connu avec précision, Dominique Tian, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur la lutte contre la fraude sociale, évaluait en 2011 son montant à près de 20 milliards d’euros.

Dans son bilan 2013, la délégation nationale à la lutte contre la fraude a estimé, quant à elle, que la proportion de fraudeurs aux prestations sociales était comprise entre 2,9 % et 3,7 % pour un impact financier compris entre 840 millions d’euros et 1,1 milliard d’euros.

La délégation nationale à la lutte contre la fraude a également souligné que « les minima sociaux, dont le RSA et le RSA majoré, demeurent les prestations les plus fraudées » mais que parallèlement « les organismes n’ont que peu de pouvoir de sanctions » pour y faire face.

Il convient de remédier à cette situation : dans un contexte de crise budgétaire et pour assurer la pérennité de notre système de protection sociale, il est nécessaire de lutter avec la plus grande fermeté contre toutes les formes d’abus et de fraude, en particulier en renforçant les prérogatives du président du conseil départemental.

Celui-ci dispose de deux familles de mesures relevant de sa décision propre :

– L’amende administrative (art. L. 262-52) sanctionnant la fausse déclaration ou l’omission délibérée de déclaration aboutissant au versement indu de RSA. Cette mesure ne peut notamment être prononcée que pour des faits commis dans un délai inférieur à deux ans. Elle ne permet pas la radiation de l’allocataire en cas de fraude.

– La suppression du RSA (art. L. 262-53) s’apparente, dans la pratique, à une mesure provisoire (un an maximum), limitée (seul le RSA activité peut être supprimé), proportionnée au montant de l’indu et non cumulable avec d’autres sanctions administratives ou juridictionnelles. Il ne s’agit donc pas d’une mesure de radiation mais d’une mesure d’ajournement pour une durée maximale d’un an du versement d’une fraction du RSA, puisque le RSA socle demeure maintenu.

Par ailleurs, contrairement aux caisses d’allocations familiales, le président du conseil départemental n’a pas la faculté d’assermenter des agents en charge de la lutte contre la fraude pour procéder à des vérifications et il ne dispose pas du droit de communication auprès des organismes bancaires, pourtant nécessaire pour contrôler les ressources des bénéficiaires du revenu de solidarité active en cas de suspicion de fraude.

La proposition de loi poursuit deux objectifs :

– d’une part durcir les sanctions dont dispose le président du conseil départemental à l’encontre des fraudeurs

– d’autre part renforcer les outils destinés à lutter contre la fraude au RSA.

Sanctionner plus fermement les manquements et pénaliser financièrement les fraudeurs et les récidivistes

Afin de rendre plus lisible le dispositif de lutte contre la fraude, l’article 1er propose de substituer, dans le code de l’action sociale et des familles, à la mesure actuelle d’ajournement du RSA, une mesure de sanction administrative prenant la forme d’une véritable radiation du RSA pour cause de fraude.

Parallèlement, afin de dissuader les abus, les assurés doivent non seulement avoir la certitude que toute irrégularité sera identifiée mais aussi que toute fraude les expose à des sanctions importantes.

Dans ce sens, il est proposé de renforcer les prérogatives du président du conseil départemental à plusieurs niveaux.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit que l’amende administrative serait encourue pour des faits commis dans un délai inférieur à cinq ans. En effet, le délai de deux ans actuellement prévu à l’article L. 262-52 du code de l’action sociale et des familles apparaît trop court au regard des enjeux.

L’article 3 prévoit que la suppression prévue à l’article L. 262-53 serait remplacée par la « radiation pour cause de fraude » et que les moyens d’action du président du conseil départemental seraient renforcés :

- actuellement, il faut que le RSA ait été versé pour un montant d’indu supérieur à deux fois le plafond mensuel pour donner lieu à une suppression de son versement, pour une durée maximale d’un an. Il est proposé de baisser ce plafond à une fois le plafond mensuel de la sécurité sociale (soit 3 170 euros en 2015) et d’accroître la durée maximale de suppression à deux ans. Enfin, il est proposé de rendre celle-ci cumulable avec une amende administrative.

– de plus, cette sanction serait assortie d’un délai de carence de six mois avant toute nouvelle demande d’ouverture de droits au revenu de solidarité active et subordonnée à la production de pièces complémentaires, opposables au bénéficiaire radié pour cause de fraude.

L’article 4 prévoit que les bénéficiaires du RSA récidivant dans le non-respect des droits et devoirs seront plus durement sanctionnés par la mise en place d’un délai de carence d’un mois avant que l’allocation ne puisse être reversée. En effet, l’observation de parcours d’allocataires qui sont restés de nombreuses années dans le dispositif RMI puis RSA montre des situations de véritables stratégies d’évitement de démarches d’insertion, que la règlementation actuelle ne permet pas de résoudre efficacement. Par ailleurs, l’article 4 de la loi permet au président du conseil départemental de décider d’une suspension totale du RSA pour non-respect des droits et devoirs, sans être contraint de mettre en œuvre préalablement la suspension partielle prévue au R. 262-68. En effet, cette disposition règlementaire imposée par le décret de mars 2012 a rendu peu efficace le suivi du respect des devoirs des allocataires.

L’article 5 prévoit qu’un bénéficiaire du RSA refusant deux offres d’emplois raisonnables verra son allocation suspendue pour non-respect de ses obligations d’insertion. L’objectif du RSA reste le retour à l’emploi. Cette mesure sera de nature à favoriser ce retour à l’emploi tout en évitant des refus d’offre d’emploi injustifiés.

L’article 6 a pour objet de faciliter la suspension du versement du RSA aux personnes se rendant à l’étranger dans le but de participer au djihad. Si cette possibilité est ouverte par notre droit (le conseil départemental des Alpes maritimes y a procédé en novembre 2014), sa mise en œuvre concrète se heurte à des difficultés pratiques car il faut prouver que l’allocataire a bien quitté son domicile pour participer à des activités terroristes. La proposition de loi prévoit donc que les services de l’État compétents informent systématiquement le président du conseil départemental de tous les départs vers des zones de conflit en vue de participer à des activités terroristes.

Renforcer les outils destinés à lutter contre les fraudes

Même dans les situations où la coordination avec la caisse d’allocation familiale est très bonne, le manque de moyens de contrôles ouverts au département constitue un frein majeur à l’efficacité de la lutte contre la fraude.

Afin d’y remédier, l’article 7 propose une assermentation pour les agents en charge du contrôle du RSA pour qu’ils puissent mettre en œuvre de manière autonome des contrôles, à l’image des contrôleurs assermentés des caisses d’allocations familiales. Il prévoit un droit de communication pour accéder aux relevés de comptes bancaires des bénéficiaires du RSA suspectés de fraude afin de vérifier l’exactitude des déclarations souscrites ou l’authenticité des pièces produites dans le cadre de cette prestation.

Dans la même logique, il est proposé que les agents assermentés du conseil départemental en charge de la lutte contre la fraude au RSA puissent mettre en œuvre le contrôle du train de vie des bénéficiaires du RSA pour, notamment, évaluer la valeur de leur patrimoine (article 8). Si le contrôle du train de vie est prévu par le code de l’action sociale et des familles, les agents du département ne disposent pas pleinement des outils pour l’évaluer. Or cette évaluation est indispensable pour identifier, puis sanctionner certaines fraudes.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Au premier alinéa de l’article L. 262-38 du code de l’action sociale et des familles après le mot : « radiation » est inséré le mot : « administrative ».

Article 2

À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 262-52 du même code, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « cinq ».

Article 3

L’article L. 262-53 du même code est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa le mot : « deux » est remplacé par le mot : « un » et les mots : « un an » sont remplacés par les mots : « deux ans ».

2° Le deuxième alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Après une radiation pour cause de fraude de la liste des bénéficiaires du revenu de solidarité active à la suite de la décision de radiation précitée, un délai de carence de six mois est opposable à toute nouvelle demande d’ouverture de droits au revenu de solidarité active.

« Le bénéfice du revenu de solidarité active est alors subordonné à la production des pièces définies par voie réglementaire. »

3° Le troisième alinéa est ainsi modifié :

a) À la première phrase, le mot « suppression » est remplacé par les mots : « radiation pour cause de fraude ».

b) À la troisième phrase, le mot : « supprimé » est remplacé par les mots : « faisant l’objet de la radiation pour cause de fraude ».

c) Au quatrième alinéa, les mots : « et l’amende administrative prévue à l’article L. 262-52 du présent code » sont supprimés.

d) Au dernier alinéa, le mot : « suppression » est remplacé par les mots : « radiation pour cause de fraude ».

Article 4

L’article L. 262-37 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « tout ou partie » sont remplacés par le mot : « totalité ».

2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de récidive dans le non-respect des droits et devoirs, un délai de carence d’un mois sera imposé avant que l’allocation puisse être reversée aux bénéficiaires du revenu de solidarité active concernés. »

Article 5

Après le 4° de l’article L. 262-37 du même code est inséré un 5° ainsi rédigé :

« 5° Ou lorsque le bénéficiaire refuse deux offres d’emplois raisonnables ».

Article 6

En vue de l’application du présent article, les services compétents de l’État informent le président du conseil départemental de l’identité de tout individu se rendant vers des zones de conflit en vue de participer à des activités terroristes.

Article 7

Après l’article L. 262-40 du même code est inséré un article L. 262-40-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 262-40-1. – 1° Le droit de communication permet d’obtenir, sans que s’y oppose le secret professionnel, les documents et informations nécessaires aux agents des conseils départementaux en charge du contrôle du revenu de solidarité active, afin de vérifier la sincérité et l’exactitude des déclarations souscrites ou l’authenticité des pièces produites dans le cadre de cette prestation.

« 2° Les infractions au titre de l’article  L. 262-52 sont constatées par les agents territoriaux assermentés mentionnés à l’alinéa précédent. Ces agents ont qualité pour dresser en cas d’infraction auxdites dispositions des procès-verbaux faisant foi jusqu’à preuve du contraire.

« 3° Le droit prévu au premier alinéa s’exerce quel que soit le support utilisé pour la conservation des documents et peut s’accompagner de la prise immédiate d’extraits et de copies.

« 4° Les documents et informations sont communiqués à titre gratuit dans les trente jours qui suivent la réception de la demande.

« 5° Le refus de déférer à une demande relevant du présent article est puni d’une amende de 7 500 €. Ce délit peut faire l’objet de la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale prévue aux articles 495 à 495-6 du code de procédure pénale. »

Article 8

Le premier alinéa de l’article L. 262-41 est complété par les mots : « les agents assermentés du conseil départemental en charge de la lutte contre la fraude au RSA pourront mettre en œuvre le contrôle du train de vie des bénéficiaires de celui-ci ».

1 Art. L. 262-24 du code de l’action sociale et des familles.

2 Le RSA socle alloue un revenu garanti aux foyers les plus modestes résidant de manière stable et effective en France, éventuellement majoré si un parent est en situation d’isolement.

3 Le RSA activité correspond à un complément de revenus d’activité pour les bénéficiaires et à une part des frais de gestion incombant aux organismes payeurs.

4 Données CNAF, déc. 2014.


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