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N° 3414

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 janvier 2016.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire le trading haute fréquence,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jacques BOMPARD,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

I. – Qu’est-ce que le trading haute fréquence ?

Le trading haute fréquence (THF) ou high frequency trading (HTF) est un procédé de transactions boursières à très grande vitesse. La THF s’exécute au moyen de très puissants ordinateurs dotés d’algorithmes informatiques extrêmement complexes. Ces algorithmes gèrent un flux immense de données à la manière d’un big data. Les Algorithmes les plus puissants, comme ceux de la firme anglaise de THF « Algo Tech » sont en capacité de procéder à des transactions en 16 microsecondes. Rapportés à une seconde, les ordinateurs sont capables d’effectuer des milliers de transactions dans ce laps de temps. En 2010, la vitesse de la THF était de 20 millisecondes. De nos jours, elle se situe à environ 113 microsecondes. Le développement de la THF est exponentiel. Il représente environ 70 % des transactions aux États-Unis et 35 % en Europe. Sachant que la THF s’est implantée véritablement dans les bourses en 2005-2007. Elle est maintenant devenue structurante.

Elle apporte de nombreux avantages financiers, notamment en fluidifiant les flux du marché mais, également en faisant l’objet de nombreuses critiques qui la situe en marge de la légalité, opaque, difficilement contrôlable du fait de son gigantisme hors de portée de l’analyse humaine et bancaire traditionnelle. De nombreux spécialistes de la finance et économistes s’attaque à cette pratique, pour beaucoup marqueur d’une finance trop libéralisée et hors de contrôle, bénéficiant de coteries puissantes (1).

Le fonctionnement général de la THF repose sur un rôle d’intermédiaire entre les investisseurs et les vendeurs qu’elle s’est auto-octroyée. Grâce à sa très grande rapidité permettant de passer des centaines de milliers d’ordres, elle parvient à s’intercaler dans les ordres du carnet de telle ou telle bourse en détectant les écarts ou les anomalies. Les robots effectuent alors leurs ordres de vente ou d’achat en quelques micros secondes permises par leur programmation en temps réel. Les traders font alors des bénéfices ne dépassant généralement pas un dollar (voire moins). Mais, leurs machines leur permettant de répéter des millions de fois cette opération, les bénéfices finaux deviennent alors très importants.

Il existe plusieurs techniques afin de rentabiliser ces opérations. En revanche, elles confinent à la manipulation de marchés, voire à des manœuvres frauduleuses.

D’un point de vue physique, la THF repose sur un réseau complexe de fibre optique qui relie les places boursières entre elles jusque dans les bureaux des firmes. Certaines firmes spécialisées en THF font d’ailleurs installer à très haut coût des lignes de fibre privée afin de gagner quelques millisecondes supplémentaires sur leur adversaire. D’autres remettent en service les stations de télécommunication à micro-ondes, se départissent des contingences physiques de la fibre tout en étant légèrement plus rapides. Certaines critiques mettent en exergue le fait que ces réseaux privés sclérosent le marché en excluant les petits porteurs.

II. – Problèmes économiques et éthiques

Le succès indéniable de la THF engendre depuis quelques années, de nombreuses et virulentes critiques. Certains professionnels de la finance dénoncent le risque, largement répandu, de manœuvres frauduleuses, très opaques du fait de la quantité d’informations à traiter. D’autres pointent certains problèmes d’éthique ou dénoncent la collusion entre certaines places boursières avec de grosses firmes de THF.

Pour commencer la THF a recours de nombreuses manipulations du marché par l’usage de nombreuses techniques très décriées, non seulement par certaines franges de milieux de finances, mais également par des observateurs extérieurs. Comme le dit Benoit Lallemand, secrétaire général de l’association Finance watch : « Il y a une surliquidité à cause des teneurs de marché qui se glissent entre chaque milliseconde d’échanges “naturels” et qui, payés à la commission, jouent un coup en plus ». Pour garantir cet avantage de la vitesse et le démultiplier, on trouve certaines techniques de manipulations de marché.

On a par exemple le quot stuffing qui consiste à faire du « bourrage d’ordres » afin de saturer les systèmes de la concurrence alors obligés d’analyser les milliers d’ordres lui venant afin de le ralentir ; ne sachant pas quels ordres sont les vrais, ils ne peuvent plus passer d’ordres eux-mêmes. C’est une attaque par la complexité. La plupart de ces ordres seront annulés sauf en cas des meilleurs achats ou ventes. Robert Erra, docteur en informatique, estime que 90 % des ordres sont des faux-ordres. Outre l’aspect sclérosant de cette méthode, on peut pointer du doigt le fait que ces robots jouent aveuglément, correspondant à des valeurs de l’économie réelle, déstabilisant de nombreux investisseurs et entreprises. Deux autres techniques sont le spoofing et le layering. Le spoofing consiste à charger le carnet d’ordres boursier dans un sens ou un autre et de retirer les ordres avant exécutions. Le procédé consiste à manipuler le marché en l’attirant par le gonflement du carnet d’ordre. Quand bien même il n’y aurait aucune réalité économique derrière. Le layering est plus ou moins une technique similaire sauf qu’il consiste à, cette fois, exécuter les ordres afin de tromper ses adversaires ; grosso modo, cette technique incite au remplissage d’un carnet d’ordre boursier à l’achat ou à la vente puis de surprendre les autres intervenants en inversant brusquement la tendance. Elle repose sur l’espoir d’un remplissage du carnet d’ordre à l’achat par les autres intervenants venant combler un écart artificiellement créé, puis de les surprendre en inversant la tendance.

Enfin, dans la lignée des précédentes techniques on trouve le cancelling. Il consiste à annuler brusquement un très grand nombre d’ordres afin de manipuler le marché tout en confirmant une minorité de ces derniers. Cette technique est moins répandue (1 à 5 %).

Selon Hubert de Vauplane (2) : « Le carnet d’ordre n’a plus de signification aujourd’hui et ne joue plus son rôle informationnel. C’est très grave. »

Ce genre de techniques déstabilise non seulement le marché tout en jouant sur des valeurs économiques bien réelles (provoquant des dévaluations rapides et très importantes sans aucun lien avec la réalité) et est également très difficile à contrôler. Car les flux d’informations colossaux échappent tout bonnement au contrôle boursier. Certaines organisations telles Nanex sont déjà dans une démarche de contrôle afin de compléter les gendarmes boursiers très souvent dépassés. C’est l’AMF qui remplit cette fonction en France. Elle a récemment réussi à faire condamner une grosse firme de Trading : l’américain Virtu pour manipulation des prix du marché à hauteur de 5 millions d’euros ; l’opérateur de la bourse de Paris Euronext a lui aussi été condamné pour complicité à 4 millions d’euros (3).Ils consistent à enregistrer l’intégralité des séances boursières, notamment aux États-Unis, afin de détecter les anomalies. On revend alors les informations aux grands investisseurs se méfiant des firmes de THF manipulant le marché. Des investisseurs ignorent d’ailleurs ce qu’ils sont en train d’acheter ou vendre. Quelques années auparavant, on gardait en moyenne une action durant 3 ans. Ce chiffre est passé à une minute environ. Certains commencent même à arguer le fait que les marchés seraient truqués. Seulement, les législations européennes visant à contrôler et encadrer la pratique sont encore particulièrement en retard.

Il faut toutefois savoir qu’une grande partie de ces pratiques sont décriées par des traders effectuant pourtant à une échelle moindre ce genre de pratiques, mais de facto dépassés par les machines. Dans les faits, leur spéculation est du même acabit. Ils dénoncent toutefois une dématérialisation du marché laissant aux hommes une capacité de contrôle et d’analyse moindre. Ils pointent par ailleurs que la THF, du fait de son gigantisme, serait en mesure de transformer un crash momentané en un effondrement systémique. Enfin, la précision mathématique ne suffit pas, et les algorithmes semblent être dotés de comportements inquiétants en cas d’emballement du marché : attitude moutonnière, panique généralisée, effet boule de neige… . Selon Alexandre Laumonier, Anthropologue spécialisé dans les marchés : « Le comportement des algorithmes est proche de celui des humains » (4).

III. – Risque de déclenchement d’une crise financière mondiale

La THF porte en elle des facteurs de risques de déclenchement de crises financières mondiales. La THF rend le marché certes fluide mais particulièrement volatile en spéculant à outrance. Or, en cas de déstabilisation, les dizaines de milliers d’algorithmes, impossibles à contrôler tous, sont en mesure de réagir de manière très rapide sans aucune prise au réel. Pour eux une valeur en égale une autre. Par ailleurs, leur autonomie ajoute à la confusion.

Le premier crash boursier enregistré du fait de la THF date du 6 mai 2010. Ce jour-là le marché est très volatile. En un instant le Dow Jones chute de 100 points puis de 200 points. Les taux dégringolent, obligeant la bourse à se débrancher. Des centaines de firmes quittent le marché.

Le plus grand marché de Chicago stoppe toutes les transactions, le marché disparaît totalement durant cinq secondes. Puis les cours remontent peu à peu.

En cinq minutes, on a connu les crashs le plus important de l’histoire.

La bourse a perdu 1 000 milliards de dollars.

Le déclencheur fut un algorithme appartenant à un grand gérant de fonds. Ayant trop vendu de manière trop rapide, il provoque alors la panique des autres algorithmes. Sans que l’homme ne puisse intervenir pour maîtriser le phénomène. En définitive c’est 150 000 millions de dollars qui sont définitivement perdus.

Chaque année, il y aurait des milliers d’incidents de ce genre de moindre portée, notamment en fin de journée avant la clôture des bourses.

On a quelques exemples très probants : en mars 2012, une société du nom de BATS entre en Bourse. En une seconde de cotation, la valeur de ses actions passe de 15 dollars à zéro.

En août 2012, 450 millions sont perdus en une demi-heure à cause d’un algorithme mal mis à jours.

Le 23 avril 2013, un faux tweet annonçant la mort du président Obama suite à un attentat provoque une panique. Les algorithmes réagissant par mots clés paniquent en anticipant une chute des cours. Le résultat se manifeste sous la forme d’une baisse momentanée équivalente à 150 milliards de dollars.

Face à cela, les autorités notamment américaines et européennes ont décidé de commencer à encadrer la pratique. Mais seulement deux enquêtes ont abouti en huit ans et n’ont fixé que des amendes légères.

D’autres ont pensé à établir de nouvelles règles afin de court-circuiter le modèle économique de la THF qui repose sur des milliards d’ordres que l’on retire ou modifie à volonté provoquant d’innombrables petits profits. Il s’agirait par exemple de fixer une limite de temps entre les ordres. Ou bien taxer très légèrement chaque changement ou modifications d’ordres.

Une loi sur la transparence ne sera en vigueur dans l’Union européenne qu’à l’horizon 2017.

Mais cela ne résoudrait pas complétement le problème systémique et le facteur de crise que constitue la THF. Ni son existence intrinsèque qui la place en intermédiaire forcé entre investisseur et vendeurs, n’apportant rien au marché : « Le trader de HFT ne sait pas ce qu’il traite, c’est un mathématicien. Son objectif est d’avoir un algorithme qui essaie de deviner la tendance », à l’achat ou à la vente d’un titre « pour se placer au milieu entre l’acheteur et le vendeur, (…) c’est une véritable pollution, cela n’apporte rien » comme le résume Jean-Pierre Pinatton, président du conseil de surveillance de la banque Oddo & Cie (5).

PROPOSITION DE LOI

Article unique

La France interdit toute pratique du trading à haute fréquence sur son territoire et au sein de ses juridictions.

1 () Les économistes atterrés : « Les amis de la finance... Quand les autorités françaises ne veulent pas d’une régulation efficace des banques », 9 février 2014.

2 () Alternative Economiques, Hubert de Vauplane « Trading Haute Fréquence », 28/09/2011.

3 () Le Figaro « L’AME s’attaque au Trading Haute Fréquence », 4/11/2015.

4 () L’Humanité.fr « Le comportement des algorithmes et proche de celui des humains » 4/04/2014.

5 () Le Point Economie (Source AFP), 17/06/2015, Le point.fr.


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