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N° 3547

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 mars 2016.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

relative à l’organisation du Gouvernement et au statut de ses membres,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Constitution confère au Gouvernement un rôle essentiel : « déterminer et conduire la politique de la Nation ». Pourtant, le titre III qui lui est consacré est particulièrement bref.

Il paraît nécessaire de le compléter pour définir l’organisation générale du Gouvernement et préciser davantage le statut de ses membres.

L’organisation du Gouvernement

L’article premier du présent texte concerne donc l’organisation globale du Gouvernement, sa structure générale.

En pratique, l’équipe gouvernementale comprend un nombre de membres variable qui n’est fixé par aucun texte. Sous la Vème République, le Gouvernement le plus étoffé a été le Gouvernement Rocard II, formé en juin 1988, et le plus restreint le Gouvernement Fillon I, constitué en mai 2007. Le premier comptait 49 membres, le second 21.

Il est souhaitable que le Gouvernement ne comporte pas un nombre excessif de membres. En effet, une équipe trop nombreuse risque de manquer de cohésion, voire de connaître des interférences ou des conflits de compétence. De plus, cette situation rend difficiles de réelles délibérations collégiales.

Par ailleurs, vu l’objectif général de réduction de la dépense publique, il n’est pas indifférent, pour des raisons d’économie, de limiter le nombre des ministres et secrétaires d’État et donc des cabinets ministériels qui les assistent dans leur action.

Alors que l’État a conservé sensiblement les mêmes fonctions au cours des dernières décennies et intervient donc à tâches égales, le nombre des membres des Gouvernements successifs a fortement varié.

Depuis trente ans, depuis mars 1986, douze premiers ministres se sont succédé à Matignon, en formant au total dix-neuf Gouvernements.

Sept ont compté plus de 40 membres : Gouvernements Rocard II (49 membres), Cresson (46), Juppé I (44), Raffarin III (44), Bérégovoy (43), Rocard I (42) et Chirac (41) (1).

Neuf autres ont également dépassé trente membres, mais sans aller jusqu’à atteindre le seuil des quarante membres : Gouvernements Raffarin II (39), Ayrault II (38), Ayrault I (34), Valls II (34 membres à sa nomination en août 2014, puis 39 avec le remaniement de février 2016), Villepin (32), Fillon II (32), Balladur (31), Fillon III (31) et Valls I (31).

Enfin, seulement trois équipes ont compté moins de 30 membres : Gouvernements Jospin (27), Raffarin I (28) et Fillon I (21). Mais, en réalité, ces deux derniers étaient des Gouvernements transitoires, formés seulement pour la brève période intermédiaire allant de l’élection présidentielle aux élections législatives et donc destinés à cesser d’exister sous cette forme restreinte dès après les législatives.

Au total, une tendance au surdimensionnement de l’équipe gouvernementale apparaissant de manière récurrente, il semble utile, pour éviter une amplitude excessive de cette équipe, de poser en règle, à un nouvel article 23-1 de la Constitution, que le nombre total des ministres et secrétaires d’État ne peut excéder trente.

Nomenclature des ministères

Par ailleurs, cet article 23-1 renvoie à une loi organique qui établira une nomenclature, une liste des principaux ministères, de leurs dénominations et périmètres, afin que ceux-ci ne changent pas fréquemment et parfois inutilement au fil des Gouvernements successifs et de leurs remaniements.

Certes, l’extension ou la limitation du périmètre d’action d’un ministère peut obéir à des considérations fonctionnelles visant à améliorer l’efficacité de l’appareil d’État. Mais elle peut aussi résulter de motivations liées au degré d’influence politique de ceux ou de celles qui sont nommés au Gouvernement.

Ces changements de périmètre et de dénomination – qui, parfois, correspondent donc moins à une volonté de rationalisation qu’à la commodité politique du moment – peuvent entraîner un certain manque de lisibilité de l’action gouvernementale.

Ainsi, le travail, les affaires sociales, la santé ont été tantôt séparés, tantôt regroupés en tout ou en partie. Il en est résulté vingt dénominations successives et différentes de ce secteur depuis 1986.

Il paraît donc opportun de prévoir une loi organique établissant une nomenclature pour garantir une certaine stabilité et éviter de telles variations de périmètre et de dénomination qui, souvent, ne sont pas véritablement utiles.

Cette nomenclature comprendrait en particulier les départements ministériels suivants, sans hiérarchie préétablie : affaires étrangères ; affaires européennes ; défense ; justice ; intérieur ; économie et finances ; éducation nationale ; enseignement supérieur et recherche ; affaires sociales et santé ; travail et emploi ; agriculture ; commerce et artisanat ; environnement ; équipement, logement et transports ; ville ; outre-Mer ; fonction publique ; culture et communication ; jeunesse et sports ; relations avec le Parlement.

À ces vingt ministères principaux, constituant l’ossature du Gouvernement, pourraient s’ajouter, en fonction des besoins, dix autres ministères (pleins ou délégués) ou secrétariats d’État.

L’incompatibilité entre fonction gouvernementale et fonction exécutive locale

L’article 2 du présent texte vise à apporter des précisions sur le statut des membres du Gouvernement et en particulier sur le non-cumul de leur fonction avec d’autres responsabilités.

La loi organique du 14 février 2014 interdit de cumuler mandat parlementaire et fonction exécutive locale (maire ou adjoint au maire, président ou vice-président de conseil départemental ou régional, président ou vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale, etc.) (2).

L’objectif est triple. D’une part, reconnaître qu’un tel cumul est matériellement difficile vu la disponibilité requise par chacune de ces deux tâches. D’autre part, contribuer au renouvellement du Parlement et des instances territoriales. Enfin, éviter les conflits d’intérêts, faire que le vote d’un parlementaire ne risque pas d’être influencé par la prise en compte d’un intérêt local.

Paradoxalement, un tel cumul, désormais prohibé pour les parlementaires à partir de 2017 (3), n’est expressément interdit par aucun texte pour les membres du Gouvernement.

L’article 23 de la Constitution, qui est relatif aux incompatibilités entre fonctions ministérielles et autres mandats, fonctions ou activités, fait silence sur le cas du cumul entre fonction gouvernementale et fonction exécutive locale.

Dès lors, pendant longtemps, beaucoup de ministres et même plusieurs Premiers ministres ont exercé simultanément leur fonction et celle de maire. Souvent à la tête de grandes villes. Ainsi, alors qu’ils étaient chefs du Gouvernement, Jacques Chaban-Delmas (1969-1972), Pierre Mauroy (1981-1984), Jacques Chirac (1986-1988), Pierre Bérégovoy (1992-1993), Alain Juppé (1995-1997) ont été maires respectivement de Bordeaux, Lille, Paris, Nevers et Bordeaux, Alain Juppé ayant succédé à Jacques Chaban-Delmas à la mairie de cette ville aux élections municipales de mars 1995.

A fortiori, les autres ministres ont souvent cumulé leur fonction et la direction d’un exécutif local. Ainsi, le Gouvernement Juppé I, formé en mai 1995, comptait en son sein trois présidents de conseil régional et six présidents de conseil général.

Le 29 novembre 1994, les députés socialistes et radicaux de gauche avaient déposé une proposition de loi constitutionnelle « tendant à modifier l’article 23 de la Constitution », qui disposait : « Les incompatibilités applicables aux membres du Parlement sont également applicables aux membres du Gouvernement. » Mais ce texte n’a pas été examiné par l’Assemblée nationale.

En juin 1997, Lionel Jospin, devenu Premier ministre, prescrit aux membres de son Gouvernement de n’être pas en même temps dirigeants d’un exécutif local. « Comme Premier ministre, note-t-il, je voulais des ministres qui seraient toute la semaine à leur poste. Les Gouvernements précédents, particulièrement les derniers, ont fonctionné avec des ministres qui étaient parfois quasiment à mi-temps à des postes très importants. » (4).

Il y avait donc là l’amorce d’une règle, mais simplement coutumière, la Constitution continuant à ne pas se prononcer sur ce cumul.

Cette règle non écrite est moins appliquée sous le second mandat du Président Chirac (2002-2007) par les Gouvernements Raffarin (2002-2005) et Villepin (2005-2007). Dans cette dernière équipe, plusieurs membres du Gouvernement exercent en même temps une fonction exécutive locale.

Ces cas de cumul sont en nombre croissant sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ainsi, le troisième Gouvernement Fillon, formé en novembre 2010, comprend huit maires, deux présidents de conseil général et un président de conseil régional. Soit, au total, onze membres sur trente et un - c’est-à-dire un peu plus d’un tiers - remplissant simultanément une fonction exécutive locale.

En définitive, le non-cumul ministre-maire ou ministre-président de conseil départemental ou régional est d’application variable selon les périodes et les majorités successives, alors que la vie publique nécessite des règles claires et constantes. Il convient donc de sortir de l’incertitude et de l’aléa.

Depuis la dernière élection présidentielle, une « charte de déontologie des membres du Gouvernement », en date du 17 mai 2012, reprend la règle appliquée par le ministère Jospin. À l’un de ses cinq points, intitulé « Disponibilité », elle précise : « Les membres du Gouvernement consacrent tout leur temps à l’exercice de leurs fonctions ministérielles… et doivent renoncer aux mandats exécutifs locaux qu’ils peuvent détenir. »

Depuis mai 2012, les membres du Gouvernement se sont conformés à ce non-cumul entre leur fonction et une fonction exécutive locale. À trois exceptions près, dont deux de caractère très provisoire (5).

Il est souhaitable en effet que, comme un parlementaire - en tout cas à partir de 2017 -, un ministre puisse se consacrer pleinement à sa fonction et que sa disponibilité ne soit pas limitée par l’exercice simultané d’une fonction exécutive locale.

Toutefois, la charte de déontologie n’ayant pas de valeur juridique contraignante, il convient d’introduire expressément cette règle de non-cumul dans la Constitution, en complétant son article 23 relatif aux incompatibilités ministérielles.

Un membre du Gouvernement pourra cependant cumuler sa fonction avec un mandat local non exécutif.

Une loi organique précisera les fonctions ainsi que la liste des établissements publics de coopération auxquels s’appliquera également cette nouvelle incompatibilité ainsi instituée à l’article 23 de la Constitution.

L’incompatibilité entre fonction gouvernementale et direction d’un parti politique

Il paraît également nécessaire de rendre expressément incompatibles l’exercice d’une fonction gouvernementale et la direction d’un parti ou groupement politique.

Tel est l’objet de l’article 3 de la présente proposition de loi constitutionnelle.

Les partis politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils contribuent activement à assurer le caractère démocratique de la vie publique par les fonctions qu’ils exercent : élaboration des programmes, formation des adhérents, désignation des candidats, coordination des élus.

La Constitution de la Vème République, à son article 4, est d’ailleurs la première à reconnaître le rôle nécessaire des partis et groupements politiques.

Toutefois, chaque formation a naturellement son identité spécifique, particulière, alors que l’action gouvernementale met en œuvre une vision générale qui ne se confond pas avec l’esprit de parti.

Par ailleurs, la fonction de principal dirigeant d’un parti, placé à la tête de son organisation, est astreignante : elle implique une forte disponibilité et peut difficilement se cumuler avec une autre mission importante.

Pour cette double raison, il convient de rendre juridiquement incompatibles l’exercice d’une fonction ministérielle et la direction d’une formation politique. En décidant que le numéro un d’un parti ne pourra siéger simultanément au Gouvernement.

Hostile à ce qu’il appelait la « République des partis », le général de Gaulle a généralement imposé cette règle.

François Mitterrand fait de même quand il est élu à l’Élysée en 1981. Ainsi, Georges Marchais, qui n’entend pas cesser d’être secrétaire général du PCF, n’entre pas au Gouvernement. En revanche, Michel Crépeau, qui accepte de quitter la présidence du MRG, devient ministre de l’environnement.

Mais, depuis, plusieurs ministres, voire Premiers ministres, ont été en même temps chefs de parti. Le Gouvernement Chirac, formé en mars 1986, pratique délibérément ce cumul. Les chefs des partis de la coalition majoritaire, MM. Chirac (RPR), Léotard (PR), Méhaignerie (CDS), Rossinot (Parti radical) et Santini (PSD) siègent au Gouvernement.

De même, Alain Juppé est à la fois Premier ministre et président du RPR de 1995 à 1997.

Xavier Bertrand est ministre du travail de 2007 à 2009 et secrétaire général de l’UMP de décembre 2008 à novembre 2010. Jean-Louis Borloo est ministre de l’économie, des finances et de l’emploi de 2007 à 2010 et président du Parti radical. Hervé Morin est ministre de la défense de 2007 à 2010 et président du Nouveau Centre, fondé en 2008.

En revanche, en novembre 2004, le Président Chirac avait imposé à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, de quitter le Gouvernement quand celui-ci était devenu président de l’UMP. Toutefois, ce non-cumul imposé n’avait guère duré. Six mois après, en mai 2005, avec la formation du ministère Villepin, M. Sarkozy était revenu au Gouvernement comme ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, tout en restant président de l’UMP.

Au Parti socialiste, traditionnellement, le Premier secrétaire cesse d’exercer sa fonction quand il entre au Gouvernement, comme Lionel Jospin, nommé ministre de l’éducation nationale en 1988, puis Premier ministre en 1997, et comme Harlem Désir, devenu secrétaire d’État aux affaires européennes en 2014 (6). Il en va de même pour le président du MRG, puis du PRG.

Afin d’établir une règle stable et pérenne s’appliquant aux diverses formations, règle qui interdise expressément ce cumul, il convient d’ajouter à l’article 23 de la Constitution un quatrième et dernier alinéa qui rende incompatibles l’exercice d’une fonction gouvernementale et la direction d’un parti politique.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Après l’article 23 de la Constitution, il est inséré un article 23-1 ainsi rédigé :

« Le nombre de membres du Gouvernement ne peut excéder trente.

Une loi organique fixe la liste des vingt principaux ministères, ainsi que leur dénomination et leur périmètre d’action.

Dix autres membres du Gouvernement peuvent être nommés comme ministres ou secrétaires d’État. »

Article 2

L’article 23 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par la phrase suivante :

« Elles sont également incompatibles avec l’exercice de fonctions exécutives au sein des collectivités régies par les titres XII et XIII ou des établissements publics de coopération constitués entre elles, lorsque l’importance de ces derniers le justifie. »

 Le deuxième alinéa est complété par la phrase suivante :

« Elle détermine en outre les fonctions et les établissements publics auxquels s’applique l’incompatibilité prévue par la seconde phrase du précédent alinéa. »

Article 3

L’article 23 de la Constitution est complété par ce quatrième alinéa :

« Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec la direction d’un parti ou groupement politique. »

1 () Ce dénombrement prend en compte le Gouvernement formé initialement sans éventuels remaniements ultérieurs. Par ailleurs, il intègre le Premier ministre dans l’effectif total du Gouvernement.

2 () Loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

3 () Article 12 : « La présente loi s’applique à tout parlementaire à compter du premier renouvellement de l’assemblée à laquelle il appartient suivant le 31 mars 2017. »

4 () Lionel Jospin, Le temps de répondre, Stock, 2002, p. 91.

5 () M. Cuvillier a été pendant cinq mois, de mars à août 2014, à la fois secrétaire d’État aux transports et maire de Boulogne-sur-Mer, ayant été réélu aux municipales de mars 2014. Par ailleurs, M. Rebsamen, ministre du travail, étant redevenu maire de Dijon en août 2015 à la suite du décès de son successeur, a exercé simultanément ces deux fonctions pendant une très courte période, du 10 août au 2 septembre 2015. Enfin, depuis les élections régionales de décembre 2015, M. Le Drian est à la fois ministre de la défense et président du conseil régional de Bretagne.

6 () Le 1er septembre 2010, le groupe socialiste, radical et citoyen de l’Assemblée nationale avait d’ailleurs déposé une proposition de loi constitutionnelle « pour une République décente ». Avec cet exposé des motifs : « Le régime d’incompatibilités reste encore insuffisant, s’agissant en particulier du cumul d’une fonction ministérielle avec des responsabilités au sein d’un parti politique… Pour le général De Gaulle, il n’aurait pas été envisageable qu’un ministre soit choisi par son parti, et encore moins, qu’une fois nommé, il continue à y exercer une position dirigeante. »


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