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N
° 87

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juillet 2012.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 8, autorisant la ratification de la convention de Hong Kong
pour le
recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires

par M. Noël MAMÈRE

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

INTRODUCTION 5

I – PROBLÉMATIQUES DU DÉMANTELEMENT DES NAVIRES 7

A – L’ACTUALITÉ DU DÉMANTÈLEMENT DES NAVIRES 7

1) Une activité en forte expansion 7

2) Une industrie aujourd'hui essentiellement asiatique 9

B – UNE ACTIVITÉ PARTICULIÈREMENT POLLUANTE ET DANGEREUSE 15

1) La toxicité des matériaux en cause 15

2) La réalité des risques 16

C – L’INSUFFISANCE DU CADRE JURIDIQUE ACTUEL 18

1) Les accords internationaux relatifs à la pollution maritime 18

2) La convention de Bâle 19

II – LA CONVENTION DE HONG KONG 23

A – LE CHEMINEMENT VERS L’ADOPTION DU TEXTE 23

B – LE DISPOSITIF DE LA CONVENTION DE HONG KONG 24

1) Un instrument juridique ambitieux 24

a. Les articles de la convention 24

b. Les règles figurant à l’annexe 27

2) Les apports de la convention de Hong Kong par rapport à la convention de Bâle. 28

C – ET DEMAIN ? : UN TEXTE QUI RISQUE DE TARDER À ENTRER EN VIGUEUR 29

1) La prise en compte des préoccupations exprimées lors de la conférence de Hong Kong 29

2) L’Union européenne à la pointe du combat 32

CONCLUSION 35

EXAMEN EN COMMISSION 37

ANNEXE : Éléments d’information sur le droit de l’Union européenne applicable ou en cours d’élaboration 41

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ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 45

Mesdames, Messieurs,

Chacun a gardé en mémoire les péripéties qui rythmèrent à partir de 2003 les dernières années de l’ex porte-avions Clémenceau : les polémiques qui opposèrent très durement le gouvernement français à de nombreuses ONG - associations anti-amiante, Greenpeace ou Fédération internationale des Ligues des Droits de l'Homme, notamment ; les interventions des instances judiciaires, civiles et administratives, du Conseil d’Etat, de la Commission européenne jusqu'à la Cour suprême indienne, qui eurent à se prononcer avant que la « coque Q 790 » n’aille enfin achever ses jours sur un chantier du Royaume-Uni.

Entretemps, au cours d’un périple de plus de six mois qui l’avait mené de Toulon à Brest, le navire aura erré au long des côtes d’Espagne, de Turquie, de Grèce, d’Egypte, d’Inde et d’Afrique, se voyant plusieurs fois refuser l’entrée dans les eaux territoriales à cause des risques sanitaires et environnementaux induits par l’amiante contenu dans la structure. La France aura été accusée d’exportation illégale de déchets dangereux, en violation des obligations internationales qu’elle a du fait de son adhésion à la convention de Bâle, une commission d’enquête aura même été demandée, sans succès, à l’Assemblée nationale.

Cette affaire emblématique entre toutes, résume idéalement l’ensemble des problématiques auxquelles l’industrie du démantèlement est confrontée : compte tenu des matériaux utilisés dans la construction des navires, notamment les plus anciens, il s’agit toujours d’une activité particulièrement dangereuse tant pour la santé et la sécurité des travailleurs qui interviennent sur les sites et des populations alentour qu’en ce qui concerne les risques de pollutions graves sur l’environnement.

Le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à l’examen de la Commission des Affaires étrangères autorise la ratification de la convention signée en mai 2009 à Hong Kong dans le cadre de l’Organisation maritime internationale (OMI). Ce texte entend précisément combler les insuffisances du cadre juridique international actuel et organiser « le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires ».

Avant d’en détailler le contenu, votre Rapporteur se propose de vous présenter l’état actuel de la question et les enjeux internationaux que représente aujourd'hui le démantèlement des navires.

I – PROBLÉMATIQUES DU DÉMANTELEMENT DES NAVIRES

A – L’actualité du démantèlement des navires

1) Une activité en forte expansion

Chaque année, des centaines de navires sont démantelés dans le monde entier. Pendant longtemps, quelque 500 unités en moyenne étaient détruites, mais le marché a fortement cru ces derniers temps. Selon les données disponibles (1), depuis 2009, ce sont désormais plus de mille unités qui sont envoyées chaque année à la casse, 2011 ayant battu un record avec 1020 bâtiments démolis, dont le tristement célèbre Exxon Valdez, qui, après son accident sur les côtes d’Alaska en mars 1989, avait ensuite poursuivi sa longue carrière sous divers autres noms, pavillons et latitudes. Les débuts de 2012 montrent que la tendance ne s’infirme pas puisque le rythme de démolition dans les premiers mois de l’année est de 28 bateaux par semaine contre une vingtaine en 2011, alors que le marché de la démolition avait déjà cru de + 7 % en 2011 par rapport à l’année précédente. Certaines prévisions annoncent 1200 démantèlements annuels dans un proche avenir.

Tous les types de navires commerciaux sont naturellement concernés mais ce sont les vraquiers qui constituent actuellement la catégorie la plus importante, plus du tiers, soit 334 en 2011 et 148 pour les seuls quatre premiers mois de 2012. Pour un quart du total, soit 234 unités, il s’agit de cargos de transport de marchandises divers, suivis des tankers, pour 20 % du total : 209 en 2011 et 66 entre janvier et avril 2012. Les cargos réfrigérés et les porte-conteneurs sont les catégories de bâtiments qui viennent ensuite, représentant chacune quelque 5 % des stocks détruits.

Plusieurs raisons expliquent ces quantités très importantes et cette évolution des tendances. En premier lieu, l’ancienneté et l’obsolescence des navires qui arrivent en fin de vie et doivent être retirés du service commercial ; la moyenne d’âge des bateaux démolis est d’une trentaine d’années mais, si certains sortent de la flotte beaucoup plus tard, parfois après plus de 80 ans de navigation, elle a tendance à baisser du fait de divers facteurs : un navire est en fait condamné dès que ses coûts d’entretien ou de remise en état sont considérés comme excessifs par son propriétaire.

L’évolution de la législation internationale est aussi un facteur qui contribue à l’augmentation du nombre de navires démantelés, le cas le plus net étant celui de l’interdiction des pétroliers à coque simple. C’est à la suite de l’accident de l’Exxon Valdez que les USA ont unilatéralement lancé le chantier, en imposant des limites d’âge et des échéances pour que les citernes soient doublées ou interdites de circulation dans les eaux américaines, afin de diminuer les risques de pollution résultant de collision ou d’échouement. Aux termes de l’« Oil Pollution Act », adopté en 1990, les pétroliers existants atteignant de 23 à 30 ans entre 2005 et 2015 et les neufs, lancés partir de 1996, devront avoir été mis aux normes avant 2015. Peu de temps après, en 1992, l’OMI a adopté un amendement à la convention internationale sur la prévention de la pollution par les navires, MARPOL, qui impose que tous les pétroliers d’un port en lourd égal ou supérieur à 600 tonnes TPL, livrés à partir de juillet 1996, devront être construits avec une double coque ou selon une conception équivalente. Les pétroliers à simple coque d’un port en lourd égal ou supérieur à 20 000 tonnes TPL, livrés avant juillet 1996, devront pour leur part être conformes aux exigences de la convention au plus tard à l’âge de 25 ou 30 ans, selon leurs spécificités. De son côté, l’Union européenne a également renforcé sa propre législation après plusieurs marées noires, dont celle due au naufrage de l’Erika en 1999 : préoccupée par le fait que la législation américaine n’empêcherait pas les bâtiments concernés, déjà anciens, de naviguer dans les eaux européennes, elle a en outre accéléré l’interdiction du transport de pétrole dans ses eaux territoriales dans des navires à coque simple pour réduire les risques, en adoptant un règlement pour les tankers de 5000 tonnes de port en lourd et au-delà, le transport de produits pétroliers lourds étant concerné à partir de 600 tonnes seulement. L’entrée en vigueur de cette législation s’est faite progressivement, à partir de 2003, selon l’ancienneté des navires, et depuis 2010, aucun pétrolier à simple coque livré en 1984 ou après n’est plus autorisé à battre le pavillon d’un pays de l’Union, ni à entrer dans les ports ou les terminaux en mer relevant de la juridiction de l’un de ses pays.

Compte tenu de la difficulté technique et du coût des modifications à apporter sur des unités de transport au demeurant déjà anciennes, le retrait des pétroliers à coque simple, exclus des eaux américaines et européennes et ne pouvant plus naviguer que dans d’autres régions du monde, se révèle finalement être la solution la plus simple et la moins onéreuse pour les armateurs. Cela explique pour partie l’augmentation du nombre des navires détruits ces dernières années et le maintien de cette activité à son niveau actuel : selon les données fournies par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, quelque 800 pétroliers à coque simple sont encore appelés à être retirés de la circulation dans un proche avenir pour être remplacés par des tankers aux normes.

La troisième raison tient à l’état du marché du transport maritime. On constate en effet ces dernières années que ce ne sont pas uniquement des bâtiments en fin de vie ou devant être retirés de la circulation pour cause d’évolution de la législation qui se voient démantelés, mais aussi parfois de très jeunes unités : du fait de la crise, la flotte mondiale est, depuis la fin 2008, et pour encore cinq ou dix ans au moins, en état de surcapacité, et la pénurie de marchandises à transporter conduit actuellement à la casse des dizaines de vraquiers et de porte-conteneurs d’à peine vingt ans d’âge, voire bien moins. Un des plus importants armateurs a par exemple vendu 15 porte-conteneurs dans les quatre premiers mois de 2012 dont plusieurs vieux d’une quinzaine d’années. Inversement, les volumes de navires à démanteler étaient bien plus faibles dans les années 2005-2006, compte tenu du dynamisme et de la rentabilité du marché du fret à cette époque, qui avaient aussi incité les armateurs à passer d’importantes commandes auprès des chantiers navals. Comme votre Rapporteur le montrera plus loin, il s’agit là d’aspects importants qui influent fortement sur l’économie de cette industrie ainsi que sur la nature des bâtiments démantelés qui évolue au gré du commerce international des marchandises.

Enfin, le prix de la tonne de ferraille n’est pas le moindre des facteurs qui jouent sur l’activité de démantèlement, sachant que selon l’état du navire, combiné aux besoins du marché, il a fluctué ces trois ou quatre dernières années de 200 US$ à plus de 1100 US$. Dans ces circonstances, il apparaît que l’option de la démolition est parfois plus rentable que le maintien en exploitation d’un navire, même récent. (2)

Dans l’ensemble, les navires démantelés sont des bâtiments importants et leur taille tend à augmenter. Actuellement, toutes catégories confondues, près des deux tiers mesurent plus de 150 mètres ; dans plus d’un quart des cas, la taille des navires est supérieure à 200 mètres. En 2010, 24 navires détruits mesuraient plus de 300 mètres, il s’agissait de tankers pour les deux tiers, notamment des bâtiments à double coque d’une quinzaine d’années ; 11 des navires démantelés en 2011 mesuraient également plus de 300 mètres. Les tonnages sont par conséquent considérables : ils ont ainsi représentés en 2011 quelque 8 millions de tonnes de métal recyclé ; le cumul sur les quatre premiers mois de 2012 représente déjà 3,5 millions de tonnes de métaux.

2) Une industrie aujourd'hui essentiellement asiatique

Comme d’autres secteurs, l’industrie du démantèlement des navires est essentiellement asiatique, et quelques pays trustent aujourd'hui la quasi-totalité du marché. L’Inde est de très loin le premier pays destinataire des coques à démanteler : elle en a traité 458 en 2011, soit 45 % du total mondial, devant le Bengladesh, 145, et la Chine, 142, soit 14 % chacun, le Pakistan, 108 (11 %), suivi de la Turquie, qui a démoli 72 unités, occupant 7 % du marché. Les USA étaient à la sixième position, avec 2 % du marché, soit 19 bateaux. Certaines années, les cinq premiers pays recyclent jusqu’à 97 % du tonnage total, selon les données de l’OMI. En 2012, les premières tendances sont identiques, l’Inde ayant traité 194 navires entre janvier et avril, soit 47 % du marché, suivie du Bengladesh, de la Turquie et de la Chine.

Ici aussi, plusieurs raisons expliquent cette situation de quasi monopole : l’occupation de ce créneau a permis par exemple à un pays comme le Bengladesh de développer une activité industrielle propre, en profitant de la configuration de son rivage, les fortes amplitudes de marées sur les côtes bengalies permettant l’échouage sur le haut des plages des navires de gros tonnage, de plus de 200 mètres, dont il s’est fait une spécialité avec l’Inde. Sans qu’ils aient besoin de recourir à des cales sèches, cette activité permet en outre au Bengladesh et à l’Inde de s’approvisionner en métaux ferreux et non ferreux à bon compte : leur recyclage depuis les navires démantelés permet ainsi la production, par « relaminage », de quelque 80 % de l’acier que produit le Bengladesh. Enfin, il s’agit aussi d’une industrie pourvoyeuse de nombreux emplois qui fait vivre quelque 25 000 personnes dans les chantiers de Chittagong et jusqu’à 40 000 sur les plages indiennes de la baie d’Alang, dans l’Etat du Gujarat, qui s’y consacre depuis maintenant une trentaine d’années, jusqu’à avoir réuni la plus grande concentration de chantiers de démantèlement au monde : un temps, 173 chantiers ont été actifs simultanément sur cette plage de 10 kms de long, avant que certains ne soient fermés pour des raisons de sécurité et de contamination, votre Rapporteur y reviendra. On estime en outre à 200 000 les Bengladeshis qui, dans l’environnement immédiat des chantiers, bénéficient indirectement de cette activité, notamment dans la commercialisation et le recyclage d’accessoires récupérés sur les navires : générateurs, douches, toilettes, équipements de cuisine, etc.

Les clichés reproduits ci-dessous donnent un aperçu de ces réalités.

Les chantiers de démolition de la baie d’Alang (3)

Détail du « Alang Ship Recycling Yard », Etat de Gujarat, Inde (4)

Ce type d’échouage sur les plages du littoral tel qu’il est pratiqué en Inde ou au Bengladesh, ainsi que les conditions de travail des ouvriers du secteur sont évidemment inenvisageables en Europe. Ce sont précisément les raisons pour lesquelles le démantèlement s’est délocalisé en Asie, cette activité étant absolument non rentable ailleurs et notamment en Europe, où la capacité à démanteler des navires a très fortement diminuée au cours des dernières décennies.

Indépendamment des aspects tenant à la protection de l’environnement que votre Rapporteur abordera plus loin, les contraintes sont en effet extrêmement fortes, qui rendent difficilement viable la démolition des navires en Europe. Les investissements à réaliser pour une activité sûre, à tous points de vue, et finalement très peu créatrice d’emplois pérennes, car fortement mécanisée, sont trop importants. La délocalisation des chantiers s’explique donc aisément, comme le rappelait le Livre vert de la Commission européenne (5) : « les différences de coûts salariaux ou celles liées aux exigences de protection de l'environnement et de la santé, ainsi que les revenus du recyclage et du marché de l'occasion expliquent que les exploitants d'Asie du Sud puissent proposer aux propriétaires de navires des prix nettement plus intéressants que leurs concurrents potentiels des autres pays, notamment ceux situés dans l'Union européenne (UE). » Le document précisait que « les ouvriers des sites de démolition du Bangladesh et d'Inde gagnent entre 1 et 2 USD/jour, les coûts relatifs à la sécurité des travailleurs et à la protection de la santé qui incombent à l'employeur sont négligeables, alors qu'en Europe ces coûts sont de l'ordre de 250 USD/jour et par ouvrier aux Pays-Bas et de 13 USD/jour en Bulgarie. »

Diverses raisons complémentaires expliquent la difficulté de rendre le recyclage des navires économiquement compétitif tout en respectant des normes écologiquement rationnelles : la variabilité du marché du fret, notamment, qui explique par contrecoup les forts aléas du marché de la déconstruction, mentionné plus haut ; la diversité des matériaux contenus dans les navires et le fait que certains d’entre eux sont difficilement réutilisables, matériaux composites, ou ne sont plus utilisés, voire interdits, comme l'amiante ; le traitement parfois onéreux lié au recyclage de certains matériaux ; l'absence de marché du recyclage de l'acier pour la construction et de marché de l'occasion de l'équipement nautique en Europe, à la différence des pays asiatiques, comme on l’a vu en ce qui concerne notamment le Bengladesh.

L’ensemble de ces données explique que les chantiers de démolition en Europe ont quasiment disparu, faute de pouvoir couvrir leurs coûts, alors même qu’autrefois, les bateaux étaient démontés où ils avaient été construits. Ceux qui subsistent se sont généralement concentrés sur des marchés de niche, en particulier les structures en mer, les bateaux de pêche et les bateaux de navigation intérieure.

En outre, l’activité en Europe requiert évidemment des installations industrielles de grande envergure, tant en surface qu’en équipements, supposant darses et cales sèches, grues, installations de récupération, de recyclage et de traitement, dans le cadre des infrastructures portuaires existantes. De ce fait, les possibilités sont infiniment plus rares que dans des pays dont le niveau de développement est moindre. Comme l’avaient d’ailleurs montré les travaux du Grenelle de la mer, aucun site industriel n’est par exemple disponible dans les ports français pour déconstruire les navires de taille importante, compte tenu de l’occupation des sols et de l’utilisation des infrastructures existantes, ainsi que des considérations socio-économiques et des exigences réglementaires, tant en matière de sécurité que d’environnement. En Europe, le site d’Able UK, à Hartlepool, sur la côte nord-est du Royaume-Uni, où l’ex Clemenceau a finalement été traité, est en ce sens exceptionnel : il a pu utiliser les darses des anciens chantiers navals qui lui permettent d’accueillir de très grandes coques ; il dispose notamment de la plus grande cale sèche au monde et s’est notamment spécialisé dans la déconstruction des anciennes plateformes pétrolières et gazières. Cette reconversion s’est cependant heurtée à de vives oppositions de la part des riverains réunis en associations de protection de l’environnement, compte tenu des inquiétudes relatives aux risques de fortes pollutions que cette activité induit. Toutefois, la qualité des installations et des processus de cette entreprise avait permis à l’ONG Robin des Bois après visite des lieux de conclure « le démantèlement de l’ex-Clemenceau est une opération positive et pionnière en Europe dans le domaine technique et de l’information ». (6)

Le site d’Able UK, Hartlepool, Royaume-Uni (7)

B – Une activité particulièrement polluante et dangereuse

Le démantèlement des navires en fin de vie pose de très importants et sérieux problèmes techniques, à la base de l’évolution de la réglementation internationale et en particulier à l’origine de la convention de Hong Kong. Il convient de les passer en revue.

1) La toxicité des matériaux en cause

Votre Rapporteur l’a évoqué avec l’épisode du Clemenceau, la construction des navires fait appel à des matériaux fortement contaminants et dangereux, tant pour l’homme que pour l’environnement. Si l’évolution de la réglementation européenne et internationale a conduit à prohiber l’utilisation de ces matières, amiante ou PCB, notamment, nombre des navires encore en activité en contiennent dans des proportions importantes et la phase de démantèlement reste de ce fait des plus risquée. En outre, d’autres matières qu’ils transportent, inhérentes à l’activité maritime, sont également dangereuses et polluantes et leur traitement requiert à son tour des dispositions spécifiques.

S’agissant des composants intégrés à la structure des bateaux ou de leurs équipements, il faut en premier lieu rappeler que l’amiante intervient notamment dans la composition des éléments anti-incendie, dans les chaufferies et cheminées, mais aussi dans certaines peintures ou tuyauteries. Aujourd'hui, elle est encore présente en quantité considérable dans la plupart des navires en activité, au point que, dans certains cas, des opérations de rénovation de bâtiments anciens sont parfois arrêtées, le désamiantage préalable et aujourd'hui obligatoire s’avérant trop coûteux pour que l’opération soit finalisée de manière rentable. Sujet sensible s’il en est, compte tenu de sa dangerosité, on sait par exemple que c’est précisément sur sa présence dans la coque que la controverse sur le Clémenceau a en grande partie porté et que le gouvernement français a été accusé de violer la « convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et leur élimination ». Quoiqu’il en soit, il en restait 700 tonnes à bord lorsque le chantier Able UK hérita du bâtiment.

Mis à part l’amiante, les PCB, PVC et autres gaz et liquides toxiques, tels l’ammoniac, le mercure ou le CFC et l’acide sulfurique, sont également présents en grande quantité dans les navires, notamment dans les systèmes de câblerie, de climatisation, de réfrigération. En outre, de multiples autres composantes, potentiellement dangereuses, notamment en cas d’incendie, se trouvent également de manière structurelle dans les bateaux contemporains, et peuvent de ce fait faire courir des risques graves aux ouvriers des chantiers de démolition et des dommages environnementaux lors des opérations.

En outre, de très importantes quantités de boues polluées de métaux lourds et d’hydrocarbures sont présentes dans les cales des navires, à raison de milliers de m3 par unité, qui sont susceptibles, par écoulement, de contaminer directement l’environnement immédiat des sites de dépeçage. Il en est enfin de même des eaux de ballast, pour la gestion desquelles une convention internationale a été conclue en 2004 (8).

Au total, le Livre vert de la Commission européenne avait indiqué en 2007 que pour les navires qui seront démolis d’ici à 2015, on estimait à 5,5 millions de tonnes par an le volume des substances potentiellement nuisibles pour l’environnement, notamment boues d’hydrocarbures (entre 400 000 et 1,3 million de tonnes), huiles, peintures, PVC et amiante (entre 6000 et 20 000 tonnes). On conviendra qu’il n’est pas surprenant que les navires en fin de vie soient considérés comme constituant l’un des principaux flux de déchets dangereux entre pays industrialisés et pays en développement.

2) La réalité des risques

Pour toutes ces raisons, la logique voudrait que l’activité de démantèlement des navires réponde à des normes strictes qui prennent en compte l’ensemble de ces données et de ces risques. A tout le moins, elle devrait respecter certains principes tels que la collecte préalable des liquides pollués, notamment des hydrocarbures, et leur retraitement et stockage dans des conditions adéquates ; l’imperméabilisation des sols sur lesquels s’effectuent l’ensemble des opérations ; le tri des différents matériaux toxiques devrait être prévu et des filières de recyclage organisées ; les chantiers devraient être équipés d’engins de levage et de matériel de protection, et sécurisés, par ventilation notamment, afin que les risques d’incendie, explosion ou asphyxie des ouvriers, soient strictement réduits.

La réalité est à l’heure actuelle loin de ces exigences, et les risques sont tels que ces activités sont considérées par le BIT comme parmi les plus dangereuses au monde. Les pays concernés en sont d’ailleurs conscients. Le Livre vert de la Commission européenne rappelait ainsi que, selon un récent rapport indien, à Alang, un ouvrier sur six souffrait d'asbestose, et que le taux d'accidents mortels y serait six fois plus élevé que dans l'industrie minière indienne ; l’Etat de Gujarat indiquait plus de 370 décès par accidents entre 1983 et 2004, cependant qu’au Bengladesh, plus 200 ouvriers du secteur de la déconstruction ont officiellement trouvé la mort entre 1998 et 2003. Pour leur part, les ONG, la FIDH notamment, chiffrent les décès par accidents du travail à plusieurs milliers. Les perspectives étaient en outre à l’aggravation probable de ces données, compte tenu de l’augmentation prévisible de l’activité, dont votre Rapporteur a montré la réalité encore aujourd'hui, et des besoins consécutifs de recrutement de nouveaux ouvriers inexpérimentés pour faire face au pic de démolition des navires à simple coque au cours des prochaines années. Toujours selon le Livre vert, la main-d’œuvre employée sur ces chantiers travaille sans contrat et n’a aucun droit social ni syndical, est généralement originaire des régions les plus pauvres des pays concernés ou immigrée, et comporte même une part non négligeable d’enfants, pour les tâches les plus légères. Selon l’OIT, qui s’est également attachée à recenser l’ensemble des risques encourus (9), de nombreux sous-traitants interviennent, ainsi que des travailleurs saisonniers, autant d’éléments qui renforcent les difficultés de leur protection.

Ce sont précisément les accidents du travail qui ont conduit au cours de l’an dernier le Bengladesh à interrompre pendant quelques temps les activités de ses chantiers de Chittagong et à suspendre les autorisations d’échouage. La Haute Cour de justice est intervenue pour autoriser de nouveau provisoirement les échouages en attendant la mise en place d’une réglementation plus stricte qui garantisse la sécurité des ouvriers des chantiers et atténue les impacts sur l'environnement. Le ministère de l’industrie a dû redéfinir les règles de démantèlement et de recyclage. Ce n’est qu’à la fin de janvier 2012 que la Haute Cour a donné son agrément final après avoir refusé une première version, jugée insuffisamment protectrice pour les travailleurs (10). Les règles finalement édictées par le gouvernement s’appuient notamment sur les dispositions de la convention de Hong Kong et un institut, supervisé par des conseillers norvégiens, assurera la formation des ouvriers des chantiers. Dans le même ordre d'idées, on peut relever que diverses coopérations bilatérales ont été entreprises dans le même but. Entre le Canada et l’Inde, entre les USA et le Bengladesh, voire entre la France et l’Inde, autour de l’opération du Clemenceau. La Chine a de même un programme de recyclage « propre », « Clean Recycling Ships in China » et a signé un protocole d’accord avec l’Allemagne pour travailler en commun à la recherche dans ce domaine, mener à bien des projets pilote et des activités de formation des personnels, cependant que la Cour suprême d’Inde a désormais interdit que plus de deux bateaux soient simultanément traités par chantier. Cette haute instance avait aussi longtemps hésité avant de donner son feu vert au démantèlement du Blue Lady, ex Norway, ex France, autre ancien fleuron de la marine française, échoué sur la plage d’Alang à l’été 2006 après avoir été refusé par le Bengladesh, pour n’être pas non plus désamianté et présenter trop de risques. Ce n’est que parce que son état interdisait qu’il reprenne la mer que l’autorisation de démolition fut enfin accordée.

Si ces pays prennent par conséquent des initiatives opportunes depuis quelques années en faveur d’un recyclage écologique sûr, de nombreuses étapes restent encore à franchir avant que les intentions deviennent réalités, ne serait-ce que parce les pays qui ont interdit l’amiante sont encore peu nombreux. Selon l’Association internationale de la sécurité sociale (11), en 2006, seuls 39 pays en avaient prohibé totalement l’usage. L’Inde, la Chine, le Bengladesh, le Pakistan n’en font pas partie, pour ne mentionner que les principaux pays actifs sur le créneau du démantèlement. Des technologies innovantes et moins polluantes sont certes de plus en plus utilisées dans la construction des navires de commerce, des produits ont été interdits au niveau mondial comme les PCB, certains gaz et autres composants de peinture, mais le cadre juridique reste insuffisant et a précisément justifié l’adoption de la convention de Hong Kong.

En termes écologiques, les dommages sur l’environnement des zones de démantèlement sont tout aussi considérables, les sites ne disposant d’aucun dispositif d’isolement pour éviter la contamination des sols et des eaux par les substances toxiques. Il en résulte une pollution majeure des zones côtières et des plages ainsi que des dommages considérables pour les écosystèmes concernés, alors qu’il y a encore trois décennies, la région d’Alang était une côte sauvage. Le degré de contamination sur l’environnement est d’autant plus fort que les navires qui viennent s’échouer d’eux-mêmes sur les plages sont actifs : navigables, ils ne font par conséquent pas l’objet de mesures de dépollution préalable, notamment en ce qui concerne le calorifugeage à l’amiante des chaudières, ou l’élimination de tout type de matériels toxiques, PCB et autres. Il pourrait en aller différemment des bâtiments désarmés avant leur destruction qui arrivent sur les sites de démantèlement par remorquage. En pratique il n’en est rien, et il apparaît que les opérations de dépollution préalable sont encore rarissimes.

C – L’insuffisance du cadre juridique actuel

A ce jour, il n’existe pas de règlementation internationale qui régisse la déconstruction des navires en fin de vie et, en matière de droit maritime, les textes qui tentent de réduire les causes de pollution maritime ne font qu’effleurer le sujet.

1) Les accords internationaux relatifs à la pollution maritime

C’est le cas de la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique nord-est, OSPAR, entrée en vigueur en mars 1998, qui a interdit l’immersion de tout navire ou aéronef à partir du 1er janvier 2005, lesquels sont considérés comme des déchets. La convention de Barcelone a fait de même concernant la Méditerranée. Auparavant, et plus généralement, la convention de Londres et son protocole de 1996, avaient également exclu par principe l’immersion des « navires et plates-formes ou autres ouvrages artificiels en mer ».

Un certain nombre d’autres instruments juridiques sont également concernés. Ainsi, la convention de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, MARPOL, qui porte sur les risques induits par l’exploitation des navires de commerce. Lorsque la question du retrait du service des pétroliers à coque simple a été en débat, le Comité de la protection du milieu marin, CPMM, de l’OMI, a proposé par résolution aux Etats parties de prendre des initiatives pour développer la capacité de démolition des navires à l'échelle mondiale, encourager des programmes de recherche et de développement et assurer une assistance aux pays en développement souhaitant intervenir sur ce créneau. Les Etats membres étaient invités à prendre des initiatives à cette fin sans que cela ait cependant eu un réel effet.

2) La convention de Bâle

La convention de Bâle « sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination » a été adoptée le 22 mars 1989, pour éviter les exportations de déchets industriels depuis les pays producteurs vers les pays en développement ne disposant pas de capacité de gestion de tels déchets. Entrée en vigueur le 5 mai 1992, elle repose sur plusieurs principes parmi lesquels, dans la mesure du possible, le fait que les déchets dangereux devraient être éliminés dans l'Etat où ils ont été produits, que les mouvements transfrontaliers de tels déchets ne devraient être autorisés que lorsqu'ils sont réalisés dans des conditions ne présentant aucun danger pour la santé humaine et l'environnement. Elle insiste sur l’opportunité de s’engager vers une gestion écologiquement rationnelle et efficace des déchets dangereux, encouragée par un contrôle accru, et organise un mécanisme d’obligations et de devoirs entre Etats. En conséquence, aux termes des principales dispositions de la convention, l’exportation de déchets dangereux ne peut notamment se faire qu’après accord écrit de l’Etat importateur, le pays exportateur devant informer les pays de transit et de destination sur la nature, l’origine et les lieux de traitement des déchets concernés. Des obligations de contrôle strict sont instituées. Une tentative de renforcement de la convention est intervenue en 1995 avec l’adoption d’un amendement interdisant le transfert de déchets dangereux depuis un pays membre de l’OCDE vers un pays non membre, pour restreindre considérablement le périmètre d’exportation possible, mais faute de ratification par un nombre suffisant d’Etats, elle n’est pas entrée en vigueur.

La réglementation européenne - Règlement communautaire n° 1013/2006 - en a toutefois repris le contenu. En conséquence, le transfert de déchets pour valorisation peut s’effectuer vers les Etats membres de l’UE, de l’AELE et de l’OCDE. En revanche, les transferts pour élimination des déchets ne peuvent être entrepris que vers les Etats membres de l’UE ou de l’AELE, ce qui rend impossible ces mouvements vers les Etats non membres de l’OCDE mais aussi vers les Etats de l’OCDE qui ne sont membres ni de l’UE ni de l’AELE.

La convention de Bâle n’a pas été élaborée pour le recyclage des navires. Néanmoins, comme l’étude d’impact le rappelle, des décisions prises ultérieurement par la conférence des Etats parties ont considéré que, dès lors qu’un propriétaire de navire avait l’intention de s’en défaire, celui-ci pouvait être considéré comme un déchet et son exportation devait en conséquence s’effectuer dans le respect des dispositions de la convention. Ce qu’un règlement du Parlement et du Conseil européen a confirmé en juin 2006. En conséquence, depuis lors, toute exportation de navire aux fins de démantèlement doit s’effectuer dans le respect de ses dispositions.

Pour louable qu’elle soit, cette extension a toutefois rapidement montré ses limites. Pour plusieurs raisons, en premier lieu des difficultés proprement juridiques, portant sur le statut des navires et la qualification de déchet - un navire en fin de vie mais suffisamment en état de naviguer pour venir s’échouer de lui-même sur une plage doit-il, et peut-il, être considéré comme tel ? - controverses pour lesquelles des solutions ont été trouvées par les Parties à la convention. En outre, le démantèlement d’un navire est une opération complexe qui peut à la fois comporter des aspects de valorisation, des métaux de la structure, par exemple, comme d’élimination, de l’amiante et des produits toxiques notamment, rendant difficile la qualification précise. Le rapport de Pierre Cardo, chargé en 2009 d’une mission par le Premier ministre dans le cadre du Grenelle de la mer, résumait ces questions en soulignant : « Les prescriptions de la Convention de Bâle peuvent s’avérer difficile à appliquer aux navires en fin de vie. D’une part la compatibilité des notions d’Etat d’importation et d’exportation avec la réalité du monde maritime est discutable. En effet, comment savoir qui doit être considéré comme Etat d’exportation : l’Etat du dernier port, l’Etat du propriétaire du navire, l’Etat du pavillon ? A cette question complexe s’ajoute celle de la détermination du statut du navire. En effet, la plupart des cas observés montre que, bien que le navire soit dans un très mauvais état, les autorités maritimes et environnementales ne sont pas en mesure d’établir si le propriétaire du navire à l’intention d’abandonner son navire. Bien souvent, cette incertitude ne permet pas de qualifier le navire de déchet et par conséquent d’appliquer le règlement européen. Comment classer ces navires en déchets alors que ces mêmes navires disposent de titres internationaux en règle et font le nécessaire pour s’acquitter des prescriptions émises dans le cadre d’un contrôle par l’Etat du port ? En conséquence, lorsque des navires disparaissent définitivement du trafic mondial à la suite d’une détention, se pose la question de la responsabilité de l’Etat ayant autorisé le navire à repartir. » (12)

A ces aspects s’ajoutent enfin, voire surtout, les possibilités pratiques de contournement des obligations qui ont révélé l’inadaptation de la convention de Bâle à la problématique du démantèlement. Ainsi que le souligne l’étude d’impact, « En premier lieu, il est difficile de garantir le respect de cette règlementation aux navires qui ne se trouvent pas dans les eaux de l’UE. En second lieu, elle est souvent détournée par la pratique du dépavillonnement. En troisième lieu, la preuve de l’intention du propriétaire d’un navire de se défaire de son bien est difficile à rapporter. Enfin, il est difficile d’appliquer à l’exportation d’un navire aux fins de son démantèlement les notions propres à la Convention de Bâle transposée par le règlement européen n° 1013/2006, à savoir les Etats d’exportation, d’importation et de transit, dans la mesure où le navire, bien mobile, se joue facilement de ces notions. »

A cet égard, comme le soulignait récemment l’argumentaire d’une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au recyclage des navires, sur lequel votre Rapporteur reviendra, « Si la décision est prise alors que le navire se trouve dans les eaux internationales ou dans des eaux relevant de la juridiction du pays où aura lieu le recyclage, il est très difficile, voire impossible, de faire appliquer les dispositions du règlement concernant les transferts de déchets. En outre, lorsque les navires marchands quittent les eaux et les ports de l'Union, leurs propriétaires cherchent généralement à rentabiliser au mieux leur dernier voyage en livrant des marchandises en Asie avant le démantèlement. Si le propriétaire ne déclare pas son intention de démanteler le navire avant que ce dernier ne quitte un port de l'UE, les autorités compétentes ne sont généralement pas en mesure d'intervenir. Le règlement concernant les transferts de déchets définit les droits et les obligations du pays exportateur, du pays importateur et, le cas échéant, des pays de transit. Toutefois, les États du port ne sont pas nécessairement informés de l'intention du propriétaire de recycler un navire. Enfin, il n'est pas rare qu'un propriétaire vende un navire à un autre opérateur en prétextant que ce navire poursuivra ses activités, alors que cet opérateur va en fait le transférer vers une installation de démantèlement. Pour faire appliquer la législation en vigueur, et notamment l'interdiction frappant l'exportation des navires en fin de vie hors de l'OCDE, il faudrait que les États membres déploient des efforts disproportionnés compte tenu de l'absence de capacités de recyclage suffisantes dans l'OCDE et de la possibilité légale pour un navire de changer d'État d'immatriculation (" État du pavillon "). »

C’est pour ces multiples raisons, que les Etats ont décidé de mettre au point un instrument juridiquement contraignant, élaboré dans le cadre de l’Organisation maritime internationale. La convention de Hong Kong vient par conséquent combler un vide juridique important et ouvre de tout autres perspectives pour une évolution des pratiques internationales, sans pour autant que l’ensemble des problèmes doive être considéré comme résolu.

II – LA CONVENTION DE HONG KONG

A – Le cheminement vers l’adoption du texte

Les préoccupations de la communauté internationale relatives à la pollution maritime et, spécifiquement, à celle due au démantèlement des navires sont donc anciennes. Elles se sont manifestées dans diverses instances internationales, comme en témoignent les travaux de la Commission européenne ou ceux de la conférence des Etats parties à la convention de Bâle que votre Rapporteur a évoqués, et plusieurs étapes ont été franchies ces dernières années avant que la conférence de Hong Kong soit finalement réunie en 2009.

Il convient de noter que ce ne sont pas seulement les questions environnementales qui ont été en cause. Ainsi l’Organisation internationale du travail, OIT, s’est penchée dès la fin des années 1990 sur la condition des ouvriers des chantiers de démolition en pays asiatiques, sur les risques qu’ils courent, tant en termes d’accidents du travail que de maladies professionnelles du fait de leur exposition continuelle aux produits toxiques contenus dans les épaves. Une réunion internationale tripartite fut organisée en 1999 sur l'impact de la mondialisation dans le domaine social et du travail dans le secteur de la fabrication du matériel de transport, de nombreux travaux ont été menés sur le sujet, qui se sont notamment traduits par la publication en 2003 des « Principes directeurs pour les pays d’Asie et la Turquie : sécurité et santé dans le secteur de la démolition de navires », afin de « protéger les travailleurs occupés à la démolition de navires contre les dangers inhérents à cette activité » et « favoriser et améliorer la gestion des questions de sécurité et de santé sur le lieu de travail et ses environs. » Les lignes directrices adoptées par l’OIT tendent à orienter les Etats concernés à améliorer les cadres juridiques des activités de démantèlement, à inciter les employeurs de ce secteur à améliorer les conditions de travail sur les sites, à renforcer les droits et obligations des employés. La sécurisation des chantiers est tout particulièrement un aspect sur lequel ces principes directeurs insistent à tous les stades des opérations. Votre Rapporteur soulignera l’intérêt concret de ces directives en rappelant que ce sont précisément sur ces aspects que les chantiers de Chittagong ont été fermés plusieurs semaines l’an dernier, suite au trop grand nombre d’accidents survenus au cours du premier semestre.

L’importance de cet aspect et sa prise en compte ont donné son caractère spécifique à la convention de Hong Kong qui n’aborde pas uniquement la question du démantèlement des navires sous l’angle environnemental, mais aussi sous celui de la sécurité des travailleurs.

Le rôle confié à l’Organisation maritime internationale a été essentiel dans le cheminement vers la convention de Hong Kong. Il faut rappeler que l’OMI avait également été chargée de définir des directives spécifiques relatives au démantèlement des navires, qu’elle a adoptées en 2003. Ces directives abordaient notamment la question de l’inventaire des matières dangereuses sur les bateaux, neufs et existants, formulaient des recommandations pour la préparation des navires à démanteler, afin que les risques en matière de sécurité, de santé et de pollution de l’environnement soient diminués. Mentions étaient également faites des conventions de Londres et de Bâle, du rôle de l’OIT, les directives s’inscrivant ainsi clairement dans la réflexion concordante menée par diverses instances sur une même problématique.

Cela étant, ces textes ne présentaient pas de caractère contraignant pour les Etats Parties et une étape nouvelle s’est imposée, confiée au secrétariat de l’OMI par son Assemblée générale en novembre 2007, qui devait se concrétiser par l’élaboration d’un instrument juridique contraignant, pour assurer un recyclage des navires à la fois sûr pour les travailleurs et écologiquement rationnel, formulation qui reprend celle déjà présente dans d’autres textes, la convention de Bâle notamment.

B – Le dispositif de la convention de Hong Kong

1) Un instrument juridique ambitieux

Le dispositif de la convention de Hong Kong est articulé en deux parties distinctes. Le dispositif proprement dit, composé de 21 articles, complété d’une annexe de 25 règles et de 6 appendices.

a. Les articles de la convention

Se basant sur le principe de précaution énoncée dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, sur la nécessaire promotion du développement durable et préoccupées par les questions de sécurité et de santé au travail dans le secteur du recyclage des navires, les Parties signataires se déclarent « Résolues à remédier efficacement, dans un instrument ayant force obligatoire, aux risques pour l’environnement et pour la sécurité et la santé au travail qui sont liés au recyclage des navires, tout en prenant en considération les caractéristiques particulières du transport par mer et la nécessité de garantir le bon déroulement du retrait des navires qui ont atteint la fin de leur vie opérationnelle ».

En conséquence, elles s’engagent à donner plein et entier effet aux dispositions de la convention afin « de prévenir, de limiter, de réduire au minimum et, dans la mesure où cela est possible dans la pratique, d’éliminer les accidents, lésions corporelles et autres effets dommageables du recyclage des navires sur la santé de l’homme et sur l’environnement et de renforcer la sécurité des navires, la protection de la santé de l’homme et de l’environnement pendant toute la vie opérationnelle d’un navire. » Cet article 1er de la convention précise en outre, parmi les autres obligations générales, la coopération entre les Parties pour la mise en œuvre effective de la convention.

Après les définitions d’usage, énumérées à l’article 2, le texte précise, dans son article 3, le champ d’application de la convention qui s’applique, sauf disposition contraire, « .1 aux navires autorisés à battre le pavillon d’une Partie ou exploités sous son autorité ; .2 aux installations de recyclage des navires dont l’exploitation relève de la juridiction d’une Partie. » S’agissant des navires, sont toutefois exclus un certain nombre de bâtiments : les navires de guerre, les navires de guerre auxiliaires et autres navires appartenant à une Partie ou exploités par elle et destinés à un service public non commercial, ainsi que les navires d’une jauge brute inférieure à 500 tonneaux ou exclusivement exploités toute leur vie dans les eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction de l’Etat du pavillon. Toutefois, les navires non concernés doivent cependant agir « d’une manière compatible avec la présente Convention pour autant que cela soit raisonnable et possible dans la pratique ».

Un très long dispositif, constitué des articles 4 à 9 de la convention, organise ensuite les mécanismes précis de contrôle du recyclage.

Selon l’article 4, il est tout d'abord de la responsabilité de chaque Etat Partie d’exiger des navires battant son pavillon ou navigant sous sa responsabilité, ainsi que des installations de recyclage relevant de sa juridiction, de respecter les prescriptions énoncées dans la convention et de prendre les mesures effectives pour en garantir le respect. De même, aux termes de l’article 5, chaque Etat Partie doit-elle veiller à ce que ces navires soient soumis à des visites et obtiennent les certificats prévus à l’annexe, sur lesquels votre Rapporteur reviendra. Un même principe s’applique aux installations de recyclage, pour lesquelles chaque Etat Partie doit également veiller à ce qu’elles obtiennent les autorisations prescrites en annexe de la convention ; c’est l’objet de l’article 6. L’article 7 prévoit l’échange d’informations à ce sujet, de la part de l’Etat Partie envers l’OMI et les autres Etats Parties qui lui en feraient la demande.

Dans le même esprit, l’article 12 organise la communication de renseignements de la part des Etats membres à l’OMI, qui les diffuse, au sujet des installations de recyclage autorisées dans sa juridiction, des autorités compétentes sur les aspects de la convention, des organismes et inspecteurs désignés pour intervenir sur les questions de recyclage, sur les infractions prévues, ainsi que sur les mesures prises à l’encontre des navires et des installations de recyclage relevant de la juridiction de cette Partie. S’agissant des navires, les Etats communiquent également chaque année à l’OMI la liste de ceux battant pavillon pour lesquels le « certificat international attestant que le navire est prêt pour le recyclage a été délivré, y compris le nom de la compagnie de recyclage et l’emplacement de l’installation de recyclage des navires qui sont indiqués sur ce certificat », ainsi que la liste des navires recyclés sur le territoire relevant de leur juridiction. Il faut signaler ici que selon l’article 13, les Etats Parties s’engagent à une assistance et une coopération, en termes de formation de personnel, de techniques, de recherche et de développement, notamment, aux fins de bonne exécution de la convention.

L’article 8 est essentiel en qu’il institue des mécanismes d’inspection des navires et prévoit tout d'abord qu’« Un navire auquel s’applique la présente Convention peut, dans tout port ou terminal au large d’une autre Partie, être inspecté par des agents dûment autorisés par cette Partie aux fins de déterminer s’il satisfait à la présente Convention ». Cette inspection se limite dans un premier temps « à vérifier qu’il y a à bord un certificat international en cours de validité attestant que le navire possède un Inventaire des matières potentiellement dangereuses ou bien un certificat international en cours de validité attestant que le navire est prêt pour le recyclage, auquel cas ces certificats doivent être acceptés ». En revanche, dans l’hypothèse où le navire ne possède pas de certificat en cours de validité ou s’il existe de sérieux doutes – « de bonnes raisons » - qu’il y a discordance entre le certificat d’inventaire et la réalité du bâtiment, ou encore que les procédures de mise à jour de l’inventaire ne sont pas mises en œuvre, « une inspection approfondie peut être effectuée compte tenu des directives élaborées par l’Organisation. »

Les articles 9 et 10 traitent des infractions à la convention. Le premier établit la coopération entre Etats Parties sur la recherche des infractions et la mise en œuvre de la convention. La collaboration d’une Partie peut être demandée pour l’inspection d’un navire sur lequel « il y a suffisamment de preuves qu’un navire est exploité, a été exploité ou est sur le point d’être exploité en violation d’une disposition de la présente Convention. » Le rapport rendu au terme de cette inspection est diffusé « afin que chacune [des Parties] puisse prendre les mesures qu’elle juge appropriées ». S’il y a effectivement infraction, « la Partie qui procède à l’inspection peut prendre des dispositions pour mettre en garde le navire, le retenir, ordonner son départ ou l’exclure de ses ports. » Toutes choses égales, les mêmes principes s’appliquent vis-à-vis des installations de recyclage de navires soupçonnées d’être exploitées en violation des stipulations de la convention.

L’article 10 pose les principes que doivent respecter les Etats Parties en matière de sanctions aux infractions que leur législation doit prévoir pour les navires qui relèvent de leur juridiction quel que soit le lieu où l’infraction est commise. Une administration nationale est tenue de diligenter une enquête si elle est informée d’une infraction par un autre Etat Partie et engager le cas échéant les poursuites correspondantes. Il en est de même, tant sur les principes que sur les mécanismes, s’agissant des installations de recyclage. Enfin, le dernier alinéa stipule que « Les sanctions prévues par la législation d’une Partie en application du présent article doivent être, par leur rigueur, de nature à décourager les infractions à la présente Convention où qu’elles puissent être commises. »

L’article 11 rappelle aux Etats Parties qu’il importe d’éviter « dans toute la mesure du possible » qu’un navire soit indûment retenu ou retardé par suite de l’application des articles 8, 9 et 10, ce qui lui ouvrirait, le cas échéant, droit à réparation pour pertes ou dommages subis.

Classiquement, les derniers articles portent sur les modalités de règlement des différends entre Etats Parties, (article 14), sur les modalités de signature, ratification, acceptation, approbation et adhésion (article 16), ou encore sur les règles relatives aux amendements, article 18, aux dénonciations (article 19). Ces points n’appellent pas de commentaires particuliers de la part de votre Rapporteur. Classiquement aussi, la convention est déposée auprès du secrétariat général de l’OMI, article 20.

Enfin, comme le précise son article 17, la convention entrera en vigueur 24 mois après que 15 Etats au moins, dont les flottes marchandes représentent au moins 40 % de la flotte mondiale de commerce et dont les propres capacités de recyclage s’élèvent au moins à 3 % de leurs flottes l’auront ratifiée. Votre Rapporteur reviendra plus loin sur les conséquences de cette disposition.

b. Les règles figurant à l’annexe

25 « règles relatives au recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires » sont ensuite établies dans l’annexe de la convention pour fixer les aspects pratiques et concrets de son application par les Etats Parties.

Cet ensemble explicite très précisément l’ensemble des concepts, mécanismes et procédures prévus à la convention. Ainsi, quatre règles sont établies relatives à la conception, à la construction, à l’exploitation et à l’entretien des navires, aux termes desquelles les obligations des Parties en matière de réglementation des matières potentiellement dangereuses à bord des navires sont précisées. L’inventaire de ces matières, qui doit obligatoirement être à bord de chaque navire, est également détaillé et fait l’objet de la règle n° 5. Ces premières règles sont complétées par des appendices figurant également en annexe dont le premier précise par exemple la réglementation des matières potentiellement dangereuses et les mesures de contrôle qui doivent être établies. Deux règles détaillent ensuite les « préparatifs en vue du recyclage des navires », que les Etats Parties doivent suivre ; le plan de recyclage qui doit être appliqué est notamment indiqué. Les modalités de visites et de délivrance des certificats font ensuite l’objet de cinq règles différentes.

A l’instar du corpus de la convention, les procédures que les Etats Parties doivent suivre en ce qui concerne les installations de démantèlement sont également détaillées dans une série de règles finales. Elles portent respectivement sur la réglementation relative aux installations, sur les autorisations qui leur sont délivrées ainsi que sur le plan relatif au démantèlement, qui doit définir et prévoir les systèmes et politiques de l’entreprise permettant une activité sûre et écologiquement rationnelle. Plusieurs règles portent sur la prévention des effets nocifs pour la santé et l’environnement, sur la gestion des matières dangereuses, sur la gestion des situations d’urgence, la sécurité et la formation des travailleurs et les mesures de protection dont ils doivent bénéficier sur les chantiers.

Les derniers appendices, enfin, proposent des modèles de certificat international, incluant l’ensemble des informations et visas que ces documents doivent contenir et recueillir, que ce soit en ce qui concerne les matières potentiellement dangereuses ou la phase de recyclage, s’agissant des navires, ou des autorisations, des notifications et avis d’achèvement des opérations, s’agissant des installations de recyclage.

2) Les apports de la convention de Hong Kong par rapport à la convention de Bâle.

C’est à l’aune de la convention de Bâle que, selon votre Rapporteur, il convient de mesurer les innovations qu’introduit la convention de Hong Kong, dès lors qu’elle a précisément été élaborée pour en surmonter les insuffisances. Il est donc essentiel de relever les principales différences entre les deux instruments.

En premier lieu, le champ d’application de la convention de Hong Kong, consacrée au démantèlement des navires, est plus large que celui de la convention de Bâle, qui ne s’y intéresse qu’indirectement, lorsqu’un navire d’un Etat Partie (13) est considéré comme déchet, en d’autres termes, lorsqu’il est en fin de vie. Dans cet ordre d’idées, on relève en revanche que la convention de Hong Kong concerne tous les navires de commerce, de 500 tonneaux ou plus, qu’ils battent pavillon d’un Etat Partie, ou bien d’un Etat non Partie qui fait escale dans un port d’un Etat Partie. Surtout, la convention de Hong Kong traite des navires tout au long de leur vie, de la conception au recyclage en passant par leur exploitation et leur entretien.

Concernant les problématiques environnementales, la convention de Hong Kong se révèle logiquement bien plus protectrice que ne l’est la convention de Bâle qui, comme votre Rapporteur l’a indiqué, ne contient pas de disposition particulière aux navires. En revanche, sous l’empire de la convention de Hong Kong, chaque navire disposera d’un certificat international, régulièrement actualisé, sur l’inventaire des matériaux dangereux qui se trouvent à son bord. En outre, aux différentes étapes de sa vie, le navire sera soumis à de nombreux contrôles : ce sera tout d’abord le cas à sa mise en service ou avant délivrance du certificat international d’inventaire des matériaux dangereux ; l’Etat du pavillon effectuera des contrôles réguliers, de même que l’Etat du port ; des contrôles additionnels pourront être effectués à la demande de l’armateur après réparation substantielle du bâtiment ou remplacement ; ce sera enfin le cas entre la fin de l’exploitation commerciale et le début du recyclage.

Indépendamment des navires, la convention de Hong Kong prévoit que les infrastructures de démantèlement sont également l’objet de contrôles réguliers. En premier lieu, elles doivent avoir été accréditées par les Etats Parties pour une durée de 5 ans, renouvelables ; seules les installations accréditées sont habilitées à recycler les navires d’un Etat Partie qui ne peuvent être démantelés sur d’autres sites. Les installations agréées établissent des plans de gestion, qui doivent être approuvés, ainsi que des plans de démantèlement pour chaque navire, lesquels sont établis sur la base des informations techniques fournies par l’armateur. Ce sont les services compétents de l’Etat du pavillon qui déclarent le navire prêt pour le recyclage.

En troisième lieu, la dimension sociale est fortement présente dans la convention de Hong Kong, alors qu’aucune disposition sur la protection des travailleurs n’apparaît dans la convention de Bâle. Le Certificat international sur l’inventaire des matériaux dangereux qui est établi par l’armateur lors de la construction du navire et doit être régulièrement actualisé, ainsi que le plan de gestion des installations de recyclage, définissent les procédures à suivre sans risque pour la santé et la sécurité des travailleurs et celles des populations alentour.

Comme votre Rapporteur l’a montré, les possibilités de contournement des obligations découlant de la convention de Bâle sont relativement faciles, dans la mesure où un propriétaire peut sans problème immatriculer un navire dans un Etat non Partie avant de le céder pour qu’il soit recyclé. A l’inverse, l’ensemble des contrôles prévus par la convention de Hong Kong au long de l’exploitation des navires, par l’Etat du pavillon ou l’Etat du port, quant à l’inventaire des matières dangereuses qu’ils recèlent, restreignent considérablement les possibilités. En outre, les sanctions prévues sont importantes et on peut qualifier de dissuasifs les mécanismes mis en place dans le cadre de la convention de Hong Kong, tant vis-à-vis des chantiers de recyclage que des armateurs.

Cela étant, pour intéressante qu’elle soit, compte tenu des règles prévues pour sa mise en application, la convention de Hong Kong est encore loin de pouvoir être appliquée.

C – Et demain ? : Un texte qui risque de tarder à entrer en vigueur

1) La prise en compte des préoccupations exprimées lors de la conférence de Hong Kong

Votre Rapporteur a indiqué plus haut les exigences de l’article 17 et, sans pessimisme exagéré, on ne peut que convenir que la sécurisation des chantiers et le démantèlement écologiquement rationnel pourraient rester encore longtemps à l’état de sujets de préoccupation.

En effet, il n’est pas inutile de rappeler en premier lieu que, à ce jour, aucun des Etats ayant participé à la conférence de Hong Kong en mai 2009 n’a ratifié l’accord, la France ambitionne d’être la première, comme elle avait été la première en 2010, à le signer. A ce jour, seuls quatre Etats l’ont imitée : l’Italie, les Pays-Bas, Saint-Christophe-et-Niévès et la Turquie. En outre, comme on l’a également vu, la capacité de démantèlement d’une région comme l’UE est aujourd'hui quasiment inexistante et essentiellement limitée aux petits navires, aux navires militaires, ainsi qu’aux navires abandonnés et saisis, comme c’est le cas pour la France ou le Danemark, seul le Royaume-Uni ayant réellement conservé des capacités importantes, avec le chantier d’Hartlepool. Comme on le sait, il sera difficile aux industriels européens d’être compétitifs sur le marché de démantèlement des grands navires marchands, objet de la convention de Hong Kong. En d'autres termes, quand bien même les Etats membres de l’UE ratifieraient rapidement la convention de Hong Kong, il n’est pas certain que cela serait suffisant, d’autant que beaucoup de navires de leurs flottes respectives battent en fait pavillon d’Etats non membres. On peut à cet égard rappeler l’importance de la flotte du Liberia, dont le tiers est composé de navires allemands et pour un cinquième, de navires grecs. Il en est de même des bateaux battant pavillon du Panamá, de très loin le premier pavillon d’immatriculation au monde.

La conférence de Hong Kong qui a adopté la convention était elle-même consciente du risque de retard, et elle a invité les Etats Parties à promouvoir sans attendre les principes de la convention, notamment en matière d’assistance technique et de coopération (résolution 3 de la conférence) et d’application anticipée et volontariste des normes techniques posées dans le texte (résolution 5). Elle a aussi invité l’OMI à élaborer d’urgence les directives pertinentes, dont certaines ont d'ores et déjà été adoptées : directives pour l'établissement de l'Inventaire des matières potentiellement dangereuses, en juillet 2009 ; directives pour l'établissement du plan de recyclage du navire, en juillet 2011 ; directives relatives aux visites et à la délivrance des certificats ; directives pour l'inspection des navires ; les directives pour l'octroi d'une autorisation aux installations de recyclage des navires, et celles pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires, sont prévues pour 2012.

Depuis lors, selon les indications qui ont été communiquées à votre Rapporteur, les principaux Etats recycleurs - Inde, Bangladesh, Pakistan, Chine, Turquie -, se sont effectivement inscrits dans une démarche d’application volontaire de la convention. Avec le soutien de l’OMI, plusieurs ateliers régionaux ont été organisés. Grâce à un jugement de sa Cour suprême, comme on l’a vu plus haut, l’Inde installe aussi progressivement les conditions pour une pleine application de la convention. De son côté, la Chine dispose désormais de plusieurs installations conformes à la convention et l’ensemble devrait être aux normes d’ici à 2015. En mai dernier, elle a organisé un séminaire, auquel ont participé la Commission européenne et certains Etats membres de l’Union, dont la France, qui a permis de présenter l’évolution de la réglementation chinoise en matière de démantèlement des navires et de visiter des chantiers pilote.

En mai 2010, l'administration maritime thaïlandaise et le Secrétariat général de l'OMI avaient organisé un atelier régional sur l'application rapide des normes techniques de la convention. Des fonctionnaires des administrations des cinq principaux Etats actifs sur le secteur du recyclage, des associations de recyclage de navires de ces mêmes pays, des associations d'armateurs de trois des pays comptant le plus grand nombre de propriétaires de navires, ont notamment participé aux travaux en compagnie d’experts des Nations Unies, d'organisations intergouvernementales et non gouvernementales, également invités. La réunion n’a toutefois pas débouché sur un accord entre industriels des principaux Etats recycleurs obligeant les navires à disposer à bord de l’Inventaire des matières potentiellement dangereuses prévu par la convention.

En juillet 2010, un autre atelier s’est tenu à Izmir, en Turquie, sur le thème du transfert de technologies et des connaissances dans le domaine du recyclage des navires. Les débats ont porté sur la portée des conventions de Bâle et de Hong Kong et sur la complémentarité de ces deux instruments. Le gouvernement turc a présenté son approche réglementaire du recyclage des navires, du point de vue maritime, environnemental, et de la sécurité et de la santé des travailleurs. Le gouvernement et le secteur du recyclage des navires pakistanais ont dirigé une session sur l'élaboration de plans d'action destinés à renforcer le cadre réglementaire et institutionnel au Pakistan.

Les armateurs, les sociétés de classification et les industriels du démantèlement se préparent de leur côté à l’établissement et à l’utilisation des inventaires de matières dangereuses qui accompagneront les navires tout au long de leur cycle de vie. L’expertise française acquise dans le cadre des différents plans de sortie de flotte de la marine permet de promouvoir la réalisation d’inventaires de matières dangereuses de qualité. L’Allemagne (Germanischer Lloyd) et le Royaume Uni (Lloyd's Register) jouent également un rôle majeur en la matière.

Dans le même esprit, les secrétariats de l'OMI, de l'OIT et de la convention de Bâle ont élaboré le « Programme mondial pour un recyclage durable des navires », destiné à coordonner la fourniture de l'assistance technique et le renforcement des capacités dans le cadre du recyclage des navires. En réponse à une demande d’assistance technique émanant du Pakistan, le Secrétariat de la Convention de Bâle a organisé un atelier en Turquie sur le transfert des technologies et des connaissances pour renforcer les capacités pakistanaises en matière de recyclage.

En d'autres termes, si certaines réticences avaient pu apparaître au lendemain de la conférence de Hong Kong, et si l’ambition de la convention pouvait laisser perplexe, tant les différences sont importantes avec la réalité des chantiers actuels, force est de constater de réelles démarches positives de la part des principaux acteurs, demandeurs de bonnes pratiques, d’échanges d’expérience et de coopération. On ne peut que s’en féliciter. A cela s’ajoute le fait que l’Union européenne a fait de cette question un enjeu majeur.

2) L’Union européenne à la pointe du combat

Votre Rapporteur a eu l’occasion de mentionner à plusieurs reprises le Livre vert de la Commission qui a lancé en 2007 la réflexion de l’Union, en recensant notamment les possibilités d’amélioration de la gestion européenne du démantèlement des navires, par exemple en renforçant le contrôle de l’application de la législation communautaire relative au transfert des déchets et en envisageant d’autres démarches coopératives. Plus récemment, dans la teneur du volontarisme souhaité par la conférence de Hong Kong, l’Union européenne a surtout travaillé à l’élaboration d’un règlement spécifique qui permettrait d’anticiper l’application de certaines mesures de la convention.

L’Union est à la fois consciente des progrès importants qui sont en train d’être réalisés, et notamment du fait que les capacités de recyclage de la Chine respectant les normes de la convention seront à court terme largement suffisantes pour couvrir jusqu’en 2030 les besoins de démantèlement des navires battant pavillon de l’UE. Pour autant, elle est aussi consciente des insuffisances de la législation européenne actuelle, basée sur la convention de Bâle, et de la facilité à ne pas la respecter. L’exposé des motifs du projet de règlement relève ainsi que celui concernant les transferts de déchets est contourné quasi systématiquement par les navires battant le pavillon d'un État membre de l'UE : contenant des substances dangereuses, ils entrent eux-mêmes dans la catégorie des déchets dangereux et devraient de ce fait n’être démantelés que dans des pays appartenant à l'OCDE. Dans les faits, il n’en est rien : en 2009, plus de 90 % d’entre eux ont été démantelés hors de l'OCDE, pour l’essentiel en Asie du Sud, bien sûr.

Comme la résolution adoptée par la conférence de Hong Kong y invitait, la stratégie européenne définie en 2009 en prolongement du Livre vert proposait une série de mesures visant à améliorer les conditions de démantèlement des navires dès que possible, y compris au cours de la période transitoire précédant l'entrée en vigueur de la nouvelle convention, en mettant en œuvre ses principaux aspects par des actions volontaires, ainsi que des mesures d'assistance technique et de soutien en faveur des pays en développement. Si des avancées ont été constatées, il importe désormais pour l’UE de faire plus et ce projet de règlement ad-hoc « prévoit l'application anticipée des exigences de la convention de Hong Kong et accélère ainsi l'entrée en vigueur de cette convention au niveau mondial »

Le règlement devrait aussi imposer, sur le plan environnemental, de plus strictes exigences que la convention de Hong Kong, les navires battant le pavillon d'un État membre de l'UE ne pouvant plus être démantelés que dans des installations répondant aux exigences de recyclage sûr et écologiquement rationnel. En effet, le texte du projet indique qu’« une liste des exigences auxquelles les installations de recyclage des navires doivent répondre a été dressée sur la base des exigences techniques de la convention de Hong Kong. Des exigences supplémentaires ont été ajoutées (14) afin de mieux protéger la santé humaine et l'environnement et, en particulier, de faire en sorte que tous les déchets dangereux fassent l'objet d'un traitement écologiquement rationnel, tant dans les installations de recyclage des navires que, le cas échéant, dans les installations de gestion des déchets vers lesquelles ils sont transférés. » Ces installations devront être agréées par l’UE puisqu’il est indiqué que « les installations de recyclage répondant à ces exigences solliciteront leur inscription sur une liste européenne des installations de recyclage des navires. Le recyclage des navires battant le pavillon d'un État membre de l'UE ne pourra avoir lieu que dans des installations figurant sur la liste européenne. » En outre, des exigences spécifiques seront à remplir avant le recyclage, notamment l’obligation pour les navires battant pavillon d'un État membre de réduire au minimum la quantité de déchets dangereux présents à bord (éventuellement dans les résidus de cargaison, le fioul, etc.) avant leur remise à une installation de recyclage.

Votre Rapporteur relève aussi que l’obligation d’inventaire des matières dangereuses présentes à bord des navires battant pavillon d’un Etats membre de l’UE prendra effet immédiatement pour les navires neufs battant le pavillon d'un État membre, les navires existants disposant d'un délai de cinq ans, sauf à être envoyés au démantèlement avant l'expiration de ce délai.

Afin que cette législation européenne soit mieux respectée, le règlement proposé reprend le système de contrôle et d'exécution de la convention de Hong Kong. Le recyclage des navires dans des installations situées dans des pays non-membres de l'OCDE sera autorisé pour autant que ces installations soient conformes aux exigences et qu'elles figurent sur la liste européenne. Il est aussi prévu que les États membres soient informés par écrit et en temps utile de l'intention du propriétaire d'envoyer un navire au recyclage, « ce qui leur évitera la tâche difficile de déterminer le moment où un navire devient un déchet. » De même, « Les États membres seront informés de la date de début prévue ainsi que de l'achèvement du recyclage. En comparant la liste des navires auxquels ils ont délivré un certificat d'inventaire à la liste des navires recyclés dans des installations agréées, ils pourront repérer plus facilement les opérations de recyclage illicites. »

Votre Rapporteur veut souligner l’intérêt de ce projet de règlement et saluer l’engagement fort de l’UE en faveur de la résolution des graves problèmes du secteur du démantèlement des navires.

Pour autant, si l’adoption de ce règlement, probablement au début de l’année prochaine, sera une étape importante, à l’évidence d’autres voies de contournement devraient rester possibles, comme les ONG le font d'ores et déjà remarquer. A ce titre, au chapitre des sanctions prévues, l’article 23 projette qu’elles seront « efficaces, proportionnées et dissuasives. En particulier, lorsqu'un navire est envoyé au recyclage dans une installation de recyclage de navires qui n'est pas inscrite sur la liste européenne, les sanctions applicables correspondent au minimum au prix payé au propriétaire pour son navire. » En outre, « Lorsqu'un navire est vendu puis, moins de six mois après cette vente, envoyé au recyclage dans une installation ne figurant pas sur la liste européenne, les sanctions sont: a) imposées conjointement aux dernier et avant-dernier propriétaires du navire si ce dernier bat encore le pavillon d'un État membre de l'Union européenne; b) imposées uniquement à l'avant-dernier propriétaire du navire si ce dernier ne bat plus le pavillon d'un État membre de l'Union européenne. » Cela étant, comme le fait notamment remarquer l’ONG Robin des bois sur son site, « ce tortueux article 23 sera facilement contourné par des mises à l’ancre de plus de 6 mois dans une baie reculée, par des ventes à des sociétés fantômes éphémères et des transferts sous des pavillons spécialisés comme Tuvalu, la Mongolie, les Comores, Saint-Kitts-et-Nevis, le Togo, la Moldavie… » (15)

CONCLUSION

Pour perfectible qu’elle puisse encore paraître aux yeux de certains, qui regrettent par exemple qu’elle ne prohibe pas expressément l’échouage des navires sur les plages, la convention de Hong Kong marque à l’évidence un très net progrès sur le droit international en vigueur. Il faut par conséquent souhaiter que son entrée en vigueur intervienne le plus tôt possible. Pour sa part, le projet de règlement européen y contribuera.

Malgré les violations persistantes de la réglementation, on ne peut non plus nier qu’une réelle dynamique est engagée, comme votre Rapporteur l’a montré, qui associe l’ensemble des acteurs du secteur et les principaux pays actifs en matière de démantèlement de navires.

Au terme de son analyse, votre Rapporteur vous invite donc à approuver le projet de loi soumis à la Commission des Affaires étrangères.

En outre, la ratification de ce texte par la France, qui sera le premier pays à le faire, confirmera opportunément l’engagement fort de notre pays sur les problématiques de recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires en fin de vie.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 18 juillet 2012 à 9 heures 45.

Après l’exposé du Rapporteur, un débat a lieu.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci pour votre présentation très précise des enjeux et de la situation. Je propose que Mme Auroi et moi-même réfléchissions ensemble aux moyens d’accélérer le processus dans le cadre de l’Union européenne.

M. Jean-Paul Dupré. Cette convention présentant une grande importance pour notre planète, on ne peut que souhaiter sa ratification rapide. Quels seront alors les moyens de contrôle et d’intervention pour assurer son application ?

M. Jean-Pierre Dufau. Comme l’a indiqué le rapporteur, ce texte constitue un progrès peut-être insuffisant, mais réel par rapport à la convention de Bâle.

Au-delà de la question du démantèlement, ne devrions-nous pas nous intéresser aux navires « du berceau à la tombe » ? Le naufrage de l’Erika a bien montré que le reste de leur existence importe aussi. Des progrès ont été réalisés, au plan européen comme dans le cadre de l’OMI, notamment en ce qui concerne les doubles coques, mais ils sont trop lents.

Il me semble, en outre, que la question des matériaux utilisés doit se poser avant même le démantèlement des navires. L’Europe et la France peuvent envoyer des signaux forts, mais il faudrait arriver à faire évoluer l’OMI, qui bouge très lentement. Comment y parvenir ?

M. Patrick Balkany. Le rapporteur a évoqué un « pré-démantèlement » visant à se débarrasser d’un certain nombre de produits dangereux avant que les bateaux ne gagnent les chantiers. J’aimerais en savoir un peu plus : comment et où ces opérations se dérouleraient-elles ?

M. Jacques Myard. La notion d’épave n’a pas été évoquée, alors qu’elle existe en droit international. Comment s’articule-t-elle avec la question des déchets ?

Par ailleurs, quels sont les Etats devant impérativement ratifier la convention, du fait de l’importance de leur flotte marchande, pour qu’elle entre en vigueur ?

M. Noël Mamère, rapporteur. Un contrôle est prévu par la convention : les Etats doivent désigner des contrôleurs indépendants et les bateaux seront soumis à une certification.

Quel rôle la France peut-elle jouer ? Elle est le seul pays européen comptant trois façades maritimes, mais elle leur a tourné le dos. Notre flotte de commerce est ainsi passée du 4e au 24e rang mondial. Or, les pays les plus concernés par la convention, parce que leur flotte est beaucoup plus importante que la nôtre, ne sont visiblement pas les plus pressés de la ratifier et de l’appliquer. Notre présidente a raison : nous ne pourrons pas avancer si l’Union européenne ne se montre pas plus offensive sur cette question.

Le premier moyen de se débarrasser des produits dangereux est de faire en sorte que les bateaux n’en comportent plus. L’amiante et les PCB sont déjà interdits, mais cela ne suffit pas : il n’est pas normal qu’il n’y ait pas d’autres chantiers en Europe que ceux d’Able UK. Selon la convention de Bâle, les déchets doivent être traités là où ils ont été produits, pour toutes les activités industrielles : quand on construit un bateau dans notre pays, qu’il s’agisse d’un sous-marin, d’un vraquier, d’un pétrolier ou d’un cargo, il faudrait donc qu’il soit aussi démantelé en France, dans des conditions environnementales et sociales beaucoup plus protectrices que celles des pays où nous délocalisons aujourd’hui le démantèlement.

En droit international, un bateau est soit un déchet soit un navire. La notion d’épave correspond à une autre logique, étrangère aux conventions que j’ai citées.

Quand un bateau arrive dans les chantiers d’Alang ou de Chittagong, avec un capitaine à son bord, il est considéré comme un navire, et non comme un déchet. C’est d’ailleurs un problème, car le propriétaire ou l’armateur refuse alors d’appliquer la convention de Bâle.

Je rappelle aussi que le Norway, ex-France, a été démantelé dans les chantiers d’Alang et non sur notre territoire. Entretemps, il avait changé de pavillon, comme l’Exxon Valdez qui a continué à naviguer quinze ans après la marée noire – il est passé sous dix-huit pavillons différents ! Vous savez d’ailleurs quelles ont été les difficultés pour identifier les propriétaires et les armateurs de l’Erika ou du Prestige.

L’entrée en vigueur de la convention sera difficile, car il faudra que 15 Etats au moins, dont les flottes marchandes représentent 40 % de la flotte mondiale de commerce et dont les capacités de recyclage s’élèvent à 3 % de leurs flottes, l’aient ratifiée.

M. Jacques Myard. Qu’est-ce que cela implique ? La ratification de l’Inde sera-t-elle nécessaire ?

M. Noël Mamère, rapporteur. Il faudrait surtout que les pays à pavillon de complaisance, notamment Panama et le Liberia ratifient la convention.

M. Jacques Myard. La Grèce aussi ?

M. Noël Mamère, rapporteur. Son cas est différent : elle utilise des pavillons de complaisance du Panama et du Liberia – 97 % des bateaux battant pavillon libérien sont ainsi allemands ou grecs.

S’agissant de l’Union européenne, un projet de règlement prévoit d’aller plus loin que la convention de Hong Kong dans le cadre des Etats membres et des pays de l’OCDE.

M. Jean Glavany. Une épave est un bateau abandonné, appartenant à celui qui le récupère. Quand elle n’est pas récupérée, on ne sait pas très bien, en droit international, à partir de quel moment on a affaire à un déchet. C’est une lacune sérieuse, car il faut établir qui doit financer son élimination. Le Concordia, qui est aujourd’hui une épave, sera ainsi renfloué et il deviendra un déchet, démantelé sous la responsabilité de son armateur.

La question des navires de guerre se pose aussi. Dans le cas du Clemenceau, la France a fini par prendre ses responsabilités, mais il existe de nombreux cimetières marins abritant des navires militaires abandonnés, y compris sur nos côtes. Il faudra bien, un jour, les traiter comme des déchets.

Il y a là une véritable industrie qui pourrait être à l’origine de nombreux emplois. Imaginez seulement ce que représenterait le démantèlement de tous les navires de guerre français arrivés en fin de vie, ou celui des avions, de ligne ou militaires. C’est un problème que nous n’avons fait qu’effleurer jusqu’à présent.

M. Pierre Lellouche. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le rapport de M. Mamère, que je félicite pour la qualité de son travail.

La question des navires militaires importe, même s’ils ont un statut différent en droit international : tous contiennent de l’amiante, qu’ils soient français ou américains. Des milliers de navires militaires américains sont aujourd’hui parqués sur le Potomac et d’autres rivières, et il y a aussi d’immenses cimetières marins en Russie, notamment dans la péninsule de Kola, où l’on trouve de nombreux déchets – de l’amiante, mais aussi des matières radioactives.

Il y a effectivement une industrie à créer, mais nous aurions aussi besoin d’initiatives au plan politique pour traiter cette question, notamment dans le cadre de l’Alliance atlantique. Cet aspect, qui ne figure pas dans le rapport de M. Mamère, mériterait sans doute d’être examiné.

M. Noël Mamère, rapporteur. Si le rapport n’en parle pas, c’est que la convention de Hong Kong n’est pas applicable à de tels bateaux. Il est prévu que les réponses soient apportées au plan national, mais vous avez tout à fait raison d’évoquer cette question : les navires de guerre contiennent des matières extrêmement dangereuses. Des bidons entiers de matières nucléaires reposent en mer de Barents ! Il faudrait certainement inclure les navires militaires dans le champ d’application de la convention, bien que cette question entre plutôt dans le cadre du désarmement que dans celui de l’OMI ou de l’OIT. La commission de la défense pourrait utilement s’en saisir.

Le Concordia est certes une épave, mais on connaît son propriétaire, à la différence de nombreux autres bateaux échoués.

La convention de Hong Kong doit participer à une moralisation qui est nécessaire. La criminalité écologique est toutefois une question plus large, sur laquelle nous pourrions travailler au sein de cette commission sous l’angle des tribunaux pénaux internationaux.

S’agissant de l’Erika, il y a aujourd’hui un débat à la Cour de cassation : l’avocat général a proposé de remettre en cause le préjudice écologique jusque-là retenu par la justice. Or, cette notion est un premier pas vers la reconnaissance d’une criminalité écologique. Si la Cour suit l’avis du procureur général, il faudra remettre l’ouvrage sur le métier.

Sur ce point, je crois utile de rappeler que la convention de Hong Kong permettra de lutter contre certains criminels multinationaux.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission adopte sans modification le projet de loi (no 8).

*

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

Eléments d’information sur le droit de l’Union européenne
applicable ou en cours d’élaboration

(application de l’article 86, paragraphe 7,du Règlement)

Projet de loi n° 8
autorisant la ratification de la convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires

L’Union européenne a lancé, en 2007, un processus de réflexion et de concertation à propos de l’amélioration des règles en vigueur dans le secteur du démantèlement des navires, en vue de légiférer. Les enjeux se situent à l’interface entre trois politiques européennes sectorielles : l’environnement, les transports et la santé.

En mars 2012, la Commission européenne a déposé deux propositions d’actes, visant à ouvrir deux « fronts » législatifs pour donner une impulsion communautaire au dossier :

une proposition de décision du Conseil « exigeant des États membres qu’ils ratifient la convention internationale de Hong Kong de 2009 […] ou qu’ils [y] adhèrent » ;

une proposition de règlement européen « relatif au recyclage des navires », destinée à anticiper la ratification et l’entrée en vigueur de la convention de Hong Kong.

A) Le livre vert de 2007 de la Commission européenne

La Commission européenne, le 22 mai 2007, a publié un livre vert sur l’amélioration des pratiques de démantèlement des navires16, dans lequel elle dégage des options susceptibles « de combler ou tout au moins de limiter les lacunes dans la mise en œuvre de la réglementation et d’améliorer la gestion du démantèlement des navires », parmi lesquelles :

« le renforcement du contrôle de l’application de la législation communautaire relative au transfert des déchets », notamment le règlement européen relatif aux transferts de déchets17 et l’interdiction des exportations de déchets dangereux prévue par la convention de Bâle18 ;

l’élaboration de solutions internationales, s’appuyant sur la prise de conscience émergeant, au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI), sur la nécessité d’évoluer vers « un recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires » ;

le développement des capacités européennes de déconstruction navale, conformément à une déclaration du Conseil de l’Union européenne du 17 mai 2006 ;

le déploiement d’une assistance technologique et la diffusion des meilleures pratiques auprès des pays en développement actifs dans le recyclage ;

l’encouragement de « démarches spontanées » parmi les propriétaires de navires en fin de vie ;

la création d’un fonds de démantèlement des navires alimenté par les propriétaires, afin d’appliquer le principe « pollueur-payeur ».

B) La communication de la Commission européenne relative à une stratégie pour l’amélioration des pratiques de démantèlement des navires

Le 19 novembre 2008, suite au livre vert de 2007 et à l’adoption par le Parlement européen, le 21 mai 2008, d’une résolution appelant les institutions européennes et les États membres à prendre sans délai des mesures en matière de démantèlement des navires19, la Commission européenne a présenté une communication relative à « une stratégie de l’Union européenne pour l’amélioration des pratiques de démantèlement des navires »20.

Six actions y sont proposées :

« entamer les préparatifs en vue de l’introduction de mesures relatives aux principaux éléments » de la convention de Hong Kong ;

envisager « des règles destinées à assurer un démantèlement “propre” des navires de guerre et autres vaisseaux d’État » ;

« encourager les actions volontaires » du secteur maritime ;

« améliorer l’application de la législation en matière de transferts de déchets en ce qui concerne les navires en fin de vie » et tenir à jour « une liste des navires prêts pour la démolition » ;

examiner « la faisabilité d’un régime de contrôle et de certification des installations de recyclage à travers le monde » et faire en sorte qu’un maximum de navires « soient démantelés dans les installations contrôlées et certifiées dans le cadre de ce régime » ;

évaluer la faisabilité d’un « fonds de démantèlement des navires », « système de financement international obligatoire destiné à soutenir le démantèlement “propre” des navires ».

C) La communication de la Commission européenne
sur les liens entre la convention de Hong Kong, la convention de Bâle
et le règlement européen relatif aux transferts de déchets

Le 12 mars 2010, la Commission européenne a présenté une communication évaluant les liens « entre la convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navire, adoptée sous l’égide de l’OMI, la convention de Bâle et le règlement européen de l’UE sur les transferts de déchets »21.

Ce document souligne l’intérêt indiscutable de la convention de Hong Kong au regard des dégâts sur la santé humaine et l’environnement provoqués par l’absence de réglementation dans les pays en développement qui se partagent l’essentiel du marché du démantèlement des navires : en exigeant des parties « qu’elles prennent les mesures législatives, réglementaires et normatives nécessaires pour que les installations de recyclage soient conçues, construites et exploitées de manière sûre et écologiquement rationnelle », la convention est de nature à apporter des progrès substantiels.

Ses effets seront cependant relatifs, compte tenu de ses limites normatives intrinsèques :

les navires de guerre et les navires d’État sont exclus du champ d’application de la convention ;

dès lors que les installations de recyclage sont autorisées par un État signataire, « la convention ne prévoit pas de restriction géographique à l’exportation » ;

elle ne couvre pas « les opérations de traitement ultérieur et de traitement en aval des composants et matériaux » ;

le problème de l’échouage restera en suspens jusqu’à l’adoption de directives par l’OMI ;

l’efficacité des mécanismes de la convention dépendra de nombreux facteurs, notamment les politiques d’autorisation conduites par les État assurant le recyclage ou encore « la participation de tierces parties à la surveillance et à l’audit des installations ».

D) La proposition de décision appelant à ratifier la convention de Hong Kong

Le 23 mars 2012, la Commission a déposé une proposition de décision du Conseil « exigeant des États membres qu’ils ratifient la convention internationale de Hong Kong de 2009 pour un recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires ou qu’ils adhèrent à cette convention, dans l’intérêt de l’Union européenne »22.

Les dispositions internationales et européennes en vigueur s’avérant insuffisantes pour mettre fin aux pratiques délétères du secteur du démantèlement des navires, la Commission européenne invite le Conseil à adopter les orientations suivantes :

dès lors que l’Union européenne aura elle-même adopté l’acte législatif de ratification de la convention de Hong Kong, les États membres devront la ratifier à leur tour ou y adhérer pour ce qui concerne les volets relevant de la compétence exclusive de l’Union ;

les États membres devront prendre « sans délai, et en tout état de cause au plus tard trois ans après la date d’entrée en vigueur de la présente décision, les mesures nécessaires pour déposer leurs instruments de ratification de la convention ou d’adhésion à celle-ci » auprès de l’OMI.

E) La proposition de règlement visant à anticiper l’entrée en vigueur
de la convention de Hong Kong

Le même jour, la Commission européenne a déposé une proposition de règlement « relatif au recyclage des navires »23. Sans attendre la ratification et l’entrée en vigueur de la convention de Hong Kong, cet acte législatif a pour objectif général, à l’horizon 2020, de « prévenir, réduire ou éliminer les effets dommageables sur la santé humaine et l’environnement liés au recyclage, à l’exploitation et à la maintenance des navires battant le pavillon d’un État membre ».

Le texte, qui vise spécifiquement les navires, incorpore en droit européen les dispositions de la convention de Hong Kong, en couvrant l’ensemble du cycle de vie des bâtiments. Il assure la mise en œuvre anticipée des exigences de la convention et impose même des critères environnementaux plus stricts aux installations de recyclage de navires, conformément à une possibilité prévue par elle. Pour les navires relevant du champ d’application du projet de règlement, celui-ci se substituera au règlement de 2006 sur les transferts de déchets.

Pour tous les « navires autorisés à battre le pavillon d'un État membre ou exploités sous son autorité », excédant un tonnage en jauge brute de 500 gigatonnes – hors bâtiments de guerre, autres bâtiments d’État et bâtiments exploités exclusivement dans les eaux sous juridiction –, il s’agit donc d’instaurer les obligations suivantes :

« contrôle des matières dangereuses » contenues dans le navire et établissement d’un « inventaire des matières dangereuses », actualisé « pendant toute la durée de vie opérationnelle du navire » ;

« préparation en vue du recyclage » et élaboration d’un « plan de recyclage » propre à chaque navire préalablement à son démantèlement ;

signature d’un « contrat entre le propriétaire du navire et une installation de recyclage » ;

création d’une « liste européenne » des installations de recyclage habilitées à exercer des activités de démantèlement, qu’elles soient ou non situées sur le territoire de l’Union.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée la ratification de la convention internationale de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires (ensemble une annexe), adoptée à Hong Kong le 15 mai 2009, signée par la France à Londres le 19 novembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 8).

© Assemblée nationale

1 () Notamment compilées par l’ONG Robin des Bois (www.robindesbois.org), qui publie depuis plusieurs années un bulletin d’information et d’analyse sur la démolition des navires « A la casse.com »

2 () Sur ces questions, voir Institut supérieur de l’économie maritime Nantes – Saint Nazaire, ISEMAR, note de synthèse n° 124, avril 2010 et n° 110, décembre 2008

3 () Source : « Baie d'Alang, démantèlement des navires et pollution, descriptif et photos », www.oceanattitude.org

4 () Source : Google Earth

5 () Commission européenne, Livre vert sur l’amélioration des pratiques de démantèlement des navires, [COM(2007) 269], 22 mai 2007

6 () www.robindesbois.org, communiqué du 30 novembre 2009

7 () Source : Google Earth

8 () Convention internationale du 13 février 2004 pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires ; voir le rapport n° 786 de M. Michel Vauzelle, Commission des Affaires étrangères, Assemblée nationale, 8 avril 2008

9 () Voir : BIT/OIT : « Sécurité et santé dans le secteur de la démolition de navires : Principes directeurs pour les pays d’Asie et la Turquie », tableau 1, pages 5 et 6

10 () Sources : « A la casse.com » ; numéros 26 et 27 notamment ; www.robindesbois.org

11 () www.issa.int

12 () Grenelle de la mer, Rapport de la Mission parlementaire « Démantèlement des navires » de Pierre Cardo, 28 juin 2010, page 115

13 () La convention de Bâle ne s’applique pas aux navires ne battant pas pavillon d’un Etat Partie

14 () Souligné par votre Rapporteur

15 () A la casse.com, n° 27, mai 2012, page 4

16 COM(2007) 269.

17 Règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets.

18 Convention sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination, entrée en vigueur en 1992.

19 A6-0156/2008.

20 COM(2008) 767.

21 COM(2010) 88.

22 COM(2012) 120.

23 COM(2012) 118.