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N
° 2029

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2014.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, autorisant la ratification du protocole modifiant l’accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les États-Unis d’Amérique, d’autre part,

PAR M. François LONCLE

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 192.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. LE PROTOCOLE DU 24 JUIN 2010, UNE SECONDE ÉTAPE PRÉVUE PAR L’ACCORD DE 25 ET 27 AVRIL 2007 7

A. L’ACCORD DES 25 ET 30 AVRIL 2007 7

B. UN BILAN EN DEMI-TEINTE 8

C. UN ACCORD DEVANT ÊTRE APPROFONDI 9

II. LE PROTOCOLE DU 24 JUIN 2010 POURSUIT L’OUVERTURE DE L’ACCÈS AUX MARCHÉS ET RENFORCE LA COOPÉRATION TRANSATLANTIQUE DANS DES DOMAINES ESSENTIELS DU TRANSPORT AÉRIEN 11

A. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DU PROTOCOLE 11

1. La poursuite de l’ouverture du marché du transport aérien 11

a. Extension conditionnée des droits de trafic 11

b. Possibilité pour les transporteurs européens d’assurer des vols financés par le gouvernement américain 13

c. Encouragement des investissements européens et américains dans les compagnies aériennes des pays tiers 14

2. Le renforcement de la coopération entre l’Europe et les États-Unis 15

a. Reconnaissance mutuelle des décisions 15

b. Extension des compétences du comité mixte 15

c. Prise en compte de l’impact sur l’environnement 15

d. Introduction d’une « dimension sociale » 16

B. UN IMPACT INCERTAIN 17

CONCLUSION 19

ANNEXES 21

ANNEXE N° 1 : Les libertés de l’air 23

ANNEXE N° 2 : Le transport aérien de passagers entre l’Europe et les États-unis 25

ANNEXE N° 3 : La querelle autour de l’application au transport aérien du système européen d’échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre 27

EXAMEN EN COMMISSION 29

Annexe – compte-rendu n° 69 de la réunion du mercredi 11 juin 2014 à 16h30 : Audition de M. Paul Schwach, directeur du transport aérien et de M. François Theoleyre, sous-directeur des transporteurs et services aériens à la direction générale de l'aviation civile au ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie 35

ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 45

INTRODUCTION

Le projet de loi qui nous est soumis tend à autoriser la ratification d’un Protocole du 24 juin 2010 qui modifie l’accord de transport aérien conclu en avril 2007 par l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et par les États-Unis d’Amérique, d’autre part.

Ce texte adopté il y a sept ans et appliqué provisoirement depuis mai 2008 est un accord dit « ciel ouvert ». Il a partiellement libéralisé les services de transport aérien transatlantique tout en prescrivant une coopération plus étroite et une convergence des réglementations entre l’Europe et les États-Unis.

Cependant, pour les négociateurs des deux Parties, cet accord n’allait pas suffisamment loin. Par exemple, les Européens voulaient une plus grande ouverture du marché américain et les États-Unis, quant à eux, désiraient que l’Europe soit moins « dogmatique » en matière de restrictions d’exploitation des aéroports à des fins de lutte contre les nuisances sonores. L’accord de 2007 contenait donc une clause invitant les Parties à négocier sans tarder un amendement au texte initial : tel est l’objet du Protocole du 24 juin 2010.

Avant d’en présenter les principales dispositions et d’en mesurer l’intérêt, votre rapporteur a choisi de revenir sur le cadre plus général des accords de transport aérien et, bien entendu, sur celui de 2007 liant l’Europe aux États-Unis.

I. LE PROTOCOLE DU 24 JUIN 2010, UNE SECONDE ÉTAPE PRÉVUE PAR L’ACCORD DE 25 ET 27 AVRIL 2007

A. L’ACCORD DES 25 ET 30 AVRIL 2007

La multiplication, dans les années 90, d’accords bilatéraux dits de « ciel ouvert » – car élargissant considérablement les possibilités de desserte  – entre les États-Unis et plusieurs États de l’Union européenne a conduit la Commission européenne à saisir la Cour de justice des Communautés européenne. La Commission voyait dans ces accords une atteinte aux règles du marché unique car les compagnies aériennes des pays n’ayant pas signé de traité bilatéral souffraient, selon elle, d’un désavantage commercial certain. Par plusieurs arrêts du 5 novembre 2002, la Cour donna raison à la Commission. Elle estima qu’en application du droit communautaire, les compagnies européennes devaient bénéficier d’une égalité de traitement quant à leurs possibilités d’exploiter des liaisons transatlantiques. Par conséquent, seule la conclusion d’un accord entre l’Union européenne et les États-Unis permettrait de garantir le respect de la législation communautaire.

À la suite de cet arrêt, et après plus de quatre années de négociations, l’Union européenne et les États-Unis parvinrent, en mars 2007, à un accord « ciel ouvert ». Ce texte, signé les 25 et 30 avril a partiellement libéralisé les services de transport aérien transatlantiques, les compagnies aériennes américaines et européennes pouvant librement fournir des services entre tout aéroport des États-Unis et tout aéroport de l’Union européenne sans limitation de fréquence ou de capacité (droits dits de 3ème et de 4ème libertés (1)). Les services via un point intermédiaire dans un pays tiers ou en continuation au-delà du territoire de l’autre Partie vers un pays tiers avec exercice de droits de trafic (droits de 5ème liberté) sont également autorisés par l’accord. Les transporteurs aériens de fret bénéficient en sus de la possibilité de proposer des services au départ du territoire de l’autre Partie sans aucun lien avec le territoire d’origine du transporteur (droits de 7ème liberté), possibilité toutefois restreintes à certains États membres pour les entreprises américaines (2).

S’agissant des domaines habituellement couverts par les accords bilatéraux relatifs au transport aérien, comme la sécurité ou la sûreté, l’accord de 2007 pose le principe d’une convergence des réglementations afin d’assurer aux usagers du transport aérien des standards parmi les plus élevés au monde et de mettre en place, pour les entreprises de transport aérien, les conditions d’une concurrence juste et équitable (3).

B. UN BILAN EN DEMI-TEINTE

Si l’accord de 2007 n’est pas encore entré en vigueur (4), son article 25 a autorisé son application provisoire à partir du 30 mai 2008, ce qui permet de disposer d’un certain recul sur ses effets.

Ainsi, depuis la signature en 2007 de l’accord de transport aérien, le trafic passager entre l’Union européenne et les États-Unis est passé de 47,6 millions de passagers à 49,4 millions en 2012 (5), soit une progression de 4 %, très inférieure à l’impact estimé par la Commission européenne qui avançait un gain global de 26 millions de passagers sur une période de cinq ans.

Indéniablement, l’accord de 2007 n’a pas tenu toutes ses promesses. D’une part, les prévisions de la Commission étaient particulièrement optimistes. Elle s’appuyait sur une étude d’impact commanditée aux fins de démontrer les effets de la libéralisation du transport aérien avec les États-Unis et on ne peut exclure que la maturité du marché aérien transatlantique, dont la plupart des acteurs majeurs comme le Royaume-Uni ou la France avaient déjà libéralisé l’accès via leurs accords bilatéraux, n’ait sans doute pas été prise suffisamment en compte par la Commission pour établir ses prévisions. D’autre part, et là réside sans doute la raison principale de la faible progression du trafic transatlantique, le marché a eu à souffrir des effets de la crise économique de 2008 qui s’est traduite par un fort ralentissement du transport aérien et qui a frappé plus particulièrement les économies occidentales, restreignant la demande et encourageant les transporteurs à rationaliser leur offre. En outre, la mise en ligne d’appareils long-courriers plus performants a permis le développement de dessertes directes entre les États-Unis et le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie, réduisant de fait l’offre de sièges via l’Europe et le marché potentiel pour les vols en correspondance assurés sur les plates-formes européennes.

En termes d’ouverture de lignes (6), la progression de 20 % entre 2007 et 2012 (près de 600 lignes en 2012 contre environ 500 en 2007) traduit surtout l’accroissement de la concurrence sur les liaisons existantes, les transporteurs se positionnant sur des routes déjà exploitées par d’autres compagnies aériennes, que la création de nouvelles routes entre aéroports américains et européens. En 2013, le net repli du nombre de lignes, de plus de 20 %, est la conséquence directe du regroupement des compagnies aériennes américaines (7) à l’origine de 110 fermetures sur les 125 observées.

Il est intéressant de relever qu’une des possibilités nouvelles offertes par cet accord européen, à savoir le droit pour tout transporteur européen de desservir n’importe quel aéroport des États-Unis au départ de tout aéroport européen sans obligation d’être établi dans l’État membre concerné, n’a été saisie que par de rares compagnies européennes. Air France, parmi celles-ci, a tenté l’expérience en 2008-2009 en desservant Los Angeles puis New-York au départ de Londres mais l’absence de résultat l’a conduite à cesser cette exploitation en propre.

En termes de tarifs passagers, une nouvelle étude commanditée par la Commission européenne en 2012 indiquait que sur le marché nord-américain, le prix du billet avait été très largement influencé par la crise économique, avec un plus bas enregistré en 2009 lorsque les effets de la crise se sont faits pleinement sentir dans le secteur du transport aérien en surcapacité, et que le cours du pétrole était bas, le prix des billets étant depuis 2009 étroitement corrélé à l’évolution du prix du baril de brut.

S’agissant de la création d’emplois, la Commission européenne faisait état en 2007 d’une prévision de plusieurs milliers d’emplois créés de part et d’autre de l’Atlantique. Aucune statistique n’est disponible dans ce domaine, mais la faible croissance du trafic enregistrée d’une part, et les regroupements majeurs qui se sont opérés entre transporteurs aériens d’autre part, incitent à pencher plutôt pour une stabilisation, voire une contraction, du nombre d’emplois directs.

C. UN ACCORD DEVANT ÊTRE APPROFONDI

Si l’accord de 2007 constitue une étape importante pour la réalisation d’un espace transatlantique ouvert de l’aviation, sa conclusion n’a pas pour autant pleinement satisfait les Parties. Sur plusieurs points – notamment l’accès au marché, en particulier ce qui concerne le cabotage, les questions de propriété, d’investissement et de contrôle ; l’accès aux services achetés par les pouvoirs publics –, elles estimèrent qu’il fallait poursuivre les efforts engagés afin de parvenir à un meilleur équilibre.

D’où l’inclusion dans cet accord d’une clause prévoyant l’ouverture rapide de négociations pour « poursuivre l’ouverture de l’accès au marché et maximiser les avantages pour les consommateurs, les transporteurs aériens, le personnel et les populations des deux côtés de l’Atlantique » et contenant un programme de travail mettant l’accent sur cinq objectifs jugés d’ « intérêt prioritaire » pour l’une ou l’autre Partie :

– la poursuite de la libéralisation des droits de trafic, notamment l’accès aux vols intérieurs de l’autre Partie (le cabotage) et la suppression des dernières limitations imposées aux vols cargo américains au départ du territoire européen ;

– la libéralisation des investissements dans les transporteurs aériens, la législation américaine en vigueur limitant la détention des actions avec droit de vote par des intérêts étrangers à 25 % et imposant le contrôle effectif des compagnies aériennes par des intérêts américains ;

– l’assouplissement des règles régissant l’accès des compagnies aériennes européennes au transport aérien financé par les pouvoirs publics américains ;

– la modification de la réglementation américaine sur la location d’appareils avec équipages qui empêche, pour les vols domestiques, les entreprises européennes de fournir des aéronefs aux compagnies américaines ;

– enfin, la prise en compte des effets des restrictions d’exploitation, imposées pour des raisons environnementales sur certains aéroports, sur l’exercice effectif des droits de trafic prévus à l’accord.

En cas d’échec des négociations de seconde étape dans les trente mois suivants l’ouverture des discussions, soit au plus tard le 30 novembre 2010, les Parties pouvaient activer une clause de suspension et revenir sur les droits accordés par l’accord de 2007.

À l’issue des négociations menées entre mai 2008 et mars 2010, l’Union européenne et ses États-membres et les États-Unis sont parvenus à un accord approfondissant celui d’avril 2007 : il s’agit du Protocole du 24 juin 2010, objet du présent rapport, et dont votre rapporteur va désormais présenter les principales dispositions.

II. LE PROTOCOLE DU 24 JUIN 2010 POURSUIT L’OUVERTURE DE L’ACCÈS AUX MARCHÉS ET RENFORCE LA COOPÉRATION TRANSATLANTIQUE DANS DES DOMAINES ESSENTIELS DU TRANSPORT AÉRIEN

A. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DU PROTOCOLE

1. La poursuite de l’ouverture du marché du transport aérien

a. Extension conditionnée des droits de trafic

L’article 6 du Protocole du 24 juin 2010 constitue assurément l’une des dispositions clef de ce texte. Il propose une nouvelle rédaction de l’article 21 de l’accord de 2007 en définissant de nouvelles opportunités commerciales pour les transporteurs aériens des deux c ôtés de l’Atlantique.

S’agissant du transport de fret, les compagnies des États-Unis bénéficieront des droits de 7ème liberté – c’est-à-dire d’effectuer une liaison entre l’Union européenne et un pays tiers sans nécessairement inclure une ville américaine dans le trajet – les transporteurs européens disposant d’ores et déjà de ces droits depuis l’accord de 2007.

En ce qui concerne le transport de passagers, les compagnies aériennes de chacune des Parties pourront proposer des services passagers en 7ème liberté au départ du territoire de l’autre Partie vers cinq États tiers dont la liste devra être arrêtée par le comité mixte institué par l’accord de 2007 (8).

Toutefois, ces droits ne seront pas effectifs dès l’entrée en vigueur mais dépendront de la réalisation de différents engagements pris par les Parties.

La modification de la législation américaine relative à la nationalité économique des entreprises de transport aérien afin d’en autoriser la détention à 100 % (actuellement limitée à 25 % des actions avec droit de vote) et le contrôle effectif par des intérêts européens conditionnera, pour les compagnies aériennes américaines, le bénéfice des nouveaux droits prévus par le Protocole.

De son côté, pour que ses transporteurs bénéficient des possibilités offertes par le Protocole, l’Union européenne devra faire évoluer sa réglementation relative à l’établissement de règles et procédures concernant l’introduction de restrictions d’exploitation liées au bruit dans ses aéroports (9) pour permettre à la Commission européenne de contrôler la conformité des procédures appliquées par les États membres préalablement à la mise en œuvre de restrictions d’exploitation.

Ce dispositif appelle plusieurs commentaires :

● Le mécanisme incitatif institué par le protocole de juin 2010 relève d’une approche similaire à celle mise en œuvre par l’accord sur le transport aérien entre l’Union européenne et le Canada de décembre 2009 (10) : il permet désormais de couvrir l’ensemble des droits commerciaux sans devoir recourir à des amendements successifs de l’accord initial.

● Aujourd’hui, la législation américaine limite à 25 % la détention par des intérêts étrangers des actions avec droit de vote dans les transporteurs aériens des États-Unis, dont le contrôle effectif doit rester américain. Pour ses transporteurs, l’Union européenne prévoit, elle, la détention d’au moins 50 % du capital et le contrôle effectif par des intérêts européens sauf si un accord international en dispose autrement. Ce qui est le cas du Protocole mais, comme votre rapporteur l’a indiqué, sous réserve de réciprocité.

● La condition fixée à l’Union européenne – c’est-à-dire faire évoluer sa réglementation relative à l’établissement de règles et procédures concernant l’introduction de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports pour permettre à la Commission de contrôler la conformité des procédures appliquées par les États membres préalablement à la mise en œuvre de restrictions d’exploitation – résulte d’une exigence forte des États-Unis qui estiment que les États membres appliquent diversement la méthode dite de « l’approche équilibrée » définie par l’Organisation de l’aviation civile internationale en 2001 et qui constitue une méthode d’action pour traiter les nuisances sonores générées par les aéronefs sur les aéroports. Elle consiste à identifier les problèmes de bruit sur une zone aéroportuaire puis à analyser les diverses mesures existantes permettant de les atténuer en examinant quatre éléments principaux : la réduction du bruit à la source, la planification et la gestion de l’utilisation des terrains, les procédures opérationnelles d’atténuation du bruit et les restrictions de l’exploitation. L’approche équilibrée introduit également la dimension « coûts-bénéfices », les solutions envisagées devant être mises en œuvre en tenant compte de leur impact économique. Au-delà, les États-Unis considèrent que les restrictions d’exploitation introduites sur les aéroports européens constituent trop souvent une entrave à l’exercice des droits de trafic prévus par l’accord de 2007, d’où leur souhait de voir la Commission européenne jouer un rôle plus important en contrôlant la conformité des procédures mise en œuvre par les États.

● Contrairement à ce qu’espéraient les Européens dans la foulée de l’accord d’avril 2007 et tout au long du cycle de négociation du Protocole de 2010, ce dernier exclut le cabotage. En droit aérien, le cabotage désigne le transport de passagers, de courrier et de marchandises entre deux points à l’intérieur d’un État, effectué par un autre État ou une entreprise de transport aérien d’un autre État. Or, alors que les compagnies américaines peuvent assurer des liaisons entre pays européens (à condition de ne pas opérer entre deux points d’un même État membre), les transporteurs européens, eux, continueront de ne pas pouvoir opérer des vols intérieurs aux États-Unis. Si lors des négociations sur le Protocole, les Européens se sont montrés insistant sur cette question du cabotage, la Partie américaine n’a pas cédé. Elle a estimé qu’accorder un tel droit aux compagnies européennes les favoriseraient trop grandement puisque l’accès au marché intérieur américain est certainement plus porteur que les marchés des services intérieurs de chacun des États membres d’ores et déjà soumis à une forte concurrence intra-européenne. Votre rapporteur considère que cette exclusion du cabotage limite quelque peu la portée du Protocole de 2010 si on le compare notamment à l’accord conclu quelques mois plus tôt par l’Union européenne et le Canada. Toutefois, il convient de relativiser cette restriction dans la mesure où le modèle économique actuellement mis en œuvre par les grandes compagnies aériennes n’est pas de poursuivre leur vol au-delà de leur premier point d’entrée sur l’autre continent mais de privilégier celui du « hub » et du partage de codes avec des compagnies membres de la même alliance.

● Enfin, s’agissant des modalités d’attribution des droits de 7ème liberté avec 5 pays tiers, la liste de ces derniers sera établie par le comité mixte. Or, les décisions de cette instance étant adoptées par consensus, chacune des deux Parties disposera de facto d’un droit de véto. D’après les informations recueillies par votre rapporteur, les États-Unis semblent peu enclins à voir figurer sur la liste européenne un pays du continent américain. Il n’est donc pas à exclure qu’en guise de compromis, la solution retenue soit une liste unique de cinq pays sans enjeux commerciaux.

b. Possibilité pour les transporteurs européens d’assurer des vols financés par le gouvernement américain

Alors que l’accord de 2007 limitait aux liaisons reliant les aéroports des États-Unis à ceux des États membres de l’Union européenne les possibilités pour les compagnies européennes de fournir des services de transport financés par le gouvernement des États-Unis (sous certaines conditions), le Protocole du 24 juin 2010, par son article 7, étend le champ d’action des transporteurs européens. Ces derniers pourront, sous certaines conditions, assurer des routes entre les États-Unis et tout aéroport dans le monde dès lors que le service fourni sera exploité en continuation d’un service desservant un aéroport européen. Par exemple, un passager américain dont le transport est financé par son gouvernement pourra emprunter une compagnie aérienne européenne entre New-York et Dakar via Paris. De plus, les transporteurs européens auront accès aux marchés des routes entre les États-Unis et tout aéroport d’une des Parties de l’accord EACE (11) sans obligation de continuation de service avec un aéroport européen (les nouvelles destinations ainsi accessibles seront l’Islande, la Norvège et les pays des Balkans de l’ouest).

Toutefois, l’article 7 ne revient pas sur l’exclusion des services obtenus ou financés par le secrétaire à la défense, ou par le secrétaire d’un département militaire, déjà présente dans l’accord de 2007. Il y a là un déséquilibre persistant dans l’accès aux marchés des transports financés par des fonds publics de part et d’autre de l’Atlantique puisque ni l’accord initial ni le Protocole de 2010 n’ont prévu d’adopter des mesures réciproques restreignant l’accès des compagnies aériennes américaines aux marchés européens.

c. Encouragement des investissements européens et américains dans les compagnies aériennes des pays tiers

L’accord de 2007 avait permis que les États-Unis ne puissent plus s’opposer aux activités de transporteurs d’un État tiers (en l’espèce un pays européen hors Union européenne ou un pays africain ayant conclu un « accord de ciel ouvert » avec les États-Unis) au motif qu’une part substantielle de la propriété de ces transporteurs était détenue par des investisseurs européens. De même prévoyait-il que les États-Unis ne pourraient remettre en cause les vols de compagnies communautaires si des pays européens hors Union européenne ou leurs ressortissants investissaient dans leur capital.

Le Protocole du 24 juin 2010, en son annexe 6, étend ces facilités. Concrètement, les Américains, ou les Européens, pourront détenir et contrôler un transporteur aérien d’un pays tiers sans que cette entreprise, en application des habituelles dispositions des accords bilatéraux, ne perde le droit de desservir le territoire européen ou respectivement américain, au motif que ce transporteur aérien n’est plus détenu et contrôlé par des intérêts dudit pays tiers. Une condition sera toutefois nécessaire : le pays tiers concerné devra entretenir de « bonnes relations de coopération en matière de services aériens avec les deux Parties ».

Cette nouvelle facilité a pour objet de favoriser les investissements européens et américains dans les compagnies aériennes des pays tiers, lesquelles peuvent représenter des opportunités stratégiques pour l’expansion des transporteurs.

Il restera toutefois à définir ce que signifie la notion de « bonnes relations de coopération en matière de services aériens ». Il semble que celle-ci ne recouvre pas la même réalité pour les Européens et les Américains et il reviendra au comité mixte de se prononcer. D’après les informations recueillies par votre rapporteur, les États-Unis considèrent qu’entretiennent de « bonnes relations de coopération en matière de services aérien » les pays tiers qui ont conclu et appliquent un accord de type « ciel ouvert » avec eux. Pour l’Union européenne, le pays tiers doit, entre autres, disposer de règles sur les aides d’État et les subventions qui participent à assurer un environnement concurrentiel équitable et doit également assurer la protection des investissements étrangers. Une soixantaine de pays tiers satisfaisaient à ces critères fin 2011.

2. Le renforcement de la coopération entre l’Europe et les États-Unis

a. Reconnaissance mutuelle des décisions

L’article 1er du Protocole de 2010 insère à l’article 1er de l’accord de 2007 deux nouvelles définitions relatives aux décisions portant, d’une part, sur la nationalité économique des transporteurs aériens et, d’autre part, sur la conformité de ces transporteurs, c’est-à-dire au contrôle de leur aptitude financière, de leur compétence en matière de gestion et de leur respect de l’ensemble des dispositions régissant l’exploitation de services aériens.

L’article 2 pose le principe de la reconnaissance mutuelle de ces deux types de décisions.

b. Extension des compétences du comité mixte 

L’article 18 de l’accord d’avril 2007 a établi un comité mixte, composé de représentants des Parties, se réunissant au moins une fois par an. Ce comité est chargé de développer la coopération, d’examiner la mise en œuvre de l’accord et, le cas échéant, de tenter de résoudre des questions liées à son interprétation ou son application. En matière de coopération, il a pour mission de promouvoir les échanges entre experts sur les questions de sûreté, de sécurité, d’environnement, d’infrastructures portuaires et de protection des consommateurs. Il examine également les conséquences sociales de l’accord et tient, par ailleurs, un inventaire des questions relatives aux aides d’État, soulevées par l’une ou l’autre partie. Enfin, il encourage la consultation sur les questions liées au transport aérien traitées au sein des organisations internationales et dans les relations avec les pays tiers, en vue notamment d’examiner l’opportunité d’adopter une approche commune.

Avec son article 5, le Protocole du 24 juin 2010 confie de nouvelles tâches au Comité mixte. Il devra notamment encourager la coopération pour développer l’interopérabilité et la compatibilité de la gestion du trafic aérien de chaque côté de l’Atlantique afin d’en réduire les coûts, d’en améliorer la sécurité et les performances en termes d’environnement. Il devra aussi promouvoir l’élaboration de projets communs dans le domaine de la sécurité aérienne, notamment avec des pays tiers ainsi que le développement de procédures de sûreté facilitant le flux des passagers et des marchandises sans compromettre la sûreté.

c. Prise en compte de l’impact sur l’environnement

L’article 3 du Protocole de 2010 réécrit l’article 15 de l’accord de 2007, article relatif à l’« environnement » et soulignant « l’importance de protéger l’environnement dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique aéronautique internationale ».

Dans la nouvelle rédaction retenue, les Parties rappellent leur attachement à appliquer la procédure dite de « l’approche équilibrée » que votre rapporteur a déjà eu l’occasion de décrire.

Le Protocole instaure également une procédure d’information des Parties et de prise en compte de leurs avis préalablement à la mise en œuvre des restrictions d’exploitation afin de réduire les nuisances sur les aéroports les plus importants, c’est à dire ceux « comptant plus de 50.000 mouvements d’avions à réaction subsoniques civils par année calendaire » (12). En outre, l’adoption d’une « Déclaration commune en matière de coopération environnementale » annexée au Protocole consacre la volonté commune de lutter contre les incidences de l’aviation internationale sur l’environnement en soutenant les objectifs établis lors de la 35ème assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale en faveur des populations touchées par les nuisances sonores, de la qualité de l’air ou de la limitation voire de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (13).

Au final et alors même que l’environnement a fait l’objet d’intenses discussions tout au long de la négociation, le résultat obtenu est plutôt satisfaisant pour les Européens dans un contexte d’approches très différentes. En effet, les États-Unis ne considèrent pas les mesures de restrictions d’exploitation sur les aéroports pour lutter contre le bruit et les mesures de marché pour lutter contre les gaz à effet de serre comme les meilleures réponses à des problèmes réels. Ainsi que votre rapporteur l’a indiqué lorsqu’il a décrit les mesures en faveur de la poursuite de l’ouverture du marché du transport aérien, les Européens devront, pour bénéficier des nouvelles opportunités commerciales, modifier la réglementation relative aux restrictions d’exploitation (directive n° 2002/30/CE) afin d’attribuer à la Commission européenne le pouvoir de contrôler la conformité des procédures appliquées par les États membres préalablement à la mise en œuvre des restrictions envisagées. Il n’y aura donc pas de remise en cause de l’autorité des États membres de décider des mesures à prendre.

d. Introduction d’une « dimension sociale »

Le nouvel article 17 bis de l’accord de 2007 introduit par l’article 4 du Protocole de 2010 introduit une dimension nouvelle dans les accords de transport aérien, la dimension sociale, qui avait fait l’objet d’un unique précédent avec l’accord sur le transport aérien conclu avec le Canada.

Si le premier paragraphe du nouvel article énonce des principes, notamment que la libéralisation des marchés ne doit pas « affaiblir les normes du travail ni les droits et principes sociaux » respectifs, le second paragraphe souligne le rôle du comité mixte dans l’examen des conséquences sociales de la mise en œuvre de l’accord, ce qui n’est pas inutile en prévision d’une ouverture croisée de l’investissement dans les transporteurs aériens.

B. UN IMPACT INCERTAIN

L’accord des 25 et 27 avril 2007 – appliqué provisoirement depuis mai 2008 – n’ayant pas donné, dans un contexte économique délicat, les résultats escomptés (14), l’étude d’impact adossée au projet de loi dont il nous est demandé d’autoriser la ratification préfère rester prudente quant aux effets à attendre du Protocole du 24 juin 2010. Elle insiste toutefois sur le fait que la potentielle « valeur ajoutée [de ce texte] sur le plan économique pourrait être confortée si la condition imposée à la Partie américaine est réalisée » (15 .

Car là réside assurément l’enjeu de la mise en œuvre du Protocole de 2010 : une fois entré en vigueur, les Parties devront encore, pour bénéficier des nouveaux droits offerts, modifier leurs législations respectives.

Du côté européen, l’ouverture de nouveaux droits en faveur des transporteurs de l’Union sera conditionnée à l’évolution de la législation communautaire pour permettre à la Commission européenne de contrôler la conformité des procédures concernant la lutte contre les nuisances sonores. Ce processus a déjà été enclenché. En effet, la Commission, souhaitant résoudre les problèmes de capacité des aéroports européens d’une part, et améliorer leur qualité de service d’autre part, a lancé le 1er janvier 2011 une réforme d’envergure, le « paquet aéroportuaire », qui comporte trois propositions de règlements sur les créneaux horaires (16), les services d’assistance en escale (17) et le bruit (18). Compte tenu de certaines difficultés soulevées, notamment par la proposition de texte sur les services d’assistance en escale, la Présidence lituanienne de l’Union européenne a décidé, au second semestre 2013, de disjoindre les travaux relatifs aux trois propositions. Le projet de règlement relatif au bruit, le plus abouti, a fait l’objet d’un accord politique entre le Conseil et le Parlement en début d’année et a été adopté par ce dernier le 16 avril 2014. Ce texte prévoit que les États membres devront informer la Commission européenne des mesures de restriction d’exploitation envisagées, et que celle-ci pourra formuler un avis formel sur la procédure suivie. De facto, si un État membre n’a pas respecté les principes de l’approche équilibrée, la Commission sera fondée à conclure au non-respect des dispositions du règlement européen et pourra introduire une action à son encontre.

En ce qui concerne les États-Unis, leurs transporteurs bénéficieront des droits offerts par le Protocole à condition que la législation américaine sur la propriété économique des compagnies aériennes soit assouplie. Or, force est de constater qu’aucun progrès n’a été enregistré sue ce point et, pour le moment, les États-Unis semblent peu enclins à augmenter les possibilités d’investissement étranger dans leurs transporteurs aériens.

Il conviendra donc de suivre avec attention l’évolution de ce dossier dans les années à venir. En tout état de cause, le Protocole crée les conditions d’une vraie évolution du marché transatlantique du transport aérien mais encore faut-il que les principaux acteurs le veuillent. Si tel est le cas, « l’ouverture du capital des transporteurs aériens américains aux intérêts européens non seulement ouvrirait le marché intérieur américain aux intérêts européens mais permettrait également l’avènement de transporteurs aériens transatlantiques offrant aux entreprises concernées une alternative aux alliances actuelles » (19). Nous en sommes encore loin aujourd’hui puisqu’en l’état actuel du droit, il ne peut y avoir de regroupements d’entreprises entre les deux côtés de l’Atlantique alors même que ces regroupements sont au cœur de la consolidation du transport aérien observée ces dernières années, tendance qui ne se dément pas comme en témoignent la récente fusion entre American Airlines et US Airways ou le rapprochement entre British Airways et Iberia. Dans ce contexte, les transporteurs européens et américains optimisent le remplissage de leurs appareils et élargissent leurs offres commerciales en proposant des services en partage de codes, généralement entre partenaires de la même alliance, et renforcent leur synergie en créant des co-entreprises (joint-ventures) pour l’exploitation en commun et le partage des recettes et des coûts de certains services transatlantiques (20). Or, si les prises de contrôle capitalistiques entre les deux côtés de l’Atlantique sont impossibles, la situation économique de certains transporteurs aériens pourrait peut-être être améliorée, dans certains cas, par l’ouverture du capital à des intérêts provenant de l’autre continent. Les transporteurs américains, par exemple, qui se sont restructurés et recommencent à générer des bénéfices, pourraient trouver un intérêt à investir dans leurs partenaires européens, poursuivant la consolidation observée dans le secteur à une échelle supranationale (21).

Bien évidemment, il s’agit, ici, de questions de stratégie industrielle sur lesquelles votre rapporteur n’entend pas prendre position et qui se heurteront à la législation en vigueur tant que l’Europe et, surtout, les États-Unis n’auront pas donné sa pleine portée au Protocole du 24 juin 2010.

CONCLUSION

Le Protocole dont il nous est demandé d’autoriser la ratification s’inscrit pleinement dans le prolongement de l’accord des 25 et 30 avril 2007 liant l’Union européenne et ses États-membres, d’une part, et les États-Unis d’Amérique, d’autre part.

Son principal apport est de poursuivre l’ouverture des droits de trafic et des possibilités commerciales pour les transporteurs aériens européens et américains dès lors que certaines modifications législatives et réglementaires, tant en Europe qu’aux États-Unis, auront été entreprises.

Si l’impact du Protocole est aujourd’hui incertain, ce texte n’en revêt pas moins un enjeu significatif : celui de créer les conditions permettant une vraie évolution du marché transatlantique du transport aérien.

C’est donc au bénéfice de ces observations que votre rapporteur vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis.

ANNEXES

ANNEXE N° 1 :

LES LIBERTÉS DE L’AIR

Première liberté de l’air - droit ou privilège accordé par un État à un ou plusieurs autres États, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, de survoler son territoire sans y atterrir.

Deuxième liberté de l’air - droit ou privilège accordé par un État à un ou plusieurs autres États, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, d’atterrir sur son territoire pour des raisons non commerciales.

Troisième liberté de l’air - droit ou privilège accordé par un État à un autre État, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, de débarquer, dans le territoire du premier État, du trafic en provenance de l’État dont le transporteur a la nationalité.

Quatrième liberté de l’air - droit ou privilège accordé par un État à un autre État, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, d’embarquer, dans le territoire du premier État, du trafic à destination de l’État dont le transporteur a la nationalité.

Cinquième liberté de l’air - droit ou privilège accordé par un État à un autre État, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, de débarquer et d’embarquer, dans le territoire du premier État, du trafic en provenance ou à destination d’un État tiers.

Sixième liberté de l’air - droit ou privilège, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, de transporter, en passant par l’État dont le transporteur a la nationalité, du trafic entre deux autres États.

Septième liberté de l’air - droit ou privilège accordé par un État à un autre, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, de transporter du trafic entre le territoire de l’État qui accorde ce droit ou privilège et un troisième État quelconque sans obligation d’inclure dans cette opération un point du territoire de l’État bénéficiaire, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire que le service soit en correspondance avec un service ou soit un prolongement d’un service à destination ou en provenance de l’État dont le transporteur a la nationalité.

Cabotage - droit ou privilège de transporter du trafic de cabotage entre deux points situés à l’intérieur du territoire de l’État qui accorde le droit ou privilège.

ANNEXE N° 2 :

LE TRANSPORT AÉRIEN DE PASSAGERS
ENTRE L’EUROPE ET LES ETATS-UNIS

Le trafic entre les Etats-Unis et l’Union européenne, qui s’est élevé à 49,4 millions de passagers en 2012, se concentre à 95 % sur huit États membres : le Royaume-Uni (17,4 millions de passagers, 35 % du trafic global), l’Allemagne (10,1 millions, 21 %), la France (6,2 millions, 13 %), les Pays-Bas (4,4 millions, 9 %), l’Espagne (2,9 millions, 6 %), l’Italie (2,7 millions, 6 %), l’Irlande (1,8 million, 4 %) et la Belgique (1,2 million, 2 %).

Les principaux acteurs côté américain sont American Airlines, Delta Airlines, United Airlines et US Airways, le nombre de ces transporteurs se réduisant au rythme des regroupements : Delta Airlines a absorbé Northwest Airlines en 2009, United Airlines a fait de même avec Continental Airlines en 2010 et, récemment, US Airways a absorbé American Airlines en prenant le nom commercial de cette dernière.

Parmi les transporteurs aériens européens, les compagnies « nationales » sont en première position sur leur marché respectif : British Airways sur le marché britannique, Lufthansa (Allemagne), Air France (France), KLM (Pays-Bas), Iberia (Espagne), Alitalia (Italie), Aer Lingus (Irlande) et Brussels Airlines (Belgique). Globalement, les compagnies européennes détiennent 55 % des parts du marché transatlantique avec cependant de fortes disparités selon les marchés nationaux, les compagnies italiennes, par exemple, ne contrôlant que 36 % des sièges offerts et leurs consœurs néerlandaises 37 %, alors que les transporteurs français en contrôlent 58 % et leurs homologues allemands 59 %.

Parmi les dix lignes les plus fréquentées entre l’Union européenne et les États-Unis, sept desservent Londres : 4 millions de passagers transportés entre Londres et New-York en 2012, 1,3 million avec Los Angeles, 1,2 million avec Chicago et plus ou moins un million de passagers sur chacune des lignes entre Londres et Miami, Boston, San Francisco et Washington. Toutefois, au milieu de cette écrasante domination britannique, la ligne Paris – New-York fait figure d’exception en prenant la seconde position des lignes les plus fréquentées avec près de 1,4 million de passagers en 2012. Viennent ensuite un grand nombre de lignes avec plus ou moins 600 000 passagers comme Francfort – New-York ou Madrid – New-York, et Francfort – Washington ou Francfort – San Francisco, New-York étant la destination phare aux États-Unis (600 000 passagers également avec Amsterdam et Rome).

Hormis les huit États membres mentionnés supra, six autres pays européens ont un trafic significatif avec les États-Unis (plus de 200 000 passagers annuels) : le Danemark, le Portugal, la Suède, la Pologne, l’Autriche et la Finlande par ordre décroissant.

ANNEXE N° 3 :

LA QUERELLE AUTOUR DE L’APPLICATION AU TRANSPORT AÉRIEN DU SYSTÈME EUROPÉEN D’ÉCHANGES DE QUOTAS D’ÉMISSION DE GAZ À EFFET DE SERRE

La directive ETS aviation, adoptée en 2008 et entrée en vigueur en 2012, prévoit que les émissions de CO2 des vols desservant les pays de l’Union doivent être compensées intégralement par une restitution de quotas équivalents aux émissions produites. Ainsi, les opérateurs aériens, quelle que soit leur nationalité, desservant les pays de l’Union européenne doivent racheter l’équivalent de 15 % de leurs émissions de CO2, les autres étant distribués gratuitement. Les recettes devraient être utilisées dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

Dès l’élaboration de la directive, des compagnies et États récalcitrants ont notifié leur désaccord par la voie publique (déclarations de New Delhi et de Moscou) et politique (positions à l’OACI) et demandé à l’Union européenne de montrer des signes d’ouverture pour favoriser les avancées à l’OACI, sur la base d’un mécanisme de marché.

Pour ces pays, la directive constitue une violation du principe de souveraineté nationale sur l’espace aérien, érigé par l’article 1 de la Convention de Chicago. Ils refusent que les trajets extracommunautaires soient pris en compte pour le calcul des émissions. La menace d’un recours contentieux devant l’OACI était régulièrement brandie. L’opposition des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) se fonde sur le principe reconnu dans la convention cadre sur les changements climatiques de responsabilité commune mais différenciée (CBDR) qui est contraire au principe de non-discrimination de l’OACI. Ainsi, des mesures de rétorsion ont déjà été mises en œuvre, comme le report de l’achat de 45 Airbus par la Chine et la loi américaine permettant d’interdire aux compagnies américaines de satisfaire aux obligations de la directive européenne.

Malgré ce contexte particulièrement difficile, les négociations internationales menées à l’OACI ont pu progresser, amenant les Européens, le 12 novembre 2012, à suspendre les effets de la directive ETS aviation pendant un an pour les vols extra-UE (« stop the clock initiative »). Les obligations découlant de la directive persisteront pour tous les vols intra-UE.

À la suite de cette décision, la 38ème Assemblée de l’OACI a adopté le 4 octobre 2013 une résolution qui comprend la soumission, en 2016, d’une proposition relative à un système mondial de mesures fondées sur le marché (MBM) susceptible d’être mis en œuvre d’ici 2020. Ainsi, le transport aérien devient le seul grand secteur de l’industrie à avoir mis en place un accord multilatéral mondial sur les MBM afin d’aider à gérer les futures émissions de gaz à effet de serre. Cette résolution a toutefois été adoptée dans un contexte de contestation généralisée du système ETS par la plupart des États membres de l’OACI. Ainsi, la possibilité de mettre en place des MBM régionaux (tels qu’ETS aviation) se trouve contrainte par l’obligation, de nature politique et non juridique, pour l’État qui mettrait en place un mécanisme régional, d’engager des consultations/négociations avec les États dont les compagnies aériennes seraient concernées, pour parvenir à une entente.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours des deux réunions de commission du mardi 13 mai 2014 à 17 heures et du mercredi 11 juin 2014 à 16h30.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Merci beaucoup Monsieur le Rapporteur pour ces éclaircissements. Je donne maintenant la parole à Serge Janquin.

M. Serge Janquin. Ma question concerne d’abord la procédure et le calendrier. Le protocole examiné date de 2010, le projet de loi et le rapport nous ont été envoyés hier et nous devons en discuter aujourd’hui. Cela semble réduire le rôle de l’Assemblée nationale à celui d’une simple chambre d’enregistrement.

Sur le fond, les compagnies américaines refusent aux compagnies européennes le cabotage sur le territoire des États-Unis. A l’inverse, les compagnies américaines peuvent effectuer des liaisons entre capitales européennes. Il s’agit d’une conception singulière de l’équilibre entre les parties.

Par ailleurs, les États-Unis pourront opposer leur veto à l’attribution, aux compagnies européennes, des droits de 7ème liberté vers cinq pays tiers.

Il s’agirait également de savoir ce que recouvre précisément la notion de « bonnes relations de coopération en matière de services aériens ». Il est à craindre que cette notion ne joue qu’en faveur de l’intérêt américain. Les États-Unis jugent les normes européennes en matière de protection sonore beaucoup trop drastiques. Rien ne garantit à ce jour un juste équilibre entre les parties, si ce n’est vos conclusions dont je salue naturellement la qualité.

Enfin, les intérêts d’Air France KLM, qui fait face à des difficultés majeures, sont-ils bien défendus sur le continent américain par cet accord ?

M. Axel Poniatowski. Nous examinons ici un projet de renouvellement d’accord très important. L’accord de 2007 était un très bon accord même si toutes les retombées positives attendues ne se sont pas concrétisées, notamment du fait de la crise économique de 2008. Le marché américain étant bien plus fermé que le marché européen, qui est le plus ouvert au monde, un tel accord nous est fondamentalement favorable. Les Américains fonctionnent en effet selon le principe du « Buy American Act » qui fait qu’ils peuvent interdire le rachat d’une compagnie aérienne américaine par des Européens. Aucun dispositif équivalent n’existe en Europe.

Il me semble plus inquiétant que les restrictions d’exploitation qui avaient été mises en avant dans l’accord de 2007 – négocié par Jacques Barrot – semblent remises en cause par ce texte. En particulier, l’arrêté Robien, qui interdit le trafic de nuit de minuit à 5h, pourra-t-il être rendu caduc par le protocole ? En vertu de cet arrêté, aucune autorisation de nouveaux créneaux de décollage ou d’atterrissage n’a été donnée depuis quinze ans à l’aéroport de Roissy.

Aussi, la remise en cause des restrictions d’exploitation concerne-t-elle seulement les nouvelles restrictions susceptibles d’être mises en œuvre, ou également les anciennes ?

En l’absence de réponses satisfaisantes sur ce sujet, je m’abstiendrai.

M. Jean-Paul Dupré. Lors de la mise en service de l’A380, les États-Unis avaient mis en avant des restrictions quant à son exploitation. Le présent projet de loi met-il fin à ce type de discriminations ?

M. Michel Terrot. Ma question ne concerne pas directement le protocole. Elle est relative à la taxe sur les billets d’avion, à laquelle se sont assujettis un certain nombre de pays européens, pour un montant total d’environ 200 millions d’euros par an. Les États-Unis ne participent pas à ce financement. En marge de la discussion de ce protocole, les autorités européennes font-elles pression sur les États-Unis pour les conduire à abonder ce fonds, qui alimente notamment UNITAID ? Il est anormal que l’Europe soit la seule qui vienne au secours du continent africain.

M. François Loncle. Merci pour toutes ces questions qui montrent non seulement que le sujet est intéressant, mais aussi que vous l’avez abordé avec recul, et en fonction des aspects concrets du transport aérien.

Je ne parlerai pas de notre calendrier, même s’il est vrai que les projets de loi arrivent parfois trop tard. Cela arrive régulièrement, et il s’agit d’un point qui peut être amélioré.

En ce qui concerne le cabotage, les Américains font bien la distinction entre l’Union européenne et les vingt-huit pays qui la composent. A l’inverse, ils considèrent leur pays comme totalement unifié. En somme, les États-Unis existent, mais pas les États-Unis d’Europe. C’est la raison pour laquelle les Américains refusent aux Européens le droit de cabotage sur leur territoire.

Pour le reste, un examen approfondi du texte montre qu’il existe un grand nombre de domaines où l’on observe une évolution positive en matière de réciprocité.

S’agissant du rôle du comité mixte, celui-ci concourt à définir la notion de bonnes relations en matière de services aériens. Il semble cependant que la notion de « bonnes relations » ne recouvre pas la même réalité pour les Européens et pour les Américains. Le comité mixte sera précisément en charge de faire la part des choses, d’impulser un rapprochement éventuel et de recueillir les informations des transporteurs, des pouvoirs publics et des usagers.

En ce qui concerne les intérêts d’Air France KLM, il est évident que les compagnies ont suivi les négociations de très près et qu’elles se seraient manifestées si leurs intérêts avaient été mis en danger. Les bienfaits attendus de l’accord de 2007 sont réels mais ont été brisés par la crise économique et la réduction des échanges transatlantiques qui en a été la conséquence.

Par ailleurs, il n’y a pas de remise en cause de l’interdiction du trafic de nuit. La réglementation européenne le précise. Aucune évolution négative n’est à attendre sur ce sujet.

En ce qui concerne l’attitude des Américains par rapport à l’A380, il existe un précédent : celui de la très forte opposition des États-Unis au Concorde. Il a fallu des années avant qu’un Concorde puisse atterrir sur le sol américain. Les mêmes arguments ont été avancés par les Américains au sujet de l’A380, mais les réflexes conservateurs ont, ici,  heureusement été brisés.

Sur la taxe sur les billets d’avion, les mois qui viennent doivent être l’occasion de faire pression sur les États-Unis par rapport à une taxe dont personne ne conteste les bienfaits. Il s’agit d’une bonne manière de rappeler que les États-Unis doivent sur ce sujet se joindre aux pays qui appliquent déjà cette taxe.

Enfin, permettez-moi de rappeler que le nouveau protocole ne s’oppose en rien à nos efforts pour que les Américains adoptent des normes qui concourent à la réduction des effets de serre.

Mme Odile Saugues. Le cabotage est-il interdit aux États-Unis pour les compagnies étrangères, ou est-ce spécifiquement les compagnies françaises qui refusent d’effectuer des vols de cabotage pour des raisons de rentabilité ?

M. François Loncle. Un vol Londres-New York, par exemple, n’est pas rentable pour Air France, mais il ne s’agit pas de cabotage. Le cabotage correspond à un trajet entre deux points sur le territoire américain, et il est interdit pour les compagnies européennes. Cette disposition était déjà dans l’accord de 2007.

J’aimerais également apporter une précision relativement à la question du bruit. J’ai rappelé que l’Union européenne vient d’adopter un règlement qui abroge la directive de 2002 sur le bruit. Il y a maintenant une possibilité de contrôler la conformité des procédures sur le bruit préalablement à leur mise en œuvre mais sans intervenir sur les décisions locales ou bloquer les mesures régionales ou nationales contre le bruit causé par les vols, notamment quant à l’interdiction des vols de nuit. Les restrictions liées au bruit restent en vigueur jusqu’à ce que les autorités compétentes décident de les réviser. Si nous décidons de ne pas les modifier, cela ne sera pas fait.

M. Serge Janquin. Le premier paragraphe du nouvel article 17 bis stipule que la libéralisation des marchés ne doit pas affaiblir les normes du droit du travail ni les droits et principes sociaux. Mais le second paragraphe souligne le rôle du comité mixte dans l’examen des conséquences sociales de la mise en œuvre de l’accord. Ce comité intervient-il comme un tribunal arbitral sans possibilité de recours, et sous influence américaine ?

M. François Loncle. Si le comité mixte recommande de modifier des normes pour des raisons de marché ou d’investissements dans les transports aériens, ce seront quand même les États qui décideront in fine. Le comité est une sorte de chambre préalable à toute décision qui intervient à la demande de transporteurs et d’États. Il émet des simples recommandations.

Dans l’ensemble, je pense que l’accord de 2007 était un bon accord, comprenant certes des clauses contestables comme le refus du cabotage. Et je crois que le texte que nous examinons aujourd’hui constitue un progrès, qui va permettre de favoriser le transport transatlantique. Il s’agit d’un objectif souhaitable en lui-même car il signifie davantage d’échanges, de commerce, de circulations entre l’Europe et les États-Unis.

M. Axel Poniatowski. Les États-Unis ne comprennent pas pourquoi l’Europe est aussi restrictive en matière de trafic de nuit. C’est la porte ouverte à la remise en cause de la possibilité de restreindre le trafic de nuit à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. Pour les élus de la région parisienne que nous sommes, Madame la Présidente, c’est une vraie responsabilité. J’aurais souhaité que l’on puisse auditionner des spécialistes du ministère des transports et de la DGAC. Au nom du groupe UMP, je souhaiterais que cet accord donne lieu à un débat en séance publique.

M. François Loncle, rapporteur. Le fait qu’il y a ait un mécanisme de décision réciproque permanent est positif. Les États restent en tout état de cause maître des décisions et je n’imagine pas un gouvernement français lever le couvercle. On ne fait pas disparaître les États ! Ce n’est pas un tel protocole qui va nous empêcher de prendre des dispositions essentielles pour nos populations et notre environnement.

M. Jacques Myard. Le 5 b) du nouvel article 15 de l’accord proposé répond aux inquiétudes exprimées. Il énonce : « L’introduction de toute nouvelle restriction d’exploitation est communiquée à l’autre partie au minimum 150 jours avant son entrée en vigueur. A sa demande, l’autre partie a le droit d’obtenir sans délai un rapport écrit expliquant les raisons de l’introduction de la restriction, l’objectif environnemental assigné à l’aéroport et les mesures qui ont été envisagées pour atteindre cet objectif. Ce rapport contient l’évaluation des coûts et avantages probables des différentes mesures envisagées ». Les États conservent donc bien la possibilité d’introduire des restrictions aux vols de nuit.

M. Axel Poniatowski. Certes, mais le 5 c) énonce : « Les restrictions d’exploitation sont i) non discriminatoires, ii) pas plus restrictives que nécessaire pour atteindre l’objectif environnemental assigné à l’aéroport concerné et iii) non arbitraires. »

M. Jacques Myard. C’est le respect des principes de droit international. A défaut de les respecter, on irait d’ailleurs devant le Conseil d’Etat.

M. Serge Janquin. En matière de transport aérien, nous avions auparavant des relations bilatérales avec les États-Unis. Si l’Union européenne est intervenue, c’est dans l’intérêt des populations européennes et c’est la raison pour laquelle un accord a été conclu entre l’Union européenne et les États-Unis. La question est donc simple : les normes seront-elles plus ou moins favorables en matière d’environnement ?

M. François Loncle. L’étude d’impact apporte des réponses aux préoccupations que vous avez exprimées. La partie relative aux conséquences environnementales du protocole est ainsi introduite : « L’environnement a été l’objet d’intenses discussions durant les huit sessions de négociation et le résultat obtenu doit être considéré par les européens comme un consensus très favorable dans un contexte d’approches très différentes, les États-Unis ne considérant pas les mesures de restrictions d’exploitation sur les aéroports pour lutter contre le bruit et les mesures de marché pour lutter contre les gaz à effet de serre comme les meilleures réponses à des problèmes réels. » L’Union européenne, peu à peu, tire mieux son épingle du jeu avec les États-Unis s’agissant des problèmes-clé du transport aérien. L’OACI développe quant à elle l’idée d’une approche équilibrée en matière de bruit et les consignes aux transporteurs sont de plus en plus précises. Il y a donc des progrès sur ce dossier des restrictions d’exploitation. Il serait très étonnant que les pouvoirs publics aillent dans un sens qui aggraverait les nuisances sonores. Je suis un optimiste.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Sans douter des propos du rapporteur qui font état des progrès constatés et des avancées du protocole par rapport à l’accord antérieurement conclu, qui contenait déjà des garde-fous, je souhaiterais moi aussi avoir plus de certitudes. Dès lors que le projet de loi n’est pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée, nous pourrions prendre le temps de convier un des négociateurs du protocole au sujet des garanties relatives à la règlementation actuelle sur les interdictions de vols de nuit pour s’assurer qu’elle n’est pas affectée.

M. François Loncle. Je soutiens cette idée si cela peut permettre de lever les appréhensions ; je ne souhaiterais en revanche pas que l’on cherche, ce faisant, à brider le commerce transatlantique.

*

Après l’audition de M. Paul Schwach, directeur du transport aérien et de M. François Theoleyre, sous-directeur des transporteurs et services aériens à la direction générale de l'aviation civile au ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie (cf annexe : compte-rendu n° 69 du mercredi 11 juin à 16h30), et suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 192).

Annexe – compte-rendu n° 69 de la réunion du mercredi 11 juin 2014 à 16h30 : Audition de M. Paul Schwach, directeur du transport aérien et de M. François Theoleyre, sous-directeur des transporteurs et services aériens à la direction générale de l'aviation civile au ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie

Mme Odile Saugues, présidente. Nous vous remercions, messieurs, d’avoir accepté d’éclairer notre commission sur le protocole modifiant l’accord de transport aérien signé en 2007 entre les États-Unis et l’Union européenne.

Le protocole nous a été présenté par notre rapporteur, M. François Loncle, lors de notre réunion du 13 mai dernier. Il vise à poursuivre l’ouverture des droits de trafic entre les États-Unis et l’Union européenne commencée avec l’accord de 2007. Mais cet approfondissement est soumis à la mise en œuvre, par les deux parties, de certains engagements : les Américains doivent faire évoluer leur législation relative à la nationalité économique des entreprises, afin d’en autoriser la détention et le contrôle effectif par des Européens ; de son côté, l’Union européenne doit faire évoluer la réglementation relative à l’introduction de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports. Il s’agirait de donner compétence à la Commission européenne pour contrôler et uniformiser les procédures d’établissement de ces restrictions, sans pour autant qu’elle intervienne dans les décisions locales.

Notre rapporteur nous a bien montré en quoi ce protocole était favorable aux Européens : le marché aérien américain étant beaucoup plus fermé que le nôtre, il est dans notre intérêt d’aller vers plus d’ouverture.

Cependant, plusieurs membres de la Commission ont exprimé leur inquiétude à l’égard d’une évolution des règles relatives aux restrictions d’exploitation. La sensibilité des Européens sur ce sujet n’est pas la même que celle des Américains, ceux-ci ayant du mal à comprendre pourquoi nous sommes restrictifs en matière de trafic de nuit. Si nous acceptons l’intervention en amont de la Commission européenne, quelles garanties avons-nous que nous resterons libres d’établir les restrictions d’exploitation qui nous conviennent ? L’uniformisation attendue ne va-t-elle pas nécessairement conduire à un nivellement par le bas ?

En outre, plusieurs de nos collègues ont eu le sentiment qu’il existait un déséquilibre entre les concessions faites par les États-Unis et celles que les États membres de l’Union européenne ont consenties. Les États-Unis nous refusent toujours le droit de cabotage sur leur territoire, alors que les compagnies américaines peuvent effectuer des liaisons d’un État membre à un autre. Pourquoi cette asymétrie ? Ne devrions-nous pas adopter une position plus ferme dans la négociation à ce sujet ?

Enfin, notre rapporteur a laissé entendre que les États-Unis sont en réalité peu disposés à faire évoluer leur législation sur la propriété de leurs transporteurs aériens, ce qui constitue pourtant une des conditions posées par le protocole. Dès lors, peut-on vraiment en attendre des avancées ?

Telles sont les préoccupations qui nous ont incités à différer notre vote sur le projet de loi de ratification du protocole.

M. François Loncle, rapporteur. Je vous remercie à mon tour, messieurs, d’avoir accepté notre invitation. Vous avez très bien résumé le problème, madame la présidente. Il est rare que nous repoussions ainsi un vote sur une convention internationale. Mais la demande de mes collègues était pleinement légitime. M. Poniatowski, en particulier, s’est interrogé sur le déséquilibre qui semble exister entre les exigences américaines et nos propres impératifs en matière de préservation de l’environnement, notamment de lutte contre le bruit autour de nos aéroports la nuit. Nous nous posons, en outre, quelques questions annexes. Cela étant, nous avons bien compris l’intérêt de ce protocole, qui modifie et prolonge l’accord de 2007.

M. Paul Schwach, directeur du transport aérien à la direction générale de l’aviation civile. J’ai pris connaissance des débats que vous avez eus le 13 mai. Vous avez, selon moi, parfaitement analysé le sujet. Je ne vous apprendrai donc pas grand-chose sur le contexte de cet accord, ni sur ses tenants et aboutissants.

Je rappellerai néanmoins l’historique des accords. En 1998, la France et les États-Unis ont conclu un accord bilatéral sur le transport aérien. Au cours de la même période, une dizaine d’États européens ont signé des accords bilatéraux analogues avec les États-Unis. Dans plusieurs arrêts, la Cour de justice des Communautés européennes a critiqué la manière dont ces accords avaient été établis ; sans les interdire totalement, elle en a modifié le contenu et la portée. Les États membres ont alors donné mandat à la Commission européenne pour négocier un texte entre l’Union et les États-Unis. Après une phase de négociation assez longue, un accord dit « ciel ouvert » a été signé en 2007.

Nous l’avons appelé accord « de première phase », car il était clair, dès 2007, qu’il ne répondait pas à toutes les attentes des deux parties, notamment sur les deux points principaux que vous avez rappelés. D’une part, l’Union européenne avait demandé avec insistance une libéralisation des règles américaines en matière de propriété des compagnies aériennes. Il existait – et existe toujours – un déséquilibre : alors que les Européens autorisent les étrangers à détenir jusqu’à 49,9 % du capital de leurs compagnies aériennes, les Américains limitent ce taux à 25 % pour leurs compagnies. L’objectif de l’Union était également de favoriser des consolidations entre compagnies aériennes. Or, pour des raisons de patriotisme économique, mais aussi à cause de la pression des syndicats, les États-Unis ont opposé un refus catégorique à toute évolution en la matière. Si l’administration fédérale était relativement ouverte, le Congrès y était farouchement opposé.

D’autre part, les États-Unis avaient réitéré avec force leur demande d’une évolution des règles européennes en matière de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports. La Convention de Chicago, qui a institué l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), prévoit dans son article 1er que chaque État exerce une souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire. Mais l’OACI a également formulé des recommandations pour éviter que chaque pays ne prenne des mesures contradictoires qui finiraient par bloquer le transport aérien international. Dans une résolution de 2001, elle a ainsi défini une doctrine en matière de restrictions d’exploitation, dénommée « approche équilibrée ». Or, depuis 2001, les États-Unis ont le sentiment d’appliquer convenablement cette approche, alors que les Européens ne joueraient pas le jeu. Aux États-Unis, une administration centralisée, la Federal Aviation Administration (FAA), a le pouvoir d’adopter des restrictions sur chacun des aéroports américains. En Europe, cette compétence appartient aux différents États – au ministère compétent ou aux préfets –, voire aux collectivités territoriales. De plus, les Américains affirment imposer peu de restrictions d’exploitation, tandis que les Européens prendraient des mesures dans tous les sens sans respecter la méthode fixée par l’OACI, soit pour des motifs purement locaux, soit pour pratiquer un protectionnisme déguisé.

Les questions relatives aux règles de propriété et aux restrictions d’exploitation n’ayant pas été traitées, l’accord de 2007 a prévu que les parties ouvriraient des négociations complémentaires, en vue de conclure un accord « de deuxième phase ». Celui-ci a été signé en 2010 : c’est le protocole qui vous est soumis actuellement, avec un certain retard.

Il était très important de l’adopter dans les délais prescrits car, à défaut, l’une ou l’autre partie aurait pu dénoncer l’accord de 2007, en vertu d’une clause contenue dans ce dernier. Or ledit accord a été jugé utile et bénéfique par les deux parties, tant pour les États que pour les compagnies aériennes et pour les passagers. Il a notamment favorisé les alliances et les partages de codes entre compagnies pour les liaisons transatlantiques. Il a sans doute évité que certains accords de coopération ne subissent les foudres de l’administration américaine pour des questions relatives au droit de la concurrence. Il a contribué à un accroissement de la concurrence et, partant, à une baisse relative des prix. Le trafic transatlantique s’est certes beaucoup moins développé que ne l’anticipaient les prévisions, en raison de la crise économique de 2008. Mais seuls les Britanniques portent un jugement mitigé sur cet accord, en raison de la place particulière de l’aéroport de Heathrow dans le trafic transatlantique. Pour sa part, la France estimait nécessaire de signer un protocole additionnel, afin que personne ne dispose d’un prétexte pour dénoncer l’accord. D’où l’attitude ouverte et positive qu’elle a adoptée dans la négociation.

Le protocole de 2010 était censé traiter les questions restées en suspens en 2007. Cependant, de notre point de vue, comme de celui de nombreux observateurs, il ne comporte aucune avancée notable. Les États-Unis ont confirmé leur opposition à tout changement relatif aux règles de propriété des compagnies aériennes. L’Union européenne, quant à elle, est restée très prudente sur l’évolution du cadre en matière de restrictions d’exploitation. Le protocole ne prévoit qu’un dispositif virtuel : si l’une ou l’autre partie fait évoluer sa réglementation, elle bénéficiera de quelques droits de « septième liberté » supplémentaires. En réalité, il était nécessaire de conclure un protocole, aussi vide soit-il, pour empêcher que la clause de dénonciation de l’accord de 2007 ne puisse jouer.

Vous avez soulevé deux questions à propos de ce protocole. La première porte sur le droit de cabotage. D’une manière générale, les accords bilatéraux, y compris ceux conclus au niveau de l’Union européenne, ne prévoient pas de libéraliser le cabotage, c’est-à-dire de donner le droit aux compagnies aériennes étrangères d’exploiter des vols sur les lignes intérieures. Tel était notamment le cas des accords bilatéraux conclus séparément par les pays européens avec les États-Unis, notamment de l’accord franco-américain de 1998 : les compagnies françaises n’avaient pas le droit de pratiquer le cabotage aux États-Unis, de même que les compagnies américaines ne pouvaient pas le faire en France. Néanmoins, la plupart de ces accords, notamment les accords franco-américain et franco-allemand, octroyaient des droits de « cinquième liberté ». Ainsi, une compagnie française qui proposait des vols Paris-New York-Mexico pouvait embarquer des passagers à New York pour les emmener jusqu’à Mexico. De même, une compagnie américaine qui aurait exploité une ligne New York-Paris-Milan aurait pu transporter des passagers sur la seule portion Paris-Milan. En 2007, lorsque l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis a été négocié, il a été convenu de ne pas revenir sur les droits de « cinquième liberté » accordés aux compagnies américaines, qui devenaient, de fait, des droits de cabotage intra-européen. Il était de toute façon très difficile de faire autrement, la conclusion d’un accord au niveau européen devant se traduire par une libéralisation accrue, et non l’inverse. De leur côté, les États-Unis n’ont pas proposé d’accorder la réciprocité en matière de cabotage aux compagnies européennes.

Toutefois, selon nous, cette situation ne nuit guère aux compagnies françaises : les droits de « cinquième liberté » sont utilisés en Europe par quelques compagnies américaines spécialisées dans le fret, telles que FedEx, mais pas par celles qui transportent des passagers. En effet, le modèle dominant reste celui des hubs : les compagnies américaines préfèrent que leurs avions effectuent des allers-retours entre New York et Paris, d’une part, et entre New York et Milan, d’autre part, plutôt que des liaisons New York-Paris-Milan. Ce ne serait guère rentable pour elles. D’une manière générale, les grandes compagnies internationales ont noué des alliances ou conclu des accords de partage de codes afin de proposer ce type de trajets. Reste qu’il existe bien une asymétrie entre les États-Unis et l’Union européenne en matière de droit de cabotage. Mais celle-ci préexistait à l’accord de 2007, et n’a fait que perdurer d’une négociation à l’autre. L’Union européenne paie le fait qu’elle est non pas un État intégré, mais la juxtaposition de vingt-huit États membres.

Votre deuxième question concerne les restrictions d’exploitation liées aux nuisances sonores. Comme je l’ai indiqué, la résolution adoptée par l’OACI en 2001 enjoint aux États d’appliquer une « approche équilibrée » lorsqu’ils adoptent de telles restrictions. S’ils constatent des nuisances sonores autour d’un aéroport, ils doivent envisager quatre types de mesures, qu’ils peuvent combiner : réduire le bruit à la source, en imposant l’utilisation d’avions moins bruyants ; prendre des mesures opérationnelles d’exploitation, par exemple en modifiant la trajectoire des avions ou en instaurant une procédure de descente continue ; limiter l’urbanisation des zones proches de l’aéroport, comme nous le faisons en France avec les plans d’exposition au bruit ; décider de restrictions d’accès à l’aéroport telles que le couvre-feu ou les créneaux nocturnes. Les États doivent réaliser une étude coûts-bénéfices et appliquer les éventuelles restrictions sans discrimination. Ils ne sauraient en aucun cas les utiliser à des fins de protectionnisme ou de limitation de l’ouverture du marché aérien.

Cette doctrine a été reprise dans la directive européenne 2002/30 relative à l’établissement de règles et procédures concernant l’introduction de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports de la Communauté. La directive prescrit aux États membres de réaliser une évaluation des mesures qu’ils envisagent et de la présenter à la Commission européenne.

Lors de la négociation du protocole de 2010, les États-Unis ont cherché à obtenir un peu plus que ce que prévoit la directive. Ils ont demandé non seulement que les Européens appliquent l’approche équilibrée, mais aussi que la Commission européenne contrôle davantage l’action des États membres et des autorités locales en la matière. Ils souhaitaient disposer d’un interlocuteur unique et centralisé, doté de véritables pouvoirs, à l’image de la FAA. Or, le protocole a seulement prévu que, si l’Union européenne s’engageait dans cette voie, alors les compagnies européennes obtiendraient des États-Unis quelques droits de « septième liberté » supplémentaires. Il ne contient ni calendrier ni engagement précis de la part des Européens.

Quelle a été, dans ce cadre, l’action de l’Union européenne ? Elle a proposé, il y a un peu plus de deux ans, un « paquet aéroportuaire ».

Mme Odile Saugues, présidente. Quand vous parlez de l’Union européenne, faites-vous référence à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), pendant de la FAA ?

M. Paul Schwach. Non, à la Commission européenne. Il s’agit du cadre législatif, et non des mesures techniques pour lesquelles l’AESA est compétente.

Le « paquet aéroportuaire » comprenait trois volets, portant respectivement sur l’assistance en escale, sur les créneaux et sur le bruit. Au titre du troisième volet, la Commission a proposé un règlement modifiant la directive 2002/30. Celui-ci a été amendé, puis adopté par le Conseil et par le Parlement européen. Il devrait être publié dans les prochains jours. En définitive, il ne renforce que modérément le dispositif prévu par la directive. Désormais, lorsqu’une autorité – selon les pays, l’État ou une collectivité territoriale – envisage d’introduire une restriction d’exploitation liée au bruit dans un grand aéroport, la Commission européenne peut, à la demande d’un État membre ou de sa propre initiative, examiner si l’approche équilibrée a bien été respectée. Si elle estime que tel n’est pas le cas, elle peut en informer ladite autorité. Celle-ci doit alors examiner les remarques de la Commission et l’informer de ses intentions avant d’adopter la mesure. Le règlement instaure donc une obligation pour les autorités compétentes de dialoguer, de fournir des explications et de détailler le processus qu’elles ont suivi. La Commission peut faire des commentaires, auxquelles ces autorités sont tenues de répondre, mais celles-ci gardent la liberté de mettre en œuvre ou non la restriction. Leur souveraineté ultime n’est donc pas remise en cause.

Bien que le règlement ne soit pas encore publié, nous avons déjà eu l’occasion de le tester « en vraie grandeur », lorsque nous avons introduit des restrictions d’exploitation à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle à la suite de la publication du rapport Dermagne et de l’élaboration de la charte d’aménagement durable du Grand-Roissy. Ainsi, nous avons souhaité interdire l’accès de nuit à l’aéroport aux appareils les plus bruyants, c’est-à-dire aux avions certifiés « chapitre 3 » dans la terminologie de l’OACI. Cette interdiction devait s’appliquer, en 2012, aux avions qui présentent une marge cumulée des niveaux de bruit inférieure à huit décibels et, en 2014, à ceux dont la marge cumulée est inférieure à dix décibels.

Nous avons respecté l’approche équilibrée et appliqué exactement la procédure prévue par le règlement. Nous avons remis à la Commission européenne un rapport expliquant le problème des nuisances sonores et comprenant de nombreuses données sur le bruit ressenti, les populations concernées et leurs revendications. Nous avons également étudié les conséquences économiques pour les compagnies aériennes, compte tenu du nombre d’avions susceptibles d’être touchés par les restrictions. Par ailleurs, nous nous sommes conformés à la nouvelle règle prévue par le protocole de 2010 : chaque partie doit informer l’autre de toute nouvelle restriction d’exploitation au moins 150 jours avant son entrée en vigueur. Nous avons donc remis aux autorités américaines le même rapport qu’à la Commission. Le protocole donnait alors le droit à la partie américaine, tout au plus, de formuler des commentaires.

Au terme de ce processus, le ministre des transports a pris les arrêtés instaurant les restrictions. Le processus de décision a été relativement long – les arrêtés, qui étaient prêts au printemps 2011, n’ont été signés qu’à la fin de cette même année –, mais il n’a pas été bloqué. Les arrêtés sont aujourd’hui en vigueur et sont respectés.

Il est donc tout à fait possible d’adopter des restrictions d’exploitation liées au bruit à condition de respecter la procédure. Il s’agit, pour l’essentiel, de celle qui a été acceptée dans le cadre de l’OACI en 2001. La seule nouveauté consiste à informer la Commission européenne et les autorités américaines.

Mme Odile Saugues, présidente. S’agissant du droit de cabotage, le protocole de 2010 est, selon moi, un accord a minima pour l’Union européenne.

Quel rôle l’AESA joue-t-elle dans le dispositif que vous avez décrit ? De quels recours dispose l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) en matière de lutte contre le bruit ?

M. François Loncle, rapporteur. Cette audition est très utile. La première partie de votre exposé, monsieur le directeur, m’a plutôt inquiété : la situation apparaissait compliquée et les exigences américaines semblaient excessives au regard de la nature du protocole et de son évolution. En revanche, la seconde partie de votre propos m’a plutôt rassuré : vous soulignez l’importance de l’approche équilibrée, qui permet aux États de prendre des mesures en fonction de leurs préoccupations, aéroport par aéroport. En outre, si la Commission est en droit de faire des commentaires auxquels les États doivent répondre, ce sont eux qui décident in fine. Cela répond à l’une de nos principales interrogations.

M. François Rochebloine. Je vous remercie, monsieur le directeur, de ces informations.

Le protocole introduit de nouvelles dispositions relatives à la dimension sociale. Qu’en est-il pour l’âge limite des pilotes ? Celui-ci est plus élevé aux États-Unis qu’en France. Les pilotes français demandent d’ailleurs de le repousser.

M. Axel Poniatowski. Je vous remercie à mon tour, monsieur le directeur, de votre exposé très intéressant et instructif. Contrairement au rapporteur, je suis plutôt préoccupé par la fin de votre propos. Je comprends bien l’intérêt de l’accord de 2007 : il donne davantage de flexibilité aux compagnies européennes en matière de coopération et d’alliances avec d’autres compagnies, européennes ou américaines. Quant au protocole de 2010, son principal mérite est de neutraliser la clause de dénonciation de l’accord de 2007. Cependant, les Américains semblent avoir obtenu à cette occasion des concessions de la part des Européens en matière d’introduction des restrictions d’exploitation. Conformément à leur souhait, ils peuvent désormais faire appel à un interlocuteur unique : la Commission européenne. Quelle est précisément la personne ou la structure compétente au sein de la Commission ? Quels sont ses pouvoirs d’arbitrage ? Ses décisions peuvent-elles s’imposer aux autorités nationales ? Vous avez indiqué que celles-ci restaient souveraines. Pouvez-vous être plus précis sur ce point ?

Quoi qu’il en soit, confirmez-vous bien que le protocole ne donne aucune autorisation supplémentaire d’atterrissage de nuit aux compagnies américaines ? Dans le cas contraire, ce serait une véritable déclaration de guerre !

Indépendamment de l’accord, quel bilan faites-vous des nouvelles trajectoires d’atterrissage et de décollage mises en place en région parisienne il y a un an ? Ont-elles eu un effet positif en matière de réduction du bruit ?

Enfin, quel intérêt avons-nous à négocier avec les États-Unis au niveau européen plutôt qu’au niveau national ? Si nous en étions restés à des accords bilatéraux entre chacun des États membres et les États-Unis, le problème du cabotage ne se poserait pas et nous pourrions faire jouer à plein la « cinquième liberté ». En 2007, Jacques Barrot, commissaire européen aux transports, avait expliqué à cette commission que le fait de parler au nom de l’Union européenne lui donnait plus de poids face aux États-Unis : cela n’apparaît guère dans le résultat de la négociation.

M. Paul Schwach. Je reconnais que le protocole de 2010 ne met pas fin à l’asymétrie qui existe entre l’Union européenne et les États-Unis en matière de droit de cabotage, mais il ne l’a pas aggravée. Celle-ci préexistait aux accords conclus au niveau européen et a perduré.

Le rôle de l’AESA n’est pas déterminé par les accords dont nous parlons. L’AESA et la FAA ont conclu des accords particuliers en matière de sécurité aérienne, qui visent à la reconnaissance mutuelle des certifications et des autorisations qu’elles délivrent. Ainsi, lorsqu’elle certifie un nouveau modèle tel que l’A350, la FAA n’exige pas qu’Airbus recommence tous ses tests : elle prend en compte le travail déjà réalisé par l’AESA. C’est un grand progrès pour le secteur de la construction aéronautique. La reconnaissance mutuelle s’applique également aux certificats de transporteurs et aux licences de pilotes.

Les accords de 2007 et 2010 ne modifient pas non plus le rôle de l’ACNUSA. Celle-ci dispose essentiellement d’un droit d’interpellation : elle réalise un rapport annuel, formule des propositions et peut appeler l’attention du Gouvernement sur tel ou tel point. De même que la Commission consultative de l’environnement, elle est obligatoirement consultée lorsque des restrictions d’exploitation sont envisagées.

S’agissant de l’âge limite d’activité en vol des pilotes, Monsieur Rochebloine, les règles de sécurité européennes et américaines sont désormais alignées sur celles de l’OACI : un pilote peut être aux commandes d’un avion jusqu’à soixante-cinq ans dès lors que le copilote est âgé de moins de soixante ans. Cependant, les compagnies aériennes peuvent avoir des pratiques très différentes. Ainsi, Air France encourage le départ à la retraite de ses pilotes dès soixante ans, au moyen de divers dispositifs.

M. François Théoleyre, sous-directeur des transporteurs et services aériens à la direction générale de l’aviation civile. Le protocole de 2010 a une portée très générale dans le domaine social. Il ne prévoit aucune harmonisation réglementaire en matière de droit du travail ou de délivrance des licences de pilotes. En revanche, il contient un article qui invite les parties à mesurer l’impact social de la libéralisation prévue par l’accord, et qui peut être invoqué dans le cas où l’une d’elles constaterait une dégradation des conditions de travail des salariés du secteur, un contournement du droit du travail par certaines entreprises, voire des formes de dumping social. Cette clause donne les moyens aux parties de soulever le problème dans le cadre bilatéral et de s’opposer à de tels développements.

M. Paul Schwach. L’article 4 du protocole stipule : « Les parties reconnaissent l’importance de la dimension sociale de l’accord et les avantages qui découlent de l’application de normes de travail élevées à des marchés ouverts. Les opportunités créées par l’accord ne sont pas destinées à affaiblir les normes de travail. » Il s’agit d’une réponse à ceux qui craignent qu’une concurrence accrue n’incite les entreprises à pratiquer le dumping social. Les signataires de l’accord affirment leur intention de ne pas accepter une telle dérive. Le comité mixte, qui se réunit chaque année, peut procéder à des évaluations pour s’assurer que l’article 4 est bien respecté.

En ce qui concerne les restrictions d’exploitation, l’article 3 souligne l’importance de la protection de l’environnement. Surtout, en vertu de ce même article, lorsqu’une partie introduit une nouvelle restriction d’exploitation dans un aéroport comptant plus de 50 000 mouvements d’avions à réaction par an – les restrictions existantes ne sont donc pas concernées –, elle s’engage, d’une part, à respecter l’approche équilibrée – elle devait déjà le faire dans le cadre de l’OACI – et, d’autre part, à informer l’autre partie 150 jours avant son entrée en vigueur – c’est là l’élément nouveau. L’autre partie peut formuler des commentaires, notamment faire valoir que la restriction nuit à tel ou tel de ses intérêts, mais elle ne dispose d’aucun droit de veto et ne peut pas bloquer la mesure.

Par ailleurs, l’article 6 prévoit une « extension des possibilités » largement virtuelle : si les parties modifient leur cadre législatif dans le sens indiqué dans le protocole, leurs compagnies pourront obtenir des droits de trafic supplémentaires. Pour les États-Unis, il s’agirait d’assouplir leurs règles en matière de propriété des compagnies aériennes, mais ils se sont toujours opposés à une telle évolution. Pour l’Union européenne, il s’agirait d’adopter des textes qui « octroient à la Commission européenne le pouvoir d’évaluer le processus avant l’imposition de mesures restrictives et d’engager l’action judiciaire appropriée ».

La question est donc : voulons-nous nous engager dans cette voie ? Tel était le souhait de la Commission, car cela lui aurait conféré de nouveaux pouvoirs. Elle a d’ailleurs tenté de le faire avec le projet de règlement relatif au bruit des aéroports que j’ai évoqué. Mais, dans le cadre du processus de codécision, le Conseil et le Parlement européen ont l’un et l’autre atténué le dispositif qu’elle avait présenté. En définitive, la Commission européenne sera informée des restrictions d’exploitation, pourra formuler des commentaires et demander des explications. Mais elle ne disposera d’aucun droit de veto, et ne pourra même pas suggérer de modifications. La souveraineté des États est donc préservée, en tout cas à ce stade. Mais je doute que les États membres et le Parlement européen soient plus enthousiastes à l’avenir, si la Commission propose de nouveaux d’aller au-delà de ce règlement.

Les Européens et les Américains sont donc dans la même situation : ni les uns ni les autres n’ont modifié leur législation dans le sens souhaité par l’autre partie. L’article 6 n’est donc pas appliqué.

Pour ce qui est de votre question sur le niveau de négociation le plus approprié, Monsieur Poniatowski, nous ne sommes pas favorables à une extension tous azimuts des accords multilatéraux. Nous ne devons négocier au niveau de l’Union qu’avec certains pays, lorsque nous y avons intérêt.

M. François Théoleyre. Tout dépend de la situation de départ. Avec les États-Unis, le marché était déjà très libéralisé, et l’accord de 2007 a permis à la France de bénéficier de la même ouverture de la part de certains États membres. Ainsi, Air France a pu lancer une liaison au départ de Londres vers les États-Unis, ce qui aurait été impossible si nous en étions restés à un accord bilatéral.

Avec la Canada, nous partions au contraire d’un cadre très restrictif : les transporteurs français ne pouvaient desservir que Montréal et Toronto. Mais, là aussi, l’accord conclu entre l’Union européenne et le Canada – que vous avez examiné il y a quelques mois – s’est avéré très bénéfique : Air France-KLM a obtenu le droit d’établir des liaisons avec toutes les villes du Canada, et a pu fortement développer son offre vers ce pays à partir de son hub secondaire à Amsterdam.

Toutefois, la libéralisation, qui constitue le principe de base des accords conclus par l’Union européenne, n’est pas toujours dans l’intérêt des transporteurs français. Dans ce cas, nous nous opposons à ce que les accords soient négociés au niveau européen, ou nous veillons à ce que les sauvegardes nécessaires soient introduites dans le mandat de négociation de la Commission, lorsque celui-ci est examiné par le Conseil.

M. Paul Schwach. S’agissant des nouvelles trajectoires mise en place en région parisienne, nous avons atteint nos objectifs sur le plan technique : les avions empruntent bien ces nouvelles trajectoires ; ils volent globalement plus haut. De nombreux riverains ont bénéficié de ce nouveau dispositif, même s’ils ne le disent pas nécessairement. Les mesures que nous avons réalisées avant et après sa mise en œuvre montrent que le bruit a été nettement réduit. En revanche, les oppositions politiques qui s’étaient exprimées au moment où nous avons pris l’arrêté demeurent. En effet, certaines zones – par exemple Conflans-Sainte-Honorine – sont aujourd’hui survolées par les avions, alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant. Leurs habitants sont désormais exposés au bruit et le font savoir. Néanmoins, les recours déposés devant le Conseil d’État ont été rejetés, et les différents acteurs se sont habitués au dispositif. Nous disposons de données très précises sur cette question, que nous pourrons vous communiquer.

Mme Odile Saugues, présidente. Je vous remercie, messieurs, d’avoir éclairé la Commission.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée la ratification du protocole modifiant l’accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les États-Unis d’Amérique, d’autre part, signé à Bruxelles le 25 avril 2007 et à Washington le 30 avril 2007 (ensemble un appendice, une déclaration commune et un échange de lettres), signé à Luxembourg, le 24 juin 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 192).

© Assemblée nationale

1 () Voir la liste des « libertés de l’air » en annexe du présent rapport (Annexe 1).

2 () En effet, pour les services tout-cargo, l’accord permet aux transporteurs européens d’effectuer une liaison entre les États-Unis et un pays tiers sans nécessairement inclure une ville européenne dans le trajet mais il ne prévoit pas un droit équivalent pour les transporteurs américains. Toutefois, cette possibilité leur est offerte dans le cas d’accords avec plusieurs États européens comme l’Allemagne, la France, la Pologne ou le Portugal.

3 () Pour plus de précisions sur l’accord de 2007, voir notamment le rapport n° 682 de M. Eric Raoult, Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, 5 février 2008.

4 () Des vingt-sept États membres signataires de l’accord de 2007, seule l’Allemagne n’a pas achevé les formalités préalables à son entrée en vigueur. D’une manière générale, la Commission européenne, estimant excessive la durée du processus de ratification par les États membres, a initié des procédures d’infraction à l’encontre de ceux n’ayant toujours pas mené à terme ce processus pour les accords les plus anciens, ce qui est le cas de l’accord de transport aérien avec les États-Unis. Cette démarche devrait accélérer le processus de ratification, ce qui laisse présager d’une possible entrée en vigueur de l’accord de 2007 en 2014.

5 () Pour plus de précisions – notamment chiffrées – sur le transport aérien de passagers entre l’Union européenne et les États-Unis, voir l’annexe 2 du présent rapport.

6 () C’est-à-dire les liaisons entre un aéroport européen et un aéroport américain exploité par un transporteur aérien donné.

7 () Les principaux acteurs côté américain sont American Airlines, Delta Airlines, United Airlines et US Airways, le nombre de ces transporteurs se réduisant au rythme des regroupements : Delta Airlines a absorbé Northwest Airlines en 2009, United Airlines a fait de même avec Continental Airlines en 2010 et, récemment, US Airways a absorbé American Airlines en prenant le nom commercial de cette dernière.

8 () Sur le comité mixte, voir infra.

9 () Directive 2002/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 mars 2002

10 () Sur ce texte, voir le rapport n° 88 de M. Jean-Louis Christ sur le projet de loi n° 9 autorisant la ratification de l’accord sur le transport aérien entre le Canada et la Communauté européenne et ses États membres (Assemblée nationale, 18 juillet 2012).

11 () Accord multilatéral signé en 2006 qui crée un Espace aérien commun européen rassemblant les États membres de l’Union européenne, l’Islande, la Norvège et les États des Balkans de l’ouest.

12 () Seulement huit aéroports français gèrent plus de 50 000 mouvements d’avions à réaction subsoniques civils par an : Bâle-Mulhouse, Lyon, Marseille, Nice, Paris-Charles de Gaule, Paris-Le Bourget, Paris-Orly et Toulouse.

13 () Votre rapporteur tient toutefois à rappeler la vive querelle ayant opposé l’Union européenne à plusieurs États – dont les États-Unis – au sujet de l’application au transport aérien du système européen d’échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Il y a revient dans l’Annexe 3 du présent rapport.

14 () Sur le bilan de l’accord de 2007, voir supra.

15 () Étude d’impact adossée au projet de loi, p. 5/7.

16 () Refonte du règlement (CEE) 95/93 du Conseil du 18 janvier 1993.

17 () Remplacement de la directive 96/67/CE.

18 () Remplacement de la directive 2002/30/CE.

19 () Étude d’impact adossée au projet de loi, p. 5/7.

20 () Par exemple, Air France, KLM, Delta et Alitalia exploitent quotidiennement en commun plus de 260 vols transatlantiques selon ces modalité.

21 () Toutefois, on relèvera que des investissements européens aux États-Unis ont déjà eu lieu, dans la limite de la réglementation américaine sur les investissements étrangers, le groupe britannique Virgin, qui contrôle notamment la compagnie aérienne européenne Virgin Atlantic Airways, créant en 2007 Virgin America ; le transporteur allemand Lufthansa a également pris une participation de 15,6 % dans le capital de la compagnie américaine JetBlue Airways.