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N
° 2118

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 juillet 2014

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION, tendant à la création d’une commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité (n° 2036)

PAR Mme Clotilde VALTER

Députée

——

Voir le numéro : 2036

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 5

1. Un objet suffisamment précis 6

2. L’absence de commission d’enquête ayant le même objet au cours des douze derniers mois 7

3. L’inexistence de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt. 7

II. L’OPPORTUNITÉ DE CRÉER UNE COMMISSION D’ENQUÊTE 8

A. LA RÉGLEMENTATION DES TARIFS DE L’ÉLECTRICITÉ AU CœUR DU MODÈLE FRANÇAIS 8

1. Rappel historique 8

2. Les TRV, essentiels à la protection des consommateurs résidentiels 10

3. La suppression des tarifs professionnels : de premières inquiétudes 11

B. DES DYSFONCTIONNEMENTS À RÉSOUDRE 12

1. Une hausse sensible des tarifs réglementés de vente de l’électricité 12

2. Un manque de visibilité à court et à moyen termes sur les tarifs à venir 14

3. Une instabilité juridique problématique 15

TRAVAUX DE LA COMMISSION 17

I. DISCUSSION GÉNÉRALE 17

II. EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 27

Article unique 27

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 29

INTRODUCTION

Le 17 juin dernier, les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen et apparentés ont déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité. Motivé par les annulations successives des arrêtés tarifaires par le juge administratif, le dépôt de cette proposition de résolution vise à doter le Parlement des moyens de comprendre, d’analyser et de refondre le mode de calcul des tarifs de l’électricité. Celui-ci est fondé sur une estimation des coûts approximative, souvent erronée, qui génère une instabilité préjudiciable au consommateur dont la facture croît sans qu’il en saisisse la raison.

Depuis 2012, l’Assemblée nationale a mené d’importants travaux sur les sujets énergétiques, en particulier au sein de la commission des affaires économiques. Sous l’impulsion de son président, M. François Brottes, votre commission a ainsi travaillé sur l'impact économique de l’exploitation des gaz de schiste (1), l’hydroélectricité (2), et amplement participé aux travaux de la commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire (3). Alors que le projet de loi de programmation sur la transition énergétique sera très prochainement présenté en Conseil des ministres, votre rapporteure considère qu’il est temps que l’Assemblée nationale s’attaque à la structuration des tarifs de l’électricité.

L’enjeu est double : d’une part, il s’agit d’identifier les raisons de la hausse du prix de l’électricité ; d’autre part, il est nécessaire de concevoir des tarifs adaptés au modèle électrique de demain.

I. LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La création d’une commission d’enquête s’expose au préalable au contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, au regard des conditions définies par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale.

1. Un objet suffisamment précis

Aux termes du deuxième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées ». L’article 137 du Règlement précise que les propositions de résolution « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

La proposition de résolution est relative aux tarifs de l’électricité, c’est-à-dire à leur mode de calcul, à leur établissement règlementaire et à leur évolution dans le temps.

Un tel sujet revient à examiner la gestion du service public de la fourniture d’électricité et de l’entreprise qui en est chargée en application de la loi, EDF. En effet, aux termes de l’article L. 121-2 du code de l’énergie, « le service public de l'électricité assure les missions de développement équilibré de l'approvisionnement en électricité, de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité ainsi que de fourniture d'électricité (…) ».

L’article L. 121-5 précise que : « la mission de fourniture d'électricité consiste à assurer, en favorisant la maîtrise de la demande, la fourniture d'électricité, sur l'ensemble du territoire, aux clients bénéficiaires des tarifs réglementés de vente (…) ».

Par conséquent, les tarifs réglementés de vente de l’électricité sont, sans ambiguïté possible, constitutifs du service public de la fourniture d’électricité.

En outre, l’article L. 337-5 du code de l’énergie dispose que les tarifs réglementés de vente d’électricité sont définis « en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures ». L’établissement de ces coûts s’effectue au regard de la comptabilité de l’entreprise EDF, à laquelle la CRE a accès en application de l’article L. 135-1 du code de l’énergie. EDF étant une entreprise à capital majoritairement public, une telle commission d’enquête porterait, par voie de conséquence, sur la gestion d’une entreprise publique.

La proposition de résolution créant une commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité respecte donc les dispositions de l’ordonnance du 17 novembre 1958 ainsi que le Règlement de l’Assemblée nationale.

2. L’absence de commission d’enquête ayant le même objet au cours des douze derniers mois

En application du premier alinéa de l’article 138 du Règlement, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

Dans le cas présent, aucune commission d’enquête ayant pour objet les tarifs de l’électricité n’a été créée dans les douze derniers mois.

3. L’inexistence de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt.

Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 interdit la création d’une commission d’enquête dont les travaux porteraient « sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

Pour garantir l’application de cette disposition, l’article 139 du Règlement prévoit les dispositions suivantes :

« Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice.

« Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue. »

Saisie par lettre de M. le Président de l’Assemblée nationale en date du 18 juin 2014, Mme la garde des Sceaux a répondu le 20 juin 2014 qu’aucune procédure judiciaire n’a été engagée, à sa connaissance, sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.

Votre rapporteure considère donc que la proposition de résolution répond aux conditions posées par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ainsi que par les articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale.

II. L’OPPORTUNITÉ DE CRÉER UNE COMMISSION D’ENQUÊTE

A. LA RÉGLEMENTATION DES TARIFS DE L’ÉLECTRICITÉ AU CœUR DU MODÈLE FRANÇAIS

1. Rappel historique

La loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz (4) a posé le cadre de l’organisation électrique et gazière française, EDF et les entreprises locales de distribution se voyant confier la gestion d’un monopole régulé s’agissant de la production et de la commercialisation de l’électricité.

La principale conséquence de cette situation de monopole public a été la mise en place de tarifs réglementés de vente (TRV) de l’électricité. Au cœur du modèle électrique français, le principe de base de la fixation des tarifs de l’électricité est la couverture des coûts des fournisseurs historiques, qui implique que chaque client paye un prix correspondant aux coûts que sa consommation génère sur le système électrique, conformément aux dispositions de l’article L. 337-5 du code de l’énergie et du décret du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité (5).

Le prix payé par le consommateur est donc l’intégration de plusieurs éléments structurants :

– une part « acheminement », correspondant au tarif d’utilisation du réseau public de l’électricité (TURPE), destinée à couvrir les coûts des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution d’électricité ;

– une part « énergie », correspondant aux coûts d’approvisionnement en énergie ainsi qu’aux coûts commerciaux des fournisseurs ;

– une part « fiscalité », correspondant à l’addition de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), de la taxe sur la consommation finale d’électricité (TCFE), la contribution tarifaire d’acheminement (CTA) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Les parts « acheminement » et « énergie » comprennent chacune une part fixe – l’abonnement annuel – et une part variable, proportionnelle à l’énergie consommée.

Dans ce cadre, trois tarifs étaient proposés à la vente selon la puissance souscrite :

Ce modèle est remis en cause par la législation européenne qui, à compter de la fin des années 1990, tend à ouvrir à la concurrence l’ensemble des marchés en situation de monopole, dont celui de l’électricité. Au travers des premier (6), deuxième (7) et troisième (8) « paquet énergie », la Commission européenne a incité les acteurs historiques nationaux à séparer les activités de production et de commercialisation, soumises à la concurrence, de leurs activités de gestion du réseau, demeurant en situation de monopole. Dans le même temps, afin de favoriser l’essor de fournisseurs alternatifs, les instances communautaires ont œuvré à la mise en place d’un marché européen de gros de l’électricité et du gaz.

Depuis l’ouverture totale en 2007 des marchés de l’électricité à la concurrence, les TRV coexistent avec des offres de marchés, même si ces derniers sont toujours majoritairement privilégiés par les consommateurs résidentiels ou professionnels.

ETAT DES LIEUX DE L’OUVERTURE À LA CONCURRENCE DU SECTEUR DE L’ÉLECTRICITÉ (EN NOMBRE DE SITES ALIMENTÉS)

Source : CRE

ÉTAT DES LIEUX DE L’OUVERTURE À LA CONCURRENCE DU SECTEUR DE L’ÉLECTRICITÉ (EN VOLUME DE CONSOMMATION)

Source : CRE

Toutefois, la légalité des TRV au regard du droit européen a été questionnée par la Commission européenne, qui a fait pression sur les États membres afin d’obtenir leur disparition, et diligenté une procédure d’examen au titre des aides d’État. Si, la France a obtenu le maintien des tarifs bleus, moyennant quelques ajustements, les tarifs destinés aux clients professionnels sont amenés à disparaître. Les évolutions des tarifs suscitent des inquiétudes, et justifient également que le Parlement s’en saisisse.

2. Les TRV, essentiels à la protection des consommateurs résidentiels

Si les tarifs réglementés de vente constituent une composante du service public de l’électricité, c’est parce qu’ils constituent une garantie forte d’accès à l’électricité des particuliers à des conditions économiques raisonnables.

Les consommateurs résidentiels privilégient largement les TRV en l’état actuel car ils sont compétitifs par rapport aux offres de marché tout en apportant une plus grande sécurité dans le long terme.

De ce point de vue, soumettre intégralement les Français à la volatilité des prix les exposerait à un risque important. C’est pourquoi le législateur a souhaité consacrer progressivement le principe de la réversibilité pour les consommateurs domestiques. Lors des premières étapes de la transposition des directives d'ouverture du marché de l'électricité et du gaz, la possibilité d'opter pour la concurrence a d'abord été assortie d'un caractère définitif. En d'autres termes, pour l'électricité comme pour le gaz, tout consommateur exerçant son droit d'éligibilité sur un site de consommation donné ne pouvait plus retourner, de manière définitive, aux tarifs réglementés sur ce site.

Désormais, l’article L. 337-7 du code de l’énergie dispose que les tarifs réglementés de vente de l'électricité bénéficient « à leur demande » aux petits consommateurs privés et professionnels, c’est-à-dire ceux dont la puissance souscrite est inférieure ou égale à 36 kVa (tarifs bleus).

3. La suppression des tarifs professionnels : de premières inquiétudes

Assimilés à des aides d’État par la Commission européenne, les tarifs jaune et vert sont amenés à disparaître au plus tard au 31 décembre 2015, conformément à l’article L. 337-9 du code de l’énergie. À l’heure actuelle, la CRE note que 76 % des sites non résidentiels sont aux TRV, ce qui représente 58 % des volumes d’énergie fournie. La transition risque donc d’être assez lourde pour la plupart de nos entreprises et il est essentiel de l’accompagner. La crainte de la plupart des professionnels est de voir les tarifs soudainement augmenter, alors que, comme sur le marché résidentiel, les offres tarifaires se situent en France à un niveau beaucoup moins élevé que dans la plupart des pays européens.

Comme le soulignait le rapport de la Commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, la suppression des tarifs verts, en particulier, est source d’inquiétude. Les tarifs verts concernent certes un nombre moins important de sites que les tarifs jaunes, mais les clients au tarif vert ont une consommation unitaire bien plus élevée (740 MWh de moyenne, contre 118 MWh pour les clients au tarif jaune). Les entreprises concernées, pour lesquelles le coût de l’énergie représente une part importante du coût de production, sont aujourd’hui dans une phase transitoire d’incertitude : elles ne savent pas quel prix de l’électricité elles paieront demain. S’ajoutent à la suppression des tarifs verts les coups portés à deux dispositifs importants pour les gros consommateurs : les contrats de long terme et l’accès réservé à une partie de la production hydroélectrique.

Les tarifs réglementés de vente constituent un élément essentiel du modèle électrique français. Les mutations à venir suscitent déjà des inquiétudes ; il est de la responsabilité du Parlement de les anticiper afin de construire les tarifs du modèle énergétique de demain. Mais au-delà, votre rapporteure n’occulte pas les nombreux dysfonctionnements actuellement constatés dans la fixation des TRV. Leur hausse comme leur instabilité génèrent encore davantage d’incompréhension chez nos concitoyens et nos entreprises.

B. DES DYSFONCTIONNEMENTS À RÉSOUDRE

1. Une hausse sensible des tarifs réglementés de vente de l’électricité

Entre le second semestre 2012 et le second semestre 2013, la France a enregistré une hausse du prix de l’électricité de plus de 10 %, même s’il reste en dessous du tarif moyen constaté au sein de l’Union européenne sur cette période.

HAUSSES DU TARIF DE L'ÉLECTRICITÉ HORS TAXES DEPUIS 2003 SUBIES PAR LES CONSOMMATEURS PARTICULIERS

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

3 %

-

-

1,70 %

1,10 %

2 %

+1,9 %*

+3 %*

1,70 %

2 %

+5 %*

Source : CRE

En première analyse, cette hausse conséquente se justifie par l’augmentation des coûts supportés notamment par l’opérateur historique, EDF. En effet, la fixation des tarifs réglementés de vente de l’électricité par le Gouvernement doit se conformer aux dispositions du code de l’énergie et du décret du 12 août 2009, prévoyant la couverture « des coûts de production, les coûts d'approvisionnement, les coûts d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution et les coûts de commercialisation, que supportent pour fournir leurs clients Électricité de France et les distributeurs non nationalisés » (9) .

Dans son rapport de juin 2013, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a également pointé que les tarifs réglementés de vente d’électricité devaient « a minima couvrir le coût comptable de fourniture de l’opérateur historique EDF » (10). Elle montre également qu’en 2012, l’écart entre ces coûts et les tarifs réglementés de vente s’élevait à 1,47 milliard d’euros. Devant la nécessité de respecter le cadre légal de la couverture des coûts moyens complets de l’électricité, la CRE préconise dans ce rapport d’augmenter encore les tarifs de 15 % en deux ans.

Cette première analyse, qui justifie la hausse du tarif de l’électricité vendue au consommateur par simple reflet de l’évolution des coûts, n’est cependant pas satisfaisante. Elle alimente deux difficultés supplémentaires :

- pourquoi ces coûts de production, d’approvisionnement, de distribution et de commercialisation de l’électricité augmentent-ils, et sur quelle tendance ;

- comment fournir une évaluation pertinente de ces coûts pour les répercuter correctement sur les tarifs réglementés de vente.

Sur ce deuxième point, la CRE reconnaît ainsi, dans son rapport précité, que l’analyse des coûts d’EDF – en l’occurrence ses coûts de production et de commercialisation – ne constituait ni un audit comptable de l’entreprise EDF, ni une analyse in extenso des coûts supportés par EDF, « des travaux d’approfondissement et d’analyse complémentaires, sur certains déterminants et postes de coûts » devant encore être menés en 2014 et 2015.

Par ailleurs, la méthode même de calcul de la couverture des coûts, par tarifs intégrés, est sujette à controverses. L’article 14 de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (dite « loi NOME »), prévoit au plus tard au 31 décembre 2015 le basculement vers une nouvelle méthode de calcul, dite d’empilement des coûts. Plus transparente, cette méthode assurerait la convergence tarifaire entre les tarifs réglementés de vente et le prix de marché. Mais ne remettrait-elle pas en cause la raison d’être des tarifs réglementés de vente, dont la logique même est de protéger les consommateurs particuliers des tribulations du marché de l’électricité ?

Le premier point renvoie à la difficulté d’assurer la transparence de l’évolution des tarifs sur plusieurs années, sujet de sécurité juridique et financière majeur pour les consommateurs, et fait l’objet du développement suivant.

2. Un manque de visibilité à court et à moyen termes sur les tarifs à venir

Les tarifs réglementés de vente de l’électricité sont révisés chaque année ; leur niveau est déterminé par arrêté ministériel, sur proposition de la CRE. Selon l’article L. 337-4 du code de l’énergie : « la Commission de régulation de l'énergie transmet aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie ses propositions motivées de tarifs réglementés de vente d'électricité. La décision est réputée acquise en l'absence d'opposition de l'un des ministres dans un délai de trois mois suivant la réception de ces propositions. Les tarifs sont publiés au Journal officiel ».

Malgré l’entrée en vigueur automatique de la proposition de la CRE, le pouvoir règlementaire conserve une marge de manœuvre sur les tarifs fixés.

C’est pourquoi, régulièrement, la fixation de ces tarifs fait l’objet de polémiques portant sur le risque de « politisation » des tarifs de l’électricité : il s’agit, par opportunité politique, de déconnecter les tarifs fixés des coûts réels de fourniture de l’électricité, par exemple en posant le principe d’une hausse au niveau du taux d’inflation là où une hausse plus conséquente serait nécessaire pour couvrir des besoins d’investissements à venir. Deux objectifs entrent donc directement en contradiction : celui de respecter l’obligation légale de couvrir les coûts supportés par l’opérateur historique et les distributeurs non nationalisés ; celui d’assurer au consommateur une stabilité, sinon en niveau, au moins en tendance, du tarif qu’on lui applique.

En outre, les interprétations des coûts que doivent refléter les tarifs réglementés divergent selon les acteurs en présence : lors d’un colloque organisé en janvier 2012, le président de la CRE a estimé qu’à législation constante, les tarifs réglementés devaient augmenter de 30 % à l’horizon 2016. En 2009, l’ancien président-directeur général d’EDF avait réclamé au Gouvernement une hausse de 20 % sur trois ans.

Ce manque de visibilité et de transparence sur les tarifs réglementés de vente de l’électricité se traduit, pour le consommateur, par l’impossibilité de connaître précisément le montant du service qu’il rémunère, et de prévoir à l’horizon de deux ou plusieurs années le prix final qu’il sera amené à payer. Les tarifs réglementés de vente perdent donc une partie de leur vocation initiale, qui était d’offrir une garantie des prix sur le long terme.

De manière plus problématique encore, cette méthode de fixation des tarifs réglementés soumet le consommateur au risque contentieux. La marge discrétionnaire du pouvoir réglementaire dans la fixation des tarifs peut en effet être mise à mal par des annulations prononcées par le tribunal administratif.

3. Une instabilité juridique problématique

Comme cela a été précisé précédemment, lorsque les coûts moyens complets de l’électricité varient, à la hausse ou à la baisse, les tarifs réglementés fixés annuellement par arrêté doivent refléter cette variation, sous peine d’illégalité. Devant la sous-estimation par l’autorité réglementaire des coûts de l’électricité, le juge administratif a été amené à plusieurs reprises à imposer leur révision, avec effet rétroactif.

En dernière date, la volonté du Gouvernement de plafonner à 2 % la hausse des tarifs réglementés de vente entre août 2012 et août 2013, notamment par souci de préserver le pouvoir d’achat des Français, a donné lieu à une contestation contentieuse et à l’annulation, en avril dernier (11) , d’une partie de l’arrêté, fixant les tarifs « bleu » et « jaune ». Le Gouvernement a été soumis à l’injonction de prendre, sous deux mois, un nouvel arrêté tenant compte de cette annulation, et donc fixant rétroactivement des tarifs plus élevés.

L’impact d’une hausse rétroactive des tarifs est doublement brutal pour le consommateur, qui subit à la fois une augmentation conséquente et imprévue de sa facture d’électricité.

Devant la succession de contestations donnant lieu à des annulations contentieuses, il convient de reconstruire un consensus public sur les objectifs que doivent remplir les tarifs réglementés et leur mode de calcul. Ce n’est qu’à cette condition que le service public de l’électricité pourra être garanti au consommateur.

*

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du 9 juillet 2014, la commission a examiné la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux tarifs de l’'électricité.

M. le président François Brottes. Avant que nous ne commencions, je voudrais souhaiter en notre nom à tous un excellent anniversaire à notre collègue Dino Cinieri – ainsi qu’à Mme Viviane Denis, ce qui me donne l’occasion de saluer le travail effectué par les agents de notre assemblée (Sourires).

Mme la rapporteure va nous présenter une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité. Ayant été l’instigateur de cette démarche, je vais me permettre de rappeler au préalable le contexte de cette proposition. La question des tarifs de l’électricité donne lieu à un imbroglio permanent : chaque majorité y est allée de sa loi ou de son décret, ce qui a invariablement conduit l’autorité juridictionnelle, à chaque fois qu’elle a été saisie d’un recours, à estimer que la copie était à revoir – sur ce point, la droite et la gauche sont quasiment à égalité.

Le sujet fait débat et suscite des crispations car, même si les choses sont faites de façon que le politique n’a pas forcément vocation à s’y intéresser – un peu comme c’était le cas pour le taux d’intérêt du livret de caisse d’épargne il y a quelques années –, nos concitoyens, qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises, ont tendance à considérer que le politique doit avoir son mot à dire en matière de tarifs de l’énergie, a fortiori quand on parle de tarifs réglementés – même si l’espèce est en voie de disparition.

On assiste à une hausse constante des tarifs de l’électricité, que certains estiment inéluctable. Je ne partage pas cet avis, car on a vu que la révision de la formule de calcul du prix du gaz – consistant à faire entrer dans cette formule davantage de gaz issu du marché par rapport à celui provenant des contrats à long terme – avait permis une baisse sensible des tarifs, mais je reconnais toutefois que c’est un peu plus compliqué pour l’électricité. Mme la ministre, qui s’est beaucoup exprimée sur le sujet dernièrement, a émis des préconisations et fait part de son intention d’entamer des négociations avec l’opérateur principal. Un décret, qui n’est sans doute pas le dernier, est en voie de parution, et les travaux que nous allons mener dans le cadre de la commission d’enquête devraient nous permettre de mener une réflexion sereine, qui sera utile à tous pour les dix ans qui viennent.

Pourquoi une commission d’enquête ? Parce que cette formule permet de convoquer des personnalités, de les faire témoigner sous serment et de leur demander la communication de certains documents. En cas de refus de leur part, nous pouvons toujours aller chercher ces documents là où ils se trouvent, et une telle démarche est parfois nécessaire pour obtenir la transparence, notamment en matière de constitution des coûts, qui constituent en principe l’essentiel du tarif. Même Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), affirmait dans un rapport n’avoir pu obtenir certaines précisions au sujet de ces coûts. Nous avons donc un service à rendre à la nation en menant une réflexion complète au sujet de leur constitution et, comme nous l’avions fait dans le cadre de la commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, en allant au fond des choses pour savoir ce que coûte la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et comment elle est dépensée : si elle sert notamment à financer les tarifs sociaux, le déploiement des énergies renouvelables, la solidarité avec les territoires non connectés au réseau et le médiateur national de l’énergie, il est permis de se demander si, dans tous ces domaines, il n’y a pas quelques progrès, donc quelques propositions à faire.

En ce qui concerne les réseaux, qui constituent un autre élément constitutif des coûts, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) a été contesté, pas tant en ce qui concerne les transports, où les choses paraissent à peu près claires – il faudra tout de même le vérifier – qu’en matière de distribution, où l’on assiste à un jeu de rôles entre ERDF et les collectivités locales, l’un possédant les réseaux et les compteurs, les autres ouvrant et fermant le robinet, dans le cadre d’un système pas toujours aussi fluide qu’il devrait l’être et qui pourrait bien occasionner quelques pertes en ligne entraînant autant de surcoûts pour le consommateur.

Pour ce qui est des tarifs sociaux, le projet de « chèque énergie » me paraît constituer une bonne solution : c’est en tout cas la seule permettant de traiter de toutes les énergies, y compris celles qui ne sont pas en réseau – je pense en particulier au fioul. La commission d’enquête devra anticiper la mise en œuvre d’un nouveau mode de prise en charge des tarifs sociaux, qui ne sont actuellement financés que par les énergies en réseau. Ce travail, nécessaire depuis longtemps, l’est aujourd’hui plus que jamais, car les décisions de justice ne cessent de contrarier les autorités qui se succèdent, et nos concitoyens ont de plus en plus de mal à comprendre leur facture.

J’ajoute que les taxes locales ont fait l’objet de décisions étonnantes de la part de la majorité précédente, au terme desquelles les communes de moins de 2 000 habitants ont vu le montant de leurs taxes déterminé par les syndicats d’électricité départementaux même quand elles n’avaient pas voté ces taxes ; dans le cadre de la dernière loi de finances rectificative, il a été décidé d’étendre ce mécanisme à toutes les communes à partir du 1er janvier 2015. Cette disposition va être revue, car il est étrange de voir une taxe décidée par une instance non élue au suffrage universel, à plus forte raison lorsque celle-ci s’applique à des communes qui ne l’avaient pas votée…

Comme on le voit, le chantier est immense : la constitution des tarifs est une chose complexe qui, à la manière d’un écheveau que l’on défait, vous amènera sans doute, au fil de vos travaux, à découvrir des éléments qui nous sont encore inconnus – tout cela au profit du bien commun, consistant à mettre fin à une escalade irraisonnée des tarifs, qui pourrait sans doute être évitée si l’on trouvait le moyen d’optimiser les choses : le consommateur ne s’en plaindrait pas ! J’espère ne pas avoir été trop long, madame la rapporteure, dans mon exposé des raisons qui ont présidé à la démarche du groupe socialiste.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Nous pourrions presque ouvrir la discussion dès maintenant, monsieur le président, tant votre exposé a été complet. Le groupe socialiste a effectivement déposé, le 17 juin dernier, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité. Cette initiative s’explique par la situation actuelle, caractérisée par deux éléments : d’une part, des annulations successives d’arrêtés tarifaires pris par les différents gouvernements, le juge estimant que le prix appliqué ne permettait pas de couvrir les coûts ; d’autre part, un consommateur confronté à une hausse de prix régulière et importante, mais aussi à des rectifications – essentiellement des augmentations – auxquelles le juge peut donner un caractère rétroactif, l’ensemble constituant une spirale infernale.

Cette situation n’est pas acceptable pour les élus que nous sommes, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le mode de calcul des tarifs réglementés de l’électricité conduit à ce que la proposition de la CRE au Gouvernement devienne de plus en plus lourde au regard du pouvoir d’achat de nos concitoyens ; par ailleurs, le dispositif actuel n’est ni compris, ni transparent pour le consommateur, notamment en raison d’une forte volatilité des prix – alors que nos concitoyens sont, au contraire, demandeurs d’une certaine stabilité : ils aiment savoir à quoi s’attendre quand ils choisissent, par exemple, une énergie pour se chauffer. Enfin, dès que les pouvoirs publics prennent des décisions tarifaires visant à protéger les consommateurs, ces décisions sont contestées devant le juge et annulées avec effet rétroactif.

Dans ce contexte, la responsabilité du Parlement, profondément attaché à la réglementation des tarifs – au cœur du service public de l’électricité depuis 1946 –, se décline en quatre éléments. Premièrement, il s’agit de comprendre et d’analyser le mode de calcul du prix de l’électricité et de ses différentes composantes, à savoir la production de l’énergie, l’acheminement par les réseaux, la fiscalité.

Deuxièmement, le code de l’énergie prévoit que les tarifs réglementés doivent couvrir les coûts supportés par les opérateurs ; dès lors, il nous appartient d’examiner à la fois la façon dont ces coûts sont constitués et les conditions dans lesquelles ils sont évalués et présentés. La CRE a indiqué, dans un récent rapport, que les éléments portés à sa connaissance n’étaient pas suffisants pour lui permettre de comprendre la constitution du coût complet, ce qui nécessitait de poursuivre les investigations en ce sens. Par ailleurs, plusieurs rapports de la Cour des comptes ont apporté un éclairage sur la question des coûts, notamment celui relatif aux énergies renouvelables.

Troisièmement, nous devons intégrer à nos travaux les évolutions à court et moyen terme susceptibles de peser sur les tarifs de l’électricité, dans un modèle en évolution constante – je pense notamment aux éléments du mix électrique.

Quatrièmement, enfin, nous devons formuler des propositions portant à la fois sur la manière dont le coût complet doit être analysé et sur le mode de calcul des tarifs. Comme on le voit, le champ du travail de la future commission d’enquête est important, puisqu’il s’étend de la pédagogie à l’examen de la constitution des coûts. Enfin, une fois intégrées les perspectives d’évolution à court et moyen terme, la commission devra formuler des propositions.

Je terminerai en précisant, comme il est d’usage lorsqu’il s’agit d’examiner la création d’une commission d’enquête au regard de l’ordonnance de novembre 1958, que l’objet de la commission nous paraît suffisamment précis ; qu’il n’y a eu pas de commission d’enquête portant sur le même objet au cours des douze derniers mois ; qu’il n’y a pas d’enquête judiciaire en cours sur cette question, ce qui a été confirmé au président de l’Assemblée nationale par Mme la garde des Sceaux par une lettre du 20 juin 2014.

M. Daniel Fasquelle. Sur le principe, nous sommes tout à fait favorables à ce que l’on s’intéresse aux tarifs réglementés de l’énergie. Cela dit, un certain nombre de questions se posent. Premièrement, les travaux de la commission d’enquête ne vont-ils pas se chevaucher avec l’examen du projet de loi sur la transition énergétique, qui va avoir des conséquences directes sur le coût de l’énergie ? Si vous décidez de démanteler les centrales nucléaires, cela va forcément avoir un coût, induit par la recherche d’une autre énergie. Cela a été le cas en Allemagne, où le remplacement de l’énergie nucléaire par les énergies renouvelables, très mal négocié, s’est traduit par une augmentation de 200 % des tarifs par rapport à l’année 2000. J’aimerais donc savoir comment vous prévoyez de faire le lien entre les travaux de la commission d’enquête et le projet de loi déjà présenté par la ministre et qui, annoncé comme une priorité, va être examiné par le Parlement à l’automne : pour ma part, j’ai bien peur que l’on n’assiste à un télescopage.

Par ailleurs, si nous sommes tous animés par la préoccupation d’offrir des tarifs raisonnables aux Français, afin de préserver leur pouvoir d’achat, il faut bien avoir conscience que tout a un coût : en l’occurrence, il faut bien produire l’énergie, l’acheter et l’acheminer, et on voit mal qui, sinon le consommateur, pourrait assumer ce coût. Je pense que personne n’a intérêt à ce que ce soit l’opérateur, car cela risquerait de se répercuter sur l’entretien du réseau ; quant à une prise en charge par le contribuable, elle ne manquerait pas de susciter des protestations. Vouloir agir sur les prix est une chose, mais nous ne devons pas perdre de vue les réalités économiques qui s’imposent à nous : ainsi, il est vain d’imaginer que la France puisse avoir une influence sur le cours du pétrole, et il ne faut pas bercer les Français d’illusions en leur laissant croire que le Gouvernement a tout pouvoir dans ce domaine.

Je m’interroge également sur la compatibilité d’une telle démarche avec le droit européen. Ne risquons-nous pas de nous trouver à contre-courant alors que le marché unique de l’énergie, qui implique le démantèlement des tarifs réglementés et l’introduction de davantage de concurrence, se met progressivement en place ? On a mis fin à l’inflation en France avec l’ordonnance du 1er décembre 1990, qui introduisait la concurrence. Malheureusement, cette introduction ne s’est jamais étendue au marché de l’électricité. Lors de l’examen de la loi relative à la nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite NOME, Jean Dionis du Séjour et moi-même avions déposé des amendements visant à ce qu’il y ait plus de concurrence. Que cela puisse tirer les prix vers le bas, comme nous le pensons, est une chose, mais en tout état de cause, cela fait partie des orientations européennes dont il nous paraît difficile de faire abstraction. Quelle est votre position sur ce point ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le prix de l’énergie, notamment celui de l’électricité, est un sujet politique, économique, écologique et social. Comme l’a très bien dit Mme la rapporteure, une commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité est nécessaire afin de trouver des solutions pérennes visant à mettre fin à une spirale d’augmentation préoccupante et peu comprise par les consommateurs, a fortiori dans la période actuelle de crise économique et de crise du pouvoir d’achat.

Comprendre pourquoi les tarifs sont toujours si compliqués à fixer est une nécessité. En effet, les tarifs réglementés de l’électricité, qui concernent 28 millions de ménages, font régulièrement l’objet de polémiques entre EDF, les fournisseurs alternatifs d’énergie, l’État, la CRE et le Conseil d’État. Hausses, baisses, rattrapages : les Français ne s’y retrouvent plus. Il y a donc nécessité de comprendre comment se fixent les prix pour réfléchir éventuellement à une nouvelle méthode de calcul des tarifs.

La facture d’électricité est également impactée par la progression constante de la CSPE, de plus en plus lourde au regard de la progression de la part des énergies nouvelles et renouvelables, sans compter la péréquation tarifaire des zones non interconnectées et l’augmentation du nombre de clients bénéficiaires des tarifs de première nécessité. Autant de questions sur laquelle la commission d’enquête devra se pencher, avant de proposer éventuellement un nouveau modèle. Tout cela influe évidemment sur les tarifs d’EDF qui, comme toute entreprise, doit préserver à l’équilibre de ses comptes : il faut donc veiller à ce que les tarifs pratiqués permettent de couvrir les coûts de production et de commercialisation.

L’ouverture du marché de l’électricité votée en 2003 devait, selon le gouvernement de l’époque, « apporter une baisse des prix grâce à la concurrence ». Aujourd’hui, il apparaît que le consommateur n’y a pas gagné, bien au contraire. La question du prix de l’électricité ne concerne pas que les particuliers. Il s’agit également d’un sujet majeur pour la compétitivité des entreprises électro-intensives – sur lesquelles pèsent des charges liées à l’énergie de plus en plus lourdes –, donc pour l’avenir de l’industrie française.

Personne ici ne s’étonnera que j’ouvre une parenthèse sur la question majeure de l’hydroélectricité. Comme beaucoup, je reste fondamentalement attachée à conserver une maîtrise française de cette forme de production d’énergie, car je suis persuadée que la mise en concurrence entraînerait mécaniquement une hausse du prix de cette énergie précieuse et indispensable à l’équilibre de la sécurité du système électrique français. Il sera important de garder cela à l’esprit durant les travaux de la commission d’enquête et, pour ma part, je m’attacherai à le rappeler.

Pour toutes ces raisons, il est impératif de comprendre la composition des prix et des coûts de l’électricité dans la continuité de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, afin de mieux préparer la transition énergétique et la loi qui s’y rapporte, qui sera présentée cet été. La commission d’enquête devra répondre à tous ces objectifs, et peut-être trouver un nouveau modèle visant à maîtriser les fluctuations du prix de l’électricité. C’est tout l’enjeu de cette commission, dont nous soutenons la création proposée à l’initiative de notre groupe.

M. Antoine Herth. Parmi les éléments susceptibles d’influer sur le prix de l’électricité figurent aussi, à mon sens, le déploiement du compteur intelligent ainsi que la question des entreprises locales de distribution. Je m’interroge également sur le fait que les propositions de loi que nous examinons ne donnent jamais lieu à une étude d’impact, qui serait pourtant fort utile pour nous permettre de réfléchir en amont aux conséquences positives ou négatives des décisions que nous prenons, notamment sur des sujets susceptibles d’avoir une influence sur les tarifs de l’électricité – je pense, par exemple, à la proposition de loi que nous avons récemment adoptée, relative au déploiement de bornes de recharge électrique.

Par ailleurs, la proposition de résolution conclut à la nécessité d’élaborer une nouvelle méthode de calcul devant aboutir à des tarifs garantissant une couverture des coûts de production et de commercialisation : objectif tout à fait louable, s’il n’était précédé de deux autres, rédigés de manière bizarre, si ce n’est spécieuse.

Il est d’abord question de mettre au point des tarifs raisonnables – j’en suis d’accord – et de « mettre fin à la spirale de hausse continuelle des tarifs » : l’expression laisse à penser que l’on va instaurer un mode de calcul garantissant une stabilité des prix, à charge pour les producteurs et distributeurs de s’arranger pour proposer les tarifs correspondants. Ensuite, on veut tendre vers « des tarifs fiables et stables » ; si je souscris totalement à l’objectif visant à la fiabilité des tarifs, je m’interroge sur le concept de stabilité : veut-on parler d’une stabilité à la hausse ou à la baisse, ou d’un prix variant peu ?

Enfin, la proposition donne le sentiment que le prix de l’énergie, en particulier de l’électricité, ne doit jamais évoluer. Or, toute la logique de la transition énergétique repose non seulement sur des signaux politiques, des discours et des encouragements fiscaux, mais aussi sur un « signal prix » ; à force de gommer ce signal constituant un indicateur du prix réel de l’énergie, on décourage les initiatives visant à économiser l’énergie, par exemple les travaux d’isolation dans les habitations ou les changements de véhicule, auxquelles nous sommes pourtant tous favorables.

Mme Frédérique Massat. J’aimerais savoir s’il est prévu que la question de la péréquation tarifaire soit abordée lors des travaux de la commission d’enquête. Par ailleurs, je me permets d’évoquer l’état des réseaux de distribution, incombant aux gestionnaires de réseaux tels qu’ERDF : mal entretenu, un réseau peut occasionner des pertes en ligne dont les usagers font au bout du compte les frais. Le coût de l’entretien des réseaux doit donc également être pris en compte dans la détermination du tarif de l’électricité.

M. Dino Cinieri. À un journaliste qui soulignait que, la loi exigeant que les tarifs couvrent les coûts, la marge de manœuvre du Gouvernement s’en trouvait réduite, Mme la ministre a récemment répondu : « C’est vrai, et c’est la raison pour laquelle nous allons modifier la règle en profondeur. La nouvelle formule de calcul des tarifs intégrera les prix du marché. Mais elle modifiera également cette contrainte, pour les tarifs, de couvrir intégralement les coûts. Cette obligation sera supprimée dans le décret et, pour sécuriser le tout, elle sera inscrite dans la loi de transition énergétique. Cela permettra à EDF de faire à la fois des économies de gestion et des gains de productivité. Le système précédent n’incitait pas le groupe à maîtriser ses coûts puisque les hausses étaient automatiques. » Par conséquent, ma question est la suivante : si l’on maîtrise les coûts, cela ne va-t-il pas se faire au détriment de la sécurité ou des infrastructures, en particulier dans les centrales nucléaires ?

Mme la rapporteure. M. Fasquelle s’est inquiété du fait que la commission d’enquête puisse interférer avec l’examen du projet de loi sur la transition énergétique. Premièrement, si le Parlement va discuter, amender et finalement émettre un vote sur le texte du Gouvernement, de son côté, la commission d’enquête va prendre pour base de réflexion les informations qu’elle aura d’abord recueillies. Deuxièmement, nous savons déjà que la CRE et la Cour des comptes aboutissent à des conclusions différentes au sujet du coût complet. Or, si la mise au point d’un nouveau mode de calcul du tarif réglementé doit s’appuyer sur le coût complet, encore faut-il qu’on puisse le déterminer de manière fiable, en partant de bases connues – qu’il nous revient, en tant que parlementaires, de découvrir. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il est essentiel que nous nous attachions à déterminer les coûts avec exactitude en prenant pour cela tout le temps qu’il faudra – ce qui, au-delà de la nécessaire œuvre de transparence relevant de notre mission de parlementaires, nous permettra d’aborder le débat législatif en étant mieux armés, car nous disposerons d’informations précises.

Si je n’ai pas évoqué le droit européen, c’est simplement parce que je ne voulais pas faire un exposé trop long après celui, déjà très complet, du président Brottes, mais je ne perds pas de vue cet aspect des choses. Cela dit, le principe de libre concurrence est entré en vigueur en 2003 et, alors que le gouvernement de l’époque nous avait annoncé que cela entraînerait une baisse des prix, nous n’avons rien vu venir.

M. Daniel Fasquelle. Forcément, il n’y a pas eu de concurrence !

Mme la rapporteure. Enfin, il me semble que la réglementation des tarifs de l’électricité et du gaz constitue l’héritage historique de la loi de 1946 ayant institué le service public de l’électricité qui, sauf erreur de ma part, a toujours fait l’objet d’un consensus. Vous nous direz quelle est votre position sur ce point, mais en ce qui nous concerne, nous sommes très attachés aux principes faisant partie de notre patrimoine national, selon lesquels l’énergie fait partie des biens de première nécessité et le coût de l’énergie doit être fixé à un niveau raisonnable, afin que celle-ci reste accessible à nos concitoyens. Au demeurant, la question du tarif de l’électricité n’intéresse pas que les particuliers : nous qui auditionnons des entreprises et avons travaillé sur la question de la sidérurgie, nous savons à quel point elle est cruciale pour les industries électro-intensives.

Je veux dire à Marie-Noëlle Battistel que nous sommes très attachés à ce que la France conserve la maîtrise publique du patrimoine que constitue l’hydroélectricité, produite à un prix très faible à partir d’équipements aujourd’hui amortis. Pour cela, nous devons nous appuyer sur la notion de service public de l’électricité.

Si je ne suis pas entrée dans les détails lors de mon propos liminaire, je reprends évidemment à mon compte les questions soulevées par Antoine Herth au sujet du déploiement des compteurs intelligents et des entreprises locales de distribution – et, d’une manière générale, tout ce qui peut entrer dans la composition du coût complet en termes de production, de réseaux et de fourniture. Pour ce qui est des deux questions figurant à la fin de la proposition de résolution, leur mention constitue à nos yeux un rappel de ce qui est notre modèle depuis 1946, à savoir le service public de l’électricité. Une fois que nous serons en mesure d’appréhender les coûts avec précision, ce qui est loin d’être le cas pour le moment, peut-être découvrirons-nous quelques marges de nature à nous permettre de faire des propositions dans le respect de nos valeurs. En tout état de cause, nous serons en mesure de présenter à nos concitoyens un coût de l’électricité compatible avec leur aspiration à une plus grande stabilité – une aspiration légitime, car la volatilité des prix est un facteur d’incertitude au moment de s’engager, par exemple, sur le choix d’un mode de chauffage ; par ailleurs, nous devons veiller à préserver la compétitivité de nos entreprises, en particulier les électro-intensives.

Je suis tout à fait d’accord avec Frédérique Massat au sujet du coût d’entretien des réseaux, ainsi qu’avec M. Cinieri lorsqu’il rappelle le lien entre les coûts et la fixation des tarifs – et nous ne pouvons que partager sa préoccupation au sujet de la sécurité de nos équipements, en particulier celle des centrales nucléaires, une question sur laquelle nous avons déjà travaillé dans le cadre de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, mais qui devra à nouveau être abordée dans le cadre de la commission d’enquête que nous proposons de créer.

M. le président François Brottes. Je voudrais revenir sur quelques points, à commencer par l’emploi de l’expression « spirale de hausse continuelle des tarifs », contre lequel s’est élevé M. Fasquelle. Cette expression évoque pourtant fidèlement la situation actuelle, celle de tarifs de l’électricité continuellement à la hausse dans une spirale incontrôlée. Certes, l’idée de voir les tarifs repartir à la baisse n’est qu’un pari, mais c’est celui que nous avons décidé de faire.

Mme Massat a insisté sur la péréquation, tandis que M. Herth évoquait les régies locales de distribution. Nous sommes dans un système organisant une péréquation dont tout le monde bénéficie, y compris les régies. Ce modèle a une influence majeure sur les prix car, si l’on supprimait la péréquation ou si l’on donnait aux régies des latitudes différentes, cela ferait très mal aux territoires ruraux. Ce choix de modèle n’a rien à voir avec l’Europe, il est strictement français et a sur les prix un impact dont il faut sans cesse rappeler l’importance, car peu de gens en ont conscience.

Le deuxième élément susceptible de faire débat est celui de l’incitation à consommer moins – sur ce point, vous connaissez ma volonté de trouver des modes de facturation de l’énergie permettant d’encourager les comportements vertueux et de dissuader nos concitoyens de gaspiller, à la façon d’un système de bonus-malus. Pour moi, la notion de prix moyen de l’électricité fausse les choses, et nous pouvons nous interroger sur l’opportunité de la maintenir, puisque l’Europe ne nous oblige à rien sur ce point. En fait, nous devons distinguer les éléments contournables, telle la notion de prix moyen, de ceux qui ne le sont pas, et dont notre commission ne pourra que prendre acte.

C’est un beau chantier que celui des tarifs de l’électricité : nous n’aurons probablement pas le temps d’exposer nos propositions lors de la première lecture, mais la deuxième lecture le permettra. Certes, il eût été préférable de mettre en place plus tôt cette commission d’enquête, mais comme vous le savez, nous devions d’abord mener à bien nos travaux sur les coûts du nucléaire – qui seront tout aussi utiles lors des débats à venir. Grâce à Mme la rapporteure, qui ne manque pas de courage, nous serons au rendez-vous de la deuxième lecture pour faire œuvre utile en matière législative, étant précisé qu’il existe aussi, sans doute, des solutions relevant du domaine réglementaire. Sous la précédente majorité, nous avions auditionné des membres de la Direction générale de l’énergie de la Commission européenne, qui nous avaient clairement indiqué, en anglais dans le texte, que l’ouverture du marché était un échec pour les consommateurs. Cela ne signifie pas qu’une telle ouverture ne puisse jamais produire d’effets positifs, mais simplement que la façon dont elle a été mise en œuvre jusqu’à présent a conduit à une hausse significative des tarifs, contrairement à ce qui en était espéré.

L’un des éléments contribuant à plomber les tarifs réside dans les coûts de commercialisation, qui augmentent en même temps que le nombre de concurrents. Aussi extravagant que cela puisse paraître, ce sont les concurrents de l’opérateur principal qui ont contesté le fait que les tarifs soient trop faibles, et obtenu gain de cause ! Cela montre bien qu’encourager la concurrence a pour effet de créer une spirale d’augmentation des tarifs. Comme vous le savez, l’électricité est un bien particulier, essentiel et non stockable : de ce fait, on ne peut porter sur ce bien le même regard que sur les autres biens du marché. Je conçois que, sur cette question, nous puissions avoir des conceptions politiquement opposées, mis nous devons veiller, les uns et les autres, à ne pas nous contenter d’une vision simpliste.

M. Daniel Fasquelle. Je m’efforce de ne jamais avoir une vision simpliste, monsieur le président. En tout état de cause, nous ne pourrons avoir le débat passionnant auquel ce sujet peut donner lieu qu’à la condition d’éviter de caricaturer nos positions respectives. Mme la rapporteure, qui nous dit être attachée à la péréquation, en profite pour nous accuser de remettre en cause les acquis de 1946, ce qui n’est pas très agréable à entendre : c’est un peu comme si je vous reprochais, monsieur le président, d’avoir remis en cause l’acquis que constituait le système de bonus-malus – mais cette question ne sera probablement pas abordée dans le cadre de cette commission d’enquête.

Dans un contexte d’augmentation constante des prix, on ouvre le marché à la concurrence et, constatant que les prix augmentent encore, on attribue ce mouvement à l’instauration de la concurrence. Un tel raccourci est absurde ! Par ailleurs, ce n’est pas parce que l’on est favorable à l’ouverture du marché à la concurrence – qui a été une bonne chose dans le secteur des télécommunications, par exemple – que l’on est contre les mécanismes de péréquation visant à aider nos concitoyens les moins favorisés à avoir accès à l’électricité.

La démarche mise en œuvre jusqu’à présent, consistant à fixer un tarif puis à essayer d’y faire coller la réalité, n’est pas la bonne, car à un moment donné, il n’est plus possible de financer ce qui coûte de plus en plus cher, à savoir la production de l’énergie et l’entretien des réseaux ; en agissant de la sorte, on produit un décalage de plus en plus grand par rapport à la réalité économique et au droit – jusqu’à ce qu’on se trouve condamné, ce qui arrive régulièrement. Il existe à mon sens une autre façon de procéder, qui consisterait à laisser jouer la concurrence jusqu’à ce que le vrai coût de l’électricité apparaisse sur les factures, puis à mettre en place un système d’aides – tarifs adaptés ou subventions – afin de permettre aux personnes en difficulté d’accéder à l’énergie.

Je conclurai en insistant sur le fait que pour moi, la concurrence n’a jamais été mise en place en France. Quand on sait qu’EDF vendait l’électricité à ses concurrents plus cher qu’elle ne la vendait au consommateur final, on voit mal comment ces concurrents auraient pu s’implanter sur les marchés ; du coup, les consommateurs ne se sont jamais vu proposer une réelle offre alternative.

II. EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

Article unique

La Commission adopte l’article unique de la proposition de résolution sans modification.

Elle adopte ensuite à l’unanimité la proposition de résolution sans modification.

M. le président François Brottes. La proposition de résolution pourra être débattue en séance. J’indique d’ores et déjà au groupe UMP que la présidence de la future commission d’enquête lui revient – conformément au Règlement de notre assemblée, qui prévoit que le président d’une commission d’enquête appartienne à l’opposition, tandis que son rapporteur est de l’opposition – et qu’il lui appartient donc de réfléchir à la désignation de l’un de ses membres à cet effet. Un tel dispositif correspond bien à ce que doit être le travail d’une commission d’enquête : une approche dépassionnée, où l’on s’efforce d’aller au fond des choses dans la diversité de nos approches – et c’est toute la richesse de notre assemblée qui trouve à s’exprimer quand nous pouvons mener à bien une telle réflexion, au terme de laquelle nous sommes en mesure d’éclairer nos collègues. Je ne doute pas que nous y parviendrons.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres relative aux tarifs de l’électricité.

© Assemblée nationale

1 () Rapport d'information n° 1919 de M. Frédéric Barbier sur l'impact économique de l'exploitation des gaz de schiste

2 () Rapport d'information n° 1404 de Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann sur l'hydroélectricité

3 () Rapport n° 2007 d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim (M. François Brottes, Président et M. Denis Baupin, Rapporteur)

4 () Loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz.

5 () Décret n° 2009-975 du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité.

6 () Directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité.

7 () Directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 96/92/CE.

8 () Directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE.

9 () Décret du 12 août 2009, article 3.

10 () Commission de régulation de l’énergie, Analyse des coûts de production et de commercialisation d’EDF dans le cadre des tarifs réglementés de vente d’électricité, juin 2014.

11 () Conseil d’État, 11 avril 2014, ANODE.