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N
° 3301

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 décembre 2015.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 518, autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc,

PAR M. Meyer HABIB

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir le numéro :

Sénat : 518

Assemblée nationale : 2330

INTRODUCTION 5

I. L’ACCIDENT DE 1999 ET LA RÉORGANISATION DE L’EXPLOITATION DU TUNNEL 7

A. LE TUNNEL AVANT L’ACCIDENT 7

B. LA CATASTROPHE DE MARS 1999 8

II. LA RÉORGANISATION DE LA GOUVERNANCE DU TUNNEL 11

A. LA CONVENTION DE LUCQUES ET LA RÉORGANISATION DE L’EXPLOITATION DU TUNNEL 11

B. LE PRÉSENT PROTOCOLE 12

CONCLUSION 15

EXAMEN EN COMMISSION 17

ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 19

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le texte dont nous sommes aujourd’hui saisi vise à autoriser la ratification d’un protocole additionnel signé en octobre 2011 à la convention de Lucques. Cette convention entre la France et l’Italie, signée en 2006, a réorganisé la gouvernance du tunnel du Mont-Blanc à la suite de la catastrophe de mars 1999.

Cette dernière ayant mis à jour de graves déficiences dans la gestion du tunnel, en particulier dans la coordination entre la partie française et la partie italienne en matière de sécurité, la convention de Lucques avait permis une modification en profondeur de la gouvernance du tunnel. Toutefois, une ambiguïté demeurait concernant les modalités d’imposition des bénéfices de l’exploitation du tunnel. C’est cette ambiguïté que protocole additionnel que nous examinons aujourd’hui se propose de lever.

I. L’ACCIDENT DE 1999 ET LA RÉORGANISATION DE L’EXPLOITATION DU TUNNEL

A. LE TUNNEL AVANT L’ACCIDENT

Remontant aux années 1830, l’idée de relier les vallées d’Aoste et de Chamonix par un tunnel ferroviaire ne devient réalisable qu’après plus d’un siècle, lorsque sont réunies les conditions techniques et politiques nécessaires.

Politiquement, le projet se heurte longtemps à l’instabilité des relations franco-italiennes, et sa réalisation ne peut être envisagé avant la signature du traité de paix franco-italien de 1947. En 1949, une commission franco-italienne est chargée d’étudier la faisabilité d’un tunnel routier ainsi que les conditions de son éventuelle exploitation. Une convention est finalement signée entre les deux États le 14 mars 1953 et ratifiée par le parlement italien le 1er août 1954.

Compte tenu de son environnement géographique, l’Italie a un intérêt particulier à rapprocher son économie de celle de l’Europe occidentale, tandis que le Nord de l’Italie, en plein essor industriel, a tout à gagner à un désenclavement.

Concrètement, un tunnel mettrait non seulement Turin à 815 kilomètres de Paris au lieu de 870 par les voies existantes, mais permettrait également de garantir l’existence d’un itinéraire routier quelle que soit la saison, les cols de Mont-Genèvre ou du Lautaret étant fréquemment bloqués par la neige. Le seul tunnel transalpin existant, le tunnel du Fréjus, inauguré en 1871, présente alors une capacité limitée. Plus étroit, ce tunnel est exclusivement ferroviaire (avec deux voies) et ne permet la circulation de véhicules à moteur que s’ils sont convoyés sur des plates-formes ferroviaires.

Si l’intérêt d’un tunnel sous le Mont-Blanc est considérable pour l’Italie, il ne présente pas pour la France un caractère aussi urgent. Après avoir envisagé l’alternative d’un doublement routier du tunnel du Fréjus, la France ratifie cependant à son tour la convention le 17 avril 1957.

D’un point de vue technique, la tâche est considérable. Il s’agit de percer sous le plus haut sommet d’Europe un tunnel long de 11 600 mètres, large de 8,5 mètres avec une hauteur sous voute de 6 mètres. Au total, il s’agit de retirer 940 000 mètres cubes de roche.

Une machine est spécialement mise au point du côté français : « Jumbo », un échafaudage mobile équipé de quinze perforatrices à air comprimé et d’une perforatrice centrale de 203 millimètres de diamètres, servie par 25 personnes et permettant de creuser simultanément des emplacements dans lesquels sont ensuite placées des cartouches d’explosifs. Après l’explosion, 90 wagons métalliques et deux pelles électriques de 23 tonnes doivent déblayer les roches, lesquelles, une fois concassées, servent à produire le béton qui sera utilisé à la fois pour cuirasser l’ouvrage et pour construire les routes d’accès du tunnel.

Les travaux commencent le 8 janvier 1959 dans des conditions difficiles, avec un différentiel de température parfois très élevé entre le lieu de percement et l’extérieur et des dangers divers tels que des explosions accidentelles, des écoulements d’eau ou des éboulements. 21 personnes perdent la vie au cours des travaux.

La jonction a finalement lieu entre les équipes française et italienne en août 1962 et le tunnel entre en service presque trois ans plus tard, en juillet 1965, d’abord pour les automobiles, puis, à partir du mois d’octobre de la même année, pour les camions.

Une fois le tunnel en service, le trafic dépasse rapidement les prévisions. Estimé au maximum à 450 000 véhicules par an, le trafic atteignit 548 000 véhicules en 1966, avec parfois 600 par heure, soit la capacité maximale du tunnel. En 1998, peu avant la catastrophe du 24 mars 1999, le trafic s’élève à 1,2 millions de véhicules de tourisme. En fin de compte, afin de décharger le tunnel du Mont-Blanc, la France finit par se rallier à la proposition italienne de doubler le tunnel du Fréjus par un tunnel routier.

Le tunnel du Mont-Blanc a donc à l’évidence répondu à un besoin réel, celui d’une voie de communication routière fluide et ouverte toute l’année entre la France et l’Italie. Politiquement, le tunnel a également permis de rassurer l’Italie quant à ses perspectives d’intégration à l’économie européenne.

B. LA CATASTROPHE DE MARS 1999

Le 24 mars 1999, l’incendie d’un camion transportant 22 tonnes de farine et de margarine, à six kilomètres de l’entrée française du tunnel qu’il vient d’emprunter, provoque un incendie mal maîtrisé qui dure plusieurs jours et aboutit à la mort de 39 personnes.

Le déclenchement de la catastrophe résulte d’une série de hasards malencontreux : un début d’incendie du camion dont l’origine est incertaine, la décision du chauffeur d’arrêter son camion sur la voie de circulation au lieu de le ranger, le caractère hautement inflammable de la cargaison qui a produit une chaleur telle que le bitume du tunnel s’est à son tour consumé, provoquant en une dizaine de minutes un incendie que plus personne ne pouvait maîtriser.

L’ampleur prise par la catastrophe doit cependant beaucoup à la gestion défectueuse de la sécurité du tunnel. Comme l’a montré le rapport d’expertise produit en janvier 2005 dans le cadre de l’enquête judiciaire sur la catastrophe, pratiquement aucun des dispositifs de sécurité censés équiper le tunnel n’a fonctionné. Entre autres choses, les feux rouges répartis à l’intérieur du tunnel censés s’allumer en cas de danger ne disposaient pas d’un déclencheur automatique et n’ont été allumés qu’au bout d’une dizaine de minutes, ce qui a conduit plusieurs véhicules à se trouver pris au piège ; un extracteur de fumée a fonctionné à l’envers, dispersant la fumée à l’intérieur du tunnel au lieu de l’évacuer, ce qui a réduit la visibilité au point de rendre rapidement inutiles les caméras situées à l’intérieur du tunnel ; le personnel des salles opérationnelles situées de chaque côté a dans un premier temps sous-estimé la gravité de ce qui se passait, en partie parce qu’il n’existait aucun appareil de comptage des véhicules entrant dans le tunnel ; les pompiers ont été appelés trop tard et mal informés de la situation.

Des mesures ont été prises. À la suite de l’incendie, le tunnel est resté fermé jusqu’au 9 mars 2002. Les travaux de réparation ont été complétés par l’installation de dispositifs de sécurité. Désormais, le tunnel est équipé d’une niche tous les cent mètres, d’un poste de secours au centre du tunnel avec un véhicule lourd et plusieurs pompiers prêts à intervenir en permanence et d’abris reliés à une galerie d’évacuation indépendante située sous la chaussée.

Par ailleurs, les camions transportant des matières dangereuses ne sont plus autorisés à emprunter le tunnel, tandis que la limitation de vitesse est diminuée et que les intervalles entre véhicules sont fixés à 150 mètres en circulation et 100 mètres à l’arrêt, avec des dispositifs lumineux permettant à chaque véhicule de s’y conformer.

Surtout, une salle de commande unique est désormais utilisée, située du côté français, tandis qu’une deuxième salle de commande, de secours, est située du côté italien.

Les problèmes rencontrés lors de l’incendie s’expliquaient cependant en grande partie par une mauvaise gestion de la sécurité et des travaux de maintenance qui appelait à une réforme de la gouvernance du tunnel. La réflexion menée par la France et l’Italie a ainsi conduit à la signature de la convention de Lucques du 24 novembre 2006 qui mettait en place une structure nouvelle.

II. LA RÉORGANISATION DE LA GOUVERNANCE DU TUNNEL

A. LA CONVENTION DE LUCQUES ET LA RÉORGANISATION DE L’EXPLOITATION DU TUNNEL

La refonte du cadre juridique applicable à l’exploitation du tunnel semblait justifiée par le constat de nombreux dysfonctionnements dans la période antérieure à l’accident de 1999, notamment en matière de travaux d’entretien et de sécurité.

L’accord intergouvernemental signé par la France et l’Italie le 14 avril 2000 portait création d’un groupement européen d’intérêt économique (GEIE) du Tunnel du Mont-Blanc, qui devait devenir la structure unique en charge de l’exploitation et de l’entretien du tunnel. L’accord de 2000 prévoyait également une nouvelle convention destinée à remplacer celle de 1953 visant à créer un nouveau cadre juridique mieux à même de garantir la sécurité du tunnel.

En 1957, deux sociétés avaient été créées en vue de la construction et de l’exploitation du tunnel : la STMB, Société du Tunnel du Mont-Blanc, du côté français, devenue en 1996 ATMB, Autoroutes et Tunnel du Mont-Blanc ; et la SITMB, Società Italiana per Azioni per il Traforo del Monte Bianco du côté italien.

L’article 7 de la convention de 1957, d’après lequel ces deux sociétés concessionnaires devaient confier l’exploitation du tunnel à « une société anonyme dont elles souscriront chacune la moitié du capital et dont le conseil d’administration comprendra un nombre égal de représentants de chacune d’elles. », n’avait cependant jamais été mise en œuvre et la gestion comme l’entretien du tunnel en avaient souffert, d’après le rapport d’expertise franco-italien publié à la suite de l’accident.

La convention de Lucques du 24 novembre 2006 a par conséquent consacré le principe d’une structure unique chargée de l’exploitation du tunnel, et précisé les attributions de la commission intergouvernementale franco-italienne et du comité de sécurité qui lui était adjoint et a défini les conditions d’exercice de la police de la circulation dans le tunnel.

Le GEIE Tunnel du Mont-Blanc, constitué le 18 mai 2000, est une structure juridique du droit communautaire associant les deux concessionnaires, responsable depuis le 9 mars 2002 de l’ensemble des activités de gestion opérationnelle du tunnel et des deux aires de régulation du trafic poids lourds situées de chaque côté de la frontière. Il est dirigé par un conseil de surveillance constitué de dix membres nommés paritairement par les deux sociétés concessionnaires. L’article 3 de la convention de Lucques consacre le principe de l’unité fonctionnelle de l’exploitation, de l’entretien, du renouvellement et de la modernisation du tunnel.

Le GEIE est donc chargé, pour le compte d’ATMB et de SITMB, de la gestion et de la sécurité du trafic, de l’exploitation et de l’entretien de l’ouvrage, de la maîtrise d’ouvrage pour les travaux de maintenance extraordinaires et d’amélioration de l’infrastructure et de ses équipements, du contrôle de la bonne exécution du service d’intervention immédiate anti-incendie, de la perception des péages, de l’information des clients et des médias, de la gestion du personnel détaché par les sociétés concessionnaires ou employé directement et de la gestion générale.

La convention de Lucques est entrée en vigueur le 1er octobre 2008 après ratification par les parlements des deux États signataires.

B. LE PRÉSENT PROTOCOLE

Le présent protocole vise à mettre fin à une ambigüité en matière d’imposition. Conformément à la convention de Lucques, le chiffre d’affaires des péages du tunnel du Mont-Blanc est imputé à hauteur de 50 % dans les comptes de chaque société concessionnaire. La convention de Lucques ne prévoit cependant aucune mesure de répartition de l’imposition des résultats du GEIE entre les deux États signataires.

Avant la création du GEIE Tunnel du Mont-Blanc, les questions fiscales et douanières étaient régies par un accord signé à Paris le 7 février 1967 aux termes duquel les recettes et dépenses induites par l’exploitation du tunnel étaient réparties par moitié entre les deux sociétés concessionnaires et la base imposable était calculée par l’administration fiscale de chaque État selon sa loi interne.

Cet état de choses a pris fin avec l’entrée en vigueur de la convention de Lucques, mais cette dernière ne prévoyant rien quant au régime d’imposition applicable, le siège du GEIE se trouvant par ailleurs en territoire italien, les autorités italiennes ont considéré ce groupement comme un opérateur italien exploitant directement et pour son propre compte le tunnel du Mont Blanc.

C’est ainsi qu’une procédure de contrôle fiscal engagée par les autorités italiennes à l’encontre du GEIE a abouti à ce que la totalité du bénéfice dégagé par l’exploitation du tunnel soit imposée en Italie, aussi bien au titre de l’impôt sur les bénéfices que des impôts locaux assis sur ces bénéfices. La société française ATMB s’est donc trouvée doublement imposée, puisqu’elle l’était déjà en France.

À l’occasion d’une rencontre qui a eu lieu le 14 mai 2010 à Rome, un Memorandum of understanding a été négocié avec les autorités italiennes en vue de régler le contentieux fiscal en cours et d’abandonner les lourds rehaussements mis à la charge de la société ATMB. Il a également été décidé afin de prévenir tout risque de contentieux pour l’avenir qu’un protocole additionnel à la convention de Lucques du 24 novembre 2006 serait signé en vue de réaffirmer le principe d’une répartition égalitaire de l’assiette imposable entre la France et l’Italie. Ce protocole additionnel a été signé à Rome le 20 octobre 2011.

Le présent accord vise donc à rétablir la répartition du pouvoir d’imposition entre les deux États antérieure à la création du GEIE. D’un point de vue pratique, la répartition des bénéfices imposables est organisée par le biais de refacturations croisées portant d’une part sur les recettes de péage encaissées par le GEIE-Tunnel du Mont-Blanc, d’autre part sur les dépenses engagées, de telle sorte que le résultat imposable du groupement soit ramené à zéro à la clôture de l’exercice fiscal.

CONCLUSION

Le protocole additionnel à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc a fait l’objet de négociations brèves et qui n’ont posé aucun problème particulier. Il règle un problème imprévu en y apportant une solution simple et durable.

Ce protocole a été signé à Rome le 20 octobre 2011, les autorités italiennes ont notifié à la France l’achèvement de leurs procédures internes requises pour son entrée en vigueur par note verbale du 13 août 2012.

Le Sénat a autorisé sa ratification le 30 octobre 2014. Je vous invite par conséquent à en faire autant en adoptant ce texte.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa séance du mercredi 2 décembre 2015 à 16 heures 30.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Jean-Pierre Dufau. La convention a-t-elle un effet rétroactif ?

M. François Rochebloine. M. le rapporteur, disposons-nous du coût total sur le plan fiscal ?

M. Thierry Mariani. J’avais participé comme ministre des Transports à la renégociation du texte qui a abouti à l’accord franco-italien relatif à la nouvelle répartition du financement du tunnel. Je regrette qu’il ait fallu attendre trois ans avant d’approuver ce texte qui est pourtant d’un intérêt vital pour la région alpine et son environnement. J’espère qu’il sera rapidement mis en œuvre afin de pouvoir préserver le massif et développer les échanges.

M. Meyer Habib, rapporteur. Je vous confirme que l’accord n’a pas de caractère rétroactif et prendra effet à compter de sa ratification. Quant aux coûts, les assureurs ont certainement été mis à contribution, mais je ne dispose pas d’éléments détaillés sur cette question. Cela mériterait un approfondissement.

M. François Loncle. Pour confirmer les propos des intervenants précédents, je rappelle que les automobilistes qui ont connu le tunnel du Mont-Blanc avant et après l’accident de 1999 ont tous constaté une nette différence. Des améliorations sécuritaires considérables ont été apportées, en particulier grâce à une meilleure gouvernance du tunnel. S’agissant des coûts, la société du tunnel du Mont-Blanc a très certainement payé une partie des compensations, en plus des assureurs.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 2330).

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l'approbation du protocole additionnel à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc, signé à Rome le 20 octobre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 518).

© Assemblée nationale