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N° 4054

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 septembre 2016.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique,

Par Mme Monique ORPHÉ,

Députée.

——

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 4000.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. LE DÉFI DE LA CONCRÉTISATION DE LA CONVERGENCE DES OUTRE-MER AVEC L’HEXAGONE 9

A. UNE SITUATION SOCIO-ÉCONOMIQUE DES OUTRE-MER ENCORE DIFFICILE 9

B. UN PROJET DE LOI VOLONTARISTE, MAIS DES AVANCÉES ENCORE SOUHAITABLES 12

1. Le contenu du projet de loi 12

2. Des avancées à concrétiser 13

a. Les prestations vieillesse 14

b. Les prestations servies par les caisses d’allocations familiales 16

c. Des enjeux spécifiques de santé publique et d’accès aux soins 20

d. Des mesures complémentaires à prévoir 23

II. UN VOLET SOCIAL DU PROJET DE LOI ENTIÈREMENT CONSACRÉ À MAYOTTE 25

A. EN MATIÈRE SOCIALE ET MALGRÉ DES SPÉCIFICITÉS, LE PROCESSUS DE DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE S’EST TRADUIT PAR L’APPLICATION PROGRESSIVE DU PRINCIPE D’IDENTITÉ LEGISLATIVE 25

B. MAYOTTE 2025 : UN TRAVAIL QUI DOIT ÊTRE MENÉ JUSQU’À SON TERME 28

1. Une logique de départementalisation encore inaboutie dans un contexte socio-économique difficile 28

2. Le chantier social lancé dans le cadre du document stratégique « Mayotte 2025 » 30

C. LES MESURES SOCIALES PORTÉES PAR LE PROJET DE LOI EN FAVEUR DE MAYOTTE 33

1. En matière de prestations familiales 34

a. Le droit existant 34

b. Ce que prévoit l’article 9 35

2. La mise en place d’un système complet d’assurance vieillesse à Mayotte 37

a. Le droit existant 37

b. Ce que prévoit l’article 10 38

TRAVAUX DE LA COMMISSION 41

ANNEXE 1 : SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS 67

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS 69

INTRODUCTION

Déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 3 août dernier, le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière économique et sociale a été renvoyé pour examen au fond à la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

La commission des Affaires sociales s’est saisie pour avis de ce projet de loi, dont le titre III comporte les dispositions sociales en faveur de l’égalité réelle, à savoir deux articles relatifs aux prestations familiales et aux prestations d’assurance vieillesse à Mayotte.

Sur le fond, il était évidemment nécessaire que la commission des Affaires sociales se penche sur ce texte, car malgré les importants progrès réalisés dans les outre-mer dans les trente dernières années, force est de constater que les retards sont encore importants, en particulier dans le domaine social.

Ces retards sont à mettre au compte de plusieurs facteurs.

Tout d’abord, une connaissance insuffisante des situations et des contextes spécifiques locaux et une insuffisance des données disponibles, par exemple sur les principaux déterminants de santé publique, expliquent qu’il est même parfois difficile de caractériser ou de poser un diagnostic sur la situation de ces territoires.

Ensuite, comme le montre le rapport de notre collègue Victorin Lurel, remis au Premier ministre, le modèle économique sur lequel reposent les territoires ultramarins s’est essoufflé : il ne parvient plus comme hier à combler suffisamment les retards et à offrir des perspectives durables de création des richesses.

Enfin, sur le plan social proprement dit, ces retards sont accentués par un régime de prestations sociales qui reste toujours spécifique, souvent de manière assez injuste, aux outre-mer.

Au-delà donc de la situation mahoraise – où les inégalités sont encore plus criantes, et dans le cadre d’un processus de départementalisation récent – que traite le projet de loi, il semble nécessaire de se saisir des problèmes qui existent dans les outre-mer pour mettre en œuvre, ensemble, les mesures qui permettront d’atteindre l’égalité réelle.

S’il n’a pas été possible de traiter l’ensemble des problématiques sociales soulevées – en raison de l’obstacle que constitue l’article 40 de la Constitution, qui limite la recevabilité financière des amendements parlementaires –, la rapporteure a souhaité porter ses interrogations devant le Gouvernement, afin de susciter, autant que faire se peut, des réponses adaptées pour les outre-mer.

Ce travail doit être poursuivi lors de l’examen du projet de loi en séance publique.

Ce texte est très attendu par les outre-mer : engageons-nous à ne pas rater l’occasion de réunir toutes les conditions qui sont nécessaires pour assurer la convergence des outre-mer avec l’hexagone que le texte inscrit dans le marbre de la loi.

Les modifications souhaitées par la commission des Affaires sociales

Lors de son examen du texte, la commission des Affaires sociales a adopté dix-huit amendements, dont dix-sept amendements présentés par la rapporteure.

La première série d’amendements porte sur la prévention et les enjeux de santé publique. Trois amendements ont été adoptés par la Commission, qui portent sur :

– l’aménagement d’une formation de sensibilisation aux enjeux nutritionnels dans les classes élémentaires des écoles des outre-mer ;

– l’interdiction de la publicité en faveur de boissons alcooliques dans un périmètre défini aux abords des écoles ;

– et la remise d’un rapport sur l’impact du prix des boissons alcooliques sur la consommation d’alcool et celui d’une majoration des droits d’accises en faveur de la politique de prévention et de lutte contre l’alcoolisme.

La deuxième série d’amendements couvre la question de l’offre de soins et de l’accès aux soins dans les territoires ultramarins. La commission a adopté sept amendements :

– Le premier pose le principe d’une extension de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUc) à Mayotte dans le cadre de la stratégie nationale de santé.

– Trois amendements consacrent des progrès importants pour les départements d’outre-mer dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé (SNS) : le premier prévoit l’inclusion dans la SNS d’un volet consacré aux établissements hospitaliers des DOM ; le deuxième propose la conclusion de protocoles de coopération entre professionnels de santé dans les outre-mer ; le troisième aménage la possibilité pour les hôpitaux ultramarins d’expérimenter des actions innovantes pour répondre aux enjeux de la recomposition de l’offre de soins et améliorer globalement la qualité des soins ;

– Un amendement autorise l’expérimentation de consultations par télémédecine à Wallis-et-Futuna ;

– Et enfin, les deux derniers amendements demandent la remise d’un rapport pour régler deux problèmes spécifiques aux territoires ultramarins et relatifs aux évacuations sanitaires, d’une part, pour permettre la prise en charge de l’accompagnement d’un enfant faisant l’objet d’une évacuation par l’un de ses parents ; et d’autre part, pour couvrir les frais de rapatriement du corps d’une personne décédée au cours ou à l’issue d’une évacuation.

La troisième série d’amendements concerne l’égalité entre les femmes et les hommes. La Commission a adopté trois amendements à ce sujet : le premier pour expérimenter dans les DOM la mise en place d’observatoires des violences faites aux femmes ; le deuxième pour généraliser aux outre-mer le champ de l’enquête « Violence et rapports de genre » (VIRAGE) menée par l’Institut national des études démographiques (INED) ; le troisième enfin pour intégrer à la stratégie nationale de santé la réalisation d’une enquête sur le sujet de la contraception et des grossesses précoces afin d’adapter les politiques publiques menées en la matière.

La quatrième série d’amendements porte sur les aides au logement .

– La Commission a adopté un amendement de la rapporteure proposant la remise d’un rapport examinant les conditions de possibilité d’un réexamen des conditions d’attribution des allocations logement, par la fixation éventuelle d’un seuil minimal de loyer exigible des allocataires en contrepartie de l’élargissement du nombre de bénéficiaires de ces aides.

– Elle a également adopté un amendement de M. Stéphane Claireaux demandant la remise d’un rapport sur les modalités de mise en place à Saint-Pierre-et-Miquelon des aides sociales au logement qui relèvent de la compétence de l’État.

La dernière série d’amendements porte sur l’éducation et la formation.

– La commission a adopté un amendement proposant la remise d’un rapport sur les conditions de mise en place dans chaque aire géographique d’outre-mer d’une école supérieure de formation des cadres d’outre-mer.

– Elle a enfin adopté deux amendements relatifs à la lutte contre l’illettrisme, le premier pour insérer dans le projet de loi un chapitre dédié à ce problème, et le second pour prévoir que soient obligatoirement proposés des cours d’alphabétisation aux personnes dans les territoires ultramarins qui rencontrent des difficultés de maîtrise de la langue, dans le cadre de la mobilisation de leur compte personnel de formation (CPF).

I. LE DÉFI DE LA CONCRÉTISATION DE LA CONVERGENCE DES OUTRE-MER AVEC L’HEXAGONE

A. UNE SITUATION SOCIO-ÉCONOMIQUE DES OUTRE-MER ENCORE DIFFICILE

Sur le plan démographique, les outre-mer sont dans une situation très contrastée. En effet, alors que la Guadeloupe et la Martinique ont achevé leur transition démographique – avec un indice de fécondité respectivement de 2,21 et de 2,11 enfants par femme en 2014 –, celle-ci se révèle bien entamée à La Réunion – 2,45 enfants par femme – ; en revanche, la natalité reste très dynamique en Guyane – 3,53 enfants par femme – et à Mayotte – 4,22 enfants par femme. A contrario, la part des plus de 60 ans s’établit à 22,7 % de la population guadeloupéenne et même à 25 % de la population martiniquaise, alors qu’elle ne représente que 15,1 % de la population réunionnaise, 7,9 % de la population guyanaise et 4,2 % de la population mahoraise.

Comme le montre le rapport remis en mars 2016 par notre collègue Victorin Lurel au Premier ministre sur l’égalité réelle outre-mer, « en dépit d’indéniables progrès, des écarts forts et persistants demeurent entre les outre-mer et l’Hexagone, essentiellement dans le domaine socio-économique, dans un contexte d’essoufflement du modèle économique ultramarin » (1).

Sans revenir dans le détail sur les analyses approfondies menées dans le cadre de ce rapport, qui a largement préfiguré le projet de loi qui est aujourd’hui soumis à la représentation nationale, il est important de rappeler que de nombreuses inégalités persistent entre les outre-mer et l’hexagone, en particulier sur le plan social.

Comme le note un rapport sénatorial de la Délégation à l’outre-mer, le niveau de richesse par habitant des départements d’outre-mer est, en 2012, inférieur au PIB hexagonal par habitant dans une proportion allant de 31 à 37 % pour la Martinique et la Guadeloupe jusqu’à 79 % pour Mayotte, de 38 % pour La Réunion et de 51 % pour la Guyane (2). Cet écart est illustré par le graphique suivant.

En matière d’emploi, le chômage touche plus durement les outre-mer que le reste de la France : d’après les statistiques publiées par l’INSEE, il concerne sur l’ensemble de l’année 2015 24,6 % de la population active à La Réunion, 21,9 % en Guyane, 18,9 % en Martinique et 23,7 % en Guadeloupe, contre 10 % en France hexagonale (3). Pour les 15-24 ans, la situation est encore plus préoccupante, puisque le taux de chômage des jeunes de cette tranche s’est établi en 2015 à 54,9 % en Guadeloupe, 47,8 % en Martinique, 46,5 % en Guyane et 52,4 % à La Réunion, contre 24 % pour la France hexagonale.

Par ailleurs, la pauvreté est plus répandue dans les DOM qu’en métropole, par-delà les grandes difficultés de mesure et de définition. Alors même que les seuils de pauvreté y sont bien plus bas, les taux de pauvreté des ménages y sont plus élevés : en 2011, ils se sont établis, d’après l’INSEE, à 19 % en Guadeloupe, 21 % en Martinique et 44 % en Guyane. Ce taux s’établit à 42 % à La Réunion en 2010 avec la prise en compte du seuil de pauvreté national. En effet, comme le montre le rapport de notre collègue Victorin Lurel, la difficulté réside bien dans le seuil de pauvreté pris comme référence. En prenant en considération le seuil de pauvreté national, le taux de pauvreté atteindrait 46 % en Guadeloupe, 38 % en Martinique, 50 % en Guadeloupe et même 92 % à Mayotte.

En matière de santé, la précarité reste également plus forte dans les outre-mer que dans l’hexagone. Le rapport d’information remis par votre rapporteure au nom de la Délégation aux outre-mer sur le projet de loi relatif à la santé (4) a dressé un bilan relativement exhaustif de la situation sanitaire des outre-mer : sans y revenir dans le détail, rappelons que les outre-mer sont moins bien pourvus que l’hexagone en matière d’offre de soins ambulatoires avec un écart important de densité médicale et des inégalités de répartition géographique au sein même des territoires ; les restes à charge des patients sont plus importants pour les assurés ultramarins qui ne disposent d’aucune mutuelle s’agissant des soins de ville ; les mêmes carences existent en matière d’infrastructures hospitalières, alors même que les hôpitaux ultramarins doivent faire face à la problématique spécifique des évacuations sanitaires et que les centres hospitaliers sont en plus grande fragilité financière que dans la métropole. Enfin, l’état de santé de la population est plus fragile que dans l’hexagone avec notamment une proportion de personnes qui basculent dans la dépendance plus précocement, la persistance de maladies infectieuses – comme le paludisme, le chikungunya ou le zika pour lesquels il n’existe pas de vaccin, ou comme la dengue pour laquelle le vaccin n’est pas encore disponible en pharmacie – et de maladies chroniques (obésité, diabète, etc.) et l’omniprésence de certaines addictions spécifiques. Au total, l’espérance de vie reste encore inférieure au niveau hexagonal : l’espérance de vie masculine atteint 73,2 ans à La Réunion contre 77,3 ans dans l’hexagone ; l’espérance de vie féminine atteint 80,9 ans à La Réunion contre 84,1 ans dans l’hexagone. Si les chiffres sont légèrement plus élevés en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique, ils restent tout de même inférieurs à ceux de la métropole.

En matière d’éducation, les retards sont importants et accrus par le fait que le français n’est pas forcément la langue maternelle : ainsi, 25 % des Guadeloupéens entre 16 et 65 ans sont en difficulté face à l’écrit ; en Martinique, l’illettrisme concerne 14 % de la population, alors que ce taux atteint 21 % à La Réunion. Comme le montre le rapport déjà cité de notre collègue Victorin Lurel, les taux de réussite au brevet et au baccalauréat sont très inégaux et expliquent que « 29 % des jeunes de 15 à 25 ans en Guadeloupe, 27,7 % en Martinique, 38,7 % en Guyane et 34,7 % à La Réunion ne sont ni en formation, ni en études, ni en emploi, contre seulement 15,6 % en moyenne nationale ».

Au total, la situation socio-économique des outre-mer reste encore préoccupante malgré des progrès continus et importants enregistrés dans les trente dernières années : ainsi, l’indice de développement humain (IDH) des territoires ultramarins demeure plus faible que dans l’hexagone. S’il a progressé plus rapidement entre 1990 et 2010 dans les outre-mer qu’en métropole, l’écart persiste, comme le montre le tableau suivant.

VALEUR DE L’IDH DES TERRITOIRES ULTRAMARINS EN 2010 ET RANG MONDIAL

 

IDH

Rang

France hexagonale

0,883

20

Guadeloupe

0,822

38

Martinique

0,814

39

Nouvelle-Calédonie

0,789

50

IDH seuil des pays à niveau d’IDH très élevé

0,780

 

La Réunion

0,774

54

Wallis-et-Futuna (2005)

0,763

53

Saint-Pierre-et-Miquelon

0,762

66

Guyane

0,740

73

Polynésie française

0,737

75

Saint-Martin (1999)

0.702

64

Saint-Barthélemy (1999)

0.688

69

IDH seuil des pays à niveau d’IDH élevé

0.697

 

Mayotte (2005)

0.637

107

Source : Agence française de développement.

Rappelons que l’indice de développement humain, forgé par l’Organisation des Nations unies (ONU) est composé de trois éléments : le revenu national brut par habitant qui mesure le degré de développement économique ; la durée de scolarisation, qui mesure le niveau d’éducation de la population ; et enfin, l’espérance de vie qui mesure son état de santé.

B. UN PROJET DE LOI VOLONTARISTE, MAIS DES AVANCÉES ENCORE SOUHAITABLES

1. Le contenu du projet de loi

Largement inspiré des conclusions du rapport déjà cité remis par notre collègue Victorin Lurel au Premier ministre le 18 mars 2016, le présent projet de loi s’articule autour de quatre titres, chacun ayant un sens et une portée spécifiques.

Le titre 1er constitue le socle sur lequel doit être construite l’égalité réelle des outre-mer : la réduction des écarts de développement entre les territoires ultramarins et l’hexagone, et celle des inégalités internes à chaque territoire d’outre-mer. La recherche de l’égalité réelle doit se faire en tenant compte de la diversité des territoires, par le biais d’adaptations, d’expérimentations et d’habilitations s’agissant des départements et des régions d’outre-mer. Pour les autres collectivités, cette recherche doit se faire dans le respect des compétences spécifiques reconnues aux collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution.

Le titre 2 définit le nouvel instrument de planification stratégique – le plan de convergence – qui a vocation à concrétiser l’égalité réelle entre les outre-mer et l’hexagone. Ainsi, les articles 4 à 7 du projet de loi prévoient l’élaboration partenariale de ces plans, d’une durée de dix à vingt ans, à l’échelle des territoires et leurs caractéristiques sur le plan financier. L’article 8 pose ensuite le principe de l’évaluation et du suivi des plans de convergence par la commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer (CNEPEOM).

Les titres 3 et 4 constituent les deux volets – social et économique – de convergence spécifiquement pris en compte par le projet de loi.

Sur le plan de la convergence sociale, les articles 9 et 10 formant le titre 3 du projet de loi œuvrent en faveur de l’égalité réelle à Mayotte. Ils renforcent ainsi les protections en matière de prestations familiales et d’assurance vieillesse.

Enfin, le titre 4 entend favoriser l’accès aux opportunités économiques et à l’initiative entrepreneuriale, tout en renforçant la concurrence, l’investissement dans le capital humain, l’accès aux droits économiques et la lutte contre la vie chère.

Les articles 11 et 12 favorisent la mobilité des jeunes par la mise en place respective d’un dispositif « cadres avenir » à Mayotte et le financement d’un nouvelle aide à la mobilité des jeunes à la recherche d’un stage par le fonds de continuité territoriale pour l’ensemble des outre-mer.

L’article 13 participe à la résorption de l’activité informelle en prévoyant la validation des acquis de l’expérience des travailleurs informels qui s’inscrivent dans un parcours de formalisation progressive de leur activité.

La lutte contre la vie chère se matérialise dans l’article 14 du projet de loi qui propose d’élargir aux transporteurs maritimes et transitaires la liste des opérateurs économiques participant à la négociation des accords annuels de modération des prix.

Enfin, l’article 15 renforce le poids de l’Autorité de la concurrence pour tout projet d’exploitation commerciale portant à plus de 50 % la part de marché de l’entreprise sollicitant l’autorisation, dans la mesure où une telle demande peut avoir des conséquences importantes sur la structuration du paysage commercial et la situation concurrentielle d’un territoire.

2. Des avancées à concrétiser

En dehors des mesures concrètes portées par ce projet de loi, celui-ci permet de s’engager avec ambition dans la voie de l’égalité réelle, avec la mise en place des plans de convergence d’une durée de dix à vingt ans, dont la vocation programmatique est essentielle pour rendre possibles des avancées concrètes et organiser le rattrapage des outre-mer.

La rapporteure ne néglige évidemment pas le poids que représente une telle avancée. Elle se doit néanmoins de reconnaître que sur le plan de l’égalité sociale, les mesures concrètes portées par le projet de loi restent peu nombreuses. Si les articles 9 et 10 du projet de loi, qui concernent Mayotte, sont d’une importance cruciale pour ce territoire qui poursuit le processus de départementalisation par la mise en place de véritables avancées en matière de prestations familiales et d’assurance vieillesse, on constate toutefois qu’aucune mesure législative n’est proposée dans le champ social pour le reste des outre-mer, et cela, alors même qu’est dressé le constat d’inégalités persistantes et durables entre les outre-mer et l’hexagone.

Des mesures concrètes doivent impérativement être prises pour assurer que les territoires ultramarins s’engagent bien sur la route vers l’égalité réelle.

a. Les prestations vieillesse

Les règles relatives aux prestations vieillesse sont les mêmes dans les départements d’outre-mer de droit social commun – hormis à Mayotte, donc – et dans l’hexagone. Toutefois, en raison de l’alignement tardif du SMIC des DOM avec le niveau hexagonal, intervenu en 1996, et de la jeunesse relative des systèmes de retraite de base obligatoire ultramarins, les niveaux de pensions restent encore largement inférieurs aux niveaux métropolitains. Ainsi, la proportion d’allocataires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) – autrement dit, du minimum vieillesse – est encore, outre-mer, près de 6,5 fois supérieure à la moyenne hexagonale, comme le montre le tableau suivant.

NOMBRE D’ALLOCATAIRES DU MINIMUM VIEILLESSE
RAPPORTÉ À LA POPULATION ÂGÉE DE 61 ANS ET PLUS

ASV+ASPA au 31 décembre 2014

En pourcentage

Guadeloupe

24,4

Guyane

20

Martinique

18,8

La Réunion

22,6

Mayotte

32

DOM (hors Mayotte, hors COM)

22

Métropole

3,4

France

3,6

Source: DREES.

Rappelons que le montant de l’ASPA pour une personne seule est de 801 euros par mois au maximum et de 1 243 euros par mois pour un couple, l’allocation étant servie de manière différentielle en fonction des ressources des allocataires.

L’ASPA présente la caractéristique d’être assortie d’un mécanisme de recouvrement sur succession au décès de l’allocataire : la récupération sur succession est opérée si l’actif net de celle-ci dépasse 39 000 euros et seulement au-delà de cette somme, les sommes récupérées ne devant pas dépasser un certain montant en fonction de la composition du foyer – soit 6 226,27 euros par an pour une personne seule et 8 152,24 euros pour un couple de bénéficiaires.

Or, de nombreuses personnes renoncent à demander le bénéfice de l’ASPA en raison de ce mécanisme qui les prive de la possibilité de léguer leur patrimoine à leurs enfants après leur décès. Cette problématique existe bien sûr aussi dans l’hexagone ; elle est toutefois plus systématique dans les outre-mer, en raison de la valorisation foncière de ces territoires insulaires. Il n’est en effet pas rare que des personnes âgées dont le niveau de retraite est très modeste possèdent une maison dont ils priveraient ainsi leurs enfants à leur décès en recourant à l’ASPA.

La rapporteure souhaiterait donc que les règles du recouvrement sur succession soient revues afin de ne pas hypothéquer le patrimoine des personnes âgées modestes qui en bénéficient. Une augmentation du seuil de déclenchement de la récupération sur succession pourrait ainsi être envisagée, autour de 100 000 euros par exemple. Une autre solution – ou une mesure complémentaire – consisterait à moduler le recouvrement en fonction du nombre d’héritiers, autrement dit à plafonner à 50 000 euros par exemple les montants maximum de recouvrement par héritier.

Une voie alternative pourrait être envisagée spécifiquement dans les outre-mer. En effet, les niveaux moyens de pensions étant beaucoup plus faibles qu’en métropole, de nombreux retraités bénéficient du minimum contributif : or, ce dernier reste très inférieur à l’ASPA, puisqu’il s’élève à 629,62 euros par mois, et cela, alors même qu’il concerne des personnes qui ont validé au moins 120 trimestres et qui ont droit à la pension de retraite à taux plein du régime général. La revalorisation à titre transitoire du minimum contributif dans les DOM, pour le porter au niveau de l’ASPA, aurait ainsi l’avantage d’éviter les écueils du renoncement au bénéfice de l’ASPA qui existe dans les outre-mer. Cette revalorisation pourrait s’achever à l’horizon 2035-2040, à une date à laquelle l’ensemble des carrières cotisées par les ultramarins l’auront été sur le fondement de salaires minima équivalents à ceux de l’hexagone.

Recommandations :

– Supprimer le mécanisme de recours sur succession de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) dans les outre-mer. A minima, relever son seuil et moduler les montants recouvrables en fonction du nombre d’héritiers.

– Alternativement, majorer le montant du minimum contributif pendant une période transitoire dans les outre-mer pour le fixer au même niveau que l’ASPA, jusqu’à 2035-2040 environ.

b. Les prestations servies par les caisses d’allocations familiales

En matière de prestations servies par les CAF, en mettant à part Mayotte dont le régime est encore plus particulier en raison d’une départementalisation plus récente, de nombreuses différences continuent d’exister entre les outre-mer et l’hexagone.

Le tableau suivant retrace ces différences pour l’ensemble des prestations versées par les caisses d’allocations familiales.

TABLEAU COMPARATIF DES PRESTATIONS VERSÉES PAR LES CAF
APPLICABLES DANS LES DOM

 

Métropole

DOM (hors Mayotte)

Mayotte

PAJE (Prestation d’accueil du jeune enfant)

X

X

 

AJPP (Allocation journalière de présence parentale)

X

X

 

AEEH (Allocation d’éducation de l’enfant handicapé)

X

X

X

ARS (Allocation de rentrée scolaire)

X

X

X

AF (Allocations familiales)

X

X

X

CF (Complément familial)

X

X

 

ASF (Allocation de soutien familial)

X

X

 

AVPF (Assurance vieillesse des parents au foyer)

X

X

 

RSA (Revenu de solidarité active)

X

X (depuis 01/2011)

X (depuis 01/2012)

Prime d’activité

X

X

X

Prime de Noël

X

X

X (depuis 01/2012)

RSO (Revenu de solidarité)

 

X

 

AAH (Allocation aux adultes handicapés)

X

X

X

APL (Aide personnalisée au logement)

X

   

ALF (Aide au logement à caractère familial)

X

X

X (depuis 01/2013)

ALS (Aide au logement à caractère social)

X

X

X (depuis 01/2013)

PAH (Prêt à l’amélioration de l’habitat)

X

X (depuis 01/2012)

 

PALA (Prêt à l’amélioration du lieu d’accueil)

X

X (depuis 01/2012)

 

Prime de déménagement

X

X

 

Prestation de restauration scolaire

 

X

X

Légende :

X Prestation versée sur ce territoire

X Prestation propre aux DOM (hors Mayotte)

X Prestation identique en métropole et dans les DOM

X Prestation dont les conditions d’ouverture des droits / ou les montants sont différents en métropole et dans les DOM

X Prestation dont les conditions d’ouverture sont différentes à Mayotte par rapport aux DOM

Source : CNAF

● Ainsi, s’agissant des allocations familiales pour les outre-mer de droit social commun – autrement dit, hors Mayotte –, si le barème est identique à celui de l’hexagone, les allocations familiales sont versées dès le premier enfant dans les outre-mer – à hauteur de 23,80 euros par mois –, contrairement à l’hexagone où elles ne bénéficient aux familles qu’à partir du deuxième enfant. En outre, une majoration est appliquée pour un enfant à partir de 11 ans – 14,93 euros – et pour un enfant à partir de 16 ans – 22,95 euros. Rappelons également que la modulation des allocations familiales en fonction des niveaux de ressources n’est pas appliquée pour le premier enfant. En revanche, à partir du deuxième enfant, les mêmes montants et les mêmes barèmes que dans l’hexagone s’appliquent.

● Le complément familial a beau être commun aux DOM et à l’hexagone : il n’en demeure pas moins que trois inégalités majeures persistent pour l’éligibilité à cette prestation dans les outre-mer :

– son montant tout d’abord, qui est inférieur dans les DOM, puisque le complément familial de base est de 96,25 euros et le complément majoré s’établit à 125,15 euros, contre respectivement 168,52 euros et 219,13 euros dans l’hexagone ;

– le plafond de ressources pour en bénéficier est également inférieur dans les outre-mer à celui applicable dans l’hexagone : il correspond en effet dans les DOM au plafond de ressources applicable pour le bénéfice de l’allocation de rentrée scolaire (ARS), soit par exemple 17 834 euros pour le complément familial majoré pour un foyer de trois enfants à charge, alors qu’il oscille entre 18 856 euros – pour un couple à un seul revenu – à 23 066 euros – pour une personne seule ou un couple avec deux revenus d’activité – dans l’hexagone. L’écart se situe donc entre 5,7 % et 29,3 %. Le plafond est majoré pour les parents isolés en métropole, alors qu’il ne l’est pas dans les DOM ;

– enfin, les conditions d’attribution du complément familial sont différentes : cette prestation est attribuée dans l’hexagone aux familles d’au moins trois enfants, tous âgés de 3 ans à moins de 21 ans, alors que dans les DOM, la famille doit assumer la charge d’au moins un enfant de plus de 3 ans et de moins de 5 ans et ne pas avoir d’enfant de moins de 3 ans. Les foyers de plus de trois enfants âgés entre 5 et 21 ans sont donc clairement lésés dans les outre-mer.

À noter enfin qu’il existe en métropole un complément familial différentiel qui peut être versé aux personnes qui dépassent légèrement le plafond de ressources. Ce mécanisme n’existe pas dans les outre-mer.

Les conditions applicables au complément familial se révèlent donc particulièrement injustes pour les départements d’outre-mer : la rapporteure soutient fortement la réparation de cette injustice, et la convergence progressive avec le droit hexagonal. Afin de limiter l’impact financier d’un basculement immédiat et intégral dans le droit commun, elle propose que soit étudiée l’option qui consisterait à limiter le bénéfice du complément familial outre-mer aux familles à partir de deux enfants ; en contrepartie, la prestation pourrait être étendue aux enfants à charge entre 3 ans et jusqu’à 16 ans, au lieu de 5 ans aujourd’hui. En effet, la limite d’âge de 5 ans apparaît totalement incompréhensible et ne correspond à aucune réalité concrète par rapport aux charges de famille. Porter cette limite à 16 ans aurait l’avantage de clarifier la finalité de cette prestation, qui est censée compenser des charges familiales, cet âge correspondant à la fin de l’obligation de scolarité.

Recommandation : Revoir les conditions d’attribution du complément familial dans les DOM pour en élargir le bénéfice aux enfants jusqu’à seize ans ; le cas échéant, supprimer en contrepartie le bénéfice de la prestation à partir du premier enfant.

● L’assurance vieillesse du parent au foyer (AVPF) consiste en une prise en charge par la branche famille d’une cotisation vieillesse au niveau du salaire minimum : elle permet aux personnes aux revenus modestes qui réduisent ou cessent leur activité pour s’occuper d’un enfant ou d’une personne handicapée ou dépendante de cotiser et donc valider des trimestres au titre de l’assurance vieillesse en majorant éventuellement le montant de la pension future. Cette prestation a globalement pour objet de limiter les effets des diminutions ou arrêts d’activité professionnelle liés à la charge d’enfants sur les futures retraites des parents. Autrement dit, l’AVPF assure des droits différés dans le temps : il s’agit d’une prestation vieillesse indirecte.

La prestation est soumise à plusieurs conditions dans l’hexagone :

– la première est de percevoir l’une des prestations y ouvrant droit, autrement dit l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), le complément libre choix d’activité (CLCA) et, depuis le 1er janvier 2015, la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE), le complément familial (CF), l’allocation journalière de présence parentale (AJPP), l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), ou d’être en congé de soutien familial ;

– la deuxième est une condition de ressources du foyer ; non applicable aux personnes assumant la charge d’une personne handicapée, adulte ou enfant, elle diffère selon les prestations donnant droit à l’affiliation et la configuration familiale ;

– enfin, la dernière condition concerne les couples, puisque les revenus professionnels ne doivent pas dépasser un certain seuil pour permettre l’affiliation.

Au moment de son extension aux départements d’outre-mer en 1979, l’AVPF n’a été que très partiellement étendue, puisque seule la charge d’un enfant ou d’un adulte handicapé permet d’en bénéficier, aux termes du décret n° 79-626 du 3 juillet 1979. Les bénéficiaires de l’AJPP n’ont pas été inclus dans ce périmètre.

L’impact financier d’un alignement des conditions de bénéfice de l’AVPF dans les outre-mer sur les règles applicables dans l’hexagone est difficile à évaluer, d’une part parce qu’il s’agit de droit différés – l’effet sur les dépenses de l’assurance vieillesse n’interviendra que dans une trentaine d’années, lorsque les bénéficiaires liquideront leurs droits à retraite – et d’autre part, parce que l’impact sur le montant de la pension versée à terme n’est pas mécanique (il dépend des niveaux de salaires perçus par ailleurs, du nombre de trimestres validés, etc.).

D’après les informations fournies à la rapporteure, au total, l’AVPF bénéficie en moyenne à 1,9 million de foyers sur les cinq dernières années et son coût est estimé à environ 4,5 milliards d’euros. Ces montants doivent être mis en regard des chiffres relatifs aux outre-mer, puisqu’on estime le nombre de bénéficiaires dans les DOM à moins de 2 600 foyers bénéficiaires pour des cotisations estimées à environ 9 millions d’euros par an ! Ce hiatus s’explique évidemment par la très forte limitation du dispositif aux seules personnes qui assument la charge d’un enfant ou d’un adulte handicapé.

La rapporteure estime qu’un alignement constituerait une mesure indispensable d’équité et un message fort à destination des outre-mer : une extension de l’AVPF à l’ensemble des familles des DOM permettrait d’améliorer substantiellement le niveau des petites retraites et en particulier des femmes : rappelons qu’en moyenne, les pensions dans les départements d’outre-mer sont inférieures de 300 à 400 euros par rapport à celles de l’hexagone.

Recommandation : Étendre l’allocation vieillesse du parent foyer (AVPF) dans les DOM dans les mêmes conditions que celles applicables dans l’hexagone.

● En matière d’allocations logement, il faut noter avant tout que l’allocation personnalisée au logement (APL) n’existe pas dans les outre-mer : seules sont donc servies l’allocation de logement familiale (ALF) et l’allocation de logement sociale (ALS). Comme le montre le rapport de notre collègue Victorin Lurel sur l’égalité réelle outre-mer, trois différences majeures existent entre les outre-mer et l’hexagone :

– en premier lieu, le calcul de l’allocation dans les outre-mer ne tient pas compte des enfants ou personnes à charge au-delà de six pour les différents paramètres qui évoluent selon la taille des familles (loyers plafonds, forfait-charges, logements en accession, nombre de parts et plafonds des mensualités de prêt) ;

– ensuite, le montant du forfait-charges est très inférieur à celui de l’hexagone, puisqu’il représente le tiers de ce dernier ;

– enfin, il n’existe qu’un seul loyer-plafond par taille de famille outre-mer, alors qu’il dépend dans l’hexagone de la localisation du logement avec trois zones géographiques. Le loyer-plafond ultramarin est depuis le 1er janvier 2007 égal à celui de la zone 2 hexagonale. Or, les coûts élevés de la construction outre-mer plaideraient pour un classement équivalent à celui de la zone 1, qui correspond à la région parisienne.

La rapporteure est préoccupée par les conditions d’attribution des allocations logement : sans méconnaître le fait que les distorsions provoquées par ces conditions d’attribution existent aussi dans l’hexagone, elle estime que les inégalités ainsi créées sont parfois ressenties de manière plus aiguë dans les outre-mer. Ainsi, une famille nombreuse peut bénéficier d’allocations logement à un niveau qui l’exonère quasiment intégralement du paiement de son loyer, alors même qu’une personne isolée rémunérée au SMIC ne bénéficie d’aucune allocation, car dépassant le niveau de ressources pour y prétendre. Il conviendrait donc de réfléchir à un mécanisme de fixation d’un plancher minimal de loyer que tout allocataire devrait acquitter : autrement dit, le reste à charge locatif d’un allocataire ne pourrait être inférieur à 10 % ou 15 % de son loyer ; les allocations logement perçues seraient ainsi réduites d’autant, et les montants d’allocations ainsi économisés pourraient être utilement mobilisés pour élargir le bénéfice des allocations en augmentant le plafond de ressources des bénéficiaires.

Recommandation : Revoir les conditions d’attribution des allocations logement dans les DOM en fixant un plancher de loyer à acquitter par les bénéficiaires, et réinjecter les sommes économisées dans l’extension des conditions d’attribution des allocations.

● Dernière anomalie caractéristique entre les outre-mer et l’hexagone s’agissant des allocations familiales : depuis la loi n° 86-1383 du 31 décembre 1986, les travailleurs indépendants ultramarins doivent justifier être à jour du paiement de leurs cotisations sociales pour bénéficier des allocations familiales. Or, cette condition, qui n’existe pas dans l’hexagone, induit des démarches supplémentaires pour les allocataires ; en outre, compte tenu de l’exigibilité souvent à périodicité trimestrielle des cotisations, le versement des prestations intervient mécaniquement avec un retard moyen de trois mois.

Outre qu’elle conduit à jeter la suspicion sur les travailleurs indépendants des DOM, cette mesure constitue une vraie rupture d’égalité de traitement absolument injustifiée sur laquelle la rapporteure juge qu’il convient de revenir dans les plus brefs délais.

Recommandation : Lever la condition d’acquittement préalable des cotisations sociale pour le bénéfice des prestations familiales par les travailleurs indépendants ultramarins.

c. Des enjeux spécifiques de santé publique et d’accès aux soins

En matière de santé publique et d’accès aux soins, on l’a vu, les populations ultramarines souffrent encore de retards importants, alors même qu’ils sont confrontés à des problématiques spécifiques. Afin de placer résolument les outre-mer sur la voie de la convergence, il est indispensable qu’un certain nombre de mesures concrètes soient mises en œuvre.

● Le plafond de ressources pour bénéficier de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUc) est supérieur dans les départements d’outre-mer : il est ainsi de 8 653 euros pour une personne seule et de 12 980 euros pour un foyer de deux personnes dans l’hexagone, alors qu’il s’établit respectivement à 9 631 euros et 14 446 euros dans les DOM. Cette différenciation est légitime au regard des difficultés d’accès aux soins des populations ultramarines. Toutefois, la rapporteure rappelle que le dispositif de la CMUc n’existe pas à Mayotte. L’article 84 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, adopté à son initiative, prévoit la remise d’un rapport sur les modalités de l’instauration de la CMUc à Mayotte avant la fin de l’année 2016. La rapporteure ne peut que rappeler son attachement à une telle extension.

Recommandation : Réaffirmer l’objectif d’extension de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUc) à Mayotte.

● En matière de santé publique et de prévention, la rapporteure a eu l’occasion, dans le cadre du débat sur la loi de modernisation de notre système de santé, de rappeler les enjeux spécifiques qui sont ceux des outre-mer dans son rapport rendu au nom de la Délégation aux outre-mer déjà cité.

La lutte contre l’alcoolisme revêt ainsi une importance particulière dans ces territoires.

Deux mesures mériteraient d’être mises en œuvre pour améliorer la politique de prévention de l’alcoolisme et la lutte contre la consommation excessive d’alcool. Ainsi, la rapporteure préconise-t-elle l’interdiction de tout affichage publicitaire concernant les boissons alcooliques à proximité d’un établissement scolaire dans les départements d’outre-mer. Elle suggère également de majorer le montant des droits d’accises applicables aux rhums des départements d’outre-mer : une augmentation même très légère de ces droits resterait indolore pour le secteur, tout en dégageant des moyens qui pourraient être redéployés dans la lutte contre la consommation excessive d’alcool ou la prévention.

Recommandations :

– Interdire l’affichage publicitaire en faveur des boissons alcooliques à proximité des écoles dans les DOM.

– Majorer légèrement le montant des droits d’accises applicables aux rhums des DOM.

Les enjeux liés à la nutrition et à la lutte contre l’obésité sont cruciaux dans toutes les sociétés de consommation. Ils le sont encore davantage dans les outre-mer, comme en témoignent les avancées réalisées dans le cadre de la loi n° 2013-453 du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer et qui a imposé la limitation de la teneur en sucre des aliments destinés à la consommation dans les outre-mer. La rapporteure se félicite de ces avancées : toutefois, pour porter leurs fruits, ces obligations légales doivent s’accompagner d’un travail de terrain et surtout, d’une éducation à la nutrition de nos enfants : c’est pourquoi la rapporteure souhaite inclure une sensibilisation annuelle aux questions nutritionnelles dans les écoles élémentaires des outre-mer.

Recommandation : Instaurer une formation de sensibilisation aux enjeux nutritionnels dans les écoles élémentaires des DOM.

Plus généralement, l’article 2 de la loi de modernisation de notre système de santé a prévu l’adaptation spécifique de la stratégie nationale de santé aux outre-mer, à l’initiative de la rapporteure. Celle-ci se double d’une habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour adapter le droit de la santé dans les outre-mer (article 56 de la loi). Il est essentiel que ces dispositions soient prises dans le délai imparti : la rapporteure se propose d’exercer à ce titre un rôle de veille auprès de Gouvernement.

Recommandation : S’assurer de la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé dans les outre-mer et des conditions de l’adaptation du droit de la santé aux outre-mer.

● Enfin, s’agissant de l’offre de soins, sans nier l’existence de difficultés dans l’hexagone, certains problèmes sont là encore spécifiques aux outre-mer.

S’agissant des établissements hospitaliers, il est essentiel que les plans de convergence que le projet de loi propose de mettre en place incluent un volet dédié aux établissements hospitaliers, qui souffrent de difficultés financières importantes et d’un manque d’attractivité médicale. La rapporteure souhaite aussi que ces établissements soient autorisés à procéder à des expérimentations pour favoriser la recomposition de l’offre de soins qui est indispensable à l’amélioration de la qualité des soins pour nos concitoyens ultramarins. De telles expérimentations pourront ainsi favoriser la négociation et la conclusion de protocoles de coopération entre professionnels de santé que la rapporteure appelle par ailleurs de ses vœux. Enfin, le développement de la télémédecine constitue un défi majeur pour les territoires ultra-marins : il est indispensable que puissent être mises en place les conditions de son développement. De ce point de vue, la rapporteure propose deux amendements : l’un qui pose le principe de l’expérimentation de consultations de télémédecine à Wallis-et-Futuna ; l’autre, qui propose d’étudier les conditions de prise en charge par l’assurance maladie des actes de télémédecine. En effet, tant que ces actes ne pourront être soumis à une facturation claire et généralisée, la télémédecine en restera à un stade de pure expérimentation.

Recommandations : S’agissant des hôpitaux ultramarins :

– inclure un volet dédié aux établissements hospitaliers dans les plans de convergence ;

– favoriser les expérimentations pour améliorer l’efficience et la modernisation de l’offre de soins hospitalière dans les DOM ;

– favoriser le développement de la télémédecine en fixant les conditions de la tarification de tels actes.

Dernière problématique spécifique aux outre-mer : celle des évacuations sanitaires. Si le cadre global des évacuations sanitaires est satisfaisant, quelques cas douloureux continuent de poser des problèmes insurmontables aux professionnels de santé et aux caisses générales de sécurité sociale ultramarines :

– Ainsi, dans le cas d’un enfant faisant l’objet d’une évacuation sanitaire, le principe de la prise en charge d’un accompagnateur prévaut. Néanmoins, si l’enfant est accompagné par un professionnel de santé qui a assuré son suivi médical préalable, les parents se voient concrètement interdits d’accompagner l’enfant, leur prise en charge n’étant en effet pas assurée. Il est urgent de remédier à une situation qui est proprement insupportable pour les parents d’un enfant souffrant.

– Par ailleurs, en cas de décès au cours ou à la suite d’une évacuation sanitaire, le rapatriement du corps du patient n’est pas pris en charge par la sécurité sociale. Autrement dit, les familles se retrouvent dans une situation très difficile : confrontées au décès de leur proche, elles doivent également déployer leurs propres moyens pour faire rapatrier le corps du défunt. Là encore, une solution doit pouvoir être envisagée pour assurer aux familles que le corps du patient décédé puisse être rapatrié sans frais pour elles.

Il s’agit de deux cas relativement rares mais qui méritent qu’on leur apporte une solution rapide.

Recommandations :

– Autoriser dans tous les cas l’accompagnement d’un enfant par l’un de ses parents et sa prise en charge dans le cadre d’une évacuation sanitaire

– Prévoir la prise en charge des frais et des modalités de rapatriement du corps d’une personne décédée au cours ou à la suite d’une évacuation sanitaire.

d. Des mesures complémentaires à prévoir

Malgré un niveau d’éducation qui s’est sensiblement amélioré dans les trente dernières années, les outre-mer continuent d’accuser un retard dans ce domaine, comme le montre le schéma développé par Olivier Sudrie de l’homme de Vitruve dont les paramètres sont amplement analysés dans le rapport de notre collègue Victorin Lurel (5) .

En cause notamment le fait que la langue française n’est souvent pas la langue maternelle dans les outre-mer : ainsi, à La Réunion, 116 000 personnes sont concernée par l’illettrisme, soit 22,6 % des 16-65 ans (6). Les efforts doivent bien sûr porter sur la formation initiale : l’augmentation de la scolarisation précoce des enfants joue de ce point de vue un rôle majeur. Toutefois, elle ne règle pas le problème du « stock », autrement dit, des adultes qui connaissent des difficultés de maîtrise de la langue française et partant, des difficultés d’insertion professionnelle spécifiques. C’est pourquoi la rapporteure souhaiterait que dans le cadre du compte personnel de formation, les bénéficiaires puissent en priorité disposer d’une formation à la maîtrise de la langue française, voire de cours d’alphabétisation, lorsqu’ils connaissent des difficultés. Ce type de formation devrait leur être obligatoirement proposé en priorité.

Plus largement, il convient de promouvoir l’essor d’une catégorie de cadres intermédiaires et supérieurs dans les outre-mer par le développement d’un système d’enseignement supérieur professionnalisant. En effet, l’offre d’enseignement supérieur ultramarin reste essentiellement centrée sur les universités, les filières professionnalisantes étant quasiment absentes du paysage ultramarin. Afin de remédier à cette lacune, la rapporteure souhaiterait que puissent être créée dans chaque zone géographique des outre-mer (Pacifique, Caraïbes, Océan Indien), une école supérieure des cadres d’outre-mer : il s’agit là d’une proposition qui avait déjà été avancée par M. Patrick Lebreton dans un rapport publié en 2013 (7).

Recommandations :

– Proposer systématiquement et en priorité des cours d’alphabétisation et de maîtrise de la langue française aux personnes illettrées dans les outre-mer au titre du compte personnel de formation.

– Mettre en place dans chaque grande zone géographique ultramarine une école de formation des cadres d’outre-mer.

Enfin, une meilleure éducation de la population permet également à terme de diffuser le principe d’égalité, et en particulier, de l’égalité entre les femmes et les hommes. Sur ce plan, la rapporteure a pu étudier la problématique propre à Mayotte dans le cadre de ses travaux menés avec la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes (8) ; mais des efforts importants méritent encore d’être menés spécifiquement vis-à-vis de l’ensemble des outre-mer.

La rapporteure souhaiterait ainsi que l’étude VIRAGE « Violences et rapports de genre » menée par l’Institut national des études démographiques puisse être généralisée à l’ensemble des outre-mer. Elle recommande également la mise en place, dans les départements d’outre-mer, d’observatoires des violences faites aux femmes, à l’image de l’observatoire initialement créé en 2002 en Seine-Saint-Denis, et qui permet de prendre en charge et d’apporter un secours aux femmes victimes de violences, et particulièrement de violences conjugales. Enfin, elle estime qu’une campagne de sensibilisation sur la contraception et la prévention des grossesses précoces devrait être menée dans chaque territoire ultra-marin.

Recommandations :

– Étendre l’enquête VIRAGE sur les violences et rapports de genre à l’ensemble des outre-mer ;

– Mettre en place des observatoires des violences faites aux femmes dans les territoires ultramarins ;

– Lancer dans les outre-mer une campagne de sensibilisation sur la contraception et de prévention des grossesses précoces.

II. UN VOLET SOCIAL DU PROJET DE LOI ENTIÈREMENT CONSACRÉ À MAYOTTE

A. EN MATIÈRE SOCIALE ET MALGRÉ DES SPÉCIFICITÉS, LE PROCESSUS DE DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE S’EST TRADUIT PAR L’APPLICATION PROGRESSIVE DU PRINCIPE D’IDENTITÉ LEGISLATIVE

Collectivité départementale depuis la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001, Mayotte est devenue le 31 mars 2011 le 101ème département français et le 5ème département d’outre-mer et a été intégrée dans l’Union européenne en 2014 comme région ultrapériphérique.

Rappelons que la départementalisation de Mayotte a été soutenue par plus de 95 % des suffrages exprimés lors de la consultation organisée le 29 mars 2009.

La loi organique du 4 août 2009 entérine ce vote en prévoyant la transformation de la collectivité départementale de Mayotte en département de Mayotte, qui aura vocation à exercer les compétences d’un département et d’une région d’outre-mer à compter du renouvellement du conseil général en mars 2011. Aux termes de l’article 73 de la Constitution, qui régit désormais Mayotte, « dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». En amont, la loi ordinaire et la loi organique du 7 décembre 2010 ont fixé le cadre de l’organisation et du fonctionnement du département mahorais, ainsi que les conditions et le calendrier du passage progressif au corpus législatif de droit commun, moyennant les adaptations et dérogations justifiées par les spécificités du territoire mahorais, comme par exemple en matière de droit des étrangers ou encore de droit social, pour lequel la mise en œuvre est progressive.

Un bref rappel de l’histoire institutionnelle de Mayotte

Mayotte est française depuis 1841 et opte pour le statut de département d’outre-mer lors du référendum de 1958 sur la Constitution. Au moment de l’indépendance des Comores, les Mahorais ont, par deux fois, exprimé leur souhait de maintien dans la République : Mayotte est alors devenue une collectivité d’outre-mer.

C’est avec l’accord sur l’avenir de Mayotte de janvier 2000 conclu entre l’État et les autorités politiques mahoraises qu’est intervenue la création d’une collectivité départementale qui a initié un premier mouvement de réformes législatives et d’extension du droit commun.

Mayotte est ensuite inscrite dans la Constitution à la faveur de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 : elle est régie par l’article 74 de la Constitution.

La loi n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer prévoit que l’ensemble des lois et règlements sont désormais applicables à Mayotte (principe d’identité législative), à l’exclusion de six domaines spécifiques : la fiscalité, l’urbanisme, le secteur social, la sphère du travail et de l’emploi, l’entrée et le séjour des étrangers, et enfin, les finances communales. Cette loi pose les conditions du passage du statut de collectivité de l’article 74 de la Constitution à celui de département au sens de l’article 73 et ramène de 2011 à 2008 la possibilité d’une telle évolution.

Le processus s’accélère au début de 2008, avec l’adoption d’une résolution unanime du conseil général demandant l’organisation d’une consultation sur le statut de Mayotte : les électeurs sont donc consultés le 29 mars 2009 et se prononcent à 95,2 % en faveur de la départementalisation, consacrée le 31 mars 2011 avec le renouvellement par moitié du conseil général.

Comme l’indique le dernier document de politique transversale (DPT) Outre-mer, annexé au projet de loi de finances pour 2016, entre le 1er novembre 2011 et le 8 juin 2012, 23 ordonnances et de nombreux décrets d’application ont été publiés dans des domaines variés, afin d’étendre et d’adapter le droit national à Mayotte.

Dans le domaine social, de nombreuses réformes sont intervenues pour aligner le droit mahorais sur les règles applicables dans l’hexagone moyennant des adaptations.

Ainsi, en vertu de l’ordonnance n° 2011-1641 du 24 novembre 2011 portant extension et adaptation du revenu de solidarité active (RSA) au département de Mayotte, le RSA est entré en vigueur à Mayotte le 1er janvier 2012 au quart de la valeur du RSA servi dans les autres départements. Depuis, il a été sensiblement revalorisé, puisqu’il a été porté à 37,5 % de sa valeur servie dans les autres départements au 1er janvier 2013, puis à 50 % de cette même valeur au 1er janvier 2014 tandis que le plafond de ressources pris en compte pour la détermination des droits était relevé, permettant ainsi à la fois d’étendre l’allocation à de nouveaux bénéficiaires et d’augmenter les montants versés aux allocataires. Comme l’indique la Cour des comptes dans son rapport public thématique consacré à la départementalisation de Mayotte (9), le nombre d’allocataires est donc passé de 4 354 en mars 2012 à 10 572 en mars 2013, 14 252 en mars 2014 et à un peu moins de 20 000 bénéficiaires à la mi-2015. En termes de niveau, le montant mensuel versé à une personne isolée sans enfant a été porté de 119 euros au 1er janvier 2012, puis à 181,22 euros au 1er janvier 2013 et enfin, à 249,66 euros au 1er janvier 2014. Le montant versé à un couple avec deux enfants ou à une personne seule avec trois enfants a quant à lui été porté successivement de 249 euros à 380,55 euros puis à 599,19 euros sur la même période.

L’ordonnance n° 2011-1636 du 24 novembre 2011 crée le contrat unique d’insertion à Mayotte, dans sa version non-marchande comme dans sa version marchande – contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE) et contrat initiative-emploi (CIE).

L’ordonnance n° 2011-1923 du 22 décembre 2011 relative au développement de la sécurité sociale a notamment créé l’assurance invalidité, étendu la protection sociale aux non-salariés agricoles et amélioré progressivement le niveau des prestations familiales.

En application d’un accord national interprofessionnel (ANI) conclu par les partenaires sociaux le 26 octobre 2012 (10), les allocations chômage ont été étendues au territoire mahorais : le nouveau régime comporte des dispositions qui s’inspirent du cadre auparavant applicable à Mayotte d’une part, et de certaines règles issues de la convention Unédic du 6 mai 2011 relative à l’indemnisation du chômage d’autre part. Parallèlement, à compter du 1er juillet 2012, l’allocation de solidarité spécifique (ASS), qui bénéficie aux demandeurs d’emploi en fin de droits, est créée à Mayotte : elle a ensuite été revalorisée au même rythme que le RSA.

Deux ordonnances sont intervenues pour rendre applicable le code de l’action sociale et des familles à Mayotte, moyennant des adaptations (11). La première transpose au territoire mahorais l’essentiel des dispositions du code, en clarifiant les rôles respectifs de l’État et du conseil général en matière d’aide sociale et d’action sociale et médico-sociale. Elle étend aussi le droit commun pour des dispositifs qui n’existaient pas encore à Mayotte, comme la protection de l’enfance, la formation des travailleurs et personnels sociaux ou l’accueil à domicile des personnes âgées et handicapées. La seconde étend à Mayotte certaines des dispositions du code de l’action sociale et des familles relatives à l’adoption et étend et adapte au bénéfice des Mahorais l’allocation pour l’autonomie des personnes âgées (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH).

L’ordonnance n° 2013-80 du 25 janvier 2013 relative aux allocations de logement à Mayotte a aligné les conditions de l’allocation de logement familiale (ALF) sur le droit commun des départements d’outre-mer et a créé, pour les personnes sans enfant à charge, l’allocation de logement sociale (ALS) à partir du 1er janvier 2013. Cette ordonnance contribue ainsi à améliorer les droits existants à Mayotte et à créer de nouveaux droits, puisque l’ALS et l’ALF sont alignées sur le droit national, sous réserve de quelques adaptations, notamment pour les barèmes de calcul de l’allocation et les normes relatives aux conditions de logement. À compter du 1er janvier 2014, les personnes âgées ou handicapées hébergées par un particulier peuvent également bénéficier de l’allocation. Enfin, des revalorisations spécifiques doivent permettre d’aligner progressivement les niveaux de ces allocations sur ceux applicables dans les autres départements d’outre-mer.

Concrètement, en matière de prestations sociales, la départementalisation a conduit à une augmentation des allocations versées aux personnes âgées et handicapées entre 2010 et 2015. S’agissant des prestations familiales, le niveau des allocations de rentrée scolaire a rejoint le niveau national à la rentrée 2015. Depuis 2013, les montants unitaires de la prestation d’aide à la restauration scolaire ont également été alignés, tandis que les collations servies aux enfants ont été étendues à toutes les écoles avant l’atteinte de l’objectif d’une généralisation des cantines scolaires. Le salaire minimum garanti net (SMIG) a été aligné au 1er janvier 2015 sur le SMIC net.

Il faut enfin souligner que la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et la sécurisation des parcours professionnels prévoit l’application effective à Mayotte du code du travail de droit commun au 1er janvier 2018. À cette échéance donc, le code du travail applicable à Mayotte sera abrogé.

B. MAYOTTE 2025 : UN TRAVAIL QUI DOIT ÊTRE MENÉ JUSQU’À SON TERME

Si le processus de départementalisation a constitué une étape majeure pour inscrire Mayotte dans une trajectoire de développement, ce mouvement n’est pas encore arrivé à son terme.

1. Une logique de départementalisation encore inaboutie dans un contexte socio-économique difficile

Dans son rapport thématique consacré à la départementalisation de Mayotte, déjà cité, la Cour des comptes note que le travail d’alignement du droit mahorais sur le droit commun métropolitain qu’implique la départementalisation a été mal anticipé par l’État : dès lors que le principe d’identité législative ne concerne que les lois et règlement nouvellement adoptés, il devenait nécessaire de procéder à des adaptations du droit existant pour rapprocher le droit applicable à Mayotte du droit commun. Comme on l’a vu, entre décembre 2010 et juin 2012, 21 ordonnances ont été publiées couvrant une large part des 26 domaines initialement prévus. Néanmoins, une deuxième étape a dû être franchie pour proroger de dix-huit mois le délai initialement fixé pour procéder à ces adaptations et cela, d’autant plus qu’une mise en conformité avec le droit communautaire s’est également imposée entre temps. La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer a ainsi permis de couvrir huit nouveaux domaines pour lesquels l’adaptation de la législation restait partielle, ce qui a permis l’adoption de sept nouvelles ordonnances. Si des progrès importants ont donc été réalisés, la Cour observe toutefois, en le regrettant, que l’aboutissement juridique de la départementalisation ne sera finalement atteint qu’en 2018.

De manière plus fondamentale, le territoire mahorais continue de présenter des spécificités et des singularités, mais aussi de souffrir d’une situation difficile, en particulier sur le plan économique et social.

En effet, la situation démographique mahoraise reste particulière avec un indice de fécondité de l’ordre de 4,22 enfants par femme – contre 1,98 en moyenne nationale. Bien que la population officielle du département demeure faible – 230 000 habitants –, Mayotte est le département le plus jeune de France avec 55 % de moins de 20 ans. Il est également soumis à une forte pression migratoire, puisque la part de la population étrangère y atteint 40 %, pour l’essentiel des Comoriens. La conjugaison de ces deux facteurs explique le dynamisme démographique mahorais : ainsi, d’après les projections effectuées par l’Organisation des Nations unies (ONU) et par l’Institut national d’études démographiques (INED) (12), la population de Mayotte pourrait s’établir à 500 000 habitants à l’horizon 2050.

Sur le plan socio-économique, la Cour des comptes rappelle que le taux de chômage mahorais est très important, puisqu’il s’établit à 36,6 % et que seuls 3 Mahorais sur 10 en âge de travailler ont un emploi, la population active ne représentant que 24,6 % de la population en 2012. Par ailleurs, 71 % de la population n’a aucun diplôme qualifiant et un tiers des plus de 15 ans n’a jamais été scolarisé, ce qui explique que le taux d’illettrisme parmi la population scolarisée s’établisse à 33 % tandis que 58 % des habitants en âge de travailler ne maîtrisent pas les compétences de base à l’écrit en langue française. Le logement reste également précaire puisqu’un tiers des habitations est toujours constitué de maisons en tôle. Le PIB par habitant ne s’élève qu’à 7 900 euros, contre 31 500 euros au niveau national et 18 900 euros à La Réunion. Enfin, plus de la moitié de la population vit avec moins de 348 euros par mois et par unité de consommation.

2. Le chantier social lancé dans le cadre du document stratégique « Mayotte 2025 »

Dans le domaine social, les principaux défis à relever pour Mayotte concernent en particulier :

– le développement des retraites complémentaires ;

– et la poursuite de la mise en place des minima sociaux

Si le Pacte pour la départementalisation de Mayotte de décembre 2008 a permis d’accompagner le changement institutionnel en menant à bien les principaux chantiers de la départementalisation, il devenait nécessaire de relancer l’effort : c’est l’objectif du document stratégique « Mayotte 2025. Une ambition pour la République », qui trace « pour les dix années à venir le cheminement de Mayotte vers le droit commun de la République » et a pour ambition d’assurer son développement économique, social et environnemental.

Ce document stratégique fixe six axes prioritaires d’action pour la décennie : un cadre institutionnel performant ; une éducation de qualité, des formations et une politique d’insertion adaptées aux besoins du territoire ; un tissu économique développé ; un secteur sanitaire et une cohésion sociale exemplaires ; une politique de l’habitat et la ville adaptée ; et enfin, une gestion durable des richesses naturelles du département.

Sans revenir sur l’ensemble de ces thématiques qui doivent focaliser toutes les attentions dans les prochaines années, on s’arrêtera sur les deux axes prioritaires dans le champ social.

Ainsi, l’objectif d’une éducation de qualité, de la mise en place de formations et d’une politique d’insertion au service de la jeunesse passe notamment par la diminution du taux d’illettrisme et d’analphabétisme et la progression de la maîtrise de la langue française : une plate-forme partenariale de lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme à l’attention des plus de seize ans peu ou plus scolarisés doit ainsi être mise en place, et le programme « passerelle pour le français » doit être étendu en milieu scolaire. Afin de mieux cibler la formation sur les besoins du territoire et les métiers en tension, le document stratégique prévoit également le développement de la formation professionnelle en alternance et consacre notamment l’objectif de la création d’un centre de formation et d’apprentissage public à l’horizon 2020. Enfin, pour faciliter l’insertion des jeunes et des demandeurs d’emploi, il est notamment prévu de faire monter en puissance les missions locales, de créer une école de la deuxième chance à Mamoudzou dès 2015 et ultérieurement, d’implanter plusieurs antennes sur le territoire mahorais.

Concernant l’objectif de contribuer à l’amélioration de la santé des Mahorais, de protéger la jeunesse en danger et de partager un agenda social ambitieux pour assurer la cohésion sociale, le document pose cinq axes prioritaires de travail.

En premier lieu, il s’agit d’améliorer la prise en charge de la santé des Mahorais.

L’offre de santé sera adaptée avec la construction d’un hôpital en Petite-Terre et la rénovation du plateau technique et des blocs opératoires du centre hospitalier de Mayotte ; la qualité des prises en charges sera améliorée par une plus grande intégration interrégionale (Mayotte – La Réunion) ; enfin, des outils d’alternative à l’hospitalisation et de télémédecine seront développés.

L’attractivité médicale pour les professionnels de santé libéraux et hospitaliers sera renforcée, de même que les moyens du conseil départemental dans le champ de la protection maternelle et infantile.

La couverture sociale devra être améliorée avec la prise en charge par l’État d’une partie de frais engagés par des assurés, le lancement de travaux sur la mise en place d’une aide à la complémentaire santé en lien avec le lancement de la CMUc qui passe également par la mise en place d’acteurs de la complémentaire santé, le développement des dispositifs de tutelle, et la recherche d’une solution pérenne pour résoudre le problème des créances du centre hospitalier de Mayotte en matière de soins dispensés aux non-assurés sociaux.

La prévention et le dépistage des maladies doivent être rendus plus efficaces avec en priorité un meilleur dépistage des cancers, des infections sexuellement transmissibles et de la malnutrition chez les enfants ; une meilleure éducation à la santé et notamment en matière de santé sexuelle, d’alimentation et de conduites à risque ; la garantie d’une meilleure couverture vaccinale ; la réduction des facteurs de risques environnementaux ; la mobilisation des crédits européens pour réduire les inégalités de santé ; l’accompagnement des communes pour mieux lutter contre les insalubrités et l’accès à l’eau potable.

Le document stratégique propose également de mieux accompagner les personnes âgées et handicapées, notamment en développant les structures d’accueil (centres d’accueil de jour, services de soins infirmiers à domicile, etc.), offrant une prise en charge spécifiquement dédiée aux enfants et adolescentes présentant un handicap et en créant une offre d’emploi protégé et adapté pour les salariés handicapés. S’agissant des personnes âgées, l’objectif est de poursuivre la convergence du régime d’assurance vieillesse de Mayotte vers le régime général.

Enfin, sur ce volet, trois derniers axes de travail sont identifiés : la multiplication des partenariats dans le secteur de la santé, en particulier pour la mise en œuvre territoriale des plans de santé publique – santé environnement, nutrition santé, santé au travail, etc. ; le développement de la recherche et de l’innovation en santé avec la mise en place de projets de recherche, notamment dans le domaine des maladies infectieuses et émergentes ; et enfin, l’encouragement au développement de la pratique régulière d’activités physiques et sportives.

Le deuxième chantier prioritaire concerne la protection de la jeunesse en danger, où les principales actions à mener concernent le renforcement de la protection de l’enfance par le département de Mayotte, la possibilité d’une affiliation à l’assurance maladie des mineurs isolés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance ; la mise en place de structures dédiées à la prise en charge de mineurs en danger et de structures d’accueil temporaire d’urgence ainsi que de placement au long cours pour les mineurs abandonnés depuis plusieurs mois ; le renforcement de la politique de recherche et d’accompagnement de la famille d’origine ; un meilleur repérage dans les centres de rétention administrative pour limiter les situations d’abandon ou d’isolement ; et enfin la refondation du protocole départemental en faveur de la parentalité.

Le troisième chantier établit un agenda social ambitieux. Il s’agit de :

– Créer des structures nouvelles, à la fois des établissements d’hébergement, des crèches et des structures éducatives, mais aussi de développer les services à la personne pour la prise en charge des personnes âgées, handicapées et de la petite enfance, et, enfin, de développer le secteur des acteurs associatifs, des entreprises individuelles ou des structures qui œuvrent dans ce domaine par la transposition des dispositions du code du travail, dont on a vu qu’il a vocation à s’appliquer à Mayotte au 1er janvier 2018.

– S’agissant de la petite enfance, favoriser le développement d’assistantes maternelles agréées en étudiant les possibilités de mise en place concomitante du chèque emploi service universel (CESU) et en l’accompagnant par la mise en place du complément de mode de garde (CMG). L’ambition est de rendre possible le déploiement progressif des prestations en faveur des modes de garde des jeunes enfants, sur le fondement d’une évaluation régulière de la structuration du réseau de prise en charge des jeunes enfants et du besoin en mode de garde individuel des familles.

– Procéder d’ici 2017 à la mise en place de prestations inexistantes au bénéfice des personnes handicapées afin de faciliter leur accès aux services et structures dédiés : compléments de l’allocation d’éducation pour enfant handicapé (AEEH) et compléments de l’allocation pour adulte handicapé (AAH).

– S’agissant du niveau des prestations et des minima sociaux, le document stratégique « Mayotte 2025 » affiche l’objectif de porter, par étapes, à l’horizon 2018, à 50 % du montant métropolitain l’allocation spéciale pour les personnes âgées (ASPA) et l’allocation pour adulte handicapé (AAH), mais aussi de poursuivre le mouvement en faveur d’une convergence des minima sociaux et notamment du RSA, qui a doublé en 2014, pour atteindre les montants nationaux, sur le fondement des conclusions d’une conférence économique et sociale sur le territoire réunie au plus tard en 2020 et qui dressera le bilan socioéconomique au regard des équilibres du territoire. Il prévoit enfin d’accélérer le rythme d’augmentation exceptionnelle des allocations familiales pour atteindre dès 2021 les montants initialement prévus en 2026.

– La mise en œuvre de la prime d’activité est prévue dès 2016 ; dans un second temps une convergence progressive sera mise en œuvre en lien, d’une part, avec l’alignement du SMIG mahorais brut vers le SMIC et, d’autre part, avec l’accroissement des rémunérations.

– Le processus de convergence doit également s’appliquer aux règles de calcul des allocations de logement : il est ainsi prévu d’aligner les barèmes de l’allocation de logement familiale (ALF) et de l’allocation de logement social (ALS) avec ceux en vigueur dans les autres départements d’outre-mer (DOM) en fonction d’un calendrier à déterminer au vu d’un bilan d’étape.

– Enfin, il est prévu d’aligner les cotisations et contributions sociales en fonction d’un calendrier adapté et équilibré, en adéquation avec la convergence progressive des droits en matière de protection sociale, qui doit également permettre de lisser les impacts sur le coût du travail de manière à ne pas obérer la compétitivité des entreprises.

Le quatrième chantier concerne la mise en œuvre à Mayotte du plan en faveur de la jeunesse porté par le ministère des outre-mer : cet objectif mobilise des efforts importants à la fois en matière de constructions scolaires, de développement de la restauration scolaire, de formation des maîtres, de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche, de fluidification de des parcours des élèves tout au long de leur scolarité, et de déploiement de projets éducatifs globaux. Il prévoit également de mettre en place un programme de formation des cadres pour favoriser les élèves à fort potentiel ; d’encourager l’autonomie et la prise d’initiative des jeunes par la promotion du sport ; et enfin, de tenir compte spécifiquement des jeunes en difficulté ou en situation d’isolement en mettant en place des structures éducatives et d’encadrement ou encore par l’expérimentation de médiateurs.

Le dernier chantier de renforcement de la cohésion sociale concerne l’égalité entre les femmes et les hommes, pour laquelle le document stratégique prévoit le développement de l’aide à la parentalité, des structures chargées de la petite enfance, d’actions en faveur des droits sexuels et reproductifs, de promotion de l’entreprenariat féminin, d’actions de prévention contre les violences faites aux femmes, d’actions en faveur de l’emploi et de la formation des femmes et de prise de postes à responsabilité par ces dernières.

C. LES MESURES SOCIALES PORTÉES PAR LE PROJET DE LOI EN FAVEUR DE MAYOTTE

Le titre III du présent projet de loi est consacré à des dispositions sociales en faveur de l’égalité dans le département de Mayotte : il s’agit en particulier de renforcer la protection des Mahorais en matière de prestations familiales (article 9) et d’assurance vieillesse (article 10) pour une mise en œuvre des mesures proposées à compter du 1er janvier 2019.

1. En matière de prestations familiales

a. Le droit existant

Comme le rappelle l’étude d’impact, c’est l’ordonnance n° 2002-149 du 7 février 2002 relative à l’extension et à la généralisation des prestations sociales et à la protection sociale dans la collectivité départementale de Mayotte qui a instauré le système des prestations familiales à Mayotte. Seules quatre prestations y sont aujourd’hui servies :

– les allocations familiales, qui bénéficient à 19 159 foyers mahorais en 2015 (une progression de 14 % par rapport à 2011) ;

– l’allocation de rentrée scolaire (ARS), qui est, depuis 2015, versée pour les mêmes montants que dans l’hexagone, mais qui obéit à des règles différentes, puisqu’elle est versée à Mayotte jusqu’aux 20 ans de l’enfant au lieu de 18 ans dans l’hexagone et que son montant est modulé en fonction du cycle scolaire et non, comme en métropole, en fonction de la tranche d’âge de l’enfant ;

– l’allocation de logement familiale (ALF) et l’allocation de logement sociale (ALS) ;

– et l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), qui a été étendue par l’ordonnance du 28 août 2008 (13) et qui concerne aujourd’hui en 2015 255 foyers mahorais. Le montant de base de cette allocation, servie sans condition de ressources, s’établit à 130,12 euros par mois pour un enfant dont l’incapacité est d’au moins 80 %, soit un montant identique à celui versé dans l’hexagone.

Ni le complément familial, ni l’assurance vieillesse du parent au foyer (AVPF) n’ont été étendus à Mayotte.

S’agissant des allocations familiales proprement dites, si leur niveau a été aligné en Guadeloupe, Guyane, à La Réunion et à la Martinique avec ceux applicables dans l’hexagone entre 1991 et 1993, tel n’est pas le cas à Mayotte.

Au 1er avril 2016, le montant des allocations familiales pour deux enfants est proche du niveau national – le différentiel négatif est de l’ordre de 18 % par rapport au montant maximal servi dans le droit commun –, l’écart se creuse à partir de trois enfants, puisque le différentiel négatif est de plus de 52 %. Comme l’indique l’étude d’impact, une famille mahoraise de six enfants perçoit 75 % de moins que dans l’hexagone, et pour chaque enfant supplémentaire cette même famille ne percevra que 18,83 euros contre 166,72 euros dans l’hexagone. Notons toutefois que les prestations familiales à Mayotte ne sont pas soumises à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), et qu’elles ne sont pas versées sous condition de ressources, comme c’est désormais le cas en France hexagonale et dans les autres DOM, en Martinique et en Guyane, avec un montant maximal pour les foyers les plus modestes, un montant intermédiaire et un montant minimal. Enfin, à Mayotte comme dans les autres DOM, les allocations familiales sont ouvertes dès le premier enfant, ce qui n’est pas le cas dans l’hexagone.

Le complément familial, on l’a dit, n’existe pas à Mayotte, alors qu’il a été institué dans l’hexagone, dans les DOM, en Martinique et en Guyane en 1978. Soumis à condition de ressources, le complément familial comporte une prestation de base (168,52 euros au 1er septembre 2016) et une prestation majorée (219,13 euros à la même date), en fonction du niveau de revenus. Toutefois, les conditions du bénéfice du complément familial ne sont pas les mêmes dans l’hexagone et dans les outre-mer : alors qu’il bénéficie dans l’hexagone à des foyers d’au moins trois enfants âgés d’au moins trois ans, il est ouvert dans les outre-mer aux foyers d’au moins un enfant de plus de trois ans et de moins de cinq ans, à condition de ne pas avoir par ailleurs d’enfant de 0 à 3 ans. En tout état de cause, le complément familial n’est pas cumulable avec la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), qui, rappelons-le, est versée pour les enfants de 0 à 3 ans.

Enfin, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) existe à Mayotte, mais pas son complément : rappelons que dans l’hexagone et dans les autres collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution comme en Nouvelle-Calédonie, l’attribution de l’AEEH peut faire l’objet d’un complément sur décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), dont le montant, gradué en six catégorie, varie en fonction des dépenses occasionnées par le handicap de l’enfant, de l’arrêt ou de la réduction d’activité d’un des parents ou de l’intervention d’un aidant : ce montant varie ainsi de 96 euros à 1 575 euros selon la situation de la famille et l’impact du handicap sur les charges familiales. En sus de ce complément, il existe dans l’hexagone et dans les DOM une majoration spécifique de l’AEEH pour parent isolé comprise entre 52,86 euros et 435,08 euros en fonction du degré de handicap de l’enfant. D’après l’étude d’impact, un peu moins de 100 familles mahoraises seraient concernées par la mise en place de ces compléments.

b. Ce que prévoit l’article 9

L’article 9 du présent projet de loi prévoit ainsi :

– d’accélérer le rythme d’augmentation des allocations familiales pour se rapprocher des montants en vigueur au niveau national dès 2021 au lieu de 2026 ;

– de mettre en place le complément familial ainsi que le montant majoré du complément familial dans les mêmes conditions que celles qui s’appliquent dans les autres départements d’outre-mer, c’est-à-dire sous condition de ressources, dès le premier enfant dès lors que celui-ci est âgé entre trois et cinq ans ;

– et d’étendre les compléments de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) à Mayotte, avec la mise en place d’une majoration spécifique pour parent isolé d’enfant handicapé, et l’instauration d’un droit d’option entre le complément de l’AEEH et l’actuelle prestation de compensation du handicap (PCH) « enfant ».

S’agissant des allocations familiales, le mouvement d’alignement du niveau des prestations versées se voit accéléré, la période de convergence passant de quinze ans à dix ans, le terme étant fixé à 2021 au lieu de 2026.

Concrètement, les montants d’allocation versés au titre du premier enfant vont continuer à baisser, et en l’occurrence, plus rapidement ; en revanche, à partir du deuxième enfant, ils vont augmenter et seront alignés avec le niveau national à l’horizon 2021 pour deux enfants, et atteindront les deux tiers du niveau national en 2021 pour trois enfants, comme le retrace le tableau suivant.

Montant des allocations familiales 1er avril 2016 – 31 mars 2017, en fonction du nombre d’enfants à charges (euros courants)(1)

Hexagone

Outre-mer de droit commun
(Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Saint-Barthélemy et Saint-Martin)

Mayotte avant réforme (2)

Rapport différence montant Mayotte par rapport à l’hexagone / DOM, Martinique et Guyane
(en %)

En 2016

Rapport différence montant Mayotte par rapport à l’hexagone / DOM, Martinique et Guyane
(en %)

En 2021

1

0

23,91

47,29

197,8 %

100 %

2

130,12

106,25

81,7 %

100 %

3

296,83

140,49

47,3 %

65,7 %

4

463,55

159,31

34,4 %

46,2 %

5

630,26

178,14

28,3 %

36,9 %

6

796,98

196,97

24,7 %

31,6 %

Enfant supplémentaire

166,72

18,83

11,3 %

11,3 %

Source : circulaire interministérielle n° DSS/SD2B/2016/78 du 15 mars 2016

(1) Hexagone + outre-mer de droit social commun. Montant maximal correspondant à la tranche 1 du tableau relatif aux plafonds de ressources applicables pour l’attribution du montant modulé des allocations familiales annexé à la circulaire interministérielle du 18 décembre 2015

(2) 57,28 € pour les allocataires qui avaient déjà un droit ouvert avant le 1er janvier 2012, 44,93 € prévus du 1er janvier au 31 mars 2017. La convergence à la baisse vers le niveau des autres collectivités régies par l’article 73 de la Constitution était initialement censée intervenir en 14 ans (2012-2026).

Notons que le processus de convergence sera néanmoins loin d’être arrivé à son terme à l’horizon 2021 : en effet, pour trois enfants, le montant des allocations familiales servi à Mayotte représentera les deux tiers du niveau national ; pour quatre enfants, le niveau des allocations familiales servi aux familles mahoraises ne représentera toujours que 46 % du montant national ; on tombe même à moins de 32 % pour 6 enfants.

Au total, l’étude d’impact précise que l’accélération du processus de convergence des allocations familiales devrait concerner directement 8 700 familles de deux et trois enfants, et plus de 5 100 foyers de quatre enfants et plus, pour un coût estimé à 2,92 millions d’euros en 2016. La totalité du surcoût induite par l’accélération de la convergence est estimée à 14,6 millions d’euros sur l’ensemble de la décennie 2016-2026.

Concernant le complément familial, le texte prévoit donc l’extension à Mayotte de cette prestation dans les conditions applicables dans le reste des outre-mer : d’après l’étude d’impact, au total, cette mesure aurait un impact sur 2 300 foyers mahorais, 500 au titre du complément familial de base à hauteur de 96,25 euros par mois, et 1 800 familles au titre du complément familial majoré à hauteur de 125,15 euros par mois. Le coût de cette mesure est estimé à 3,3 millions d’euros par an, soit 0,6 million d’euros pour le complément familial de base et le reste au titre du complément majoré.

Enfin, le complément de l’AEEH se voit ouvert à Mayotte pour les enfants dont le taux d’incapacité est d’au moins 80 % à la condition soit que cet enfant fréquente un établissement qui assure une éducation adaptée ou un accompagnement social ou médico-social, soit, si son handicap exige le recours à des services d’éducation spéciale ou à des soins à domicile, dans le cadre des mesures préconisées par la CDAPH. La majoration spécifique pour parent isolé est également instaurée au 1er janvier 2019. Le coût de l’extension à Mayotte des compléments à l’AEEH est estimé à 415 000 euros en année pleine.

2. La mise en place d’un système complet d’assurance vieillesse à Mayotte

Le régime général de retraite mahorais est relativement jeune, puisqu’il a été mis en place par décret en 1987. Les règles relatives à l’assurance vieillesse ont été fixées par l’ordonnance du 27 mars 2002 et les principaux paramètres de calcul de la pension – âge, durée d’assurance, revenu de référence, cotisations – ont été étendus moyennant des aménagements et un étalement dans le temps dans le cadre des ordonnances du 22 décembre 2011 et du 23 juillet 2015.

a. Le droit existant

Le régime de retraite mahorais est marqué des spécificités qui se retrouvent globalement dans les autres outre-mer, mais qui sont sans doute encore plus accentuées à Mayotte.

Comme on l’a vu, la jeunesse de ce régime explique en grande partie la faiblesse du niveau des retraites à Mayotte, avec des carrières qui n’ont pas encore été entièrement cotisées. En outre, un phénomène de sous-déclaration relativement important contribue également à rendre compte de l’incomplétude des carrières. Enfin, il n’existe pas de régime de retraite complémentaire à Mayotte.

Sur le plan démographique, Mayotte n’a pas encore traversé sa transition démographique : les plus de 60 ans sont en effet proportionnellement six fois moins nombreux que dans l’hexagone et quatre fois moins nombreux que dans les autres DOM.

Au total, seuls 48 % des Mahorais de plus de 60 ans sont pris en charge par la caisse de sécurité sociale de Mayotte (CCSM) au titre des prestations vieillesse, contre 85 % des plus de 60 ans dans l’hexagone au titre du régime général : fin 2014, la CCSM comptait 4 228 bénéficiaires d’une prestation vieillesse, les deux tiers d’entre eux l’étant au titre de l’allocation spéciale pour les personnes âgées (ASPA), soit 2 732 personnes.

L’allocation spéciale pour les personnes âgées correspond au minimum vieillesse mahorais : elle remplit le même rôle que l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) nationale, bien que n’obéissant pas aux mêmes règles. Ainsi, en 2015, le plafond de ressources pour bénéficier de l’ASPA à Mayotte est fixé à 4 149,24 euros pour une personne seule – ce montant est de 9 609,60 euros dans l’hexagone. Ensuite, le montant maximal de l’allocation est de 345,77 euros à Mayotte, contre 801 euros au maximum dans l’hexagone, soit 2,3 fois moins. Le montant mensuel moyen d’allocation s’établit à 325 euros.

Les enjeux relatifs au niveau des pensions sont, de toute évidence, cruciaux à Mayotte : en effet, la proportion des personnes âgées touchant le minimum vieillesse à Mayotte est dix fois supérieure à l’hexagone. Pour pallier le faible niveau des pensions mahoraises, a été mis en place le mécanisme dit de « pension minimale », qui permet de compléter la retraite des assurés qui réunissent les conditions du taux plein (âge ou durée d’assurance) mais dont le niveau de retraite est particulièrement faible : le montant de pension différentiel qui est versé permet de porter la pension totale à 616 euros par mois, soit 50 % du SMIG mahorais. Le montant de la pension minimale est proratisé en fonction de la durée d’assurance. Si la pension complétée par cette pension minimale est inférieure à l’ASPA mahorais, elle peut être complétée par cette dernière. Comme le précise l’étude d’impact, les assurés qui ont cotisé moins de 70 trimestres – soit 60 % de la durée d’assurance de 116 trimestres requise à Mayotte en 2016 – perçoivent un montant de pension qui est complété par l’ASPA.

b. Ce que prévoit l’article 10

L’article 10 du présent projet de loi propose avant tout de renforcer les petites retraites des salariés du secteur privé et de valoriser les périodes de travail en renforçant temporairement le mécanisme de la « pension minimale » sur trois points :

– Le texte revalorise tout d’abord le montant auquel la pension de retraite d’une personne à carrière complète est portée, pour le faire passer de 616 euros par mois à 629 euros par mois. Autrement dit cette augmentation va concerner tous les retraités éligibles à la pension minimale, de façon plus ou moins importante en fonction de leur durée d’assurance.

– Afin d’encourager l’allongement des carrières, l’article 10 met également en place une majoration de la pension minimale pour les assurés dont la carrière est importante, soit 70 % de la durée d’assurance requise dans le régime mahorais. À ce niveau, la pension minimale sera portée à 120 euros de plus que l’ASPA.

– Enfin, le texte instaure un dispositif transitoire de revalorisation des pensions des assurés dont les carrières sont modestes, en renforçant le niveau du minimum de pension, et cela, afin de faire en sorte que l’ASPA soit davantage concentrée sur les publics les plus fragiles. Ainsi, comme l’indique l’étude d’impact, pour une carrière égale au tiers de la durée d’assurance requise pour sa génération – soit dix ans aujourd’hui – le montant de pension minimale est majoré à un niveau équivalent à 40 euro de plus que l’ASPA ; pour un niveau de carrière intermédiaire mais qui reste inférieur à 70 % de la durée d’assurance, cette pension minimale augmentera progressivement jusqu’à un second palier, équivalent à 50 % de la durée d’assurance requise : au niveau de ce second palier, le montant minimal de pension sera équivalent à 120 euros de plus que l’ASPA.

Les effets conjugués de la majoration de pension minimale et du dispositif transitoire de revalorisation des pensionnés à carrière modeste devraient permettre à au moins 35 % des retraités de bénéficier d’une retraite d’un montant supérieur à l’ASPA.

D’après l’étude d’impact, le coût de ces deux mesures est estimé à un million d’euros la première année ; en fonction de l’allongement des carrières et des durées d’assurance, le coût serait à terme de 5 millions d’euros par an.

En outre, l’article 10 réaffirme l’exigence d’une réforme fondamentale pour consolider le régime de retraite mahorais, à savoir la mise en place d’un système de retraite complémentaire, qui a logiquement vocation à être mis en place par la négociation collective. Rappelons que dans l’hexagone, les régimes Agirc et Arrco ont été mis en place respectivement par la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et par l’accord national interprofessionnel de retraite complémentaire du 8 décembre 1961. L’article 23-7 de l’ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte prévoit la mise en place par accord collectif d’un régime complémentaire de retraite des salariés mahorais.

L’article 10 prévoit de rendre applicable aux pensionnés public mahorais le régime de l’Ircantec – Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques – à la date à laquelle seront mis en place, par accord conventionnel, les régimes Agirc et Arrco pour les salariés de droit privé.

Enfin, s’agissant des pensions des agents publics qui sont globalement très favorables pour les fonctionnaires comparativement au régime applicable aux salariés du privé ou aux agents publics non titulaires, l’article 10 propose de plafonner les pensions des fonctionnaires pour assurer une meilleure égalité de traitement. En effet, le mécanisme applicable actuellement est celui d’une pension unique, forfaitaire, et non plafonnée au niveau du dernier traitement indiciaire : ce mécanisme conduit à traiter de la même manière des agents avec de faibles indices qui auraient cotisé entre 5 et 24 ans, puisque chacun touche aujourd’hui une même pension mensuelle de 646,16 euros.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires sociales examine pour avis, sur le rapport de Mme Monique Orphé, le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (n° 4000) au cours de sa séance du lundi 26 septembre 2016.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Notre commission se réunit aujourd’hui pour examiner le titre III concernant les dispositions sociales – en particulier les articles 9 et 10 – du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant d’autres dispositions en matière sociale et économique, dont la commission des lois est saisie au fond. La parole est à Mme Monique Orphé, qui a été désignée rapporteure pour avis la semaine dernière.

Mme Monique Orphé, rapporteure pour avis. Je me réjouis que notre commission soit saisie pour avis du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer car, à mon sens, la convergence entre les outre-mer et l’Hexagone passe avant tout par le développement social. Or, malgré les importants progrès réalisés depuis trente ans dans ce domaine, la situation des territoires ultramarins demeure fragile et accuse un retard économique et social souvent profond par rapport à la France métropolitaine. En 2012, le PIB des outre-mer était encore inférieur à celui de la métropole de 30 % en Guadeloupe et en Martinique, et même de 78 % à Mayotte. Comme je l’ai maintes fois rappelé devant la commission, le taux de chômage oscille entre 20 % et 25 % de la population active ultramarine, et le taux de pauvreté est beaucoup plus élevé qu’en métropole : il s’établirait à 20 % environ en Guadeloupe et en Martinique selon un calcul spécifique à ces territoires, mais il bondirait à 42 % à La Réunion dès lors qu’il est calculé en référence au taux national ! Ces quelques données suffisent à illustrer l’importance que revêt ce projet de loi très attendu en faveur de l’égalité réelle pour les populations des outre-mer.

Je passerai rapidement sur les dispositions du texte dont notre commission n’est pas saisie, tout en rappelant néanmoins que les plans de convergence prévus au titre II constituent des outils indispensables pour concrétiser l’égalité réelle, en particulier l’égalité sociale.

Comme mes collègues ultramarins, je me félicite des mesures prises au titre III, dont nous sommes saisis et qui concerne exclusivement Mayotte. En effet, le processus de départementalisation de Mayotte reste à parachever. D’importants progrès ont été accomplis ces dernières années pour faire entrer Mayotte dans le droit commun, et de nombreuses ordonnances ont été prises, en particulier dans le champ social, pour y rendre applicables les principaux dispositifs de protection sociale – le revenu de solidarité active (RSA) en 2012, par exemple, mais aussi l’assurance chômage et les principales prestations sociales en 2013. Toutefois, des règles particulières s’appliquent encore ; c’est pourquoi le processus doit se poursuivre. De ce point de vue, c’est le document stratégique « Mayotte 2025 » signé par le Premier ministre qui donne le la. Ce sont les engagements pris dans ce document que traduisent les deux articles du projet de loi relatifs à Mayotte, qui permettront de réaliser des progrès importants dans le domaine des prestations familiales et de l’assurance retraite.

Ainsi, l’article 9 vise à accélérer le rythme d’augmentation des allocations familiales pour approcher dès 2021, et non plus 2026, les montants en vigueur au niveau national. Il est également prévu l’extension à Mayotte du complément familial selon les règles applicables dans les autres départements d’outre-mer, y compris le montant majoré : le complément familial sera ainsi ouvert aux familles, sous condition de ressources, dès lors qu’elles ont à charge un enfant entre trois et cinq ans et n’ont pas d’enfant de moins de trois ans. De même, les compléments de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) seront étendus à Mayotte.

L’article 10, quant à lui, institue un dispositif spécifique de garantie des pensions des salariés du secteur privé, pour permettre aux retraités ayant cotisé de manière significative au titre de la retraite de disposer d’une pension supérieure à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Il prévoit la mise en œuvre simultanée des systèmes de retraite complémentaire obligatoire en vigueur en métropole. Enfin, il clarifie les modalités de versement d’une pension aux agents publics de Mayotte. On ne peut que se réjouir de ces mesures essentielles pour assurer progressivement l’égalité des droits en matière sociale entre Mayotte et le reste de la France.

Comme plusieurs de mes collègues ultramarins, je constate toutefois que le titre III ne comporte aucune disposition en faveur des autres territoires d’outre-mer. Je le regrette, et mon rôle de rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales consiste précisément à défendre des mesures complémentaires pour renforcer l’ambition du texte. Hélas, dans le champ social, nous nous heurtons aux obstacles constitutionnels qui interdisent aux amendements d’origine parlementaire de se traduire par la création ou l’aggravation d’une charge publique. Dans ces conditions, les amendements que je défendrai ne sauraient couvrir l’ensemble des mesures que j’aurais souhaitées, mais j’ai entamé avec le Gouvernement un dialogue qui, je l’espère, nous permettra d’avancer sur une série de mesures en vue de l’examen du texte en séance publique.

J’en viens aux amendements que je vous proposerai dans un instant. Tout d’abord, il me semble essentiel d’aboutir à plusieurs avancées d’ici au passage du texte en séance, même si je n’ai pas pu vous en faire la proposition dès aujourd’hui en raison de l’article 40 de la Constitution. Sans doute le dialogue que les rapporteurs entretiennent avec le Gouvernement permettra-t-il d’apporter en séance des réponses solides sur ces sujets. En effet, de profondes inégalités subsistent encore dans les outre-mer en matière de prestations familiales, auxquelles il est indispensable de s’attaquer si l’on veut mettre les outre-mer sur la voie de la convergence et de l’égalité réelle. Les conditions permettant de bénéficier du complément familial mériteraient par exemple d’être rééquilibrées en faveur des départements d’outre-mer. De même, l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) n’existe pas dans ces territoires : c’est inacceptable.

En matière de prestations vieillesse, les retraités ultramarins émargent plus souvent au minimum vieillesse que les retraités métropolitains, en raison de la jeunesse relative des retraites mais aussi de la convergence du SMIC, qui ne date que de 1996. De ce point de vue, il me semble indispensable d’envisager un dispositif de revalorisation des petites pensions, soit en revalorisant le minimum contributif, soit en modifiant la procédure de recours sur succession de l’ASPA, très durement ressentie dans les outre-mer.

Le rapport qui vous est soumis présente en détail l’ensemble des recommandations dont j’espère la concrétisation dans le cadre de ce projet de loi. En tout état de cause, je plaide pour que la convergence maximale soit recherchée en matière de prestations sociales car, à terme, c’est une condition sine qua non de l’égalité réelle.

La première série d’amendements que je vous propose concerne les questions de santé publique et d’accès aux soins dans les outre-mer, qui accusent un retard encore important. La prévalence de certaines maladies chroniques et infectieuses, notamment, y est plus forte qu’en métropole. Les enjeux de santé publique que sont la lutte contre l’alcoolisme et contre l’obésité sont encore plus cruciaux : dans les territoires d’outre-mer, le prix de l’alcool demeure faible par rapport à la moyenne des prix alimentaires, et la teneur en sucre de certains aliments était jusqu’à une date récente bien supérieure à la pratique en vigueur en métropole. Mes amendements visent également à souligner la nécessité d’étendre la couverture maladie universelle complémentaire à Mayotte, à interdire la publicité en faveur des boissons alcoolisées aux abords des écoles et à majorer le montant des droits d’accises sur les rhums des départements d’outre-mer afin de favoriser la prévention et la lutte contre l’alcoolisme. Je souhaite aussi que les élèves des classes élémentaires soient formés aux questions nutritionnelles.

Une ordonnance de mise en œuvre et d’adaptation de la stratégie nationale de santé aux outre-mer et, plus généralement, d’adaptation du droit de la santé doit être bientôt prise ; le Gouvernement doit nous tenir informés de l’état d’avancement de ses travaux en la matière.

S’agissant de l’offre de soins, je propose de favoriser la mise en place de protocoles de coopération entre les professionnels de santé, ainsi que la modernisation et la restructuration de l’offre de soins hospitalière – tant les hôpitaux ultramarins se heurtent à de considérables difficultés financières et souffrent d’un manque d’attractivité médicale. Autre enjeu majeur : le développement de la télémédecine, qui passe notamment par la recherche d’une tarification de ces actes. Enfin, les évacuations sanitaires sont aussi une particularité des territoires ultramarins, et quelques difficultés parfois très douloureuses pour les patients et leurs familles subsistent encore. Il me semble essentiel d’y remédier pour convaincre les populations des outre-mer qu’elles ne sont pas livrées à elles-mêmes.

Dans le champ de l’éducation et de la formation, les amendements que je propose visent essentiellement à lutter contre l’illettrisme, qui demeure très répandu dans les outre-mer où le français n’est souvent pas la langue maternelle. De ce point de vue, le compte personnel de formation a un rôle important à jouer pour les personnes qui sont en recherche d’activité ou déjà en activité. De même, le développement des outre-mer suppose l’émergence de cadres intermédiaires et supérieurs. À cet égard, la création d’écoles de cadres d’outre-mer serait très utile ; je l’appelle de mes vœux.

La troisième série d’amendements que je vous soumettrai concerne l’égalité entre les femmes et les hommes, qui doit être prioritaire : bien des choses restent à faire en la matière. Mes amendements posent des jalons qui pourront sembler modestes, mais qui contribueront à l’évolution des mentalités.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je tiens à saluer les députés ici présents, toujours déterminés à soutenir les territoires d’outre-mer : Mme Orphé, bien entendu, qui, sur tout sujet oublié ou négligé, n’hésite pas à interroger avec opiniâtreté les ministres concernés, mais aussi M. Jean-Philippe Nilor, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Stéphane Claireaux et M. Victorin Lurel, de passage dans notre commission. Je me félicite de votre détermination à défendre les intérêts des citoyens qui vous ont élus ici, car vous faites entendre une voix qui nous semble parfois lointaine depuis l’Hexagone.

Puisque Mme Orphé faisait référence aux questions de santé, je rappelle que le Parlement a adopté en 2013 la proposition de loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, qui portait notamment sur le taux de sucre dans les aliments. Où en est l’application de ce texte ? Que fait le puissant lobby agro-alimentaire, lui qui tentait de faire croire que les populations ultramarines auraient besoin de consommer davantage de sucre que la population métropolitaine ? Ce mensonge n’avait d’autre but que de vendre plus de sucre, avec tous les dégâts sanitaires que cela entraîne – triglycérides, cholestérol, surpoids, obésité – et les coûts humains, sociaux et sanitaires qui en découlent. Un an et demi après l’adoption de cette loi, il semble que nous étions encore loin du compte, les industriels ayant du mal à s’y mettre. Nous allons nous intéresser de près à ce débat que M. Lurel avait animé avec hauteur – je déplore à cet égard qu’une partie de l’opposition se soit abstenue sur une proposition de loi qui aurait dû recueillir l’assentiment unanime de l’Assemblée.

M. Jean-Philippe Nilor. Permettez-moi de donner brièvement mon point de vue général : ce texte est décevant. Le ton même qu’a employé Mme la rapporteure pour avis dans son intervention montre bien qu’il existe entre l’ambition affichée et les moyens qui sont concrètement mobilisés un écart – puisque c’est précisément de réduction des écarts qu’il est question dans ce projet de loi – que nos débats ne pourront combler.

Nous sommes loin, en effet, d’un changement de paradigme. Le texte repose sur une vision délibérément assimilationniste, clairement formulée dès l’article 1er : « Dans un objectif d’égalité réelle, la réduction des écarts de développement que connaissent les populations d’outre-mer au sein du peuple français constitue une priorité de la Nation ». Soit ; il ne s’agit donc pas de concevoir, encore moins d’appliquer un mode de développement original ou alternatif, mais bien de réduire les « écarts de développement » par rapport à un modèle, celui de la France hexagonale. Or, chacun sait qu’une telle approche intellectuelle a largement fait la preuve de ses limites. Nos difficultés structurelles ne doivent plus s’analyser en termes de retards de développement, mais en termes de blocages de développement. En effet, l’application de ce modèle qui, depuis l’autre rive de l’Atlantique, nous est présenté comme un idéal que nous serions tenus d’imiter, a donné lieu à toutes sortes d’abus. C’est cette même logique qui, en d’autres temps et d’autres lieux, a poussé certains d’entre nous à se blanchir la peau et à se défriser les cheveux pour ressembler à ceux qu’ils ne sont pas.

D’autre part, je regrette que ce texte, en l’état actuel, ne soit qu’une simple déclaration d’intention, et qu’il nous soit présenté très tardivement, en fin de législature. Convenez en effet que la volonté politique d’un Gouvernement se traduit dans l’ordre de programmation des textes législatifs. De plus, aucune disposition ne vise à rendre l’application de ce projet de loi inéluctable. Que se passera-t-il demain en cas de changement de majorité – qu’on le souhaite ou non ? Nous avons été assez ballottés par les uns et les autres au gré des changements de gouvernements et des programmations sans effets pour adopter désormais une position de prudence et de vigilance. Dans la mesure où l’État ne prend aucun engagement financier en faveur de l’application de ce projet de loi, toutes les supputations sont possibles concernant le financement de ces dispositions. Il n’est pas question d’accepter une nouvelle diminution des ressources des collectivités territoriales au mépris du principe de libre administration.

La loi se donne dix à vingt ans pour atteindre l’égalité réelle. Quel objectif présomptueux ! Je suis prêt à me joindre à cette ambition, mais pourquoi une programmation si prudente ? Les études objectives indiquent qu’un réel rattrapage ne saurait être envisagé avant trente ans au moins, voire qu’il serait impossible en raison de la crise démographique que subissent certains territoires comme la Martinique.

De plus, le texte se caractérise par un silence assourdissant au sujet des moyens financiers et des outils fiscaux que l’État pourrait consentir. Le Conseil d’État partage cette observation, mais pour s’en féliciter : les objectifs de ce projet loi, estime-t-il, ne sont que de nature purement qualitative et ne sont assortis d’aucun engagement financier.

Enfin, les plans de convergence – si tant est qu’il soit opportun de vouloir obsessionnellement « converger » vers un modèle qui n’est pas forcément souhaitable pour nous – demeurent, en l’état actuel du texte, sous la responsabilité de l’État central. J’y vois les prémices d’un retour à une forme de centralisation qui est loin de répondre aux aspirations maintes fois réitérées par les parlementaires, ainsi que par les présidentes et présidents des exécutifs des collectivités d’outre-mer, à tenir compte de nos besoins et de notre manière de voir en vue d’élaborer des modèles de développement réel – plutôt que des plans de convergence – voulus et conçus par les acteurs locaux en concertation avec l’État.

M. Stéphane Claireaux. Le projet de loi pour l’égalité réelle en outre-mer, voulu par le Président de la République, vise à réduire en une vingtaine d’années les écarts de développement qui existent entre les territoires ultramarins et la métropole. Il s’agit de garantir aux citoyens ultramarins les mêmes opportunités qu’aux citoyens métropolitains. Ce travail législatif est ambitieux, même s’il a été effectué dans des délais très contraints.

Les domaines couverts par ce texte sont vastes et divers : économie, social, éducation, santé, environnement, culture. S’il semble à première vue très centré sur les départements d’outre-mer, il ouvre cependant de grandes possibilités aux collectivités d’outre-mer via le bref article 5 du titre II. Comme l’a rappelé notre collègue Victorin Lurel en commission des lois, l’égalité transcende les statuts et les régimes législatifs.

C’est l’article 2 relatif aux plans de convergence qui intéresse plus particulièrement le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Si les problématiques de ce territoire sont assez différentes de celles qui caractérisent les autres outre-mer – en termes de taux de chômage, de pauvreté et de mortalité ou de retards d’éducation, par exemple –, j’ai néanmoins déposé plusieurs amendements sur d’autres sujets comme l’aide sociale et au logement, la santé, l’adaptation de règles et de normes au contexte local ou encore le désenclavement.

Certes, ce texte est incomplet et imparfait, mais il offre aux territoires ultramarins l’occasion de présenter devant la représentation nationale leurs problématiques trop souvent ignorées ou méconnues. En outre, il s’enrichira des contributions que nous voudrons bien lui apporter.

M. Victorin Lurel. Voici une trentaine d’années que je suis engagé dans la vie politique et je n’ai pas perdu mes rêves. Je dis souvent ceci aux électeurs : le jour où vous voudrez récuser la République française, vous le ferez ; le jour où vous serez fatigués de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, nul n’enverra des blindés pour vous forcer à demeurer dans le giron de la République.

Avec d’autres, j’ai participé à une plateforme présidentielle en 2012, et soixante engagements ont été pris en faveur des outre-mer. Aujourd’hui, plus de 90 % des promesses ont été tenues et les résultats sont là, quoi qu’on en dise. Nous avions dit et écrit – et le peuple y a souscrit – que nous voulions cette égalité. La recherche du graal égalitaire date de bien avant l’abolition de l’esclavage, mais aussi de 1946, époque à laquelle le grand Césaire évoquait une « assimilation géométrique » – c’est son terme, non le mien – qui n’est aujourd’hui rejetée ni en Martinique, ni en Guadeloupe ni ailleurs. Il n’y a aucune honte à dire qu’il faut tout faire, dans la République française, pour réduire et même résorber les inégalités territoriales, mais aussi les inégalités entre les personnes et les inégalités de revenus, de patrimoine, de reproduction sociale, et que ce n’est pas antinomique avec la recherche de son propre modèle.

Depuis 1982, nous avons – c’est l’honneur de la gauche – donné assez de liberté d’administration et de gestion aux collectivités territoriales – libre à elles, le moment venu, d’aller plus loin si elles le souhaitent. Lorsque l’on s’empare de tous ces pouvoirs, les résultats existent. Certes, le chemin à parcourir est encore long ; au fond, nous n’en verrons jamais la fin, car le développement est un processus qu’il appartient à chaque génération de poursuivre. C’est ce que nous faisons là où nous sommes. Personne ne m’oblige à défriser mes cheveux ni ne m’impose la « lactification » dont parlait Frantz Fanon. Nul système ne me contraint à être un nègre honteux ou un blanc décérébré. Les discours qui le prétendent, et que nous entendons certes au pays, ne font pas le bonheur des gens, même s’ils font peut-être celui de leurs auteurs parce qu’ils sont intellectuels ou qu’ils ont été lus dans des livres qui ne sont pas les nôtres.

Il est vrai que le présent texte est le dernier véhicule de la législature sur les outre-mer. Il faut encore l’améliorer, l’enrichir et tout faire pour que le Gouvernement lève le gage de sorte que les mesures proposées par les parlementaires ne soient pas déclarées irrecevables. Même s’il ne s’agit pas du grand soir, je crois à la politique des petits pas et à la force révolutionnaire de la modération. Ce n’est pas en étant lyrique – je l’ai été et je ne renie rien – que l’on fait avancer la cause. Rien ne sert de vouloir renverser la table ; c’est petit à petit que l’on avance.

Ce texte repose sur un principe philosophique : celui de l’égalité, qui a suscité toutes les révolutions du monde, singulièrement en France. Pour lui donner corps, il a été décidé de le traduire en politique d’égalité des chances – que le social-démocrate que je suis ne récuse aucunement. Il s’agit de donner à chacun les moyens de son expression, de son épanouissement, de réussir son parcours de vie ou de citoyenneté, son parcours professionnel, scolaire ou universitaire – en clair, de donner à chacun les mêmes chances au départ. Pour éviter que les inégalités ne soient trop profondes à l’arrivée, nous proposons l’égalité continue des chances, par la formation et l’éducation continues tout au long de la vie. Nous jugerons alors les écarts en fonction du travail et de l’ardeur de chacun à réussir qui sa vie, qui sa citoyenneté, et nous verrons s’ils sont socialement acceptables et s’ils sont justes. Il n’est pas question pour nous d’édifier une termitière, une société égalitariste ou babouviste ; c’est à chacun que revient le soin de réussir. Rien n’interdit aux élus que nous nous donnons d’élaborer des modèles différents.

Je me réjouis donc de la présentation de ce projet de loi, dont je sais pourtant les insuffisances. Je sais aussi le combat qu’il reste à mener avec le Gouvernement, les ministres, les élus et les collègues ici présents pour aboutir à un texte plus équilibré. Mieux vaut l’enrichir et en envisager le potentiel que le rejeter en bloc. En tout état de cause, il correspond parfaitement à la proposition n° 29 du Président de la République, dont les engagements ont été concrétisés depuis 2012. Celui-ci arrive à son heure, et je me félicite qu’il n’ait pas été oublié. À nous et à nos successeurs de faire leur part du travail.

Ce texte encore en gestation est soumis à l’avis de votre commission, avant que la commission des affaires économiques ne fasse de même et que la commission des lois s’en saisisse au fond. Le texte qui sera présenté en séance plénière sera encore imparfait pour les uns ou les autres, et il appartiendra alors au Gouvernement de nous indiquer d’ici là comment il compte l’améliorer. Je ne désespère pas quant à moi d’aboutir à un bon texte qui soit l’expression d’une bonne politique.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je tiens à saluer le travail extraordinaire que Mme la rapporteure pour avis a accompli afin que ses amendements ne tombent pas sous le coup de l’article 40, qui rend irrecevable toute proposition entraînant un coût pour l’État. C’est une épreuve d’artiste qu’elle a parfaitement réussie au stade de l’examen en commission. Le même obstacle frustrant se présente hélas sur tous les textes ; je tiens en l’occurrence à la féliciter.

Mme la rapporteure pour avis. Nous n’avons pas attendu la présentation de ce texte, monsieur Nilor, pour nous attaquer aux problèmes des outre-mer. Chacune de mes prises de parole en commission des affaires sociales a précisément consisté à poser le problème des inégalités dans ces territoires. On ne saurait prétendre que nous n’avons pas été entendus : à chaque fois, une main a été tendue et les dossiers ont progressé en dépit des difficultés. Je salue à cet égard Victorin Lurel, qui a commis un excellent rapport sur l’égalité réelle, et qui, lorsqu’il était ministre, est parvenu à défendre le budget des outre-mer dont je rappelle que conformément à notre demande, il n’a jamais diminué sous cette législature. Le Président de la République a été à notre écoute : nous avons un bilan plutôt positif en outre-mer. À La Réunion, par exemple, le taux de chômage des jeunes est passé de 60 % à 56 % : c’est dire que les mesures prises ont été efficaces. Certes, nous partions de loin, et sans doute fallait-il faire davantage, mais je me félicite des efforts consentis en faveur des territoires ultramarins, où le chômage est globalement passé de 30 % à 24 %. Les résultats existent ; il faut les accentuer. Ne dénigrons donc pas systématiquement ce qui est fait. Saluons plutôt le travail accompli par les uns et les autres. Vous estimez, monsieur Nilor, que ce texte est pauvre et qu’il arrive tard ; comme M. Claireaux, je pense au contraire qu’il faut se féliciter qu’il nous soit présenté, car il nous offre l’occasion de rectifier les inégalités qui persistent dans nos territoires.

Oui, monsieur Nilor, les inégalités sont encore profondes, comme en atteste l’indice de Gini selon lequel les départements d’outre-mer sont les plus inégalitaires, ou encore l’indice de développement humain qui montre que nous avons douze à trente années de retard sur la métropole ; c’est un fait. Parallèlement, la départementalisation a permis des avancées majeures. Mon rôle de rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales consiste à parachever cette égalité sociale. Hélas, je souhaitais présenter un certain nombre d’amendements qui sont tombés sous le coup de l’article 40 de la Constitution, mais je ne désespère pas que la ministre des outre-mer en reprenne certains au nom du Gouvernement, afin que nous nous attaquions à ces inégalités qui persistent.

S’agissant de la loi sur le sucre dans les aliments, madame la présidente, l’arrêté a été adopté au mois de mai ; reste à lui donner corps. Cela suppose un véritable contrôle dans nos territoires, pour s’assurer que les petites entreprises locales jouent le jeu – je sais que c’est le cas des grands groupes nationaux. Je milite pour qu’une évaluation soit conduite dans un an, afin de constater si les pratiques ont été alignées sur le niveau national.

M. Jean-Philippe Nilor. Je ne rejette rien en bloc, madame la rapporteure pour avis, et je n’ai aucun mépris pour le travail des uns et des autres. Je suis prêt à m’associer à vos travaux, dont je sais que vous les conduisez dans des conditions délicates. Permettez simplement que j’aie un regard différent – car la différence est source d’enrichissement.

On nous parle de plans de convergence et de politiques qui mettront entre dix et vingt ans pour produire leurs résultats et réduire significativement les écarts – étant entendu que la réduction d’un écart n’est jamais synonyme d’égalité, si tant est que l’égalité soit l’objectif à atteindre à tout prix. Dix à vingt ans, donc : quelle imprécision dans la planification, alors qu’il s’agit précisément de plans ! Je concevrais que l’on nous présente trois ou quatre volets de cinq ans, par exemple, mais un délai de dix ou vingt ans oscille entre le simple et le double. Je demeure ouvert aux réponses qu’apporteront peut-être les rapporteurs, les collègues et les ministres pour me rassurer sur cette question ; en attendant, l’élu de la Martinique que je suis a le droit de se poser ce type de questions.

D’autre part, je constate que les plans de convergence seront pilotés par l’État, et je suis là encore en droit de penser que cela ne va pas dans le sens de la responsabilisation des exécutifs locaux, et que c’est même aller à contre-courant d’une évolution moderne des choses.

J’estime donc – avec vous – que ce texte est encore trop pauvre. Venant de moi, cela semble peut-être blessant, mais il n’est pas insultant de dire qu’il faut enrichir le projet de loi ! Je proposerai d’ailleurs en séance une batterie d’amendements destinés à le muscler et à lui donner la consistance qui lui fait défaut. En d’autres termes, je suis tout à fait disposé à participer pleinement aux travaux, mais je ne me contenterai pas, alors que ce texte nous est présenté en fin de législature, de me réjouir de son arrivée tardive. Ce serait adopter l’attitude de ceux de chez nous qui se contentent des petites miettes qui nous sont offertes de temps à autre. Au contraire, j’estime que chacun – pas seulement les autres, mais nous aussi – doit avoir ses exigences, sa rigueur et ses ambitions.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je regrette, monsieur Nilor, que vous n’ayez pas présenté votre batterie d’amendements en commission, pour que l’on puisse au moins en examiner la recevabilité et, le cas échéant, les peaufiner avant la séance.

M. Jean-Philippe Nilor. Je le regrette aussi, madame la présidente, mais les ayant rédigés en Martinique, je n’ai pas pu, à quelques minutes près, les entrer dans l’application ELOI à temps. Soyez certaine qu’il n’était pas dans mon intention de réserver mes amendements pour la séance, comme certains ont l’habitude de le faire par stratégie. De ce point de vue, sans doute faudrait-il réfléchir aux conditions de travail des parlementaires qui se trouvent sur nos territoires.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je comprends. Avant de passer à l’examen des articles, je souhaite la bienvenue à Mme Huguette Bello, qui vient de nous rejoindre.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Avant l’article 9

La Commission examine l’amendement AS1 de M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. L’obligation d’emploi des personnes handicapées dans la fonction publique d’État est appliquée dans les outre-mer de manière inégalitaire et préjudiciable, tout particulièrement dans les petites collectivités à faible bassin d’emploi comme Saint-Pierre-et-Miquelon. En effet, les effectifs sur lesquels se fonde le respect de cette obligation sont les effectifs nationaux des administrations. Or, étant donné la faiblesse des effectifs concernés dans les petites collectivités, les obligations n’y sont pas respectées au niveau local – sans que cela n’entraîne de quelconque conséquence pour les administrations. Le présent amendement vise à remédier à cette situation.

Mme la rapporteure pour avis. Sur le fond, je suis tout à fait favorable à cet amendement, car il me semble essentiel que la fonction publique, qu’elle soit ultramarine ou métropolitaine, soit exemplaire, s’agissant en particulier de l’obligation d’emploi des personnes handicapées. Toutefois, monsieur Claireaux, votre amendement présente des difficultés techniques d’application, car il ne précise pas qui s’acquitte de la pénalité prévue en cas de non-respect du plafond. Je vous suggère donc de retirer l’amendement afin d’en préciser la rédaction en vue de la séance.

L’amendement AS1 est retiré.

TITRE III
DISPOSITIONS SOCIALES EN FAVEUR DE L’ÉGALITÉ RÉELLE

Article 9 : Prestations familiales à Mayotte

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 9 sans modification.

Article 10 : Régime d’assurance vieillesse à Mayotte

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 10 sans modification.

Après l’article 10

La Commission examine l’amendement AS18 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à prévoir une sensibilisation des enfants des écoles élémentaires aux enjeux nutritionnels. La lutte contre l’obésité est un enjeu majeur de santé publique, clairement réaffirmé comme tel – je m’en réjouis – dans la loi de modernisation de notre système de santé. Cette politique doit être renforcée dans les outre-mer davantage encore qu’ailleurs, même si des progrès ont été accomplis ces dernières années. Pour poursuivre la démarche entamée avec la loi précitée, il est nécessaire de mobiliser les moyens éducatifs afin de prévoir une sensibilisation aux enjeux nutritionnels dans les écoles des outre-mer.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. L’objectif de ce texte est l’égalité réelle – en matière sociale, culturelle, économique. En l’occurrence, j’estime que les enfants de nos écoles sont déjà sensibilisés à la question du sucre. Dans les collèges, par exemple, il est désormais interdit d’installer des distributeurs de sodas. Si nous voulons obtenir des avancées concrètes en faveur de l’égalité réelle, est-il opportun d’alourdir le texte en le truffant de dispositions déjà connues et adoptées ? Ne vaudrait-il pas mieux se concentrer sur certains amendements, concernant le régime social des indépendants (RSI) entre autres, qui pourraient aider concrètement nos employeurs indépendants ? Il s’agirait là d’une véritable mesure d’égalité ! À force de vouloir tout inclure dans ce texte par ailleurs utile, nous risquons de ne rien obtenir !

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement a recueilli l’avis favorable de tous les ministères concernés. De plus, il vise à ce que l’ordonnance qui sera prise concernant la stratégie nationale de santé en outre-mer généralise cette sensibilisation dans toutes les écoles.

Vous prétendez que cette mesure est déjà appliquée : c’est vrai, mais à la marge seulement. Sa mise en œuvre dépend des académies, des recteurs, des équipes pédagogiques. Or, l’obésité est un véritable fléau sur nos territoires, qui est à l’origine d’un taux de mortalité très élevé. Il faut donc impérativement faire de la prévention dès le plus jeune âge. De ce point de vue, nous ne saurions nous payer le luxe de ne pas sensibiliser les élèves de nos écoles. C’est pourquoi il me semble indispensable d’adopter cet amendement. Je ne méconnais pas l’importance des problèmes économiques mais, à mon sens, les problèmes de santé publique le sont tout autant, en particulier pour le développement humain.

Mme Huguette Bello. Le texte législatif est une chose ; cet effort, toutefois, doit aussi provenir des collectivités locales, notamment des mairies, qui sont chargées de la restauration des élèves des écoles maternelles et primaires – et cela vaut aussi pour les collectivités chargées des collèges et des lycées. Nos départements sont extrêmement riches en légumes et en fruits : La Réunion, par exemple, produit la Rolls Royce des ananas du monde, et des légumes extraordinaires. Que font nos collectivités pour dresser un cahier des charges unique afin que nos enfants puissent se nourrir des produits de la terre de la Guadeloupe, de la terre de la Martinique, de celle de La Réunion ou de la Guyane – de la terre de France, en somme ? Je regrette d’ailleurs que les députés de la France métropolitaine ne soient pas présents, car cette question les intéresse aussi. Pourquoi consommons-nous à La Réunion, qui se trouve à dix mille kilomètres de la métropole, des produits importés du Brésil ou de Pologne alors que nous pourrions les produire sur place ? Il faut en la matière un élan collectif impliquant toutes les parties prenantes, faute de quoi aucun texte ne pourra porter ses fruits.

Dans certains pays, tout le monde est mince. Dans les années 1960 et 1970, les habitants de La Réunion aussi étaient minces, voire maigres ; aujourd’hui, il suffit d’entrer dans un magasin pour constater que quatre personnes sur cinq ou six sont vraiment trop grosses – et le même constat peut se faire dans l’Hexagone.

La sensibilisation doit donc commencer au plus jeune âge. De ce point de vue, la Nation doit être ce parent symbolique dont chacun a besoin aux côtés de ses parents et de sa famille. Si les chefs des collectivités n’y mettent pas du leur, nous échouerons. En outre, nous créerions ainsi des emplois, dans le domaine de la préparation des repas par exemple. Si nous sommes trop gros, c’est parce que nous mangeons mal et que les enfants, plutôt que de déjeuner au restaurant scolaire, préfèrent se rendre en face de leur école, au camion-bar, ou au McDonald’s, et consomment des aliments qui portent préjudice à leur santé. Même les Chinois commencent aujourd’hui à prendre de l’ampleur !

En clair, s’il est utile d’adopter des textes, il faut aussi que chacun prenne ses responsabilités, notamment les acteurs politiques.

Mme la rapporteure pour avis. Je suis d’accord avec votre analyse : ce n’est pas seulement à l’État d’agir, mais aussi aux collectivités, qui doivent prendre des mesures de sensibilisation. Le présent amendement, toutefois, relève de la compétence du ministère de l’éducation nationale et vise surtout à promouvoir des outils pédagogiques pour mieux sensibiliser les consommateurs et futurs consommateurs à cette question de santé publique. Je demande donc qu’il figure dans le texte de loi.

M. Victorin Lurel. L’amendement vise « notamment » une « alimentation trop riche en sucre » : c’est certes un point important, mais pourquoi ne pas souligner du même coup l’importance de la question des sels et des graisses ?

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Les messages de prévention portent tout à la fois sur la consommation de sucre et sur celle de sel.

M. Jean-Philippe Nilor. Je suis tout à fait d’accord avec la remarque de M. Lurel – comme quoi rien n’est impossible. En revanche, je ne comprends pas pourquoi la mesure ne concerne que les élèves du cours élémentaire. Mieux vaudrait qu’elle s’applique dès le cours préparatoire, voire l’école maternelle, mais pas uniquement, car il ne faut pas se contenter d’un affichage ponctuel sans suivi tout au long de la scolarité – ce serait prêcher dans le désert. Il me semble qu’il faut être plus ambitieux et dépasser le cadre d’une seule section.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Cela fait longtemps qu’il est demandé aux écoles primaires de ne plus distribuer de boissons gazeuses comme les « Yékri » ni de biscuits et de les remplacer, le matin comme l’après-midi, par des fruits et des légumes. Ma commune offre même un fruit à la récréation, en lien avec l’éducation nationale et l’agence régionale de santé.

Mme la rapporteure pour avis. Si l’amendement est destiné à s’appliquer à partir de l’école élémentaire, c’est en raison de l’âge de la scolarisation obligatoire, qui est fixé à six ans. Cela étant, puisque l’enseignement est désormais structuré en cycles, cette sensibilisation, si elle figure dans les programmes pédagogiques, concernera également les élèves des écoles maternelles.

La Commission adopte l’amendement AS18.

Puis elle examine l’amendement AS17 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à interdire dans les outre-mer tout affichage publicitaire concernant les boissons alcooliques à proximité des établissements scolaires. En effet, l’article L. 3335-1 du code de la santé publique autorise le préfet à prendre des arrêtés pour déterminer les distances en deçà desquelles les débits de boisson à consommer sur place ne peuvent être établis à proximité des établissements d’instruction publique et des établissements scolaires privés ainsi que de tous les établissements de formation ou de loisirs de la jeunesse.

Pourtant, cet article ne permet pas de restreindre l’emplacement des affiches et enseignes de publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques. Or, la publicité en faveur de telles boissons pose un problème spécifique de santé publique dans les outre-mer, où la consommation d’alcool reste importante et a des conséquences majeures sur la vie sociale et familiale.

M. Jean-Philippe Nilor. Là encore, cet amendement va dans le bon sens, mais pourquoi ne pas y intégrer la publicité en faveur des chaînes de restauration rapide ? À quoi sert en effet d’interdire la publicité pour les boissons alcooliques si l’on permet à Quick, à McDonald’s et à d’autres chaînes de s’installer face aux collèges ?

Mme la rapporteure pour avis. L’amendement porte sur le problème bien spécifique de l’alcool, dont on sait aujourd’hui les dégâts qu’il provoque parmi les populations. De nombreux députés ultramarins ont soulevé cette question dans le cadre de la loi sur la santé. M. Serville, par exemple, rappelait que les règles encadrant la publicité pour l’alcool ne sont absolument pas respectées en Guyane. Il faut donc sensibiliser les populations dès la petite enfance. C’est pourquoi j’ai déposé cet amendement. Puisqu’il n’était pas possible de l’étendre à l’échelle nationale, j’estime qu’étant donné l’ampleur du problème dans les territoires ultramarins, il faut réagir en faisant un premier pas concernant la publicité, qui est parfois envahissante, notamment en période de fêtes.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. L’alcoolisme est en effet un problème important dans nos territoires, qui produisent d’ailleurs de l’alcool – du rhum. Cela dit, sans doute vaut-il mieux consommer du rhum que ces fameuses boissons faiblement alcoolisées que nous recevons, comme les « Despé » qui, une fois mélangées avec de l’essence et du vin, rendent à demi fou et entraînent à consommer d’autres produits comme le cannabis ou le crack. Voilà le véritable fléau !

En attendant, la vente d’alcool, même en voiture ambulante, est interdite aux abords des écoles. Nos élèves, cependant, qui sont en grande majorité accoutumés à fumer dès la sixième, se rendent chez des commerçants situés à proximité et, même si la vente d’alcool aux mineurs y est interdite, aucun contrôle n’est effectué. C’est ainsi que les enfants de douze ans peuvent se procurer de la « Despé ». J’approuverais une mesure d’interdiction de l’importation de ces boissons sur nos territoires ! L’interdiction des affiches publicitaires, elle, sera sans effet sur un problème pourtant bien réel.

M. Jean-Philippe Nilor. L’amendement de la rapporteure pour avis ne peut pas faire de mal. L’alcool est un problème grave, surtout dans nos territoires lorsqu’il touche des enfants, mais cet argument ne suffit pas : l’obésité, l’hypertension, le diabète sont aussi des problèmes graves qui gangrènent notre société. Dans ces conditions et si la rapporteure refuse d’accepter ma suggestion d’étendre le champ de son amendement, j’espère recueillir son avis favorable si, en séance, je présente cet amendement dans les mêmes termes concernant la restauration rapide et la « malbouffe ».

Mme la rapporteure pour avis. L’amendement que je vous présente porte sur un sujet précis : la lutte contre l’alcoolisme. Si vous déposez un autre amendement en séance – que je cosignerai volontiers –, c’est au rapporteur saisi au fond qu’il appartiendra de vous donner un avis.

De même, madame Louis-Carabin, vous auriez pu déposer des amendements sur les questions que vous soulevez. J’ajoute que mon amendement ne concerne pas que le rhum : je demande l’interdiction de la publicité pour les alcools en général devant les écoles. Peut-on prétendre que la consommation excessive d’alcool n’est pas un problème en outre-mer ? Les statistiques démontrent le contraire. Il faut donc lutter à tous les niveaux, sur les prix et sur la publicité, sans s’abriter ni minimiser le problème. Il est assez grave pour que nous sensibilisions les jeunes dès la petite enfance, surtout quand on constate les dégâts qu’il provoque aux Antilles, en particulier.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Permettez-moi de rappeler que les politiques de santé publique doivent s’envisager à très long terme. De ce point de vue, l’amendement de Mme la rapporteure ne « fait pas de mal », comme l’a indiqué M. Nilor ; au contraire, il ne peut que faire avancer les choses. Les décisions de santé publique prises une année ne portent pas leurs fruits dès l’année suivante. Sans doute les dispositions que nous votons aujourd’hui auront-elles des effets sur des enfants qui ne sont pas encore nés. C’était aussi le cas de la mesure imposant le paquet neutre : peut-être n’empêchera-t-elle pas les fumeurs dépendants de continuer à fumer, mais elle pourrait permettre à ceux qui entrent peu à peu dans l’addiction d’arrêter.

En clair, les politiques de santé publique ne donnent jamais de résultats visibles à court terme ; c’est pourquoi elles sont souvent jugées insuffisantes. Pour faire un grand mur nous protégeant des aspects néfastes de notre alimentation, il faut de petites pierres ; cet amendement en est une et l’on ne peut que le soutenir.

M. Jean-Philippe Nilor. Je suis parfaitement d’accord avec votre argumentation, madame la présidente. Pourquoi donc se priver de poser une pierre un peu plus grosse ? Ce qui est vrai de l’alcoolisme l’est également de la malbouffe qui pose elle aussi des problèmes de santé publique majeurs.

Mme la présidente Catherine Lemorton. En l’occurrence, l’amendement dont nous sommes saisis s’inscrit dans le cadre du plan de lutte contre la consommation d’alcool, massive ou non. Méfions-nous à cet égard des arguments que le lobby de l’alcool reprend souvent à sa sauce : en ce domaine, il est extrêmement performant.

La Commission adopte l’amendement AS17.

Elle passe à l’amendement AS39 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Comme le précédent, cet amendement concerne la prévention et la lutte contre l’alcoolisme dans les territoires ultramarins. Il vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, un rapport sur le lien entre le prix des boissons alcooliques, en particulier le rhum produit dans les départements d’outre-mer, et la consommation d’alcool, et sur l’impact d’une éventuelle majoration des droits d’accises sur les boissons alcooliques.

M. Jean-Philippe Nilor. Cet amendement me pose un problème : il stigmatise le rhum. Cette boisson n’est pourtant pas la seule à faire des dégâts : les bières, dans leurs emballages toujours plus attirants, en font davantage, le whisky est consommé partout et nous détenons le record du monde de la consommation de champagne. Stigmatiser la seule production locale revient en quelque sorte à se tirer une balle dans le pied, même si je partage l’objectif de l’amendement.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Les jeunes ne boivent ni du rhum ni du champagne. Ils boivent de la bière, du vin blanc et de la Despé mélangée avec de l’essence sans plomb. Disons les choses franchement ! C’est vers dix-neuf ou vingt ans que les jeunes se mettent éventuellement à boire du rhum ; les enfants de classe de sixième ou de cinquième, eux, à qui l’on a donné un joint à fumer, consomment ces mélanges pour accompagner d’autres joints.

Mme la rapporteure pour avis. Je précise que le prix du rhum est très faible outre-mer. J’ajoute, monsieur Nilor, qu’il ne s’agit que de commander un rapport d’information, avant une éventuelle décision d’augmenter le prix du rhum – que réclament de nombreuses personnalités engagées en faveur de la lutte contre l’alcoolisme. Avant d’en décider, il me semble en effet judicieux de disposer d’un rapport étudiant le lien entre la consommation de rhum et son prix très faible, et l’impact qu’une telle mesure aurait sur nos entreprises, car il faut éviter de nuire à leur activité.

La Commission adopte l’amendement AS39.

La Commission examine l’amendement AS5 de M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. Le présent amendement vise à remédier à un problème concernant le travail dominical historiquement permis dans certaines petites surfaces alimentaires des territoires ultramarins, en particulier l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, où l’ouverture le dimanche est parfois nécessaire à l’approvisionnement des populations. La taille de l’archipel, cependant, ne permet pas d’y implanter de grands espaces commerciaux ouverts à des horaires élargis. Les circonstances locales ont parfois conduit les préfets à accorder des dérogations régulières aux commerces d’alimentation de détail au-delà de 13 heures ; c’est cette situation que le présent amendement vise à inscrire dans la loi afin d’éviter que les autorisations préfectorales en question soient nécessaires.

Mme la rapporteure pour avis. Votre amendement, monsieur Claireaux, pose un problème de fond. L’autorisation légale d’ouverture que vous visez peut à mon sens être décidée par les collectivités concernées – Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon – de leur propre chef. La Nouvelle-Calédonie ne dispose d’ailleurs pas d’un préfet, mais d’un haut-commissaire de la République. Avis défavorable.

M. Stéphane Claireaux. L’amendement visait à répondre à une demande du préfet, contraint de prévoir des dérogations à répétition. Néanmoins, je le retire pour en améliorer la rédaction.

L’amendement AS5 est retiré.

La Commission passe à l’amendement AS13 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ratifier l’ordonnance du 18 février 2016 portant adaptation de la prime d’activité au département de Mayotte, qui a fait l’objet du projet de loi de ratification n° 3999, déposé sur le Bureau de l’Assemblée le 3 août dernier.

La Commission adopte l’amendement AS13.

Puis elle examine l’amendement AS15 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement reprend une disposition adoptée à l’initiative des députés ultramarins dans le cadre du projet de loi de modernisation du système de santé, afin que la stratégie nationale de santé déclinée à Mayotte inclue obligatoirement un volet relatif à la mise en place progressive de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). À Mayotte, en effet, c’est l’hôpital qui dispense l’essentiel des soins ; l’instauration de la CMU-C permettrait de développer les soins ambulatoires.

La Commission adopte l’amendement AS15.

Elle passe à l’amendement AS28 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à intégrer aux plans de convergence un volet consacré aux établissements hospitaliers ultramarins, afin de moderniser l’offre de soins hospitalière outre-mer. Il est pour ce faire indispensable de mobiliser des moyens d’accompagnement particuliers, car les hôpitaux ultramarins se heurtent à des difficultés financières plus graves encore que celles des hôpitaux métropolitains, et souffrent surtout d’un manque d’attractivité médicale.

M. Jean-Philippe Nilor. La formulation de cet amendement me semble illustrer parfaitement les acrobaties auxquelles Mme la rapporteure a dû se plier pour ne pas trop choquer Bercy. Cela étant, on aura beau intégrer des volets dans les documents, il faudra bien, pour être crédible et efficace, passer au tiroir-caisse. On peut aussi se contenter de demander des rapports pour éviter le couperet de l’article 40, mais il arrivera un moment où l’on ne pourra plus fuir la réalité. Nous sommes en fin de législature et ne pouvons plus guère gagner du temps.

La Commission adopte l’amendement AS28.

Elle examine ensuite l’amendement AS19 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Il s’agit d’un amendement très important pour les outre-mer, qui connaissent une situation particulière en matière d’offre de soins. Afin d’assurer la continuité du service territorial de santé au public, il est en effet indispensable de mettre au point des protocoles de coopération entre professionnels de santé pour favoriser la prise en charge coordonnée des patients par des équipes pluridisciplinaires. Les territoires ultramarins sont touchés par un fort manque d’attractivité médicale et les échanges entre professions médicales sont encore insuffisamment développés.

La Commission adopte l’amendement AS19.

Puis elle passe à l’amendement AS29 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Pour moderniser l’offre de soins, il convient de laisser une plus grande latitude aux établissements hospitaliers ultramarins et de tenir compte de leurs spécificités en les autorisant à expérimenter la mise en œuvre de démarches innovantes en matière de qualité et de sécurité des soins, à promouvoir la recomposition de l’offre de soins et à faciliter la coopération entre professionnels de santé.

La Commission adopte l’amendement AS29.

Elle examine l’amendement AS20 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement, que j’ai déjà proposé en vain d’inscrire dans la loi sur la santé, vise à expérimenter les consultations médicales par télémédecine à Wallis-et-Futuna.

La Commission adopte l’amendement AS20.

Elle passe ensuite à l’amendement AS22 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement porte sur le problème important de l’évacuation sanitaire des enfants vers la métropole. En cas d’évacuation sanitaire, le déplacement du patient et, le cas échéant, celui du médecin accompagnant sont couverts, mais pas celui de l’un des parents. Je propose donc que le Gouvernement remette au Parlement un rapport étudiant la possibilité de prendre en charge les frais d’accompagnement d’un enfant par l’un de ses parents pour toute évacuation sanitaire depuis les outre-mer vers la métropole, que cet enfant soit ou non accompagné par un professionnel de santé.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Cette prise en charge couvrirait-elle l’hébergement du parent ? Cette demande se présente également pour des parents venus de province accompagner leur enfant à l’hôpital Necker à Paris, par exemple.

Mme la rapporteure pour avis. Je souhaite en effet que la prise en charge soit globale, pour faire face à la détresse du parent – souvent la mère – qui, ne pouvant accompagner son enfant en métropole, doit se tourner vers les collectivités, lesquelles n’acceptent pas toujours la demande. Cet amendement réglerait le problème, même si cet accompagnement est symbolique.

Mme la présidente Catherine Lemorton. De fait, le rapport demandé s’étendrait donc à toute la France, ultramarine et métropolitaine, puisque le problème se pose partout de manière aiguë et croissante.

La Commission adopte l’amendement AS22.

Puis elle examine l’amendement AS23 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement porte lui aussi sur un problème douloureux : je propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport étudiant la possibilité d’assurer la prise en charge des frais de rapatriement du corps d’une personne décédée au cours ou à la suite d’une évacuation sanitaire entre les outre-mer et la métropole. Il arrive en effet que le retour au pays d’un patient ultramarin décédé suite à une opération effectuée en métropole ne puisse pas être financé. Je souhaite que la sécurité sociale couvre le rapatriement sanitaire même en cas de décès du patient.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Avez-vous vérifié, madame la rapporteure pour avis, si cette prise en charge existait déjà ? J’ai eu à connaître de cas où le rapatriement du corps était couvert.

Mme la rapporteure pour avis. Le directeur de la sécurité sociale, que j’ai reçu, m’a indiqué que le rapatriement en cas de décès au cours ou à la suite d’une évacuation sanitaire n’était pas couvert, car le patient n’est alors plus considéré comme une personne en tant que telle. C’est au conseil territorial qu’il appartient de rapatrier le corps. Pour y remédier, je propose que cette charge incombe à la sécurité sociale.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Dans les départements – outre-mer comme en métropole –, les caisses de sécurité sociale parviennent parfois à puiser dans leur fonds d’action sociale pour financer ces rapatriements. Ce n’est donc pas la sécurité sociale à proprement parler qui finance un acte faisant l’objet d’une tarification, mais un fonds dont les crédits ne sont pas toujours disponibles. C’est peut-être ce qui explique pourquoi Mme Louis-Carabin connaît des cas dans lesquels le rapatriement d’une dépouille a été couvert.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Certes, mais les aides attribuées au titre du fonds d’action sociale le sont sous condition de ressources.

M. Victorin Lurel. En l’état actuel de nos informations, le Gouvernement déposera un amendement concernant la prise en charge des voyages effectués dans les deux sens pour assister à un enterrement, et un autre sur le rapatriement des dépouilles de patients. En cas de décès au cours d’une évacuation sanitaire, en effet, le patient n’est plus considéré comme une personne, mais comme une dépouille – ce qui annule de facto le deuxième segment du billet d’avion aller-retour. La condition de ressources est donc déjà vérifiée. L’amendement du Gouvernement en tient-il compte ?

M. Jean-Philippe Nilor. Le problème se présente en effet pour les personnes en cas d’évacuation sanitaire, mais aussi pour celles qui se rendent en métropole dans le cadre d’une formation en mobilité : tout stagiaire parti avec une aide de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité qui décède en cours de formation n’est plus considéré comme un stagiaire rentrant au pays, et c’est à la famille qu’il appartient de couvrir les frais de rapatriement de la dépouille. Il me semble que nous pourrions associer tous ces cas de figure dans le même amendement.

Mme la rapporteure pour avis. Je souhaite en effet que le Gouvernement reprenne ces propositions mais, n’en étant pas certaine, je propose donc la remise d’un rapport.

M. Stéphane Claireaux. Je précise qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, le rapatriement de la dépouille d’un patient décédé au cours d’une évacuation sanitaire est pris en charge, car il est considéré comme faisant partie de l’évacuation en question – même si celle-ci s’est mal terminée.

La Commission adopte l’amendement AS23.

Elle examine l’amendement AS36 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à permettre la création d’observatoires des violences faites aux femmes dans les outre-mer. Un observatoire a ainsi été créé en 2014 à La Réunion, sur le modèle de l’observatoire départemental créé en 2002 en Seine-Saint-Denis. Chaque département d’outre-mer mérite de disposer de son propre observatoire.

La Commission adopte l’amendement AS36.

Elle passe à l’amendement AS35 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à généraliser l’enquête nationale « Violences et rapports de genre » (VIRAGE) de l’Institut national d’études démographiques (INED) à l’ensemble des départements d’outre-mer.

M. Victorin Lurel. La généralisation d’une enquête de l’INED relève-t-elle de la loi, et non pas plutôt du domaine réglementaire ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. En effet. Je vous propose de voter cet amendement en attendant la réaction du Gouvernement.

La Commission adopte l’amendement AS35.

Puis elle examine l’amendement AS37 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ce qu’une campagne de sensibilisation sur la contraception et la prévention des grossesses précoces soit prévue dans le cadre de la stratégie nationale de santé outre-mer. Il s’agit en effet d’un enjeu majeur dans les outre-mer.

La Commission adopte l’amendement AS37.

Elle est saisie de l’amendement AS16 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport étudiant la possibilité de revoir les conditions d’attribution des aides au logement. Certes, un rapport global est en cours de rédaction sur cette question, mais je souhaite qu’y soit inclus un volet spécifique aux outre-mer et que soit envisagée la possibilité de fixer un montant minimal de loyer acquitté par les bénéficiaires d’allocations, ainsi qu’un redéploiement des sommes économisées pour favoriser l’élargissement des aides au logement aux personnes qui ne la perçoivent pas et dont les revenus sont très faibles.

La Commission adopte l’amendement AS16.

Puis elle examine l’amendement AS3 de M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. Je partage l’avis de M. Nilor sur les demandes de rapport, mais nous avons été contraints à ces contorsions pour éviter de tomber sous le coup de l’article 40. La demande de rapport proposée dans cet amendement fait suite à l’avis que la section des travaux publics du Conseil d’État a rendu le 2 juin 2015 après saisine de la ministre des outre-mer sur la question de l’autorité compétente pour réglementer les allocations de logement dans la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le rapport demandé permettra d’expliquer l’absence continue et injustifiable sur ce territoire de l’allocation au logement à caractère social et de l’allocation de logement familiale, entre autres aides au logement à caractère social, alors même que le Conseil d’État a précisé la compétence de l’État dans ce domaine.

Mme la rapporteure pour avis. Un rapport sur les aides au logement devrait bientôt être remis au Gouvernement. La situation de Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait y être utilement abordée. En l’état, j’émets un avis de sagesse, avant que nous nous tournions le cas échéant vers le ministère.

M. Stéphane Claireaux. Ce rapport peut-il englober les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution ?

Mme la rapporteure pour avis. Je le crois, sous réserve de confirmation par le Gouvernement.

M. Jean-Philippe Nilor. Nous avons déjà voté plusieurs amendements qui ne mangent pas de pain ; celui-ci ne fera pas davantage de mal, et je suis prêt à le voter.

La Commission adopte l’amendement AS3.

La Commission examine l’amendement AS4 de M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. La demande de rapport proposée par cet amendement vise à appeler l’attention du Gouvernement sur l’enjeu fondamental d’égalité réelle que constitue la hausse des plafonds de ressources applicables aux dispositifs sociaux relevant de la caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon. Plusieurs plafonds de ressources sont en effet revalorisés pour tenir compte du niveau structurellement élevé des prix, et donc des revenus, dans cette collectivité. Il convient de généraliser cette revalorisation afin de garantir un égal accès aux droits sociaux, à pouvoir d’achat égal.

Mme la rapporteure pour avis. J’ai interrogé le Gouvernement sur ce point : à Saint-Pierre-et-Miquelon, les plafonds de ressources des prestations ont déjà augmenté de 12 % l’année dernière, et l’indice de revalorisation des prestations tient compte du différentiel d’inflation entre ce territoire et la métropole. Je vous suggère donc le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Stéphane Claireaux. Il est vrai que certaines mesures ont donné lieu à des revalorisations, mais les plafonds de ressources seront-ils systématiquement revalorisés à chaque extension d’une aide à Saint-Pierre-et-Miquelon, comme les aides au logement pour lesquelles nous nous battons ?

Mme la rapporteure pour avis. Je vous propose de retirer votre amendement pour le déposer de nouveau en séance, et vous obtiendrez alors une explication du Gouvernement.

L’amendement AS4 est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement AS26 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la création d’une école des cadres d’outre-mer dans chaque zone géographique ultramarine, conformément à la proposition formulée par M. Patrick Lebreton dans son rapport de décembre 2013 sur le développement économique des outre-mer.

La Commission adopte l’amendement AS26.

Puis elle examine l’amendement AS24 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à proposer de manière systématique et prioritaire des cours d’alphabétisation aux personnes illettrées au titre de la mobilisation de leur compte personnel de formation.

La Commission adopte l’amendement AS24.

Elle passe à l’amendement AS34 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à créer au titre III un chapitre 2 spécialement consacré à la lutte contre l’illettrisme, qui est un enjeu social crucial pour le développement de ces territoires.

M. Jean-Philippe Nilor. Je suis naturellement favorable aux actions de lutte contre l’illettrisme, mais gardons-nous de donner le sentiment qu’il existe chez nous un illettrisme généralisé. Attaquons-nous du moins aux causes profondes de ce phénomène, en particulier l’exclusion, dès l’école maternelle, de la langue créole et la mise au ban des enfants créolophones, qui provoque traumatismes et blocages et qui est source d’illettrisme. Je suis toujours gêné que l’on laisse imaginer qu’il nous manque un chromosome et que l’illettrisme galopant outre-mer est dû au fait que nous sommes moins brillants que les autres. En matière d’image et de communication, soyons prudents ; l’illettrisme, en effet, provient de l’exclusion de notre culture.

Mme Huguette Bello. Il est vrai que l’illettrisme ne touche pas que les départements d’outre-mer ; la France hexagonale est elle aussi durement touchée. À La Réunion, 116 000 personnes – soit 20 % de la population environ – sont illettrées, et c’est notamment le cas d’un jeune sur sept, sachant que cette part ne diminue pas.

Les causes de ce phénomène majeur tiennent aussi aux conditions d’accueil de la petite enfance. À La Réunion, le taux d’équipement en accueil collectif est de 63 ‰, contre 124 ‰ en métropole – ce qui n’est pas glorieux non plus. C’est pourtant dès la petite enfance, vers deux ans et demi, que tout commence. Françoise Héritier a raison : nous aurons beau parler de tout, nous ne parviendrons à rien si nous n’abordons pas la question de la petite enfance.

Observons les mesures de lutte contre l’illettrisme prises dans le monde. La méthode d’alphabétisation « Yo, sí puedo », primée par l’UNESCO, est expérimentée en Argentine, ailleurs en Amérique latine ainsi qu’en Nouvelle-Zélande – dans vingt-cinq pays en tout. De même, on peut accuser Cuba de nombreux maux, mais la population y est alphabétisée à 99,8 %, et c’est ce pays qui investit le plus dans l’éducation. Nous devons tenir compte de ces exemples. Ne nous contentons pas de simples rapports ; tâchons aussi de nous expliquer le désintérêt que les enfants éprouvent pour l’école.

En soixante-dix années de départementalisation, La Réunion a construit de nombreuses écoles : il n’y avait en 1960 qu’un lycée de jeunes filles et un lycée de garçons, alors qu’il en existe aujourd’hui quarante-sept, et des dizaines d’écoles primaires et maternelles. Pourtant, le taux d’illettrisme demeure élevé – de l’ordre de 23 %. Encore une fois, la France continentale n’échappe pas à ce phénomène. La nation doit se pencher sur ce problème et y apporter des remèdes. J’ajoute que la langue créole est rejetée, et que nos classes de maternelle sont parfois confiées à des enseignants qui ne parlent pas la langue de nos enfants, lesquels sont obligés d’interpréter ce qui leur est dit – et il leur est ensuite reproché de mal parler français. C’est un facteur parmi d’autres. Sur ce problème majeur, nous ne saurions nous contenter de ce texte ; c’est aussi à l’éducation nationale de s’en saisir.

Mme la rapporteure pour avis. Ne caricaturons pas les choses, monsieur Nilor. Je n’ai pas dit que tous les ultramarins étaient des illettrés ; le problème se pose néanmoins. Combien de fois ai-je entendu des élus monter au créneau pour déplorer le taux d’illettrisme ? Il y a plusieurs causes : le problème de la langue, en effet, mais aussi le manque de moyens en formation initiale, par exemple.

Quoi qu’il en soit, il n’existe pour moi aucun sujet tabou. Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit, mais de soulever des problèmes concrets en évitant toute fuite en avant sous prétexte que l’on craigne de dire clairement les choses, en matière sanitaire comme en matière éducative. Les problèmes doivent être posés pour leur apporter des solutions. L’illettrisme, comme l’échec scolaire, sont de véritables problèmes dans nos territoires. Les académies ultramarines sont en queue de classement. C’est pourquoi nous demandons davantage de moyens. Songez que 7 % des jeunes de métropole sortent du système scolaire sans qualification, contre 15 % à La Réunion ! De deux choses l’une : soit nous nous enfouissons la tête dans le sable sans rien faire, soit nous prenons la mesure du problème et nous donnons les moyens d’y remédier. L’objectif, en l’occurrence, est d’alerter le Gouvernement et de lui demander les moyens nécessaires pour aider nos jeunes et nos adultes à sortir de cette situation. C’est tout le sens de mes amendements. Encore une fois, je ne stigmatise personne : heureusement, l’intelligence existe partout. Il faut toutefois mettre le doigt là où il fait mal, quitte à déplaire.

M. Jean-Philippe Nilor. Il me semble au contraire, madame la rapporteure pour avis, que c’est vous qui caricaturez mes propos. Je dis simplement ceci : annoncer des chiffres sans une analyse préalable qui explique les causes du phénomène présente un danger en termes d’image. Les enseignants, par exemple, sont-ils qualifiés pour s’occuper d’enfants créolophones en classes de maternelle alors qu’ils ne parlent pas créole eux-mêmes ? N’occultons pas les causes profondes de la situation. À se contenter de dire que les taux d’illettrisme de l’outre-mer dépassent l’entendement, on peut certes choquer, mais on ne pose même pas le véritable problème. Voilà tout ce que je dis – et je ne fais pas partie de ceux qui craignent de s’exprimer ; au contraire, on me reproche parfois le contraire.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. En effet, tout n’est pas mauvais chez nous. L’an dernier, le lycée de Versailles, en Guadeloupe, était l’un des premiers de France. Nous avons de bons élèves et de bons enseignants. Il est vrai qu’il peut être problématique de confier une classe de maternelle à un enseignant venu de métropole qui ne maîtrise pas le créole ; l’apprentissage préalable du créole est important pour que les enfants puissent comprendre leurs enseignants. Cependant, les enfants créolophones – en Haïti par exemple – travaillent très bien à l’école sans toujours maîtriser le français, ni le créole anglais.

La Commission adopte l’amendement AS34.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

ANNEXE 1 : SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS

Recommandations en matière de prestations sociales :

– Supprimer le mécanisme de recours sur succession de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) dans les outre-mer. A minima, relever son seuil et moduler les montants recouvrables en fonction du nombre d’héritiers.

– Alternativement, majorer le montant du minimum contributif pendant une période transitoire dans les outre-mer pour le fixer au même niveau que l’ASPA, jusqu’à 2035-2040 environ.

– Revoir les conditions d’attribution du complément familial dans les DOM pour en élargir le bénéfice aux enfants jusqu’à seize ans ; le cas échéant, supprimer en contrepartie le bénéfice de la prestation à partir du premier enfant.

– Étendre l’allocation vieillesse du parent foyer (AVPF) dans les DOM dans les mêmes conditions que celles applicables dans l’hexagone.

– Lever la condition d’acquittement préalable des cotisations sociale pour le bénéfice des prestations familiales par les travailleurs indépendants ultramarins.

Recommandations en matière de santé publique, d’accès aux soins et d’amélioration de l’offre de soins :

– Réaffirmer l’objectif d’extension de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUc) à Mayotte.

– Interdire l’affichage publicitaire en faveur des boissons alcooliques à proximité des écoles dans les DOM.

– Majorer légèrement le montant des droits d’accises applicables aux rhums des DOM.

– Instaurer une formation de sensibilisation aux enjeux nutritionnels dans les écoles élémentaires des DOM.

– S’assurer de la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé dans les outre-mer et des conditions de l’adaptation du droit de la santé aux outre-mer.

S’agissant des hôpitaux ultramarins :

– Inclure un volet dédié aux établissements hospitaliers dans les plans de convergence ;

– Favoriser les expérimentations pour améliorer l’efficience et la modernisation de l’offre de soins hospitalière dans les DOM ;

– Favoriser le développement de la télémédecine en fixant les conditions de la tarification de tels actes.

– Autoriser dans tous les cas l’accompagnement d’un enfant par l’un de ses parents et sa prise en charge dans le cadre d’une évacuation sanitaire

– Prévoir la prise en charge des frais et des modalités de rapatriement du corps d’une personne décédée au cours ou à la suite d’une évacuation sanitaire.

Recommandations en matière de formation :

– Proposer systématiquement et en priorité des cours d’alphabétisation et de maîtrise de la langue française aux personnes illettrées dans les outre-mer au titre du compte personnel de formation.

– Mettre en place dans chaque grande zone géographique ultramarine une école de formation des cadres d’outre-mer.

Recommandations en matière d’égalité entre les femmes et les hommes :

– Étendre l’enquête VIRAGE sur les violences et rapports de genre à l’ensemble des outre-mer ;

– Mettre en place des observatoires des violences faites aux femmes dans les territoires ultramarins ;

– Lancer dans les outre-mer une campagne de sensibilisation sur la contraception et de prévention des grossesses précoces.

ANNEXE 2 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS

(par ordre chronologique)

Ø Fédération hospitalière de France (FHF) – M. David Gruson, délégué général, et Mme Marie-Gabrielle Vaissière Bonnet, adjointe à la responsable du pôle ressources humaines

Ø Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) – M. Renaud Villard, directeur

Ø Union nationale des associations familiales (UNAF) – M. Alain Feretti, administrateur, et Mme Claire Ménard, chargée des relations parlementaires

Ø Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) (*) – M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration, M. Daniel Lenoir, directeur général, M. Jean-Marc Bedon et M. Laurent Ortalda, experts politique familiale et sociale, et Mme Patricia Chantin, chargée des relations avec le Parlement

Ø Ministère des outre-mer – Direction générale des outre-mer (DGOM) – M. Claude Girault, administrateur général, adjoint au directeur général des outre-mer, Mme Sylviane Paulinet et Mme Éliane Louisia, chargées de mission

(*) Ce représentant d’intérêt a procédé à son inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

© Assemblée nationale

1 () Rapport au Premier ministre de M. Victorin Lurel sur l’égalité réelle outre-mer, mars 2016.

2 () Rapport d’information de MM. Éric Doligé et Michel Vergoz remis au nom de la Délégation à l’outre-mer, sur le niveau de vie dans les outre-mer, 9 juillet 2014.

3 () Institut national de la statistique et des données économiques : Taux de chômage localisés par sexe et âge en moyenne annuelle en 2015 : comparaisons régionales et départementales, septembre 2016.

4 () Rapport d’information n° 2581 de Mme Monique Orphé au nom de la Délégation aux outre-mer sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302), 11 février 2015.

5 () Rapport au Premier ministre sur l’égalité réelle outre-mer, Victorin Lurel, mars 2016, P. 66.

6 () Enquête INSEE/IVQ : Information et Vie Quotidienne, 2011.

7 () Rapport de M. Patrick Lebreton, remis au ministre des outre-mer, 25 propositions pour la régionalisation de l’emploi ultra-marin, 4 décembre 2013.

8 () Rapport d’information n° 3875 sur l’égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte, à la suite d’une mission effectuée du 10 au 14 novembre 2015, remis par Mmes Catherine Coutelle, Virginie Duby-Muller et Monique Orphé au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, 28 juin 2016.

9 () Cour de comptes, rapport public thématique, La départementalisation de Mayotte. Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire, janvier 2016.

10 () Cet accord, qui était prévu par les ordonnances n° 2011-1923 du 22 décembre 2011 relative à l’évolution de la sécurité sociale à Mayotte et n° 2012-788 du 31 mai 2012 modifiant les livres III et VII du code du travail applicable à Mayotte, a été agréé par arrêté du 31 décembre 2012.

11 () Il s’agit de l’ordonnance n° 2012-785 du 31 mai 2012 portant extension et adaptation du code de l’action sociale et des familles au Département de Mayotte et de l’ordonnance n° 2014-463 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à Mayotte des dispositions du code de l’action sociale et des familles relatives à l’adoption, à l’allocation personnalisée d’autonomie et à la prestation de compensation du handicap.

12 () Département des affaires économiques et sociales de l’Organisation des Nations unies, World population Prospects, 2015 ; et INED, Populations et sociétés : « Tous les pays du monde (2015) », septembre 2015.

13 () Ordonnance n° 2008-859 du 28 août 2008 relative à l’extension et à l’adaptation outre-mer de diverses mesures bénéficiant aux personnes handicapées et en matière d’action sociale et médico-sociale.