- Texte visé : Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, n° 846
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par :
Après le cinquième alinéa de l’article L. 33‑6 du code des postes et des communications électroniques, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La convention précise les conditions qui se soustraient au refus, notifié à l’opérateur par le propriétaire, le syndicat de copropriétaires ou l’association syndicale de propriétaires d’un immeuble ou d’un lotissement, d’une offre d’installation, de gestion, d’entretien et de remplacement de lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique.
« Cette disposition doit être justifiée par la présence d’un contrat de délégation de service public, mentionné à l’article L. 1411‑1 du code général des collectivités territoriales, entre la collectivité et l’opérateur ; et par la présence d’un motif d’intérêt général. »
L’une des préconisations récurrentes, émises par les élus locaux, à l’occasion de la Conférence de consensus qui a précédé le présent projet de loi, est de réduire les délais qui les incombent, qui ralentissent leurs politiques publiques, et qui fragilisent la légitimation de leurs décisions prises dans un souci d’intérêt général.
A titre d’illustration, l’une des plus fortes préoccupations des élus locaux étaient l’effectivité de la mise en place de la fibre optique sur leurs territoires. Une problématique prioritaire de projet de loi, un engagement de campagne du candidat Emmanuel Macron, un besoin devenu vital pour certains territoires.
En effet, certaines zones sont à la traîne dans la transition numérique, et il est de la responsabilité des opérateurs téléphoniques de doubler la couverture mobile en zone rurale pour réduire les zones sans réseau. En dernier recours, c’est à l’État que revient le droit de mettre en œuvre cette politique publique.
Les élus locaux ont, à diverses reprises, pointés l’un des cœurs de leurs difficultés à mettre sur pied cette transition numérique à savoir l’obligation de recueillir l’avis du propriétaire pour un installer un relais fibre optique sur sa façade.
Ils appellent à une accélération du déploiement de cette nouvelle technologie sur cette étape qui s’avère, pour eux, être la plus longue et la plus problématique. Concrètement, certains ont appelé à supprimer la possibilité, pour le propriétaire, de s’opposer à l’installation. En effet, une telle obstruction retarde le projet de plusieurs mois, voire années, et risque même de mettre en péril la couverture numérique de la commune voire de plusieurs communes.
Le présent amendement se propose de supprimer ce refus mais à certaines conditions qui s’appliquent, d’une part, pour justifier l’installation, de gestion, d’entretien et de remplacement de lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, et, d’autre part, pour être apprécié par les juges en cas de recours.
• Tout d’abord, la convention, mentionnée à l’article L. 33‑6 du Code des postes et des communications électroniques, doit clairement préciser que le contrat, passé entre la collectivité territoriale et l’opérateur, met en place, en droit et dans les faits, un régime de délégation du service public. Ainsi, tous les contrats ne seront pas concernés par cet amendement pour éviter que le secteur privé puisse être octroyé de présomptions et de compétences qui ne lui appartiennent pas en l’état, et que les élus puissent en user à volonté sur n’importe quel type de contrat.
• Ensuite, la collectivité doit invoquer un motif d’intérêt général. Si cette notion est large, elle l’est pour l’élu tout comme les autorités judiciaires chargées d’analyser le recours potentiel. Elle implique, de facto, que les élus locaux motivent leurs décisions en vertu de la jurisprudence qui a pu être faites sur ces thématiques.
- D’une part, si l’intérêt général peut justifier les atteintes au droit de propriété, ici par exemple la façade, il incombe à l’agent de l’État de veiller au respect du bilan coûts-avantages qui a été exigé par le Conseil d’État dans les arrêts Ville Nouvelle Est en 1971, et Sainte Marie de l’Assomption l’année suivante.
A partir de ce principe, dans son essence, « l’intérêt général est un arbitrage entre des intérêts et non une valeur abstraite » selon Vedel et Delvolvé. De ce fait, dans le cadre de cet amendement, il est explicité que les opérations relatives à la mise sur pied et la pérennisation de la fibre optique ne peuvent pas être déclarée d’utilité publique si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social qu’elles comportent sont excessifs eu égard à l’intérêt qu’elles présentent. De plus, cet amendement, sur le fondement du motif d’intérêt général, ne s’exonère pas des autres intérêts publics existants et mis en lumière par la jurisprudence comme les atteintes à d’autres intérêts publics, selon l’arrêt du Conseil d’État de 1972 évoqué précédemment, les atteintes à l’environnement, selon l’arrêt Syndicat CFDT Marins-pêcheurs de la rade de Brest en 1975, ou encore les inconvénients de toute nature selon l’arrêt Mamet la même année.
- D’autre part, et cela est moins restrictif pour les élus locaux, l’intérêt général peut aussi s’appuyer sur le principe de mutabilité ou d’adaptabilité. Il impose l’adaptation du service public au développement de nouvelles technologies et aux modifications des besoins du service. La Conseil d’État l’a imposé dans ses arrêts Gaz de Deville-lès-Rouen en 1902, et Cie générale française des tramways en 1910. Un principe qui peut même conférer le pouvoir de modifier ou de résilier unilatéralement des contrats administratifs en toute légalité.
S’agissant du sujet de l’amendement, la fibre optique s’inscrit totalement dans une nouvelle technologie qui répond aux besoins de la collectivité et donc de l’intérêt général.
Sur ce principe d’intérêt général, ce sera à l’élu de combiner la notion d’atteinte à la propriété qui peut lui être restrictive, avec celle de la mutabilité qui lui donne plus de latitude.
• Enfin, cet amendement ne supprime pas les recours du propriétaire, du syndicat de copropriétaires ou de l’association syndicale de propriétaires d’un immeuble ou d’un lotissement. Toutefois, il se fera a priori, et dans un délai bref, par les autorités compétentes de l’État, voire a posteriori par les autorités judiciaires compétentes.
Si le contentieux est susceptible de nourrir une jurisprudence pour l’installation de lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, celui-ci sera nettement moins inopérant et présent quand il s’agira de procéder à la gestion, à l’entretien et à son remplacement car les conditions contractuelles et d’intérêt général auront déjà été légalement en vigueur à l’occasion de l’installation.
En définitive, cet amendement donne une marge de manœuvre supplémentaire, contrôlée et contrôlable, pour les élus locaux afin d’accélérer la couverture numérique de leurs territoires.