Fabrication de la liasse
Rejeté
(mercredi 11 juillet 2018)
Photo de monsieur le député Paul-André Colombani

Le premier alinéa du préambule de la Constitution est complété par les mots : « et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2007 ».

Exposé sommaire

Cet amendement propose en outre d'intégrer au sein du bloc de constitutionnalité un texte fondamental supplémentaire qu'est la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cette intégration vise à faciliter l'approfondissement du dialogue des juges. Depuis plusieurs années, l'intégration juridique entre nations européennes a entraîné une évolution forte de la conception traditionnelle de la hiérarchie des normes, dans laquelle la primauté de la Constitution est largement interrogée. Le débat en est devenu plus symbolique que pratique tant la primauté du droit de l'Union européenne est affirmée dans les faits par les évolutions prétoriennes : absence de contrôle par le Conseil constitutionnel des lois de transposition de directives européennes (CC., 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, n° 2004-496 DC), neutralisation de la priorité de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) vis-à-vis du mécanisme communautaire de question préjudicielle (CJUE, 22 juin 2010, A. Melki et S. Abdeli), utilisation de ce mécanisme de question préjudicielle par le Conseil constitutionnel lui-même dans le cadre du contrôle QPC (CC., 14 juin 2013, Jérémy F. n° 2013-314 QPC) ainsi que par le Conseil d’État pour déterminer si une QPC est sérieuse (CE Ass., 31 mai 2016, Jacob, n° 393881), mise en œuvre d'un système d'équivalence des protections entre le droit interne et le droit de l'Union pour le contrôle de légalité des décrets-miroirs (CE, Ass., 8 février 2007, Arcelor, n°287110).

Il résulte de tout ceci que l'articulation entre la souveraineté affichée de la Constitution dans l'ordre interne et la primauté effective du droit de l'Union aboutit à une complexification byzantine du débat qui, à part sauver les apparences dans le champ doctrinal, s'avère inutile voire stérile. Le modèle de la "pyramide à plusieurs pointes", utilisé pour décrire les rapports entre la Constitution, le droit de l'Union et le droit conventionnel de la CEDH semble ici atteindre le stade de la quadrature du cercle. Il convient donc de rendre son effectivité à la Constitution, texte juridique servant à décrire l'armature réelle des pouvoirs publics et leurs rapports, et ne pas la laisser glisser vers une dimension déclarative et incantatoire qui affaiblirait la force positive du texte.

Intégrer la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne permet donc de mieux aménager la primauté de la Constitution, puisque cela hisse au niveau constitutionnel un texte qui a formellement une valeur conventionnelle mais qui dans les faits a une valeur quasi constitutionnelle, notamment en raison de l'identité des droits fondamentaux qu'il proclame avec ceux de la Déclaration de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. De fait, les juridictions françaises organisent une équivalence des protections constitutionnelles et communautaires en matière de droits fondamentaux. Intégrer clairement la Charte dans le bloc de constitutionnalité permet ainsi de mieux transcrire l'état des choses, affirme la construction européenne à une place éminente de la Constitution et facilite le dialogue des juges puisque cette inscription permettra au Conseil constitutionnel d'irriguer davantage sa jurisprudence avec celle de la Cour de justice qui est l’interprète autorisé de la Charte.

Certes le Conseil constitutionnel n'effectue pas de contrôle de conventionnalité (CC., 15 janvier 1975, loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, n° 74-54 DC). La difficulté viendrait de ce que l'ordre communautaire est doté d'une juridiction, la Cour de justice de l'Union européenne : si le Conseil constitutionnel appliquait le droit de l'Union dans le cadre de son contrôle de conformité, le Conseil s'exposerait à voir son interprétation des traités de l'Union, et donc indirectement ses décisions, invalidées par la Cour de Luxembourg qui est le dernier interprète autorisé de ce texte. Cela aurait pu selon certaines vues remettre en cause sa suprématie et une certaine conception de la souveraineté française.

Néanmoins les mentalités ont évolué et on pourrait admettre qu'il n'y a aucune gravité, même symbolique, à ce que la Cour de Luxembourg contredise une interprétation que le Conseil constitutionnel aurait faite du droit de l'Union : la même chose arrive désormais régulièrement au Conseil d’État et à la Cour de cassation sans que cela remette en cause leur autorité. En outre les arrêts de la Cour de Luxembourg n'ont pas pour effet d'abroger directement une norme législative de droit interne, seul le Conseil constitutionnel a ce pouvoir. Le Conseil constitutionnel, en cas de jurisprudence européenne remettant en cause son interprétation du droit de l'Union, n'aurait qu'à adapter sa jurisprudence, d'autant qu'il peut désormais poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne et éviter ainsi des conflits entre juges. En tout état de cause les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité européenne gagneraient à être décloisonnés.