XVe législature
Session ordinaire de 2020-2021

Première séance du jeudi 18 février 2021

Sommaire détaillé
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Première séance du jeudi 18 février 2021

Présidence de M. David Habib
vice-président

M. le président

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à neuf heures.)

    1. Aide individuelle à l’émancipation solidaire

    Discussion d’une proposition de loi

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Boris Vallaud,…

    M. Boris Vallaud, rapporteur de la commission des affaires sociales

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    Et de M. Saulignac !

    M. le président

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    …M. Hervé Saulignac, et plusieurs de leurs collègues relative à la création d’une aide individuelle à l’émancipation solidaire (nos 3724, 3876).

    Rappel au règlement

    M. le président

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    La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel, pour un rappel au règlement.

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    Il se fonde sur l’article 48 de notre règlement relatif aux niches parlementaires.
    Il y a quatre-vingt-trois ans, un 18 février, la loi autorisait les femmes à s’inscrire à l’université sans l’autorisation de leur mari. Aujourd’hui, 18 février 2021, la loi aurait pu améliorer le sort de femmes en rendant effectif le droit à l’IVG – interruption volontaire de grossesse. Mais Les Républicains en ont décidé autrement.

    M. Stéphane Viry

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    Eh voilà !

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    Le premier texte initialement inscrit à l’ordre du jour aujourd’hui était la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement. Ce texte est issu d’un long travail de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de notre assemblée, travail qui a donné lieu à un rapport d’information  de Mme Cécile Muschotti et de moi-même. Cette proposition de loi a fait l’objet d’un rapport de notre collègue Albane Gaillot. Nous aurions pu ensemble faire avancer le droit des femmes quarante-cinq ans après Simone Veil. Mais Les Républicains en ont décidé autrement. Quatre ou cinq députés Les Républicains ont en effet déposé une avalanche d’amendements – 500 amendements – qu’il est impossible de traiter en une seule journée. Comme nous n’avons qu’une niche par an, nous avons dû, contraints et forcés, retirer ce texte.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Ce n’est pas bien !

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    Mais ce n’est que partie remise, mes chers collègues du groupe Les Républicains. D’autres groupes vont reprendre ce texte, probablement celui de la majorité ou le Gouvernement. Nous rendrons enfin ce droit effectif pour éviter que de nombreuses femmes soient obligées de partir à l’étranger pour avoir le droit d’avorter. Il est inacceptable que cela se produise encore dans notre pays.

    Mme Valérie Rabault

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    Absolument !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Il y a des comptes à rendre !

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    Bien évidemment, le droit d’amendement fait avancer la démocratie – chacun a ses idées –, mais l’obstruction l’abaisse et limite le débat.
    Je vois qu’il n’y a quasiment personne sur les bancs du groupe Les Républicains ; si le texte avait été discuté ce matin, ils auraient été très nombreux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR et FI et sur quelques bancs du groupe LaREM. – Mme Albane Gaillot applaudit également.)
    Les femmes peuvent compter sur nous pour continuer ce combat afin de leur permettre d’avoir vraiment ce droit. (Les députés des groupes SOC, GDR et FI, ainsi que M. Jean-Jacques Bridey, Mme Albane Gaillot, et M. Bruno Questel se lèvent et applaudissent. – Mme Valérie Petit applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à M. Stéphane Viry.

    M. Stéphane Viry

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    Je ne peux pas ne pas répondre brièvement à notre collègue dont je respecte les mots.
    Chère collègue, vous savez à quel point nous sommes tout autant que vous attachés aux droits des femmes. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SOC.)

    Mme Valérie Rabault

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    Ça ne s’est pas vu !

    M. Stéphane Viry

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    Je participe avec vous aux travaux de la délégation aux droits des femmes avec une assiduité et une liberté de ton qui, à mon avis, peuvent éviter des amalgames et des généralisations. (Mêmes mouvements.)

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    J’ai parlé de quatre ou cinq députés des Républicains !

    M. le président

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    Laissez parler M. Viry, s’il vous plaît !

    M. Stéphane Viry

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    Je ne souhaite pas que l’on puisse jeter l’opprobre sur un groupe politique en raison d’une décision qui ne relevait pas de lui : c’est votre groupe qui a fait un choix d’ordre du jour, vous auriez pu maintenir le texte dont vous nous parlez et en écarter d’autres.

    Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Gérard Leseul

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    C’est faux !

    M. Stéphane Viry

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    Vous l’avez dit vous-même, vous dont la pratique parlementaire est éprouvée et très responsable, le droit à l’amendement est probablement le seul outil et la véritable arme d’un député.

    Mme Albane Gaillot

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    Pas quand on en abuse !

    M. Stéphane Viry

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    Si des collègues ont émis le souhait, parce que telle est leur conviction, d’amender un texte, c’est leur droit absolu.

    Mme Agnès Thill

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    Eh oui !

    M. Stéphane Viry

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    N’en tirez pas un argument politicien et n’en déduisez pas que Les Républicains ne veulent pas examiner le sujet. Nous sommes prêts à ce débat sur l’IVG. Regardez les votes en commission : à titre personnel, j’ai voté cette proposition de loi. N’en faites pas un propos de tribune, c’est malvenu et ce n’est pas à la hauteur de cette belle niche parlementaire qui nous attend aujourd’hui. (Mme Agnès Thill applaudit.)

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    J’ai parlé de quatre ou cinq députés Les Républicains, je n’ai pas dit Les Républicains !

    M. le président

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    Madame Battistel, je suis persuadé que vous aurez la possibilité de répondre à M. Viry, mais on ne peut pas se lancer maintenant dans un échange sur un sujet qui n’est pas à l’ordre du jour. En tout état de cause, l’Assemblée a été éclairée. Avant que vous ne me fassiez un reproche, je vous indique que je vous ai donné davantage de temps de parole que ne le prévoit le règlement. Il était normal qu’on évoque ici un débat qui a eu lieu dans l’opinion publique.

    Présentation

    M. le président

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    Nous en revenons à la proposition de loi inscrite à l’ordre du jour.
    La parole est à M. Boris Vallaud, rapporteur de la commission des affaires sociales.

    M. Boris Vallaud, rapporteur de la commission des affaires sociales

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    Monsieur le président, madame la ministre déléguée chargée de l’insertion, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, il y a dans le cœur des jeunes des éclats de rire, des amitiés indéfectibles, des passions amoureuses, des rêves, des envies d’ailleurs ou de révolte, de pavés ou de plage. Il y a dans le cœur de cette jeunesse impétueuse, impatiente, exigeante, sévère, qui tant de fois par la rue s’est livrée à la défense de la liberté et à la justice, tout notre avenir. Mais au moment même où nous nous réunissons, il y a aussi dans ces cœurs de l’inquiétude et de la tristesse. Il y a sous les toits de Paris quelque soupente de misère où la jeunesse se désespère. À Bordeaux, à Dax, à Strasbourg, à Montpellier, de jeunes femmes et de jeunes hommes se sont levés ce matin sans avoir dîné, la nuit leur tenant lieu de repas. Dans nos villes, dans nos campagnes, certains ont rendu les clés de leur premier logement pour retourner vivre chez leurs parents, le rouge au front. Là, ils ont perdu leur job étudiant, ici, ils peinent à trouver ce premier emploi auquel ils aspirent tant. Ce soir, à l’heure du couvre-feu, des visages sans rides mais sans sourire viendront grossir les rangs des banques alimentaires.
    Entendons-les. « C’est la première fois que je viens parce que ça commence à être la galère et que j’ai faim. » « Personnellement, il m’arrive souvent de ne pas manger. » « Je vole beaucoup dans les magasins, je ne peux pas manger sinon. » « Mon frigo est vide depuis lundi et ça commence à devenir difficile effectivement. » « Avant je travaillais tous les jours, et maintenant c’est deux à trois fois par semaine. » « Honnêtement, sans distribution alimentaire, je ne sais pas comment je ferais. » « J’ai perdu mon job, donc c’est un peu difficile. » « Je vis seul avec mes études, le matin, la journée, et le soir je me retrouve seul. » « J’ai eu pour la première fois une pensée suicidaire. » Leurs noms : Maïwenn, Hector, Augustin, Maya, Billel, Léa, Lisa et tant d’autres.
    Souvenons-nous de l’espoir de nos vingt ans pour mieux saisir et mieux entendre leur désespoir aujourd’hui. Leurs souffrances sont les nôtres. En faisant résonner ce matin dans notre hémicycle l’écho de leur détresse et de leurs appels au secours, la représentation nationale doit leur assurer, leur témoigner, leur démontrer qu’ils ne sont ni des fantômes, ni des invisibles, mais des citoyens à part entière dont nous avons l’honneur exigeant d’être les représentants. Entendons-les.
    Il y a deux ans déjà, le 31 janvier 2019, dans ce même hémicycle, Hervé Saulignac, qui rapporte cette proposition de loi avec moi, défendait en notre nom le travail méticuleux, patient et déterminé de dix-neuf départements socialistes autour de Jean-Luc Gleyze, visant à expérimenter le revenu de base. Alors que la crise sociale grondait déjà, nous voulions proposer, nous voulions débattre, diagnostic contre diagnostic, propositions contre propositions, valeurs contre valeurs. Nous nous étions alors heurtés à votre refus de simplement discuter. Que de temps perdu !
    Nous voici, le 18 février 2021, au mitan d’une crise considérable, la plus grande depuis la Seconde Guerre mondiale. D’ordinaire plus touchée que toute autre génération par le chômage, par la grande pauvreté, par le mal logement, la voici, cette jeunesse, frappée plus encore par la crise économique et sociale que charrie la pandémie derrière elle. La réalité nous alarme. Avec les difficultés financières s’accroissent les difficultés à se nourrir, à se loger, à se soigner, à poursuivre des études, à accéder à un stage ou à un premier emploi. Le présent devient pesant et l’avenir incertain.
    La jeunesse s’enfonce dans la précarité et a le sentiment, parfois, de l’indifférence des adultes. Être jeune est une épreuve, un rite initiatique qui peut être cruel, mais quelle est donc cette nation étrange qui fixe la majorité pénale de fait et la majorité civique à 18 ans, mais qui, sur le plan social, fait attendre ses jeunes jusqu’à 25 ans ? N’est-il pas temps de revenir de ce truisme si souvent partagé : la jeunesse doit en baver et ses devoirs passent avant ses droits ?
    Alors, nous revoici dans ce moment où l’histoire nous regarde. Avec cette proposition d’aide individuelle à l’émancipation, avec ce minimum jeunesse, comme l’écho lointain du minimum vieillesse que la nation a su instituer en 1956 et qui permit de sortir tant de nos aînés de l’indigence et de la nécessité, nous proposons de répondre à l’urgence autant qu’à l’aspiration à l’égalité et à l’émancipation dans notre pays.
    Nous proposons d’abord le revenu de base, c’est-à-dire la fusion du RSA – revenu de solidarité active –et de la prime d’activité fondée sur trois principes simples : un droit nouveau, ouvert à 18 ans, un droit inconditionnel, un droit automatique.
    Ce droit sera ouvert à 18 ans comme dans vingt-trois des vingt-sept pays de l’Union européenne. Il s’agit de mettre fin à une frontière inique, inefficace et infantilisante : 18 ans au nom de la justice sociale et de l’égalité républicaine, 18 ans au nom de l’émancipation comme filet et comme tremplin pour que convergent désir d’autonomie et aspiration à l’indépendance, 18 ans au nom de la lutte contre la grande précarité, 18 ans au nom de la confiance que nous faisons à nos enfants, au nom d’un rapport renouvelé de la nation à sa jeunesse.
    Ce droit sera inconditionnel ensuite au nom du sens profond de la protection sociale et de la nécessité d’un accompagnement social de haut niveau pour « aller vers », pour « amener à », dans l’esprit de la garantie jeunes à laquelle nous sommes particulièrement attachés et avec laquelle nous articulons notre dispositif. Nous voulons l’accompagnement plus que le contrôle : l’accompagnement est un droit et doit être un droit effectif.
    Ce droit sera aussi inconditionnel parce qu’aucune étude au monde, aucune expérimentation, nulle part, – Esther Duflo, lauréate française du prix Nobel d’économie, le rappelle régulièrement – n’a jamais fait la démonstration de la moindre désincitation à la recherche d’un emploi. Il nous faut revenir de ce fantasme de l’assistanat et de cette idée que la bouée entraînerait par le fond celui à qui on la jette. Tout cela est faux. Affirmons avec Jaurès qu’« une fois émancipé, tout homme cherchera lui-même son chemin ».
    Ce droit sera automatique enfin car nul ne peut supporter que 25 % de Français ne demandent pas à faire valoir leurs droits, faute parfois même de les connaître, et s’enfoncent dans l’extrême pauvreté.
    Mais notre proposition, c’est aussi une dotation universelle en capital de 5 000 euros ouvrant le compte personnel d’activité à tous les jeunes à dix-huit ans pour que démarrer dans la vie ne soit pas le privilège de quelques-uns ; 5 000 euros pour consolider ou reprendre une formation ; 5 000 euros pour régler une difficulté de mobilité : passer son permis, faire l’acquisition d’un premier véhicule alors qu’un Français sur cinq a dû refuser une offre d’emploi faute de solution de mobilité ; 5 000 euros pour un projet d’engagement associatif national ou international…

    M. Guillaume Garot

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    Très bien !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    …qu’ils pourront faire valoir dans la recherche de leur premier emploi ; 5 000 euros pour se lancer dans un projet entrepreneurial, parce que la jeunesse ne manque pas d’imagination et que chacun connaît les inégalités de patrimoine qui croissent plus vite que les inégalités de revenus.
    Voici, mes chers collègues, le grand progrès social que nous vous proposons d’accomplir, un grand acte de confiance, un grand acte de fraternité dans un moment qui en appelle tant.

    M. Guillaume Garot

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    Très bien !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Au cœur de la crise, des voix s’élèvent, celles des associations de jeunesse, celles de nombreux partis politiques, des organisations syndicales, des acteurs de l’insertion, des associations de lutte contre l’exclusion. Avant même la crise, le revenu de base et la dotation qui composent ce minimum jeunesse avaient été demandés et travaillés par les Françaises et les Français eux-mêmes, grâce à des consultations citoyennes. Celle initiée par les départements a réuni 15 000 participants, et on en comptait 100 000 pour celle organisée par make.org sur la dotation universelle. La proposition de loi que nous vous soumettons, a fait l’objet d’une consultation sur la plateforme parlement-et-citoyens.fr et a pu recueillir 6 000 contributions. Entendons ces voix.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Elles invitent notre regard, et plus encore notre conscience, à se tourner vers cette jeunesse. Aujourd’hui, 68 % des Français sont favorables à l’ouverture du RSA aux jeunes de 18 ans.

    M. Guillaume Garot

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    Ils ont raison !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Entendons ces voix de plus en plus nombreuses devant l’évidente et urgente nécessité. Comment nous, la représentation nationale, pourrions-nous ne pas l’entendre ni agir ?
    Nous ne nous opposons pas à la bataille pour l’emploi. Nous croyons à l’émancipation par le travail, par un travail qui ait du sens, un travail de qualité, dignement rémunéré. Nous n’opposons pas la bataille pour l’emploi, que vous menez, bataille que nous soutenons, à la protection sociale ; nous ne disons pas que le Gouvernement ne fait rien. Nous disons que nous devons faire mieux et plus pour hisser le pays à la hauteur de la détresse qui ronge les jeunes aujourd’hui.

    M. Guillaume Garot

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    Très bien !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    La réponse ne peut se réduire à enjoindre aux jeunes de « se bouger » pour s’en sortir, quand c’est à nous de nous bouger pour la jeunesse. La souffrance de la jeunesse sera celle de tout un pays et de son avenir si nous n’agissons pas. Cette génération covid est aussi la génération climat, celle qui manifestait, il y a quelques mois encore, pour la justice et la défense de l’environnement. Coincé entre une planète qui étouffe et un quotidien confiné, comment peut-on grandir le cœur léger ?
    Cette jeunesse est pourtant la clef du monde que nous avons à construire et son sort déterminera celui de notre pays. En cela, elle nous oblige. Tendre la main à cette jeunesse : voilà ce à quoi nous sommes aujourd’hui appelés.
    S’il est juste qu’une société se juge à la façon dont elle traite sa jeunesse, alors il est urgent d’agir. Nous ne sommes pas seulement appelés à sortir d’une crise mais à changer de modèle. Notre pays déploie depuis des décennies des efforts considérables pour lutter contre la pauvreté et le dénuement complet. Il n’est pas digne de notre passé, ni concevable pour notre avenir de voir les rangs des banques alimentaires grossir de tant de nos jeunes.
    Mes chers collègues, madame la ministre déléguée, citoyens, je vous exhorte : donnons à nos cœurs révoltés ce qu’il faut d’audace et de courage pour voter ce texte. De l’audace pour sauver l’avenir en sauvant la jeunesse. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’insertion.

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée chargée de l’insertion

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    Je remercie Mme la présidente Valérie Rabault, M. Boris Vallaud et M. Hervé Saulignac de nous donner l’occasion de débattre aujourd’hui de l’accompagnement des jeunes et des personnes les plus fragiles de notre société.
    Je le dis d’emblée, nous sommes en désaccord avec les mesures de votre proposition de loi, qui sont d’une philosophie diamétralement opposée à la nôtre. Cela n’empêche pas le Gouvernement d’être entièrement mobilisé depuis le premier jour du quinquennat et depuis le premier jour de la crise, aux côtés des jeunes et des personnes les plus vulnérables. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SOC.)

    Mme Sylvie Tolmont

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    Ce n’est pas ce qu’elles pensent !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Comme vous, nous voulons tout faire pour résorber les failles du système actuel. En tant qu’élue locale, qui connaît le terrain, j’ai conscience des difficultés auxquelles les publics précaires sont confrontés et je sais l’urgence qu’il y a à agir pour notre jeunesse, mais nous ne partageons pas votre vision de l’accompagnement des jeunes et des publics en difficulté : le travail doit aussi être au centre des dispositifs.
    Votre proposition de loi instaure deux dispositifs : un revenu de base, accessible dès 18 ans et versé automatiquement sans condition de démarche vers l’emploi, et une dotation individuelle de 5 000 euros accessible dès 18 ans sans conditions de ressources. Nous nous opposons à ces deux mesures dans leur principe.
    La création d’un revenu de base a pour conséquence directe de supprimer la prime d’activité. Or cette prime, qui a été revalorisée en 2019, est un complément souvent indispensable aux revenus d’activité de 8,8 millions de travailleurs modestes.

    Mme Christine Pires Beaune

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    C’est nous qui l’avons créée, la prime d’activité !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Derrière les chiffres, il y a des visages, des situations réelles, des parcours de vie. Un célibataire qui gagne 800 euros par mois, sans autre prestation sociale ou ressources, touchera 225 euros par mois de plus grâce à la prime d’activité. S’il a un enfant à charge, ce sont 435 euros par mois qu’il touchera en complément de ses revenus d’activité. Cette prime est donc un outil puissant d’amélioration du pouvoir d’achat de celles et de ceux qui travaillent et qui ont des revenus modestes.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Elle n’est pas supprimée !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Est-ce vraiment le moment de la supprimer ? Je ne le crois pas. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    On ne la supprime pas !

    M. le président

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    Laissez Mme la ministre poursuivre son propos !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    En créant le revenu de base vous supprimez aussi l’obligation pour le bénéficiaire d’être accompagné et de s’engager dans une démarche d’insertion. Or supprimer la condition d’accompagnement, c’est donner le sentiment que vivre avec un minimum social ne sera pas une transition, mais une fatalité.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    C’est un droit l’accompagnement !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Dans la République, la logique de l’insertion, c’est celle d’un engagement réciproque, qui à un droit, celui de percevoir une allocation, associe un devoir, celui de s’engager dans une démarche vers l’emploi. En tant que conseillère d’Alsace et ancienne présidente de département, je m’inquiète du coup porté par vos propositions aux politiques d’insertion des départements, sans concertation aucune. Contrairement à vous, nous croyons plus que jamais dans l’intelligence des territoires et dans la pertinence de l’action à l’échelle départementale pour réaliser les expérimentations nécessaires à l’amélioration des parcours.
    Ces mesures posent également des difficultés opérationnelles. Elles créeraient des effets de bord incontrôlables, et à ce stade incalculables. Leur financement nécessiterait des augmentations d’impôts massives, qui seraient contraires aux engagements pris par le Président de la République.
    Le versement automatique d’un revenu de base impliquerait par ailleurs une réforme d’ampleur particulièrement complexe. Cela supposerait que les caisses aient une connaissance exhaustive des situations de l’ensemble des ménages susceptibles de bénéficier de ce revenu.

    M. Jean-Louis Bricout

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    Ce n’est pas entendable !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    De ce point de vue, la date du 1er janvier 2022 que vous proposez dans ce texte paraît irréaliste.
    Enfin concernant la création d’une dotation en capital, est-il pertinent de dire aux jeunes que l’on peut disposer d’une telle somme sans avoir à la rembourser ? À 18 ans, on veut accéder à l’autonomie, vivre sa vie : la réponse de l’État à tous ceux qui ont besoin de la solidarité nationale doit être d’abord de donner des perspectives…

    M. Régis Juanico et M. Dominique Potier

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    De précarité !

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    Où sont-elles vos perspectives ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …au travers de la formation et de l’emploi et, ensuite seulement, les ressources nécessaires pour réussir le parcours que l’on a choisi. Proposer l’un sans l’autre, la dotation sans l’accompagnement vers un projet professionnel, cela revient à enfermer la jeunesse dans le mirage d’un « minimum jeunesse ». Or c’est le maximum que nous voulons faire pour elle.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Des mots !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Pour nous, allocation et accompagnement vont ensemble.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Des mots !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    L’accompagnement doit être l’élément principal de la politique de soutien aux jeunes comme aux plus fragiles.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Nous sommes d’accord !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Mesdames et messieurs les députés, nous n’avons pas attendu la crise pour être aux côtés des jeunes et des publics fragiles et pour leur apporter des solutions concrètes. Cette majorité et le Gouvernement ont engagé dès 2017 des réformes d’ampleur pour permettre à chacune et à chacun d’accéder à une qualification, une formation ou un emploi. Ce sont 13,8 milliards d’euros qui sont consacrés, sur l’ensemble du quinquennat, à la formation des jeunes et des demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés, dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences.
    Dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », cet engagement sans précédent a été complété par un effort supplémentaire de 700 millions d’euros destiné à financer, en 2021 et 2022, 100 000 formations supplémentaires aux métiers d’avenir. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’obligation de formation, nous avons lancé un programme d’accompagnement, la « Promo 16.18 », qui doit permettre aux jeunes décrocheurs de découvrir des métiers et de se remobiliser.
    Enfin, dès 2018, dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, le Président de la République a fixé des objectifs ambitieux pour les entreprises inclusives, notamment celui d’atteindre, en 2022, le nombre de 240 000 personnes accueillies dans les structures d’insertion par l’activité économique, soit 100 000 bénéficiaires supplémentaires, dont 60 000 en 2021. Le développement et la transformation du secteur ont d’ailleurs été soutenus par mon ministère grâce à un plan doté de plus de 320 millions d’euros en 2020, qui sera prolongé en 2021, à hauteur de 150 millions d’euros destinés à aider les structures d’insertion à investir et à se positionner sur les secteurs porteurs.
    Depuis le premier jour de la crise, nous avons décuplé nos efforts et renforcé les moyens d’accompagnement des jeunes grâce au plan « 1 jeune, 1 solution ». Ce plan d’une ampleur inédite – plus de 7 milliards d’euros, soit le triplement des moyens traditionnellement consacrés à la jeunesse –, a pour ambition d’apporter une solution à chaque jeune, qu’il s’agisse d’un emploi, d’une formation ou d’un accompagnement. Plutôt qu’un dispositif inconditionnel, nous préférons offrir aux jeunes une solution qui soit la plus personnalisée possible.
    Nous allons notamment ouvrir en 2021 plus d’un million de parcours d’insertion à destination des jeunes les plus éloignés de l’emploi, soit 400 000 de plus qu’en 2020. Grâce à la mobilisation des entreprises et des services de l’État, ce plan est en train de donner des résultats tangibles, avec près de 1,2 million de jeunes de moins de 26 ans embauchés en CDI ou en CDD de plus de trois mois entre août et décembre, soit presque autant qu’en 2018 et 2019, malgré les incertitudes. Les secteurs privé et public ont embauché cette année plus de 500 000 nouveaux apprentis, soit un record historique. Enfin plus de 600 000 jeunes ont rejoint des dispositifs d’accompagnement ou d’insertion en 2020.
    Tous ces milliards, ce sont surtout des carrières que nous soutenons une par une. Je pense à Ornella, que j’ai rencontrée à Moulins, dans l’Allier, et qui, grâce aux primes exceptionnelles versées aux entreprises dans le cadre du plan jeunes, a eu l’opportunité d’être embauchée pour devenir conductrice de travaux. Je pense à tous ces jeunes que je rencontre chaque jour, chaque semaine, lors de mes déplacements et qui ont toujours à cœur de témoigner du soutien que le Gouvernement leur a apporté.

    M. Régis Juanico

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    Les jeunes en marche ! (Sourires.)

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Notre réponse massive au besoin d’accompagnement des jeunes ne nous empêche pas de rester fidèles à l’ambition réformatrice du Président de la République. Pour améliorer l’accompagnement des jeunes et des publics fragiles, nous voulons construire des solutions radicalement différentes des vôtres et, pour tout dire, plus ambitieuses.
    Premièrement, à ce que vous proposez, nous préférons largement développer tous les outils à la disposition des missions locales et étendre le principe de la garantie jeunes à tous les parcours d’accompagnement. Pour 2021, notre objectif est d’accompagner 430 000 jeunes en parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie, dit PACEA, soit 80 000 parcours supplémentaires par rapport à 2020. À la suite des annonces faites par le Premier ministre le 26 novembre, nous avons doublé le plafond du montant qui peut être versé aux jeunes inscrits en PACEA. Nous voulons également doubler les places en garantie jeunes et passer de 100 000 jeunes accompagnés en 2020 à 200 000 en 2021.
    La garantie jeunes est un dispositif destiné aux jeunes sans emploi ni formation qui fonctionne bien, porté par les missions locales, apprécié et identifié par les jeunes.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    C’est nous qui l’avons inventée !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Fin 2019, 43 % des bénéficiaires avaient ainsi pu accéder à un emploi, une formation, un contrat en alternance ou une création d’entreprise, et 75 % d’entre eux n’avaient pas le niveau bac.
    Ce qui me frappe dans votre proposition de loi, c’est que vous ne semblez plus croire dans le rôle des missions locales. Pourtant, ayant depuis ma prise de fonction visité plus d’une vingtaine d’entre elles, je peux témoigner qu’elles sont pour nos jeunes un repère incontournable.

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    Nous n’avons jamais dit le contraire !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Comment évaluez cela ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Les conseillers des missions locales peuvent littéralement changer la vie des jeunes grâce à cet outil privilégié qu’est la garantie jeunes. Je pense à Théophile, suivi par la mission locale de Vesoul après avoir été mis à la porte de chez lui, qui a obtenu son bac avec mention grâce à l’accompagnement dont il a bénéficié dans ce cadre : il suit désormais une formation pour devenir réalisateur de cinéma.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    On connaît le dispositif ; on l’a créé !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Par ailleurs, sur le modèle de la garantie jeunes, tous les jeunes engagés dans un parcours vers l’emploi peuvent bénéficier d’une rémunération : jeunes accompagnés par Pôle emploi ou l’APEC – Association pour l’emploi des cadres –, jeunes diplômés, ex-boursiers en recherche d’emploi, ou encore jeunes engagés dans un parcours d’accompagnement vers une formation telle celle dispensée par les prépas-apprentissage. Nous voulons garantir à chaque jeune un droit à l’accompagnement inconditionnel. Aucun ne doit renoncer à un parcours vers l’emploi du fait de difficultés financières. C’est un enjeu majeur en termes d’égalité des chances.
    Pour atteindre ces objectifs ambitieux, les missions locales seront dotées en 2021 d’un budget sans précédent de 495 millions d’euros.
    Pour les aider à accompagner le maximum de jeunes, la ministre du travail, Élisabeth Borne, a annoncé ce lundi un assouplissement des conditions d’entrée dans la garantie jeunes et de ses modalités de mise en œuvre. Ces assouplissements porteront sur les critères de non-imposition, de ressources et de durée du parcours. Nous souhaitons ainsi pouvoir engager le plus grand nombre possible de jeunes dans cette démarche et les soutenir dans la trajectoire vers l’emploi.
    En parallèle, nous poursuivons la construction du service public de l’insertion et de l’emploi, qui vise précisément à garantir un droit à l’accompagnement effectif partout en France. Concrètement, il s’agit de bâtir des parcours efficaces et sans coutures pour permettre aux personnes de régler l’ensemble de leurs problèmes d’accès à l’emploi grâce à la meilleure coopération possible entre les acteurs de terrain car, vous le savez bien, l’insertion est l’affaire de tous sur nos territoires.
    Mesdames et messieurs les députés, c’est pour moi l’occasion de vous dire que le service public de l’insertion et de l’emploi avance. Dès la fin du mois de mars, il sera déployé dans trente nouveaux territoires, qui mettront en œuvre les recommandations de la grande concertation nationale que nous avons menée. Nous voulons ainsi renforcer et améliorer l’obligation d’accompagnement, en contrepartie des aides, pour plus d’efficacité au service des personnes.
    Comme vous l’aurez compris, nous ne voulons pas de dispositifs qui enferment les jeunes dans des minima, mais des parcours qui jouent pleinement leur rôle de tremplin, de transition. En un mot, nous souhaitons placer l’accompagnement et l’emploi au cœur de nos dispositifs d’insertion et de solidarité. Naturellement, au même titre que tout travail mérite salaire, toute démarche d’accompagnement vers l’emploi mérite ressources, mais c’est d’abord l’engagement à se prendre en charge et à accéder à l’autonomie financière qui doit donner accès à un soutien financier.

    Mme Valérie Rabault

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    Bouge-toi, quoi !

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    Tu te débrouilles !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement n’est pas favorable aux dispositions de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe Dem.)

    Discussion générale

    M. le président

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    Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Rabault.

    Mme Valérie Rabault

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    La proposition de loi AILES – aide individuelle à l’émancipation solidaire – est une proposition de la jeunesse, puisqu’elle a reçu près de 6 000 contributions. Elle est aussi une proposition pour la jeunesse – c’est en effet le premier texte pour la jeunesse de ce quinquennat.
    Lors de son allocution du 14 juillet dernier, le Président de la République a déclaré que la jeunesse devait être la priorité de la relance. Il a certes raison mais, depuis lors, on constate que la jeunesse est la grande absente de la relance. Il est donc grand temps de corriger cette situation et, mes chers collègues de la majorité, vous en avez l’occasion aujourd’hui avec cette proposition de loi.
    La priorité que nous devons donner à la jeunesse doit nous encourager à dépasser les bisbilles politiciennes, et je souhaite que cet état d’esprit prévale ce matin. Si vous acceptez le challenge, si vous acceptez un débat ouvert et sans a priori, permettez-moi de vous donner cinq raisons pour lesquelles je crois qu’il faut voter les avancées proposées par la proposition de loi AILES.
    Première raison : madame la ministre déléguée, vous dites qu’il ne faut pas enfermer les jeunes dans des parcours d’assistanat, mais alors que vingt-trois des vingt-sept pays de l’Union européenne et la quasi-totalité des pays de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, ouvrent leurs minima sociaux aux jeunes dès l’âge de 18 ans, et même s’il existe, bien sûr, des variantes d’un pays à l’autre, selon que les jeunes concernés poursuivent leurs études ou vivent chez leurs parents, la France, qui a, à juste titre, la réputation d’être l’un des pays les plus généreux en matière sociale, apparaît aujourd’hui, avec cette crise, comme le moins généreux envers sa jeunesse. Il est grand temps de corriger cette anomalie.
    Deuxième raison : nous sommes confrontés à une réelle situation de pauvreté. Pouvons-nous vraiment nous regarder sans honte dans un miroir si nous laissons des jeunes sans ressources ? Quelle est cette entrée dans la vie où l’on vous dit d’emblée que, pour vous, il n’y a pas d’espoir ? La situation des jeunes adultes qui ont entre 18 et 29 ans et ne vivent plus chez leurs parents est la plus préoccupante : 22 % d’entre eux figurent parmi les pauvres, comme l’a souligné le rapport sur la pauvreté, publié en décembre dernier. La moitié des pauvres ont moins de 30 ans. La majorité porte aujourd’hui la responsabilité, non pas de nous faire vivoter, mais de nous permettre de vivre, c’est-à-dire de permettre à chacune et à chacun d’assurer son quotidien. C’est pour cela que vous avez aujourd’hui – et cette crise vous en donne encore plus l’occasion – la responsabilité d’ouvrir des droits pour les jeunes.
    Troisième raison : le monde évolue. La jeunesse avance et elle est soutenue dans de nombreux pays : il est indispensable de ne pas prendre de retard. Un capital pour démarrer, c’est un capital pour se lancer dans la vie, qui constitue un formidable tremplin. Madame la ministre déléguée, je vous assure que ce n’est pas cela qui va grever les finances publiques !
    Quatrième raison, sur laquelle je voudrais insister : en janvier 2019, nous vous avions proposé une nouvelle expérimentation,…

    M. Guillaume Garot

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    Tout à fait !

    Mme Valérie Rabault

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    …qui visait à tester la loi avant de la déployer. Vous avez fermé la porte à l’ensemble des propositions, alors que nous vous proposions de le faire dans les dix-neuf départements dont les conseils départementaux souhaitaient cette expérimentation, et que plus de 15 000 personnes avaient répondu au sondage. Nous aurions testé la loi sur deux ans, période à l’issue de laquelle un bilan aurait été tiré. N’êtes-vous pas ravie de pouvoir poursuivre aujourd’hui le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », que nous avions créé sous forme d’expérimentation ?

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    C’était nous !

    Mme Valérie Rabault

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    Vous en êtes satisfaite, puisque vous l’avez étendu. C’est exactement dans le même état d’esprit que nous souhaitions avancer ici : tester la loi avant de la déployer et dresser un bilan au bout de deux ans. Vous auriez alors constaté qu’il n’y avait pas de risque d’oisiveté.
    Vous évoquez aussi, madame la ministre déléguée, la garantie jeunes. Je suis ravie que vous en soyez satisfaite aujourd’hui car, lorsque nous l’avons créée, la droite de l’hémicycle avait voté contre.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Eh oui ! Vos anciens collègues !

    Mme Valérie Rabault

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    Je me réjouis donc que tout le monde y adhère désormais. Vos anciens collègues avaient voté contre mais je constate que vous la saluez aujourd’hui, et c’est très bien. Nous avons toujours été ceux qui ont fait évoluer les dispositifs. Il n’y a pas de politique statique, mais seulement une dynamique pour progresser. Or, ici, c’est la jeunesse qui est en première ligne et à qui nous devons apporter une réponse.
    Enfin, cinquième raison : mes chers collègues de la majorité, si vous votez cette proposition de loi, vous serez en phase avec les 70 % des Français qui veulent un minimum jeunesse. C’est en effet ce qu’ils ont déclaré voilà quelques jours dans un sondage, et je pense que nous aurions intérêt à les écouter.
    Pour conclure, je citerai François Mitterrand : « Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort ». Ne soyons pas cette société qui méconnaît la jeunesse. Votons AILES. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes Agir ens et GDR. – Mme Sylvia Pinel applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Valérie Petit.

    Mme Valérie Petit

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    Nous revoici donc réunis ici pour débattre du revenu universel, comme nous le faisions déjà voilà trois mois, lorsque le groupe Agir ensemble, à la droite de cet hémicycle, présentait son mécanisme de revenu universel, le socle citoyen. Trois mois plus tard, c’est donc de la gauche de l’hémicycle que vient une autre proposition de mécanisme…

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    C’était il y a deux ans !

    Mme Valérie Petit

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    Elle a son origine en 2019, vous faites bien de le rappeler.
    Nous examinons donc ce matin un autre mécanisme de revenu universel : le revenu de base. Or, malheureusement – pardonnez ma cohérence et ma persévérance –, trois mois plus tard, il a fallu susciter ce nouveau débat car la situation, rappelée par mes collègues, n’a pas changé : c’est celle de l’urgence sociale pour les étudiants, pour les indépendants et pour tous ceux qui, face à la pandémie, échappent à cette protection sociale dont nous nous vantons tant, mais qui est une couverture pleine de trous et peine à fournir rapidement à chacun le minimum nécessaire pour affronter la crise, pour rebondir et pour continuer d’avoir espoir en l’avenir.
    Nous n’avons guère avancé depuis trois mois, et pourtant, plus que jamais, le revenu universel que vous défendez avec ce revenu de base, cette vieille utopie, pourrait être la solution à la crise et offrir un mécanisme permettant d’affronter le monde d’après, lequel sera un monde de crises, la covid-19 n’étant, je le crois, que la première d’une longue série.
    Ce revenu universel qui nous est présenté en ce jour de niche parlementaire du groupe Socialistes et apparentés est, permettez-moi de le dire, une proposition libérale, et c’est à ce titre que je la défends. Elle vient en effet d’un député franco-britannique, Thomas Paine, qui en 1795, amoureux de notre déclaration des droits de l’homme et du citoyen, disait que pour être effectivement libre et exercer pleinement ses droits, il fallait d’abord être libéré de la pauvreté.
    Le revenu universel est d’abord un combat de droits, un combat pour l’émancipation et contre la pauvreté. J’entends souvent que l’on mélange le combat pour l’emploi et le combat contre la pauvreté. Or, le revenu universel a pour objectif d’éradiquer la pauvreté et de rendre à chacun dignité et liberté.
    Mes chers collègues de la majorité – majorité à laquelle j’appartiens –, gardez bien à l’esprit que le revenu universel est une proposition profondément macroniste. Mes chers amis, vous n’avez pas oublié qu’en 2017, nous nous sommes engagés pour l’émancipation de chaque Français et pour l’égalité des chances, et avons fondé nos réformes, comme l’a rappelé Mme la ministre déléguée, sur la formation et sur une méthode reposant sur l’individualisation et l’universalisation des droits. Le revenu universel s’inscrit dans une grande fidélité à cette audace réformatrice et à cette ambition émancipatrice qui sont les nôtres au sein de la majorité.
    Le revenu universel est aussi, vous le savez, une proposition du groupe Agir ensemble, et je rappellerai rapidement les différences qui existent entre le socle citoyen que nous défendons et le revenu de base que proposent nos collègues du groupe Socialistes et apparentés : alors que ces derniers veulent fusionner et étendre certaines prestations sociales, nous proposons une réforme socio-fiscale, une réforme de l’impôt sur le revenu visant à ce que chacun, dès 18 ans, paie l’impôt et que, par l’impôt, un revenu soit versé inconditionnellement dès ce même âge, comme un crédit d’impôt.
    Nous proposons ainsi un socle permettant, en cas de choc, d’avoir toujours le minimum nécessaire pour rebondir. C’est un socle citoyen, car notre objectif n’est évidemment pas l’assistanat, comme je l’entends trop souvent dire, mais la capacité donnée à chacun de faire librement sa vie, de façon active, et de s’intégrer dans la société. C’est la raison pour laquelle nous couplons le socle citoyen avec la création d’un grand service public de l’activité, afin d’accompagner chacun individuellement pour lui permettre de trouver sa place dans la société.
    Je conclurai en soulignant que le revenu universel va dans le sens de l’histoire. Ne trahissez pas ma pensée : je ne dis pas que le Gouvernement a failli. Au contraire, madame la ministre déléguée, vous avez fait tout ce que vous pouviez en l’état actuel du système. La France peut s’honorer d’avoir, plus que tout autre pays, fait en sorte que chaque Français ne soit pas oublié, mais notre système est à bout de souffle. J’appelle donc à une réforme de structure. C’est ce que propose le socle citoyen que porte le groupe Agir ensemble et qui est une grande réforme. Nous avons proposé un chemin au Premier ministre. Ce chemin existe. Il est entre vos mains et je vous invite à le saisir.
    Comme l’a dit Mme Valérie Rabaud, nous devons unir toutes les familles favorables au revenu universel, à droite et à gauche. Nous discuterons ensuite du financement – car, comme vous le savez, je ne souscris pas à la formule proposée. Il nous faut en tout cas ouvrir la porte pour laisser entrer l’espoir. Trop de Français ont faim et ne croient plus en l’avenir. Nous devons être à la hauteur de cette urgence et de cet enjeu, comme nous l’avons été en 1945 en créant la sécurité sociale. C’est pour ces raisons que le groupe Agir ensemble, en toute cohérence, ne votera pas contre cette proposition et qu’à titre personnel, je voterai favorablement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Albane Gaillot et Mme Sylvia Pinel applaudissent également.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Agnès Thill.

    Mme Agnès Thill

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    Je tiens tout d’abord à remercier les rapporteurs et tous ceux ayant travaillé sur cette proposition de loi d’avoir permis la tenue d’un débat utile autour de la question du revenu universel, ou revenu de base. Au nom du groupe UDI et indépendants, je tiens à saluer le très important travail mené pour présenter un texte aussi documenté et complet.
    La précarité dans laquelle se trouvent nombre de nos concitoyens nous inquiète fortement, d’autant plus que, comme chacun le sait, la crise sanitaire a profondément accru les inégalités.
    Au-delà de la simple perte de revenus, la perte d’un emploi signe aussi l’abandon de projets et une profonde remise en cause de soi. Notre groupe vous rejoint donc sur l’idée qu’il incombe à l’État d’accompagner toutes les personnes qui tombent dans la précarité, victimes économiques de la crise sanitaire.
    En revanche, il y a entre nous une divergence de fond : nous ne serons jamais convaincus que le versement d’une aide monétaire peut remplacer la perspective d’un emploi. À nos yeux, la misère ne se résume pas à des difficultés financières, et nos concitoyens les plus pauvres n’y échapperont pas parce que vous leur aurez distribué de l’argent. Nous préférerons toujours leur offrir une formation, créer de l’emploi, leur permettre de se réinsérer dans la société, afin qu’ils puissent employer leurs talents : c’est cette réinsertion dans la société qui les prémunira de la misère.
    La proposition de loi vise à assurer à toute personne majeure un minimum de 564 euros mensuels. Mais qui peut vivre avec un tel montant ? Et, même avec le double, qui pourrait s’en sortir dans une ville comme Paris ? Dès lors, faut-il l’augmenter pour l’aligner sur le niveau du salaire minimum ? Mais même lui n’est parfois pas suffisant, et toute une batterie d’aides supplémentaires est nécessaire pour empêcher nos concitoyens les plus modestes de tomber dans la précarité.
    Quel serait alors le juste montant d’un revenu de base décent ? Son coût ne serait-il pas exorbitant pour la société, ou sans cesse à réévaluer ? Pour que ce système ne fasse pas de perdants, il faudrait, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, verser 785 euros par mois à chaque adulte. Cela coûterait donc 480 milliards d’euros, soit vingt-deux points de PIB ! Vous-mêmes évaluez le coût du dispositif que vous proposez à 21 milliards d’euros : c’est une somme colossale.
    Pour financer cette mesure, vous misez sur une réforme très importante du droit des successions, visant à taxer les propriétaires tout au long de la vie et les multinationales. Dès lors, cette proposition nous paraît très démagogique. Le coût des mesures prévues par l’ensemble des textes inscrits initialement dans votre niche parlementaire s’élève à plusieurs dizaines de milliards d’euros : il vous faudra bien plus qu’une ou deux réformes pour que le produit des taxes nouvelles que vous envisagez vous rapporte une telle somme.

    M. Adrien Quatennens

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    L’évasion fiscale, c’est 100 milliards !

    Mme Agnès Thill

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    Le versement d’un revenu d’existence pour tous les jeunes de 18 à 25 ans pourrait entraîner une explosion des loyers étudiants et des prix de l’immobilier. Et quid de l’augmentation des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur ?
    Posons-nous maintenant la question suivante : le revenu de base a-t-il déjà fonctionné, concrètement ? Il se trouve que le gouvernement finlandais l’a expérimenté durant deux ans sur un groupe de 2 000 chômeurs sélectionnés aléatoirement. Chacun a reçu 560 euros par mois en 2017 et 2018, soit quasiment la somme prévue par la proposition de loi. Résultat : si les bénéficiaires se déclarent un peu moins stressés, le revenu universel n’a absolument pas permis d’augmenter leur insertion sur le marché du travail par rapport au groupe de contrôle.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Ça l’a fait reculer ?

    Mme Agnès Thill

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    Le bilan entre le coût et les avantages nous semble donc défavorable.
    En revanche, nous vous rejoignons avec force, chers collègues socialistes, sur la question du non-recours aux droits. Il est insupportable de penser que nos concitoyens doivent encore effectuer des démarches pour percevoir certaines aides, alors même que l’organisation des services administratifs permettrait de les leur octroyer automatiquement. Beaucoup renoncent à leurs droits, alors qu’ils sont pourtant éligibles à un certain nombre de dispositifs.
    En raison de l’argumentation avancée, les députés du groupe UDI et indépendants voteront contre le texte.

    M. le président

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    La parole est à M. Adrien Quatennens.

    M. Adrien Quatennens

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    Ne tournons pas autour du pot et disons-le immédiatement : notre avis diverge de celui de nos collègues socialistes s’agissant des détails et modalités de l’aide individuelle à l’émancipation. Mais cette proposition de loi nous donne l’occasion d’adresser ensemble, depuis cette assemblée, un énième message d’alerte au Président de la République et au Gouvernement : maintenant, dépêchez-vous !
    Dépêchez-vous d’étendre le RSA aux jeunes de moins de 25 ans, car l’heure n’est plus aux tergiversations. Le RSA n’est certes pas la panacée – personne ne dira le contraire –, mais ce n’est même plus le sujet : il y a urgence absolue à endiguer la pauvreté dans laquelle s’enfonce chaque jour un peu plus la jeunesse de notre pays.
    C’est une véritable honte pour la France que de voir ces files d’attente interminables d’étudiants devant les banques alimentaires. Pendant ce temps, que fait le Gouvernement ? Il allume un contre-feu absurde et ridicule en demandant au CNRS – Centre national de la recherche scientifique – d’assurer une police politique à l’université contre ce qu’il appelle l’islamo-gauchisme, terme que personne ne saurait définir autrement que comme un slogan politique de l’extrême droite pour discréditer ses adversaires.
    Pour nous, c’est clair : en choisissant le pas de deux avec Marine Le Pen, le Gouvernement veut surtout éviter les sujets que nous abordons ce matin. On compte 10 millions de pauvres en France, 300 000 sans-abri, 2 millions de personnes ayant recours à l’aide alimentaire, dont la moitié depuis un an. Dans le même temps, ce qui n’est pas sans lien, les milliardaires de notre pays ont amassé 175 milliards d’euros supplémentaires : sept personnes possèdent autant que 30 % de la population !
    Oui, il y a dans ce pays des assistés, des tricheurs et des voleurs ! Ce sont les riches qui se gavent au milieu d’un océan de pauvreté, ceux qui, chaque année, fuient l’impôt et s’en vont planquer 100 milliards d’euros qu’ils ont pillés, volés à la patrie dans l’indifférence la plus totale pour les défis que nous avons pourtant à affronter collectivement.
    Oui, c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches : cela doit être dit. Et c’est sans doute aussi pour mieux occulter cette réalité que d’aucuns préfèrent saturer l’hémicycle et les antennes médiatiques de débats sordides stigmatisant les musulmans. Pourvu que les pauvres se battent entre eux sur la religion ou la couleur de peau, plutôt que de viser les responsables de leurs malheurs quotidiens.
    Collègues socialistes, vous proposez de remplacer le RSA et la prime d’activité par un revenu de base de 564 euros, qui diminuerait en fonction des revenus d’activité. Or nous sommes opposés à ce que l’État prenne en charge une partie du revenu qui devrait être versé par les entreprises. Car finalement, c’est l’idée d’un revenu de base dégressif que vous défendez : l’État compenserait le salaire versé par l’employeur, car il serait trop bas. Votre proposition risquerait donc de créer une pression à la baisse de la progression des salaires. Surtout, le revenu de base maintient une part de la population dans une grande précarité.
    Ce que la France insoumise vous propose, elle, c’est d’éradiquer la pauvreté en relevant les minima sociaux : personne, en France, ne devrait vivre sous le seuil de pauvreté. Or vaincre la pauvreté nécessite le partage des richesses produites : pour cela, nous devons remplacer les cinq tranches marginales d’imposition sur le revenu par quatorze nouvelles tranches, qui permettront de lisser l’effort, et que chacun paie à juste proportion de ses revenus. Celles et ceux gagnant moins de 4 000 euros par mois paieraient ainsi moins d’impôts.
    Il faut aussi un impôt universel, pour faire payer, depuis là où ils sont, ceux qui fuient l’impôt ici.
    Enfin, à l’heure de débats toujours nécessaires et intéressants sur l’instauration d’un revenu universel – dont il existe autant de versions que de personnes le proposant – je veux pointer ici une divergence de diagnostic : non, le travail ne manque pas. Il y a tant de tâches à accomplir, tant de travail humain nécessaire, notamment pour procéder à la bifurcation écologique. Ce dont nous manquons, ce n’est pas de travail, mais d’emplois.

    Mme Karine Lebon

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    Très bien !

    M. Adrien Quatennens

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    Or, si le nombre d’emplois progresse moins vite que le nombre de personnes qui en cherchent, c’est parce que le temps de travail est bloqué depuis 2002. Ainsi, plutôt que de proposer de renoncer à l’emploi, nous devrions défendre le droit constitutionnel à obtenir un emploi. Plutôt que de laisser une part de la population à l’écart de l’emploi en lui fournissant un revenu universel, pourquoi ne pas diviser le temps de travail pour atteindre le plein-emploi ?
    Ce débat doit se poursuivre. Pour notre part, nous pensons que le plein-emploi est atteignable, en conjuguant la planification écologique, qui créerait énormément d’emplois, avec la baisse du temps de travail à la fois dans la vie, dans l’année et dans la semaine. En résumé, nous devons vaincre la pauvreté en organisant le partage des richesses produites, planifier la bifurcation écologique de notre économie, et travailler moins, pour travailler tous et travailler mieux. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR, et sur quelques bancs du groupe SOC.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Sylvia Pinel.

    Mme Sylvia Pinel

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    Des files interminables d’étudiants et de jeunes qui attendent pour recevoir une aide alimentaire : voilà les scènes quotidiennes auxquelles nous assistons. Nous ne devons pas nous y habituer. Dans un premier temps, l’attention s’était détournée des jeunes, au prétexte qu’ils étaient moins touchés par l’épidémie. Pourtant, ils basculent dans la précarité et sont donc des victimes à part entière de la crise sanitaire.
    Dire que le Gouvernement n’a rien fait serait erroné, le groupe Libertés et territoires en a parfaitement conscience : au-delà des repas universitaires à 1 euro, du plan « 1 jeune, 1 solution » – qui a d’ailleurs été prolongé –, de l’augmentation du nombre de places dans le dispositif garantie jeunes et de l’ambition de bâtir une garantie jeunes universelle, les annonces se sont multipliées, ces dernières semaines, pour tenter de combler les trous existants. Mais si tous ces dispositifs sont louables, ils ont néanmoins un défaut commun : celui d’agir à travers le seul prisme de l’emploi.
    Or cette stratégie ne suffit pas, car elle n’est ni globale, ni automatique. N’oublions pas que la crise socio-économique que nous subissons depuis un an n’a fait qu’exacerber une précarité qui s’est développée depuis longtemps, et des inégalités qui ne cessent de se creuser. En effet, notre système favorise la reproduction sociale, économique, et professionnelle, et ne tient plus la promesse républicaine de la méritocratie et de l’ascenseur social.
    Face à ce constat ancien, nous devons repenser nos politiques de lutte contre la pauvreté et nos dispositifs de solidarité : l’urgence de la situation actuelle nous l’impose avec force. Il est primordial que nous abordions ces politiques en changeant notre regard sur la pauvreté : sortons du mythe selon lequel les aides sociales auraient un effet désincitatif sur le travail. Ce lien n’a jamais été vérifié, et pourtant, il conditionne toutes nos politiques en la matière.
    Dès lors, notre groupe aborde favorablement les deux volets de la proposition de loi. Tout d’abord, nous souscrivons à l’idée d’instaurer un revenu de base tel qu’il est proposé, puisqu’il répond à trois impératifs : la progressivité dans la prise en compte des revenus, l’absence de contreparties, ce qui permet de prioriser la confiance et de mettre l’accent sur l’accompagnement des personnes, et l’automaticité, pour lutter contre un taux bien trop élevé de non-recours aux droits.
    À ce titre, nous ne pouvons que déplorer le report de la création d’un revenu universel d’activité, promis par le Gouvernement depuis 2018. Doit-on considérer qu’il est abandonné ? Je le crains.
    Surtout, le revenu de base proposé ici est accessible dès 18 ans, répondant ainsi à la grande lacune de notre système de protection sociale. En effet, alors que les jeunes sont particulièrement concernés par la précarité et les difficultés d’accès à l’emploi, ils continuent d’être exclus de certaines prestations. C’est la raison pour laquelle notre groupe fait partie de ceux qui appellent, depuis de nombreux mois, à étendre le RSA aux jeunes de 18 à 25 ans (Mme Valérie Rabault applaudit). Il nous paraît d’ailleurs plus aisé, en situation d’urgence, de mobiliser un dispositif efficace et connu de tous plutôt que de créer un nouveau mécanisme.
    Nous accueillons favorablement l’idée d’une dotation universelle utilisable dans un but de formation, de mobilité ou d’entrepreneuriat. Un tel dispositif pourrait être utile pour casser les cycles de reproduction sociale qui nourrissent toujours davantage les inégalités.
    Si les modalités de financement du dispositif restent à préciser, nous adhérons donc à l’esprit du texte.
    Nous entendons les appels, de plus en plus nombreux, et venant d’horizons de plus en plus différents, en faveur d’un tel dispositif. Revenu universel, revenu de base, revenu minimum garanti, socle citoyen, qu’importe la dénomination : face à la détresse de notre jeunesse et d’un nombre croissant de nos concitoyens, cette idée s’impose avec une pertinence renforcée.
    Madame la ministre déléguée, ne balayons pas ces initiatives d’un revers de la main, avec pour seul argument qu’aucun jeune ne saurait se construire avec les minima sociaux comme horizon. Ce serait caricaturer l’objectif poursuivi par le texte, car ce n’est évidemment pas de cela qu’il s’agit : ces aides ne constituent pas un horizon, mais bien un moyen de garder la tête hors de l’eau et d’ouvrir, justement, de nouveaux horizons qui vont plus loin que la fin du mois ; un tremplin, aussi, pour choisir réellement sa voie.
    C’est bien cela que nous vous demandons : pas la charité, pas l’assistanat. Plus que jamais, il faut répondre à l’urgence et garantir la promesse d’émancipation républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR. – Mmes Paula Forteza et Albane Gaillot applaudissent également.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Elsa Faucillon.

    Mme Elsa Faucillon

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    Notre pays fait face à une crise sociale majeure. L’épidémie de covid-19 a passé notre société au révélateur, mettant à jour et amplifiant des vulnérabilités préexistantes. La pauvreté concerne désormais 10 millions de personnes ; la précarité alimentaire touche 5 millions de nos concitoyens ; les demandes de RSA auprès de mon département explosent ; le chômage des jeunes, surtout dans les quartiers populaires, est en passe d’atteindre des taux records.
    Dans ce contexte, la jeunesse trinque particulièrement : étudiants qui ne trouvent plus de petits boulots ou de premier emploi, intérimaires brutalement remerciés, apprentis sans entreprise pour les accueillir.
    « Mange bien à la cantine », « n’oublie pas ton goûter », « prends des fruits au dessert », sont des phrases que nous avons entendues durant des années avant de les répéter à nos propres enfants : comment pouvons-nous donc supporter de voir ces mêmes enfants, nos jeunes, grossir les files d’attente devant les banques alimentaires ? Nous devrions sentir qu’il y va de notre devoir d’agir. Aujourd’hui, nous vous demandons de passer aux actes, de ne pas fermer les yeux.
    La crise pèse deux fois plus sur les revenus des Français de 20 à 25 ans que sur ceux du reste de la population de notre pays : c’est ce qui ressort d’une étude publiée en janvier par le CAE, le Conseil d’analyse économique. À ces difficultés matérielles s’ajoute une profonde détresse psychologique, conséquence de la limitation des interactions sociales, de la fermeture des universités, de l’arrêt des activités socio-culturelles, mais aussi de l’absence de perspectives d’avenir. Tous ces constats ont notamment été formulés en décembre 2020, dans le rapport de Marie-George Buffet au nom de la commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse.
    Dans ce cadre, soixante-cinq propositions ont été adoptées à l’unanimité afin de remédier aux difficultés éducatives, psychologiques, financières, sociales, que rencontrent les enfants et les jeunes du fait de la crise. Depuis un an, force est de constater que ni le Gouvernement, ni sa majorité n’ont pris la mesure de ce choc économique et social, se contentant de distribuer des aides ponctuelles – 150 euros ici ou là – et de présenter un plan largement insuffisant, qui laisse sur le bord de la route des pans entiers de notre jeunesse. On peut se montrer sceptiques face au recyclage de solutions utilisées depuis vingt ans : contrats aidés, service civique, autant de voies d’insertion parallèles qui ne mettent pas fin au chômage massif des jeunes.
    Refusons de faire de la génération covid une génération sacrifiée ! Nous ne pouvons plus nous contenter de saupoudrages ou de demi-mesures. C’est pourquoi nous abordons avec intérêt l’examen de la proposition de loi de nos collègues socialistes visant à instaurer un revenu de base et une dotation universelle dès 18 ans. Il nous faut désormais inventer des dispositifs pérennes afin d’assurer un revenu et de garantir la continuité de leurs droits sociaux à ces jeunes exclus du RSA en raison de leur âge, bénéficiant rarement de l’assurance chômage faute d’avoir suffisamment travaillé, confrontés à une crise économique majeure qui leur ferme les portes du marché du travail et plonge notre pays dans l’indignité. Oui, il faut passer aux actes !
    Pour notre part, nous prônons depuis de nombreuses années l’instauration d’un revenu étudiant, qui permettrait aux jeunes d’être financièrement autonomes durant leur formation. Il serait également nécessaire de travailler à élargir l’assurance chômage, tout en renforçant les moyens des structures d’accompagnement dédiées à la jeunesse. En revanche, nous nous opposons depuis longtemps à tout projet de fusion des prestations sociales, comme à l’idée d’un revenu universel ; mais nous prenons acte des avancées que propose ce texte, la principale étant la création d’un revenu de base dès 18 ans. Les associations de jeunesse le réclament toutes, la situation sociale l’impose ; pourtant, le Gouvernement et la majorité continuent de botter en touche, renvoyant à la garantie jeunes, qui ne compte que 100 000 bénéficiaires. De même, nous sommes favorables à ce que l’attribution des prestations sociales prenne un caractère plus automatique : aujourd’hui, un tiers des personnes éligibles au RSA ne font pas valoir leurs droits.
    L’urgence sociale, l’avenir, nous oblige : encore une fois, nous vous demandons simplement de passer aux actes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)      

    M. le président

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    La parole est à Mme Monique Iborra.

    Mme Monique Iborra

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    La proposition de loi dont nous nous apprêtons à débattre a pour objectif et ambition de remplacer le RSA par un revenu de base sous condition de ressources mais néanmoins inconditionnel, c’est-à-dire sans obligation incombant aux bénéficiaires, et instauré pour tous à partir de 18 ans.
    Nous avons eu l’occasion de l’affirmer en 2019, lorsque dix-neuf départements socialistes avaient proposé un tel revenu : la lutte contre la pauvreté, contre les inégalités, ne peut se résumer à une aide pécuniaire inconditionnelle. C’est là toute la différence entre l’assistanat, la charité, et des politiques sociales visant à sortir de la pauvreté ceux qui s’y sont malheureusement installés.

    M. Adrien Quatennens

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    Vous n’aidez que les riches !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Qui s’y sont installés tranquillement !

    Mme Monique Iborra

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    L’accompagnement, certes essentiel, ne peut que résulter d’un contrat entre ceux qui l’effectuent et ceux qui en bénéficient ; il n’est pas un contrôle, mais une solidarité concrète, qui va aider à sortir de la précarité. Pour les personnes accompagnées, la conditionnalité de l’aide peut aussi être vécue, vous pouvez l’entendre, comme une forme de respect de leur dignité. Nous favorisons donc l’accompagnement et les services plutôt que le versement de prestations monétaires inconditionnelles : c’est ce qui nous sépare sur le fond. D’ailleurs, votre proposition ne fait pas consensus, y compris au sein de votre famille politique : sous la présidence de François Hollande, le Gouvernement a repoussé à plusieurs reprises cette idée d’un revenu de base inconditionnel.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Inconditionnalité pour les entreprises !

    M. Fabien Di Filippo

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    Vous étiez autrefois socialiste, madame Iborra !

    Mme Monique Iborra

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    À cet égard, votre rétropédalage par le dépôt furtif d’un amendement de repli, préparé avant l’examen du texte par la commission des affaires sociales et présenté à la fin de celui-ci, résulte sans doute du fait que certains candidats potentiels du Parti socialiste à la prochaine élection présidentielle ont exprimé publiquement des opinions qui divergent des vôtres.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Ah bon !

    Mme Monique Iborra

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    Le rôle que vous assignez aux conseils départementaux dans votre exposé des motifs, alors que nous sommes à quatre mois des élections départementales, montre que la préoccupation électoraliste n’est pas absente de votre proposition de loi. (Protestations sur les bancs du groupe SOC.)

    M. François Ruffin

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    C’est lamentable !

    M. Adrien Quatennens

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    Et vous, vous supprimez l’ISF !

    Mme Monique Iborra

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    Du reste, s’agissant notamment du caractère inconditionnel d’un éventuel revenu de base, le consensus n’existe pas davantage au sein des conseils départementaux. (Mêmes mouvements.)

    M. François Ruffin

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    On parle de jeunes qui font la queue pour retirer des colis afin de pouvoir manger !

    M. le président

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    Allons, mes chers collègues ! Laissez Mme Iborra poursuivre.

    Mme Monique Iborra

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    Concernant le RSA jeunes que vous préconisez, puisque votre revenu de base inconditionnel serait ouvert dès 18 ans, nous n’y sommes pas favorables. Vous considérez que la situation des jeunes est uniforme, leurs aspirations semblables, la réponse devant donc consister en une prestation identique pour tous. Cela ne saurait être efficace ni suffisant, même en temps de crise,…

    Mme Sylvie Tolmont

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    Heureusement que vous n’êtes plus socialiste !

    Mme Monique Iborra

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    …surtout durant la période que nous vivons. Conscient de l’aggravation de la situation des jeunes, le Gouvernement a montré sa détermination à agir d’une manière différenciée et efficace…

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    On voit ça !

    Mme Monique Iborra

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    D’ores et déjà, un accompagnement et une aide financière ont été instaurés pour ceux qui en ont le plus besoin.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Tout va donc très bien !

    Mme Monique Iborra

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    Le « quoi qu’il en coûte » fonctionne aussi pour les jeunes,…

    Mme Sylvie Tolmont

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    Ah bon ?

    Mme Monique Iborra

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    …qu’ils soient en formation, en insertion, en apprentissage ou bénéficiaires de la garantie jeunes – le Gouvernement a assoupli les conditions d’éligibilité et le montant de l’aide atteint près de 500 euros par mois.
    Les jeunes étudiants ne demandent pas la charité,…

    M. Adrien Quatennens

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    Ils veulent d’abord manger !

    Mme Monique Iborra

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    … mais un accompagnement efficace afin de dégager leur horizon, de pouvoir devenir ce qu’ils veulent être, quel que soit le destin que leur assignaient leurs origines.

    Mme Sylvie Tolmont

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    Que du bla-bla !

    Mme Monique Iborra

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    Le RSA jeunes ne répondrait pas à cette attente ; il conviendrait plutôt d’améliorer l’accompagnement actuel en vue de mieux informer les jeunes des mesures sociales existantes, y compris celles que nous créons en urgence, information qui fait aujourd’hui défaut dans les universités.

    M. Adrien Quatennens

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    L’islamo-gauchisme, sans doute ! (Sourires.)

    Mme Monique Iborra

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    Concernant la dotation tremplin, la concrétisation de votre vision très administrative, voire technocratique (Mme Sylvie Tolmont s’exclame), pourrait se révéler laborieuse : ce ne serait pas le premier exemple de ce genre. En outre, les « actions éligibles » à l’emploi de ces 5 000 euros n’auraient rien de particulièrement attrayant pour des jeunes de 18 ans.

    M. Adrien Quatennens

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    J’espère que vos enfants ne se retrouveront jamais dans la précarité !

    M. le président

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    Il faut conclure.

    M. Dominique Potier

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    S’il vous plaît, monsieur le président, laissez Mme Iborra parler : plus elle en dit, mieux c’est pour notre texte !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Continuez, madame Iborra !

    Mme Monique Iborra

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    Je conclus, monsieur le président. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas en faveur de votre proposition de loi, mais nous souhaitons que le débat se poursuive sur certains de ses aspects, notamment…

    M. le président

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    Merci, madame Iborra.

    Mme Monique Iborra

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    …un dispositif innovant de dotation tremplin (Exclamations sur les bancs du groupe SOC) qui aiderait les jeunes à prendre un meilleur départ… (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

    M. Dominique Potier

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    Surtout, ne changez rien !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    C’est très bien !

    M. Fabien Di Filippo

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    C’est du « en même temps » !

    M. le président

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    Madame Iborra, vous avez dépassé de cinquante secondes les cinq minutes dont vous disposiez : je ne pouvais faire autrement que de couper votre micro. Tous les orateurs précédents ont achevé leur intervention dans le temps imparti.
    La parole est à M. Stéphane Viry. Je compte que lui non plus ne dépassera pas cinq minutes : il est discipliné.

    M. Stéphane Viry

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    Du moins j’essaie de l’être, monsieur le président, tout en restant libre !
    Nous examinons ce matin la proposition de loi, déposée par le groupe Socialistes et apparentés, relative à la création d’une aide individuelle à l’émancipation solidaire. Afin de l’élaborer, nos collègues ont entrepris un travail considérable – auditions, consultations – et appuyé sur les réflexions abondantes que suscitent actuellement le revenu universel ou des mécanismes assimilés. D’autres parlementaires s’investissent beaucoup dans ce domaine ; de toute évidence, le sujet est d’actualité, et le restera pendant quelque temps.
    La réponse au problème du revenu universel est politique, et pas forcément consensuelle, car la question est liée à celles de la pauvreté et des premières conséquences de la crise sanitaire. Le groupe Les Républicains est prêt à ce débat et se montrera tout à fait favorable à des propositions concrètes, immédiates. La semaine dernière, par exemple, nous en avons formulé quinze, visant à répondre, face aux impasses actuelles, à l’urgence que constitue la précarité croissante, en particulier lorsqu’elle touche la jeunesse.
    Pour prendre un peu de hauteur par rapport à cette proposition de loi, nous considérons notre modèle social et économique comme fatigué, à bout de souffle. Il ne protège plus assez ; il ne tient plus la pauvreté à distance ; il ne favorise plus l’ascension sociale ; enfin, paradoxalement, il nous coûte cher. La France dispose certes d’un système de protection sociale, mais celui-ci n’atteint pas ses objectifs : face à divers besoins, il peut à certains égards paraître obsolète, inefficace. Ce système repose sur le travail, sur les cotisations sociales qu’il génère. Notre solidarité nationale est à ce prix ; le travail doit donc rester le centre de nos réflexions, être valorisé, encouragé, récompensé, et se trouver au cœur de toutes les politiques sociales.
    Chers collègues socialistes, je reprends bien volontiers, humblement, cette maxime de Jaurès : « Chacun doit trouver sa place dans la société ». Je rappellerai également que le préambule de la Constitution de 1946 mentionne « le droit d’obtenir un emploi », dont nous avons parlé il y a quelque temps dans cet hémicycle.        
    Nous, les Républicains, considérons résolument que la solution est d’accompagner la jeunesse vers un emploi durable. À une politique du chiffre et à un empilement des dispositifs, nous préférons une action visant à rendre les jeunes actifs et acteurs de leur vie. Il faut probablement privilégier désormais un nouveau statut dans notre dispositif, celui d’actif. Être actifs, dans une société de solidarité, en ayant des droits et des obligations : tel doit être l’horizon proposé aux jeunes, sachant qu’un mécanisme de protection universel doit aussi permettre de faire face aux accidents de la vie, aux difficultés et aux remises en question.
    La jeunesse, en France, s’interroge ; elle est en difficulté et cherche sa place dans la société. La jeunesse est toujours l’avenir d’un pays. Elle est son souffle ; elle incarne des idées neuves et de nouvelles conquêtes. Or la jeunesse devra déjà porter une dette qui, de majeure, va devenir vertigineuse. Il faudra qu’elle travaille : la question de l’emploi reste pour nous essentielle et prioritaire. Ce débat incite à réfléchir à la façon de l’armer pour qu’elle affronte ce défi. Nous pourrions parler de l’amont, c’est-à-dire de la performance scolaire, qui reste à améliorer dans notre pays. Nous pourrions aussi parler de l’aval, c’est-à-dire du marché du travail et de l’accueil des jeunes dans les entreprises, qui est un véritable sujet. Là est, madame la ministre déléguée, le défi français ; là est l’impasse dans laquelle se trouve notre nation.
    Je finirai par cette observation : le taux de chômage des jeunes de 18 à 25 ans est le double du taux de chômage moyen, ce qui signifie qu’il y a manifestement un problème. La réponse à ce problème réside-t-elle dans les dispositions que vous proposez aux articles 1er et 2 de votre proposition de loi ? C’est discutable. Je ne le pense pas, en particulier au vu du financement prévu qui me paraît baroque, complexe et relativement injuste par certains aspects. Certaines mesures financières, en effet, ne pénaliseront pas uniquement les plus riches mais frapperont encore davantage notre économie et pourraient se révéler confiscatoires. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas souscrire à votre proposition de loi.

    M. le président

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    Je vous remercie, monsieur Viry, d’avoir parfaitement respecté votre temps de parole ! La parole est à Mme Michèle de Vaucouleurs.

    Mme Michèle de Vaucouleurs

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    La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui dans le cadre de la journée réservée au groupe Socialistes et apparentés place au cœur de nos débats la question de la création d’un revenu de base complété par l’instauration d’une dotation universelle. Cette discussion intervient dans un contexte d’augmentation substantielle de la précarité des plus jeunes de nos concitoyens, conséquence directe de la crise sanitaire et économique.
    Les rapporteurs proposent de remédier à cette précarité grâce à deux dispositifs, certes très étayés, mais qui ne nous apparaissent pas opportuns sur la forme comme sur le fond. Tout d’abord, l’instauration d’un revenu de base fusionnant le RSA et la prime d’activité, versé de façon inconditionnelle, nous semble aller à rebours de l’action engagée par la majorité depuis le début de la législature.

    M. Hervé Saulignac, rapporteur de la commission des affaires sociales

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    Bon !

    Mme Michèle de Vaucouleurs

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    Celle-ci consiste à renforcer les voies et moyens permettant de dessiner une véritable trajectoire vers l’emploi. En effet, si l’urgence commande de lutter contre une précarité accrue, nous ne devons pas oublier que la finalité de notre action ne peut pas se résumer à un soutien financier : elle doit avoir pour but d’ouvrir des perspectives à notre jeunesse, de lui donner confiance en son avenir et en sa capacité d’être pleinement contributrice à la société qu’elle aspire à construire.
    Nous avions déjà posé certains jalons visant à offrir aux jeunes une voie de réussite dans la vie active avec la réforme de l’apprentissage en 2018. Grâce aux aides incitatives mises en place par le Gouvernement cet été, les résultats sont au rendez-vous, en dépit des conséquences que la pandémie a eues sur la situation économique. Nous souhaitons pour notre part utiliser le support de la garantie jeunes, dont le montant est proche de celui du RSA, et l’étendre à tous les jeunes qui en auraient besoin, quels que soient leur statut socioprofessionnel et leur situation fiscale, afin de leur apporter une aide financière ou un accompagnement adapté à leur situation.
    Nous sommes également très sceptiques quant à la dotation tremplin que vous proposez. L’idée peut paraître séduisante, notamment parce qu’elle fait reposer le dispositif sur le compte personnel d’activité. L’introduction d’une telle mesure pérenne et inconditionnelle interroge cependant car, si nous devons tout faire pour amortir les conséquences de la crise, il ne faudrait pas laisser croire en l’existence d’argent magique. Aussi toute mesure de long terme ne peut-elle qu’être mise en perspective avec d’autres dépenses.
    La dimension financière ajoute de l’eau au moulin de nos réticences. En effet, le chiffrage de l’ensemble des dispositifs de cette proposition de loi est sans équivoque : ils représentent un coût cumulé pour les finances publiques de près de 21 milliards d’euros par an. Si l’exposé des motifs du texte avance des idées de financements, elles demeurent très hypothétiques et relèvent seulement de l’incantation puisqu’elles ne figurent pas dans le texte lui-même.
    Comprenons-nous bien : ce n’est pas parce que les membres du groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés émettent de sérieuses réserves sur les dispositions proposées par ce texte qu’ils font fi des difficultés auxquelles peut être confrontée une partie de notre jeunesse. Pas un jeune ne doit être laissé sur le bas-côté. Notre conception de la politique sociale est ambitieuse. Nous pensons en effet que l’émancipation de la jeunesse n’est pas un étendard que l’on peut brandir mais un chemin à bâtir de la prime enfance à l’âge adulte. En témoigne l’action de notre ancienne collègue Sarah El Haïry, désormais secrétaire d’État aux côtés du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, action qui ne tend à rien d’autre qu’à émanciper nos jeunes avec, en ligne de mire, l’idéal de les vouloir citoyens libres et engagés.
    D’une façon plus générale enfin, notre groupe s’est toujours montré ouvert à une concertation d’ampleur sur l’opportunité de mettre en œuvre un revenu universel. Il nous semble indispensable qu’un tel sujet puisse être discuté avec un maximum de parties, sans que l’on se cantonne au Parlement, afin d’envisager cette thématique d’un point de vue global. C’est dans cette perspective que nous avions approuvé la résolution proposée par le groupe Agir ensemble en novembre dernier. En attendant, la situation de la jeunesse qui nécessite des réponses rapides ne saurait supporter le temps long de la navette parlementaire. Comme l’écrivait Guillaume Apollinaire : « Passent les jours et passent les semaines – Ni temps passé – Ni les amours reviennent. » Pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, le groupe Dem n’apportera pas ses suffrages à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Dommage !

    M. le président

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    La parole est à Mme Laurence Dumont.

    Mme Laurence Dumont

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    Voilà exactement un an, les Français constataient dans les médias les premiers signes de l’arrivée de la covid-19 dans notre pays. La crise sanitaire qui a suivi, et que nous vivons encore aujourd’hui, a affecté l’ensemble de notre tissu économique. Elle a aussi fortement influé sur nos modes de vie et nos relations sociales et créé une très grande précarité. Les associations caritatives nous le disent depuis des mois : le nombre des demandes d’aide, notamment de subsistance et alimentaire, explose.
    Sans, bien sûr, établir une échelle de valeur au sein de cette grande précarité qui s’étend jour après jour, il faut constater que les jeunes sont particulièrement touchés. Ils souffrent en silence depuis un an. C’est beaucoup, un an, quand on a 20 ans. La perte de revenus et de petits boulots, les difficultés pour trouver un stage ou un premier emploi, constituent le quotidien d’une jeunesse qui n’en peut plus. Elle paraît désormais totalement incongrue, la fameuse parole du Président de la République selon laquelle il suffirait de traverser la rue pour trouver du boulot. Les jeunes aujourd’hui en sont plutôt réduits à traverser la rue pour aller à la Croix-Rouge ou aux Restos du cœur, pour pouvoir manger. (M. Joël Aviragnet et M. François Ruffin applaudissent.)

    Mme Christine Pires Beaune

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    Eh oui !

    Mme Laurence Dumont

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    Nous avons une responsabilité collective, qui va bien au-delà de nos différences politiques : celle d’offrir à la jeunesse des moyens – comme aiment le dire mes collègues Vallaud et Saulignac – pour se former, trouver un emploi, se loger, fonder une famille et prendre part au grand dessein d’un monde qui change. C’est une responsabilité collective car la jeunesse d’un pays, c’est bien sûr son avenir, tout le monde l’a dit. Le pays joue donc aussi, avec cette question, son avenir.
    En cette période particulièrement grave, nous ne pouvons, en tant que parlementaires, rester sans réaction face à des jeunes qui abandonnent leurs études faute de moyens et qui tombent dans une précarité croissante. La réponse doit être globale. Il ne peut y avoir, face à un tel enjeu, de réponses parcellaires et non coordonnées. La crise sanitaire nous impose de redéfinir notre logiciel. Mes chers collègues, nous devons poser des actes. L’accompagnement des jeunes, tant prôné par le Gouvernement depuis des semaines, peut dès aujourd’hui trouver une concrétisation. Alors que les jeunes vivent une situation désastreuse, décrite jour après jour par les médias, les associations, les élus et les syndicats étudiants, il serait incompréhensible que la majorité parlementaire n’adhère pas aux mesures phares de la proposition de loi AILES que sont l’institution d’un revenu de base à 18 ans et une dotation en capital de 5 000 euros pour démarrer dans la vie.
    Aujourd’hui, dans cet hémicycle, nous vous proposons simplement de mettre en conformité les discours et les actes. Être jeune ne peut pas et ne doit pas être une épreuve, de surcroît pendant la crise sanitaire que nous connaissons. Faire de la politique, c’est anticiper, ajuster et réformer dans l’intérêt commun. Une société se juge à la façon dont elle traite sa jeunesse, mais aussi aux mesures d’urgence et de fond que prennent celles et ceux qui ont la charge de préparer l’avenir – nous, parlementaires – pour que chacune et chacun ait les moyens de ses ambitions et de ses rêves. Au-delà des mots, mes chers collègues, je vous invite à ne pas adopter une posture politique face à cette proposition de loi AILES, au prétexte que ce texte viendrait de l’opposition, mais à y voir le moyen d’agir ensemble dans l’intérêt de notre jeunesse, car elle n’en peut plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)

    M. le président

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    Je vous remercie, madame Dumont, pour votre esprit de synthèse ! La parole est à Mme Paula Forteza.

    Mme Paula Forteza

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    Chaque crise, au cours de notre histoire moderne, a été suivie de grandes transformations politiques et sociales. Celle que nous connaissons aujourd’hui est d’une nature particulière. Elle met à l’arrêt des pans entiers de notre économie et interrompt les flux de la mondialisation sur lesquels notre modèle tout entier s’était construit ces cinquante dernières années. Elle nous fait ouvrir les yeux sur des métiers mal payés, que notre société n’a pas valorisés socialement : infirmière, caissière, éboueur. Elle interroge sur le sens que nous donnons à notre existence en revalorisant les activités non marchandes des soins, de la santé et de la solidarité. Elle nous rappelle enfin l’urgence environnementale à laquelle nous sommes confrontés, en nous obligeant à construire une société plus sobre et à questionner notre paradigme productiviste.
    Dans ce contexte, les réflexions sur un revenu universel sont réapparues dans le débat comme un outil pour limiter les dégâts de la crise. Considérée jusqu’à maintenant comme une douce utopie, l’idée que la société puisse assurer à chacun le minimum pour vivre décemment et se réaliser a pris forme. Nous avons constaté, lors de notre grande consultation « Le jour d’après », au tout début du premier confinement, que l’instauration d’un revenu universel constituait déjà l’une des mesures les plus plébiscitées.
    De nombreux pays ont, depuis, fait de premiers pas en ce sens. En Espagne, dès le mois d’avril dernier, la création d’un revenu minimum vital pour les plus précaires a été adoptée. Aux États-Unis, un chèque de 1 200 dollars par adulte a été versé de façon totalement inconditionnelle. En France, la généralisation du chômage partiel rejoint aussi l’idée qu’il relève de la responsabilité de l’État de maintenir une stabilité des revenus.
    Cette crise doit maintenant nous encourager à avancer vers une redéfinition durable de notre modèle d’État-providence, car le travail n’est plus corrélé à un statut. Temps partiel, auto-entreprenariat, micro-travail, chômage de masse, économie non marchande, développement de l’économie sociale et solidaire : le salariat à temps plein n’est plus la mesure de toute chose.
    Le revenu universel peut nous permettre, par ailleurs, de développer la société du soin, de l’attention à l’autre et à ce qui nous entoure, dont nous avons cruellement besoin.
    Dès lors, la question du type de revenu universel ou de base qu’il conviendrait de mettre en place se pose. Elle donne lieu à des discussions très fécondes, et je salue le travail de notre collègue Valérie Petit, fondé sur l’idée d’un socle citoyen. Nos collègues Boris Vallaud et Hervé Saulignac nous proposent une autre option, celle d’un revenu de base inconditionnel et dégressif, couplé à une dotation universelle en capital de 5 000 euros. Cette dotation pourrait constituer un véritable tremplin dans la vie adulte dans un contexte où les inégalités patrimoniales renforcent le déterminisme social.
    Mais revenons-en au contexte dans lequel nous discutons de cette proposition, à commencer par la situation des jeunes. Tous ont en partage un quotidien fait de restrictions, ils souffrent et ils nous le disent. On voit les files d’attente s’allonger aux points de ravitaillement alimentaire, et les doutes et les angoisses pour l’avenir se font criants. N’oublions pas que la crise a pesé deux fois plus sur le revenu des 20-25 ans qu’elle ne l’a fait pour le reste de la population.
    Une proposition de bon sens a émergé, à savoir la possibilité de percevoir le RSA dès 18 ans, ce qui serait quand même la moindre des choses… La France est en effet l’un des derniers pays d’Europe à ne pas ouvrir ses minima sociaux dès 18 ans, ce qui est d’autant plus incompréhensible quand on sait que les deux tiers des Français, dont 70 % des sympathisants de l’actuelle majorité, y sont aujourd’hui favorables.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Ils sont où ?

    Mme Paula Forteza

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    Cette proposition est portée par des acteurs majeurs du milieu associatif et étudiant. Le groupe EDS – Écologie démocratie solidarité – l’avait défendue à plusieurs reprises, en vain, c’est pourquoi j’ai déposé, avec plusieurs de mes collègues, un amendement identique à ceux des rapporteurs pour demander sa mise en place.
    Ce sont bien deux conceptions de la jeunesse que l’on voit s’affronter dans ce débat. L’une prétend savoir mieux que la jeunesse ce qui est bon pour elle, affirme que celle-ci n’est pas déprimée, qu’elle ne veut pas être assistée ; l’autre la respecte, lui fait confiance pour savoir ce qui est bon pour elle, et lui dit tout simplement : « Tu n’as pas à avoir peur de ton avenir, construis-toi comme tu le souhaites, nous serons là ! » Les défenseurs de cette conception, nous les retrouvons dans la société civile et sur les bancs de cet hémicycle, de la gauche jusqu’à certains de nos collègues de la majorité.

    Mme Valérie Rabault

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    Elle a raison !

    Mme Paula Forteza

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    Ce bloc humaniste, social, progressiste, n’est pas réductible à un jeu partisan, mais doit savoir se rassembler le moment venu, ce qui est le cas aujourd’hui, à l’heure de voter pour l’ouverture du RSA à 18 ans. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et Agir ens. – Mme Sylvia Pinel applaudit également.)

    M. le président

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    La discussion générale est close.
    Mes chers collègues, avant que les rapporteurs et la ministre déléguée ne prennent la parole, je vous informe que, sur les amendements identiques nos 1, 12 et 29, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    La parole est à M. Hervé Saulignac, rapporteur de la commission des affaires sociales.

    M. Hervé Saulignac, rapporteur de la commission des affaires sociales

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    Dans les propos des onze orateurs qui se sont exprimés lors de cette longue discussion générale – auxquels il faut ajouter une douzième intervention, celle de Mme la ministre déléguée –, le même diagnostic est revenu à plusieurs reprises et l’on a entendu s’exprimer beaucoup de compassion – un peu trop parfois, sans doute – et beaucoup d’autosatisfaction dans les rangs de la majorité – un peu trop parfois, incontestablement. Malheureusement, la seule réponse qui semble devoir être apportée à l’issue de l’examen de ce texte est celle du statu quo.
    Madame la ministre déléguée, j’ai écouté très attentivement votre propos, que vous avez entamé en vous référant à une philosophie diamétralement opposée à la nôtre. Vous n’avez pas fait dans la nuance, c’est le moins qu’on puisse dire ! Vous auriez pu évoquer les divergences, vous auriez pu évoquer un autre chemin pour apporter des réponses à une jeunesse que vous semblez connaître mieux que quiconque. Permettez-moi de vous dire qu’à plusieurs reprises vous avez été si caricaturale au cours de votre intervention que j’en viens à me demander combien de temps vous avez consacré à la lecture du texte que nous vous soumettons.

    Mme Sylvie Tolmont

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    C’est clair !

    M. Fabien Di Filippo

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    Elle lit ce qu’on lui a écrit !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Ainsi, vous avez affirmé de façon catégorique que nous souhaitions supprimer la prime d’activité…

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    Il fallait lire le texte !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    …ce qui n’est absolument pas le cas : nous proposons de la faire fusionner avec le RSA. Il serait d’ailleurs pour le moins étonnant que nous proposions de la supprimer, puisque c’est nous qui l’avons créée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)

    M. Fabien Di Filippo

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    Quelle générosité !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Je vous invite à relire notre rapport, qui indique très clairement qu’il n’y a pas de perdants dans le dispositif que nous proposons, contrairement à ce que vous avez également affirmé.
    Vous remettez en cause une dotation en capital non remboursable, estimant que le soutien que pourrait apporter l’État à la jeunesse qui souffre devrait forcément être remboursé par celle-ci. Or l’État est là pour produire des droits qui protègent les plus vulnérables, ce n’est pas une banque ayant vocation à appauvrir ceux qui sont déjà pauvres en les endettant lorsqu’ils sont sur le point d’entrer dans la vie active et, sur ce point, nos conceptions respectives divergent radicalement.
    De manière tout aussi caricaturale, vous avez laissé entendre que l’accompagnement ne serait pas une préoccupation du groupe Socialistes et apparentés. L’accompagnement constitue pour nous une obligation majeure, c’est la condition par laquelle la jeunesse retrouvera le chemin de l’émancipation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Il est évident que c’est par le renforcement des missions locales, que nous avons contribué à créer, que nous serons en mesure de répondre aux enjeux actuels, et pas seulement au moyen d’une allocation, si généreuse soit-elle.
    Vous avez vanté le dispositif « 1 jeune, 1 solution » qui, selon vous, serait d’une ampleur inédite. Quand je me suis rendu sur le site de Pôle emploi de Privas, une toute petite ville…

    Mme Valérie Rabault

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    Mais non !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    …préfecture de mon département, l’Ardèche, j’ai trouvé en tout et pour tout vingt annonces, madame la ministre déléguée, sur lesquelles quatorze proposaient des missions intérimaires ou saisonnières ou des CDD – contrats à durée déterminée.

    M. Fabien Di Filippo

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    C’est du travail !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Je vous le dis très clairement, « 1 jeune, 1 solution », ça ne marche pas : ce que vous nous proposez, c’est plutôt « dix jeunes, un bout de ficelle » !

    Mme Caroline Fiat

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    Eh oui !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Je le répète, « 1 jeune, 1 solution », c’est une formule qui ne fonctionne pas.

    Mme Marie-Noëlle Battistel et Mme Christine Pires Beaune

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    Que des mots !

    Mme Sylvie Tolmont

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    C’est de la communication !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Pour ce qui est de la garantie jeunes, sans nier l’effort consenti par l’État pour faire vivre ce dispositif que nous avons créé, je rappelle que les jeunes de moins de 25 ans qui se trouvent sans emploi, sans formation et sans études, sont au nombre d’un million.
    Puisque vous proposez de n’accompagner que 200 000 ou 300 000 jeunes, que vont devenir les autres ? À l’évidence, vous n’avez pas de réponses à leur proposer. Un catalogue de propositions ne fait pas une politique structurelle de nature à répondre aux attentes de la jeunesse. Pour notre part, nous proposons une réponse globale, approuvée par 68 % des Français selon un sondage publié lundi.

    Mme Monique Iborra

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    Ce n’est pas vrai !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Le même pourcentage de nos concitoyens considère par ailleurs que ce gouvernement n’en fait pas assez pour la jeunesse et est favorable à ce qu’on ouvre des droits nouveaux à la jeunesse, notamment en lui accordant le RSA dès l’âge de 18 ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Ce n’est pas le groupe Socialistes et apparentés qui vous dit cela, ce sont les deux tiers des Français…

    Mme Caroline Fiat

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    Eh oui !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    …mais y opposez un statu quo présentant un terrible décalage avec la réalité sociale, ce que je regrette.
    Je dois tout de même vous remercier de l’hommage que vous avez finalement rendu au groupe socialiste, madame la ministre déléguée, car l’ensemble des politiques d’accompagnement des jeunes que vous portez repose sur les missions locales, la garantie jeunes et le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », toutes choses que nous avons créées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
    Je vais maintenant m’efforcer de répondre aux collègues qui se sont exprimés, en m’excusant par avance auprès de ceux que je pourrais oublier. Je commencerai naturellement par saluer notre présidente Valérie Rabault, qui a rappelé combien est symptomatique le fait que notre proposition de loi est le premier texte portant sur la jeunesse qu’il nous soit donné d’examiner au cours de cette législature. À guère plus d’un an de la prochaine élection présidentielle, il est assez terrible de faire ce constat !
    Madame Petit, je salue votre persévérance à soutenir ce que vous appelez le socle citoyen, votre honnêteté quand vous soulignez le renoncement de cette majorité qui avait tant promis à la jeunesse et votre courage, enfin, pour ce que sera votre vote personnel.
    Madame Thill, vous avez commencé par distribuer des bons points, et je vous remercie d’avoir salué la qualité de notre travail, mais vos propos se sont rapidement émaillés de terribles contradictions. Ainsi, après avoir laissé entendre, à juste titre, que la somme de 564 euros était insuffisante pour vivre dignement, vous en concluez qu’il vaut mieux ne rien accorder aux jeunes de moins de 25 ans. Vous avez surtout critiqué le coût de cette mesure, mais savez-vous quel est le coût de la pauvreté en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. François Ruffin applaudit également.) En fait, la pauvreté coûte à l’État beaucoup plus que la dépense que nous vous proposons d’engager pour y remédier.

    M. Guillaume Garot

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    Très bien !

    M. Fabien Di Filippo

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    Il faudra quand même préciser qui va payer !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Monsieur Quatennens, je vous remercie d’avoir souligné l’urgence qu’il y a à agir. Au-delà des réponses structurelles, il y a en effet une situation d’urgence à laquelle nous devons répondre. Sur ce point, votre philosophie n’est pas tout à fait la même que la nôtre, mais je crois que le sujet n’est pas épuisé et que certaines divergences ne sont pas insurmontables – en tout cas, je le souhaite ardemment.
    Madame Pinel, vous avez rappelé l’avis de recherche lancé pour retrouver le RUA, le revenu universel d’activité, qui, nous avait-on affirmé ici même en janvier 2019, devait tout résoudre. Votre prédécesseure, madame la ministre déléguée, nous avait dit à l’époque que le groupe socialiste était trop en avance et que le Gouvernement était en train de plancher sur le revenu universel d’activité, un dispositif extrêmement ambitieux qui allait régler tous les problèmes. Aujourd’hui, force est de constater que le RUA semble avoir disparu dans un trou noir…
    Madame Faucillon, vous avez raison de souligner l’urgence et de dire que l’heure est venue de passer aux actes. Comme vous l’indiquez, l’excellent rapport de Marie-George Buffet sur les incidences de la covid-19 sur la jeunesse constitue une injonction à agir que personne ne peut contester, tant il est précis.
    Madame Iborra…

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Ne changez rien !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    …je veux croire que la position que vous avez exprimée à cette tribune n’est pas celle de votre groupe tout entier, car j’ai été particulièrement heurté de vous entendre évoquer ces jeunes qui se seraient « installés dans la pauvreté »…

    Mme Sylvie Tolmont

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    C’est dingue d’entendre ça !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    …comme si la pauvreté était un fauteuil dans lequel on pouvait s’installer confortablement…

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Quelle faute morale ! C’est honteux !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    …comme si une partie de la jeunesse n’aspirait qu’à pouvoir se reposer sur l’assistance de l’État ! C’est une insulte faite à l’immense majorité de la jeunesse de ce pays, madame Iborra, et je suis profondément choqué par vos propos ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR et FI. – Mme Sylvia Pinel applaudit également.)
    Vous avez évoqué dans votre intervention l’élection présidentielle et les élections départementales, mélangeant tout pour en faire un gloubi-boulga absolument indigeste…

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Et incompréhensible !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    …et incompréhensible. Nous sommes là pour discuter sérieusement de l’avenir de la jeunesse et, contrairement à ce que vous semblez penser, je ne suis pas certain que les élections départementales se gagnent dans le cadre de ce débat.

    M. Fabien Di Filippo

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    N’étiez-vous pas camarades, naguère ?

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Votre majorité est beaucoup plus prompte à réclamer des contreparties aux pauvres plutôt qu’aux grandes entreprises que vous aidez parfois généreusement – c’est sans doute ce qui constitue le marqueur de votre politique et ce dont on se souviendra. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, GDR et FI.)
    À l’inverse, monsieur Viry, je m’autorise à vous dire que l’élégance intellectuelle dont vous avez fait preuve m’engage à respecter totalement votre point de vue. Vous nous avez dit le plus clairement du monde que vous proposiez un autre chemin et que, par conséquent, vous ne soutiendriez pas notre proposition de loi, mais vous l’avez fait avec des arguments qui m’incitent à croire qu’un jour, au-delà de ces divergences, notre assemblée parviendra à rénover un modèle social que certains voudraient maintenir en son état actuel, en dépit des grandes difficultés qu’il connaît.
    Enfin, madame de Vaucouleurs, je ne crois pas que fusionner RSA et prime d’activité aille à rebours de l’action engagée par la majorité depuis le début de la législature. Une nouvelle fois depuis 2018, vous vous dites ouverte à la concertation, mais permettez-moi de vous dire qu’il va maintenant falloir envisager d’agir, car c’est ce que la jeunesse attend.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Voilà !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Madame Forteza, vous avez rappelé la position très isolée de la France parmi ses voisins européens en ce qui concerne les dispositifs d’aide aux moins de 25 ans, une situation qui devrait nous interpeller toutes et tous. Vous avez également fait référence à un amendement que vous avez déposé, qui se trouve être très proche de la position que nous défendons : nous aurons l’occasion d’en débattre dans quelques instants, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Caroline Fiat applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Je tiens à remercier l’ensemble des orateurs de groupe pour leur investissement plein et entier sur les sujets de la plus haute importance dont nous débattons aujourd’hui, c’est tout à l’honneur et à l’image de cette assemblée. Ces sujets sont multiples.
    Le texte pose d’abord la question de l’efficacité et de la justice de notre système de solidarité. Il renvoie ensuite au soutien aux personnes les plus fragiles de notre société : ces personnes, nous en connaissons tous, nous les rencontrons chaque jour dans le cadre de nos activités professionnelles et de notre engagement ; pour une raison ou pour une autre, elles ont connu un accident de parcours, un accident de la vie, un bouleversement et c’est pour elles que notre République doit savoir se montrer à la hauteur et tenir sa promesse de faire nation. La proposition de loi porte enfin sur le soutien à apporter à nos jeunes, à tous nos jeunes. Ce soutien a deux aspects dont l’un est structurel : quel avenir devons-nous leur proposer ? L’autre est conjoncturel : comment répondre présents pour la jeunesse en cette période crise ?
    Je me tourne maintenant vers les rapporteurs et les orateurs, consciente que l’enjeu exige la plus grande clarté de notre part.
    Monsieur Vallaud, vous parlez de l’indifférence des adultes mais je ne peux pas vous laisser dire que nous la partageons. Cette proposition de loi ne répond pas à l’urgence car ses dispositions ne peuvent être mises en œuvre en l’espace d’une année. Il faut faire mieux et plus, dites-vous, et c’est bien ce à quoi nous nous employons chaque jour : en travaillant sur le service public de l’insertion et de l’emploi ; en élargissant les critères de la garantie jeunes ; en accélérant la mise en œuvre de dispositifs dont nous savons qu’ils fonctionnent.
    Madame Rabault, je ne peux pas non plus vous laisser dire que la jeunesse n’est pas une priorité du plan de relance.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    C’est pourtant vrai !

    Mme Valérie Rabault

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    Il faut regarder les chiffres !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    C’est vite oublier la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le plan « 1 jeune, 1 solution » est massif : 7 milliards d’euros sont déployés en faveur des jeunes, quel que soit leur niveau de formation, leurs aspirations ou les difficultés de leur parcours de vie. Avec le dispositif « territoires zéro chômeur », nous avons étendu et non généralisé une expérimentation…

    Mme Valérie Rabault

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    Je n’ai jamais dit le contraire !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    … tandis que votre texte propose une généralisation immédiate.
    Je vais enfin rendre hommage à la garantie jeunes que vous avez créée et que vous semblez ne plus soutenir. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)

    Mme Sylvie Tolmont

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    Qu’est-ce que c’est que ce contresens ?

    M. Alain David

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    Qui lui a dit de dire ça ?

    M. le président

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    Mes chers collègues, veuillez laisser Mme la ministre déléguée poursuivre !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Je n’ai jamais voté contre la « garantie jeunes », je ne peux pas vous laisser dire cela.
    Madame Thill, nous sommes bien d’accord sur le fait que c’est l’insertion dans la société qui préserve de la misère.
    Force est de constater que, s’agissant des expérimentations menées à l’étranger, les résultats ne sont pas probants, que ce soit au Canada, en Espagne, en Finlande, en Allemagne ou en Alaska : le revenu de base n’a pas eu d’effet significatif sur l’emploi.

    Un député du groupe SOC

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    Et sur la vie des gens ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Monsieur Quatennens, vous nous exhortez à nous dépêcher. Heureusement, nous ne vous avons pas attendu pour développer des aides exceptionnelles et des plans massifs comme « 1 jeune, 1 solution ». (M. Éric Alauzet et Mme Christine Cloarec-Le Nabour applaudissent.) Comme le montre l’INSEE – Institut national de la statistique et des études économiques –, le taux de pauvreté et les inégalités ont reculé en 2019 grâce aux mesures prises par le Gouvernement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

    Mme Laurence Dumont

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    Ouvrez les yeux !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Je pense, par exemple, à la revalorisation de la prime d’activité et à la réforme du barème de l’impôt sur le revenu. Pour nous, l’emploi est le meilleur rempart contre la précarité et les inégalités.

    Mme Sylvie Tolmont

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    Il est où l’emploi ?

    Plusieurs députés du groupe SOC

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    Y en a pas !

    Mme Sylvie Tolmont

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    Pour vous, il est urgent d’attendre ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Madame Pinel, je vous remercie d’avoir rappelé l’action positive du Gouvernement depuis le début de la crise. Sur le RUA…

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Annoncé pour 2020 !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …les travaux sont toujours en cours, comme l’a souligné le Premier ministre en novembre : sa mise en œuvre est prévue pour …

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Pour 2020 !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …2023 comme l’avait annoncé le Président de la République.

    M. Fabien Di Filippo

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    Beaucoup de promesses sont repoussées aux calendes grecques !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Quant à l’extension du RSA aux jeunes, nous aurons l’occasion d’en débattre plus longuement quand nous aborderons la discussion de l’amendement qui la propose, mais ce n’est pas l’ambition que nous portons pour la jeunesse.
    Madame Faucillon, vous évoquiez les apprentis qui ne trouvent pas d’entreprises. Je ne peux que vous encourager, ainsi que tous les jeunes concernés, à consulter la plateforme « 1 jeune, 1 solution ». À dix heures quarante-trois, lorsque je m’y suis connectée, j’ai pu voir que 1 500 entreprises s’étaient engagées et qu’on pouvait compter 170 000 intentions d’embauches et 106 585 offres d’emploi. Je vous rappelle aussi que nous avons instauré de nombreuses aides en faveur de l’apprentissage et qu’elles ont eu des résultats.
    Je ne peux pas vous laisser dire que nous n’avons pas conscience des problèmes.

    Mme Caroline Fiat

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    On peut encore dire ce qu’on veut !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    N’aurait-il donc pas fallu proposer d’aides ponctuelles ? Vous affirmez ensuite que le plan « 1 jeune, 1 solution » est insuffisant. Sept milliards d’euros ont été mobilisés, 1,2 million de jeunes ont été recrutés et 500 000 contrats d’apprentissage ont été signés : ce sont, je crois, des chiffres qui parlent à tout le monde ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

    M. Fabien Di Filippo

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    Encore faut-il que des contrats soient proposés !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Monsieur Viry, je suis d’accord avec vous quand vous dites que le défi, c’est le marché du travail.
    Madame Forteza, nous partageons votre volonté de dire aux jeunes que l’avenir leur est ouvert mais nous divergeons sur les moyens.
    Enfin, monsieur le rapporteur Saulignac, il n’y a pas, de notre part, d’autosatisfaction…

    Mme Sylvie Tolmont

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    Aucune !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …mais une ambition affirmée, des dispositifs mobilisés et une énergie jamais démentie.

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    C’est beau …

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Vous évoquez Pôle emploi alors que je vous ai parlé de la plateforme « 1 jeune, 1 solution ». Rappelons une nouvelle fois que 7 milliards d’euros sont consacrés à ce plan, que 1,2 million de jeunes ont trouvé un CDI, qu’il y a eu 500 000 apprentis et 600 000 jeunes entrés dans un dispositif d’insertion. Ceci n’est pas caricatural, c’est juste la réalité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

    Discussion des articles

    M. le président

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    J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

    Article 1

    M. le président

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    La parole est à M. François Ruffin, inscrit sur l’article 1er.

    M. François Ruffin

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    À la veille de la pandémie, à Amiens, devant les étudiants de l’université de Picardie, Emmanuel Macron déclarait : « Nous n’avons pas de politique à avoir pour la jeunesse ». Tous les jours, cela se confirme.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Eh oui !

    M. François Ruffin

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    Nous en avons un exemple aujourd’hui encore. En toute franchise, je dois vous dire que je comprends que vous rejetiez la proposition de loi de nos collègues socialistes, mais que proposez-vous à la place ? Rien ! Vous nous dites qu’il faut faire quelque chose de manière différenciée, trouver une solution la plus personnalisée possible, « 1 jeune, 1 solution » : tout ça, c’est du bricolage, du bidouillage !

    M. Bruno Millienne

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    Sept milliards d’euros, du bricolage !

    M. François Ruffin

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    Quand a surgi la crise, vous avez très vite instauré le prêt garanti par l’État – PGE – pour les entreprises et le chômage partiel pour les salariés, deux bonnes mesures qui n’avaient rien à voir avec du cousu main adapté à la situation de telle ou telle boîte. Elles ont permis de construire un véritable filet de sécurité. Pour les jeunes, rien de tout cela. Vous proposez des petits bidules allant dans tous les sens avec 150 euros par-ci et 200 euros par là : des dispositifs tellement confus qu’il faut accompagner ceux qui pourraient en bénéficier pour qu’ils comprennent ce qu’on leur propose. Vous lancez une sorte d’« étudianthon » : comme le Gouvernement ne fait pas le boulot, voilà que Leclerc et Intermarché s’y collent.
    Nous ne voulons pas enfermer les jeunes dans un minimum, dites-vous. Le Président Macron a déclaré qu’il savait « ce que c’est de boucler une fin de mois difficile » pour avoir quand il était adolescent « vécu, à un moment donné, avec environ 1 000 euros par mois ». Ces 1 000 euros, les étudiants aimeraient bien les avoir, c’est grosso modo deux fois plus que le RSA ! Lui ne s’est pas senti enfermé dans ce minimum, pas plus que les enfants des 10 % les plus riches qui reçoivent 700 euros par mois de leurs parents. Qu’en est-il des enfants des 90 % qui, eux, n’ont rien de tout ça ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI et sur quelques bancs du groupe SOC.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Christine Cloarec-Le Nabour.

    Mme Christine Cloarec-Le Nabour

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    Oui, les jeunes ont besoin d’être aidés, d’être mieux informés, d’être mieux accompagnés, plus ou moins longtemps et plus ou moins intensément. Cet accompagnement doit leur permettre d’agir, de devenir des citoyens à part entière, de choisir leur parcours et leur avenir professionnel.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    C’est bien !

    Mme Christine Cloarec-Le Nabour

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    Notre ambition, depuis le début de la législature, est de faire en sorte que l’émancipation passe par la formation et l’emploi. Nous sommes convaincus qu’il y a du potentiel en chacun à condition d’en exploiter la richesse : nul n’est inemployable. Nous devons inciter nos jeunes à se former, à se qualifier car tel est le vrai passeport pour l’emploi.
    Vous appelez de vos vœux un RSA jeune mais, permettez-moi, de vous rappeler qu’il existe déjà : pour les femmes enceintes, les jeunes parents et les jeunes ayant travaillé à temps plein durant trois ans.

    M. Guillaume Garot

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    Très nombreux, comme chacun sait !

    Mme Christine Cloarec-Le Nabour

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    Ce minimum jeunesse porte aussi d’autres noms : bourses étudiantes, allocations PACEA, allocations garantie jeunes, versées en contrepartie d’études et d’assiduité pour les unes, d’engagements dans un parcours d’insertion pour les autres.
    Je ne peux pas vous laisser dire que la France abandonne sa jeunesse. Nous sommes bien passés des paroles aux actes. Après avoir doté de 15 milliards le plan d’investissement dans les compétences, après avoir mis en œuvre la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, après avoir développé l’apprentissage, nous avons lancé depuis le début de la crise le plan jeune et sa plateforme, qui a connu des évolutions au fil de l’eau pour répondre à l’urgence. Les résultats sont déjà très positifs.
    Des dispositifs d’insertion sont renforcés et les missions locales bénéficient d’un soutien inédit. Vous avez certes adopté la « garantie jeunes », pendant pour la France de la garantie européenne pour la jeunesse, mais je n’ai pas souvenir pendant les dix ans où j’ai exercé les fonctions d’administratrice du réseau des missions locales que lorsque vous étiez aux commandes, vous ayez mis en œuvre un accompagnement aussi bienveillant et confiant.  

    M. Guillaume Garot

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    N’importe quoi !

    Mme Christine Cloarec-Le Nabour

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    Ce qui nous rassemble, c’est notre objectif commun.

    M. le président

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    La parole est à M. Bruno Millienne.

    M. Bruno Millienne

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    Chers collègues, je vous remercie d’avoir mis sur la table une proposition de loi qui pose de multiples questions – je ne vais pas la balayer d’un revers de la main, même si certains s’attendaient sans doute à ce que je le fasse. Elle renvoie de manière plus globale au problème du revenu universel, que vous proposez ici de mettre en œuvre pour les 18-25 ans.
    Vos propositions me gênent à plus d’un titre, même si je comprends la philosophie sur laquelle elles reposent.
    D’abord, elles s’appuient sur un système strictement égalitaire, or pour moi, l’égalité n’a jamais été synonyme d’équité. (M. Jacques Marilossian applaudit.) Il faut tenir compte des différences de situation entre les jeunes et trouver, en conséquence, des solutions personnalisées pour ceux qui sont en souffrance – je rejoins Mme la ministre déléguée sur ce point. Le monde du travail est en pleine mutation : les emplois de demain ne correspondront pas forcément à ceux que nous avons connus ces vingt dernières années, ce qui implique un accompagnement particulier.
    En plus, vous supprimez toute condition : il ne s’agirait pas nécessairement d’obliger à trouver un emploi salarié tel qu’on l’entend habituellement, mais par exemple celle de construire un projet professionnel. Mais en écartant toute obligation, vous faites croire à tout le monde que l’argent est magique ; or vous savez aussi bien que moi, puisque vous avez été aux affaires, que c’est loin d’être le cas. Il ne faut pas faire croire aux gens des choses qui sont fausses.

    Mme Sylvie Tolmont

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    Qui a dit « Quoi qu’il en coûte » ?

    M. Bruno Millienne

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    Mais il y a quand même, derrière ce « Quoi qu’il en coûte », des compensations obligatoires et des résultats à obtenir ! Heureusement que nous avons instauré les prêts garantis par l’État ; heureusement que nous soutenons financièrement le chômage partiel !

    M. Fabien Di Filippo

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    On ne sait toujours pas qui va payer !

    M. Bruno Millienne

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    Sans ces dispositifs, la situation de la France serait aujourd’hui bien plus dramatique ! À situation catastrophique, mesures exceptionnelles.
    Vous avez tous connu dans vos territoires, et moi le premier, des expériences d’accompagnement de jeunes qui n’entrent pas dans les critères de la mission locale ou d’autres institutions de ce type. Ces jeunes, nous nous employons à les aider, et quand nous parvenons à les faire vraiment s’intéresser à leur avenir, ils finissent par entrer dans l’emploi ou par élaborer un projet professionnel.
    J’insiste : égalité ne signifie pas équité. Je voterai donc en faveur de la suppression de cet article.

    M. le président

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    Nous en venons à l’amendement no 29, qui tend à supprimer l’article 1er.
    La parole est à Mme Monique Iborra, pour le soutenir.

    M. Jean-Louis Bricout

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    La voilà de retour !

    Mme Monique Iborra

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    Je ne reviens pas sur ce qui a déjà été dit, et bien dit, par Mme la ministre déléguée. Contrairement à ce que vous laissez entendre, nous partageons l’objectif de lutter contre la précarité des jeunes, à tel point que nous avons proposé des dispositifs alternatifs plus adaptés à la diversité de leurs profils – ce que ne permet pas votre revenu de base – et destinés à servir de tremplin vers l’insertion, ce que vous ne souhaitez pas forcément.
    Le Gouvernement a ainsi instauré un plan spécifiquement destiné aux jeunes – j’insiste sur ce point –, intitulé « 1 jeune, 1 solution », et doté de 6,7 milliards d’euros, afin de protéger l’avenir des jeunes en les accompagnant lors de leur entrée dans la vie professionnelle ou dans un parcours d’insertion. Or les résultats sont là, quel que soit votre avis sur le sujet.
    Au-delà de la question des jeunes générations, le Gouvernement s’est engagé à améliorer l’accompagnement des bénéficiaires du RSA grâce à une contractualisation avec les départements, qui financent cette allocation. Depuis le 1er janvier dernier, le nouveau service public de l’insertion et de l’emploi, le SPIE, se déploie sous l’égide de Mme la ministre déléguée et s’inscrit pleinement dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. C’est ainsi que les départements ont reçu des financements importants en 2019, en 2020 et en recevront encore en 2021.
    Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 1er.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Par cet amendement de suppression, vous confirmez l’attitude que vous aviez adoptée il y a deux ans en refusant de pousser plus loin le débat sur notre proposition de loi visant à instaurer un revenu de base. C’est un enterrement de première classe ! Il est regrettable que vous ne vous soyez pas intéressés plus en détail à notre travail, notamment s’agissant de l’articulation entre la mesure que nous proposons et le système de bourses, la garantie jeunes ou l’accompagnement social.
    Vous en restez à la caricature, ce qui est bien regrettable. Il n’a jamais été question d’ignorer l’importance de l’accompagnement, qui constitue un droit : nous souhaitons un accompagnement de haut niveau, à 360 degrés, inspiré par les missions locales et par le dispositif de la garantie jeunes.
    Et de même que nous attendions le RUA, comme Godot, nous attendons désormais le SPIE. Nous le constatons une fois de plus : vous êtes plus habiles à faire des annonces qu’à passer à l’acte !
    Nous ne nions pas l’importance du dispositif « 1 jeune, 1 solution ». Mais convenez aussi que beaucoup de jeunes restent sans solution. J’ai consulté la plateforme que vous nous avez recommandée précédemment, madame la ministre déléguée : dans une annonce – je la tiens à votre disposition –, cinq ans d’expérience sont réclamés au candidat pour un poste dans le domaine de la communication ! Vous comprenez bien que ce n’est pas possible ! Tout n’est donc pas si parfait.
    Nous n’avons jamais dit que vous ne faisiez rien, mais la mobilisation doit être générale. Dans cet effort qu’il nous faut mener pour que nos jeunes cessent de craindre l’avenir, pour les aider à le construire, nous devons faire en sorte qu’en plus de « 1 jeune, 1 solution », de l’accompagnement social, de la garantie jeunes, ils puissent bénéficier de ce « minimum jeunesse ». Nous le leur devons.
    Quand vous aurez rejeté notre proposition de loi, irez-vous voir les jeunes qui attendent leur tour devant les banques alimentaires ou les soupes populaires pour leur dire : « Nous vous avons sauvés du confort du minimum jeunesse qui vous aurait conduits, oisifs que vous êtes, à mettre fin à vos études ou à cesser de chercher un emploi ! » ? Cette défiance à l’égard de la jeunesse est insupportable.
    Inutile d’en rajouter : il va sans dire que notre avis est défavorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Albane Gaillot applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre déléguée.

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Permettez-moi de réagir rapidement aux propos du député François Ruffin : 7 milliards d’euros, ce n’est pas du bricolage (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et sur quelques bancs du groupe Dem) ; la garantie jeunes, ce n’est pas du bricolage (Mêmes mouvements) ; la prise en charge du chômage partiel et de l’activité partielle non plus.
    De même, monsieur Vallaud, le SPIE, ce n’est pas de la communication : fin mars, le service public de l’insertion et de l’emploi sera déployé dans trente territoires supplémentaires.

    M. Jean-Louis Bricout

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    C’est un peu court !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Comme Mme Iborra et les députés du groupe LaREM, le Gouvernement n’est pas favorable à cet article. Il nous paraît en effet problématique, à plus d’un titre. Tout d’abord, il supprime l’obligation faite au bénéficiaire d’engager des démarches vers l’emploi. Ces démarches, qu’il s’agisse de l’acceptation d’une offre d’emploi, du rendez-vous d’accompagnement sur le surendettement ou de la consultation médicale, ont toutes une importance. Cette obligation est donc une condition pragmatique et adaptée.

    M. Olivier Faure

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    Il s’agit d’un prétexte !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Elle prend en considération la situation de chacun, ses besoins et toutes les dimensions de l’accompagnement socioprofessionnel. Cette obligation dit toute l’ambition de la société…

    M. Olivier Faure

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    Ce n’est pas une ambition !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …d’accompagner chacun vers l’emploi. En réalité, elle est une garantie, un droit à l’accompagnement et à l’insertion.
    Je tiens à le dire clairement, pour nous, l’accompagnement n’est pas une option. Proposer de supprimer cette obligation comme vous le faites, c’est dire que l’accompagnement ne compte pas.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Ce n’est pas vrai ! Lisez notre texte !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Pire encore, c’est dire que nous ne croyons pas dans la capacité des bénéficiaires à retrouver le chemin de l’emploi. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SOC.)

    Mme Sylvie Tolmont

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    Mensonges !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Ce pessimisme n’est pas le nôtre. Pour nous, la vie avec un minimum social doit être une transition, un filet de sécurité (Exclamations continues sur les bancs du groupe SOC)

    M. le président

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    Chers collègues, veuillez laisser s’exprimer madame la ministre déléguée.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Lisez le texte, pas vos fiches : elles sont fausses !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …mais pas une fatalité, ni un destin.
    Par ailleurs, et c’est très important également, la supprimer revient à fragiliser le département. En tant qu’ancienne présidente de conseil départemental,…

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Hervé Saulignac aussi est un ancien président de conseil départemental !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …je connais l’importance de cette compétence pour le département et l’utilité de cet échelon de proximité pour favoriser l’insertion.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Ce sont les départements eux-mêmes qui proposent ces dispositions !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    D’ailleurs, je me suis entretenue de ce sujet, il y a quelques jours, avec le président de l’ADF, l’Assemblée des départements de France, Dominique Bussereau. Dans leur très grande majorité, les départements ne souhaitent pas que cette obligation soit supprimée. Vous proposez une réforme qui les fragilise sans même les avoir consultés.

    M. Olivier Faure

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    N’importe quoi !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Comment pouvez-vous dire ça ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Quant au calendrier que vous proposez pour organiser le versement d’une prestation que vous souhaitez automatique, il n’est tout simplement pas tenable.
    Enfin, et c’est le cœur de nos débats aujourd’hui, nous ne partageons pas votre vision de ce qu’il faut proposer aux jeunes.

    M. Alain David

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    Vivement 2022 !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Mon ambition pour nos enfants, ce n’est pas qu’ils deviennent des allocataires.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Nous non plus ! Mais vous, votre ambition, c’est la soupe populaire !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Tous les parents souhaitent que leur enfant trouve un travail. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.) Chaque jour, au ministère ou lors de mes déplacements, je constate la volonté, la détermination et l’engagement de notre jeunesse.
    L’heure est au renforcement des dispositifs de soutien et d’accompagnement. Notre ambition et notre engagement, c’est de permettre à chaque jeune de se réaliser, pour disposer d’un salaire et non pas d’une allocation.
    Contrairement à ce que j’ai pu lire récemment, cela ne veut pas dire que nous ne souhaitons pas les soutenir financièrement. D’ailleurs, le plan « 1 jeune, 1 solution » et l’ensemble des aides exceptionnelles face à la crise le prouvent bien. Ce dont nous sommes persuadés, c’est qu’il est essentiel de ne pas séparer accompagnement et allocation.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Lisez notre proposition de loi !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Nous avons donc choisi une autre voie : celle de l’accompagnement et de l’insertion. Nous avons très largement ouvert la garantie jeunes : les critères pour en bénéficier sont assouplis, et 200 000 places sont proposées au total. Notre objectif est que chaque jeune puisse librement poursuivre son trajet vers l’emploi, sans en être empêché par des conditions de ressources. Nous visons une véritable équité devant l’insertion et la recherche d’emploi.
    Depuis cinq ans, l’emploi est notre fil rouge ; il doit le demeurer car, pour tous les jeunes, comme pour les personnes fragiles, l’emploi est la clef. Nous sommes à leurs côtés pour les soutenir sur ce chemin.
    Messieurs les rapporteurs, il n’y a pas d’un côté ceux qui sont conscients des difficultés de notre jeunesse et ceux qui se voilent la face. Il y a ceux qui pensent que l’emploi sera la clef et ceux qui promettent à notre jeunesse un minimum social comme seul horizon.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Quelle caricature ! C’est tellement grossier !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    C’est pour l’ensemble de ces raisons que le Gouvernement est favorable à cet amendement de suppression. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. le président

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    Compte tenu de l’importance de la proposition de loi, je vais donner la parole à plus de deux députés, mais j’appelle les orateurs à faire preuve de concision. Lors des journées de niches, quel que soit le groupe parlementaire concerné, nous devons veiller encore plus scrupuleusement que d’habitude à ne pas dépasser deux minutes par intervention si nous ne voulons pas perturber l’examen des textes mis à l’ordre du jour. Par ailleurs, je limiterai les prises de parole à un orateur par groupe, plus un non inscrit.
    La parole est à M. Stanislas Guerini.

    M. Stanislas Guerini

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    Vous faites un constat que l’on peut largement partager : celui des difficultés vécues par les jeunes. Comme vous, nous voyons les files d’attente devant les banques alimentaires ; comme vous, elles nous heurtent ; comme vous, nous rencontrons des jeunes qui ont perdu leurs jobs étudiants et cette situation ne nous laisse évidemment pas indifférents. Il faut saluer toutes les propositions sincères – et je pense que les vôtres le sont – destinées à y apporter une solution.
    Mais nous avons aussi des divergences, qu’il faut assumer. La première, c’est que nous refusons de penser cette génération comme une génération sacrifiée. Le Gouvernement, la majorité n’ont pas attendu pour agir, cela a été souligné. Des aides exceptionnelles ont été apportées aux jeunes.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Il a fallu beaucoup vous pousser !

    M. Stanislas Guerini

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    Et je le dis, madame la ministre déléguée : si la situation perdure, il faudra en prolonger l’application. Il y a eu l’aide alimentaire pour les jeunes – ces trois dernières semaines, 1,3 million de repas à 1 euro leur ont été distribués ; il y a le plan « 1 jeune, 1 solution » – au total 1 million de solutions de toutes natures ont été apportées – ; il y a les aides à l’embauche, l’extension de la garantie jeunes… Et malgré la crise, malgré les difficultés, des résultats ont été obtenus.
    Bien sûr, toutes les situations ne sont pas réglées, mais il faut citer les chiffres parce que, derrière, ce sont autant de jeunes capables de se projeter vers leur avenir : 600 000 jeunes sont entrés dans des parcours d’insertion, 500 000 contrats d’apprentissage ont été signés – un record historique, il faut le souligner. Plus d’1 million de jeunes ont pu trouver un emploi ces derniers mois ; là encore, c’est un résultat significatif.

    M. le président

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    Veuillez conclure.

    M. Stanislas Guerini

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    Malgré la crise, malgré les difficultés, nous n’avons pas perdu notre boussole, et c’est en cela que réside notre deuxième différence. Notre boussole, c’est celle de l’émancipation, c’est-à-dire celle de l’accompagnement, de la formation, du travail. Nous ne pouvons pas nous résoudre à créer des allocations sans condition, sans accompagnement ;…

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Quelle caricature ! Lisez le texte, bossez un peu !

    M. Stanislas Guerini

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    …le RSA vient dans ce débat comme si… (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

    M. le président

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    Merci, monsieur Guerini.
    La parole est à Mme Valérie Petit.

    Mme Valérie Petit

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    Je voudrais rappeler le sens que prend cet amendement de suppression à l’aune de deux informations. Tout d’abord, beaucoup de pays européens expérimentent le revenu universel ou s’apprêtent à le faire, comme nos voisins allemands par exemple, et une initiative a été lancée pour demander à la commission européenne d’y réfléchir.
    Ensuite, notre assemblée a voté, le 26 novembre dernier, ma proposition de résolution relative au lancement d’un débat public sur la création d’un mécanisme de revenu universel appelé socle citoyen. L’amendement de suppression ne me semble pas refléter cette volonté de débattre du revenu universel, une mesure qui répond pourtant, je le crois, à une attente forte de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
    Voilà pourquoi le groupe Agir ensemble votera contre cet amendement, en cohérence avec ses positions sur le sujet ; nous ferons ainsi partie de ceux qui, au sein de la majorité, auront pris leurs responsabilités face à la situation d’urgence que vit la jeunesse. S’il faut organiser un référendum d’initiative partagée pour en décider, nous le ferons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes AE et SOC. – Mme Albane Gaillot applaudit également.)

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Voilà !

    M. le président

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    La parole est à M. Fabien Di Filippo.

    M. Fabien Di Filippo

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    Monsieur le président, vous m’invitez à la concision. Je vais m’y tenir en faisant rapidement deux remarques. Nous assumons parfaitement notre opposition philosophique au revenu de base, mais je regrette de voir la proposition de nos collègues et amis socialistes caricaturée par le « en même temps » gouvernemental. Nous y sommes toutefois habitués puisque nous avons nous-mêmes eu à le subir depuis le début du quinquennat, dans un registre différent ; aujourd’hui, cela nous fait davantage sourire que vous.
    Je veux appeler votre attention sur deux éléments qui nous paraissent dramatiques.
    D’abord, le coût que générerait une telle mesure me semble avoir été abordé de manière beaucoup trop superficielle pour qu’une décision soit prise. Ce sont des dépenses structurelles à long terme…

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    De l’investissement !

    M. Fabien Di Filippo

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    …qui viendraient grever le budget de l’État, déjà endetté dans des proportions jamais vues, et je regrette d’ailleurs que le Gouvernement et Emmanuel Macron fassent croire que l’argent public soit la solution à tous les maux de la société ; cette dérive est préoccupante.
    Ensuite, je veux signaler au Gouvernement la réalité suivante, en écho à toutes les solutions qu’il évoque : ce sont votre politique, votre réforme de l’éducation nationale et vos choix de ces derniers mois qui ont fait tomber de plus en plus de jeunes dans la précarité, notamment ceux qui ont été envoyés dans les grandes villes pour faire des études supérieures dans des filières qui, en raison de l’afflux d’étudiants, deviennent des voies de garage, alors que les circuits de la filière professionnelle sont complètement délaissés et que de nombreux emplois ne sont pas pourvus. Y pourvoir permettrait aux jeunes concernés non seulement de trouver un travail rapidement mais aussi de s’épanouir et ensuite de devenir chefs d’entreprise. Vous devriez vraiment y réfléchir et travailler beaucoup plus rapidement sur de telles pistes.

    M. le président

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    La parole est à M. François Ruffin.

    M. François Ruffin

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    « Les résultats sont là ! » On ne cesse d’entendre ces mots dans les interventions de la majorité et du Gouvernement, qui s’en flattent. Mais dans quel monde vivez-vous ? Tous les soirs, des étudiants font la queue sur des centaines de mètres devant les Restos du cœur. Je m’y suis rendu : ce ne sont pas des personnes fragiles dont l’insertion serait compliquée ! S’y trouvent des gens qui sont en master de neurosciences, en école d’informatique ou qui font du droit. Voilà de qui on parle ! Mais manifestement, comme le dit ma collègue Émilie Cariou, vous connaissez mieux les banques que les banques alimentaires ! (Murmures sur les bancs du groupe LaREM.)

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Bien vu !

    M. Jacques Marilossian

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    Caricature !

    M. François Ruffin

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    Vous dites que le seul horizon que nous voulons offrir aux jeunes est le minimum social et que l’ambition que vous nourrissez pour vos enfants n’est pas qu’ils soient allocataires. Mais la vérité, madame la ministre déléguée, c’est que vos enfants, comme les miens, n’auront pas besoin de ça ! Ils auront votre aide ou ils auront la mienne. Tous les députés ici présents auront les moyens d’aider leurs enfants à financer leurs études puis à trouver le temps de choisir leur avenir. Nous aurons tous les moyens de le faire.
    Voilà la grande injustice, la grande inégalité : la majorité de la population de notre pays ne le peut pas. En moyenne, les 10 % les plus riches offrent 700 euros par mois à leurs enfants, tandis que les 10 % les plus pauvres ne peuvent leur donner que moins de 100 euros. En matière de solidarité familiale, chacun fait ce qu’il peut, mais il faut maintenant passer à une solidarité sociale et nationale.

    M. le président

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    Madame Cariou, monsieur Chiche, mettez-vous d’accord car seul un orateur non inscrit peut intervenir.
    La parole est à M. Guillaume Chiche.

    M. Guillaume Chiche

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    Merci, chère collègue Émilie Cariou.
    Certes, chers collègues, 7 milliards d’euros, ce n’est pas rien. Mais force est de constater que c’est insuffisant ! Je sais que vous êtes impliqués dans vos circonscriptions ; vous parlez avec les jeunes et avec leurs parents, et vous voyez que la situation est absolument dramatique pour ceux qui basculent dans la précarité, dans la pauvreté et qui ressentent un mal-être légitime face à l’absence de perspectives et à l’impossibilité de travailler.
    Madame la ministre déléguée, l’enjeu pour ces jeunes n’est pas de retrouver le chemin de l’emploi, c’est tout simplement de trouver un travail !  Ah ! » sur les bancs du groupe SOC.) Or il n’y en a pas. Demain, lorsque nous sortirons de la crise, nous savons que des emplois seront détruits et que ces jeunes ne seront employés nulle part.
    L’objectif de cette proposition de loi, qui n’est pas proposée de gaieté de cœur, ce n’est pas d’installer une partie de la population dans l’« assistanat » mais bien de parer à la misère. Quand on devient pauvre, quand on ne sait pas comment se nourrir le soir ni comment payer ses factures ou son loyer, on n’a pas le temps de se former et de trouver un emploi : on doit aller à l’essentiel. Les étudiants que nous voyons faire la queue dans les banques alimentaires n’ont pas le temps de se consacrer à leur formation et de se projeter dans l’avenir ! Ils essaient simplement de trouver de quoi manger.
    Je crois donc que cette proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés répond à l’urgence de la situation ; je la soutiendrai en votant contre ces amendements de suppression. Ce que fait la majorité, ce n’est pas rien, mais ce n’est pas suffisant pour préserver notre jeunesse qui est l’avenir de notre société. Nous devons lui donner des bases solides. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Émilie Cariou et M. Hubert Julien-Laferrière applaudissent également.)

    M. le président

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    La parole est à M. Olivier Faure.

    M. Olivier Faure

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    Madame la ministre déléguée, je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention et j’espère sincèrement que vous ne croyez pas ce que vous avez lu.

    M. Cyrille Isaac-Sibille

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    Oh ! On ne dit pas des choses comme ça !

    M. Jacques Marilossian

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    C’est nul !

    M. Olivier Faure

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    Vous m’avez vraiment surpris, d’abord parce que vous avez utilisé un argument que tout le monde pourrait utiliser : vous nous dites vouloir offrir aux jeunes de notre pays une autre perspective, celle de l’emploi. Mais pensez-vous vraiment que nous voulons leur proposer d’être allocataires du RSA toute leur vie et que ce soit le seul horizon, le seul avenir que nous souhaitions leur offrir ? Comment pouvez-vous penser un seul instant que quiconque parmi nous ait ce projet ?
    C’est malheureusement l’argument qui a été utilisé de tout temps par toutes celles et ceux qui se sont opposés aux minima, par exemple au revenu minimum d’insertion, et qui ont toujours vu dans ces allocations de subsistance une forme d’encouragement à l’oisiveté et à l’assistanat. Ces arguments, nous les connaissons par cœur et ils ont pendant trop longtemps laissé trop de gens dans la détresse ! Vraiment, trouvez-en d’autres !
    Au fond, nous savons très bien ce que vous pensez. M. Guerini, qui vient de s’exprimer,…

    M. Fabien Di Filippo

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    Un ancien camarade socialiste !

    M. Olivier Faure

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    …nous dit qu’il voit comme nous les gens tomber dans la pauvreté. Mais que propose La République en marche ? Un emprunt de 10 000 euros pour les jeunes qui veulent un avenir ! Ce sont donc bien deux philosophies, deux projets opposés qui s’affrontent. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Plutôt que d’endetter les jeunes du pays, nous voulons leur donner accès à un revenu de subsistance afin que la solidarité nationale s’exerce à leur endroit, car c’est nous qui avons une dette envers eux.
    Si, considérant qu’elle allait trop loin, vous aviez voulu amender notre proposition, vous auriez pu le faire : vous auriez pu déposer un amendement visant à éviter que l’aide proposée par le groupe Socialistes et apparentés soit rendue pérenne (Exclamations et claquements de pupitre sur plusieurs bancs du groupe LaREM), mais vous montrer tout de même prêts à l’expérimenter pendant la durée de la crise sanitaire. Voilà ce que nous attendions de vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)

    M. le président

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    Je vois de nombreux députés demander la parole, notamment au sein du groupe majoritaire. Je l’ai donnée à M. Guerini et un seul orateur par groupe est autorisé à intervenir. Ne demandez pas à multiplier les interventions alors que vous avez vous-mêmes voté le règlement sur lequel je me fonde.  Eh oui ! »sur les bancs du groupe SOC.)
    Je mets aux voix l’amendement de suppression no 29.

    (Il est procédé au scrutin.)

    M. le président

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        133
            Nombre de suffrages exprimés                126
            Majorité absolue                        64
                    Pour l’adoption                72
                    Contre                54

    (L’amendement no 29 est adopté ; en conséquence, l’article premier est supprimé et les amendements nos 16, 2, 3, 4 et 5 deviennent sans objet.)

    M. Alain David

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    Quelle honte !

    Plusieurs députés du groupe SOC

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    Vous n’applaudissez pas ?

    Après l’article premier

    M. le président

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    Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 11 et 24.
    Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    La parole est à Mme Paula Forteza, pour soutenir l’amendement no 11.

    Mme Paula Forteza

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    Identique à celui qui a été déposé par les rapporteurs, il vise à étendre l’accès au RSA des jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans. C’est une mesure de bon sens…

    M. Fabien Di Filippo

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    Non, ce n’est pas du bon sens, c’est un choix philosophique !

    Mme Paula Forteza

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    …qui nous est désespérément demandée par la jeunesse elle-même. Penser qu’une allocation de subsistance risque de pousser la jeunesse à devenir fainéante et à abandonner ses projets de formation, de développement personnel et de recherche d’emploi, c’est ne pas lui faire confiance. On peut ne pas être d’accord avec le reste de la proposition, mais étendre l’accès au RSA est la moindre des choses que nous puissions faire pour une jeunesse qui souffre et pour qui un refus serait incompréhensible. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Albane Gaillot applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à M. Hervé Saulignac, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 24.

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Il est identique à celui présenté par Mme Forteza mais je le défendrai à mon tour. Je voudrais d’abord expliquer ce qui à l’évidence nous sépare et ainsi répondre à Mme la ministre déléguée et à M. Guerini : d’après ce que vous disiez tout à l’heure, le chemin de l’émancipation passe par l’accès à un emploi rémunéré. Très bien ! C’est le rêve de tout gouvernement, mais il ne vous a pas échappé que depuis quelques décennies, aucun n’y parvient.
    Je vous rappelle que le travail est un droit, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 ; dès lors que nous ne sommes pas capables d’en assurer l’exercice, nous avons un devoir. Quel est-il ? Nous devons faire en sorte que ceux qui ne disposent pas d’un travail, ceux pour lesquels nous n’avons pas pu satisfaire ce droit, puissent vivre dans la dignité.

    M. Alain David

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    Exactement.

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Nous avons donc un devoir qui nous oblige, celui de répondre à celles et ceux qui n’ont pas de travail rémunéré leur permettant de vivre dignement. C’est la proposition que nous vous faisons.
    Cet amendement nous invite à considérer l’urgence qu’il y a à agir et nous pourrions l’appeler « amendement d’assistance à jeunesse en danger » – ce ne serait pas totalement usurpé. Il vise à ouvrir, de manière temporaire – j’insiste sur ce point car en commission, beaucoup ont fait comme s’ils n’avaient pas entendu ce qui n’est pourtant pas un détail –, le temps de la crise, le droit au RSA dès dix-huit ans, y compris bien entendu pour les étudiants.
    Je ne reviendrai pas sur les chiffres évoqués ici par les différents orateurs, mais je rappellerai simplement que 600 000 jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans sont au chômage en France : c’est le plus fort contingent en Europe.

    Mme Monique Iborra

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    C’était déjà le cas avant la crise sanitaire !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Si cela ne vous interpelle pas, qu’est-ce qui le fera ? Oui, nous considérons que le temps presse parce que le RUA est devenu un mythe et parce que la garantie jeunes, en plus d’avoir une durée limitée d’application, n’est pas à la hauteur des moyens qu’il faudrait fournir – elle est très faible et vous dites qu’elle peut aller jusqu’à 500 euros, mais très rares sont ceux qui reçoivent un tel montant.
    À l’instant où je vous parle, des centaines de milliers de jeunes gens ne peuvent plus attendre : nous faisons face à une injonction à agir et le présent amendement vise à y répondre. En effet, nous croyons que celles et ceux qui ont été poussés dans la précarité par la pandémie, par cette crise sanitaire devenue crise sociale, seront irrémédiablement marqués. Et quelle sera leur réaction, quand ils comprendront qu’ils ont eu à affronter la pire crise depuis 1945 sans que les pouvoirs publics aient été à la hauteur de leurs souffrances ? Je vous interroge et je n’ai pas la réponse à cette question, mais chacun d’entre nous doit se la poser en conscience.
    La jeunesse demeure exclue du premier mécanisme de solidarité en France. Tout au long de notre vie, nous pouvons avoir accès à une prestation : le RSA, le chômage, la retraite ou, quand on ne touche pas de pension ou que son montant est trop faible, l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ancien minimum vieillesse. Il n’y a qu’une seule période de la vie d’adulte pour laquelle rien n’est prévu, celle qui précède l’âge de 25 ans. Au nom de quoi devrions-nous laisser perdurer une telle lacune, cette tache dans nos dispositifs sociaux ?
    Aucun d’entre nous ici n’aura à se demander comment il va financer les études de ses enfants. Aucun ! (M. Guillaume Chiche et M. François Ruffin applaudissent.) Nous sommes la représentation nationale, mes chers collègues, mais nous ne sommes pas tout à fait la France. Attention au message que, depuis l’Assemblée nationale, nous envoyons à 70 % des Français qui considèrent qu’il est urgent de tendre les bras à la jeunesse de ce pays.
    Nous n’aurons pas d’autres occasions d’agir. J’espère que le caractère temporaire – j’y insiste – de la mesure proposée devrait vous conduire à adopter ces amendements. Le statu quo, nous en sommes convaincus au sein du groupe Socialistes et apparentés, serait délétère. Cet amendement propose une réponse massive, immédiate, efficace. Il vous appartient de décider de l’adopter ou non. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Monsieur le député Faure, vous me demandez de faire valoir d’autres arguments, ce qui peut se retourner contre vous. Nous n’avons jamais parlé d’assistanat ni affirmé que nous ne voulions pas soutenir les jeunes. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SOC.) Nous avons engagé un plan exceptionnel de 7 milliards d’euros dont vous ne dites rien.
    Rappelons qu’en janvier 2020, le taux de chômage était inférieur à 8 %,…

    Un député du groupe SOC

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    Pas chez les jeunes !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …un niveau inédit, atteint grâce aux mesures gouvernementales. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. Bruno Millienne

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    Absolument !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Les amendements proposent d’étendre l’accès au RSA à toute personne âgée d’au moins dix-huit ans, à compter du 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2023. Actuellement, le RSA est ouvert à toute personne de plus de 25 ans sous condition de ressources ainsi qu’aux jeunes de moins de 25 ans actifs sans emploi ayant travaillé deux ans à temps plein ou ayant un enfant né ou à naître.
    Pourquoi le RSA n’est-il pas largement ouvert aux jeunes de moins de vingt-cinq ans ? Parce qu’il y a des risques d’enfermement évidents et de stigmatisation dès lors qu’un accompagnement adapté n’a pas été mis en place.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Ah bon ? Sur quelle étude vous fondez-vous ? Sur quelle comparaison internationale ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Cela ne veut pas dire, bien au contraire, que les jeunes n’ont accès à aucun dispositif. Ils ont accès à la prime d’activité, ouverte à tous les travailleurs majeurs sans condition, dont le montant a été très fortement augmenté en 2019. Ils ont accès à la garantie jeunes, destinée à ceux qui sont âgés de 16 à 25 ans et qui doivent être fortement accompagnés pour accéder à l’autonomie. En raison de l’assouplissement des critères, le nombre de places va doubler cette année pour atteindre 200 000.
    Messieurs les rapporteurs, ne vous y trompez pas : nous sommes conscients des conséquences de la crise sur les jeunes, en particulier sur les étudiants qui ont souvent besoin de travailler pour financer leurs études.

    M. Olivier Faure

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    Il n’y a pas que les étudiants !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Ces conséquences et ces difficultés, nous y sommes confrontés chaque jour. Nous avons pris un ensemble de mesures cohérentes pour répondre à cette urgence.
    Citons-en quelques-unes : les aides exceptionnelles de solidarité pour les jeunes bénéficiant de l’aide personnalisée au logement, les étudiants boursiers et les jeunes ultramarins étudiant en France ; les repas à 1 euro dans les restaurants universitaires ; un soutien financier à l’accompagnement de jeunes par Pôle emploi et l’APEC ; l’élargissement et la revalorisation de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle ; le doublement du plafond de l’allocation PACEA ;…

    M. Olivier Faure

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    Tout va bien, quoi !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …l’aide à l’installation de 1 000 euros, annoncée par Emmanuel Wagon ; le maintien des bourses à hauteur de 70 % pour les diplômés qui ne trouvent pas d’emploi.

    M. Olivier Faure

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    Mais de quoi se plaignent-ils ?

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    Rappelons que nous avons aussi revalorisé les bourses à hauteur de 64 millions d’euros pour l’année universitaire 2020-2021, comme nous l’avions fait pour l’année précédente. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.)
    Toutes ces mesures exceptionnelles s’ajoutent au plan « 1 jeune, 1 solution » qui vise à accompagner tous les jeunes vers l’emploi et à inciter les entreprises à les embaucher en cette période qui, en effet, est particulièrement compliquée.
    À cela s’ajoutent toutes les réformes d’ampleur que nous avons conduites depuis 2017 afin de faciliter l’insertion des jeunes et les soutenir dans leur trajectoire vers l’emploi.
    Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour soutenir notre jeunesse…

    M. Fabien Di Filippo

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    Je crois que vous l’avez déjà dit six fois !

    Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

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    …mais nous considérons que ce n’est pas en permettant aux jeunes de 18 à 25 ans d’avoir accès au RSA que vous lutterez efficacement contre la pauvreté des jeunes. C’est en créant les conditions d’une meilleure insertion sociale et professionnelle que nous allons atteindre de cet objectif. Nous avons ainsi engagé une réforme en profondeur des politiques d’insertion, en visant un objectif majeur : la création d’un véritable service public de l’insertion et de l’emploi, dont l’État serait le garant.
    Favoriser une meilleure insertion et un meilleur accès à la garantie jeunes : voilà la réponse immédiate à la crise. Nous travaillons à la mise en place d’une ambition nouvelle et universelle : plus aucun de nos jeunes inscrits dans un parcours d’accompagnement vers l’emploi ne doit être contraint d’y renoncer pour des raisons financières. Tous nos jeunes doivent être accompagnés jusqu’à ce qu’ils réussissent à s’insérer sur le marché du travail et, s’ils rencontrent des difficultés financières, ils percevront une allocation. Pour servir cette ambition, une équipe projet va être mise en place dans les tout prochains jours.
    Pour toutes ces raisons, mesdames et messieurs les députés, je suis défavorable à ces amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)

    M. le président

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    Mes chers collègues, je vais vous donner la parole en suivant l’ordre selon lequel vous avez levé la main, c’est-à-dire que nous commençons par Mme Sandrine Mörch. Je suis persuadé que vous faites l’unanimité au sein de votre groupe, madame Mörch, si bien que les autres députés de La République en marche, qui ont demandé la parole, auront plaisir à vous entendre.

    Mme Monique Iborra

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    Je la cède volontiers à ma collègue avec laquelle je suis d’accord !

    M. le président

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    Mme Mörch a levé la main avant vous, madame Iborra.

    Mme Sandrine Mörch

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    Puisque nous sommes d’accord, autant le dire.

    M. le président

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    J’en suis surpris et heureux.

    Mme Sandrine Mörch

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    Nous sommes d’accord, mais pas forcément sur le contenu.
    Comme cela a été évoqué à plusieurs reprises, Marie-George Buffet et moi-même avons auditionné de très nombreux jeunes de tout milieu durant les travaux de commission d’enquête visant à mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, dont j’étais présidente.
    Aux cours des quelque quatre-vingts heures d’audition des principaux intéressés, nous étions au cœur du sujet – j’étais d’ailleurs souvent à l’unisson avec Marie-George Buffet, la rapporteure. Nous avons constaté un écart entre la parole des jeunes, recueillie à la source, et celle des adultes (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit), ceux-ci n’ayant pas toujours une interprétation exacte des aspirations profondes, très diverses, des jeunes.
    Profitant de la tribune que nous leur offrions, les jeunes ont réclamé avec force d’être enfin écoutés, entendus et conviés à participer à l’élaboration des politiques publiques qui les concernent. Quand leur avenir est en débat, ils veulent être proactifs.
    Si nos jeunes souffrent évidemment de la crise, ils ne sont pas pour autant résignés. Ce n’est pas leur rendre service de leur inculquer l’idée qu’ils formeraient une génération sinistrée, attendant la becquée. Dans leur majorité, les jeunes croient d’ailleurs en leur avenir, malgré les épreuves et les obstacles qui jonchent leur parcours cette année. Ils croient en leurs capacités de rebond – et heureusement !
    En fait, cette crise sert de révélateur. Nous ne sortons pas d’un an, mais de décennies de politiques trop sourdes à la jeunesse et, chers collègues, aucun d’entre nous ne peut échapper à sa propre responsabilité. La pandémie a révélé la grande pauvreté qui se répand chez les jeunes non pas depuis un an, mais depuis vingt ans : il y a des années que le taux de chômage des jeunes Français est le plus élevé d’Europe.

    M. Fabien Di Filippo

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    Ce n’est pas un problème de pauvreté, c’est un problème d’insertion professionnelle !

    Mme Sandrine Mörch

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    Après avoir été un révélateur, cette crise est devenue un stimulateur – et c’est tant mieux ! Le Gouvernement a pris des mesures d’une ampleur exceptionnelle pour favoriser l’insertion professionnelle des jeunes dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », l’un de ses volets importants résidant dans le soutien apporté à l’alternance. L’année 2020 est historique sur le plan des entrées en apprentissage : 440 000 contrats avaient été signés début décembre.
    À quoi sert-il que nous adoptions des dispositifs d’aide aux plus fragiles si les jeunes n’y ont pas recours ?

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    C’est plein de contradictions !

    M. Fabien Di Filippo

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    C’était une camarade avant !

    Mme Sandrine Mörch

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    Attaquons-nous au non-recours des jeunes, qui est abyssal.

    M. le président

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    Il faut conclure, madame Mörch.

    Mme Sandrine Mörch

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    J’en termine, monsieur le président. Au cours de cette commission d’enquête, Marie-George Buffet et moi-même avons entendu les jeunes demander, en plus d’une aide financière, un accompagnement vers l’emploi qui puisse les aider…

    M. le président

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    Merci, madame Mörch.
    La parole est à M. François Ruffin.

    M. François Ruffin

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    La majorité pénale est à dix-huit ans, âge à partir duquel on peut aller en prison.

    M. Fabien Di Filippo

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    Il faudrait la baisser, la majorité pénale !

    M. François Ruffin

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    La majorité politique est à dix-huit ans, âge à partir duquel on peut voter. Pourquoi la majorité sociale serait-elle repoussée à vingt-cinq ans ? Expliquez-nous longuement pourquoi il devrait en être ainsi.
    Je suis de ceux qui prennent au sérieux la dernière lettre du sigle RSA, qui renvoie à l’activité comprise au sens large du terme, c’est-à-dire englobant les études, la formation et le travail. Alors que l’idée de « génération à laquelle on donne la becquée » revient comme une antienne, je le répète : quand nous aidons nos propres enfants – les miens sont encore un peu jeunes – nous ne disons pas que nous leur donnons la becquée ! Ces termes dévalorisants que sont « assistanat », « becquée » ou autres sont toujours réservés aux mêmes !
    Les mesures dont nous discutons visent seulement à garantir des ressources plancher pour permettre aux gens de décoller, d’avoir un minimum d’assurance dans l’existence. Parmi les mesures qui seraient cohérentes, on nous cite le repas à 1 euro dans les restaurants universitaires. Tant mieux si ces repas existent mais, pour le coup, c’est vraiment donner la becquée à des étudiants qui doivent faire trois heures de queue pour une portion congrue.
    Puisque nous en sommes à la cohérence, madame la ministre déléguée, je vous signale que les étudiants fréquentent plutôt les distributions de colis comme celle où je suis allé mardi dernier. Pourquoi ne vont-ils pas au restaurant universitaire ? Parce qu’on les oblige à suivre leurs cours à distance, loin de leur lieu d’études, et qu’ils ne vont pas revenir seulement pour prendre un repas.
    Ce repas à 1 euro, dont vous faites la promotion, est une mesure incohérente : les étudiants, qui ne peuvent plus se rendre dans les locaux de leur université, ne vont pas passer des heures dans les transports pour aller manger le midi. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Sylvia Pinel.

    Mme Sylvia Pinel

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    Le groupe Liberté et territoires soutiendra ces amendements. Je le répète, la situation de nos jeunes est préoccupante et il est temps de combler les lacunes de nos politiques sociales en leur faveur.
    Combien de jeunes n’ont plus de bourse ni d’emploi, mais n’ont pas droit aux allocations-chômage parce qu’ils n’ont pas travaillé assez longtemps ?

    M. Fabien Di Filippo

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    C’est la même chose pour ceux qui ne sont pas jeunes !

    Mme Sylvia Pinel

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    Ils n’ont pas forcément la chance de bénéficier de la solidarité familiale grâce à des parents qui peuvent les accompagner et les aider. C’est la raison pour laquelle, depuis plusieurs mois, mon groupe propose l’ouverture du RSA aux jeunes, au moins de manière temporaire.
    Comme cela a été dit sur tous les bancs, la crise a mis en lumière ces files de jeunes qui attendent dans les banques alimentaires. Puisqu’il nous est impossible de faire comme si cela n’existait pas, nous pouvons au moins adopter la disposition proposée !
    Notre collègue Mörch a regretté le non-recours massif des jeunes aux dispositifs d’aide. Dans ce cas, pourquoi avez-vous supprimé l’article 1er qui permettait l’automaticité ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.) S’il est vrai que le non-recours aux aides est un problème dans notre pays, faites preuve d’un peu de cohérence. Pour ma part, je regrette que l’on esquive le débat par des amendements de suppression quand il s’agit d’un sujet de société très grave, des inquiétudes et des angoisses de notre jeunesse dont nous avons tous des témoignages très émouvants.
    Saisissons l’opportunité qui nous est fournie par le travail sérieux effectué par le groupe Socialistes et apparentés et nos rapporteurs, ne fuyons pas nos obligations. En d’autres temps, nous aurions peut-être nous-mêmes aimé bénéficier de la solidarité nationale pour sortir la tête de l’eau. Il ne s’agit pas d’assistanat, ce qui, en effet, ne serait pas un horizon. Nous voulons vraiment une émancipation… (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Guillaume Chiche et M. Adrien Quatennens applaudissent également.)

    M. le président

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    Merci, madame la députée.
    La parole est à Mme Émilie Cariou.

    Mme Émilie Cariou

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    À l’évidence, madame la ministre déléguée, vous ne connaissez pas l’application de vos dispositifs et, surtout, vous n’en connaissez pas les effets.
    Commençons par la prime d’activité – je connais très bien ce dispositif que nous avions largement encouragé en accroissant les montants en jeu lors de l’adoption de la loi de finances, il y a deux ans. Cette prime s’adressant à des gens qui ont déjà un emploi et un salaire, elle se situe totalement hors de notre problématique du jour.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Eh oui !

    Mme Émilie Cariou

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    La même observation vaut pour le soutien au chômage partiel. L’État aide les entreprises à garder leurs salariés pendant la crise sanitaire en remboursant une partie des salaires. Il ne s’agit, en aucun cas, d’une aide aux personnes qui sont en recherche d’emploi. Là encore, madame la ministre déléguée, vous êtes totalement hors sujet.
    Rappelons que toutes les personnes qui étaient en contrat à durée déterminée ou en contrat à durée déterminée d’usage – CDD et CDDU – ont perdu leur emploi et n’ont aucune solution de rechange. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR ainsi que parmi les députés non inscrits.) Cela représente des dizaines de milliers de personnes, notamment beaucoup de jeunes.
    La garantie jeunes profite à une partie des jeunes, mais en aucun cas aux étudiants en situation de décrochage. Or depuis le début de la crise, Mme Frédérique Vidal ne leur propose que ce seul dispositif, faisant preuve d’une méconnaissance totale et d’une vision étrange de notre jeunesse étudiante qui n’a pas les moyens de survivre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et FI.)

    M. Fabien Di Filippo

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    Mme Vidal est occupée actuellement ! Elle chasse les islamo-gauchistes. Il faut bien que quelqu’un s’en charge !

    Mme Émilie Cariou

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    Je rappelle qu’un étudiant sur deux doit travailler pour vivre et qu’un sur six vit uniquement de son travail. M. le rapporteur Vallaud a évoqué les banques alimentaires, mais comme l’a dit M. Ruffin, vous ne connaissez pas assez les banques alimentaires et peut-être un peu trop le secteur bancaire, puisque vous proposez des prêts aux étudiants au lieu de les aider. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.) Depuis trois mois, je rencontre toutes les semaines des associations étudiantes qui font de la distribution alimentaire ; sans soutien de la part des universités, elles en sont réduites à le faire sur des parkings, sous la pluie, dans le froid. Voilà la réalité de la jeunesse française aujourd’hui ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR et FI ainsi que parmi les députés non inscrits.)

    M. le président

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    La parole est à M. Philippe Naillet.

    M. Philippe Naillet

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    Nous voterons bien sûr ces amendements de compromis républicain et je ne doute pas que la majorité fera de même. Elle a expliqué tout à l’heure qu’elle ne pouvait pas voter un dispositif pérenne, mais il s’agit ici d’une mesure d’accompagnement le temps de la crise.
    Madame la ministre déléguée, j’appelle votre attention sur la situation de la jeunesse réunionnaise. Ma collègue Karine Lebon et moi-même avons la chance d’habiter un territoire où les moins de 25 ans représentent 21 % de la population, soit un peu plus de 170 000 personnes. Mais cette jeunesse est en grande difficulté : dans cinq des vingt-quatre communes de La Réunion, le taux de pauvreté des plus jeunes frise les 60 % ; 40 % des jeunes de 18 ans sont déscolarisés ; 27 % des jeunes n’ont ni formation ni qualification ; près de 40 % d’entre eux ne sont ni en emploi ni en formation. Or chacun ici comprend que sans formation qualifiante, l’emploi s’éloigne.
    Je voudrais que vous soyez consciente de la situation à La Réunion. Le soleil ne remplace pas tout et l’île connaît aujourd’hui une grande détresse, qui se traduit malheureusement par un chiffre qui devrait tous nous interpeller : la deuxième cause de mortalité des moins de 25 ans, après les accidents de la route, c’est le suicide. Voilà la situation de la jeunesse réunionnaise ! Je regrette que la proposition du groupe Socialistes et apparentés ait été rejetée car ces jeunes vivent chez des parents qui sont eux-mêmes en difficulté – comme vous le savez, je l’espère, 40 % de la population réunionnaise est sous le seuil de pauvreté.

    M. le président

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    Veuillez conclure.

    M. Philippe Naillet

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    Il faut donner des perspectives à la jeunesse réunionnaise, c’est une priorité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Agnès Thill.

    Mme Agnès Thill

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    Ce débat est très utile. Vous touchez à un problème beaucoup plus vaste et plus profond qu’il n’y paraît, mais vous le prenez à l’envers.  Ah ! »sur les bancs du groupe SOC.) Le problème tient à l’éducation dispensée par la société, les familles et l’école. Souvenons-nous de la manière dont le monde fonctionnait auparavant ! Depuis des décennies, voire depuis 1968, on a construit une société individualiste du « moi d’abord », du plaisir, du zéro contrainte, abandonnant complètement la culture du travail et de l’effort (Exclamations sur les bancs des groupes SOC et FI et parmi les députés non inscrits), le culte de la persévérance opiniâtre qui transforme les échecs en réussites, la recherche obstinée du meilleur de soi-même.
    Or la continuité du vivant – c’est un fait scientifique – n’implique pas une reproduction fidèle à chaque génération, mais des changements qui garantissent l’adaptation. C’est aux vivants de s’adapter au monde et non au monde de s’adapter aux vivants. La disposition que vous proposez va complètement à rebours de cette loi.

    M. Joël Aviragnet

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    Bref, c’est la faute à la nature !

    Mme Agnès Thill

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    Nous avons construit cette société-là et vous semblez aujourd’hui le regretter, mais votre solution n’offre pas aux jeunes la garantie d’un tremplin vers la vie active.

    M. le président

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    La parole est à Mme Michèle de Vaucouleurs.

    Mme Michèle de Vaucouleurs

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    Ces amendements font honneur à l’Assemblée. Il faut bien sûr prendre en compte la situation de crise dans laquelle se trouvent les jeunes, mais cette préoccupation est partagée par les élus de tous les groupes, pas uniquement le vôtre. Nous aussi faisons honneur à cette mission, à notre façon, à travers les mesures que nous introduisons et l’action du Gouvernement.
    Mme la ministre déléguée a rappelé tous les dispositifs que nous avons déployés. Au départ, il y avait de nombreuses lacunes, mais nous avons inlassablement fait remonter au Gouvernement toutes les situations qui n’étaient pas couvertes. Aujourd’hui, nous offrons une solution cohérente : avec la garantie jeunes, on va toucher des jeunes sans emploi pris dans des parcours d’insertion, des demandeurs d’emploi qui ne sont pas indemnisés,…

    M. Olivier Faure

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    On veut aider les étudiants !

    Mme Michèle de Vaucouleurs

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    …mais aussi des étudiants ; bref, tous les jeunes qui ont besoin de soutien. La réponse a tardé à s’organiser, mais désormais elle est là.
    Par ailleurs, si votre proposition règle la question matérielle, elle ne prend pas en compte la dimension psychologique, pourtant essentielle en matière d’impact de la crise du covid sur les jeunes.
    Nous ne voterons pas ces amendements  Oh ! sur les bancs du groupe SOC),…

    Mme Laurence Dumont

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    Quelle surprise !

    Mme Michèle de Vaucouleurs

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    …car nous offrons aujourd’hui des réponses à la hauteur de la situation. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)

    M. Olivier Faure

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    Tout va bien alors !

    M. le président

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    La parole est à Mme Valérie Petit.

    Mme Valérie Petit

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    En théorie, je ne suis pas favorable à une extension du RSA aux moins de 25 ans. Le groupe Agir ensemble proposait d’expérimenter sur la jeunesse le « socle citoyen », un dispositif qui répond aux mêmes objectifs tout en étant meilleur sur le plan du financement. Mais un amendement de suppression du groupe La République en marche nous a empêchés de présenter cette proposition. C’est très dommage ! Par conséquent, même si le mode de financement que suggèrent les amendements nos 11 et 24 n’est pas celui que nous souhaitons pour aller vers le revenu universel, certains d’entre nous seront favorables à ce dispositif borné dans le temps. (Applaudissements sur les bancs des groupes LT et GDR ainsi que parmi les députés non inscrits.)

    M. le président

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    Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 et 24.

    (Il est procédé au scrutin.)

    M. le président

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        142
            Nombre de suffrages exprimés                133
            Majorité absolue                        67
                    Pour l’adoption                50
                    Contre                83

    (Les amendements identiques nos 11 et 24 ne sont pas adoptés.)

    M. Jean-Paul Dufrègne

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    Sans cœur !

    Rappels au règlement

    M. le président

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    La parole est à M. Boris Vallaud, rapporteur, pour un rappel au règlement.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Je m’appuie sur l’article 84, alinéa 2 du règlement, relatif aux débats sur les projets et propositions de loi.
    Voilà où nous en sommes ! Nous avions proposé un amendement de compromis républicain : une expérimentation de courte durée pour venir au secours d’une jeunesse qui se noie. Vous avez fait beaucoup, mais vous n’avez pas fait assez. Nous proposions de nous montrer capables, ensemble, d’un des grands moments de vérité de notre histoire.

    Plusieurs députés du groupe LaREM

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    Ce n’est pas un rappel au règlement !

    Mme Laurence Dumont

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    Ça vient !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Les murs de cet hémicycle résonnent de débats âpres, mais ils sont aussi témoins de progrès. Parfois, quand il y va de l’intérêt général, les républicains parviennent à s’entendre. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

    M. Cyrille Isaac-Sibille

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    Ce n’est pas un rappel au règlement !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Aussi, je voudrais dire à tous les jeunes qui espéraient en ce moment démocratique que c’est le cœur serré et révolté que je retire ce texte et en cède le temps de débat aux autres propositions du groupe Socialistes et apparentés. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et Dem. – Les députés des groupes SOC, Agir ens, FI, LT et GDR se lèvent et applaudissent.)

    M. Bruno Millienne

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    En quoi était-ce un rappel au règlement ?

    M. Fabien Di Filippo

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    Quel coup de théâtre !

    M. le président

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    La parole est à M. Cyrille Isaac-Sibille. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)

    M. Cyrille Isaac-Sibille

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    Ce matin, nous avons eu un débat et des échanges riches. Nous partagions les mêmes constats sans partager la même vision. Monsieur Vallaud, vous faites de ce problème un sujet politique (Vives protestations sur les bancs du groupe SOC), et on ne peut que le regretter.

    M. le président

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    Mes chers collègues, veuillez écouter les orateurs ! Monsieur Isaac-Sibille, je regrette que vous n’ayez pas pu vous exprimer dans le silence et je vous remercie pour votre élégance.
    La parole est à Mme Monique Iborra.  Ah non ! » sur les bancs du groupe SOC.)

    Mme Monique Iborra

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    Je demande également la parole pour un rappel au règlement.

    Plusieurs députés du groupe SOC

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    Sur le fondement de quel article ?

    Mme Monique Iborra

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    L’article 55.
    Nous sommes surpris de l’argument que vous avancez pour retirer votre proposition de loi. Ne le faites-vous pas plutôt parce que vous aviez soumis à l’examen quelque douze textes (Protestations sur les bancs du groupe SOC)

    M. Dominique Potier

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    Ce n’est pas un rappel au règlement !

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Respectez le débat du Parlement !

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Nous ne disposons que d’une seule journée par an !

    Mme Monique Iborra

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    …et que vous vous rendez compte que vous ne pourrez jamais les examiner ? (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) Je vous trouve peu respectueux…

    M. le président

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    Chers collègues, voyez le résultat : personne ne s’entend !
    Mme Iborra a la parole, elle va conclure.

    Mme Monique Iborra

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    Non, je ne conclus pas tout de suite, monsieur le président !
    Monsieur Vallaud, je vous trouve peu respectueux de l’Assemblée et des jeunes auxquels vous vous adressez, par intérêt personnel. Ce que vous faites n’est pas normal.

    M. Boris Vallaud, rapporteur

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    Respectez l’opposition !

    Mme Monique Iborra

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    Avez-vous peur qu’on découvre que votre proposition de loi ne reposait sur rien de sérieux ? En tout cas, nous en regrettons le retrait. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SOC.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Valérie Rabault, pour un rappel au règlement.

    Mme Valérie Rabault

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    Je souhaite faire un rappel au règlement sur le fondement de l’article 48 relatif à l’organisation des niches parlementaires.
    Je voudrais aussi répondre à Mme Iborra et à sa mauvaise foi  Oh ! » sur les bancs du groupe LaREM) – surtout à sa mauvaise foi. Chaque groupe, madame, est libre d’inscrire à l’ordre du jour les textes qu’il souhaite : tel est le règlement de notre assemblée, qu’il vous convienne ou non.

    M. Dominique Potier

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    Bien sûr ! Laissez-nous au moins cela !

    Mme Valérie Rabault

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    Nous n’avons jamais inscrit douze textes en séance. (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    M. Bruno Millienne

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    Onze !

    Mme Valérie Rabault

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    Nous en avons inscrit quatre ; d’autres textes ont été débattus en commission. Nous avons la liberté d’organiser l’agencement des textes comme bon nous semble, que cela vous plaise ou non.
    Vous utilisez des arguments fallacieux.

    M. Hervé Saulignac, rapporteur

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    Nous ne disposons que d’un jour par an !

    Mme Valérie Rabault

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    Vous avez fait annuler plusieurs amendements déposés sur le texte que nous venons de débattre ; vous avez refusé deux amendements de compromis, défendus à la fois par les rapporteurs et Mme Paula Forteza. Nous n’allons pas faire de l’obstruction. Nous voyons bien que vous ne voulez rien faire pour la jeunesse. (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.) Nous en prenons acte et nous passons au texte suivant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.)

    M. le président

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    Chers collègues, j’ai pris acte du retrait de la proposition de loi par son auteur, M. Boris Vallaud, en application de l’article 84 du règlement. En conséquence, il n’y a pas lieu de poursuivre la discussion.

    Suspension et reprise de la séance

    M. le président

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à douze heures, est reprise à douze heures cinq.)

    M. le président

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    La séance est reprise.

    2. Protection des mineurs
    victimes de violences sexuelles

    Discussion d’une proposition de loi

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Isabelle Santiago et plusieurs de ses collègues renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles (nos 3721, 3878).

    Présentation

    M. le président

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    La parole est à Mme Isabelle Santiago, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

    Mme Isabelle Santiago, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

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    Au moment de prendre la parole devant la représentation nationale, j’ai tout d’abord une pensée émue pour mon amie Emmanuelle Ajon, qui était vice-présidente du conseil départemental de la Gironde, chargée, comme moi en Val-de-Marne, de la protection de l’enfance et membre du Conseil national de la protection de l’enfance – CNPE –, avec qui je partageais le combat pour des politiques publiques favorables aux droits de l’enfant, notamment l’aide à l’enfance en danger. Elle nous a quittés brutalement le 14 décembre dernier. Je veux, à cet instant, adresser mes pensées et toute mon amitié à sa famille, et témoigner du fait que sa parole manquera au débat public.
    Je veux aussi remercier chaleureusement les professionnels de l’enfance en danger, les associations, les personnalités et les anonymes : merci d’avoir fait bouger la société sur la question des violences sexuelles faites aux mineurs. Merci d’avoir brisé l’omertà. Sans le livre de Camille Kouchner, le mouvement #MeTooInceste ou la mobilisation des associations et de personnalités, la traduction de l’évolution des mentalités dans la loi aurait encore pris du temps. Merci à tous d’affirmer haut et fort qu’un enfant n’est jamais consentant à l’inceste ni à une relation sexuelle avec un adulte et qu’il est temps de changer la loi. En envoyant ce signal clair, vous nous avez aidés à porter un message qui fera date et qui permettra, à l’échelle nationale, des avancées qui, j’en suis certaine, se traduiront dans le droit.
    Je veux aussi m’adresser aux enfants que j’ai côtoyés durant toutes ces années et que je côtoie encore dans les structures de l’aide sociale à l’enfance, les pouponnières, les foyers d’accueil ou encore les familles d’accueil de la protection de l’enfance. C’est pour les enfants rencontrés sur le terrain, dont me viennent en mémoire les noms, les visages, les parcours, que je mène ce combat – parce que j’ai côtoyé l’innommable, parce que j’ai trop souvent été confrontée, au cours de mon expérience, à des dysfonctionnements dans le service de la protection de l’enfance, qui se trouve à la croisée de plusieurs politiques publiques relevant à la fois de l’État et des collectivités territoriales.
    Il est temps que la patrie des droits de l’homme – des droits humains, oserai-je dire – devienne la patrie des droits de l’enfant. C’est pour toutes ces raisons que je n’ai pas hésité une seconde à déposer, quelques semaines après mon arrivée à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi enregistrée le 5 janvier dernier, afin de l’inscrire à l’ordre du jour de la niche parlementaire du groupe Socialistes et apparentés – la seule journée de la session pendant laquelle nous pouvons débattre de nos textes. Cette proposition de loi tire les conséquences des insuffisances de notre législation pour protéger les mineurs victimes de crimes sexuels.
    Rappelons qu’en juin 2018, les membres du Conseil national de la protection de l’enfance avaient déjà tenu à réagir au projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Même si le texte, dont Alexandra Louis était rapporteure, contenait quelques avancées, nous dressions déjà le constat de l’absence de prise en considération par le droit pénal des spécificités des enfants et des adolescents – à savoir leur immaturité émotionnelle et cognitive et leur incapacité à s’opposer à des adultes – pour déterminer l’existence de la contrainte, de la menace, de la violence ou de la surprise lors d’actes sexuels commis par un adulte sur un mineur. Nous recommandions déjà de faire évoluer le projet de loi présenté en 2018 pour instaurer une infraction spécifique, posant l’interdiction absolue pour tout majeur de commettre un acte de pénétration sexuelle sur un enfant de moins de 15 ans, sous peine d’une condamnation criminelle, et de fixer l’interdit à 18 ans pour l’inceste.
    Nous n’avions pas besoin de rapports ou de commissions supplémentaires pour savoir qu’il fallait faire évoluer le droit. Pour autant, je ne remets jamais en cause le travail des commissions ni les rapports qu’elles rédigent : ils contribuent à éclairer les nombreuses questions restant en suspens, et je fais toute confiance à la commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants récemment instituée pour formuler des propositions en matière de prévention et de formation.
    Mais comment ne pas commencer par changer la loi pour envoyer un signal clair à la société ?

    M. Fabien Di Filippo

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    C’est une question juridique, en effet !

    Mme Isabelle Santiago, rapporteure

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    Aux yeux d’un enfant, l’adulte représente l’autorité, le savoir et la sagesse. L’enfant n’est donc pas en capacité d’échapper à l’emprise de l’adulte – encore moins à l’emprise d’un parent incestueux, dont il dépend et qui se trouve être une figure d’attachement. Qui s’intéresse à ces questions et à l’évolution des neurosciences sait que le traumatisme et les conséquences de tels actes sur le développement de l’enfant sont incommensurables. La nécessité de fixer un seuil de non-consentement à 18 ans en cas d’inceste ne se discute plus : il y a urgence.

    M. Fabien Di Filippo

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    Je suis d’accord ! Elle a parfaitement raison !

    Mme Isabelle Santiago, rapporteure

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    Il serait indigne que la patrie des droits de l’homme laisse plus longtemps ces enfants de côté. Nous demandons donc que la France adopte ce seuil d’âge.
    Désormais, charge à la loi de faire que cette parole soit entendue et accompagnée, comme le président Emmanuel Macron s’y est engagé. Je me félicite d’ailleurs que le Gouvernement se soit rallié, ces derniers jours, au principe du seuil de non-consentement en cas de violences sexuelles faites aux mineurs ou d’inceste. Ce n’était pas tout à fait le cas lors des débats qui se sont tenus au Sénat en janvier. Je suis ravie que nous partagions, tout simplement, l’objectif exprimé dans la rédaction initiale de la présente proposition de loi, telle que je l’avais déposée le 5 janvier dernier.
    C’est pourquoi je tiens à faire part de mon incompréhension, due sans doute à ma faible expérience parlementaire, et même de ma colère à l’égard de la tournure prise par les débats en commission des lois. À moins de considérer qu’il est normal que la majorité se comporte comme un coucou, expulsant du nid les œufs des autres groupes pour y déposer les siens…

    M. Fabien Di Filippo

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    C’est arrivé souvent !

    Mme Isabelle Santiago, rapporteure

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    …– en l’occurrence, elle a déposé son œuf le 9 février –, son attitude s’apparente terriblement à une obstruction du débat parlementaire. J’ai ainsi découvert qu’elle préférait couper court au travail législatif que j’avais engagé avec les députés : alors que de nombreux amendements avaient été déposés pour enrichir le texte, le groupe majoritaire a refusé toute réunion de travail. C’est une situation ubuesque ! Je ne peux croire que le Gouvernement cautionne cette méthode du coucou employée à l’encontre du travail des parlementaires de l’opposition, surtout pour traiter d’une question majeure qui devrait nous rassembler tous et pour examiner un texte qui, enrichi des amendements, correspondait en tout point aux récentes annonces du Gouvernement et sur lequel nous avions demandé l’engagement de la procédure accélérée afin qu’il soit promulgué au plus vite.
    La réécriture complète, en commission, de l’article 1er, qui comporte désormais trente-neuf alinéas de plus, a interdit tout débat sur les amendements que nous souhaitions proposer. La nouvelle rédaction proposée pour l’article 227-14-1 du code pénal pose en effet une condition supplémentaire à la constitution des infractions criminelles et délictuelles de violences sexuelles : celles-ci ne seront pas constituées si l’écart d’âge entre l’adulte mis en cause et l’enfant est inférieur à cinq ans. Cet ajout, apporté sans aucun travail législatif sérieux, conduira à des situations incroyables : la nouvelle condition d’écart d’âge constituerait, dans sa rédaction actuelle, une régression dans la protection des victimes. Le comble, c’est qu’elle rendrait même le droit pénal plus favorable aux mis en cause !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

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    N’importe quoi !

    Mme Isabelle Santiago, rapporteure

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    Elle serait donc d’application immédiate et rétroactive : toutes les affaires en cours concernant des atteintes sexuelles sur des mineurs de 13 à 15 ans commises par des majeurs de 18 et 19 ans risquent d’être closes sans poursuites possibles.
    J’ajouterai que l’instauration d’un seuil fixé à 18 ans pour les infractions sexuelles incestueuses est une mesure que nous avions bien sûr défendue mais qui, dans sa rédaction actuelle, perd de sa lisibilité en étant composée de six dispositions distinctes.
    Pour toutes ces raisons, le texte, tel qu’il a été voté par la commission des lois, n’est plus celui que je défendais.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Heureusement !

    M. Christophe Castaner

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    Quand allez-vous le retirer ?

    Mme Isabelle Santiago, rapporteure

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    Il est même contraire à l’intérêt des mineurs. Je dis bravo à tous ceux qui ont accompli cet exploit !
    Pour reprendre une phrase attribuée à Victor Hugo, rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu. Cette proposition de loi déposée en décembre était sûrement au rendez-vous de l’histoire. À la représentation nationale, désormais, d’être à la hauteur, de tenir ses engagements pour protéger les mineurs et pour ouvrir de nouveaux droits. J’adresse toute ma confiance aux parlementaires. Quoi qu’il arrive, nous avons déjà gagné. L’opinion a gagné. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR. – M. Guillaume Chiche et Mme Albane Gaillot applaudissent également.)

    M. le président

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    La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

    M. Olivier Faure

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    Quel est l’avis du jour ? Il a tellement varié !

    M. Fabien Di Filippo

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    Il est tout de même plus lucide que Mme Schiappa !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

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    Nous n’avons pas le droit de nous tromper. Il nous faut à la fois garantir une meilleure protection de l’enfance et assurer le respect de nos grands principes juridiques. Cette réflexion doit être conduite résolument mais sans précipitation, avec hauteur de vue, nuance, discernement. Si l’émotion qui anime souvent ces débats sociétaux est légitime, elle ne peut être notre seule guide.
    La libération de la parole des victimes de crimes sexuels, notamment d’inceste, ces dernières semaines, nous oblige. Elle nous oblige à ne plus fermer les yeux, à regarder en face ce que, trop longtemps, la société n’a pas voulu voir. Trop longtemps la parole des victimes a été ignorée, étouffée, mise sous cloche, comme l’a dit ce matin notre ami Bruno Questel. Grâce à des voix fortes, courageuses et puissantes, ce temps-là est désormais révolu.
    Depuis le début du quinquennat, le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ont fait de la protection de l’enfance une priorité.

    M. Aurélien Pradié

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    Ce n’est pas vrai !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    La loi de 2018 comportait déjà certaines avancées majeures mais il faut aller encore plus loin. Nous sommes aujourd’hui réunis pour discuter de la proposition de loi défendue par Mme la députée Santiago et pour débattre des moyens qu’il convient de mettre en œuvre afin d’affirmer de façon claire que l’on ne touche pas à des enfants et afin qu’aucun violeur ne pourra dire qu’un enfant est consentant.
    C’est bien la complexité du travail normatif qui nous attend. Celui-ci consiste à proposer des solutions cohérentes et coordonnées pour protéger toutes les victimes mineures dans le respect de notre État de droit. Si les réseaux sociaux ont aujourd’hui, sur cette question comme sur d’autres, des vertus libératrices, je veux souligner ici de façon solennelle que la justice ne se rend pas sur internet, ni dans les médias, ni dans la rue. La démocratie est fondée sur le droit. La justice ne peut se rendre sous l’empire de l’émotion, la culpabilité n’est pas l’affaire du plus grand nombre. Les tribunaux usent de précautions et de règles garantissant notre liberté et qui ne sont pas obsolètes.
    De même, le législateur et le Gouvernement ne peuvent se laisser emporter par une passion, par une émotion qui viendraient fouler au pied les grands principes que notre société civilisée a mis des millénaires à élaborer.

    Mme Valérie Rabault

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    Nous sommes d’accord là-dessus !

    M. Olivier Faure

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    C’est hors sujet !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    C’est donc avec beaucoup de sagesse que le Président de la République a souhaité que soient conduites de larges consultations avec les associations dédiées à la protection de l’enfance.
    Adrien Taquet et moi-même retenons leur engagement quotidien aux côtés des victimes mais aussi auprès du grand public dans le cadre de l’indispensable travail de prévention. En rendant visible l’invisible et en exprimant l’indicible, elles nous mettent définitivement face à nos responsabilités.
    Les consultations ont aussi révélé que les points de vue des différentes associations, voire parmi les membres d’une même association, pouvaient parfois être divergents. Si la fixation du seuil d’âge a 15 ans fait l’objet d’un consensus, de nombreux désaccords sont apparus concernant l’inceste et la prescription.
    Pour ma part, j’ai rappelé les exigences constitutionnelles qui garantissent notre État de droit et qui encadrent les axes du travail normatif. J’ai la certitude que les associations ont mesuré la lourde responsabilité qui est la nôtre. J’insiste sur ce point car je connais bien sûr l’engagement de Mme la députée Santiago et le travail mené autour de cette proposition de loi. Les attentes des victimes et des praticiens qui les protègent sont trop fortes pour que nous risquions de créer de la déception et de l’incompréhension face à une réforme qui serait censurée par le Conseil constitutionnel.
    Mesdames et messieurs les députés, je connais votre engagement et votre envie d’avancer sur ces questions cruciales. Je veux en particulier rendre un hommage très appuyé à Alexandra Louis pour sa détermination, depuis la loi de 2018, à faire bouger les lignes en la matière. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
    Je souhaite qu’aucun adulte ne puisse désormais se prévaloir du consentement d’un mineur de moins de 15 ans, qu’il s’agisse de viol ou – je tiens à le préciser – d’agression sexuelle. Mais il est impérieux de rappeler les exigences constitutionnelles de légalité, de proportionnalité et d’égalité devant la loi pénale.
    Vous le savez, je suis favorable à un écart d’âge afin d’éviter de criminaliser les amours adolescentes. Mais bien évidemment l’instauration de cet écart d’âge n’a pas pour objet, et ne saurait avoir pour effet, de protéger des relations sexuelles non consenties. C’est alors l’actuel droit positif qui s’appliquera. Notre devoir est de garantir la protection de nos enfants mais en aucun cas de s’ériger en censeurs de la vie sexuelle de nos adolescents. Ces situations particulières existent, elles sont banales et il serait irresponsable de ne pas les prendre en considération. Il n’est pas question d’instaurer, auprès des adolescents, une police des mœurs.

    M. Aurélien Pradié

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    C’est de la lâcheté !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vient ensuite une autre question fondamentale, celle de l’inceste, qui fait débat au sein des associations mais également de cet hémicycle. Je souhaite proposer que le seuil de protection soit relevé pour être fixé à 18 ans. Le périmètre de l’inceste reste cependant en discussion afin d’éviter une censure constitutionnelle. Vos amendements démontrent d’ores et déjà la complexité de cette question.
    Par ailleurs se pose le problème de la prescription. Souvenons-nous d’abord qu’en 2018, elle a été allongée de dix ans pour ces crimes, passant ainsi de vingt à trente ans à compter de la majorité de la victime. L’imprescriptibilité fait débat à juste titre. Rappelons à cet instant que Robert Badinter souhaite qu’elle soit réservée aux seuls crimes contre l’humanité. Il convient de noter également qu’il ressort des consultations que j’ai conduites que la prescription est utile aux victimes à double titre : à l’approche du terme de la prescription, celles qui désirent un procès sont incitées à dénoncer les faits tandis que l’acquisition de la prescription permet à celles qui souhaitent libérer leur parole sans que se tienne un procès de s’exprimer enfin.
    Je souhaite par ailleurs que notre droit évolue pour que s’applique une protection plus égalitaire des multiples victimes d’un même auteur. Il s’agit d’instituer un mécanisme de prescription permettant à ces victimes de bénéficier du même traitement judiciaire. La chancellerie travaille très activement à sa mise en œuvre.
    Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement a souhaité prendre le temps de la concertation. Vient désormais celui d’une rédaction rigoureuse de ces propositions. Je vous les soumettrai très prochainement sous forme d’amendements lors de l’examen de la proposition de loi défendue par la sénatrice Annick Billon que vous examinerez dans les jours qui viennent et dont l’adoption est garantie dans un calendrier resserré.

    M. Christophe Castaner

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    Oui !

    M. Olivier Faure

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    Vous êtes responsables de l’ordre du jour, vous pouvez l’inscrire quand vous voulez !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Pour conclure, je vous livre ma conviction sur ce sujet : il ne saurait y avoir de concurrence politique, seul compte l’intérêt de l’enfant. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

    M. Olivier Faure

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    Vous êtes maîtres de l’ordre du jour !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Franchement, monsieur le député…

    M. Olivier Faure

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    Comment ça, franchement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vous croyez qu’on ne vous a pas vus venir ?

    M. Olivier Faure

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    Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

    Mme Danièle Obono

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    Que signifie cette réponse ?

    M. le président

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    La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.

    M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles

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    La discussion qui nous réunit aujourd’hui constitue une étape importante, non seulement parce que cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte politique et médiatique marqué par des débats relatifs à la protection de l’enfance – je me réjouis d’ailleurs que des parlementaires de tous rangs aient souhaité dégager des espaces de réflexion sur le sujet – mais aussi parce que le renforcement de la loi sur les questions de violences sexuelles faites aux enfants est fondamental. Nous savons tous que nous devons aller encore plus loin et appréhender le phénomène des violences sexuelles de façon globale, systémique.
    Cette réforme de la loi pénale est nécessaire car elle permettra de mieux protéger nos enfants et de poser un interdit clair et sans équivoque. Cependant cette évolution ne suffira pas à elle seule, pas plus que le mouvement actuel de libération de la parole, la déferlante de témoignages. Un effort collectif est indispensable pour agir dans tous les champs, la répression bien sûr mais aussi la prévention, la détection, la formation des professionnels, l’accompagnement des victimes et la prise en charge des auteurs.
    Nous le devons aux millions d’existences abîmées dès le plus jeune âge, à ces vies brisées par les violences sexuelles et par leurs conséquences, dont nous savons aujourd’hui qu’elles sont délétères pour les victimes, pour leur entourage et pour la société tout entière.
    Éva Thomas, Lydia Gouardo, Sarah Abitbol, Laurent Boyet, Vanessa Springora, Camille Kouchner, mais aussi des dizaines de milliers d’anonymes qui ont pris la parole sans plus attendre qu’on la leur donne : tous nous disent que les violences sexuelles faites aux enfants sont là, partout, d’une affligeante banalité et que l’inceste, ce tabou que Claude Lévi-Strauss croyait commun à toutes les sociétés, n’a pas disparu, bien au contraire.
    La loi doit bien sûr évoluer, il faut nous débarrasser de ce que Jean-Marc Sauvé appelle « ce point aveugle de notre droit » qui conduit à tenter de discerner chez un enfant le consentement à une relation sexuelle avec un adulte. Cette recherche, qui postule une sorte d’égalité, de coresponsabilité dans un tel rapport sexuel est illusoire. Il nous faut au contraire prendre en considération l’asymétrie entre l’adulte et l’enfant, les rapports de domination et d’emprise, et probablement rompre avec la notion même de consentement. L’étymologie du mot « consentement » – du latin consentire, « ressentir pareil » – n’a ici pas de sens.
    Je remercie le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, pour l’excellent travail que nous avons mené ensemble ces dernières semaines, en concertation étroite avec l’ensemble des associations, et qui a conduit aux annonces récentes, qu’il a rappelées bien mieux que je ne saurais le faire, sur le seuil d’âge et sur le renforcement des dispositifs de prescription.
    Mais ce que je viens de dire ne prendra tout son sens que si nous adoptons également, comme l’a souhaité le Président de la République, une démarche de prévention et d’accompagnement des victimes dont l’ambition soit à la hauteur du silence qui a prévalu pendant des décennies. Le Président a ainsi annoncé, le 23 janvier dernier, deux premières mesures fortes que le Gouvernement travaille à rendre effectives. D’une part, « deux rendez-vous de dépistage et de prévention » seront organisés au primaire et au collège sur tout le territoire. Cette politique de prévention dès le plus jeune âge est cruciale pour identifier, aider et protéger les enfants victimes de violences sexuelles et donc pour faire cesser celles-ci définitivement. Le travail est en cours avec Jean-Michel Blanquer afin de renforcer l’action que mène déjà l’ensemble des professionnels de l’éducation nationale, faisant ainsi de l’école un lieu clef de protection et de repérage grâce à l’implication de l’ensemble de la communauté éducative. D’autre part, il est tout aussi fondamental que les victimes puissent bénéficier d’un accompagnement psychologique intégralement pris en charge.
    Mais nous devons aller plus loin encore, notamment en matière de prévention des actes commis par les potentiels auteurs. À cet égard, le Gouvernement est aux côtés de la Fédération des centres de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, qui a mis en place un service téléphonique d’évaluation et d’orientation vers les soins pour les personnes attirées sexuellement par les enfants. Car prévenir le passage à l’acte, c’est aussi agir à la source des violences sexuelles. À cette fin, les professionnels se sont inspirés de dispositifs ayant fait leurs preuves dans des pays voisins – en Allemagne depuis 2005 et en Angleterre depuis les années 90.
    Il faut aussi traiter dans ses spécificités la question des violences sexuelles subies par les enfants handicapés, eux qui sont encore plus victimes que les autres enfants et pour qui la libération de la parole est souvent un concept bien beau mais bien éloigné de la réalité de leur vie.
    Nommer les choses, les définir, les quantifier et les appréhender dans toute leur complexité, voilà des enjeux qui dépassent le seul cadre de la loi et qui nous concernent nous tous en tant qu’individus, en tant que nation, en tant que peuple. Les travaux des associations nous donnent une meilleure connaissance de ces situations et de leurs conséquences ; ils seront approfondis, et la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles subies pendant l’enfance, coprésidée par Nathalie Mathieu et Édouard Durand, y contribuera. Il s’agit de briser, quand il le faut, ce que Paul Éluard, au moment de l’affaire Violette Nozière, nommait « l’affreux nœud de serpents des liens du sang ».
    Il nous faudra collectivement interroger nos schémas de pensée, encore fondés sur la domination et sur une conception qui demeure probablement trop patrimoniale de l’enfant, pour se mettre plutôt à hauteur d’enfant, condition indispensable à ce qu’il soit enfin un sujet de droit plein et entier. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem, Agir ens et LT.)

    Discussion générale

    M. le président

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    Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Saulignac.

    M. Hervé Saulignac

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    Plus de la moitié des victimes de viol dans notre pays a moins de 15 ans, près d’un tiers a même moins de 10 ans. Chacun connaît ici l’ampleur de ces crimes qui nous apparaissent chaque jour plus nombreux ; les livres-témoignages se multiplient, les campagnes sur les réseaux sociaux aussi, entraînant dans leur sillage des révélations de faits depuis si longtemps enfouis. Cette proposition de loi se trouve ainsi rattrapée par l’actualité alors même qu’elle est en construction depuis bien longtemps. La vague qui s’est levée ne s’arrêtera pas. Et les victimes qui se libèrent enfin d’un fardeau nous renvoient aux insuffisances de notre législation qui n’a pas su les protéger des crimes sexuels qui ont meurtri leur existence !
    En l’état actuel du droit, lorsqu’il s’agit d’une victime de moins de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’absence de discernement. Il revient alors au parquet d’établir si la victime disposait, ou non, du discernement nécessaire. La réalité dans nos juridictions est à cet égard très diverse et nombreuses sont les affaires qui finissent par être requalifiées en atteinte sexuelle pour finir devant seulement un tribunal correctionnel. C’est ainsi que parfois, le traitement judiciaire paraît très en deçà de la souffrance endurée.
    Pourtant, le viol n’est plus un délit depuis 1980 mais un crime, et c’est en tant que tel qu’il doit être jugé, sans aucune qualification alternative ni atténuation possible ! Qu’est-ce que le discernement lorsque l’on a moins de 15 ans ? Un enfant, parce qu’il est un enfant, ne doit-il pas bénéficier, par principe, d’une protection absolue et exclusive, sans qu’elle ne puisse être remise en cause par l’hypothèse d’un consentement ? Nous le croyons intimement. L’heure est venue d’affirmer clairement qu’un enfant n’est jamais consentant à une relation sexuelle avec un adulte, a fortioriquand il s’agit d’un parent.
    C’est la raison pour laquelle tout ce qui s’oppose à la libération de la parole doit s’effacer pour laisser place à une incitation à la parole. Et de ce point de vue, le chemin à parcourir sera long. Parler, c’est se mettre à nu, s’exposer aux doutes des enquêteurs, à la remise en cause parfois de son comportement, c’est se soumettre aux questions qui tentent d’établir son degré de discernement. Parler, ce peut être aussi entraîner son entourage dans une tourmente qui vous dépasse… au point de se résigner au silence. Parler, c’est s’exposer à la horde des commentateurs indécents qui font parfois de la victime un coupable et du coupable une victime.
    Tous les obstacles qui jalonnent le chemin qui conduit à la vérité et à la justice doivent être levés. Le premier d’entre eux nous commande de poser désormais un principe législatif clair : l’interdiction absolue d’un rapport sexuel entre une personne majeure et une personne mineure de moins de 15 ans – tout en ayant à l’esprit, pour reprendre vos propos, monsieur le ministre, qu’il ne faut pas « criminaliser les amours adolescentes ».
    C’est à l’aune de cette évidence que le groupe Socialistes et apparentés, par la voix d’Isabelle Santiago, a décidé de vous soumettre cette proposition de loi. Je tiens à saluer l’engagement sans faille des associations, des militants et des experts de la protection de l’enfance, avec lesquels notre rapporteure a vraiment beaucoup travaillé. Que de chemin parcouru en près de trois ans, depuis les débats nourris et houleux qui ont émaillé le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes, lequel n’a pas permis d’avancer comme nous l’aurions voulu !
    Fixer aujourd’hui un seuil d’âge de 15 ans constituerait une avancée majeure, porteuse de sens pour tous les Français. Néanmoins, je veux ici dénoncer la manœuvre de la majorité qui, en réécrivant quasi intégralement notre proposition de loi en commission, a fait la preuve du peu de considération qu’elle a pour le travail sérieux effectué par notre groupe !

    Mme Naïma Moutchou, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

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    C’est l’inverse ! Sinon, nous l’aurions vraiment réécrite !

    M. Hervé Saulignac

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    Pas plus qu’elle n’a de considération pour l’engagement acharné de notre rapporteure (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC) qui, pour sa part, a tenté de rassembler tous les groupes parlementaires autour d’une position partagée. Cette réécriture fragilise le texte initial et soulève de sérieuses inquiétudes. Nous souhaitons ardemment, monsieur le ministre, qu’à l’issue des débats en séance, il nous ait été permis de faire à nouveau prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant.
    Pour conclure, je veux retenir ici la réponse que nous sommes en train de formuler à l’endroit de toutes celles et ceux qui parlent enfin, l’espoir aussi que nous insufflons à toutes celles et ceux qui hésitent, qui doutent et qui verront peut-être dans ces dispositions un encouragement à franchir le pas. M. le garde des sceaux ayant rappelé qu’il ne saurait y avoir de concurrence politicienne sur un tel sujet, hissez-vous, mes chers collègues de la majorité, à la hauteur de ce moment si particulier que vit notre pays ; ouvrons de nos nouveaux droits en faveur de ce que nous avons de plus cher : nos enfants ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)

    M. le président

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    La parole est à M. Dimitri Houbron.

    M. Dimitri Houbron

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    J’aimerais commencer par vous remercier, madame la rapporteure, pour votre engagement depuis de nombreuses années sur cette question et pour cette proposition de loi. Je tenais aussi à saluer notre collègue Sophie Auconie qui, je l’ai appris, nous quittera prochainement, en lui témoignant de mon amitié et de la fierté que j’ai eue de siéger en tant que jeune parlementaire à ses côtés. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Agir ens, LaREM, Dem et SOC.)
    Un enfant, c’est le commencement de ce qu’il doit être ; le protéger, c’est finalement renforcer l’adulte citoyen qu’il deviendra. Les enfants sont des êtres en construction que notre rôle de législateur, de par notre mandat, mais aussi d’adultes responsables, de par notre état, est de protéger.
    Rappelons ici quelques chiffres afin de souligner l’impérieuse nécessité de légiférer et d’apporter des solutions aux problèmes évoqués par cette proposition de loi : 40 % des viols et tentatives de viols déclarés concernent des enfants de moins de 15 ans ; 27 % touchent des enfants de moins de 10 ans ; on estime qu’un enfant est violé toutes les heures en France, le prédateur sexuel étant un proche neuf fois sur dix. Ces chiffres effroyables, encore en dessous de la réalité comme on le sait, témoignent de l’ampleur du phénomène et nous imposent d’agir.
    Depuis le témoignage d’Éva Thomas en 1986, dans son livre Le Viol du silence, ainsi que depuis les travaux de la psychiatre Muriel Salmona, les effets de l’inceste et des violences sexuelles sur les mineurs sont largement documentés. M. le secrétaire d’État l’a rappelé : le coût individuel de ces sévices est insoupçonnable, mais il y a aussi un coût collectif. Les violences sexuelles subies dans l’enfance sont en effet à l’âge adulte le premier facteur de tentatives de suicide, de dépressions, de troubles du comportement alimentaire ou de maladies chroniques ; ces enfances volées créent des adultes désaxés.
    Sur ces questions, l’évolution des consciences n’a pas été suivie d’une évolution à la hauteur sur le plan juridique. Notre droit pénal ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels. Il faut en effet pouvoir démontrer la contrainte, la menace, la violence ou la surprise pour caractériser une agression sexuelle ou un viol. Cela revient à faire porter l’appréciation du juge ou du juré sur le comportement de la victime et les conduit donc fatalement à se poser la question de son consentement.
    Or la notion de consentement, déjà complexe lorsque la victime est un adulte, n’a tout bonnement pas sa place dans le débat lorsque la victime est particulièrement jeune. Dans son livre Le Consentement, Vanessa Springora explique bien tout l’enjeu de cette problématique quand elle écrit que la question n’est pas de savoir si l’enfant mineur a cru être amoureux ou s’il a été ou non contraint par la force à avoir des relations sexuelles, le problème venant entièrement de l’auteur de l’acte qui, quel que soit le comportement du mineur, n’a pas à le considérer comme son égal. Il y va de la responsabilité des adultes. Un enfant ne peut jamais être consentant à un rapport sexuel avec un majeur pour la simple et bonne raison que c’est un enfant. La création d’une infraction autonome avec pour élément constitutif l’âge de la victime est donc une avancée indispensable et urgente à intégrer dans notre arsenal juridique.
    Cette proposition de loi, bien qu’enrichie en commission des lois où elle a été totalement réécrite par plusieurs amendements de notre collègue Alexandra Louis, que je salue pour son engagement, et par ceux des députés du groupe Les Républicains, n’est pas encore tout à fait satisfaisante à mon sens pour des raisons de fond. Aucune aggravation du quantum de la peine encourue n’est en effet prévue pour les agressions sexuelles incestueuses par rapport aux agressions sexuelles dites simples. Les députés du groupe Agir ensemble ont donc déposé un amendement afin que l’interdit de l’inceste soit clairement réaffirmé dans l’échelle des peines.
    De même, plusieurs de mes amendements, cosignés par mes collègues du groupe, visent à nommer clairement les infractions autonomes que le législateur va créer car il est important, pour la lisibilité et l’intelligibilité de notre droit pénal, mais aussi pour la reconnaissance des victimes, que les infractions soient clairement identifiables.
    Par ailleurs, un travail demeure indispensable sur le délit de non-dénonciation d’un crime ou d’un délit commis sur les mineurs, pour lequel plusieurs de nos amendements visent à allonger le délai de prescription. La responsabilité de ceux qui savent et ne parlent pas est immense, d’autant plus que les enfants parlent rarement de leur propre initiative.
    Enfin, au-delà de l’application de  cette proposition de loi, il reste à sensibiliser et former les professionnels, qui doivent disposer des outils nécessaires pour, dès l’école, identifier les signes de violences, de même qu’il faut permettre à chacune et à chacun de repérer et de dénoncer les faits et  d’accompagner les victimes. Ce n’est pas le combat des adultes qui ont été victimes lorsqu’ils étaient enfants, ce n’est pas le combat des femmes : c’est un combat que toute notre société doit mener.
    Pour conclure, j’aimerais adresser un message d’espoir aux victimes, afin de leur inspirer la volonté de franchir les obstacles même s’ils semblent insurmontables : parlez, libérez la parole, vous n’êtes coupables de rien et victimes de tout, parlez-en, dénoncez vos bourreaux ! Et j’emprunterai les mots du Président de la République, le 23 janvier dernier, en leur disant : « On est là. On vous écoute. On vous croit. Et vous ne serez plus jamais seuls. » (Applaudissements sur les bancs des groupes Agir ens et LaREM ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)

    M. le président

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    Madame Auconie, je m’associe aux propos de M. Houbron. Avec beaucoup de respect, je vous appelle à la tribune et je vous donne la parole. (Applaudissements nourris sur les bancs des groupes LaREM, Dem, SOC, Agir ens, UDI-I, LT et GDR.)

    Mme Sophie Auconie

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    Que d’émotion, monsieur le président.
    Notre droit pénal ne protège pas assez les enfants victimes de violences sexuelles. À mes yeux, deux raisons expliquent ce triste constat. La première a trait à la problématique du consentement. Comment imaginer qu’un enfant puisse consentir à un rapport sexuel, quel qu’il soit, avec un adulte ? Pourtant, c’est bien cette considération qui a rendu impossible la qualification de viol dans des affaires toutes plus glaçantes les unes que les autres et que nous avons tous en tête. La seconde relève de la problématique de la prescription. En effet, de nombreux faits révélés bien des années plus tard demeurent impunis. Or ces faits sont avérés. Refuser un procès aux victimes et ne pas sanctionner les auteurs renvoie l’image d’une certaine résignation totalement contradictoire avec la gravité des faits.
    Il est donc grand temps de se saisir du sujet en se hissant à la hauteur des enjeux. Les changements ont déjà beaucoup trop tardé. En 2018, le Gouvernement a une fois de plus manqué une occasion. En effet, le rapport sur le viol que j’avais rédigé avec la présidente de la délégation aux droits des femmes préconisait déjà des évolutions radicales concernant les infractions sexuelles commises sur les mineurs. Malheureusement, à l’époque, une partie des amendements que nous défendions ont été considérés inconstitutionnels par le binôme que formaient la garde des sceaux, Mme Belloubet, et la secrétaire d’État, Marlène Schiappa. Aujourd’hui, le binôme que vous constituez, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, considère que ces amendements sont recevables (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-I, LR et LT), que nous pouvons en débattre dans l’hémicycle, voire les intégrer à une loi de progrès. C’est, pour moi, très satisfaisant.
    De plus, un certain nombre d’amendements souvent rejetés car jugés contraire à la Constitution par la rapporteure d’alors, Mme Alexandra Louis, sont devenus beaucoup moins inconstitutionnels, voire ont été utilisés dans la réécriture de certains articles. Je salue cette démarche, même si je regrette qu’il ait fallu attendre trois ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe LT et sur plusieurs bancs du groupe LR.)
    Le groupe UDI et indépendants se prononce bien sûr en faveur de la création d’infractions autonomes ; c’est pour nous la seule et unique solution pour enfin cesser d’aborder la question du consentement. Quelles que soient les circonstances des faits, il faut poser un interdit clair : un acte de pénétration commis par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans est un crime, sans qu’il soit possible de faire référence à un quelconque consentement de ce dernier. De même, l’inceste doit être sanctionné pour ce qu’il est et non pas uniquement demeurer une surqualification n’entraînant aucune conséquence supplémentaire.
    La proposition de loi dont nous discutons satisfait ces objectifs, et je salue la rapporteure, Mme Santiago. S’il est heureux que les travaux en commission aient abouti, nous déplorons toutefois la méthode employée. En outre, je tiens à saluer le travail de ma collègue sénatrice Annick Billon, qui a présenté au Sénat un texte de très grande qualité dont nous discuterons prochainement.
    Au-delà de ces considérations, écrire clairement les choses dans la loi est une avancée majeure et un passage incontournable, car il revient au droit pénal de poser les valeurs à défendre au sein de notre société. Merci de nous permettre de le faire.
    Le groupe UDI et indépendants soutient depuis longtemps les objectifs de cette proposition de loi. En revanche, un point essentiel doit encore être abordé, celui de l’amnésie traumatique. Nous allons avoir l’occasion d’en débattre, ce phénomène est insuffisamment pris en considération et nous espérons que nos travaux permettront de mener une réflexion sur le sujet.
    Personnellement, je suis favorable à ce que les crimes dont nous discutons deviennent imprescriptibles. Certes, cela ne vaut que pour les crimes contre l’humanité, mais je considère que nos enfants sont l’humanité – nous aurons l’occasion d’en reparler. Quelle que soit la solution trouvée sur la question de la prescription, il ne faut pas occulter qu’elle engage en partie l’applicabilité des nouveautés juridiques que nous souhaitons apporter.
    Je terminerai mon intervention par une note plus personnelle. Ce texte sera certainement l’un des derniers que je vais avoir l’occasion de voter dans ma vie de députée qui prendra bientôt fin. Je vais me soigner et je reviendrai ; ce n’est qu’une mise entre parenthèses. Pour tous nos enfants, je suis fière d’être là aujourd’hui. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent longuement.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Danièle Obono.

    Mme Danièle Obono

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    « MeToo », « MeTooGay », « MeTooInceste », « Iwas », « IwasCorsica » : ces mots-dièses relayés sur les réseaux sociaux par des milliers de victimes – très majoritairement des femmes, mais aussi des hommes, mais surtout des personnes qui étaient enfants à l’époque des faits – témoignent non seulement du caractère massif et systémique des violences sexuelles, mais également des défaillances – voire des résistances – institutionnelles à reconnaître et à déconstruire les mécanismes de la culture et des rapports de domination qui nourrissent et structurent ces violences. Grâce à ces mobilisations, c’est tout autant la parole des victimes que l’écoute de la société qui se sont libérées.
    Les enfants sont les premières victimes des violences sexuelles. Chaque année 130 000 filles et 35 000 garçons subissent violences et tentatives de viol, en plus des 94 000 femmes et 16 000 hommes majeurs concernés par ces crimes. Parmi l’ensemble des violences sexuelles, 80 % débutent avant 18 ans, 51 % avant 11 ans et 21 % avant 6 ans. Face à ces violences, ni la société ni les institutions ne sont à la hauteur.
    S’il existe peu d’enquêtes approfondies sur le traitement judiciaire des violences sexuelles sur mineur, les quelques données existantes, probablement sous-estimées, sont édifiantes : le nombre d’agressions est supérieur au nombre de plaintes qui est aussi plus important que le nombre de condamnations. Pour deux tiers des victimes, la dénonciation de l’agresseur n’a produit aucune conséquence. La prise en charge médico-psychologique est insuffisante tout autant que la protection judiciaire. Au terme des enquêtes, 70 % des plaintes aboutissent à un classement sans suite, dont 15 % pour absence d’infraction, soit deux fois plus que pour les affaires concernant des personnes majeures. En outre, le phénomène de correctionnalisation des viols, c’est-à-dire leur requalification en atteinte ou agression sexuelle, est important. En 2018, la loi renforçant l’action contre les violences sexuelles et sexistes a d’autant moins permis de corriger ces graves carences que les moyens de la justice souffrent d’une insuffisance chronique.
    La proposition de loi débattue aujourd’hui nous donne l’opportunité de reprendre une discussion parlementaire importante qui s’est arrêtée bien trop tôt. Je salue l’initiative de Mme la rapporteure Santiago et son travail de longue date sur ces questions avec les associations et les collectifs de victimes, qui portent depuis des années ce combat et attendent beaucoup de nos débats. Je l’assure également de ma solidarité face aux méthodes quelque peu cavalières qui ont conduit à la totale réécriture du texte en commission.
    Dès 2017, le groupe La France insoumise avait interpellé le Gouvernement sur la nécessité de clarifier le droit en instaurant une présomption de non-consentement à 15 ans. Tant lors des débats sur la loi renforçant l’action contre les violences sexuelles et sexistes en 2018, qu’à l’occasion du dépôt, en 2019, de la proposition de loi visant à lutter contre les violences sexuelles à l’égard des enfants, qui était cosignée par des députés de tous bords, nous avons plaidé pour un renversement de la charge de la preuve et l’instauration d’une présomption simple de contrainte pour les mineurs de moins de 13 ans.
    Madame la rapporteure, votre proposition va plus loin. L’article 1er, réécrit en commission, crée une nouvelle infraction de viol sur mineur, dès lors qu’un majeur commet un acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital, de quelque nature qu’ils soient, sur un mineur de 15 ans. C’est un changement majeur car si le code pénal réprime d’ores et déjà les violences sexuelles sur mineur, c’est souvent à l’enfant victime de prouver son non-consentement. Avec cette nouvelle disposition, ce ne sera plus le cas. C’est heureux et nous soutenons cette avancée.
    Nous souhaiterions par ailleurs aller plus loin dans la lutte contre les violences sexuelles sur mineur. Il faut s’attaquer à la culture du viol qui légitime et perpétue ces violences. C’est le sens des trois amendements que nous avions déposés, mais deux d’entre eux ont malheureusement été déclarés irrecevables au motif qu’ils n’auraient aucun lien, même indirect, avec le texte. Notre amendement n° 130 demandait pourtant au Gouvernement un rapport pour évaluer la pertinence d’une formation des différents professionnels de la santé, de la justice ou de l’éducation en contact avec des mineurs pour leur permettre de détecter ces violences et accompagner les victimes. L’amendement n° 131 demandait quant à lui au Gouvernement un rapport sur la mise en place d’une campagne massive de lutte contre les violences faites aux mineurs, destinée à tous les enfants scolarisés et adaptée à leur âge. Le silence autour des violences sexuelles amène souvent les enfants à ignorer l’anormalité et la gravité de la situation qu’ils subissent, d’où l’importance de mener des actions de prévention.
    Ces amendements avaient tout autant un rapport avec le texte que le seul qui a été miraculeusement épargné. Il pointe la nécessité d’établir scientifiquement des statistiques plus sérieuses qu’elles n’existent actuellement. Nous regrettons que nos amendements n’aient pas été retenus. Nous aurions aimé qu’ils soient débattus, voire adoptés.
    Nous voulons rappeler l’urgence de construire, contre la culture du viol, une culture du consentement qui déconstruise les rapports de pouvoir et de domination à l’origine de toutes les violences. Cette proposition de loi constitue une étape dans un travail politique qui doit se poursuivre, au-delà du vote de ce jour, par des politiques publiques d’ampleur. Il nous appartient, en tant que parlementaires, de contrôler et, au besoin, de sanctionner, les mesures qui doivent être prises pour mettre fin aux violences sexuelles commises sur les mineurs, ce à quoi nous aspirons toutes et tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – M. Philippe Naillet applaudit aussi.)

    M. le président

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    La parole est à M. François-Michel Lambert.

    M. François-Michel Lambert

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    À l’heure où nous nous retrouvons pour débattre de la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, j’espère que nous ne dériverons pas et que nous saurons satisfaire les attentes de 66 millions de Français. Faut-il rappeler que l’inceste concerne un Français sur dix ? Suivant cette statistique, plus d’une cinquantaine de députés auraient subi des actes incestueux. Si certains ont eu le courage de libérer leur parole, combien la gardent enfouie au fond d’eux ? Pensons à ces blocages qui existent et aux secrets que certains emmèneront – le plus tard possible – dans leurs tombes, du fait de leur incapacité à s’exprimer sur ce qu’ils ont subi.
    À travers nos débats, nous allons sans doute renforcer les sanctions à l’encontre de ceux qui commettent les crimes horribles que sont les violences et viols sur mineur et les actes incestueux. Mais nous devons également favoriser la prévention, pour faire en sorte que la justice n’ait plus à être mobilisée pour de tels actes. J’attends qu’au sein de notre assemblée, nous puissions, en plus d’être des législateurs, être également des politiques. Je peux entendre le besoin d’équilibre rappelé par M. le garde des sceaux. On peut sans doute comprendre pourquoi la majorité a complètement rebâti une proposition de loi venant d’un groupe d’opposition. On peut construire et aller de l’avant. Cependant, il nous faut avant tout profiter de ce moment pour faire passer un message : il n’y a pas de crime plus horrible que de porter atteinte à l’intime d’un enfant, et plus encore quand c’est un très proche qui le commet. Voilà le sens de notre action et l’idée que nous devons porter.
    Alors, je pourrais sans doute lire le discours que j’avais préparé, parler de ce qui doit avancer, saluer les nombreuses initiatives, exprimer combien nous ne devons pas nous tromper dans la construction du droit.
    Mais entre nous, même si la proposition de loi est bancale, si certaines de ses dispositions ou des amendements qui seront adoptés présentent un risque d’inconstitutionnalité, qui, y compris parmi les députés les plus récemment élus – dont fait partie Mme la rapporteure –, ignore qu’elle est une construction politique sur laquelle nous devons nous appuyer plutôt qu’une construction législative qu’il faudrait démonter ?
    C’est là que nous attendons la majorité. De même, nous aurions souhaité que le garde des sceaux, outre la vigilance que lui impose sa fonction, apporte le poids de sa voix de stentor pour dépasser le seul cadre du débat de ce matin.
    Parlementaire peut-être plus aguerri que d’autres, je me rappelle avoir repris en 2012 une initiative de notre ancienne collègue Edwige Antier – certains s’en souviennent peut-être encore – qui a eu le courage d’affirmer dans l’hémicycle que la violence éducative ordinaire doit être exclue de notre société. C’était en 2011 : à l’époque, 70 % des Français estimaient que l’éducation passe par la violence ! Voilà la réalité ! Et Edwige Antier a eu le courage de présenter une proposition de loi que j’ai reprise pendant mon premier mandat, malgré les difficultés. Je salue notre collègue Maud Petit qui, en 2017, a déposé une proposition de loi ayant abouti à modifier le code civil de sorte que lors de leur mariage, il soit dit aux époux qu’ils doivent éduquer leurs enfants hors de toute violence. Il a donc fallu huit ans ! Huit ans entre le dépôt initial de cette proposition en 2011 et sa mise en application en 2019 ! Dans l’intervalle, les enfants d’alors sont devenus adultes et n’ont pas pu bénéficier de cette disposition. À quoi jouons-nous donc ?

    M. le président

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    Veuillez conclure.

    M. François-Michel Lambert

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    Je vous le dis solennellement, plutôt qu’en lisant mon texte : ne traînons pas et faisons enfin baisser les statistiques de l’inceste afin que nous ne puissions plus dire que cinquante à soixante parlementaires siégeant dans l’hémicycle savent d’expérience ce que c’est !  

    M. le président

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    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    3. Ordre du jour de la prochaine séance

    M. le président

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    Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
    Suite de la discussion de la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles ;
    Discussion de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes de la covid-19 ;
    Discussion de la proposition de loi visant à réformer la fiscalité des droits de succession et de donation : protéger les classes moyennes et populaires, et mieux redistribuer les richesses.
    La séance est levée.

    (La séance est levée à treize heures.)

    Le Directeur du service du compte rendu de la séance
    de l’Assemblée nationale
    Serge Ezdra