N° 1865

    ——

    ASSEMBLÉE NATIONALE

    CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

    ONZIÈME LÉGISLATURE

    Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 octobre 1999.

    AVIS

    PRÉSENTÉ

    AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2000 (n° 1805),

    TOME VII

    OUTRE-MER

    DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER

PAR M. JÉRÔME LAMBERT,

Député.

——

    (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

    Voir le numéro : 1861 (annexe 36).

    Lois de finances.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Roger Franzoni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, José Rossi, Jean-Pierre Soisson, Frantz Taittinger, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

INTRODUCTION 5

  I. — LE STATUT JURIDIQUE DES DOM A CRÉÉ LES CONDITIONS D’UN RATTRAPAGE RÉUSSI VIS-À-VIS DE LA MÉTROPOLE 7

    A. LE STATUT JURIDIQUE : LE PRINCIPE DE L’ASSIMILATION 7

    B. L’ESSOR ÉCONOMIQUE 11

    C. L’ÉGALITE SOCIALE 14

 II. — LES CONSTATS ÉTABLIS PAR LES DEUX MISSIONS PARLEMENTAIRES DE LA COMMISSION DES LOIS S’ACCORDENT SUR LA FRAGILITÉ DE LA PROSPÉRITÉ DANS LES DOM 18

    A. UNE DÉCENTRALISATION EN DIFFICULTÉ 18

      1. Une marge de manœuvre réduite en matière de ressources financières 18

      2. Une augmentation des dépenses due à un contexte économique fragile 21

      3. Des collectivités locales peu préparées à faire face à la forte demande d’intervention sociale 21

    B. UNE ÉCONOMIE EN PROIE À D’IMPORTANTS DÉSÉQUILIBRES 25

      1. Des secteurs d’activité traditionnels en difficulté 25

      2. Un tissu économique fragile 29

    C. UNE SITUATION SOCIALE DÉGRADÉE 36

      1. Des indicateurs économiques extrêmement préoccupants 36

      2. Une cohésion sociale en péril 40

III. — LA SITUATION DES DOM IMPLIQUE UNE ÉVOLUTION DES MISSIONS DU SECRÉTARIAT D’ÉTAT À L’OUTRE-MER 43

    A. D’UNE MISSION TRADITIONNELLE DE SOUVERAINETÉ À UN RÔLE AFFIRMÉ DANS LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL 43

      1. Une mission traditionnelle de souveraineté 43

      2. Une mission de développement économique et social 45

    B. UNE ÉVOLUTION CONFIRMÉE PAR LES GRANDES ORIENTATIONS DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000 46

      1. Une augmentation globale des crédits 46

      2. Les principales dotations relatives aux DOM 52

    C. UNE RÉFLEXION À MENER SUR L’AVENIR DES DOM 60

      1. Les questions institutionnelles 61

      2. La surrémunération des fonctionnaires 72

      3. Le développement économique 73

AUDITION de M. Jean-Jack QUEYRANNE, secrétaire d’État à l’outre-mer 75

MESDAMES, MESSIEURS,

Avec une croissance de 13,6 % par rapport à la loi de finances initiale de l’année précédente, représentant un total de 6,36 milliards de francs, les crédits consacrés en 2000 à l’outre-mer permettent au secrétariat d’Etat d’afficher des objectifs ambitieux et de dégager véritablement dans les départements d’outre-mer et les collectivités territoriales à statut particulier des priorités en termes d’emploi, d’aide au logement ou de promotion d’action sociale et culturelle : les crédits du Fonds pour l’emploi dans les départements d’outre-mer progressent ainsi de 16 %, ceux relatifs au logement de 3,7 % et ceux destinés à l’action sociale et culturelle de 30 %.

Ces chiffres ne permettent cependant que difficilement d’apprécier l’action de l’Etat dans les départements d’outre-mer. Ils ont la particularité de décrire une réalité à la fois trop vaste et trop restreinte : trop vaste, car ces crédits recouvrent également les crédits destinés aux territoires d’outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie, l’ensemble des dotations destinées à ce dernier territoire pour la mise en œuvre des réformes institutionnelles représentant notamment un montant tout à fait exceptionnel de 400 millions de francs ; trop restreinte surtout car le budget du secrétariat d’Etat à l’outre-mer ne représente que 11 % de l’ensemble de la dotation budgétaire en faveur des départements et des collectivités territoriales d’outre-mer. En dépit de cette place relativement modeste dans l’ensemble des ministères contributeurs, c’est néanmoins au secrétariat d’Etat qu’il revient d’insuffler une vision moderne et ambitieuse des liens de solidarité entre la métropole et les départements d’outre-mer. Ses missions ont d’ailleurs évolué à cet effet : d’une mission classique de souveraineté, le secrétariat d’Etat à l’outre-mer est passé à une mission beaucoup plus dynamique, réellement impliquée dans le développement économique et social des départements et collectivités d’outre-mer.

Toutefois, la destination d’un avis budgétaire n’est pas de se limiter à une étude de crédits, les montants en question, aussi élevés soient-ils, ne rendant qu’imparfaitement compte des réalités ultra-marines. Deux missions parlementaires, l’une conduite par Mme Catherine Tasca (), présidente de la Commission, à Mayotte et à la Réunion, l’autre par votre rapporteur () en Guyane, Martinique, Guadeloupe et à Saint-Martin, se sont dès lors attachés à appréhender la situation économique et sociale des départements et collectivités d’outre-mer et à en cerner les difficultés d’ordre institutionnel. Les nombreuses rencontres et témoignages recueillis au cours de ces missions permettront, à n’en pas douter, de préparer la loi d’orientation dont le dépôt a été confirmé par M. le Premier ministre lors de son récent voyage aux Antilles ; ils ont permis également aux deux missions parlementaires de s’accorder sur un constat : la loi de départementalisation de 1946 a instauré les conditions juridiques d’un véritable essor économique et social des départements et collectivités territoriales d’outre-mer ; néanmoins, les bases de cette prospérité se révèlent extrêmement fragiles. Dans ce contexte, l’étude des crédits du secrétariat d’Etat à l’outre-mer permet non seulement d’analyser l’action de l’Etat dans ces départements, mais est également l’occasion de proposer quelques sujets de réflexion préparatoires à la loi d’orientation.

I. — LE STATUT JURIDIQUE DES DOM A CRÉÉ LES CONDITIONS D’UN RATTRAPAGE RÉUSSI VIS-À-VIS DE LA MÉTROPOLE

      A. LE STATUT JURIDIQUE : LE PRINCIPE DE L’ASSIMILATION

· La loi de départementalisation du 19 mars 1946

La transformation de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion en départements français remonte à l’immédiate après-guerre : le 12 février 1946, les députés des quatre « vieilles colonies » déposent des propositions de loi convergentes ayant pour objet d’ériger ces quatre colonies en départements français. La loi, rapportée par M. Aimé Césaire, sera votée à l’unanimité le 14 mars 1946 par l’assemblée constituante et promulguée le 19 mars.

Cette loi, non seulement met fin au régime colonial en vigueur jusque là, mais permet également d’assurer les conditions d’un rattrapage économique et social réussi vis-à-vis de la France métropolitaine : les lois et décrets nouveaux s’y appliquent désormais de plein droit et, à la différence des territoires d’outre-mer, sans nécessiter de mention spéciale.

Quelques mois plus tard, le principe de l’assimilation législative est reconnu et précisé par la Constitution du 27 octobre 1946. L’article 73 dispose alors que : « le régime législatif des départements d’outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi. » Cette formulation consacre un deuxième principe, corollaire indispensable du principe d’assimilation compte tenu des spécificités liées aux départements d’outre-mer : le principe d’adaptation.

La Constitution du 4 octobre 1958 inverse la formulation de la Constitution du 27 octobre 1946 en mettant l’accent, dans son article 73, sur le principe d’adaptation : « le régime législatif et l’organisation administrative des départements d’outre-mer peuvent faire l’objet de mesures d’adaptation nécessitées par leur situation particulière. » Cette formulation souligne néanmoins a contrario que le régime législatif et réglementaire des départements d’outre-mer est bien celui de droit commun.

La mise en application de ces deux principes se révèle néanmoins délicate, exigeant un équilibre difficile entre un impératif d’égalité républicaine et la nécessaire prise en compte des spécificités ultra-marines. Le Conseil constitutionnel s’est efforcé de cerner la réalité de ces deux principes en indiquant que les mesures d’adaptation « ne sauraient avoir pour effet de conférer aux départements d’outre-mer une organisation particulière, prévue par l’article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d’outre-mer. » (Décision n° 82-147 du 2 décembre 1982). Autrement dit, le principe d’adaptation ne peut trouver d’application que dans des mesures subsidiaires et particulières et ne saurait en tout état de cause faire échec au principe global et général d’adaptation.

Le Conseil constitutionnel a par ailleurs précisé que les mesures d’adaptation « relèvent, selon leur objet, de la voie législative ou de la voie réglementaire » et « s’agissant de mesures d’application d’une disposition législative, même si elles doivent comporter une certaine adaptation à la situation des DOM, c’est à l’autorité réglementaire qu’il appartient normalement de les prendre, sous le contrôle de la juridiction compétente pour en apprécier la légalité. » Le principe d’assimilation législative a été repris plus tard, avec quelques aménagements, par la loi du 11 juin 1985 relative au statut de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon ; en revanche, la collectivité territoriale de Mayotte reste régie par le principe de spécialité législative, les lois et règlements ne s’y appliquant que sur mention expresse.

Le principe d’assimilation connaît cependant des limites et a parfois été perçu comme un carcan juridique trop contraignant peu adapté aux spécificités des DOM.

Toutefois, au-delà des inconvénients d’un dispositif parfois jugé trop rigoureux, il convient de rappeler que c’est grâce au statut juridique de l’assimilation que les DOM ont pu être considérés comme faisant partie intégrante de l’Union européenne.

· L’intégration à l’Union européenne

La place des DOM dans l’Union européenne n’a pas toujours été exempte d’ambiguïtés. L’article 227, § 1, du Traité de Rome dispose que : « le présent traité s’applique (…) à la République française » ; l’article 227, § 2, cite expressément les DOM en distinguant les domaines pour lesquels la législation communautaire est d’application immédiate (libre circulation des marchandises, libération des services, règles de concurrence et agriculture) et les autres domaines pour lesquels l’application est différée d’un délai de deux ans, après détermination de leurs conditions d’application par le Conseil statuant à l’unanimité.

La distinction entre les dispositions d’application immédiate (alinéa 1 de l’article 227, § 1) et celles d’application différée (alinéa 2) est certainement issue d’une volonté d’accorder aux DOM un délai de transition pour préparer leur insertion dans la Communauté. Le problème s’est posé cependant vingt ans plus tard, alors que le Conseil n’avait adopté aucune mesure concernant les conditions d’application du deuxième alinéa de l’article 227, § 2. Il s’agissait de savoir si ces dispositions, en l’absence de mesures d’adaptation, s’appliquaient pleinement aux DOM ou si le fait que le Conseil n’ait pas statué dans un délai de deux ans ne prolongeait pas indéfiniment la condition suspensive d’applicabilité.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 10 octobre 1978 (Arrêt « Hansen ») permit d’apporter une réponse définitive à la question de l’application du Traité de Rome aux DOM : « le statut des DOM dans la Communauté est défini en première ligne, par référence à la Constitution française, aux termes de laquelle (…) les DOM font partie intégrante de la République. » C’est moins de l’affirmation que « les DOM font partie intégrante de la République » – car la question de l’applicabilité des dispositions communautaires aux territoires d’outre-mer se pose alors – que de celle consistant à dire que « le statut des DOM dans la Communauté est défini par référence à la Constitution française » que se détermine le statut des DOM au sein de l’Union européenne. L’article 73 de la Constitution française postulant l’assimilation des DOM, il en résulte, dès lors, leur assimilation au territoire communautaire et la pleine application du droit européen.

Des conclusions de l’arrêt Hansen devrait pouvoir également être déduit, par voie de conséquence, le principe d’adaptation générale prévu par la Constitution ; et, en effet, l’arrêt Hansen précise que « le Traité de Rome ménageant les plus larges possibilités de prévoir des dispositions particulières adaptées à la situation géographique, économique et sociale particulière des DOM, il reste toujours possible de prévoir des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires ».

Il semble cependant que la reconnaissance du principe d’adaptation ait fluctué au fil des divers arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes ; d’abord reconnu de portée générale et absolue par l’arrêt Hansen de 1978 d’une part et l’arrêt « Coopérative agricole d’approvisionnement des avirons » du 26 mars 1987 d’autre part, le principe d’adaptation a cependant par la suite reçu une définition beaucoup plus restrictive dans deux arrêts « Legros » du 16 juillet 1992 et « Lancry » du 9 août 1994. La Cour de justice déclare ainsi que « les dispositions du Traité mentionnées explicitement à l’article 227, § 2, premier alinéa, ont été applicables dans les DOM dès l’entrée en vigueur du traité CEE (…) Pour les autres dispositions, il est possible de prévoir des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires. » Autrement dit, le principe d’adaptation n’est applicable que pour les dispositions du deuxième alinéa de l’article 227, § 2. Pour les dispositions visées au premier alinéa, considérées dès le départ comme d’application immédiate, la législation communautaire ne peut subir de modifications tenant compte de la spécificité des DOM. L’objectif communautaire doit prévaloir sur l’objectif spécifique de l’outre-mer dans des domaines aussi cruciaux que la libre circulation des marchandises ou l’agriculture. Dès lors, des dispositifs essentiels aux économies ultra-marines, tels que l’octroi de mer ou le programme communautaire « POSEIDOM », ont vu leur assise juridique remise en cause.

Cette insécurité juridique, provoquée par le caractère incomplet du principe d’adaptation, a conduit les Etats membres de l’Union européenne à réfléchir à une nouvelle rédaction de l’article 227, § 2, ou, tout du moins, à une reconnaissance sans ambiguïté des spécificités des DOM et du principe d’adaptation. La première tentative fut décevante et se borna à annexer aux accords de Maastricht une « Déclaration relative aux régions ultrapériphériques de la Communauté » au caractère normatif incertain et au contenu peu novateur.

Le traité d’Amsterdam a enfin permis de mettre fin à l’incertitude juridique en proposant une nouvelle rédaction de l’article 227, § 2, devenu depuis l’article 299, § 2.

Le principe d’adaptation est désormais étendu à l’ensemble des dispositions d’ordre communautaire, sans qu’il y ait de distinction entre les mesures directement applicables et celles d’application différée ; cette reconnaissance du principe d’adaptation n’est toutefois plus limitée aux DOM ; sont également concernés les Açores, Madère et les îles Canaries. La France sort donc de son isolement et peut, dès lors, compter sur l’appui de l’Espagne et du Portugal pour une reconnaissance de la spécificité des régions ultrapériphériques.

Pour autant, la question de l’assimilation des DOM dans l’Union européenne n’est pas totalement résolue ; aucune mesure interprétant ces nouvelles dispositions du Traité n’a encore été arrêté par la Commission européenne ; a fortiori, cet article n’a donné lieu à aucune jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. L’équilibre paraît délicat à trouver entre les spécificités « domiennes » et l’impératif communautaire. Le dernier alinéa de l’article 229 § 2 fixe en effet une limite générale à la capacité d’adaptation qui devra être précisée : le principe selon lequel « les mesures d’adaptation ne peuvent nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique communautaire, y compris le marché intérieur et les politiques communes » pourrait, s’il en était fait une interprétation restrictive, priver de tout intérêt la révision opérée par le traité d’Amsterdam.

Quelle que soit l’interprétation qu’en donneront les instances communautaires, il est indéniable que les DOM ont désormais acquis une place à part entière au sein de l’Union européenne, et que cette place tient d’abord à celle qui leur est réservée dans la Constitution du 4 octobre 1958.

Néanmoins, l’assimilation des DOM à la métropole et l’adaptation de la législation aux spécificités ultra-marines sont loin d’être des clauses juridiques sans consistance. Elles sont au contraire le fondement même du développement économique et social que les DOM ont pu connaître depuis 1946.

      B. L’ESSOR ÉCONOMIQUE

        · Des structures économiques proches de celles de la métropole

Les tensions sociales et les problèmes économiques que connaissent actuellement les DOM font souvent oublier que ces départements ont connu depuis 1946 un développement sans précédent. Les structures économiques ont subi une profonde mutation, passant d’une économie de type « colonial » centré sur une monoculture à une économie de services.

Cette mutation économique a suivi des évolutions différentes selon les départements : à La Réunion, la population agricole a diminué, malgré les aides consenties au secteur primaire, à partir des années 1970. Ce secteur où travaillaient 54,9 % des actifs en 1954 n’en emploie plus que 5,1 % en 1989 et 4,3 % en 1993. L’absence de matières premières, l’éloignement des grands marchés, le coût du fret et la faiblesse du marché intérieur expliquent la stagnation du secteur secondaire, qui occupe 27,2 % des actifs. L’évolution du secteur tertiaire se caractérise par sa part croissante dans la population active : 23 % en 1954, 67 % en 1990 et 68,5 % en 1993.

Les départements des Antilles ont connu une évolution semblable ; ainsi le secteur primaire occupait en 1994 7 % de la population, soit six fois moins qu’en 1961. L’économie sucrière est moins prédominante que par le passé. En Martinique, 8 000 tonnes de sucre sont produites contre 92 000 en 1963. De même, seules deux sucreries sur les onze que comptait la Guadeloupe en 1966 subsistent encore aujourd’hui. Ce déclin de la production agricole ne touche pas la production bananière, puisque les Antilles exportaient en 1996 407 300 tonnes contre 189 000 en 1958. Il est bien évident que le maintien, voire l’accroissement, de la production bananière est encouragé par les dispositions favorables de l’organisation commune du marché de la banane. La remise en cause de cette organisation fait peser de fortes incertitudes sur l’avenir de cette production. Votre rapporteur aura l’occasion d’y revenir. Le secteur tertiaire occupe aujourd’hui 74 % de la population active, contre 33 % en 1961 ; cette évolution s’est faite notamment grâce au développement de l’industrie touristique. Cette mutation s’est accompagnée d’une amélioration incontestable des conditions de vie de leurs habitants : le produit intérieur brut par habitant a été multiplié entre 1946 et 1986 par plus de 30.

En Guyane, la voie suivie par le développement économique est quelque peu différente ; il convient de rappeler que faire de la Guyane, en 1946, un département français était sans aucun doute le pari le plus risqué ; ce territoire restait en effet largement inexploré et seule la côte était exploitée. La guerre avait par ailleurs accéléré le déclin des dernières productions coloniales, et notamment la principale, l’or, dont le cours s’était effondré. Après 1946, l’Etat tente, par la planification, de relancer les productions coloniales et de développer de nouvelles activités telles que la bauxite. Le décollage économique se fait toutefois attendre, alimentant la déception des Guyanais envers la départementalisation. Jusqu’en 1964, la vie économique se réduit essentiellement au fonctionnement des services des administrations publiques et des sociétés d’Etat. En 1964, la Guyane est sélectionnée comme nouveau site d’accueil des activités spatiales. Aujourd’hui, les lancements de satellites constituent la richesse de tout premier ordre, représentant au total près de 60 % de la production marchande. Les effets induits par l’implantation du Centre spatial guyanais ont été particulièrement sensibles au niveau des infrastructures lourdes : construction de la base elle-même, développement de la ville de Kourou dont la population est passée de 4 720 habitants en 1974 à plus de 20 000 actuellement, modernisation du réseau routier, construction d’équipements publics, tels que barrages ou centrales électriques.

Au-delà des études sectorielles pour chaque DOM, il convient de préciser que c’est l’ensemble de l’environnement économique qui a connu une importante amélioration : les infrastructures publiques ont été considérablement développées : le réseau routier a ainsi été multiplié par deux depuis 1949 ; de même, les équipements portuaires et les aéroports sont désormais équivalents à ceux de la métropole. L’électrification a également fait des progrès considérables, les logements équipés représentant, en Martinique et à La Réunion du moins, plus de 97 % des logements, contre 45 % en 1994.

L’évolution du PIB pour chaque département depuis 1946 illustre particulièrement bien ce passage d’économies structurées sur le modèle colonial à celles caractéristiques des pays industrialisés.

EVOLUTION DU PRODUIT INTÉRIEUR BRUT DEPUIS 1970

INTITULÉS

1970

1980

1990

1994

Valeurs aux prix courants
(en millions de francs)

Guadeloupe

Martinique

Guyane (1)

Réunion

Les quatre DOM (1)

Métropole

1 330

1 600

2 013

4 943

793 519

5 860

6 102

1 219

8 449

21 630

2 808 295

15 200

19 320

6 526

28 375

69 421

6 509 488

19 751

24 506

8 231

35 266

87 754

7 389 654

(1) Les comptes économiques de la Guyane n’ont été élaborés qu’à partir de 1975.

Source : INSEE.

      · Les écarts de développement avec les pays voisins

L’analyse des résultats économiques des pays voisins, y compris de grands pays tels que le Brésil ou le Vénézuéla, permet de situer la réussite des DOM dans leur environnement régional ; seuls quelques pays, tels que les Bahamas ou les îles Caïmans, connaissent un niveau de vie plus élevé que les DOM ; la proximité de ces pays avec les Etats-Unis, ainsi que le développement des installations touristiques et la législation relative aux activités bancaires expliquent en grande partie ces écarts.

POPULATION ET PNB PAR HABITANT
COMPARAISON DES DOM ET DES PAYS ENVIRONNANTS

PAYS

Population
moyenne
(en milliers d’hab.)

PIB/habitant
(en dollars)

Caraïbes :

   

Guadeloupe

443

9 200

Martinique

389

10 000

Antigua et Barbuda

67

9 030

Barbade

268

10 580

Dominique

71

4 320

Grenade

93

4 750

Sainte-Lucie

150

5 310

Saint-Vincent

112

4 150

Trinidad et Tobago

1 283

6 840

Bahamas

296

10 780

Iles Cayman

36

23 800

Haïti

7 952

1 270

Jamaïque

2 358

3 440

Amérique :

   

Guyane

144

9 402

Brésil

168 851

6 480

Océan indien :

   

Réunion

682

9 978

Madagascar

15 057

930

Maurice

1 141

9 310

Seychelles

76

7 012

Source : Etat du Monde, Ed. La Découverte.

      C. L’EGALITE SOCIALE

        · L’amélioration des conditions de vie

Outre le développement des infrastructures publiques, déjà mentionné, les lois de départementalisation ont permis de voir les conditions de vie des habitants des DOM nettement améliorées. Ainsi, des efforts particulièrement importants ont été menés en matière d’équipements éducatifs, notamment depuis la décentralisation, permettant la construction et la rénovation d’un nombre important de lycées et collèges. Cet effort s’est traduit par une augmentation du taux de scolarisation, et ce en dépit du dynamisme démographique observé dans les DOM. En 1949, le nombre de jeunes scolarisés s’élevait, pour 1 000 habitants, à 5 à La Réunion et 12 en Guadeloupe ; il varie aujourd’hui de 94 en Guyane à 141 à La Réunion. Le taux de jeunes gens scolarisés à l’âge de 16 ans est même supérieur à la Guadeloupe et en Martinique à celui observé en métropole. En matière sanitaire, les progrès ont également été significatifs ; les endémies ont été éradiquées. Le paludisme subsiste encore en Guyane, mais uniquement à l’intérieur des terres. Il a complètement disparu de la bande littorale où résident 90 % des habitants. Il a également été totalement éradiqué de La Réunion, où il était pourtant responsable du tiers des décès en 1948. Plus généralement, le recul des maladies infectieuses ou parasitaires, à l’origine de 80 % des décès avant la seconde guerre mondiale, a permis d’atteindre un niveau d’espérance de vie équivalent à celui observé en métropole, alors même que ce niveau n’atteignait pas 40 ans en 1946. L’environnement médical s’est également transformé : à La Réunion, le nombre de médecins pour 100 000 habitants est passé de 15 en 1946 à 184 en 1998 ; les infrastructures hospitalières, notamment en Martinique et en Guadeloupe, sont équivalentes à leurs homologues de métropole.

L’amélioration des conditions de vie, ainsi que les progrès effectués dans le domaine médical, ont permis d’améliorer l’espérance de vie et de réduire considérablement la mortalité infantile. Cependant, les DOM n’ont pas connu, démographiquement, une évolution comparable à celle de la métropole ; le taux de natalité reste ainsi très élevé. Conjugué à un solde migratoire important, les DOM ont connu un dynamisme démographique qui les différencie encore de la métropole : le taux de croissance annuel moyen de la population des DOM a ainsi été de 1,4 % de 1970 à 1994 (+ 2 % entre 1982 et 1994) contre 0,5 % par an à la métropole. Les évolutions varient cependant suivant les départements : en Guadeloupe, la croissance démographique a été très forte entre 1982 et 1990 et s’est ralentie depuis ; elle s’explique aujourd’hui plus par une présence importante de jeunes adultes que par une fécondité qui se situe à deux enfants par femme. La situation est identique à la Martinique : l’accroissement important de la population est davantage la conséquence d’une pyramide des âges très favorable comptant beaucoup de jeunes adultes que d’un indice de fécondité passé de 3,4 enfants par femme en 1975 à 2,2 en 1997. La Réunion a été marquée par une transition démographique importante : le rythme moyen de progression de la population a été supérieur à 2 % par an entre 1946 et 1974, soit un doublement de la population entre ces deux dates. Il reste toujours important aujourd’hui, dépassant les 1,8 %. Enfin, la Guyane connaît une véritable explosion démographique, due à une natalité importante – forte fécondité et jeunesse de la population – et à une immigration soutenue – le nombre d’étrangers ayant doublé entre les recensements de 1982 et 1990.

ÉVOLUTIONS DÉMOGRAPHIQUES DEPUIS 1970

(en milliers de personnes)

 

1970

1980

1990

1994

Population moyenne

       

Guadeloupe

320,7

326,9

390,7

413,9

Martinique

325,5

326,1

361,9

381,2

Guyane

49,2

68,8

118,5

144,0

Réunion

445,5

507,4

601,7

647,8

Les quatre départements d’outre-mer

1 140,8

1 229,2

1 472,8

1 586,9

Métropole

50 772,2

53 880,0

56 735,1

57 899,7

Population des DOM/
population de la métropole

2,2

2,3

2,6

2,7

Source : INSEE

        · La réalisation progressive de l’égalité sociale

L’égalité sociale avec la métropole s’est faite lentement, alors qu’elle était pourtant le corollaire logique de la départementalisation. Le principe de l’extension des régimes de sécurité sociale est acquis par un décret de 1947 ; les assurances maladie, maternité, invalidité et décès ne seront pourtant véritablement mises en place qu’en 1955. De plus, ce n’est que beaucoup plus tard, en 1972, que les caisses d’allocation familiales seront créées.

Au milieu des années 80, des inégalités entre la métropole et les DOM subsistent, et les écarts en matière de salaires, de prestations familiales, d’éducation ou de logement social restent flagrants.

Dans la droite ligne du programme présidentiel du candidat Mitterrand en 1988 qui, dans « La lettre à tous les Français », exposait l’objectif d’égalité sociale, un nouvel essor est donné à l’alignement des DOM sur la métropole dans les années 90. En matière de revenus, l’égalité sociale est acquise le 1er janvier 1996 par la hausse du SMIC applicable dans les DOM à hauteur de celui existant en métropole. En matière de protection sociale, l’égalisation s’est faite par étapes progressives : une série de lois et de décrets, pris entre 1991 et 1996 ont ainsi étendu aux DOM des prestations spécifiques à la famille telles que l’alignement des allocations familiales, la mise en place d’allocations telles que l’allocation de garde d’enfants à domicile (AGED) ou l’allocation parentale d’éducation (APE). Cette politique d’égalité sociale s’est souvent traduite par un réaménagement de prestations spécifiques aux DOM. Les disparités avec la métropole n’ont pourtant pas complètement disparu : subsistent toujours notamment la réfaction de 20 % sur le montant du RMI, ou des montants moins élevés en matière de prestation d’allocation de parent isolé ou de complément familial. Il convient d’ajouter cependant, en ce qui concerne le RMI, que la différence entre le montant fixé dans les DOM et celui de métropole sert à l’insertion sociale, dans la mesure où elle est utilisée sur place, par le biais de la créance dite de « proratisation », pour le financement du logement social et d’actions d’insertion.

Certaines prestations restent cependant plus favorables aux DOM. Ainsi, par exemple, les allocations familiales ou l’allocation d’adoption ont été maintenues pour un seul enfant ; l’allocation de logement à caractère familial comporte une disposition particulière concernant l’âge maximum d’un enfant étudiant, apprenti ou infirme (22 ans) ; enfin, l’existence d’une prestation spécifique de restauration scolaire a également été maintenue.

*

* *

Assimilation juridique, croissance économique, égalisation des droits : la situation des DOM peut paraître privilégiée, notamment au regard des performances économiques et des niveaux de vie des pays voisins immédiats. Pourtant, en dépit de l’amélioration certaine des conditions de vie, les DOM restent caractérisés par une situation économique et sociale dégradée à laquelle s’ajoute un dysfonctionnement des institutions. Le constat semble connu et a fait l’objet de nombreux rapports. Au-delà de l’analyse théorique, la commission des Lois a souhaité appréhender la réalité quotidienne des départements d’outre-mer en envoyant deux missions parlementaires, l’une conduite par sa Présidente à l’île de La Réunion et à Mayotte, l’autre conduite par votre rapporteur en Guyane, à la Martinique et à la Guadeloupe. Au travers de nombreux témoignages, d’horizons politiques et sociaux variés, les députés en mission ont pu réaliser à quel point les bases de la prospérité dans les départements d’outre-mer demeurent fragiles. L’urgence d’une réflexion sur l’avenir de ces départements s’impose.

II. — LES CONSTATS ÉTABLIS PAR LES DEUX MISSIONS PARLEMENTAIRES DE LA COMMISSION DES LOIS S’ACCORDENT SUR LA FRAGILITÉ DE LA PROSPÉRITÉ DANS LES DOM

      A. UNE DÉCENTRALISATION EN DIFFICULTÉ

        1. Une marge de manœuvre réduite en matière de ressources financières

        · La fiscalité indirecte

Il convient de rappeler ici que les collectivités locales des départements d’outre-mer bénéficient, en matière de décentralisation, d’un régime très proche de celui du droit commun, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 174 DC du 2 décembre 1982, ayant entendu faire prévaloir dans toute sa rigueur le principe d’assimilation. Les compétences des collectivités locales n’ont ainsi fait l’objet que d’un nombre très réduit d’adaptations.

En revanche, la structure des ressources imparties aux collectivités locales diffère totalement de celle des collectivités de métropole.

En premier lieu, il faut insister sur l’effort consenti par l’Etat en terme de dotations attribuées aux collectivités locales : ce montant, toutes dotations confondues, s’élève à un peu plus du double, en moyenne par habitant, de celui consenti aux collectivités de métropole.

Cependant, c’est davantage dans la répartition entre fiscalité directe et fiscalité indirecte que se révèle la spécificité des ressources locales : les impositions directes n’y représentent en effet en moyenne, d’après les chiffres constatés en 1996, que 20 % de l’ensemble des recettes de fonctionnement des collectivités locales d’outre-mer, contre une moyenne sur la France entière de près de 50 %.

En conséquence, les impositions indirectes présentent une importance particulière pour les DOM ; encore faut-il également insister sur leur spécificité, la principale ressource provenant du produit d’une taxe dénommée « octroi de mer » qui n’existe que dans les DOM. L’octroi de mer représente une recette d’environ 3,5 milliards de francs par an, au bénéfice des communes et des régions, et peut ainsi parfois constituer 70 % des ressources d’une commune. Il se définit comme une taxe sur les marchandises, que celles-ci soient importées ou, depuis le 1er janvier 1993, produites localement. Cependant, jusqu’à la fin 2002, certaines productions locales particulièrement vulnérables peuvent être exonérées, sous réserve d’un accord préalable de la Commission européenne. C’est le conseil régional, depuis la loi du 2 août 1984, qui réglemente l’assiette de l’octroi de mer, son taux et son régime d’exonération. Le produit de l’octroi de mer fait l’objet, après prélèvement des frais d’assiette et de recouvrement au profit de l’Etat, d’une affectation annuelle à une dotation globale de garantie répartie entre les communes (en Guyane, entre le département et les communes) et pour le solde à une dotation au fonds régional pour le développement et l’emploi.

La question de la pérennité du régime de l’octroi de mer se pose au regard de la législation européenne ; certes, la nouvelle rédaction de l’article 299, § 2, issue du Traité d’Amsterdam, a clairement autorisé des dispositifs spécifiques en matière de libre circulation des marchandises, compte tenu des particularités de l’outre-mer. Néanmoins, il a également été précisé que les exonérations ne devaient pas présenter un caractère général ou systématique et devaient, au contraire, être nécessaires, proportionnelles et précisément déterminées.

Le risque de non conformité du régime de l’octroi de mer aux dispositions européennes existe donc et devra être appréhendé avec beaucoup de circonspection lors du renouvellement du dispositif, prévu après le 31 décembre 2002.

En raison du rôle prépondérant qu’il joue dans les finances des collectivités locales d’outre-mer et des conséquences qu’il comporte pour les entreprises, l’avenir proche de l’octroi de mer reste un sujet d’inquiétude à prendre en considération.

En matière d’impôts indirects, il faut ajouter que les DOM disposent également de la taxe spéciale de consommation des produits pétroliers (2,64 milliards de francs en 1998) se répartissant entre les régions (1,36 milliard), les départements (0,72 milliard) et les communes (0,56 milliard). Cette taxe est principalement utilisée au financement de la voirie et au développement des transports publics de personnes.

Que ce soit la taxe sur les produits pétroliers ou, plus encore, l’octroi de mer, la caractéristique du produit de ces contributions indirectes est d’être très dépendante de la situation économique et de rester finalement peu influencée par les décisions politiques. Les communes, notamment pour l’octroi de mer, n’ont que peu de prises sur la répartition du produit, alors même que certaines se plaignent des critères de choix opérés parfois par les conseils régionaux : la fiscalité locale ne peut, dès lors, être un instrument de gestion actif dans les politiques économiques, alors même que l’intervention des collectivités locales est de plus en plus sollicitée.

        · La fiscalité directe

Il reste que les collectivités locales peuvent jouer sur les taux de la fiscalité directe, même si la part du produit de ces impôts est moindre qu’en métropole. Les marges de manœuvre paraissent toutefois beaucoup plus réduites : en effet, globalement, la valeur moyenne des bases d’imposition dans les DOM est très nettement inférieure à ce qui est observé en métropole. Les raisons sont multiples : en premier lieu, un abattement général de 40 % est appliqué aux bases d’imposition à la taxe d’habitation, abattement qui peut être monté à 50 % sur décision du conseil délibérant. Rappelons qu’en métropole, cet abattement est facultatif et limité à 5, 10 ou 15 %, même si, il est vrai, l’abattement pour charge de famille est plus faible dans les DOM. Cette disposition réduit considérablement l’assiette imposable ; elle s’ajoute au fait, comme l’a rappelé M. Anicet Turinay, député de la Martinique, à la mission conduite par votre rapporteur, qu’en raison des difficultés économiques et sociales que connaissent les DOM, un nombre important de foyers ne sont pas imposables compte tenu de la faiblesse de leurs revenus. Il a ajouté que les règles d’urbanisme n’étant que rarement respectées, beaucoup d’habitations construites sans permis échappaient du même coup à l’assujettissement à l’impôt local. M. Albert Dorville, président de l’association des maires de la Guadeloupe, a évoqué à ce sujet les difficultés rencontrées par les communes en matière d’adressage et de recensement des foyers imposables. Il a indiqué qu’il serait possible de trouver une marge de recettes si les services du cadastre, éventuellement aidés par les services de l’Etat, s’attelaient à la tâche ; il a cependant déploré l’absence de volonté politique dans ce domaine.

Par ailleurs, la variation des taux de la taxe professionnelle ne peut être utilisée qu’avec prudence : dans un contexte économique dégradé, toute charge supplémentaire pesant sur les entreprises paraît inopportune. Les taux de taxe professionnelle sont déjà plus élevés que ceux de la métropole, et la croissance des bases d’imposition est plus soutenue : ainsi, en 1998, l’augmentation a été de 4,2 % contre 3,2 % en métropole. M. Alex Weimert, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Guyane, s’est élevé contre l’évolution de ces taux, la taxe professionnelle grevant davantage selon lui les résultats des entreprises que l’impôt sur les sociétés.

        2. Une augmentation des dépenses due à un contexte économique fragile

Alors même qu’elles n’ont qu’une marge de manœuvre réduite en matière de ressources financières, les collectivités locales des DOM ont à faire face à une demande d’intervention plus importante qu’en métropole. Le contexte paraît en effet particulier : il convient en premier lieu d’insister sur le retard de développement et la faiblesse des infrastructures que connaissent encore actuellement les DOM par rapport à la métropole. Les collectivités locales ont dû, depuis la décentralisation, assumer des charges considérables en matière de routes, de réseaux publics et d’infrastructures scolaires. De plus, les conditions climatiques imposent un rythme de renouvellement des installations plus soutenu qu’en métropole. Le contexte démographique est également prépondérant dans l’étude des interventions des collectivités locales : comme l’exposait M. André Lecante, président du Conseil général de Guyane à la mission parlementaire conduite par votre rapporteur, l’explosion démographique dans ce département a atteint de telles proportions qu’elle nécessiterait la construction d’un collège par an.

Surtout, il faut insister sur des arguments de nature plus conjoncturelle : la faiblesse de l’activité économique et le niveau élevé du chômage pèsent également sur les finances locales : les dépenses d’aide sociale sont ainsi deux fois plus élevées qu’en métropole (2 376 francs par habitant contre 1 317 francs en métropole), la part de ces dépenses consacrées au RMI s’élevant à 11,2 % contre 4,6 % en métropole. Au total, dans les départements, les dépenses totales par habitant s’élèvent en moyenne à 5 300 francs contre un peu moins de 3 700 francs en métropole. Pour les régions d’outre-mer, les dépenses totales par habitant se révèlent également 2,5 fois plus élevées qu’en métropole.

        3. Des collectivités locales peu préparées à faire face à la forte demande d’intervention sociale

        · L’inadaptation du cadre juridique

La première constatation à propos des difficultés rencontrées par les collectivités locales porte sur l’inadaptation du cadre juridique : on rappellera ici que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 décembre 1982, a, sur la base d’une interprétation des dispositions de l’article 72 et 73 de la Constitution, censuré le projet d’une assemblée unique, regroupant région et département, pour les DOM.

Les DOM sont, dès lors, chacun dotés d’un conseil régional et d’un conseil général, dont les compétences, à l’exception de quelques aménagements mineurs, sont largement calquées sur celles des collectivités locales métropolitaines. Il serait facile d’en déduire que la capacité de réponse aux attentes sociales des collectivités locales d’outre-mer est identique à celle de métropole. En réalité, le problème de l’enchevêtrement des compétences entre région et département se pose dans les DOM avec une acuité particulière : la coexistence de deux collectivités, régionale et départementale, sur un même territoire, à l’assise géographique et démographique restreinte, conduit à produire en permanence un face à face entre les deux niveaux d’administration.

Sans même évoquer les conflits pouvant résulter de majorités politiques différentes entre les deux assemblées, l’existence de régions monodépartementales se traduit quasiment systématiquement par une concurrence dommageable aux actions de l’une comme de l’autre. Cette concurrence entre région et département est, de plus, encouragée par un environnement social et économique dégradé, incitant les départements à intervenir dans le domaine de l’action économique et les régions dans le domaine social. La cohérence, la clarté et l’efficacité de l’action publique s’en trouvent affectées, la dilution des responsabilités qui en résulte nuisant à l’exercice normal de la démocratie. M. Claude Lise, président du Conseil général de la Martinique, a ainsi déploré que le conseil régional s’investisse davantage dans des actions de nature sociale, théoriquement de la compétence du département, plutôt que dans des actions de développement économique. Il a supposé que cet empiétement de compétences relevait davantage de préoccupations électoralistes et médiatiques que d’une méconnaissance de la répartition des compétences entre région et département.

        · Le poids excessif des dépenses de personnel

Au-delà même de la rigidité du cadre juridique et des chevauchements de compétences qui en résultent, les collectivités locales d’outre-mer connaissent un problème spécifique de recrutement du personnel qui se révèle aujourd’hui être un obstacle à une action efficace.

La première spécificité concernant les agents des collectivités locales réside dans leur surrémunération : les agents titulaires des fonctions publiques locales perçoivent, en effet, tout comme les agents de l’Etat servant dans les DOM-TOM, un traitement majoré équivalent à une prime de 40 % pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique et 53 % pour La Réunion. La seconde spécificité réside dans l’importance du personnel non titulaire des collectivités locales : de l’ordre de 25 % en métropole, il s’élève dans les DOM à 68 %, avec des variations selon les départements (69 % des agents à la Martinique, 71 % en Guyane, 75 % à La Réunion et 57 % en Guadeloupe) et selon le niveau des collectivités locales, la proportion étant plus élevée pour les agents communaux (atteignant 85 % à La Réunion). Le recours à des agents non titulaires repose, en premier lieu, sur l’impossibilité pour les collectivités locales d’assumer financièrement la prise en charge des majorations de traitement versées aux fonctionnaires territoriaux dans les DOM et, ensuite, sur des préoccupations sociales, le souci étant d’endiguer un chômage touchant une population jeune et souvent dépourvue de qualification.

Le problème est que la situation de ces non-titulaires est dépourvue de base légale ; l’article 3 de la loi du 26 janvier 1984 interdit en effet aux collectivités locales de recruter des agents non titulaires pour occuper des emplois permanents, sauf exceptions très strictes (remplacement, vacance temporaire d’emploi …). Ce procédé n’a jamais été remis en cause, dans la mesure où il a permis aux collectivités locales de jouer un rôle prépondérant dans l’emploi local.

Néanmoins, la situation se révèle à terme peu satisfaisante :

—  les agents se retrouvent dans une situation juridique précaire ;

—  les disparités fortes parmi les agents des collectivités locales entre titulaires et non-titulaires sont susceptibles de provoquer des tensions sociales graves. Les grèves en Guyane en janvier 1995, à La Réunion en juillet 1998 et en Guadeloupe cet été démontrent l’urgence de trouver une solution à ce problème ;

—  l’ampleur du phénomène n’est pas favorable à une bonne administration des collectivités locales ; le personnel ainsi recruté étant en grande majorité de catégorie C (près de 97 % des non-titulaires), le sous-encadrement des collectivités est manifeste, alors même que le taux d’administration locale est plus élevé dans les DOM (28 fonctionnaires locaux pour 1 000 habitants contre 21,8 en métropole) ;

—  enfin, l’existence de cette catégorie de non-titulaires fait peser sur les comptes des collectivités locales un risque financier, lié à la titularisation avec surrénumération de 40 à 53 % selon les départements.

M. Claude Lise, président du Conseil général de la Martinique, rappelant les propositions concernant la suppression de la surrénumération pour les fonctionnaires nouvellement recrutés, a exprimé sa crainte qu’une telle mesure n’entérine définitivement l’existence d’une fonction publique « à deux vitesses ». Il a émis sa préférence pour une réforme qui permettrait de titulariser les agents concernés, sans pour autant que leur soit appliquée la prime de 40 %. M. Julien André, premier vice-président du Conseil général de Guadeloupe, a observé qu’il y avait actuellement une prise de conscience de la part des syndicats sur cette question de surrémunération ; il a estimé qu’il était urgent d’entamer une action obligeant les collectivités locales à reconnaître ces agents et à leur proposer un statut adéquat ; il a reconnu cependant qu’une telle action se heurterait automatiquement à la résolution du problème de surrémunération.

M. Albert Dorville, président de l’Association des maires de la Guadeloupe, a proposé d’assainir la situation en mettant en place un échéancier de titularisation, tout en convenant cependant que cette mise en place n’était possible que si les syndicats en acceptaient le principe. Le principe de surrémunération du personnel titulaire conjugué à un recrutement important d’agents non titulaires ont eu pour conséquence de mettre les finances locales dans une situation difficile. M. Albert Dorville rappelait à cet effet que 60 à 65 % du budget des communes guadeloupéennes étaient consacrés à la masse salariale. Les dépenses de fonctionnement, quel que soit le DOM ou le niveau de collectivité concerné, se révèlent effectivement beaucoup plus élevées qu’en métropole ; pour les communes de plus de 10 000 habitants, le niveau de dépenses de fonctionnement s’élève à 5 620 francs par habitant contre 3 590 francs en métropole ; pour les départements, il est de 4 187 francs contre 2 573 francs en métropole et de 1 519 francs contre 604 francs pour les régions.

D’une façon générale, les dépenses de gestion des collectivités d’outre-mer augmentent plus fortement qu’en métropole sous l’impulsion de la croissance toujours soutenue des dépenses de personnel.

Dans ces conditions, comme le rappelait M. Albert Dorville, les collectivités locales n’ont qu’une très faible capacité d’investissement, et leurs disponibilités d’intervention dans le domaine économique et social s’en trouvent réduites.

Il faut ajouter qu’elles ont des charges de fonctionnement et un niveau d’endettement fort élevé ; les régions d’outre-mer connaissent ainsi en 1998 un niveau de dette par habitant 2,5 fois plus élevé qu’en métropole. Les départements se situent à peu près au même niveau. Les communes ont pratiqué depuis 1994 une politique active de désendettement (diminution de 300 millions de francs sur 1995, 1996 et 1997) ; de ce fait, l’encours de la dette, en francs par habitant ou rapporté aux recettes de fonctionnement, est plus faible dans les DOM qu’en métropole.

Ce niveau d’endettement limite la capacité d’intervention des collectivités. De plus, l’accumulation de déficits élevés incite les organismes prêteurs à inclure une prime de risque plus importante dans leurs prêts aux collectivités en difficulté, prime de risque qui peut se répercuter sur l’ensemble de la structure des taux d’intérêt et rendre les investissements des entreprises plus onéreux.

Enfin, certaines collectivités confrontées à des problèmes de trésorerie ne peuvent payer leurs fournisseurs qu’avec retard. Ceux-ci, comme l’a expliqué M. Jean-Jacques Fayel, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Basse-Terre, se trouvent dès lors dans une situation financière délicate. Les fournisseurs finissent par intégrer une marge couvrant ce risque de délais dans leurs factures ; la crise des finances locales a alors tendance à se répercuter dans l’ensemble de l’économie locale avec la multiplication des retards de paiement et des arrêts de chantiers.

Le potentiel fiscal des entreprises se détériore, entretenant dès lors l’insuffisance des ressources locales et l’endettement.

      B. UNE ÉCONOMIE EN PROIE À D’IMPORTANTS DÉSÉQUILIBRES

        1. Des secteurs d’activité traditionnels en difficulté

        · L’économie sucrière

Liée à leur histoire, l’économie sucrière des DOM occupe une place importante dans la vie sociale de ces Départements. Cette composante traditionnelle de leur économie a été confrontée ces dernières années à des fermetures d’usines rendues inévitables par les gains de productivité (Beaufonds à La Réunion, Grosse Montagne en Guadeloupe) et à une forte baisse des récoltes de cannes par suite de conditions climatiques défavorables.

La production de sucre (en tonnes) a évolué ainsi :

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Guadeloupe

38 478

62 984

57 575

32 563

48 896

52 550

38 324

Martinique

6 443

7 093

7 328

8 041

7 711

7 230

6 543

La Réunion

226 700

182 741

177 355

195 200

204 608

208 000

179 989

En Guadeloupe, une sécheresse, qui a sévi d’octobre 1993 à août 1994, a entraîné une forte baisse de la production de sucre en 1995 (seulement 32 563 tonnes en 1995 contre 62 984 tonnes en 1993) ; puis un redressement de la production est intervenu en 1996 (48 896 tonnes) et en 1997 (52 550 tonnes).

En 1998, la campagne a souffert de la sécheresse qui a sévi au début de l’année et s’est soldée par une baisse de la production (38 324 tonnes). Un redressement est intervenu en 1999 avec une production de sucre de 65 000 tonnes.

M. Rémi du Pasquier, président directeur général de la sucrerie guadeloupéenne Gardel, a estimé, devant la mission parlementaire conduite par votre rapporteur que, à la différence du secteur de la banane qui souffre de la concurrence américaine et du secteur touristique, qui pâtit d’un manque de compétitivité par rapport aux autres îles des Caraïbes, le secteur sucre en Guadeloupe jouit de perspectives réelles : il existe en effet, grâce à l’OCM sucre des débouchés garantis et un accès au marché européen assuré.

De plus, le programme communautaire POSEIDOM permet de faire prendre en charge par les fonds européens le surcoût dû au fret. Par ailleurs, à la différence de la production bananière, la production sucrière est une industrie de transformation ; elle nécessite à la fois l’installation d’équipements industriels adéquats et un réseau important d’exploitants agricoles chargés de produire la matière première. C’est donc une industrie qui nécessite beaucoup de main d’œuvre, dans les champs comme à l’usine de transformation et irrigue ainsi très largement le tissu économique. Pour la sucrerie Gardel, 3 200 planteurs sont employés.

Toutefois, la production sucrière n’en reste pas moins menacée : M. du Pasquier a ainsi indiqué son inquiétude devant les projets communautaires de développement de la filière sucre, notamment en Guyane. Le problème de l’accès au marché européen du sucre produit au Brésil, passant frauduleusement en Guyane et vendu en Europe sous couvert de contingents européens est inquiétant pour l’avenir du sucre produit aux Antilles. De plus, l’OCM sucre a une durée de vie limitée : il a été fixé pour cinq ans et devra être renégocié en 2001, avec les incertitudes qui pèsent sur les négociations multilatérales aujourd’hui.

A La Réunion, la production sucrière varie entre 225 000 tonnes et 250 000 tonnes en fonction des conditions climatiques. Elle a connu deux campagnes successives en forte baisse en 1993 et 1994 (respectivement 182 741 tonnes et 177 355 tonnes), puis un redressement est intervenu sur les trois dernières années : 195 200 tonnes en 1995, 204 608 tonnes en 1996 et 208 000 tonnes en 1997. On reste cependant loin d’atteindre le potentiel de production de l’île de 250 000 tonnes environ).

Pour 1998, la production a baissé fortement (179 989 tonnes) en raison des conditions climatiques défavorables en début d’année (sécheresse suivie de pluies diluviennes) ainsi que des ravages causés par le ver blanc.

La Martinique ne produit pratiquement plus que pour les besoins locaux (qui s’élèvent à environ 6 000 tonnes, dont 4 000 tonnes de sucre de bouche et 2 000 tonnes de besoins industriels), les excédents éventuels étant alors exportés. En 1998, la production de sucre s’est élevée à 6 543 tonnes.

        · La production de bananes

Les exportations de bananes de la Guadeloupe et de Martinique ont évolué ainsi :

 

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Guadeloupe

86 452

101 155

99 830

81 779

63 200

60 919

97 734

74 294

Martinique

176 920

193 335

176 039

160 959

188 000

249 733

271 112

240 499

La banane représente la principale activité d’exportation de la Martinique et elle occupe une place croissante en Guadeloupe.

Depuis 1993, cette filière de production traverse une période difficile liée, d’une part, au remplacement, au 1er juillet 1993, de l’organisation nationale du marché par l’Organisation communautaire du marché (OCM) et, d’autre part, aux turbulences engendrées par les attaques incessantes des pays producteurs latino-américains et des multinationales commerciales américaines.

A ces causes externes sont venues s’ajouter en Guadeloupe les intempéries qui ont eu des conséquences importantes sur une production, en définitive, extrêmement fragile (sécheresse en 1994, cyclones en 1995 et 1998).

En 1998, les exportations ont enregistré une baisse dans les deux départements. En effet, le passage du cyclone George en Guadeloupe (le 21 septembre 1998) a entraîné une perte de récole d’environ 70 000 tonnes, dont une moitié sur l’année 1998 ; de son côté, la Martinique a subi les conséquences d’une grève des ouvriers de la banane en décembre 1998 et janvier 1999, ce qui s’est traduit par une baisse des apports de l’ordre de 30 000 tonnes.

En 1999, l’Equateur a saisi l’organisation mondiale du commerce sur l’examen du nouveau régime d’importation de bananes de l’Union européenne mis en place en 1997 ; les négociations multilatérales en cours actuellement auront une influence déterminante sur l’avenir de ce secteur.

Le nouvel accord risque de plus d’être retardé, les deux multinationales américaines concernées par la remise en cause de l’OCM banane (Dole et Chiquita) n’ayant pas la même approche.

        · Le tourisme

Depuis le milieu de l’année 1993, les DOM insulaires continuent de bénéficier des retombées bénéfiques, d’une part, de l’ouverture de la desserte aérienne à de nouveaux transporteurs et, d’autre part, du report sur d’autres destinations de la clientèle des pays du pourtour méditerranéen ayant connu des troubles politiques importants (Egypte, Turquie, Israël, Maghreb).

Les situations diffèrent cependant suivant les départements.

En Guadeloupe, en 1998, si la fréquentation des îles du Nord (Saint-Martin et Saint-Barthélémy) s’est maintenue, celle de la Guadeloupe continentale en revanche a enregistré une diminution de l’ordre de 20 %, due notamment aux conflits sociaux et à une baisse de l’offre de sièges des compagnies aériennes.

En Martinique, les professionnels estiment qu’ils ont fait en 1998 un chiffre d’affaires inférieur à l’année précédente et se plaignent également de la politique d’amélioration des coefficients de remplissage des avions par les compagnies aériennes, ce qui se traduit par des manques de sièges à des moments de fortes demandes. Dans l’ensemble, la grande hôtellerie semble mieux bénéficier de la faveur des tours opérateurs au détriment de la petite et moyenne hôtellerie. On estime le nombre de touristes de séjour à 490 000 et le nombre de croisiéristes à 450 000.

La Réunion poursuit un essor touristique soutenu depuis la fin de la guerre du Golfe.

Le tourisme d’agrément reste majoritaire (56,7 % des visiteurs) devant le tourisme affinitaire (30 % des visiteurs). Les touristes proviennent surtout de la Métropole (82 %) et de l’île Maurice (9,5 %) ; la clientèle européenne étrangère ne représente que 3,4 %, mais elle est en forte progression (+ 27 % en 1998).

Avec des recettes locales atteignant 1,56 milliard en 1998 (contre 1 450 millions de francs en 1997 et 1 333 millions de francs en 1996) le tourisme est devenu de loin la première activité exportatrice de l’île (avant le sucre qui procure environ 700 millions de francs de recettes à l’exportation).

La Guyane, de son côté a souffert des conséquences de l’interruption des tirs à la base spatiale de Kourou au premier semestre 94. Bien que les lancements aient repris en mars 1995, ceux-ci ont tendance à se banaliser et à susciter moins de déplacements de personnes.

En outre les troubles à l’ordre public qui ont secoué ce département en novembre 1996 ont porté atteinte à l’image de la Guyane auprès des deux autres formes de tourisme qui alimentent habituellement le marché guyanais en visiteurs, à savoir le tourisme d’affaires et le carnaval.

La situation en 1997 et 1998 ne se démarque pas de celle de 1996, soit environ 80 000 touristes.

        2. Un tissu économique fragile

        · Des échanges déséquilibrés avec la métropole

Il convient de rappeler ici les spécificités géographiques des DOM, souvent perçus comme des îlots de prospérité parmi des ensembles économiques en proie à de graves difficultés. Les échanges commerciaux avec les pays voisins se trouvent dès lors fortement limités : les productions sont concurrentes (notamment pour la banane, la canne à sucre ou même le tourisme) et d’un coût plus élevé dans les DOM, compte tenu de la structure des salaires et du niveau des charges sociales.

Par ailleurs, les marchés intérieurs n’atteignent pas une taille critique qui permettrait à chaque DOM de trouver des débouchés internes ; c’est dès lors essentiellement avec la métropole que vont se faire les échanges. Ceux-ci apparaissent fortement déséquilibrés, ce déséquilibre s’étant accru, hormis pour la Guyane, de manière spectaculaire depuis 1946 :

TAUX DE COUVERTURE
(Ratio exportations/importations)

 

Guadeloupe

Guyane

Martinique

La Réunion

Taux de couverture en 1946

134 %

38 %

99 %

186 %

Taux de couverture en 1996

8,9 %

20 %

12,9 %

7,5 %

Source : Rapport Lise-Tamaya « La voie de la responsabilité »

Cette dégradation de la balance des échanges est due à une évolution vers une « économie de rente » : la forte amélioration du niveau de vie, principalement du fait de l’importance des transferts publics, s’est traduite par des besoins de consommation nouveaux, se traduisant par une augmentation des biens « importés » de métropole ou de l’Union européenne.

        · Le manque de compétitivité des entreprises locales face aux entreprises métropolitaines

Par ailleurs, les entreprises locales se trouvent pénalisées à la fois par le coût des intrants, importés de métropole, et par le coût du facteur travail. Les salaires du secteur privé ont tendance à suivre ceux du secteur public et parapublic auxquels est appliqué le principe de surrémunération.

La surrémunération a ainsi tendance à se diffuser progressivement à l’ensemble du secteur productif, alourdissant les charges et réduisant les marges des entreprises. Comme l’a fait observer M. Claude Pompière, président du Conseil économique et social régional de la Martinique, le manque de compétitivité des entreprises locales laisse le champ libre aux entreprises métropolitaines, qui bénéficient de la possibilité de reporter leurs résultats déficitaires dans les DOM sur leur résultat national. Le problème est identique en matière de marchés publics : seules les entreprises métropolitaines peuvent faire face aux délais de paiement considérables pratiqués par les collectivités locales. La mission parlementaire conduite par votre rapporteur a ainsi pu constater, en visitant en Guadeloupe l’entreprise Getelec, filiale d’une grosse entreprise en matériel d’équipement métropolitaine, que celle-ci ne pouvait faire face aux retards de paiement qu’en négociant, chaque mois, un financement auprès de l’entreprise mère.

De même, le cadre juridique imposé par le code des marchés publics et la loi du 29 janvier 1993, dite « loi Sapin », est apparu à la mission parlementaire conduite par votre rapporteur beaucoup trop rigoureux, pénalisant les petites entreprises, essentiellement locales, au profit, là encore, des entreprises métropolitaines.

En premier lieu, l’article 52 du code des marchés publics impose aux entreprises candidates d’être à jour des cotisations sociales et fiscales ; M. Julien André, premier vice-président du Conseil général de la Guadeloupe, a fait état de l’endettement des petits artisans qui ne peuvent, du fait, de l’article 52, se porter candidats aux appels d’offres des collectivités locales ; il a dès lors proposé de faire, de manière tout à fait exceptionnelle, un moratoire de trois ou quatre ans qui permettrait à ces petites entreprises d’obtenir de nouveau des marchés, et dès lors d’engendrer de nouveau des profits et de se désendetter. Un tel moratoire fonctionnerait de la sorte comme un cercle vertueux. M. Albert Dorville, président de l’Association des maires de la Guadeloupe, a également plaidé pour un recours plus fréquent à l’allotissement, permettant ainsi plus facilement à des petites entreprises de soumissionner pour des parties distinctes d’un marché public global. M. Claude Lise, président du Conseil général de la Martinique, a rappelé que le coût de la vie et le niveau élevé des prix dans les départements d’outre-mer n’étaient pas dépourvus de conséquences sur la passation de marchés publics : ainsi, les seuils fixés par le code des marchés publics sont plus rapidement atteints qu’en métropole, imposant dès lors de recourir à des procédures plus rigides et plus longues. Dans le même ordre d’idées, M. Claude Pompière a déploré l’application parfois trop rigide des normes européennes et nationales qui renchérissent souvent les coûts des marchés publics et dont la pertinence pour les départements d’outre-mer est contestable. Enfin, M. Albert Dorville a fait état d’un certain déficit de formation des entrepreneurs ou des cadres d’entreprises, peu armés pour répondre à la législation complexe régissant les appels d’offres.

La conduite d’une réflexion sur la commande publique qui étudierait notamment les moyens d’améliorer les candidatures des entreprises locales est apparue, pour les interlocuteurs rencontrés par la mission, comme un préalable indispensable à une réflexion globale sur les économies ultra-marines : en premier lieu, parce qu’il semble patent que l’omnipotence des entreprises métropolitaines, notamment les grosses entreprises du bâtiment et des travaux publics, est de plus en plus mal ressentie. Certes, il est indéniable que ces entreprises font appel à la main d’œuvre locale et créent donc de l’emploi. De nombreux interlocuteurs ont toutefois fait part de leur crainte que les flux financiers générés par ces marchés publics ne soient pas réinjectés dans l’économie locale et profitent davantage à la métropole. De plus, l’urgence d’une réflexion sur les marchés publics est également justifiée par l’importance de la commande publique dans l’économie locale. M. Claude Pompière rappelait ainsi que la commande publique représente plus de 60 % de l’économie martiniquaise ; en Guyane, ce taux s’élève à 85 %. Les entreprises locales ayant peu accès à cette économie publique sont ainsi contraintes de se replier sur le marché privé, notamment sur les commandes des particuliers, et sont, dès lors, souvent tentés de recourir au travail clandestin.

        · Un accès difficile aux financements des investissements

Une autre caractéristique de l’économie des départements d’outre-mer réside dans le sous-développement du réseau bancaire et financier ; les taux d’intérêt sont plus élevés qu’en métropole (de deux à trois points supérieurs) et l’offre de crédit peu abondante. Le financement de l’investissement des entreprises apparaît donc extrêmement difficile. M. Alex Weimert, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Guyane, a ainsi déploré la frilosité des banques à l’égard des entreprises guyanaises. M. Miguel Laventure, alors membre du Conseil économique et social, a également fait observer qu’il existait, pour les entreprises, un véritable problème d’accès à l’argent, dû notamment à la faiblesse des ressources financières ayant pour conséquence des taux d’intérêt plus élevés. Il a regretté que l’égalité financière entre métropole et DOM n’existe pas, à l’instar de ce qui pouvait prévaloir en matière d’égalité sociale. M. Claude Lise, président du Conseil général de la Martinique, a reconnu que les banques ne prêtaient qu’à un nombre restreint d’entreprises. M. Jean Penchard, président du Conseil économique et social régional de la Guadeloupe, a rappelé à cet effet que 95 % des entreprises étaient des PME de moins de dix salariés, et que la question du financement de ces entreprises se révélait particulièrement difficile. Les banques préfèrent s’orienter de plus en plus vers des crédits aux ménages, et notamment des crédits à la consommation, moins risqués que des crédits aux entreprises.

La rareté du crédit n’est pas compensée par des réserves importantes de fonds propres ; le recours à l’autofinancement reste faible, à l’exception des entreprises réunionnaises :

TAUX D’AUTO-FINANCEMENT DES SOCIÉTÉS NON FINANCIÈRES
(Epargne brute/FBCF)

 

1970

1975

1980

1985

1990

1994

Guadeloupe

– 20

22

– 5

– 34

– 13

– 33

Martinique

– 5

55

9

– 7

15

33

Guyane

Nd

28

– 13

39

26

28

Réunion

0

13

8

52

120

110

Métropole

75,5

64,5

62

76

89

114

Source : rapport E. Mossé « Quel développement pour les départements d’outre-mer ».

Les perspectives d’investissement des entreprises des DOM se révèlent donc réduites ; or, c’est essentiellement par l’investissement privé que se créeront les conditions d’un développement durable et équilibré dans les départements d’outre-mer.

        · Les aménagements apportés par le législateur pour promouvoir les entreprises locales

Le législateur s’est efforcé d’apporter des correctifs permettant de surmonter les handicaps des économies domiennes.

En premier lieu, la loi du 11 juillet 1986, dite « loi Pons », a aménagé le régime d’aide fiscale pour les investissements productifs réalisés dans les départements et territoires d’outre-mer ; ce dispositif a fait l’objet de nombreuses modifications ultérieures, destinées notamment à limiter les abus : la loi de finances pour 1992 a ainsi instauré une procédure d’agrément pour les investissements directs réalisés dans les secteurs de l’hôtellerie, du tourisme, des transports, de la production et de la diffusion audiovisuelles et cinématographiques. La loi de finances pour 1998 a limité les possibilités de déduction d’impôt pour les personnes physiques.

Le dispositif de la « loi Pons », reconduit par la loi de finances pour 1999 jusqu’au 31 décembre 2002, ne fait pas l’unanimité parmi les interlocuteurs rencontrés par les deux missions parlementaires : parmi ses défenseurs, M. Luc Ademar, premier vice-président du Conseil régional de la Guadeloupe, a mis en avant le fait que la loi Pons avait permis de pallier l’absence de structures bancaires, permettant ainsi à de nombreuses entreprises, grâce à la procédure de leasing prévue par le dispositif législatif de financer leur entreprise. M. Jean-Claude Lubin, président de la Chambre de commerce et d’industrie de la Martinique, a également plaidé pour un dispositif qui, contrairement à ce qui a pu être avancé en métropole, n’a pas uniquement profité au secteur touristique mais a également engendré des investissements industriels. M. Miguel Laventure, alors membre du Conseil économique et social, a regretté que le dispositif législatif ait été perçu en métropole uniquement comme un moyen d’évasion fiscale, reprochant aux élus et à l’administration de n’avoir pas su expliquer et relayer la mesure.

En revanche, parmi les personnalités plus critiques à l’égard du dispositif, M. Julien André, premier vice-président du Conseil général de la Guadeloupe, a fait valoir que, même s’il fallait bien reconnaître que la loi Pons avait pu créer des flux financiers, ces flux n’avaient pas été orientés vers un développement durable des départements d’outre-mer. M. Pierre Petit, député de la Martinique, a également contesté le ciblage de la loi Pons, estimant également qu’elle n’avait pas créé de réelles richesses dans les DOM.

Les propositions de modification du dispositif sont nombreuses. M. Serge Menil, président du Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement de la Martinique, a estimé qu’il faudrait, pour limiter les abus, prévoir une validation de l’investissement par les élus locaux. L’agrément local permettrait à la fois de poser clairement la question de la responsabilité des élus locaux dans le développement économique des DOM et de mieux orienter les flux financiers. La situation de la Guyane à ce sujet est un peu particulière : M. Alex Weimert, premier vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Guyane, a reconnu que le dispositif avait peu fonctionné, car ce département apparaissait comme peu attractif aux investisseurs. Il a ainsi plaidé pour la création d’un fonds commun de placement au niveau national, dont les fonds, issus des dividendes de la loi Pons, seraient répartis entre chaque département d’outre-mer.

Un autre dispositif permettant aux entreprises des DOM de surmonter les handicaps liés à l’insularité, et notamment le coût élevé du facteur travail, est issu de la loi du 25 juillet 1994 tendant à favoriser l’emploi, l’insertion et les activités économiques dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Cette loi a prévu des exonérations de cotisations patronales dans des secteurs de production exposés – agriculture, pêche, industrie, hôtellerie, restauration, presse, audiovisuel – afin de favoriser le développement de l’emploi, de réorienter le développement des économies de ces départements, de maintenir l’activité en milieu rural et de lutter contre le travail illégal. Ces exonérations sectorielles sont financées par le rendement du relèvement de deux points du taux de TVA dans les DOM. Comme le montre le tableau ci-après, cette augmentation de TVA ne compense que partiellement le coût des exonérations.

EXONÉRATIONS DE COTISATIONS ET RELÈVEMENT DU TAUX DE TVA

(en millions de francs)

 

Guadeloupe

Martinique

Guyane *

Réunion

Total

Année 1996

Produit du relèvement de 2 % de la TVA

Montant des exonérations de cotisations

191,2

211,5

212,3

270,9


79,6

327,4

298,2

730,8

860,2

Année 1997

Produit du relèvement de 2 % de la TVA

Montant des exonérations de cotisations

201,9

250,4

217,0

241,1


76,9

337,1

303,7

756,0

872,1

Année 1998

Produit du relèvement de 2 % de la TVA

Montant des exonérations de cotisations

205,2

263,6

231,6

323,2


72,6

366,4

309,9

803,2

969,4

Source : Direction du budget

* : La TVA n’est pas applicable en Guyane

Il convient de rappeler que ce dispositif n’est pas cumulable avec les allégements sur les bas salaires. C’est pourquoi il faut tenir compte, pour apprécier le surcoût réel de la mesure, de l’impact qu’auraient eu les allégements bas salaires si les exonérations sectorielles n’avaient pas existé. Cet impact est estimé à environ 150 millions de francs, ce qui signifie qu’associé au produit du relèvement de la TVA, il équilibre le financement des exonérations sectorielles.

Les analyses réalisées ont permis de constater un effet globalement positif des exonérations sur les embauches. Il est vrai que cela tient en partie à une régulation d’emplois précédemment non déclarés ; il reste cependant que, même si le rythme de croissance s’est affaibli après la première année du dispositif, la croissance de création d’emplois reste généralement supérieur à celui observé avant la promulgation de la loi. M. Serge Menil, président du Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement de la Martinique, a fait valoir que cette loi était vitale pour l’économie martiniquaise, en mettant en avant le fait que, si elle n’avait peut-être pas permis de créer des emplois, elle avait certainement contribué à ne pas en supprimer.

L’article 72 du projet de loi de finances pour 2000 propose de proroger le dispositif de la loi du 25 juillet 1994 jusqu’à la fin de l’année 2000, dans l’attente de la mise en place de nouvelles mesures prévues sur le sujet par la prochaine loi d’orientation relative aux départements d’outre-mer.

Le dernier dispositif d’importance, bien qu’il ne soit pas spécifique aux DOM, est la mise en place de zones franches, zones dans lesquelles les entreprises bénéficient d’exonérations fiscales concernant l’impôt sur les sociétés, les taxes professionnelles et foncières, mais également d’exonérations sociales, en particulier des exonérations patronales. La loi du 14 novembre 1996 relative à la mise en œuvre du pacte de relance pour la ville a ainsi prévu la création de 44 zones franches dont 6 dans les DOM ().

Le bilan de ces zones franches apparaît peu concluant ; les interlocuteurs rencontrés lors des deux missions parlementaires dénoncent les possibilités de fraude, par l’implantation fictive d’entreprises, présentes dans la zone franche uniquement grâce à une adresse postale. Certaines professions, notamment les artisans, sont exaspérés par la concurrence qui a été créée de manière artificielle entre les entreprises résidant dans la zone et les autres. La délimitation de ces zones franches est également contestée : M. Jean-Yves Ramassamy, Premier vice-président dela chambre des métiers de la Guadeloupe, a ainsi dénoncé la délimitation de la zone franche de Basse-Terre, qui inclut le cimetière de la commune et qui, par ailleurs, ne comprend pas la zone artisanale où exerce la majorité des artisans. M. Miguel Laventure, mettant en avant les difficultés liées à la délimitation des zones, a émis l’idée de création d’une zone franche, à l’instar de ce qui a été fait en Corse, sur l’ensemble du territoire des DOM.

L’ensemble des dispositifs législatifs n’a toutefois pas suffi à surmonter une crise sociale sans précédent ; le chômage connaît en effet un taux jamais atteint et le climat social apparaît fortement détérioré.

      C. UNE SITUATION SOCIALE DÉGRADÉE

        1. Des indicateurs économiques extrêmement préoccupants

        · Un taux de chômage deux à trois fois plus élevé qu’en métropole

Depuis 1980, le double phénomène d’une arrivée massive sur le marché du travail des classes d’âge nées depuis les années 1960 et la montée de l’immigration a eu pour conséquence une dégradation spectaculaire du marché de l’emploi. Le taux de chômage atteint, et de manière maintenant durable, des niveaux deux à trois fois supérieurs au taux métropolitain, alors même que le taux connu en métropole est souvent analysé comme une réalité insupportable mettant en péril la cohésion sociale.

TAUX DE CHÔMAGE
(au sens du Bureau international du travail)

Départements d’outre-mer

1996

1997

1998

Guadeloupe

29,3 %

29,5 %

30,7 %

Guyane

22,4 %

25,6 %

26,5 %

Martinique

27,2 %

28,8 %

29,3 %

Réunion

36,8 %

37,2 %

Nd

Source : INSEE, enquêtes emploi (Métropole 1998 : 11,5 %)

Les différences avec la structure du chômage métropolitain sont de deux ordres : le taux de chômage féminin est supérieur à celui constaté pour les hommes et le différentiel est plus accentué qu’en métropole ; la proportion de demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an reste largement supérieure dans les DOM (52,1 %) à ce qu’elle est en métropole (38,1 %).

Le seul élément positif de cette évolution globale du chômage paraît être la tendance encourageante du taux de chômage des moins de vingt-cinq ans.

ÉVOLUTION DE LA PART DES JEUNES
DANS LA DEMANDE D’EMPLOI EN FIN DE MOIS

Départements d’outre-mer

1996

1997

1998

Guadeloupe

22,5 %

20,0 %

18,4 %

Guyane

17,6 %

16,3 %

15,2 %

Martinique

21,2 %

20,2 %

18,0 %

Réunion

24,9 %

24,2 %

22,7 %

Total DOM

22,6 %

21,2 %

19,6 %

Source : Secrétariat d’Etat à l’outre-mer

La diminution du taux de chômage des jeunes s’est amplifiée en 1998, notamment à La Réunion, conséquence du succès qu’y a rencontré le dispositif « emploi-jeunes ».

L’impression globale qui se dégage de ces chiffres, qui rejoint l’impression qu’a pu retenir votre rapporteur lors de la mission effectuée aux Antilles et en Guyane, est que ce chômage acquiert de plus en plus un caractère structurel, et non plus conjoncturel : un nombre croissant d’habitants des DOM (presqu’un tiers de la population active) se trouvent de manière durable exclus du système productif, et perdent, à mesure que se prolonge leur situation de chômage, tout espoir de trouver de nouveau un emploi ; certaines personnes en viennent à s’exclure d’elles-mêmes des dispositifs de recherche d’emploi en préférant recourir aux dispositifs d’assistance.

        · Un nombre record d’allocataires du RMI

Corrélé au niveau élevé du chômage, l’importance du nombre de personnes assujetties au RMI dans les DOM révèle là encore la détérioration de la situation économique et sociale ; elle est le signe de l’existence d’une véritable société duale distinguant d’une part les personnes inclues dans le système productif et de l’autre celles relevant du dispositif d’assistance.

EFFECTIFS DES RMISTES DANS LES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER

Année

Guadeloupe

Guyane

Martinique

Réunion

Total

Décembre 1989

14 245

2 321

9 064

45 937

71 567

Décembre 1990

19 782

3 355

14 642

50 265

88 044

Décembre 1991

23 139

4 188

18 111

48 501

93 939

Décembre 1992

25 823

5 265

18 687

46 433

96 208

Décembre 1993

26 455

6 565

18 525

44 810

96 355

Décembre 1994

26 387

7 004

20 696

50 946

105 033

Décembre 1995

24 357

7 304

22 200

51 310

105 171

Décembre 1996

23 892

7 674

24 226

50 876

106 668

Décembre 1997

24 278

7 910

24 991

54 126

111 305

1998

26 286

8 195

26 563

57 778

118 822

NB : métropole : 956 596 allocataires – St Pierre et Miquelon : 47 allocataires

Source : Secrétariat d’Etat à l’outre-mer

Les bénéficiaires du RMI représentent actuellement 7 % de la population dans les DOM, pour une moyenne proche de 1,9 % en métropole. De plus, un nombre plus important d’allocataires perçoivent le RMI depuis la mise en place du dispositif. A La Réunion, département particulièrement touché par la crise économique, ce nombre s’élève ainsi à 18,5 % des bénéficiaires, contre moins de 9 % en métropole.

Il convient de rappeler que le RMI dans les DOM comporte quelques spécificités ; en effet, compte tenu des caractéristiques des économies domiennes, des modalités d’application différentes de celles retenues en métropole ont été prévues : le décret d’application du 20 janvier 1989 prévoit ainsi que le montant du RMI dans les DOM est égal à 80 % de celui fixé en métropole. La différence, appelée « créance de proratisation » est affectée au financement de divers programmes d’insertion ainsi qu’au financement du logement social. Votre rapporteur aura l’occasion de revenir sur cette créance dans la partie consacrée aux crédits.

L’appréciation du dispositif RMI semble diverse selon les départements ; aux Antilles et en Guyane, de nombreux interlocuteurs ont insisté sur la mentalité d’assistanat qu’il avait contribué à introduire dans les DOM, et déploré que la contrepartie relative aux actions d’insertion ne soit pas davantage développé. M. Miguel Laventure, alors membre du Conseil économique et social, a observé qu’il était extrêmement difficile de développer l’insertion sur un territoire aussi exigu que la Martinique ou la Guadeloupe. Il a déploré également la faiblesse du tissu associatif qui ne permet pas de créer de véritables relais d’insertion entre l’administration, en l’occurrence, pour les DOM, les agences départementales d’insertion, et les allocataires. En ce qui concerne la Guyane, la situation est extrêmement particulière, du moins pour les populations de l’intérieur : de nombreux interlocuteurs ont ainsi fait valoir que le RMI avait contribué à destructurer des populations, qui ne connaissaient pas auparavant l’échange monétaire.

A la Réunion, la question de l’alignement du RMI sur son niveau métropolitain semble susciter une convergence de vues de la plupart des formations politiques et des organisations syndicales. Il s’agit, pour elles, d’une affaire de principe : les Réunionnais sont des Français à part entière, il n’est pas acceptable de les maintenir dans cette situation contraire à l’idée d’égalité sociale. Selon les interlocuteurs de la mission de la Commission des lois qui s’est rendue dans l’île en septembre dernier, l’amputation du RMI était justifiée, à l’origine, par celle du SMIC. Or, ce dernier est aujourd’hui équivalent à ce qui existe en métropole. L’effet d’éviction qui pouvait résulter d’une trop grande proximité du RMI et du SMIC, en détournant un trop grand nombre de personnes du marché du travail, n’est donc plus un obstacle à la normalisation du RMI à la Réunion. Par ailleurs, le niveau de vie est plus élevé à la Réunion qu’en métropole. L’éloignement de l’île pèse sur le prix des importations mais, surtout, la surrémunération dans la fonction publique tire les salaires du privé à la hausse et les prix de vente suivent automatiquement. En conséquence, les Rmistes réunionnais souffrent d’un très faible pouvoir d’achat, non seulement par rapport aux salariés, mais aussi au regard des Rmistes de métropole. Or, la question n’est pas anodine lorsque l’on sait que près de 60 000 personnes bénéficient de ce revenu à la Réunion.

Les interlocuteurs rencontrés par la mission de la Commission des lois ont également insisté sur la nécessité de renforcer les actions en faveur de l’insertion. A la Réunion, comme ailleurs, ce volet du RMI semble trop délaissé. Cela d’autant plus que les 20 % d’abattement sur le RMI, au titre de la créance de proratisation, sont censés, pour partie, alimenter des actions en ce domaine. Plusieurs syndicats ont mis en doute l’efficacité de l’affectation de ces fonds.

Parallèlement, la question du travail informel est inéluctablement liée à celle de l’alignement du RMI. Pour certains, une hausse du RMI risque d’amplifier ce phénomène de travail non déclaré. Il conviendrait donc d’y porter une attention toute particulière. Les pistes livrées par le rapport Fragonard en la matière – notamment l’inscription au registre des salariés occasionnels – ne semblent pas susciter un réel assentiment des acteurs réunionnais, qui n’hésitent pas, d’ailleurs, à se montrer sévères à l’encontre de ce rapport. D’autres craignent aussi – dans le milieu du BTP – que la suppression de la créance de proratisation, employée à hauteur de 250 millions de francs pour le logement social, ne freine l’activité de ce secteur et, par là-même, la croissance de l’économie réunionnaise.

Le relèvement du RMI est donc aujourd’hui souhaité ou accepté par l’essentiel des partenaires insulaires. Il ne peut cependant s’opérer sans accompagnement au risque d’engendrer des effets pervers sur l’économie de l’île.

        2. Une cohésion sociale en péril

        · Des inégalités de revenus croissantes

Avec un taux de chômage avoisinant les 30 %, parfois les dépassant, et un nombre record d’allocataires du RMI, les DOM réunissent toutes les conditions pour vivre une crise sociale sans précédent. L’apparition d’une société duale en proie à des inégalités de revenus croissantes est patente : le rapport interdécile des revenus par unité de consommation – à savoir le rapport entre les 10 % de la population la plus riche et les 10 % de la population la plus démunie – est ainsi deux fois plus élevé dans les DOM qu’en métropole : 7,7 contre 3,9. De même, alors que le revenu moyen de consommation est de 32 % inférieur dans les DOM à celui de la métropole, l’écart se resserre considérablement pour les cadres et professions libérales, pour lesquels le niveau de vie dans les DOM n’est inférieur à celui de la métropole que de 3 %, et tend même à s’inverser pour les professions intermédiaires, dont le niveau de vie dans les DOM est supérieur de 12 % à celui de la métropole : les surrémunérations dont bénéficient les agents de l’Etat et des collectivités locales, ainsi que leurs répercussions sur les salaires dans le privé sont indubitablement à l’origine de ce resserrement de la hiérarchie, voire de l’inversion de tendance avec les revenus métropolitains.

Ces chiffres sont le reflet d’un malaise croissant des sociétés domiennes, malaise que les parlementaires en mission ont profondément ressenti. Il s’illustre à la fois par un dialogue social en grande difficulté et par une société qui apparaît de plus en plus violente ; certes, le constat est connu également en métropole : le désarroi des jeunes face à une société qui n’a plus de modèle d’intégration à proposer est malheureusement une réalité quotidienne dans l’hexagone. Néanmoins, les menaces pesant sur la cohésion sociale prennent sans aucun doute un relief particulier dans les DOM.

        · Un dialogue social extrêmement conflictuel

En premier lieu, il convient de rappeler une évidence : la Martinique, la Guadeloupe, dans une moindre mesure La Réunion, sont des îles avec des territoires exigus, où les réseaux sociaux et économiques apparaissent enchevêtrés et interdépendants. Le moindre mouvement social peut perturber durablement les économies. Le blocage du port de Fort de France l’hiver dernier a ainsi paralysé entièrement l’économie martiniquaise et durablement obéré les résultats des entreprises pour l’année à venir. Le barrage des routes et l’occupation des stations d’essence ont eu les mêmes répercussions sur l’économie cet été en Guadeloupe.

Une telle configuration favorise la contestation sociale, dans la mesure où les moyens de pression des grévistes paraissent démultipliés par rapport à ceux existant en Métropole.

En 1998, le nombre de jours perdus pour faits de grève a augmenté de 41 %, dénotant ainsi une sérieuse dégradation du climat social. Encore faut-il préciser que ce chiffre ne répertorie pas les conflits concernant le secteur public et les collectivités locales ; or, c’est précisément dans ces secteurs, avec le problème récurrent de la titularisation des agents non titulaires, que les conflits ont été ces derniers temps les plus durs : de nombreuses mairies, principalement en Guadeloupe, et notamment celle de Pointe-à-Pitre, ont ainsi été occupées plusieurs semaines par des grévistes.

BILAN DES GRÈVES ET MOUVEMENTS SOCIAUX

 

Guadeloupe

Martinique

Guyane

La Réunion

Total

Etablissements concernés

21

24

18

20

83

Journées individuelles non travaillées

        1997

        1998

4 655

8 066

3 512

6 961

3 419

1 600

3 804

4 684

15 390

21 311

Evolution sur un an

3 411

3 449

– 1 829

1 294

6 325

Source : Secrétariat d’Etat à l’outre-mer

Les conditions du dialogue social sont également spécifiques : de nombreux syndicats expriment par exemple des revendications liées aux théories indépendantistes, même si, comme le note M. Claude Lise, président du Conseil général de la Martinique, les grévistes dans leur ensemble ne sont pas tous clairement conscients de la teneur de ces revendications. M. Julien André, premier vice-président du Conseil général de la Guadeloupe, confirme également la dimension politique du climat social détérioré et l’attribue à une volonté, de la part du principal syndicat guadeloupéen, d’inspiration indépendantiste de faire exploser le système tout en discréditant les élus.

Dans ces conditions, et dans ce climat de grèves très longues et très dures, le dialogue social apparaît extrêmement difficile à rétablir ; le recours à la médiation est rare et ce sont trop souvent les forces de l’Etat, les services de l’Etat et en définitive le préfet qui se retrouvent en première ligne.

L’ordonnance n° 98-522 du 24 juin 1998 a instauré pour chaque département d’outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon une commission de conciliation compétente pour les conflits collectifs du travail, en lieu et place des commissions régionales de conciliation existant en métropole. Le décret d’application relatif à ces commissions est paru au Journal officiel du 6 octobre 1999 ; ces mesures illustrent la volonté du Gouvernement de renouer les conditions d’un dialogue social qui ne passerait pas uniquement par la médiation du préfet. Par ailleurs, le secrétariat d’Etat à l’outre-mer réfléchit actuellement à une action d’envergure visant à agir sur les conditions du dialogue social à la Martinique, en liaison avec l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Il faut ajouter que c’est effectivement dans les Antilles que le climat social apparaît le plus détérioré : à La Réunion, le nombre de jours de grève est en sensible diminution. En Guyane, comme le faisait observer M. Jean-Claude Lafontaine, maire de Cayenne, les sujets politiques sont plus prégnants que les sujets sociaux ; les syndicats guyanais ont ainsi décidé de rallier les revendications d’ordre institutionnel réclamées par les élus locaux et de calmer, pour le moment du moins, les revendications sociales.

        · Un malaise social profond

Cependant, le nombre de journées de grève n’est qu’une illustration comptable d’un malaise beaucoup plus profond des sociétés domiennes ; la contestation sociale se manifeste de plus en plus fréquemment par des manifestations, des émeutes, des explosions de violence sporadiques mais intenses.

De manière plus générale, il est patent que le respect de la règle républicaine est de plus en plus remis en cause. La violence fait écho à la crise sociale et au chômage. Les statistiques des crimes et délits contre les personnes suivent ainsi de près les statistiques sociales ; elles prennent dans les DOM une importance particulière.

CRIMES ET DÉLITS CONSTATÉS CONTRE LES PERSONNES EN 1995

 

Total

Pour 100 000 habitants

   

Ensemble

Homicides

Coups et blessures volontaires

Menaces et
chantages

Atteintes aux mœurs

     

Total

dont tentatives

   

Total

dont viols

Ensemble province

147 168

313

4,0

1,9

106

50

48

11,6

Ensemble métropole

191 180

330

4,4

2,1

123

52

50

12,7

Guadeloupe

2 060

494

10,1

28,6

236

76

60

28,6

Guyane

630

432

18,5

27,4

182

75

59

27,4

Martinique

1 758

458

7,3

27,5

217

79

59

27,1

Réunion

2 690

412

6,6

31,4

184

41

82

31,4

Total France

198 318

333

4,5

2,2

125

52

51

13,1

Source : Ministère de l’intérieur (Direction centrale de la police judiciaire)

Dans ce contexte social perturbé, il importe d’affirmer de manière très claire à la fois la présence de l’Etat et les principes issus de la solidarité nationale.

Le projet de loi de finances pour 2000 s’attache à traduire de manière concrète ces deux objectifs ; l’étude des crédits consacrés à l’outre-mer permet ainsi de dégager les priorités du gouvernement à l’égard de l’outre-mer.

III. — LA SITUATION DES DOM IMPLIQUE UNE ÉVOLUTION DES MISSIONS DU SECRÉTARIAT D’ÉTAT À L’OUTRE-MER

      A. D’UNE MISSION TRADITIONNELLE DE SOUVERAINETÉ À UN RÔLE AFFIRMÉ DANS LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

        1. Une mission traditionnelle de souveraineté

      · Le garant du respect de la règle républicaine

L’existence d’un secrétariat d’Etat à l’outre-mer peut être discutée : M. Pierre Petit, député de la Martinique, l’a ainsi qualifiée d’« aberrante ». Force est cependant de constater que le secrétariat d’Etat à l’outre-mer remplit des missions très spécifiques et que son existence, du moins pour les DOM, ne se justifie plus tant dans ses missions traditionnelles de souveraineté que dans l’efficacité de ses actions en matière de développement économique et social.

Les missions de souveraineté n’ont pas varié depuis la création du secrétariat d’Etat en 1959, alors même que les structures gouvernementales ont pu être modifiées. Elles consistent en premier lieu à assurer la présence de la République et le respect de la loi outre-mer. Ainsi, il revient au secrétariat d’Etat d’assurer la mission politique de responsable du statut constitutionnel de l’outre-mer et du droit qui lui est propre, en vertu des principes constitutionnels de spécialité législative dans les territoires d’outre-mer et d’adaptation pour les départements d’outre-mer.

Dans le cadre de cette mission, le secrétariat d’Etat à l’outre-mer exerce l’entière autorité gouvernementale civile dans les TOM et, dans les DOM, les missions attribuées en métropole au ministère de l’intérieur. De même, c’est lui qui est en charge, toujours dans les DOM, de la coordination de l’action gouvernementale en matière législative et administrative. Cette mission lui impose de veiller à l’adaptation et à la modernisation des règles du droit national aux spécificités des départements, des collectivités territoriales et des territoires d’outre-mer.

Le rôle du secrétariat d’Etat dans le processus législatif et réglementaire a été affirmé à plusieurs reprises. La circulaire du 15 juin 1990 prévoit l’association systématique du secrétariat d’Etat à l’outre-mer au travail gouvernemental lors de la préparation des textes législatifs et réglementaires. La circulaire du 26 janvier 1998 relative aux fiches d’impact qui accompagnent tout projet de loi impose de préciser les raisons pour lesquelles le texte est ou n’est pas rendu applicable à l’outre-mer et, s’il est applicable, les conditions de cette extension. Le secrétariat général du gouvernement est attentif à ce que le secrétariat d’Etat à l’outre-mer soit destinataire de tous les projets de loi et de décret et participe aux réunions interministérielles d’élaboration de ces projets.

Enfin, la présence d’un représentant du secrétariat d’Etat à l’outre-mer, en qualité de membre titulaire, au sein de la commission supérieure de codification, lui permet d’être informé et de participer à la rédaction de tout projet de code susceptible de concerner l’outre-mer. La circulaire du 12 septembre 1989 relatif à sa composition et à son fonctionnement prévoit les conditions dans lesquelles le secrétariat d’Etat à l’outre-mer est associé au travail de codification.

        · Un rôle de coordination en matière de fonction publique

En ce qui concerne les fonctionnaires de l’Etat, le secrétariat d’Etat à l’outre-mer joue un rôle de coordination générale des administrations de l’Etat en matière de personnel. Il procède notamment à l’agrément des fonctionnaires de catégorie A ou de direction des services civils de l’Etat proposés pour une nomination outre-mer, aussi bien dans les départements que dans les territoires et collectivités à statut spécial. Il procède également à cet agrément pour les directeurs d’établissements publics, de sociétés d’Etat ou d’économie mixte.

Il a en charge budgétaire les 1 173 emplois du cadre national des préfectures, qu’il administre conjointement avec le ministère de l’intérieur. Il dispose également des emplois nécessaires au fonctionnement des hauts commissariats de Nouméa et de Papeete, ainsi que de ceux de l’administration supérieure de Wallis-et-Futuna, emplois qui relèvent de sa compétence propre. Enfin, le secrétariat d’Etat a en charge l’élaboration du droit statutaire spécial applicable aux fonctionnaires en service outre-mer.

De plus, le secrétariat d’Etat élabore le droit statutaire spécial applicable aux fonctionnaires en service outre-mer.

Cependant, les missions du secrétariat d’Etat à l’outre-mer ont eu tendance à évoluer avec la dégradation du climat social outre-mer ; l’implication accrue dans le développement économique et social a exigé une progression importante des crédits destinés à l’outre-mer.

        2. Une mission de développement économique et social

        · L’importance des transferts provenant d’autres ministères

En six ans, le budget du secrétariat d’Etat à l’outre-mer est passé de 2,27 milliards de francs en loi de finances initiale pour 1994 à 6,365 milliards de francs en loi de finances pour 2000. Il faut toutefois reconnaître que cette multiplication par trois du budget de l’outre-mer n’est que partiellement due à une augmentation nette de crédits. Les transferts d’autres ministères vers le secrétariat d’Etat expliquent en effet une majeure partie de la croissance des crédits : ainsi pour le PLF 2000, un transfert de plus de 326 millions de francs provenant des ministères de l’éducation nationale, de l’économie et de la jeunesse et des sports dans le cadre de la mise en œuvre de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’un transfert de 231,7 millions de francs du ministère de l’emploi et de la solidarité pour le financement des contrats emplois-consolidés dans les DOM permettent d’annoncer une croissance des crédits de l’ordre de 13,6 % par rapport à la loi de finances précédente. De même, la loi de finances initiale pour 1999 bénéficiait quant à elle de transferts issus du dispositif emploi-jeune et celle pour 1998 de transferts destinés à financer le logement social.

        · Une implication nouvelle dans le développement économique et social des DOM

Ces transferts ont contribué à conférer au secrétariat d’Etat une responsabilité nouvelle ; concentrant maintenant quasiment l’ensemble des crédits destinés à l’emploi et à l’insertion outre-mer, c’est à lui qu’il revient de coordonner les actions menées en matière de développement économique et social. Il est indéniable qu’il le fait avec une implication et une efficacité qui donnent à l’action de l’Etat outre-mer un aspect nouveau. Ainsi, si le montant global des crédits destinés à l’outre-mer n’a que peu varié, l’utilisation de ces crédits est maintenant le résultat d’une politique déterminée, qui s’attache à la fois à rester proche du terrain tout en ayant à l’esprit une vision globale des problèmes spécifiques de l’outre-mer. Il en résulte indubitablement une amélioration du taux de consommation des crédits, dont l’exemple le plus probant concerne le logement social. Les taux de consommation de la ligne budgétaire unique (LBU) destinée à financer le logement social se sont considérablement améliorés depuis 1997, date du transfert des crédits au secrétariat d’Etat à l’outre-mer, et avoisinent actuellement les 98 %.

      B. UNE ÉVOLUTION CONFIRMÉE PAR LES GRANDES ORIENTATIONS DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000

        1. Une augmentation globale des crédits

Le projet de budget du secrétariat d’Etat à l’outre-mer connaît, on l’a vu, une croissance très satisfaisante de ses crédits : l’augmentation atteint ainsi 13,6 % par rapport à la loi de finances initiale de l’année précédente, le budget total passant de 5 604 millions de francs à 6 365 millions de francs. S’il faut se féliciter de cette croissance, on a déjà eu néanmoins l’occasion de voir avec quelle prudence il fallait analyser ces chiffres : les transferts atteignant plus de 662 millions de francs, l’augmentation de la dotation budgétaire hors transferts n’est plus que de 1,76 %.

Une partie de la croissance de ces crédits est due à la mise en place du nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. Néanmoins, la part des crédits exclusivement destinés aux DOM reste prépondérante et représente 77 % de l’ensemble ; la hausse des crédits concernant les DOM s’élève à 8,62 % par rapport à la loi de finances initiale de l’année précédente.

Concernant l’évolution des principaux postes du budget consacré à l’outre-mer, il est difficile de faire une comparaison avec l’année précédente, la nomenclature des agrégats (administration générale, collectivités locales, développement social et économique) ayant été remplacés par cinq agrégats qui paraissent, d’une part, plus représentatifs de l’action du secrétariat d’Etat à l’outre-mer et qui, d’autre part, permettent d’aligner le budget de l’outre-mer sur l’ensemble des différents budgets des autres départements ministériels.

Par ailleurs, la plupart de ces cinq agrégats regroupent à la fois des crédits destinés aux DOM et d’autres aux TOM, sans qu’il soit toujours facile de distinguer les uns des autres. L’examen de la présence du secrétariat d’Etat dans les DOM s’avère dès lors une tâche difficile.

Les cinq agrégats sont :

      –  administration générale ;

      –  action en faveur des collectivités locales, d’établissements publics et de divers organismes ;

      –  action en faveur de l’emploi et de l’insertion sociale ;

      –  action en faveur du logement ;

      –  action en faveur de l’investissement et du développement économique et social.

        û L’agrégat « Administration générale »

Cet agrégat regroupe :

–  les moyens de fonctionnement de l’administration centrale, responsable de l’élaboration de la politique outre-mer ;

–  les moyens de fonctionnement des services déconcentrés du ministère de l’outre-mer implantés dans les territoires et départements d’outre-mer ;

–  les crédits consacrés à l’action sociale et à la formation des agents ;

–  le financement du parc immobilier de l’administration centrale et des services déconcentrés des TOM ;

–  les crédits consacrés à l’assistance et à la solidarité.

Cet agrégat n’ayant pas été modifié par rapport à l’année précédente, il est relativement aisé de procéder à des comparaisons :

 

LFI 1998

LFI 1999

PLF 2000

Administration générale

1 035

1 068

1 072

(en millions de francs)

Le total des crédits par rapport à l’année précédente reste relativement stable et ne constitue qu’une part modeste de l’ensemble des crédits (16 %), confirmant ainsi la vocation du secrétariat d’Etat à l’outre-mer de disposer d’un budget d’intervention plutôt que d’un budget de fonctionnement.

Une mesure de 10 millions de francs permettra de revaloriser les rémunérations, notamment les plus basses, et d’améliorer les perspectives de carrière, dans le cadre des accords intervenus dans la fonction publique en février 1998.

Le nombre d’emplois budgétaires diminue, passant d’un effectif de 5 547 en 1999 à 5 060 en 2000 ; il importe cependant de distinguer les emplois civils des militaires, la diminution des effectifs étant due principalement à la mise en œuvre de la réforme du service national. Le secrétariat d’Etat a en effet en charge budgétaire la gestion du service militaire adapté, service spécifique aux DOM-TOM dont votre rapporteur aura l’occasion d’expliquer le principe un peu plus tard.

Ainsi, pour l’année 2000, les effectifs prévisionnels s’établissent à 2 188 emplois civils (soit une suppression de 7 postes dans les services déconcentrés des TOM par rapport à l’année précédente) et à 2 872 emplois militaires, en baisse de 480 unités dans le cadre de la réforme du service national. Dans les départements, l’effort de renforcement de l’encadrement sera poursuivi à La Réunion et en Guyane, par la création de 3 postes de catégorie A et 3 postes de catégorie B.

L’ensemble des flux (créations et suppressions d’emplois) est retracé dans le tableau ci-après :

BUDJET DE L’OUTRE-MER
SUPPRESSIONS, CRÉATIONS ET TRANSFERTS D’EMPLOIS

EFFECTIFS TOTAUX EN 1999

5 547

(dont 1 968 appelés
et 500 volontaires)

 
 

Suppressions

Créations

Transferts

Mesures d’ajustement

     

Amélioration des perspectives de carrière des fonctionnaires de catégorie C par transformation d’emplois (3 en administration centrale, 19 dans les DOM et 3 en Polynésie) – Accords de février 1998

– 25

25

 

Titularisation des contractuels de catégorie A (administration centrale) – Décret du 9 décembre 1998

– 5

5

 

Transformation d’emplois d’attaché en emplois d’attaché principal (8 dans les DOM, 1 en administration centrale)

– 9

9

 

Suppression du corps des secrétaires d’administration par transformation d’emplois (administration centrale)

– 7

7

 

Repyramidage dans les DOM (suppression de 6 catégories C, création de 3 A, 2 secrétaires administratifs et 1 contrôleur des transmissions)

– 6

6

 

Transferts d’emplois au ministère de l’éducation nationale (Polynésie)

   

– 24

Nouvelle-Calédonie

     

Réforme des structures administratives en Nouvelle-Calédonie – Accord de Nouméa

Fonctionnaires d’Etat

Contractuels




– 66



87

 

Transfert de 4 emplois lié au transferts de compétence (DGC)

   

– 4

SMA

     

Transformation d’emplois d’ouvriers du SMA

– 2

2

 

SMA – Passage au volontariat dans les armées

dont personnel à solde mensuelle

dont appelés

dont volontaires techniciens

dont volontaires stagiaires

– 1 080
– 80
– 1 000

600


214
386

 

TOTAL

– 1 200

741

– 28

SOLDE

– 487
(– 87 hors appelés et volontaires)

 

EFFECTIFS TOTAUX EN LFI 2000

5 060
(dont 968 appelés et
1 100 volontaires)

 

        û L’agrégat « Action en faveur des collectivités locales, des établissements publics et de divers organismes »

Cet agrégat reprend presque entièrement l’agrégat dénommé « Collectivités locales » les années précédentes en y adjoignant le chapitre 36-01 (subvention aux établissements publics d’Etat en Nouvelle-Calédonie) et le nouveau chapitre 41-56 (dotations globales pour la Nouvelle-Calédonie) ; le chapitre 44-02 (subventions à diverses compagnies de transport) n’est mentionné dans cet agrégat que pour mémoire, l’ensemble des crédits ayant été transféré au chapitre 41-91 (subvention de caractère facultatif aux collectivités locales des DOM, aux budgets locaux des TOM et de la Nouvelle-Calédonie et à divers organismes).

Le montant de cet agrégat s’élève à 525 millions de francs ; ce sont les deux nouveaux chapitres (36-01 et 41-56) qui sont responsables d’une partie importante de la croissance des crédits du secrétariat d’Etat à l’outre-mer ; destinés à la Nouvelle-Calédonie, ces crédits permettent la mise en place du nouveau cadre institutionnel issu de la loi organique du 19 mars 1999, en permettant notamment, par une dotation globale de fonctionnement de 394 millions de francs, de donner aux provinces les moyens de leur action dans le domaine sanitaire et social et de l’enseignement.

Si l’on excepte ces deux chapitres, le montant de l’agrégat s’élève à 105 millions de francs et peut être comparé au montant de 91 millions de francs de l’agrégat de l’année précédente. Il recouvre les subventions de caractère obligatoire (chapitre 41-51) et facultatif (chapitre 41-91) aux collectivités locales, les travaux divers d’intérêt local (chapitre 67-51), les subventions d’équipement aux collectivités pour les dégâts causés par les calamités publiques (chapitre 67-54), les subventions au fonds d’investissement des DOM (section régionale et départementale, chapitre 68-03) ainsi que les subventions au fonds d’investissements pour le développement économique et social TOM et Nouvelle-Calédonie (chapitre 68-92).

La part représentée par les crédits attribués aux DOM dans cet agrégat représente 47 millions de francs, soit seulement, compte tenu de l’importance des dotations versées à la Nouvelle-Calédonie, 9 % de l’agrégat pris dans son ensemble. Le montant réservé aux DOM l’année précédente était de l’ordre de 41 millions de francs.

Le détail des subventions accordées aux collectivités locales des DOM est le suivant :

        Chapitre 41-51 : subventions de caractère obligatoire

Ce chapitre regroupe les subventions accordées aux collectivités locales par l’Etat pour compenser les exonérations de taxe foncière visées aux articles 1384 et 1384 A du code général des impôts.

Le montant de cette dotation, de 32 millions de francs, reste identique aux années précédentes.

        Chapitre 41-91 : subventions de caractère facultatif

Sont principalement concernés par ces subventions Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon ; l’article 70 comprend ainsi des crédits, pour 3,6 millions de francs, destinés à la mise en œuvre de la convention de développement signée avec Mayotte en 1995. L’article 80 prévoit, à hauteur de 80 000 francs, les modalités de l’échéancier établi dans le cadre du règlement de la dette de Saint-Pierre-et-Miquelon.

        Chapitre 67-51 : travaux divers d’intérêt local

Les contours de cette subvention d’investissement sont pour le moins flous et permettent de regrouper des opérations de toute nature. Le montant total des autorisations de programme affectées en 1998 s’élève à 5 611 480 F, celles affectées au 31 juillet 1999 à 8 177 758 F.

Pour le PLF 2000, le montant de la dotation s’élève à 5 millions de francs en autorisations de programme et 5 millions de francs en crédits de paiement.

        û L’agrégat « Action en faveur de l’emploi et de l’insertion sociale »

Le montant de cet agrégat s’élève à plus de 3 148 millions de francs et représente, à lui seul, un peu moins de la moitié des crédits accordés à l’outre-mer.

Les montants destinés aux DOM au sein de cet agrégat représentent 98 % des crédits (3 100 millions de francs). Il semble difficile de faire une comparaison pertinente avec les agrégats de l’année précédente, l’agrégat « Action en faveur du développement économique et social » ayant été réparti en trois nouveaux agrégats (emploi et insertion, logement, investissement en faveur de l’investissement et du développement économique et social).

Trois chapitres composent cet agrégat : le chapitre 44–03 regroupe les crédits destinés au Fonds pour l’emploi dans les départements d’outre-mer et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon (FEDOM), le chapitre 46–01, les crédits destinés aux actions d’insertion en faveur des bénéficiaires du RMI dans les DOM et le chapitre 46–94, les crédits de l’action sociale et culturelle menée dans les DOM et dans les TOM.

L’évolution de l’ensemble de ces crédits sera évoquée plus loin, dans l’étude des principales dotations destinées aux DOM.

        û L’agrégat « Action en faveur du logement »

Cet agrégat est composé d’un chapitre unique (la « ligne budgétaire unique » désignée par le chapitre 65–01) et regroupe uniquement des crédits destinés aux DOM. En ce qui concerne les crédits de paiement, le PLF 2000 prévoit une dotation en progression de 2,3 % par rapport à 1999, soit 318 millions de francs dont 57,6 millions réservés à la résorption de l’habitat insalubre. En autorisation de programme, les crédits s’élèvent à 1 100 millions de francs, contre 1 096 millions l’année précédente.

        û L’agrégat « Action en faveur de l’investissement et du développement économique et social »

Cet agrégat comprend quatre chapitres d’inégale importance ; le chapitre 58–01 désigne une dotation en faveur des infrastructures de Guyane dont les crédits de paiement s’élèvent à 18,25 millions de francs. Crée en 1980, ce fonds est destiné à compenser la faiblesse du fonds d’investissement des routes et transports (FIRT) géré par le Conseil régional. Il a pour objet principal le financement de la route Régina-Saint-Georges. Les chapitres 68–01 et 68–90 désignent les subventions destinées au Fonds d’investissement des DOM (section générale) et au Fonds d’investissement pour le développement économique et social des TOM (section générale). Enfin, le chapitre 68-93 récapitule les crédits attribués pour des actions diverses en Nouvelle-Calédonie. Compte tenu de l’importance de ce dernier chapitre (320 millions de francs en crédits de paiement), la part des DOM dans ce dernier agrégat ne représente qu’un tiers des crédits, regroupés pour l’essentiel dans la section générale du FIDOM.

        2. Les principales dotations relatives aux DOM

        · Le fonds pour l’emploi dans les DOM (FEDOM)

Le montant des crédits du FEDOM s’élève cette année à 2 101,7 millions de francs, représentant une progression des crédits par rapport à l’année précédente de 16,24 %.

En loi de finances pour 1999, le montant total des crédits inscrits au chapitre 44-03 s’élevait à 1,808 millions de francs.

Cette dotation a été abondée en cours de gestion d’un montant de 193,59 millions de francs, correspondant à la part réservée à l’insertion des crédits de la créance de proratisation. Ces crédits ont été ensuite intégralement délégués aux agences départementales d’insertion (ADI) en charge de la gestion du RMI dans les DOM.

Sont venus également s’ajouter 121 millions de francs de crédits reports de 1998 ; l’enveloppe globale du FEDOM s’est donc élevée en 1999 à 2 123 681 127 F. Le nombre de solutions d’insertion prévues pour l’exercice 1999 et leur répartition dans les différents DOM et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon s’inscrivent comme suit :

SOLUTIONS D’INSERTION PRÉVUES POUR L’EXERCICE 1999

 

CES

CIA

CAE

Primes

Emploi-jeunes

Total

Guadeloupe

4 760

3 450

1 731

54

748

10 743

Guyane

2 725

1 050

444

4

250

4 473

Martinique

3 500

3 150

1 626

40

790

9 076

La Réunion

22 865

7 350

3 179

70

1 700

35 164

St-Pierre et Miquelon

150

 

20

10

12

192

Total

34 000

15 000

7 000

148

3 500

59 648

Source : secrétariat d’Etat à l’outre-mer

Tout comme en 1998, il est apparu nécessaire de reconduire la création en gestion d’un article supplémentaire destiné à permettre au secrétariat d’Etat à l’outre-mer d’assurer sa participation aux différents plans sociaux outre-mer (sont ainsi concernés les plans sociaux de l’usine sucrière de Beaufonds à La Réunion, la société interpêche de Saint-Pierre-et-Miquelon, et une participation au plan social des dockers de la Guyane).

Pour le budget 2000, les dotations budgétaires retenues représentent un crédit de 1 810 millions de francs réparti comme suit :

DOTATIONS BUDGÉTAIRES ET SOLUTIONS D’INSERTION
PRÉVUES POUR LE BUDGET 2000

Mesures d’insertion

Dotation budgétaire
(en millions de francs)

Nombre de solutions

CES

631,5

35 000

CIA

186,0

15 000

CAE

354,0

7 500

Primes

12,0

500

CRE

10,0

 

Etudes

1,0

 

Emplois-jeunes

615,5

3 000

Total

1 810,0

61 000

Concernant les emplois-jeunes, 3 000 solutions d’insertion emploi-jeune créées depuis la mise en place du dispositif en 1998 porte le nombre de bénéficiaires à près de 11 000 jeunes. Les crédits en cause ne répertorient pas, toutefois, les emplois-jeunes destinés à des aides-éducateurs ou des adjoints de sécurité, financés respectivement par les budgets des ministères de l’éducation nationale et de l’intérieur.

A ces 1 810 millions de francs viennent s’ajouter 291 700 000 F destinés à financer les contrats emplois-consolidés, dont la gestion ne relève plus du ministère des affaires sociales mais du secrétariat d’Etat à l’outre-mer ; 7 000 contrats devraient ainsi être financés.

La part de la créance de proratisation à verser aux agences d’insertion au titre de l’insertion viendra compléter la dotation du FEDOM en cours d’exercice budgétaire. Son montant n’est pas encore arrêté, mais devrait être de l’ordre de 210 millions de francs, si l’on reprend les clés de répartition usuelles pour la créance de proratisation (70 % réservé au logement social ; 30 % à l’insertion).

        · L’action sociale et culturelle

Regroupés dans le chapitre 46-94, les crédits relatifs à l’action sociale et culturelle connaissent une progression de près de 30 % par rapport à la loi de finances initiale de l’année précédente, passant ainsi de 145 millions à 185,6 millions de francs.

La nomenclature de ce chapitre a été légèrement modifiée afin de distinguer clairement les crédits d’action d’insertion et de développement dans les TOM de ceux destinés à Mayotte. Un nouvel article a donc été créé pour répertorier spécifiquement les crédits destinés à l’insertion à Mayotte, permettant ainsi une meilleure appréciation de leur évolution. Les crédits s’élèvent à 55,25 millions de francs, dont 8 millions ont été transférés de l’ancien article 41 (TOM et Mayotte), 44.75 millions sont issus d’un transfert du ministère de l’emploi et de la solidarité et 2,5 millions sont des emplois nouveaux destinés à financer la création d’un centre de formation professionnelle à Sada. Ces crédits permettent également de financer les contrats emplois consolidés, les contrats emploi solidarité ainsi que les chantiers de développement local ; ce dernier dispositif, mis en place dans les TOM et à Mayotte, où le RMI n’existe pas, permet de donner à des catégories de population particulièrement défavorisées et rencontrant des difficultés d’accès à l’emploi une rémunération en contrepartie d’un travail d’intérêt général pendant une durée déterminée (3 mois par an au plus).

En ce qui concerne les DOM, les principaux articles du chapitre ont trait au financement de l’insertion et de la formation professionnelle ; l’article 20 intitulé « migrants originaires des DOM » regroupe les crédits destinés à financer l’Agence nationale pour l’insertion et la promotion des travailleurs d’outre-mer (ANT). D’un montant de 43,65 millions de francs, inchangé par rapport à l’année précédente, ces crédits permettent à l’agence de promouvoir l’insertion professionnelle des originaires des DOM par le biais de la mobilité ; ils sont complétés, à hauteur de 28,87 millions de francs par les crédits de l’article 31 relatif à la préformation et à la formation professionnelle dans les départements d’outre-mer. Cet article désigne notamment les crédits destinés à la « formation individuelle mobilité » (FIM) : ce dispositif permet de faire suivre une formation qualifiante de niveau V en métropole à de jeunes ressortissants des DOM dans le cadre du crédit formation individualisé ; ces crédits ont été transférés en 1998 du budget du ministère du travail à celui du secrétariat d’Etat à l’outre-mer.

Les crédits relatifs à l’action culturelle sont regroupés au sein de l’article 10 « activités sportives, culturelles et de jeunesse dans les départements d’outre-mer » ; d’un montant de 7,25 millions de francs, en progression de 4,25 millions de francs, ils permettent de financer l’action d’associations dans le domaine sportif, socio-éducatif et culturel, ainsi que le fonds d’aide aux échanges artistiques et culturels pour l’outre-mer, à parité avec le ministère de la culture.

        · L’aide au logement

Afin de mieux appréhender l’action du secrétariat d’Etat en faveur du logement, il n’est pas inutile de rappeler le contexte dans lequel cette action se situe : les problèmes de pénurie, d’insalubrité et de précarité, que ce soit dans les DOM, à Mayotte et, dans une moindre mesure, à Saint-Pierre-et-Miquelon, restent encore très préoccupants ; le parc de logements est très insuffisant et surpeuplé avec un nombre moyen de personnes par logement de l’ordre de 3,57 (contre 2,57 en métropole). 26 % des logements sont précaires ou dépourvus d’éléments de confort. La pénurie de logements se traduit par une cherté excessive des loyers et une hausse sensible du coût de la construction et du foncier. Un taux de chômage de 30 % en moyenne corrélé à une forte pression démographique contribuent à détériorer davantage la situation du logement.

Dans ce contexte, l’action du secrétariat d’Etat à l’outre-mer est triple : une première action, de type classique, consiste, par la gestion des crédits de la « ligne budgétaire unique » à loger dans des conditions décentes, et à un coût abordable, le plus grand nombre de ménages et d’œuvrer en particulier pour le logement des personnes les plus défavorisées en tentant de résorber l’habitat insalubre ; la seconde action contribue à aménager de manière équilibrée le territoire en abordant la question du problème foncier ; la troisième action, plus spécifique puisqu’elle touche uniquement les Antilles, vise à résoudre les difficultés posées par la construction d’habitations sur des zones non autorisées (problème de l’occupation de la zone dite des « 50 pas géométriques »).

La ligne budgétaire unique désigne en fait le financement d’aides à la pierre ; ce fonds laisse au niveau local des possibilités d’adaptation par le biais des commissions départementales de l’habitat.

En 1999, la ligne budgétaire unique a été arrêtée en loi de finances initiale à 1 096 millions de francs dont 96 millions de francs au titre de la résorption de l’habitat insalubre ; 541 millions de francs en provenance de la créance de proratisation du RMI sont venus abonder cette somme.

Le nombre de logements neufs ou améliorés grâce à l’aide de l’Etat est présenté ci-dessous :

NOMBRE DE LOGEMENTS NEUFS OU AMÉLIORÉS
FINANCÉS AVEC L’AIDE DE L’ÉTAT

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999 (1)

Guadeloupe

2 203

2 736

2 671

2 898

2 765

2 406

3 037

3 250

Martinique

2 022

2 509

2 140

2 344

2 082

2 346

2 688

2 810

Guyane

1 256

1 293

865

815

875

1 120

1 170

1 300

La Réunion

3 970

4 772

5 229

4 532

4 742

4 100

3 850

4 960

Mayotte

441

606

1 006

993

908

1 020

1 064

980

        Total

9 892

11 916

11 911

11 582

11 372

10 992

11 809

13 300

(1) Prévisions indicatives

Source : secrétariat d’Etat à l’outre-mer

Pour 2000, les montants de la ligne budgétaire unique s’élèvent à 1 100 millions de francs, dont 96 réservés à la résorption de l’habitat insalubre. Environ 650 millions de francs en provenance de la créance de proratisation viendront abonder cette somme. Il est prévu la construction de 11 000 logements neufs, 2 400 améliorations ou réhabilitations et la sortie d’insalubrité d’environ 2 200 ménages.

En ce qui concerne les crédits de paiement, le projet de loi de finances prévoit une dotation en progression de 2,3 % par rapport à 1999, soit 918 millions de francs, dont 57,6 réservés à la résorption de l’habitat insalubre.

L’aménagement du territoire présente des aspects très spécifiques dans les DOM : les principaux problèmes rencontrés concernent l’insuffisance du foncier aménagé, se traduisant très souvent par des constructions anarchiques ; de plus, les insuffisances de financement de l’aménagement se traduisent par un retard des livraisons des équipements de viabilisation (eau, assainissement), entraînant par voie de conséquence des retards dans les programmes de construction sociale.

Compte tenu de ces spécificités, il a été décidé en 1995 la mise en place d’un fonds régional d’aménagement foncier et urbain (FRAFU), dans un premier temps limité à La Réunion.

Le dispositif a pour objectif de renforcer le partenariat entre l’Etat, les régions, les conseils généraux et l’Union européenne pour le financement de la ressource foncière, sa viabilisation et son aménagement. La première source de financement du FRAFU provient de fonds communautaires. Le FRAFU de La Réunion a obtenu sur cinq ans 600 millions de francs dont 200 millions issus du fonds FIDOM financé par le secrétariat d’Etat à l’outre-mer.

Le succès des actions menées par le FRAFU a conduit à réfléchir à son extension aux départements français des Amériques ; une première expérimentation a pu être mise en place en 1999 en Martinique. L’extension à l’ensemble des DOM impliquerait des besoins budgétaires évalués à 110 millions de francs en moyenne par an sur la durée du XIIe plan (2000-2006), soit 770 millions de francs pour l’Etat sur cette période.

La question de l’occupation illégale de la zone dite des cinquante pas géométriques concerne essentiellement les départements de la Guadeloupe et de la Martinique. La zone des cinquante pas géométriques définit une bande de terrain de 81,20 mètres de large à partir du rivage ; survivance de l’Ancien Régime où cette zone était réservée à l’installation éventuelle d’équipements militaires, la zone des cinquante pas relève du domaine public. Cependant, au fil des années, de nombreux occupants sans titre se sont installés sur cette bande de littoral sans susciter de réaction de la part des autorités. Comme le faisait remarquer M. Camille Darsières, député de la Martinique, l’habitat s’est peu à peu densifié, nécessitant de la part des municipalités des interventions pour viabiliser les terrains occupés. La loi du 30 décembre 1996 a mis un terme à la grande insécurité juridique qui régnait sur la nature de ces occupations ; la loi a ainsi permis une cession gratuite des terrains pour les parcelles dont l’occupation est antérieure au 30 juin 1955 et une cession onéreuse pour les installations intervenues entre le 30 juin 1955 et le 1er janvier 1995. En application de cette loi, l’article 30 du chapitre 65-01 prévoit une dotation exceptionnelle de l’Etat d’un montant de 30 millions de francs permettant aux occupants installés après 1955 d’obtenir une aide dans le cadre du rachat de leur terrain.

        · Le service militaire adapté (SMA)

Les départements et territoires et collectivités territoriales d’outre-mer bénéficient d’une forme spécifique de service militaire, adaptée à leur contexte social et économique. Ce service permet de dispenser aux appelés une formation militaire ainsi qu’une formation professionnelle les préparant à une meilleure insertion dans la vie active. L’ensemble des crédits relatifs au SMA est à la charge du secrétariat d’Etat.

La réforme du service national a imposé une réflexion sur les perspectives du SMA ; les principales orientations décidées consistent à remplacer progressivement des appelés par des volontaires, tout en procédant à une féminisation accrue du recrutement. En outre, la distinction est faite entre deux catégories de volontaires, les volontaires stagiaires et les volontaires techniciens aux rémunérations différenciées. Enfin, le dispositif peut faire l’objet de réaménagements en fonction du succès du volontariat dans chacun des départements, territoires ou collectivités.

L’année 1999 a vu l’incorporation des premiers volontaires ; l’année 2000 prévoit la poursuite de ce mouvement par le recrutement de 600 volontaires, compensé par la suppression de 1 000 nouveaux postes d’appelés et 80 postes de cadres. Pour les DOM, ce mouvement se traduit par la création de 494 postes de volontaires et la suppression de 895 postes d’appelés et 79 postes de cadres.

Le dispositif doit être mis en place à coût inchangé : pour les DOM, la création de postes se traduit par un coût de 34,12 millions de francs, pratiquement compensés par les 31,07 millions de francs issus des suppressions de postes.

Au total, les crédits destinés au SMA représentent 440 millions de francs, soit plus de 7 % du budget du secrétariat d’Etat. De plus, le SMA dispensant une formation professionnelle, il peut à ce titre bénéficier de crédits provenant du Fonds social européen, à hauteur de 67 millions de francs pour l’année 2000.

        · Le fonds d’investissement pour les départements d’outre-mer (FIDOM)

La subvention du FIDOM général (chapitre 68-01) s’élève cette année à 220 millions de francs en autorisation de programme et à 217,50 millions de francs en crédits de paiement.

Le comité du FIDOM n’a pas encore procédé à la répartition de cette enveloppe ; cependant, les perspectives de répartition pourraient être les suivantes :

—  Contrats de plan 187,80 millions de francs

—  Etudes 0,10 million de francs

—  Plan Social Dockers à La Réunion 0,10 million de francs

—  Constructions scolaires 15,00 millions de francs

—  Dotation non affectée 17,00 millions de francs

L’ensemble de la dotation connaît une croissance de 9,5 % par rapport à l’année précédente ; l’accent est porté tout particulièrement sur le financement des contrats de plan. Les nouveaux contrats de plan sur les années 2000-2006 sont en effet toujours en cours de préparation mais il est certain qu’une attention toute particulière sera réservée aux DOM, compte tenu de l’essor démographique que connaissent ces départements. Les quatre régions d’outre-mer se trouveraient ainsi dans le peloton de tête des régions en matière de répartition des crédits : la Guyane bénéficierait de la première place avec un ratio de 5 607 F par habitant, la Guadeloupe de la troisième avec 2 687 F, la Martinique la quatrième avec 2 545 F et La Réunion la sixième avec 2 185 F.

Il est à noter que le FIDOM décentralisé (chapitre 68-03) ne fait l’objet d’aucune dotation depuis deux ans, même si le chapitre continue à être mentionné dans le bleu budgétaire.

      C. UNE RÉFLEXION À MENER SUR L’AVENIR DES DOM

Le secrétariat d’Etat à l’outre-mer ne saurait être qu’un bon gestionnaire de crédits ; il est également essentiel qu’il soit à même de mener une réflexion sur l’avenir des DOM, leur évolution au sein de la République française et la nature des liens qui les rattachent à la métropole.

De nombreux rapports sur la situation de ces départements ont été remis à M. le Premier ministre ; les plus récents, celui de MM. Claude Lise et Michel Tamaya intitulé « La voie de la responsabilité », ainsi que celui de M. Bertrand Fragonard : « Un pacte pour l’emploi » permettent sans nul doute de déterminer dès aujourd’hui des pistes de réflexion intéressantes. La loi d’orientation pour les DOM, annoncée par le secrétariat d’Etat pour juin 2000, reprendra certainement un grand nombre de propositions suggérées par ces rapports, et sera à n’en pas douter une réponse à de nombreux problèmes politiques, économiques et sociaux que vivent actuellement les DOM.

Votre rapporteur souhaiterait apporter sa propre contribution à cette réflexion, en mettant en garde le Gouvernement sur la déception qui pourrait résulter d’un projet trop timide en la matière. Au cours de la mission qu’il a conduite en Guyane et dans les Antilles, il a ainsi pu avoir la confirmation que les attentes étaient immenses et le découragement – voire l’exaspération – était proche.

        1. Les questions institutionnelles

        · L’aménagement du statut des DOM

Les deux missions parlementaires se sont intéressées au départ à la proposition faite par le rapport Lise-Tamaya d’instaurer une coopération dans le cadre de la réunion des deux assemblées délibérantes du département et de la région, sous la dénomination de Congrès. Ce congrès serait en premier lieu l’instance de décision de droit commun pour les conflits de compétence pouvant survenir entre département et région. Il serait également l’institution qui pourrait proposer à une majorité qualifiée de l’ensemble de ses membres une évolution statutaire. La proposition qui résulterait du vote du congrès serait alors proposée au Gouvernement.

Les réactions à la proposition du rapport Lise-Tamaya ont rarement été très positives ; néanmoins, pour certains interlocuteurs, comme M. Serge Menil, président du Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement de la Martinique, cette proposition a le mérite de poser clairement le problème de l’enchevêtrement des compétences entre région et département et de tenter de trouver une solution dans le respect du cadre constitutionnel de l’article 72. M. Julien André, premier vice-président du conseil général de la Guadeloupe, a estimé pour sa part que la proposition de l’instauration d’un congrès permettait de donner une base légale aux commissions mixtes qui ont déjà pu être expérimentées entre région et département.

Cependant, les autres interlocuteurs dénoncent la création d’une structure qui viendrait s’ajouter aux structures déjà existantes, alors même que, précisément, les DOM souffrent d’une suradministration. A contrario, la mise en place d’une assemblée unique paraît à certains, tel M. Claude Pompière, premier vice-président du Conseil économique et social régional de la Martinique ou M. Albert Dorville, président de l’Association des maires de la Guadeloupe, comme la seule solution aux problèmes posés par l’enchevêtrement des compétences entre région et département.

Il faut réserver, dans l’examen de ces questions institutionnelles, une place spécifique à la Guyane ; la prégnance du sujet institutionnel sur les aspects économiques et sociaux est tout à fait sensible dans ce département. A la suite des émeutes de novembre 1996, une réflexion associant un grand nombre d’élus, d’élus locaux et d’élus consulaires a abouti, en 1998, à la publication d’un document appelé « pacte d’orientation pour le développement durable en Guyane », revendiquant l’instauration d’une assemblée unique dotée d’un pouvoir normatif. Même si ce document ne fait pas totalement l’unanimité, notamment auprès des deux députés du département, il est indubitable qu’il reste une référence fondamentale et incontournable dans le débat guyanais ; le rapport Lise-Tamaya, et notamment ses propositions concernant l’instauration d’un congrès, n’a, dans ce contexte, été bien souvent perçu que comme une contribution utile, certes, mais néanmoins annexe.

La question de l’aménagement du statut des DOM peut, aux yeux de certains, paraître accessoire compte tenu de l’ampleur des difficultés dans le domaine économique et social ; selon un sondage commandé par le secrétariat d’Etat à l’outre-mer dans les DOM, seuls 13 % de la population attendent de la loi d’orientation pour l’outre-mer un accroissement de la responsabilité des élus locaux contre 50 % qui réclament de nouveaux moyens pour le développement économique et l’emploi. Il s’agit effectivement de ne pas se tromper sur les enjeux, la question du statut ne pouvant en aucun cas être une fin en soi. Il faut au contraire réfléchir à un accroissement des responsabilités des élus locaux, dans l’optique d’une implication accrue dans le domaine économique et social. Il est inutile ici de nourrir trop d’illusions : un nouveau statut n’a jamais garanti la prospérité. Il peut permettre en revanche une nouvelle adhésion au pacte républicain, une décentralisation accrue permettant de lutter contre le sentiment souvent exprimé que l’Etat préserve de manière excessive les intérêts de la métropole.

Il importera de mener une réflexion approfondie sur le sujet, et notamment sur l’opportunité de permettre une évolution différenciée des départements d’outre-mer. En tout état de cause, la réflexion devra se faire en concertation étroite avec les élus ; l’attente est très forte et laisse peu de place à des atermoiements.

      · La bidépartementalisation et le redécoupage communal à La Réunion

Pour l’essentiel, le débat institutionnel à La Réunion se focalise sur un sujet : la bidépartementalisation. Les élus du Sud de l’île réclament depuis plusieurs années la création d’un second département au sein de cette région ultra marine. Cette revendication s’appuie sur le constat objectif d’une différence de développement entre les parties septentrionale et méridionale de l’île.

La Réunion est, en effet, barrée par un massif montagneux qui délimite clairement deux micro-régions, le Nord et le Sud. Selon un processus historique lié à géographie de l’île, leur développement respectif s’est opéré à des rythmes différents. C’est au Nord que s’est ainsi longtemps concentré l’essentiel de l’activité politique, administrative et économique à La Réunion. Le chef-lieu du département est installé à Saint-Denis avec ce que cela implique en termes de présence d’administrations publiques : préfecture, conseils régional et général… Par ailleurs Saint-Denis bénéficie aussi des principales installations portuaires et aéroportuaires de l’île et draine une grande partie de l’activité tertiaire de La Réunion. Avec plus de 130 000 habitants, cette ville est le plus grand centre urbain de l’outre-mer et accueille plus de 20 % de la population réunionnaise. Cette concentration des habitants et de l’activité a un double impact négatif. Saint-Denis, tout d’abord, connaît un engorgement urbain de plus en plus difficile à maîtriser avec des problèmes de circulation aujourd’hui insurmontables. La mission de la commission des Lois, qui s’est rendue sur place en septembre, a pu observer ce que le député-maire de Saint-Denis, Michel Tamaya, appelle, à juste titre, le « coma circulatoire » de cette ville. Le second impact négatif porte sur le reste de la région qui accuse un réel retard de développement par rapport au Nord de l’île.

Force est de constater que La Réunion septentrionale connaît une situation économique et sociale objectivement plus favorable. Le taux de chômage et le nombre de bénéficiaires du RMI y sont moins élevés. Le Nord concentre également le plus grand nombre de jeunes diplômés et de cadres. A Saint-Denis, le taux de chômage est de 25 % alors qu’à Saint-Pierre, dans le Sud, ce taux atteint plus de 40 %. Le schéma d’aménagement régional a souligné ces disparités qui existent entre les régions du nord et du Sud mais aussi entre les zones littorales et celles de moyenne et haute altitude.

Les élus du Sud de l’île mènent donc depuis plusieurs années une action pour la création d’un second département dans le Sud de La Réunion (). Ils considèrent qu’il s’agit là du seul moyen d’éviter une absorption des moyens publics par le Nord. Ils constatent, en effet, que les grands équipements publics réalisés ou envisagés récemment bénéficient systématiquement à Saint-Denis et ses environs. Il en est ainsi de l’aéroport Roland Garros, du nouveau port de la Pointe des Galets… Ce constat est, en partie, fondé. Il mérite néanmoins d’être nuancé. Le Sud a accueilli récemment des infrastructures publiques importantes comme l’aéroport de Pierrefonds, l’université délocalisé du Tampon ou l’institut universitaire de technologie de Saint-Pierre. De plus, il ne paraît pas toujours illégitime d’installer des équipements là où l’activité économique se développe pour la soutenir et offrir aux entreprises les moyens de maintenir et d’accroître leur production. Pour les élus du Sud – que la mission de la commission des Lois a pu rencontrer sur place en septembre dernier – la création du second département permettrait aussi à une grande partie de la population de cette partie de l’île de ne plus avoir à se déplacer systématiquement vers Saint-Denis dans des conditions de circulation qui relèvent aujourd’hui du cauchemar routier.

En dehors des arguments économiques, les élus du Sud considèrent également que la création de ce second département relève de la plus simple équité. Actuellement, La Réunion compte 700 000 habitants. Ce chiffre passera à 1 million de personnes en 2025 étant donné la croissance démographique dynamique de l’île. Si l’on compare ce chiffre à celui de certains départements français, on constate qu’il leur est bien supérieur. La question se pose alors : pourquoi accepte-t-on, en métropole, des départements comprenant 250 000 ou 300 000 habitants et le refuse-t-on aux Réunionnais ? Par ailleurs, la création d’un second département ne serait-il pas le moyen de mettre fin au débat autour de la région monodépartementale, dont le statut et le fonctionnement font l’objet de critiques récurrentes ?

La réponse à ces questions n’est pas cependant aussi simple qu’il y paraît et elle renvoie à d’autres interrogations toutes aussi légitimes. Celles-ci ont d’ailleurs été soulevées par les nombreux acteurs socio-économiques que la mission a rencontrés en septembre. A ce titre, on a pu observer une opposition très nette entre, d’une part, les milieux politiques du Nord et du Sud et, d’autre part, les élus et le milieu socio-économique. Ce dernier ne semble nullement attaché à la bidépartementalisation, au sujet de laquelle il exprime les questions suivantes :

        û l’implantation de nouvelles structures publiques (préfecture, DDASS, DDE, conseil général…) est-elle réellement de nature à tirer la croissance économique dans le Sud de l’île ; peu en semblent convaincus, même pour le secteur tertiaire ;

        û cette implantation ne risque-t-elle pas de gonfler la dépense publique essentiellement par l’accroissement du nombre d’emplois publics dont la rémunération est plus élevée à La Réunion qu’en métropole ;

        û la perspective de création d’un nouveau département est-elle cohérente avec les réflexions actuelles sur l’avenir de la structure départementale, non seulement en outre-mer mais aussi en métropole.

La réflexion menée sur la création d’un second département doit aussi s’intégrer à une démarche plus large qui conduirait à s’interroger non seulement sur la décentralisation à La Réunion mais aussi sur l’exercice de la démocratie locale dans cette île.

En effet, La Réunion n’est divisée aujourd’hui qu’en 24 communes dont le territoire est fort étendu. Cette situation rend difficile la gestion de la vie municipale au quotidien et les élus semblent parfois trop peu nombreux pour faire face aux problèmes et aux sollicitations qui se multiplient dans un contexte économique et social tendu. Autant la question de la bidépartementalisation suscite un réel débat, autant celle du redécoupage communal recueille un assentiment général dans les milieux politiques ou non. Néanmoins, il appartient aux acteurs locaux de prendre des initiatives en la matière. Les articles L. 2112-2 et suivants du code général des collectivités territoriales permettent aux élus et aux électeurs d’agir en ce sens avec une concertation générale qui s’organise autour d’une enquête publique. La vie des départements d’outre-mer ne saurait dépendre uniquement des actions de l’Etat et de la métropole. Il est du ressort des élus et des habitants insulaires de prendre des décisions à même de favoriser leur développement et l’équilibre de leur territoire. Tel a déjà été le cas à La Réunion où l’ensemble des communes appartiennent à des établissements publics de coopération intercommunale, ce qui est très rare. Mais cette volonté d’agir ensemble doit également prévaloir pour régler la question du découpage communal. Il est vrai que la difficulté en la matière résulte aussi des conséquences d’un tel redécoupage qui peut difficilement être pensé et opéré de manière isolée.

Dans l’esprit des Réunionnais, il comportera nécessairement des conséquences quant aux circonscription électorales, aux arrondissements ou aux cantons. De la sorte, au-delà d’une simple question de limites territoriales, c’est la notion et la pratique mêmes de la démocratie locale à La Réunion qui est en jeu. On comprend qu’en ce domaine la prudence soit de mise.

La bidépartementalisation, et plus largement la question institutionnelle, peuvent être considérées, à La Réunion, comme un sujet périphérique dans le débat sur l’avenir économique et social de l’île. Les élus s’y intéressent, à juste titre ; les acteurs économiques y portent moins d’attention et parfois même regardent ce projet sans aménité aucune. L’enjeu est fort différent dans l’autre collectivité française de l’Océan indien. A Mayotte, la question statutaire est au cœur des discussions et des préoccupations de chacun. Sa résolution est perçue comme le préalable pour engager un véritable décollage économique.

      · L’avenir institutionnel de Mayotte

La mission de la commission des Lois qui s’est rendue à Mayotte en septembre dernier a pu mesurer l’intensité du débat autour de l’avenir institutionnel de l’archipel. Cette question n’est pas récente puisqu’elle est liée directement au processus qui, dans les années soixante-dix, a vu la Grande Comore, Anjouan et Mohéli accéder à l’indépendance et former la République fédérale islamique des Comores alors que Mayotte choisissait très clairement de demeurer française.

Pour comprendre les termes de ce débat, il convient de rappeler à la fois les spécificités mahoraises, le contexte international et la situation politique de Mayotte qui a très récemment évolué.

Mayotte connaît de fortes spécificités au sein de l’ensemble comorien qui expliquent, pour beaucoup, que ses habitants aient choisi une autre voie que leurs voisins. Sans entrer dans le détail d’une histoire tumultueuse, on rappellera que cette île est devenue française plus précocement que les trois autres. En 1841, le Sultan de Mayotte a cédé l’île à la France afin d’échapper à la domination des îles avoisinantes. Dès lors, la présence française étant perçue comme un facteur d’émancipation, le lien avec notre pays s’est resserré et l’attachement des Mahorais s’est avéré d’une constance exemplaire.

C’est dans ce cadre historique que, au moment de l’indépendance des Comores, la loi du 3 juillet 1975 a autorisé les Mahorais à opter pour le maintien dans la République, en prévoyant que le référendum d’autodétermination aurait lieu île par île et non au sein des Comores en tant qu’entité indivisible. C’était là reconnaître la spécificité mahoraise mais aussi contourner le principe d’intangibilité des frontières tel qu’il est proclamé par la charte de l’Organisation de l’unité africaine.

Le 8 février 1976, les Mahorais rejettent l’indépendance : 99,4 % des suffrages exprimés refusent l’intégration dans la République fédérale islamique des Comores créée le 6 juillet 1975. Quelques semaines plus tard, Mayotte rejette aussi le maintien du statut de TOM par plus de 97 % des suffrages exprimés, alors que près de 80 % des votants expriment leur attachement au statut de DOM en déposant dans l’urne des bulletins en ce sens (). La loi du 24 décembre 1976 tire les conclusions de ces consultations et organise un statut temporaire de l’archipel.

Mayotte devient une collectivité territoriale de la République qui, au terme d’une période de trois ans, doit voir sa population consultée, à la demande de la majorité des deux tiers du conseil général, sur « le maintien du statut [défini dans la loi du 24 décembre 1976] ou sur la transformation de Mayotte en département ou, éventuellement, sur l’adoption d’un statut différent ». Mais, à l’issue de ce délai de trois ans, il est apparu qu’il n’était pas possible de respecter ce calendrier et la loi du 22 décembre 1979 a prorogé la période transitoire tout en réaffirmant le maintien de Mayotte dans la République. Le délai pour la mise en œuvre du nouveau statut est alors porté à cinq ans, le conseil général perdant son pouvoir d’initiative en la matière.

En 1984, terme du délai fixé par la loi de 1979, aucune consultation n’a pourtant été organisée sur l’avenir statutaire de Mayotte. Depuis, cette île est demeurée – au sens de l’article 72 de la Constitution – une collectivité territoriale de la République à statut sui generis, dotée d’un conseil général élu, dont le fonctionnement et les pouvoirs se rapprochent de ceux des assemblées départementales avant les lois de décentralisation. Le représentant du Gouvernement à Mayotte – c’est-à-dire le préfet – est l’exécutif de la collectivité. Le principe de spécialité législative s’y applique : les lois de la République, en dehors des lois de souveraineté, ne sont applicables à l’archipel que sur mention expresse.

Il faut voir, dans ce principe de spécialité, un élément essentiel de l’équilibre de Mayotte mais aussi un facteur d’incertitude. Il a pour principal mérite de permettre d’adapter aux spécificités mahoraises notre législation. Car ces particularismes sont importants. La population de l’archipel, musulmane, se voit appliquer un droit islamique mâtiné de coutume africaine et malgache. Ce statut personnel, reconnu par l’article 75 de la Constitution () et appliqué par la justice cadiale, accepte la polygamie, l’absence de régime matrimonial entre époux, la répudiation de la femme par son mari, l’inégalité des sexes en droit successoral… Par ailleurs, 75 % au moins des Mahorais ne parlent pas le français et s’expriment en shiboushi ou en shimaore. Si l’on ajoute à cela une situation économique et sociale où – malgré les efforts constants et importants mis en œuvre par la collectivité nationale – demeurent des phénomènes de malnutrition ou de pathologies infectieuses ainsi qu’une croissance démographique qui est loin d’être maîtrisée, on ne peut que constater l’impossibilité d’appliquer stricto sensu la législation métropolitaine à Mayotte. Les projets de loi doivent être, à chaque fois, pensés en fonction de cette spécificité au sein de la République. Trop souvent, les acteurs locaux sont contraints d’intervenir dans un cadre légal et réglementaire incomplet, parfois incohérent. Face à cette situation, les Gouvernements tentent de rétablir cette cohérence par voie d’ordonnances mais le résultat n’est pas satisfaisant. Nul n’est en principe censé ignorer la loi ; or, à Mayotte, les autorités de l’Etat elles-mêmes ne savent pas toujours, non seulement quel est le droit applicable mais aussi – et c’est plus grave – si un tel droit existe.

Au total, la question du statut est demeurée en l’état depuis 1979. En 1999, elle a connu des développements nouveaux. Après l’engagement pris par MM. Jacques Chirac et Lionel Jospin, lors de l’élection présidentielle de 1995, un rapport sur l’avenir institutionnel de Mayotte a été confié à M. le préfet François Bonnelle. Le groupe de réflexion qu’il a animé, ainsi que les commissions locales, ont rendu leurs conclusions en janvier 1998. Ce rapport présente les différentes perspectives qui pourraient présider à l’avenir de Mayotte. Il met en avant la difficulté de transformer, en l’état et immédiatement, cette collectivité en DOM.

En vertu de l’article 73 de la Constitution, le statut de DOM permet quelques adaptations à la situation locale. Pourtant, celles-ci ne peuvent conduire à éloigner trop largement ces départements de leurs équivalents métropolitains. Les décisions du Conseil constitutionnel n° 82-147 DC du 2 décembre 1982 et n° 84-174 DC du 25 juillet 1984 ont défini la marge d’adaptation ainsi autorisée. Les limites apportées à ces spécificités législatives ont ainsi conduit à interdire la fusion des régions et des départements d’outre-mer. D’ailleurs, comme le souligne le rapport Bonnelle, l’articulation entre l’échelon régional et départemental à Mayotte ne manque pas d’apparaître comme une question insoluble. Si l’on fait de Mayotte un DOM, il faudra également y créer une région. En outre, il sera également nécessaire d’abandonner le principe de spécialité législative incompatible avec le statut départemental.

La question de la départementalisation de Mayotte n’est pas anodine et ne constitue pas simplement l’occasion pour quelques juristes d’échaffauder des interprétations raffinées quant à la nature des DOM. Elle est au cœur de la vie politique mahoraise mais également de cette région de l’Océan indien.

Pour les Mahorais, l’accession au statut de département constitue moins une revendication juridique qu’une question qu’on pourrait qualifier, sans excès, d’existentielle. Pour bon nombre d’entre eux, le statut de DOM est synonyme de maintien irrévocable dans la République. Car la crainte du désengagement français à Mayotte est réelle dans cet archipel. Il correspond d’ailleurs plus à une perception déformée de la réalité qu’à une analyse raisonnée des faits. Depuis leur vote en faveur de la République en 1974, les Mahorais redoutent, à tort, que la France mette en œuvre un processus conduisant au rattachement de Mayotte aux Comores.

Si cette crainte ne repose sur aucune base tangible, on doit observer que les pressions internationales, en ce sens, ont toujours été intenses et les Comoriens ont vécu la perte de Mayotte comme un démembrement de leur territoire et les Etats voisins comme Maurice, les Seychelles et, plus encore, Madagascar refusent que l’existence de Mayotte dans le cadre français fasse l’objet d’une consolidation définitive. On rappellera aussi qu’en 1994, l’Assemblée générale des Nations Unies a condamné la France sur la situation mahoraise. Il en est de même de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) et de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI). On le voit, la départementalisation suscite donc des enjeux internes et diplomatiques intenses. Le débat s’est ainsi cristallisé autour de ce thème, échappant parfois à la raison la plus élémentaire.

C’est dans ce contexte que sont intervenues, l’été dernier, les discussions autour du document sur l’avenir de Mayotte. Ce texte comporte plusieurs orientations qui entendent tenir compte de l’impossibilité juridique de transformer ipso facto Mayotte en DOM, de la nécessité de confirmer le maintien de l’archipel dans la République et de préserver l’équilibre géopolitique de la région.

Le document sur l’avenir de Mayotte reconnaît, tout d’abord, que « par son histoire et sa géographie, à l’instar de La Réunion, Mayotte est aussi partie intégrante de l’ensemble indo-océanique » et que « cette insertion contribuera aux actions menées par la France pour entretenir des relations de bon voisinage avec tous les pays de la zone ». Le nouveau statut serait instauré par la loi dont le projet serait déposé au Parlement en 2000, les Mahorais ayant été consultés auparavant sur les grandes orientations de ce statut. Mayotte deviendrait une « collectivité départementale » dont « l’organisation juridique, économique et sociale se rapprochera le plus possible du droit commun et sera adaptée à l’évolution de la société mahoraise ».

Ce statut de collectivité départementale demeurerait jusqu’en 2010, date à laquelle le conseil général proposerait au Gouvernement, à la majorité qualifiée, de soumettre au Parlement un projet de loi portant sur l’avenir institutionnel de Mayotte. Ce statut prévoirait donc une assemblée unique, le conseil général, qui continuerait à exercer ses compétences actuelles progressivement étoffées. A l’issue d’un délai fixé par la loi, la fonction exécutive serait transférée du préfet au président de l’assemblée.

Dans différents domaines (fiscalité, douane), des efforts seraient consentis pour rapprocher du droit commun la législation applicable à Mayotte le principe de spécialité législative demeurant cependant. L’Etat prendrait les mesures nécessaires pour favoriser le développement de Mayotte ; il renforcerait les moyens affectés au contrôle des flux migratoires, moderniserait et adapterait le système de protection sanitaire et sociale. Mayotte serait associée aux projets d’accords concernant la coopération régionale. Enfin, le rôle des cadres serait recentré sur les fonctions de médiation sociale ; la rénovation de l’état civil et la mise en place du cadastre seraient menées à bien ; la clarification du statut personnel serait poursuivie, le fonctionnement de la justice amélioré et les droits des femmes confortés.

Ce texte est apparu comme un point équilibre entre les différents partenaires. Il a d’ailleurs été signé par le président du Conseil général et les représentants du PS et du RPR. Il a, en revanche, été rejeté par le député et le sénateur de l’archipel, ce qui a entraîné une scission au sein de la principale formation politique de Mayotte : le mouvement populaire mahorais (MPM). Les parlementaires, qui ont créé le mouvement départementaliste mahorais(MDM), s’opposent à ce texte pour trois raisons essentielles :

—  selon eux, après la période de dix années, la consultation évoquée par le document ne prévoit pas explicitement l’option départementaliste ni la consultation de la population mahoraise ;

—  l’accent trop prononcé sur l’insertion de Mayotte dans son environnement régional risquerait, selon les parlementaires de l’île, de conduire à un rapprochement forcé avec les Comores ;

—  l’insuffisance des propositions du Gouvernement en matière de développement.

Face à cette crise politique, le secrétariat d’Etat à l’outre-mer a entendu se maintenir dans une attitude ouverte et conciliatrice. Le ministre, M. Jean-Jack Queyranne, a fait savoir, après la signature du document par le MPM, qu’il souhaitait que les parlementaires puissent s’inscrire dans cette démarche pour que le consensus mahorais se réalise. La situation n’est toujours pas débloquée à ce jour.

Comme la mission de la commission des Lois a pu l’observer en septembre dernier, les Mahorais appellent de leurs vœux une issue rapide de la question statutaire afin de sortir de cette situation provisoire qui prévaut depuis plus de vingt ans. Il s’agit pour eux de concentrer pleinement leurs efforts et leur énergie sur le développement économique et social de leur archipel. On ne peut que souscrire à ce projet et espérer que, très vite, un accord puisse être trouvé à Mayotte dont le lien à la France semble indissoluble.

        · L’avenir institutionnel de Saint-Martin et Saint-Barthélémy

Ces deux îles, rattachées à la Guadeloupe, se trouvent dans deux situations très différentes ; l’île de Saint-Martin est partagée en deux parties, une partie hollandaise au Sud (Sint-Marteen), de 34 km², et une partie française, au Nord, de 56 km². Aucune frontière réelle n’existant entre les deux territoires, la partie française subit de plein fouet la concurrence de la partie hollandaise, notamment en termes de coût du travail et de fiscalité. De plus, la partie française souffre d’une immigration très forte, éventuellement clandestine, qui a conduit à la saturation des équipements collectifs et à une dégradation du climat social. A terme, la situation risque de devenir encore plus difficile si Sint-Marteen, qui dispose actuellement du statut de PTOM au sein de l’Union européenne, accédait à l’indépendance, à l’issue d’un référendum qui sera organisé dans le courant 2000. L’instauration de règles encore plus laxistes que celles existant actuellement, notamment en matière d’immigration ou de placements financiers, déséquilibrerait encore davantage la fragile économie saint-martinoise.

La revendication consistant à ériger Saint-Martin en TOM, émise par M. Louis Mussington, conseiller général, semble être pour le moment marginale ; il est néanmoins indispensable qu’une réflexion soit menée sur les moyens de rendre Saint-Martin compétitive par rapport à sa rivale hollandaise ; une plus grande autonomie dans les domaines sociaux ou fiscaux serait finalement peut-être souhaitable.

Le cas de l’île de Saint-Barthélémy est très différent, Saint-Barthélémy faisant un peu figure d’îlot de prospérité au sein des petites Antilles ; l’île semble avoir trouvé les voies d’un développement maîtrisé de son activité touristique. Les revendications visant à faire de Saint-Barthélémy un territoire d’outre-mer ou une collectivité territoriale à statut particulier semblent être davantage partagées ; elles paraissent effectivement plus justifiées dans la mesure où l’île jouit d’une bonne santé économique et d’une relative indépendance vis-à-vis de la métropole.

Quelles que soient les hypothèses envisagées pour les îles du Nord par le Gouvernement, il semble en tout cas qu’une clarification du régime fiscal soit indispensable. L’absence de règles claires en la matière, que ce soit pour Saint-Martin ou Saint-Barthélémy, alimente l’incompréhension et le soupçon de part et d’autre de l’Atlantique ; en effet, si les règles paraissent bien définies en matière de fiscalité indirecte, un décret du 30 mars 1948 exonérant les deux îles de cette fiscalité, il en va différemment de la fiscalité directe : bien que deux arrêts du Conseil d’Etat aient affirmé l’applicabilité des impôts directs à Saint-Martin et Saint-Barthélémy, les habitants de Saint-Barthélémy en contestent le bien fondé en excipant les dispositions du traité conclu entre la France et la Suède pour la rétrocession de l’île. Quoi qu’il en soit, et malgré les arrêts du Conseil d’Etat, les impôts directs collectés localement ne sont pas mis en recouvrement à Saint-Barthélémy.

La tentative de l’Assemblée nationale, en décembre 1996, de donner une base légale incontestable aux situations juridiques de fait en introduisant par voie d’amendements à un projet de loi sur Mayotte un « statut administratif, fiscal et douanier de Saint-Martin et Saint-Barthélémy » a échoué, le Sénat ayant rejeté ces amendements. La réflexion doit pourtant être menée à son terme, les habitants de Saint-Martin et Saint-Barthélémy étant en effet désireux de voir adopter des règles claires, simples et surtout définitives en ce domaine.

        2. La surrémunération des fonctionnaires

La question de la surrémunération des fonctionnaires a déjà été évoquée au cours de ce rapport ; votre rapporteur a insisté sur le poids financier qu’un tel dispositif représentait pour les collectivités locales et ses répercussions sur les économies locales. Il est cependant utile de poser le problème des surrémunérations dans un contexte plus global puisque bénéficient du système non seulement les fonctionnaires des collectivités locales, mais également les agents de la fonction publique d’Etat. 66 500 fonctionnaires civils sont concernés, servant aussi bien dans les DOM ou les TOM que dans les collectivités à statut particulier. A cette surrémunération, il convient d’ajouter, pour les fonctionnaires qui ne sont pas résidents permanents, c’est-à-dire principalement pour les métropolitains, le versement d’une indemnité d’éloignement ; le dispositif comporte de nombreuses conséquences sur l’économie locale, notamment en terme de renchérissement du coût de la vie. Son coût pour l’Etat est supérieur à 4 milliards de francs par an.

Lors de la mission conduite par votre rapporteur, de nombreuses propositions ont été émises afin de trouver une solution sans toutefois pénaliser les économies domiennes qui bénéficient du supplément de pouvoir d’achat provoqué par ces surrémunérations : MM. Anicet Turinay, député de la Martinique, Luc Ademar, premier vice-président du conseil régional de la Guadeloupe et Albert Dorville, président de l’Association des maires, préconisent la suppression de ces surrémunérations, compensée intégralement par la création d’un fonds de soutien aux économies domiennes. Le rapport Lise–Tamaya rejoint cette proposition en limitant toutefois la suppression des surrémunérations au personnel de la catégorie A de la fonction publique.

M. Anicet Turinay a précisé cependant qu’une telle réforme ne devait être entreprise qu’avec prudence, la détérioration du climat social et la chute de consommation des ménages qui pourraient en résulter représentant des risques extrêmement sérieux.

La question de la surrémunération des fonctionnaires est l’occasion pour votre rapporteur d’aborder une question beaucoup plus délicate : de nombreux interlocuteurs nous ont en effet fait part de leur préoccupation devant une fonction publique de plus en plus duale, avec un encadrement majoritairement métropolitain, et des fonctions d’exécution laissées aux ressortissants des DOM. Ainsi, M. Alain Buffon, président du conseil de la culture, de l’environnement et de l’éducation de la Guadeloupe, a alerté la mission parlementaire conduite par votre rapporteur sur la multiplication de conflits spontanés survenus pour protester contre l’arrivée de métropolitains à des postes d’encadrement de la fonction publique ; il a précisé que le malaise paraissait croissant et était probablement dû au fait que les ressortissants des DOM accomplissaient désormais les mêmes études que les métropolitains, et n’étaient pas reconnus à hauteur de cette réussite. Dans ce contexte, la surrémunération semble aggraver la situation en restant fortement incitative pour les fonctionnaires métropolitains.

La marge de manœuvre est étroite ; des propositions de discrimination positive favorisant le recrutement de ressortissants des DOM, à l’image du système mis en place aux Etats Unis, ont été émises à plusieurs reprises ; une réelle prudence s’impose en la matière, la perception d’une telle mesure par la métropole risquant d’être désastreuse. Il n’en reste pas moins que le sujet est d’une réelle importance et nécessite une réflexion approfondie.

        3. Le développement économique

En ce domaine plus qu’en tout autre, il importe de faire preuve de modestie ; il est en effet inutile de créer de faux espoirs. Votre rapporteur se limitera à des réflexions d’ordre général, issues des témoignages recueillis lors de sa mission : les dispositifs spécifiques aux DOM, tels que la loi Pons ou la loi Perben, ont été sans nul doute des éléments essentiels au développement des économies domiennes.

Ils sont bien sûr encore perfectibles, notamment par une limitation des possibilités de fraude ou par une meilleure orientation des flux financiers qu’ils génèrent. Néanmoins, et votre rapporteur conclura sur cette réflexion, il faut se garder de vouloir toujours modifier les dispositifs en question en procédant au coup par coup, sous l’émotion de la révélation de tel ou tel scandale. Les DOM ont avant tout besoin d’un environnement juridique stable, permettant aux entreprises de raisonner dans la durée, dans le long terme et non en fonction de l’aubaine que procure telle ou telle mesure ponctuelle. La pérennité du cadre juridique est la condition essentielle du retour des investisseurs. La loi d’orientation permettra sans nul doute de réfléchir de façon globale, sans privilégier tel ou tel secteur, à l’avenir des DOM.

Avant d’émettre un avis sur les crédits, la Commission a procédé à l’audition de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d’Etat à l’outre-mer (le présent avis reprend la partie du compte-rendu de cette audition consacrée aux départements d’outre-mer).

Après avoir rappelé que son budget ne représentait qu’une partie des dotations de l’Etat destinées à l’outre-mer, M. Jean-Jack Queyranne a souligné que les crédits de son ministère, qui s’élèvent à 6,36 milliards de francs, connaissaient une progression de 13,6 % par rapport à l’année précédente, faisant valoir que, sur la période 1998-2000, ces crédits avaient augmenté de près de 31 %.

Présentant les financements destinés à l’emploi, le Ministre a indiqué que la dotation du fonds pour l’emploi dans les départements d’outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon progressait de près de 16 %, ce qui permettrait de financer 58 000 nouvelles solutions d’insertion en 2000, avec 35 000 contrats emploi-solidarité, 15 000 contrats d’insertion par l’activité, 7 500 contrats d’accès à l’emploi et 500 primes à la création d’emplois, rappelant par ailleurs que les 7 000 contrats emploi-consolidés qui relevaient auparavant du ministère des affaires sociales étaient désormais regroupés au sein du budget de l’outre-mer pour un montant de 292 millions de francs. Il a observé qu’en plus de ces contrats, le FEDOM permettrait également de financer 3 000 emplois-jeunes supplémentaires, ce qui porterait le nombre de ces emplois outre-mer à environ 11 000 à la fin de l’année 2000, auquel il faut ajouter les emplois d’adjoints de sécurité et d’aides-éducateurs créés par les ministères de l’intérieur et de l’éducation nationale. Evoquant la nouvelle dotation de 55 millions de francs consacrée à l’emploi et à la formation professionnelle à Mayotte, il a expliqué que cette dotation permettrait une gestion plus fine des contrats emploi-solidarité, des contrats emplois-consolidés, des chantiers de développement local et des actions de formation professionnelle dans cette collectivité. Après avoir souligné la nécessité d’améliorer la formation professionnelle des adultes à Mayotte, il a précisé qu’une mesure nouvelle de 2,5 millions de francs serait destinée à financer le centre de formation professionnelle des adultes de Sada, dont l’ouverture est prévue en 2000. Rappelant que le service militaire adapté devait évoluer en raison de la professionnalisation des armées, le Ministre a annoncé la création de 600 emplois nouveaux de volontaires en 2000, qui s’ajouteront aux 500 emplois créés en 1999. Il a fait valoir que les crédits consacrés au service militaire adapté, qui s’élèvent à 440 millions de francs, soit 7 % du budget de son ministère, représentaient un effort important de l’Etat pour la formation des jeunes, ajoutant que la demande pour ce type de formation restait forte. Il a précisé, à cet égard, que les deux unités de SMA seraient maintenues en Guyane.

Evoquant ensuite les crédits d’investissement de son ministère, principalement tournés vers la solidarité et le développement économique, M. Jean-Jack Queyranne a fait observer que le logement social demeurait une priorité absolue, puisque les crédits qui y sont consacrés représentent 1,1 milliard de francs en autorisations de programme et 918 millions de francs en crédits de paiement, crédits auxquels il convient d’ajouter la créance de proratisation qui progresse de 5,7 % par rapport à l’année précédente. Il a indiqué que ces dotations permettraient de financer la réhabilitation et la construction d’environ 13 400 logements dans les départements d’outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte, avant de préciser que la résorption de l’habitat insalubre bénéficierait de 96 millions de francs. Il a ensuite rappelé que ces mesures en faveur du logement étaient complétées par deux dispositions figurant dans le projet de loi de finances, la baisse de la TVA sur les travaux d’entretien, qui, dans les départements d’outre-mer, passe de 9,5 % à 2,1 % et la mise en œuvre du dispositif d’aide exceptionnelle aux ménages pour l’acquisition de terrains situés dans la zone des cinquante pas géométriques.

Evoquant les nouveaux contrats de plan pour la période 2000-2006, dont les enveloppes définitives n’ont pas encore arrêtées, le Ministre a indiqué que la part des départements d’outre-mer dans la première répartition décidée par le Premier ministre s’élevait à 4,527 milliards de francs sur un total de 95 milliards, la Guyane, avec un ratio de 5 607 francs par habitant, étant la mieux dotée des régions françaises. Il a précisé que ces crédits seraient complétés par la deuxième enveloppe des contrats de plan, qui doit être prochainement décidée, et par les dotations des fonds structurels européens. Présentant l’exercice 2000, il a souligné que les dotations budgétaires augmentaient de 9,5 %, pour atteindre 217,5 millions de francs en crédits de paiement, permettant ainsi de financer le démarrage des nouveaux contrats de plan. Il a ensuite évoqué le FIDOM, dont les crédits permettront de poursuivre l’effort de financement des constructions scolaires, et le FIDES, dont les dotations d’équipement destinées aux communes seront maintenues à 15 millions de francs pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, les contrats de village à Wallis-et-Futuna, bénéficiant, quant à eux de 3 millions de francs de crédits.

Evoquant l’action de son ministère dans le domaine culturel, le Ministre a fait état de la création, dans le cadre d’une convention avec le ministère de la culture, d’un fonds d’aide aux échanges artistiques et culturels pour l’outre-mer, qui a permis de financer des tournées d’artistes locaux.

Présentant enfin la mise en œuvre des réformes institutionnelles en Nouvelle-Calédonie, le Ministre a indiqué qu’un nouveau chapitre budgétaire, comprenant une dotation globale de compensation et une dotation globale de fonctionnement, avait été créé. Il a précisé que la dotation globale de compensation, qui s’élève à 11,7 millions de francs, permettrait de financer les nouvelles compétences de ces territoires en matière de commerce extérieur, de droit du travail, d’enseignement scolaire, de jeunesse et de sports, de mines et d’énergie, la dotation globale de fonctionnement, d’un montant de 394 millions de francs, permettant, quant à elle, d’aider les provinces à faire face à leurs charges dans les domaines sanitaire et social et dans le domaine de l’enseignement.

Plusieurs commissaires sont ensuite intervenus.

M. Jérôme Lambert, rapporteur pour avis des crédits des départements d’outre-mer, a souhaité savoir quelles dispositions seraient prises pour la banane antillaise dans le cadre des négociations de l’OMC et quand seraient connues les grandes orientations du projet de loi d’orientation pour les départements d’outre-mer et du projet de loi modifiant le statut de Mayotte. Il a, par ailleurs, suggéré que des discussions soient engagées avec la grande distribution sur le prix de vente de la banane au consommateur.

Evoquant le constat dressé par la mission de la commission des Lois aux Antilles en juin dernier, M. Emile Blessig a souligné que les finances locales des départements antillais connaissaient une situation de crise aiguë. Rappelant que le montant des fonds européens et nationaux, en matière d’aide à l’investissement, s’élevait à 30 milliards de francs pour la période 2000-2006, il s’est interrogé pour savoir de quelle manière les collectivités territoriales concernées financeraient la participation de 15 % exigée pour obtenir ces aides. Il a, en effet, observé que la commission européenne disposait de crédits de paiement non consommés permettant de financer des investissements à hauteur de 15 milliards de francs qui seraient perdus en 2001 faute d’avoir trouvé une contrepartie locale.

M. Henry Jean-Baptiste a estimé que la commission des Lois avait pu mesurer, lors de sa mission à Mayotte, les difficultés qu’il y avait à parvenir à un consensus sur la réforme du statut de l’île après vingt-trois ans d’attentisme. Déclarant qu’il avait rédigé avec le sénateur Marcel Henry des propositions de nature à dépasser les divergences locales, il a interrogé le ministre en vue de savoir si ces propositions pouvaient être retenues malgré les préventions du ministère des affaires étrangères.

Intervenant en application de l’article 38, alinéa 1er, du Règlement, et soulignant qu’elle comprendrait que certaines de ses questions, très techniques, ne reçoivent de réponse qu’en séance publique, Mme Christiane Taubira-Delannon a d’abord souhaité obtenir des précisions sur le calendrier portant sur la circulaire foncière, rappelant les difficultés d’application de la législation forestière en Guyane et insistant sur les difficultés budgétaires de l’établissement public d’aménagement de la Guyane. Elle a ensuite regretté l’attitude de France Télécom à propos d’un terrain qui lui avait été attribué avant sa privatisation pour une somme symbolique, qu’elle refusait de restituer pour une somme équivalente en vue de la construction d’un lycée d’enseignement général. Elle s’est par ailleurs interrogée sur le régime de compensation de la TVA au profit des investissements des communes guyanaises, faisant observer que cette taxe n’était pas perçue en Guyane. Evoquant la situation de la cour d’appel, elle a rappelé le mauvais état des bâtiments et les difficultés relatives au statut des interprètes exerçant dans la juridiction. Elle a enfin interrogé le ministre sur la situation de l’institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM).

M. Camille Darsières a attiré l’attention du ministre sur le problème de la commercialisation des bananes antillaises, en lui demandant de relayer ses préoccupations auprès du Conseil des ministres afin que celui-ci prenne une position claire sur ce sujet vis-à-vis de la commission européenne. Estimant que le système de compensation mis en œuvre par l’Union européenne était injuste dans la mesure où il ne tenait pas compte de la différence des coûts de transport entre les bananes produites aux Canaries et à Madère et les bananes antillaises, il a souhaité que les aides européennes soient régionalisées. Il a, par ailleurs, jugé qu’il serait nécessaire de créer une taxe sur les bananes produites dans les pays d’Amérique latine, afin de financer la création de systèmes de protection sociale dans cette zone et d’égaliser les prix avec ceux pratiqués aux Antilles. Rappelant qu’il y avait 35 % de chômeurs en Martinique, il s’est ensuite interrogé sur la sortie du dispositif des emplois-jeunes qui a été massivement mis en œuvre dans ce département, en l’absence de contrôles poussés de l’administration. Il a considéré qu’il était indispensable d’assurer une formation aux jeunes bénéficiant de cette mesure en vue de préparer leur entrée sur le marché du travail, soulignant qu’il convenait, en conséquence, de développer les contrôles dans ce domaine. Il a ensuite fait remarquer que les écoles primaires, dont certaines datent du XIXe siècle, nécessitaient des investissements lourds. Il a, par ailleurs, suggéré la suppression de la prime d’éloignement, observant que la jurisprudence du Conseil d’Etat créait des déséquilibres au détriment des fonctionnaires originaires d’outre-mer souhaitant quitter la métropole pour retourner dans les îles et favorisait ainsi l’arrivée de métropolitains outre-mer. Il a ensuite considéré que la volonté d’aligner le RMI versé dans les DOM sur celui versé en métropole ne devait pas remettre en cause le mécanisme de la créance de proratisation permettant de financer les actions d’insertion et le logement social. Evoquant les demandes de l’administration à propos des cinquante pas géométriques en vue d’exiger de leurs occupants la production de contrats de cession, il s’est interrogé sur la régularité de cette procédure en l’absence de plans parcellaires et de titres de propriété en bonne et due forme. Il a également fait remarquer que de nombreuses maisons avaient été construites par leurs habitants sur des matériaux qu’ils avaient eux-mêmes apportés dans la zone des cinquante pas, ce qui nécessite un dédommagement spécifique qui n’a pour l’instant pas été prévu. Après avoir formulé ces remarques, il a enfin tenu à indiquer qu’il considérait que le budget présenté pour l’exercice 2000 était très bon.

Intervenant au titre de l’article 38 précité, M. Gérard Grignon s’est élevé contre la forte augmentation des tarifs aériens pratiqués par Air France sur les liaisons Saint-Pierre-et-Miquelon/Paris. Rappelant qu’il n’y avait pas de vol direct, il a indiqué que le nombre de places offertes à des tarifs réglementés financés pour deux tiers par l’Etat et pour un tiers par la collectivité territoriale était en forte baisse. Il a regretté que, malgré les investissements lourds effectués par l’Etat en termes d’infrastructures aéroportuaires, Air France ait décidé de pratiquer des tarifs prohibitifs, deux à trois fois supérieurs au tarif dit « gouvernemental ».

Intervenant sur cette question, Mme Catherine Tasca, présidente, a considéré qu’il était nécessaire d’aborder ce sujet avec la compagnie Air France, estimant que la stratégie commerciale de cette entreprise ne devaient pas nuire au développement et aux conditions de vie des habitants de l’outre-mer.

En réponse aux différents intervenants, le Ministre a apporté les précisions suivantes.

—  Le Premier ministre, lors de son récent voyage aux Antilles, a estimé que la question de la surrémunération, dont la modification relève du domaine réglementaire, ne présentait pas de caractère d’urgence ; le pourcentage important de non-titulaires parmi les agents des collectivités locales, avoisinant en moyenne les 65 % dans les DOM, paraît davantage préoccupant. Des négociations permettant de trouver une issue au problème doivent être engagées.

—  Concernant le secteur de la banane, la crise que connaît actuellement le marché provient essentiellement d’une baisse des cours en Europe et d’un surapprovisionnement. Le ministre de l’agriculture, présent lors du récent déplacement du Premier ministre aux Antilles, a annoncé l’octroi d’une avance sur les aides compensatoires d’un montant de 120 millions de francs. A ce montant viendra s’ajouter une somme avoisinant les 60 millions de francs afin de prendre en compte les difficultés spécifiques du secteur. Quant à la remise en cause de l’organisation commune du marché de la banane dans le cadre de l’organisation mondiale du commerce, il convient de défendre les mécanismes qui n’ont pas fait l’objet de condamnation par le panel de l’OMC, à savoir le système du contingentement. Les commissaires européens qui se réunissent aujourd’hui même sur le sujet, semblent émettre une préférence pour le choix d’un système tarifaire ; si cette perspective était retenue, la question du maintien des contingents, à titre provisoire, se poserait. Les aides compensatoires doivent permettre, dans le cadre de cette réforme, de mieux prendre en compte les difficultés des planteurs, dont le nombre avoisine aujourd’hui les 20 000. Les conséquences, en terme d’emploi, d’environnement et d’aménagement du territoire, en cas d’effondrement du secteur, seraient désastreuses.

—  S’agissant de la crise des finances locales, la situation est différente selon le niveau de collectivités locales ; les conseils régionaux, grâce à l’octroi de mer, restent peu endettés ; les conseils généraux, en revanche, notamment ceux de Guyane et de Guadeloupe, connaissent des situations difficiles, qui contribuent à freiner leurs investissements. Plusieurs actions ont été entreprises, ponctuelles, telles que la mise en place d’un plan de redressement pour la ville de Cayenne, qui s’achève en 1999, ou plus générales, telles que la prise en compte des résultats du recensement de 1999 dans les dotations de l’Etat, permettant notamment de répondre à la croissance démographique que connaît la Guyane.

—  Les fonds structurels européens connaissent des difficultés de mise en œuvre révélées par l’importance des crédits non consommés. Le taux d’engagement des crédits s’est néanmoins amélioré et avoisine les 80 %. Certains projets financés par des fonds européens ont pu être retardés du fait de difficultés dans les procédures d’appel d’offres ; le problème réside davantage dans la capacité technique et juridique exigée pour mettre sur pied les projets que dans la nécessité pour les collectivités territoriales de participer à leur financement. Le financement de ces projets, au travers des contrats de plan, exige cependant une contrepartie des collectivités locales de l’ordre de 15 à 20 %. Il faudrait, par ailleurs, ne pas se limiter aux investissements lourds, mais orienter davantage les projets en direction du soutien à l’économie. Les présidents des régions d’outre-mer rencontreront, à cet effet, avec le secrétaire d’Etat, le président de la Commission européenne, dans les jours à venir.

—  S’agissant de la loi d’orientation, une lettre à l’ensemble des personnalités institutionnelles concernées, présidents de conseils régionaux et généraux, députés, préfets, sera envoyée dans le courant de la semaine prochaine. Les grandes lignes de la loi seront discutées à l’échelon local puis il sera procédé à la rédaction formelle au début de l’année prochaine ; les consultations des assemblées auront lieu ensuite, de telle sorte qu’un premier examen par le Parlement pourrait intervenir au cours du premier semestre 2000.

—  La question des transports aériens est effectivement préoccupante, que ce soit la desserte de Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte ou l’insuffisance et la pratique de surbooking caractérisant les vols vers les Antilles à certaines périodes ; une action concertée des parlementaires en direction de la compagnie Air France permettrait peut-être de faire évoluer les choses.

—  La faiblesse des moyens de la cour d’appel de Guyane et ses conséquences sur la mise à disposition d’interprètes et traducteurs a déjà été signalée à la ministre de la justice. La Guyane n’est cependant pas la seule concernée par ces difficultés, rencontrées également dans les territoires d’outre-mer.

—  L’ordonnance concernant le nouveau statut de l’IEDOM sera publiée en début d’année.

—  Le nombre important d’emplois jeunes ne doit pas masquer le dynamisme et l’esprit d’entreprise dont font preuve les sociétés outre-mer, et notamment les jeunes ; dans le cadre des défis-jeunes, dispositif national créé pour aider les jeunes à démarrer dans la vie, 80 % des lauréats outre-mer créent leur entreprise contre seulement 30 % en métropole.

—  En ce qui concerne le problème de l’occupation de la zone des cinquante pas géométriques, un décret devrait paraître prochainement pour mettre en place l’aide aux familles, certaines d’entre elles connaissant une situation de précarité qui ne leur permet pas de procéder au rachat de leur terrain.

—  La question du retour dans les DOM des fonctionnaires apparaît particulièrement sensible dans la mesure où les demandes de mutation sont bien supérieures aux offres ; l’administration de la Poste a ainsi reçu plus de 9 000 demandes pour une affectation dans les DOM alors qu’elle ne peut offrir que 3 500 postes.

—  S’agissant de la créance de proratisation, il ne faudrait pas qu’un alignement du RMI sur celui de la métropole ne se traduise par une diminution des crédits alloués au logement.

—  Pour Mayotte, le Gouvernement espère qu’un consensus pourra se dégager prochainement sur la question statutaire.

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Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la Commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits du secrétariat à l’outre-mer pour 2000 : départements d’outre-mer.

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N°1865-VII. - Avis de M. Jérôme Lambert, au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de finances pour 2000. - Outre-mer : départements d’outre-mer.

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© Assemblée nationale

() Mission du 12 au 22 septembre 1999 ; composée également de Mme Nicole Catala, MM. Jacques Floch, Jacques Brunhes, Alain Tourret, Didier Quentin et Dominique Bussereau.

() Mission du 29 juin au 10 juillet 1999 ; composée également de Mmes Véronique Neiertz, Nicole Feidt et de M. Emile Blessig.

() Les villes concernées : Guadeloupe : Pointe-à-Pitre, Basse-Terre. Guyane : Saint-Laurent-du-Maroni, Cayenne. Martinique : Fort-de-France. La Réunion : Saint-Denis.

() Voir la proposition n° 1090 relative à la réorganisation administrative de La Réunion en deux départements, celle relative à la représentation parlementaire de La Réunion (n° 1091) présentées par M. Elie Hoarau, Mme Huguette Bello et M. Claude Hoarau en date du 13 octobre 1998 et celle (n° 1165) tendant à ériger deux départements à La Réunion présentée par M. André Thien Ah Koon

() Ces bulletins furent évidemment déclarés nuls.

() « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ».