SOMMAIRE DES COMPTES RENDUS D'AUDITIONS
DU 6 AVRIL 1999 AU 4 MAI 1999

__ M. Patrick BUNEL, chargé de la sécurité à la mairie de Vitrolles (mardi 6 avril 1999)

__ M. Jean-Marie LEBRAUD, ancien responsable du DPS de Bretagne (mardi 6 avril 1999)

__ M. Nicolas COURCELLE, dirigeant de la société Internationale de logistique et de sécurité (anciennement Groupe Onze France) (mercredi 7 avril 1999)

__ M. Gilles SOULAS (mercredi 7 avril 1999)

__ M. Bertrand MATHIEU, professeur de droit public à l'université de Paris I Panthéon Sorbonne (mercredi 28 avril 1999)

__ M. Gilles KUNTZ, président du conseil d'administration de la société Normandy (mercredi 28 avril 1998)

__ M. François-Xavier SIDOS (mardi 4 mai 1999)

    Audition de M. Patrick BUNEL,

    chargé de la sécurité à la mairie de Vitrolles

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 30 mars 1999)

Présidence de M. Michel SUCHOD, Vice-Président

M. Patrick Bunel est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Patrick Bunel prête serment.

M. Patrick BUNEL : Je précise que je suis chargé de mission à la mairie de Vitrolles avec pour responsabilités la police municipale et la Cybermaison, c'est-à-dire la sécurité par le biais de la police municipale.

    J'ai appartenu à la DPS du Calvados de 1984 à 1988 ; depuis cette date, je n'y exerce plus d'activités. Il s'agissait alors d'une association de bénévoles, dirigée par M. Roger Holeindre. Nous étions chargés de la régulation de manifestations ou de réunions publiques du Front National. A ce titre, nous nous sommes déplacés une dizaine de fois à Paris pour des manifestations nationales.

M. le Président : Indépendamment de la police municipale, y a-t-il des agents de sécurité ?

M. Patrick BUNEL : Il y a des permanents « vidéo ». Mais, si je puis me permettre, je ne vois pas le rapport avec la DPS ! De plus, ainsi que le précise l'article 226-13 du code pénal, sur ce sujet, je suis tenu au secret professionnel. J'ai été engagé comme chargé de mission par Mme le maire. Toutes les questions portant sur la ville de Vitrolles concernent les élus, je ne suis qu'un professionnel. Je suis employé, payé pour cela. Je me dois au secret professionnel sur toutes les activités liées à mes fonctions et à ce titre je ne répondrai pas aux questions qui s'y rapporteraient. Je vous conseille de faire venir Mme le Maire ou le conseiller en charge de la police municipale.

M. le Président : Qui est le conseiller municipal chargé de la police ?

M. Patrick BUNEL : M. André Noir.

M. le Président : Nous vous interrogeons sur la police municipale, car nous souhaiterions savoir qui, autrefois, aurait pu occuper des fonctions au DPS ou des fonctions dans d'autres structures...

M. Patrick BUNEL : Au sein de la police municipale, les personnes sont recrutées par voie de concours. Le concours était organisé et financé par la mairie mais sous l'égide et le contrôle du CNFPT (Centre National de la Fonction Publique Territoriale). Ni la mairie de Vitrolles, ni aucun politique n'a de pouvoir en ce domaine. Le concours est organisé directement par l'administration territoriale. Il n'y a pas de préférence dans le recrutement
- si je comprends votre question. Autrement dit, aucune personne de la DPS ou du Front National n'est recrutée à la police municipale de Vitrolles. Est-ce bien ce que vous vouliez savoir ?

M. le Président : Oui, nous pensions que certaines personnes auraient pu être recrutées intuitu personae depuis l'élection de Mme Mégret, non par voie de concours, mais affectées à des tâches...

M. Patrick BUNEL : Au cours du dernier concours organisé, 19 policiers municipaux ont été recrutés, le 20ème étant recruté par la ville de Carry le Rouet. Tous les agents de police municipale sont au service de Mme le Maire dans le cadre du service public, mais aussi de l'administration municipale et de tous les administrés - ce sont des fonctionnaires territoriaux agrémentés par le procureur de la République et assermentés par le tribunal d'instance de Martigues. Aucune discrimination ou critère de choix (physique, politique ou autres) ne sont apportés dans la sélection des candidats ou dans la réussite de ces derniers. Seules les épreuves écrites, orales et physiques déterminent les qualités et les aptitudes du futur agent. Les membres du jury sont des fonctionnaires territoriaux, des représentants de syndicats, des élus de mairies voisines et un magistrat.

M. le Président : Nous avons auditionné de nombreuses personnes, entre autres des journalistes. Il nous a été indiqué que, par votre entremise, d'anciens membres de la DPS avaient été embauchés dans la police.

M. Patrick BUNEL : Qui, par exemple ?

M. le Président : Nous vous posons la question.

M. Patrick BUNEL : Peut-être des personnes savent-elles mieux que moi qui travaille à la police municipale, mais, je le répète, tous les agents sont recrutés par l'administration. Ils ont tous répondu aux critères exigés. Sur les quatre cents candidats, seuls 20 ont été retenus par un jury composé du procureur, des maires des communes voisines. Il ne peut y avoir de préférence.

    Beaucoup de choses ont été écrites, notamment par les journalistes. Cela relève un peu du fantasme.

M. le Président : Deux noms ont été cités. Le premier, il s'agit d'une personne, M. Yvain Pottiez et le second, « Verwolf ». Ces noms évoquent-ils quelque chose pour vous ?

M. Patrick BUNEL : M. Yvain Pottiez, oui ; Verwolf ne m'évoque rien du tout.

    M. Yvain Pottiez était agent d'entretien à la mairie de Vitrolles ; il n'avait rien à voir avec la police municipale. Je l'ai rencontré bien avant qu'il ne travaille à la mairie ; il fréquentait les milieux du Front National. Il n'a jamais appartenu à la police municipale, il était agent d'entretien. Je crois qu'il était auxiliaire de renfort. Du reste, il ne travaille plus à la mairie depuis presque un an, dans la mesure où il avait été embauché à titre temporaire. Entre 1984 et 1988, je n'ai pas rencontré M. Yvain Pottiez au sein de la DPS. J'ai ensuite travaillé en qualité de chauffeur-garde du corps de M. Bruno Mégret de 1994 à 1997. Je n'étais alors plus membre du DPS, puisque j'étais rémunéré. J'ai vu M. Yvain Pottiez au cours de certaines activités politiques ; je ne l'ai jamais vu arborer d'insignes ou porter le blazer de la DPS.

    Je puis, si vous le souhaitez, vous livrer mon impression de la DPS, dans la mesure où j'ai accompagné M. Bruno Mégret pendant trois ans au cours de ses réunions publiques dans toute la France.

    La DPS regroupait environ 300 ou 400 personnes bénévoles sur toute la France, pour la plupart âgées. La moyenne d'âge était assez élevée. Elles se bornaient à faire ce que font habituellement les gens dans les manifestations, c'est-à-dire coordonner l'arrivée des personnes. Je les ai vus parfois prêter main forte à des personnes en danger face à des foules qui attaquaient des meetings, mais c'était toujours pour sortir quelqu'un de la salle ou en interdire l'accès à des personnes violentes. Je ne les ai jamais vues porter des attaques contraires à la loi. Tel est mon sentiment.

M. le Président : Dans le cadre de l'organisation d'un meeting, on entretient obligatoirement des rapports avec les responsables administratifs de la police d'Etat avant la manifestation. On indique les lieux de passage... Quel sentiment avez-vous sur la façon dont cela se passait avec les forces de police d'Etat et de gendarmerie au moment de la préparation des manifestations ?

M. Patrick BUNEL : De 1984 à 1988, comme je n'assumais que des fonctions locales, uniquement dans le Calvados, je n'avais guère accès à l'organisation. Lorsque j'ai travaillé avec M. Bruno Mégret, nous avons connu deux périodes : une période où il y avait des membres du service de protection des hautes personnalités (SPHP) qui accompagnaient M. Bruno Mégret. Ils régulaient les arrivées en ville, sur le lieu du meeting ; il s'agissait donc de policiers. Au cours de la période où il n'y avait pas de SPHP, c'était moi qui, avant de partir dans une région pour un dîner-débat ou un meeting, appelais la gendarmerie ou le commissariat - cela dépendait des régions - pour leur faxer le programme de M. Bruno Mégret ; l'arrivée dans la circonscription, l'heure de départ prévue, le lieu du meeting et notre itinéraire. J'envoyais les mêmes informations à la préfecture et aux renseignements généraux, avant chaque départ ; je vérifiais par appel téléphonique s'ils étaient bien informés de la venue du député européen dans leur région. Sur place, nous rencontrions un commissaire ou au moins un officier de police judiciaire affecté à cette mission. J'ai toujours eu des relations correctes avec les gens à qui nous avions affaire qui restaient, bien sûr, dans la limite des ordres qu'ils avaient reçus. Parfois, on ne pouvait accéder à la salle parce que la foule s'était amassée devant. En ce cas, c'était le préfet qui décidait d'intervenir ou non. Nous attendions alors dans la voiture. Nous n'étions pas au contact. Les forces de l'ordre nous réceptionnaient à l'arrivée, à un endroit de l'itinéraire prévu, nous arrêtaient et nous informaient de ce qui se passait, si nous pouvions poursuivre ou si était survenu un incident. Nous avons parfois été accompagnés par une voiture de police qui nous ouvrait le chemin, par un autre itinéraire que celui que j'avais choisi, jusqu'à une salle, pour nous dégager d'une manifestation. Il n'y a là rien que de très normal. Il n'y a jamais eu autre chose que ce type de contacts.

M. le Président : Vous évoquiez à l'instant la période où vous étiez responsable du DPS du Calvados.

M. Patrick BUNEL : Je n'en étais pas responsable ; j'en faisais partie.

M. le Président : Quelles étaient vos relations avec M. Bernard Courcelle ?

M. Patrick BUNEL : Pendant la période où j'ai été membre de la DPS, je n'ai pas connu M. Bernard Courcelle. J'avais affaire à M. Roger Holeindre. Quant aux manifestations parisiennes, le responsable était M. Carl Lang. Il nous indiquait où nous devions nous placer, qui nous devions guider dans la manifestation. J'étais concerné par les meetings du 1er mai. Les membres de ma région montaient par bus, les personnes étaient dirigées dans un cortège et, en général, la DPS s'occupait des gens de son cortège, c'est-à-dire devait les empêcher de sortir du parcours de la manifestation déposé en préfecture et veiller à ce que ne survienne aucun incident avec les opposants ou d'autres personnes ; nous étions chargés de tout ce qui relève du bon ordre d'une manifestation.

    Je n'ai connu M. Bernard Courcelle que dans le cadre des missions que j'ai effectuées pour M. Bruno Mégret, c'est-à-dire au cours de la période de 1994 à 1997. M. Bernard Courcelle était alors directeur de la DPS. Je le rencontrais lors des grandes manifestations et au sein du Paquebot à Montretout. J'ai eu quelques accrochages avec lui, mais toujours concernant la sécurité.

M. le Président : On cite notamment un accrochage au soir de l'élection du deuxième tour des municipales de Dreux en novembre 1996.

M. Patrick BUNEL : Non, j'ai eu un accrochage avec M. Bernard Courcelle un 1er mai. M. Bernard Courcelle voulait faire monter l'ensemble du bureau politique, et donc M. Bruno Mégret, dans un bus, de la tribune qui était rue de Rivoli pour les emmener jusqu'à l'Opéra. Dans la mesure où le bus venait juste d'arriver et qu'il n'avait subi aucune visite de déminage et qu'il n'était pas sécurisé, j'ai refusé que M. Bruno Mégret monte dedans. M. Bernard Courcelle a un peu « hoqueté ». Je lui ai expliqué que j'étais chargé de la sécurité de M. Bruno Mégret ; j'ai donc fait monter M. Bruno Mégret dans sa voiture et non dans ce bus. C'est la seule fois, dirais-je, où le ton est quelque peu monté. Sinon je n'avais que peu de relations avec M. Bernard Courcelle. Il convient de rappeler que je travaillais pour M. Bruno Mégret et que la DPS était essentiellement réservée à M. Jean-Marie Le Pen. Dès que j'ai travaillé pour M. Bruno Mégret, en 1994, j'ai été complètement exclu, mis à l'écart de tout ce qui se passait au sein de la DPS. Je ne rencontrais les responsables du DPS qu'au cours des manifestations. M. Bernard Courcelle ou d'autres membres de la DPS ne m'ont jamais rien demandé. La DPS était réservée à la sécurité de M. Jean-Marie Le Pen, et ne s'occupait pas du tout de M. Bruno Mégret. Aux manifestations, M. Bruno Mégret arrivait avec moi. Il n'était pas entouré alors que M. Jean-Marie Le Pen l'était par la DPS. J'ai été un peu mis à l'écart de l'organisation DPS dès lors que j'ai travaillé pour M. Bruno Mégret.

M. le Président : M. Bruno Mégret était tout de même - je parle des années de référence, en 1994 - le numéro deux de l'organisation. Dès lors que vous étiez le collaborateur du numéro deux de l'organisation et non du numéro un, vous étiez mis à l'écart ; la DPS fonctionnait donc quasiment en circuit fermé ?

M. Patrick BUNEL : C'est certain. Je n'interférais pas dans les décisions de la DPS et vice versa. La DPS s'occupait surtout de M. Jean-Marie Le Pen, car elle ne dispose pas des effectifs cités dans les journaux. Il s'agissait de 300 ou 400 bénévoles sur toute la France, qui venaient quand ils pouvaient. C'était un petit peu des militants bénévoles comme il en existe au sein de la CGT ou d'autres partis politiques. Ce ne sont pas des professionnels. En général, ils n'ont pas subi de formation de sécurité pure, d'où l'accrochage avec M. Bernard Courcelle. Au surplus, puisqu'ils sont bénévoles, on ne peut leur dire grand-chose. S'agissant de protection rapprochée, je voyais par exemple des personnes qui voulaient placer M. Bruno Mégret en des endroits peu adéquats pour sa sécurité. Je refusais. Ils étaient un peu vexés. Il n'en va pas des bénévoles comme des professionnels qui sont payés.

    La DPS fonctionnait donc, M. Bernard Courcelle en était chargé. A tous les meetings de M. Bruno Mégret, des DPS étaient présents auprès de la scène pour réguler la manifestation ; dans les manifestations nationales, la DPS était surtout autour de M. Jean-Marie Le Pen. C'était peut-être une question de nombre ; j'ignore si c'était une question de préférence. Mais ils étaient toujours avec M. Jean-Marie Le Pen.

M. le Président : Notre attention a été appelée sur un certain nombre de dysfonctionnements de la DPS. Vous semblez considérer que ces dysfonctionnements pourraient trouver en partie leur explication dans le grand nombre de bénévoles et de personnes qui n'avaient pas de formation en matière de sécurité.

    Ne pensez-vous pas qu'une des faiblesses était liée à la moyenne d'âge trop élevée, et à une certaine filiation avec des anciens de l'OAS, du GUD, etc. ?

M. Patrick BUNEL : Dans les manifestations publiques et dans les groupements de bénévoles, il y a toutes sortes de gens, venus d'un peu n'importe où.

M. le Président : Il s'agit d'un service d'ordre.

M. Patrick BUNEL : Le terme de « service d'ordre » est un peu fort, car à de multiples reprises, j'ai vu les pauvres DPS complètement débordés par la foule et absolument pas à la hauteur pour faire respecter l'ordre public. Certes la DPS s'interposait entre la foule des opposants et nos militants pour les protéger. Mais leur absence aurait obligé - ce qui eût été un avantage - les CRS à faire leur travail.

    Si, allant plus loin, on pense qu'une raison politique se cache derrière l'inaction des CRS, on peut a posteriori mettre en cause le préfet, le commissaire et les forces de l'ordre et engager ainsi les gens à prendre leurs responsabilités.

    C'est pourquoi la DPS me semblait un peu inappropriée. Ce sont des gens « bien gentils », mais malheureusement non formés à la sécurité. Par ailleurs, les former à la sécurité n'était pas le but. J'ai toujours été habitué à travailler avec les forces de l'ordre. Je constate que tout se passe bien quand on travaille en accord avec elles. Que ce soit M. Bruno Mégret, M. Laurent Fabius ou n'importe quel homme politique, il s'agit d'un élu et force reste à la loi. Il n'y a donc nul besoin que des personnes s'interposent. En l'occurrence, la DPS était là et certains pouvaient compter sur elle, alors qu'en présence de manifestants violents, la DPS a été débordée, excepté en quelques rares occasions où elle a réussi à protéger les personnes dans la salle. Vu de l'intérieur, la DPS ne me semblait ni bien organisée ni très fiable.

M. le Président : Contestez-vous les modes de recrutement ?

M. Patrick BUNEL : Il n'y a pas de recrutement. Ce sont des bénévoles.

M. le Président : Qui veut y venait ?

M. Patrick BUNEL : C'était un petit peu cela. Si, lors d'un meeting, les organisateurs, face à une forte contre-manifestation, estimaient que la salle allait être submergée, que les gens allaient être frappés, des bénévoles sortaient de la salle. On leur distribuait des insignes DPS et ils venaient à la rescousse, à l'entrée. Dans chaque région, il y avait cinq ou six personnes, DPS en titre, chargées de l'organisation des meetings et de la régulation des personnes, mais ces gens-là étaient d'un âge assez avancé et, selon moi, non adaptés à la situation. C'était M. Jean-Marie Le Pen qui organisait cette forme de régulation des manifestations. Ce n'etait pas approprié.

    J'ai vu des services d'ordre ou des régulations de la CGT bien plus efficaces. J'ai également vu la CNT lors de manifestations à Paris ; elle aussi est mieux organisée. Il y a moins de « cafouillage », ne serait-ce que dans la gestion du public.

M. le Président : Dans la mesure où il s'agit de bénévoles, il n'y a donc pas vraiment d'entraînement ?

M. Patrick BUNEL : Je ne vois pas à quoi ils peuvent s'entraîner !

M. le Président : En général, il faut un minimum d'organisation.

M. Patrick BUNEL : Je sais que des personnes passaient des brevets.

M. le Président : On nous a dit que le DPS comptait parmi ses membres des policiers et des gendarmes militants, agissant en dehors de leurs heures de service. Cela pourrait donner un côté un peu professionnel...

M. Patrick BUNEL : Cela ne se voyait guère ! S'il y en avait, ce n'était pas, en ce cas, les meilleurs.

    J'ai été militaire de carrière huit ans. Au cours de cette période au sein du ministère de la Défense, je ne me rendais à aucune manifestation. C'est pourquoi j'ai quitté la DPS en 1988. Par rapport à l'armée de métier, à la police ou à la gendarmerie, cela n'a rien à voir. Des entraînements, cela se voit. Au surplus, cela coûte cher.

    Certaines personnes ont été formées à la protection contre l'incendie, à organiser l'évacuation des personnes, à connaître les normes de sécurité. Certains avaient le brevet national de secourisme, mais, pour ce qui est de formations de protection et de sécurité, c'était totalement disparate. Peut-être des personnes étaient-elles formées, mais cela n'apparaissait pas. De mon point de vue - qui est celui d'un professionnel - la DPS ne me paraissait guère organisée. Les membres de la DPS regardaient la personnalité invitée, regardaient à l'intérieur au lieu de se polariser sur l'extérieur. C'était très généralement des personnes relativement âgées qui n'auraient pas dû être là et qui étaient plutôt une charge. Parfois, lorsque M. Bruno Mégret et moi-même nous nous précipitions pour entrer ou sortir d'une salle, la présence des DPS se révélait catastrophique. Ils ralentissaient considérablement notre entrée dans la salle. On recevait des pavés ou des bouteilles, parce que nous devions attendre les cinq ou six DPS locaux qui n'avançaient pas.

    Les journalistes ont fait de la DPS une grosse affaire médiatique. Une enquête de gendarmerie, des renseignements généraux, de la police nationale, voire des services, vous aurait tout de suite éclairés sur le nombre de DPS et leurs capacités.

    Vous avez interrogé le directeur de la gendarmerie au début des travaux de votre commission. Il est beaucoup plus apte que moi à vous dire ce qui se passe au sein de la DPS. Si vous souhaitez être éclairés sur la DPS, il faut que vous procédiez à une enquête. Vous constaterez que la DPS a une réputation surfaite.

M. le Président : Malgré tout, n'y a-t-il pas un c_ur de l'organisation ? Quelques troupes spécialisées ? On nous a parlé, par exemple, d'entraînements qui avaient lieu au château de Neuvy-sur-Barangeon.

    On nous a également indiqué qu'à Montceau-les-Mines, le DPS s'est montré très formé et maîtrisant bien les techniques du maintien de l'ordre.

M. Patrick BUNEL : C'est votre appréciation ! J'en ai vu quelques images à la télévision. Apparemment, les membres de la DPS disposaient de quelques bombes lacrymogènes. Ils ont fait reculer les gens, procédé à quelques charges de protection, mais ils étaient dans toutes les tenues, couraient dans tous les sens, pas un seul n'était aligné ! En face, c'était la même chose ; les contre-manifestants étaient tout aussi inorganisés. Cela ressemblait bien davantage à une manifestation d'étudiants ou à une manifestation de rue qu'à une manifestation organisée. Lorsque la police fait reculer des manifestants, la man_uvre revêt une tout autre rigueur !

    A Montceau-les-Mines, des personnes ont fait preuve de courage en défendant les personnes dans la salle et en prêtant main forte. Quant à dire qu'elles étaient organisées, c'est un bien grand mot ! Il n'y avait aucune transmission.

    J'ai vu des images à la télévision. Les journalistes ont fait ressortir le côté réglementaire de la chose. Même en ayant un esprit très orienté, cela n'apparaissait même pas. N'importe quel commissaire vous dirait : « C'est nul, complètement nul ! ».

    Cela ne m'a pas paru organisé. Maintenant, que des personnes courageuses aient fait reculer une foule... Avec une bombe lacrymogène, vous faites reculer une foule venue pour crier et lancer quelques pavés. N'importe quel policier vous le dira.

    J'ignore les suites judiciaires. La police était sur place. Pourquoi n'aurait-elle pas interpellé des gens qui auraient été suréquipés ou surentraînés, vêtus de la même tenue qu'elle, qui eût été une sorte de milice ?

M. le Président : Pourriez-vous nous dire un mot du château de Neuvy-sur-Barangeon ?

M. Patrick BUNEL : S'il y avait des entraînements au château de Neuvy-sur-Barangeon, vous en seriez informés par la gendarmerie locale.

    Le château de Neuvy-sur-Barangeon est la propriété de M. Roger Holeindre. Il est le lieu de regroupement des personnes âgées déjà évoquées, de l'après-guerre, qui ne sont plus en forme physiquement. Quel entraînement voulez-vous qu'il s'y déroule ?

    Chaque fois qu'une dizaine de voitures entre à Neuvy-sur-Barangeon, je pense que les services de l'Etat sont à même d'étudier attentivement ce qui se passe. C'est le rôle de la gendarmerie ; il convient donc de l'interroger. Cela dit, je serais étonné d'apprendre que sont organisés des entraînements - au sens guerrier du terme - à Neuvy-sur-Barangeon.

M. le Président : Il nous a été indiqué au cours de notre enquête que M. Marcel Peuch, ingénieur en sécurité civile, avait donné des conseils.

M. Patrick BUNEL : Il est du Calvados. Je l'ai connu en 1984-1988. M. Marcel Peuch était chargé, du temps de M. Bernard Courcelle, de tout ce qui concernait l'incendie et la gestion des foules au sein de la DPS.

    Je l'ai rencontré en Normandie. C'est pourquoi je sais un peu ce qu'il dispensait comme formation et les conseils qu'il délivrait. Mais plutôt que des formations, il s'agissait de recenser les personnes qui avaient déjà été formées à l'incendie et étaient titulaires de diplômes.

    M. Marcel Peuch est lui aussi très âgé !

M. le Président : Vous en faites une présentation ! A vous entendre, on se croirait à mi-chemin entre une résidence pour personnes âgées et une maison de retraite médicalisée ! Heureusement que vous donnez par votre personne une meilleure impression physique !

M. Patrick BUNEL : C'est mon métier. Je l'ai pratiqué au sein du ministère de la Défense, puis auprès de M. Bruno Mégret. Je sais de quoi je parle.

    Les bénévoles sont toujours « bien gentils ». J'en ai vu un peu partout : je côtoie des gens au sein du RPR, du MIL. J'ai des activités autres. Je ne travaille pas qu'au Front National. Les bénévoles veulent se rendre utiles, ils sont un peu « parano », ils voient toujours l'ennemi aux portes. Cela ne donne rien, ce n'est pas efficace et c'est complètement débile ! C'est mon avis personnel. Cela dit, M. Jean-Marie Le Pen prend ses responsabilités en fédérant des bénévoles. Un incendie se serait déclaré lors d'un meeting sous un chapiteau, leur action n'aurait pas été efficace. Ils auraient davantage été polarisés sur la personne de M. Jean-Marie Le Pen, davantage portés à l'approcher qu'à ouvrir les portes ! C'est un peu le mythe du garde du corps.

    S'ils étaient organisés, s'ils disposaient de moyens, s'ils étaient formés pour déstabiliser l'Etat français et entreprendre des actions illégales, je fais confiance aux services, à la gendarmerie et au ministère de l'Intérieur pour s'en être aperçu. S'ils ne réagissent pas, c'est qu'il s'agit d'une organisation « bidon ».

    Qu'il y ait une opposition politique avec un phénomène récurrent de diffamations, d'attaques, de violences, c'est le jeu, d'autant que la DPS pourrait prêter à critique, en ce sens que ses membres ne sont pas à leur place, qu'ils ne savent pas faire, qu'ils ont à gérer des opposants. Cela peut déraper verbalement et physiquement très rapidement. Les pauvres DPS sont des proies faciles à exploiter sur le plan médiatique. Quant aux journalistes, il conviendrait que certains fassent leur métier et étudient le sujet au fond pour dénoncer le côté quelque peu banal de la DPS. J'ai lu dans la presse qu'il y aurait 9 000 hommes, des groupes surentraînés, prêts à sauter un peu partout en parachute. On a déjà du mal à envoyer des rations au Kosovo ! Si la DPS est capable de regrouper 9 000 hommes entraînés et organisés sur le territoire français, cela se remarquerait !

M. André VAUCHEZ : M. Bunel nous a apporté beaucoup d'éléments qui dénotent un peu avec ce que l'on a entendu jusqu'à maintenant, ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le Président.

    Vous parliez de la police, disant que les agents étaient recrutés pour devenir fonctionnaires d'Etat. Non, ils deviennent fonctionnaires communaux, agents de la fonction publique territoriale, ce qui est tout à fait différent. Le mode de recrutement que vous évoquiez est assez curieux : les maires des communes voisines font partie du jury ?

M. Patrick BUNEL : Cela nous a été imposé par le préfet.

M. André VAUCHEZ : Cela n'en reste pas moins curieux. Ce n'est pas le préfet qui embauche, mais Mme le maire.

    A Vitrolles, quelles sont vos relations avec le DPS dans la mesure où il y a des élus Front National et où le DPS avait été imaginé pour protéger, soit les militants, soit les élus du Front National ?

    Quelles sont donc vos relations avec le DPS en tant que chargé de mission pour la police municipale de Vitrolles ?

M. Patrick BUNEL : Je n'en ai aucune. Cela a d'ailleurs été dénoncé par certains journaux. J'ai été obligé de faire un droit de réponse à M. Bernard Courcelle, car il s'étonnait que, chaque fois qu'il se rendait à Vitrolles, il n'y eût pas de DPS. Il n'y avait pas de relations avec la DPS. A chaque fois que des meetings ou des réunions se sont tenus, la DPS n'a pas eu à faire face à des attaques aussi fortes que celles portées à son encontre lorsque M. Jean-Marie Le Pen était présent. Encore une fois, la DPS est beaucoup plus tournée vers M. Jean-Marie Le Pen que vers M. Bruno Mégret. Vitrolles étant liée à M. Bruno Mégret, les gens de la DPS n'y viennent que rarement.

M. André VAUCHEZ : Y a-t-il reconstitution d'un groupe, copie du DPS, derrière la personne de M. Bruno Mégret ?

M. Patrick BUNEL : Bien sûr, des personnes seront chargées de la régulation de ses meetings et de ses déplacements.

M. le Président : A votre sens, le DPA est-il mieux organisé que le DPS ?

M. Patrick BUNEL : J'ai accepté de faire partie du DPA, à une condition : que les choses soient claires. N'importe quel journaliste demandant des informations sur la constitution du DPA, les personnes présentes, ce qu'elles font, doit recevoir immédiatement une réponse. Toute ambiguïté doit être levée, le DPA ne doit pas être une nébuleuse, car l'on peut alors imaginer n'importe quoi. Les choses doivent être claires, comme il en va dans tous les partis politiques français. Si l'on nous demande : « Que font ces quatre personnes ? », nous répondons qu'elles accueillent le public, nous citons leurs noms. Il n'y a alors pas de problème. « Non, elles n'ont pas d'armes, non elles ne subissent pas d'entraînement, elles sont chargées de la régulation des manifestations... ».

    La DPA - c'est l'engagement qui a été pris au conseil national dont je fais partie - est clairement exposée aux renseignements généraux et à la police pour expliquer qui fait quoi et expliciter la position de chacun.

M. le Président : Les principaux responsables sont-ils déjà désignés ?

M. Patrick BUNEL : Non, M. Bruno Mégret veut attendre la fin des élections européennes pour restructurer correctement la DPA, mais un point est clair : la DPA n'est pas du tout une milice. Des femmes seront présentes pour aider les gens, des personnes veilleront au stationnement. Il n'y aura pas de services ingrats : sa mission sera d'être au service du public. La DPA n'est pas au service de M. Bruno Mégret, mais des militants qui viendront assister à un meeting. C'est aussi un changement important. Ce n'est pas une reconstitution de la DPS, mais un service destiné à la régulation des meetings, pour éviter le coût trop excessif que représenterait le recours à des sociétés privées pour gérer les meetings et les réunions publiques.

M. le Président : M. Bruno Mégret est candidat aux élections européennes et conduit une liste nationale. C'est maintenant qu'il a besoin d'un service d'accueil !

M. Patrick BUNEL : M. Bruno Mégret a nommé une dizaine de personnes pour s'occuper dans chaque région des arrivées et de la gestion des meetings. Leur fonction n'est pas du tout axée sur la sécurité ; il s'agit « d'assistance » - même le nom a changé. Leur mission est axée sur tout ce qui est distribution de tracts, décor, sono, infrastructures, véhicules, entrées. Il ne s'agit plus du tout de la sécurité. Les fonctions de la DPS étaient inamovibles ; à part s'occuper de l'entrée du meeting et se tenir auprès des voitures, il ne fallait pas demander à un bénévole de poser une affiche près du podium ou de déplacer un micro. Et les DPS étaient toujours inféodés à M. Jean-Marie Le Pen. Le DPA est une structure chargée de l'organisation des meetings. Ce n'est pas du tout la même chose. Je n'aurais pas accepté de faire partie d'une DPS bis ; cela ne m'intéresse pas d'être là à ne rien faire, car cela revenait un peu à cela : c'était des gens que l'on trimbalait partout.

M. le Président : Dans le cadre de la scission en cours, on nous a signalé au cours d'auditions précédentes que beaucoup de cadres, de même que des membres de la DPS, étaient passés au sein de la DPA.

M. Patrick BUNEL : Peut-être le désirent-ils, peut-être voudraient-ils être placés au sein de la DPA, mais, à mon avis, ils ne le seront pas, car je crois que certaines personnes font l'amalgame entre DPS et DPA. Le conseil national a la volonté de changer cet épouvantail qu'est le DPS.

M. le Président : A combien évaluez-vous les effectifs actuels, résiduels, du DPS ?

M. Patrick BUNEL : Environ 200.

M. le Président : Et ceux du DPA naissant ?

M. Patrick BUNEL : Une centaine de personnes. M. Bruno Mégret est en train de créer une équipe qui le suivra dans ses déplacements jusqu'à la fin des élections européennes pour éviter d'avoir affaire sur place à des personnes qu'il ne connaît pas. Cette équipe, rattachée au comité aux manifestations, s'occupera de toute la gestion de la manifestation sur place. Dans la mesure où ce sont en général des bénévoles, ils ne sont mobilisables qu'au niveau local. Cela représente un panel d'une centaine de personnes. L'équipe de travail est, quant à elle, composée de neuf personnes rémunérées. Elles s'appuieront sur les cent personnes bénévoles qui tourneront dans chaque région. Leur mission - je le répète - ne s'appliquera pas uniquement à la sécurité : seront concernées la sécurité incendie, la gestion matérielle des locations : vidéo, son, chaises, tables, organisation de la salle...

M. le Président : Nous avons reçu M. Bernard Courcelle, qui nous est apparu comme un professionnel. Comment expliquez-vous qu'il ait accepté d'être à la tête du DPS pendant quatre ans, sans parvenir, en tant que professionnel, à en améliorer le fonctionnement, car tel que vous le décrivez le DPS n'est pas une organisation dirigée par un professionnel ?

M. Patrick BUNEL : Le problème réside dans le recours à des bénévoles. M. Bernard Courcelle, en entrant à la DPS, croyait être dans une sorte d'administration ; il s'est donc heurté à nombre de problèmes. Je l'ai entendu à maintes reprises avoir des mots avec les gens sur place. Il demandait à deux personnes de rester dans les escaliers pour en interdire l'accès à quiconque. Il s'entendait répondre : « Non, moi, je veux voir le président ; donc je reste là ! » Que voulez-vous qu'il fasse ? Qu'il les punisse ? Il s'agissait de bénévoles ! Autant il est professionnel dans les structures adaptées, autant il est désarmé face à des bénévoles, qui font ce que bon leur semble et non ce qu'on veut qu'ils fassent ; cela crée une ambiguïté. Et de fait, les choses sont beaucoup plus claires avec une équipe qui suit la personnalité politique et qui est présente pour assumer toutes les tâches qui lui incombent. Les militants de leur côté sont là en tant que tels et voient la personne qu'ils sont venus voir.

M. André VAUCHEZ : Selon vous, le DPS, bien qu'habillé, porteur d'insignes, de casques, n'est pas dangereux ?

M. Patrick BUNEL : Je n'ai pas vu ses membres casqués.

M. André VAUCHEZ : Ils ont été vus ainsi.

    Selon vous donc, ils ne sont pas dangereux pour la République ?

M. Patrick BUNEL : Non.

M. le Président : Ils s'habillent ainsi pour le folklore ?

M. Patrick BUNEL : Je le répète, je ne les ai pas vus avec des casques.

M. André VAUCHEZ : On les a vus ainsi, en particulier à Montceau-les-Mines.

    Ils se permettent aussi de temps en temps de bousculer des personnes qui ne sont pas du Front National, font le travail de la police. Ces personnes donc ne servent pas à grand-chose ?

M. Patrick BUNEL : Non.

M. André VAUCHEZ : Vous avez indiqué qu'en l'absence du DPS, le préfet aurait été obligé de faire un peu mieux son travail. Est-ce à dire que vous regrettez une telle situation ou bien, au contraire, cela vous satisfait-il et pensez-vous qu'à l'avenir, le DPS derrière M. Jean-Marie Le Pen, par exemple, doit disparaître à tout jamais ?

M. Patrick BUNEL : Non, je dis que les personnes du service d'ordre, certainement de bonne volonté, veulent parfois secourir des militants qui souhaitent entrer dans la salle du meeting et sont pris dans une foule d'opposants, susceptibles de les malmener, de les frapper, de les molester. Or une telle intervention est source de confusion. En effet, lorsque les brigades anti-criminalité (BAC) constatent que des gens sont frappés, ils peuvent interpeller trois ou quatre individus faisant partie de la contre-manifestation et une action judiciaire est alors possible. Les organisateurs des manifestations d'opposants permettent le lynchage de certaines personnes. Il faut qu'ils assument leurs responsabilités. En revanche, lorsqu'une personne a été frappée à l'entrée d'un meeting et qu'elle est secourue par trois DPS qui lui dispensent les premiers soins, que voulez-vous entreprendre en termes d'action judiciaire ? Porter plainte contre la foule ?

    Les BAC ou les renseignements généraux sur place en civil peuvent, au contraire, interpeller et, s'ils n'interviennent pas, il est possible de leur en demander justification. Force reste à la loi. Le préfet est chargé de l'ordre. Il ne peut admettre que quelqu'un du parti communiste ou du Front National se fasse lyncher dans une rue.

M. André VAUCHEZ : Ne croyez-vous pas à la croissance dans la provocation et les scènes que vous dépeignez avec des personnes blessées - certes, cela peut arriver...

M. Patrick BUNEL : C'est arrivé. Je l'ai vu.

M. André VAUCHEZ : Ce n'est pas une règle générale. Il semblerait plutôt que le DPS est là pour chauffer la foule des opposants et créer la confusion entre la police et ses membres.

M. Patrick BUNEL : Il n'y a pourtant pas d'ambiguïté entre la police et le DPS.

M. André VAUCHEZ : Vous savez, la nuit...

M. Patrick BUNEL : En ce cas, l'ambiguïté est possible avec qui que ce soit. La police est bien formée, bien organisée, sait faire son travail.

M. André VAUCHEZ : Elle ne le ferait donc pas ?

M. Patrick BUNEL : Ce n'est pas ce que je dis. Je dis que la DPS, en portant secours, empêche une action correcte.

M. André VAUCHEZ : Ont-ils besoin de porter une tenue de militaire, de gendarme ?

M. Patrick BUNEL : Je ne les ai jamais vus dans de telles tenues. Je vous arrête. Je les ai vus en costume bleu. Certes, j'étais à l'intérieur de la salle.

M. André VAUCHEZ : Il existe des tenues réglementaires.

M. Patrick BUNEL : Je ne sais pas.

M. le Président : On nous a indiqué qu'il existait la tenue n° 1, la tenue n° 2.

    Lorsque vous avez évoqué l'incident de Montceau-les-Mines, vous avez indiqué que les personnes qui s'affrontaient étaient dans les tenues les plus hétéroclites. Que sont ces tenues n° 1 et n° 2 ?

M. Patrick BUNEL : Je ne peux vous répondre. Du temps où j'étais à la DPS, il n'y avait qu'une seule tenue : un blazer bleu, une chemise bleue et une cravate bleue à liserés rouges. Il n'y avait ni tenue n° 1 ni tenue n° 2.

    Lorsque j'ai déclaré que les DPS à Montceau-les-Mines étaient dans différentes tenues, c'était précisément par comparaison avec les forces de l'ordre qui, elles, portent toutes la même.

    J'espère que la DPS va disparaître. Elle n'est pas là pour chauffer les foules, mais son action peut avoir ce résultat. Raison de plus pour la supprimer. S'il y avait eu des CRS rangés devant la salle du meeting, il n'y aurait eu aucun problème.

    Lorsque sur le lieu d'un meeting prévu, alors que la location est faite, que tout est légalement clair et net, vous recevez des pavés, vos vitres explosent, des gens tabassent vos portières, les CRS tardent à venir, que des militants débarquant d'un bus se font prendre à partie, que des personnes d'un certain âge tombent par terre, j'estime qu'il existe un gros problème de sécurité. Il y a des opposants partout, à Vitrolles comme ailleurs. Il ne faut pas en venir à de telles extrémités. Les personnes sont des personnes, qu'elles soient de droite ou de gauche. En arriver à de telles situations me pose problème. Décréter que les DPS en sont responsables, je ne le pense pas. Ce sont les personnes qui leur ont demandé de faire la sécurité à l'entrée du meeting qui sont responsables. Les DPS essayent de protéger les gens dans la salle, ils le font par bonne volonté, non dans le but de s'organiser. Au-delà du délire médiatique, il y a la réalité des faits. Je vous adresserai un conseil : la gendarmerie, la police ou les services sont les plus aptes à vous renseigner sur la réalité des choses ; vous risquez de travailler sur des sujets peu importants au regard du véritable travail à réaliser. Il y a, selon moi, bien d'autres commissions d'enquête à engager sur des sujets très intéressants.

M. le Président : Nous vous remercions de ce conseil !

    Une dernière question : on peut avoir l'impression que vous nous présentez une vision du DPS un peu lénifiante. Sur le thème de la violence, il nous a été indiqué que vous-même, vous vous êtes retrouvé dans une affaire de commando d'hommes casqués, masqués, dans une affaire de matraquage de chauffeurs routiers en grève le 5 novembre 1997.

M. Patrick BUNEL : Ah, bon !

M. le Président : On me dit que vous avez été mis en examen.

    De même que l'on nous a parlé de querelles internes : un agent du DPS a été affecté à M. Jean-Jacques Susini ; il aurait eu maille à partir avec vous. Ces incidents sont-ils exacts ?

M. Patrick BUNEL : Non ; l'affaire des routiers est en cours ; on ne peut donc en parler.

M. le Président : Vous avez bien été mis en examen ?

M. Patrick BUNEL : Oui. Ma mise en examen m'autorise l'accès au dossier et j'en suis très heureux, car cela permet de s'expliquer devant la justice et l'explication ne saurait tarder. L'affaire étant en cours, on ne peut l'évoquer.

    Quant à l'affaire de M. Susini, si quelqu'un a un problème avec moi, les tribunaux sont là pour cela. Je n'ai aucun problème avec personne.

    Les matraquages et autres faits sont, là encore, le fruit du délire médiatique. Mais les faits sont là, dont la justice va rendre compte. J'espère que le verdict de la justice dans cette malheureuse affaire des routiers fera l'objet de la même publicité médiatique. On est à des milliers de kilomètres de la DPS ! C'était une affaire concernant des grévistes. Il y a un amalgame. Les personnes sur place n'ont jamais mis en cause les membres de la DPS. J'ai rencontré les personnes concernées par l'affaire, elles ne savent pas trop ce qui se passe.

M. le Président : Dans quelle localité s'est déroulée cette affaire ?

M. Patrick BUNEL : Sur la zone industrielle de l'Anjoly dans les Bouches du Rhône.

M. le Président : Nous vous remercions.

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Audition de M. Jean-Marie LEBRAUD,

    ancien responsable du DPS de Bretagne

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 30 mars 1999)

Présidence de M. Michel SUCHOD, Vice-Président

M. Jean-Marie Lebraud est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Marie Lebraud prête serment.

M. Jean-Marie LEBRAUD : J'ai pris des responsabilités au sein du DPS, car, j'appartenais au Front National depuis 1984. On m'a demandé de trouver, parmi les militants, des volontaires pour accompagner, soit les meetings, soit des réunions.

    Je suis passé responsable DPS départemental, du département du Finistère, où j'habitais et suis ensuite devenu responsable régional. Telle est l'évolution que tout un chacun peut connaître au sein de notre mouvement.

    Nous sommes toujours entourés de militants bénévoles qui viennent nous aider dans nos missions de maintien de l'ordre des meetings ou des réunions, de même que celles plus importantes qui accueillent le Président ou des élus départementaux.

M. le Président : L'actuel responsable de la DPS est officiellement M. Marc Bellier ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Il assure une autre responsabilité près du Président. Il est dernièrement entré au cabinet du Président et en dépend directement. Nous avons un directeur national, M. Jean-Pierre Chabrut.

M. le Président : Il est tout nouvellement venu.

M. Jean-Marie LEBRAUD : Oui, il remplace M. Bernard Courcelle.

M. le Président : On considère que vous êtes, de facto, le nouveau n°1 de la DPS.

M. Jean-Marie LEBRAUD : Ce serait avec plaisir, mais ce n'est pas le cas. Depuis le début du mois de février, j'ai obtenu un contrat à durée déterminée en qualité de responsable de sécurité du siège du Front National à Saint-Cloud.

M. le Président : Quelles sont vos relations avec M. Jean-Marie Le Pen dans ces activités ? Lui rendez-vous compte directement ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Pas du tout, nous passons toujours par le directeur national. De même au niveau du siège : tout ce qui touche à la sécurité du siège fait systématiquement l'objet d'un rapport à la direction nationale.

M. le Président : Le CDD que vous avez évoqué est conclu avec l'entité « Front National » en tant que parti ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Bien sûr. Le DPS et le Front National forment un tout ; le DPS n'est pas à part. C'est un service comme un autre, au même titre qu'il existe un service de comptabilité.

M. le Président : Qu'est-ce qui, dans votre parcours personnel, dans les activités professionnelles que vous auriez exercées ont conduit les responsables à vous demander à vous personnellement d'occuper ces fonctions, tant il est vrai que l'on aurait pu vous appeler à d'autres services, à d'autres secteurs. Or, on vous a appelé au service de sécurité. Comment l'expliquez-vous ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : D'une part, parce que je suis là depuis 1984, date à laquelle j'ai adhéré au Front National. D'autre part, à Brest, j'étais commerçant et j'avais la chance de connaître beaucoup de monde. Cela a aidé. Je n'avais pas l'âme ni les compétences pour me lancer dans la politique.

M. le Président : Vous vivez la scission. Quelle est la situation actuelle de la DPS ? On nous a indiqué que beaucoup de cadres, voire de membres, s'étaient ralliés au DPA. Quels sont les effectifs : combien y a-t-il de permanents, d'occasionnels ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Il n'existe que peu de permanents ; je suis quasiment l'un des seuls. Les autres sont des bénévoles qui gravitent dans tous les départements. Dès que j'ai besoin de quelqu'un, j'appelle dans la région parisienne pour contacter un tel qui est au chômage. Les bénévoles sont tous des personnes qui ont du temps à nous consacrer à un moment donné. C'est ainsi que j'arrive à gérer le siège, avec des bénévoles uniquement
- du moins pour l'instant, car, comme vous devez le savoir, nos comptes sont bloqués, ce qui nous empêche d'embaucher.

M. le Président : Cela n'a pas empêché quelques contrats, dont le vôtre.

M. Jean-Marie LEBRAUD : Oui, le mien au mois de février.

M. le Président : Considérez-vous l'information selon laquelle beaucoup de membres du DPS seraient passés au DPA comme exacte ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Beaucoup de cadres, oui, c'est vrai.

M. le Président : Comment l'expliquez-vous ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Je ne sais pas. Il en reste tout de même encore quelques-uns au DPS !

M. le Président : Parlez-nous des responsables par zone. Qui sont vos homologues ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Des responsables régionaux et départementaux. Il existe trois ou quatre personnes par département. Nous faisons appel, si possible, à des personnes qui sont libres en cas de besoin.

M. le Président : Pourriez-vous nous tracer le parcours professionnel de quelques-uns de vos collègues ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : La personne qui m'a remplacé en Bretagne est un ancien capitaine de corvette à la retraite.

    Un ouvrier est responsable du département de l'Ille-et-Vilaine, un routier du département du Morbihan, un gardien de la sécurité chez Leclerc des Côtes d'Armor. Les professions sont diverses. Ceux qui travaillent ne sont pas toujours libres.

M. le Président : Vous faites donc appel aux personnes disponibles. Mais l'on pourrait également considérer qu'il existe un recrutement spécialisé. On a évoqué les skinheads, d'anciens « para », des gens du GUD, d'anciens policiers ou gendarmes en activité - vous avez parlé d'un capitaine de corvette à la retraite. Comment procède-t-on au recrutement ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Des militaires à la retraite, je veux bien le concevoir ; en activité, je ne le pense pas, du moins, il n'y en a pas à ma connaissance.

M. le Président : Le profil que j'ai évoqué de skinheads, d'anciens « para »... ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Oui, bien sûr, il y a des anciens militaires, comme il y a d'anciens ouvriers, d'anciens employés. C'est hétéroclite, toutes les professions sont représentées.

M. le Président : Nous avons reçu M. Bernard Courcelle. Il nous a indiqué que les membres du DPS recevaient une formation relative à la réglementation des lieux accueillant du public ; il a évoqué la collaboration d'un ingénieur de la sécurité civile, M. Marcel Peuch. Est-ce toujours le cas ? Quelles sont les formations dispensées ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Il s'agit de formations de base à la lutte contre l'incendie. Nous avons été formés dans le cadre du ERP1 (établissements recevant du public), éléments de base destinés à apprendre à éteindre un incendie.

M. le Président : En Basse-Normandie, des policiers ont fait l'objet d'une agression en janvier 1992. Sur les quarante-cinq militants du DPS interceptés ce jour-là, on a retrouvé des casques, des foulards, des tenues militaires, des masques à gaz, des bâtons, des manches de pioche, des bombes de gaz lacrymogène, des matraques à pulvérisateur gaz. C'est là un équipement étonnant de lutte contre l'incendie !

M. Jean-Marie LEBRAUD : Je ne suis pas informé de cette affaire. Par ailleurs, nous interdisons formellement ce genre de choses. Des notes de service le spécifient. Mais il est vrai que l'on ne peut pas tout contrôler. Avec des bénévoles...

    En Bretagne, en tout cas, cela n'existe pas.

M. le Président : Pourrions-nous avoir communication de ces notes de service ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Si vous me les demandez, je vous les fournirai.

M. le Président : Nous vous les demandons officiellement.

    On nous a parlé d'entraînements réguliers des membres du DPS, au moins du c_ur du DPS, de certains groupes - je ne parle pas de tous les bénévoles - au château de Neuvy-sur-Barangeon.

M. Jean-Marie LEBRAUD : Non. Il y a des réunions de préparation des meetings du 1er mai ou des fêtes « Bleu Blanc Rouge ». Elles rassemblent les cadres, à savoir les responsables régionaux et départementaux. Il n'y a pas d'entraînement. Il convient de savoir que certains de nos responsables ont soixante-cinq ans, soixante-dix ans.

M. le Président : On nous a parlé également de tenue n° 1 et de tenue n° 2.

M. Jean-Marie LEBRAUD : La tenue n° 1 est constituée d'un blazer, d'une chemise, cravate, pantalon gris, une tenue correcte, que l'on porte lors des meetings où le Président est présent. La tenue n° 2 est la tenue de ville.

M. le Président : Il s'agit également de reconnaître les personnes ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Egalement.

M. le Président : La scission a obligatoirement engendré une fonte des effectifs. Une campagne électorale est en cours. Etes-vous amené à demander le renfort de sociétés de sécurité ou de gardiennage privées ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Non. A ma connaissance, il n'y a jamais été fait appel.

M. le Président : Vous avez évoqué votre CDD. Qu'en est-il de la rémunération des chefs de zone ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Personne n'est rémunéré pour remplir des responsabilités régionales ou départementales.

M. le Président : Vous seriez donc le seul membre du DPS rémunéré ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Non, le directeur national l'est également. Je suis rémunéré en tant que gardien du siège.

M. le Président : Outre les circulaires auxquelles vous faisiez référence, il existe, paraît-il, des manuels à l'intention des membres du DPS destinés à leur communiquer les instructions et les procédures à suivre.

M. Jean-Marie LEBRAUD : Pour les contacts que nous pouvons avoir avec les forces de l'ordre ?

M. le Président : Ou d'éventuelles personnes qui viendraient troubler vos manifestations. Je veux parler d'un règlement de comportements face aux problèmes qui peuvent surgir, dans la mesure où un service d'ordre peut y être confronté.

M. Jean-Marie LEBRAUD : Cela ne prend pas la forme de manuels. Nous avons des contacts systématiques avec les renseignements généraux et la police urbaine avant chaque manifestation. Suivant la façon dont pratiqueront les forces de l'ordre, nous gardons les sorties de secours par exemple. Les forces de l'ordre gardent l'extérieur ; nous sommes un peu responsables de l'intérieur du site.

M. le Président : Plusieurs incidents ont été portés à notre connaissance, ce qui, du reste, a justifié la création de notre commission d'enquête.

    Le 11 novembre 1995, à Carpentras, des membres de la DPS interpellaient, fouillaient, menottaient et remettaient eux-mêmes un punk à la police avec ses papiers d'identité.

    A Strasbourg, en mars 1997, trois membres du DPS procédaient à une interpellation avec contrôle d'identité.

    Nous voudrions savoir si l'interpellation et le contrôle d'identité font partie des méthodes habituelles, par exemple à l'entrée d'un meeting, à l'abord d'une manifestation ou avant l'arrivée de M. Jean-Marie Le Pen ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Non.

M. le Président : Vous considérez donc qu'il s'agit de débordements ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Oui. C'est arrivé une fois en quinze ans. C'est une erreur.

M. le Président : Comment concevez-vous vos rapports dans le cadre d'une manifestation quelconque avec les forces de l'ordre sur le terrain : gendarmerie, police ? Quels rapports entretenez-vous ? Comment procédez-vous ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Je prends rendez-vous et je les rencontre avant l'organisation du meeting. Par exemple, nous étudions ensemble les itinéraires, soit avec les renseignements généraux, soit avec la police urbaine. Toujours. Telle est ma pratique. Je pense que les autres responsables procèdent de même.

M. le Président : Comment jugez-vous le résultat organisationnel ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : La police fait son métier dans la rue. Nous, à l'intérieur, connaissons moins de problèmes. Si un incident survient, nous amenons la personne intéressée à l'officier de police judiciaire. Cela dit, c'est rare. Avec les forces de l'ordre, nos relations sont bonnes et courtoises.

M. le Président : N'avez-vous pas le sentiment, lorsque se déroule une manifestation, que la DPS pourrait se substituer à ce qui serait normalement le travail des forces de l'ordre ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Elle en serait bien incapable. Les personnes généralement présentes sont âgées. Peut-être sont-elles plus jeunes en région parisienne, mais en Bretagne la moyenne d'âge est de quarante ou cinquante ans, voire davantage. En outre, ce ne sont pas des professionnels de la sécurité.

M. le Président : Lorsque nous avons reçu M. Bernard Courcelle, nous avons eu le sentiment qu'il était un technicien des questions de sécurité.

M. Jean-Marie LEBRAUD : J'étais en Bretagne, lui à Paris. Nous nous voyions deux fois par an...

M. le Président : Nous sommes confrontés au même problème avec plusieurs responsables de votre organisation qui nous expliquent que la DPS est composée de beaucoup de personnes qui ne sont plus de la prime jeunesse. Comment expliquez-vous que des gens qui sont à la tête de cette organisation, parfois comme M. Bernard Courcelle pendant quatre ans, n'aient pas tenté de la rendre plus opérationnelle ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Peut-être l'a-t-il tenté, mais cela ne peut réussir avec des personnes issues d'horizons professionnels divers. Nous n'avons pas affaire à des professionnels de la sécurité. Même d'anciens officiers, comme M. Jean-Pierre Chabrut, n'y parviendraient pas s'ils essayaient. Ce n'est pas possible.

M. le Président : Des journalistes nous ont indiqué que la pratique s'était répandue de prendre systématiquement en photo les contre-manifestants, en un mot les adversaires du Front National, voire que des fichiers avaient été constitués. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : C'est faux. Des photos ont certainement été prises, mais quant à constituer des fichiers, non.

M. le Président : Ne pensez-vous pas que des journalistes qui auraient écrit des articles hostiles au Front National auraient été filés, intimidés, reçu des coups de téléphone ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Je ne le pense pas. Je ne vois pas l'intérêt.

M. le Président : Ces actions auraient pour but l'intimidation afin que le journaliste n'écrive pas un second article.

M. Jean-Marie LEBRAUD : Il ne faut pas tomber dans la paranoïa !

M. André VAUCHEZ : On nous explique depuis un certain temps que le DPS est formé de personnes relativement âgées. Malgré tout, ce système a été mis en place pour la sécurité. De qui ? Des membres du Front National, je pense. On les forme pour lutter contre l'incendie alors que dans les salles que, je suppose, vous louez, des mesures sont prises par la municipalité et le service départemental d'incendie et de secours.

    On nous indique que ces braves gens, dont vous faites partie, ne sont pas dangereux, mais que surviennent des débordements que l'on ne sait trop comment expliquer. D'aucuns nous ont déclaré que l'on voyait l'ennemi partout - vous avez utilisé le terme de « paranoïa » - mais il existe une certaine paranoïa à vouloir conserver un groupe, dont les membres ne sont pas toujours en blazer. En effet, leurs habits sont parfois comparables, surtout la nuit, à celui des gendarmes mobiles, par exemple ! Ils vont même jusqu'à se couvrir de casques, qui ressemblent étrangement à ceux que peut posséder la police. On a l'impression que l'on est face à un groupe d'interposition. D'après ce que l'on comprend, il ne s'interpose pas ou n'est pas en mesure de le faire ; de temps à autre, il provoque des débordements. Cela peut se traduire par des coups très durs. On nous explique alors que le DPS n'est pas impliqué. La justice tranche. Je pense en particulier à ce qui s'est passé sur Paris.

    Ne croyez-vous pas que le DPS est un outil dépassé et qu'il serait préférable de faire confiance au préfet, à la police, dont le rôle est de s'interposer si nécessaire, car, dans un pays républicain, il est possible que se côtoient manifestations et contre-manifestations sans agressions, bien que cela puisse arriver en paroles ?

    Dans vos meetings, avez-vous constaté une incapacité notoire des forces de police ou de gendarmerie selon les zones d'intervention ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Effectivement, selon les zones d'intervention ; dans certains endroits, la police n'intervient pas. Et quand vous avez cinq cents ou six cents manifestants qui jettent des pierres... Je suis sourd d'une oreille. Peut-être y a-t-il une raison, liée aux manifestants d'en face.

    Dans certains endroits, effectivement, la police ne fait pas son travail.

M. André VAUCHEZ : Pourquoi cette insistance à porter cet accoutrement paramilitaire, para-police, pourquoi ne pas s'habiller, comme je le dis souvent, avec l'habit fluo du jardinier ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Vous ne parlez pas du blazer, j'espère. Vous parlez de la tenue des personnes qui travaillent pour la sécurité.

M. André VAUCHEZ : Je parle de ceux qui peuvent se confondre avec des gendarmes.

M. Jean-Marie LEBRAUD : Donc des personnes qui travaillent dans le domaine de la sécurité, qui, vous pouvez le constater, portent des blousons ou des combinaisons noires ou bleu marine. Les maîtres-chiens également. Certains d'entre eux viennent nous aider bénévolement.

M. André VAUCHEZ : Tenez-vous vraiment à cette couleur ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Non. Personnellement, j'aime bien le bleu marine - sans doute par nostalgie de l'aviation.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Les forces de sécurité de votre service d'ordre subissent-elles un encadrement particulier ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Non, pas du tout.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Les membres du DPS sont-ils en majorité des retraités ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Peut-être pas une majorité, mais il y en a beaucoup, surtout parmi les cadres même si des jeunes viennent nous rejoindre.

M. André VAUCHEZ : Sur le terrain ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Il y a aussi des anciens.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : De quels milieux socio-professionnels sont issus ces retraités ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : D'horizons très divers. Ce peut être des anciens salariés. D'autres sont à la retraite à quarante ans, en l'occurrence, d'anciens militaires.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Ceux-là ont une certaine formation ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Oui, bien sûr.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Ces retraités sont-ils des militants du Front National ou des sympathisants ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Les deux, ils peuvent être militants et sympathisants.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Quels sont les frais engagés à l'occasion de grandes manifestations ou de meetings engendrant le déplacement des membres ? Ont-ils besoin d'avoir la carte du Front National pour pouvoir faire partie de la sécurité du Front National ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Depuis la scission, il est demandé que ce soit des militants et non plus seulement des sympathisants.

M. le Président : Quel avenir voyez-vous pour la DPS ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Toute manifestation, de droite, de gauche, quel que soit le mouvement, nécessite un encadrement.

    En 68, j'étais très à gauche, je donnais des coups de main dans les manifestations. Je pense que le DPS restera, de même que les autres mouvements ont des services d'ordre.

M. le Président : Ne pensez-vous pas que la DPS présente des spécificités par rapport aux forces d'encadrement des autres partis politiques ou des forces syndicales - d'autant plus si vous avez l'expérience de mai 68 ? Percevez-vous une différence ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Non. L'organisation des syndicats de gauche est plus structurée que la DPS, qui a seulement une apparence de structure.

M. le Président : Autrement dit, le Front National aurait des leçons à prendre sur l'organisation !

M. Jean-Marie LEBRAUD : Je le pense sérieusement, surtout en matière d'encadrement des manifestations.

M. le Président : Que pensez-vous de l'organisation naissante du DPA ? La considérez-vous calquée sur l'organisation de la DPS ou comme quelque chose de très différent ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : J'ignore ce que veulent faire les responsables du DPA. Les cadres qui sont partis du DPS sont, pour la plupart beaucoup plus jeunes que ceux qui sont restés. Je pense qu'ils vont calquer leur organisation sur celle du DPS avec un niveau régional et départemental.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous avez dit que vous ne compreniez pas vraiment pourquoi on venait « attaquer » les manifestations du Front National, qu'après tout, les autres services d'ordre n'en faisaient pas autant.

M. Jean-Marie LEBRAUD : Je n'ai pas dit cela.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Nous avons auditionné les services d'ordre des autres partis. Ils ne sont pas obligés de porter un uniforme, de manipuler certaines armes dissuasives. Ils ne procèdent pas à des fouilles à corps, y compris à l'entrée des meetings. J'ai eu le sentiment que c'était des services d'ordre « bon enfant ». Au contraire, le service d'ordre du Front National me semble un service musclé. Vous avez donc l'air de penser que le Front National est un parti démocratique comme les autres. Vous dites avoir appartenu à la gauche, voire à l'extrême-gauche. Que ressentez-vous d'appartenir à un parti dont les chefs véhiculent des idées comme l'inégalité des races, emploient des expressions, certes médiatiques et destinées à faire réagir, mais que je n'ose même pas répéter ici, qui passe pour assez violent, animé d'idées fascistes, voire nazies. J'avoue que venant d'une personne ayant appartenu à la gauche, cela me gêne.

    Finalement, pourquoi existe-t-il un Département protection et sécurité du Front National si, ma foi, vous ne voyez pas pourquoi ?

M. Jean-Marie LEBRAUD : Je ne me sens pas compétent pour faire moi-même de la politique. On m'a confié une mission de gardien, donc je garde. Ma profession de commerçant m'a permis de connaître beaucoup de monde dont des personnes du Front National parmi lesquelles j'ai « puisé » quelques bénévoles pour les faire entrer sous mes ordres. Vous ne m'amènerez pas sur un plan très politique, car je n'en fais pas. Cela ne m'intéresse pas beaucoup.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Sans faire de politique ! Lorsque l'on me demandait de venir encadrer des manifestations, j'y allais avec des ballons rouges plus qu'avec autre chose !

M. Jean-Marie LEBRAUD : Ce que j'ai reçu sur la tête, ce n'était pas des ballons rouges !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Justement, si vous prenez des choses sur la tête, c'est que vous encadrez un parti qui a certaines idées. On n'a pas besoin de forces de sécurité importantes lorsque les choses se passent bien.

M. Jean-Marie LEBRAUD : C'est bien depuis qu'il existe que nous avons des manifestants en face.

    Je pense par ailleurs que vous sortez quelques phrases de leur contexte. Je n'irai pas plus loin.

M. le Président : Je vous remercie.

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    Audition de M. Nicolas COURCELLE,

    dirigeant de la société Internationale de logistique et de sécurité (ILS)
    (anciennement Groupe Onze France)

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 7 avril 1999)

Présidence de M. Jean-Pierre BLAZY, Secrétaire

M. Nicolas Courcelle est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Nicolas Courcelle prête serment.

M. Nicolas COURCELLE : Je n'ai aucune déclaration préalable à faire, je ne sais pas pourquoi vous m'avez convoqué, et j'aimerais savoir à qui j'ai affaire, car je ne vous connais pas !

M. le Rapporteur : Monsieur Courcelle, nous sommes la représentation nationale. La France est une démocratie et nous avons le droit et l'obligation d'entendre qui nous voulons dans les conditions prévues par la loi, et nous ne nous laisserons pas impressionner par votre comportement quelque peu désinvolte ! Le cas échéant, nous pouvons vous poursuivre devant les tribunaux et vous faire arrêter sur le champ. Par conséquent, je vous demande de cesser cette provocation.

    Je me présente : je suis Bernard Grasset, rapporteur de cette Commission.

M. le Président : Je suis Jean-Pierre Blazy, député du Val-d'Oise et président, ce matin, de cette Commission.

    Monsieur Courcelle, vous dirigez une société de sécurité, le Groupe Onze France, qui a été mentionnée par un certain nombre de personnes auditionnées par la Commission. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre.

    Nous voudrions savoir en quoi consiste l'activité de votre société, en France et à l'étranger, et quelle est sa dénomination actuelle. Ensuite, nous aimerions connaître les liens que vous avez avec le Front National et son service d'ordre, et si votre société ou vos employés ont apporté aide et concours au DPS.

M. Nicolas COURCELLE : Ma société s'appelle maintenant ILS, société internationale de logistique et de sécurité. J'ai en effet dû en changer le nom, suite à la campagne de presse et à l'amalgame permanent, tout à fait illégitime, qui a été fait avec les activités de mon frère et le DPS. Si vous avez beaucoup entendu parler de moi dans la presse, il me semble que vous n'avez pas tenu compte des droits de réponse que j'ai fait paraître.

    J'ai monté ma société en 1987 ; elle a pour vocation de faire de la protection de personnes : mise à disposition d'agents de protection rapprochée, en France et à l'étranger, auprès de clients. Nous avons également une activité de conseil et d'organisation.

M. le Président : Pouvez-vous nous préciser quels sont vos clients ?

M. Nicolas COURCELLE : La plupart de mes contrats prévoient une clause de confidentialité ; il m'est donc délicat de parler de certains de mes clients. Je ne souhaite pas le faire. Cependant, je peux vous dire qu'en France, nous avons travaillé pour des grands groupes, tels que LVMH - contrat que nous avons d'ailleurs perdu suite aux rumeurs. Cette mission prévoyait la protection des chauffeurs de ce groupe qui s'étaient fait agresser par des personnes souhaitant voler la marchandise.

    De façon plus générale, nos clients sont essentiellement des industriels et des particuliers, français ou étrangers. Nous ne travaillons pas pour des partis politiques, ni pour des personnalités politiques. Nous évitons également le monde du show-biz.

M. le Rapporteur : En résumé, vous protégez non seulement des industriels, français et étrangers, pouvant être menacés en raison de leurs activités, mais également des convois sensibles.

M. Nicolas COURCELLE : Il nous arrive également d'assurer la protection d'événements, dans la mesure où il s'agit d'assurer la sécurité de personnalités participant à ces événements.

M. le Rapporteur : Vous voulez parler de salons privés ou d'expositions à risque, tels que les expositions de bijoux.

M. Nicolas COURCELLE : Tout à fait.

M. le Président : Pourriez-vous nous communiquer les statuts de votre société ?

M. Nicolas COURCELLE : Tout à fait, je vous les ferai parvenir. Cependant, sachez d'ores et déjà que je suis actionnaire à 95 %, un ami, qui n'a rien à voir avec le Front National et le DPS, détenant les 5 % restant.

M. le Président : Quel est votre chiffre d'affaires ?

M. Nicolas COURCELLE : Il est variable, mais cette année il sera probablement de 5 millions de francs. En 1995 et 1996, il était de 1 million de francs, les différentes rumeurs m'ayant fait perdre un certain nombre de contrats.

M. le Président : A quel moment avez-vous changé de nom, et pourquoi ?

M. Nicolas COURCELLE : J'en avais plus qu'assez de toutes ces rumeurs et de l'amalgame qui était fait en permanence avec mon frère. J'ai utilisé mon droit de réponse, dans les journaux, chaque fois que cela m'était possible. Puis, sur les conseils des personnes qui travaillent avec moi, nous avons décidé de changer de nom. Dans le monde des affaires - comme dans la politique, j'imagine -, il est plus facile de faire trébucher ses concurrents que d'essayer d'être meilleur qu'eux. Un certain nombre de concurrents se servaient donc de ces articles de presse afin de briser nos contacts commerciaux ; il s'agit d'un argument de poids, car les grands groupes ne souhaitent pas contracter avec une société qui a la réputation de travailler avec le Front National.

    Nous avons donc changé le nom de notre société au mois de septembre 1998.

M. le Président : Pouvez-vous nous tracer les grandes lignes de votre parcours - parcours dont nous avons entendu parler au cours de nos auditions ?

M. Nicolas COURCELLE : Je ne vois pas qui aurait pu parler de mon parcours personnel !

    Je suis le sixième enfant d'une famille de sept. J'ai été élevé principalement à la campagne et mes études ont été moyennes. Je me suis engagé dans l'armée à 18 ans pour un contrat de cinq ans, mais je suis parti au bout de deux ans. Je m'étais engagé par idéal, pensant qu'il était beau et noble de servir la France, mais je me suis aperçu qu'il y avait davantage de fonctionnaires que de militaires, et que leur préoccupation principale était de compter leurs points de retraite ! Par ailleurs, je dois avouer que la hiérarchie m'était un peu pesante.

    Je me suis donc retrouvé dans la vie civile, sans formation ni diplôme. J'ai facilement trouvé du travail dans la sécurité ; j'ai travaillé pour différentes sociétés ; j'ai notamment été le garde du corps de M. Akram Ojjeh de 1985 à 1987, que j'ai quitté lorsqu'il était trop malade, car j'étais devenu davantage un garde-malade qu'un garde du corps. C'est à ce moment-là que j'ai monté ma société, le Groupe Onze France.

M. le Président : Vous vous étiez engagé dans la Légion, que vous avez quittée en 1982, avant la durée réglementaire de cinq ans.

M. Nicolas COURCELLE : C'est exact. J'ai fait une demande motivée de résiliation de contrat.

    En fait, je me suis engagé à l'automne 1980. J'ai réalisé mon instruction à Castelnaudary comme tout le monde ; instruction dure mais intéressante, et très enrichissante au niveau humain - il y avait beaucoup d'étrangers et les cadres étaient tout à fait compétents. Je suis ensuite allé au 2ème REP à Calvi, chez les légionnaires parachutistes, où j'ai eu quelques différends avec mon commandant de compagnie qui m'ont valu de ne pas partir à Djibouti - j'étais spécialiste radio - transmetteur, et accessoirement spécialiste en explosifs. Bien m'en a pris, car l'avion dans lequel je devais me trouver s'est écrasé en février 1982 et tous mes camarades sont morts.

    Après cet accident auquel s'ajoutaient d'autres motivations personnelles, j'ai fait une demande réglementaire de résiliation de contrat qui a été transmise par voie hiérarchique jusqu'à M. Charles Hernu, qui a pris lui-même la décision de me libérer. Cela s'est passé dans les règles ; je n'ai pas été réformé, contrairement à certaines rumeurs...

M. le Rapporteur : On ne peut pas qualifier le 2ème REP d'unité de fonctionnaires !

M. Nicolas COURCELLE : En 1981, il y a eu un changement de mentalité et les cadres qui sont arrivés n'étaient pas issus du moule - certains étaient même nettement moins compétents que d'autres. Le programme de M. François Mitterrand prévoyait la dissolution de la Légion étrangère, ce qui aurait obligé l'Etat à nous payer l'ensemble du contrat ; malheureusement, cela ne s'est pas produit.

M. le Président : Pouvez-vous nous préciser les activités du Groupe Onze, en France et à l'étranger ?

M. Nicolas COURCELLE : Comme toute société qui se crée, nous avons mis trois ans avant de fonctionner réellement. Depuis, nous travaillons pour différents clients, industriels ou particuliers, pour des missions de protection, d'escorte et d'organisation de sécurité (quand un client se déplace à l'étranger, il peut par exemple nous demander de trouver une société locale de protection et d'en surveiller le travail).

M. le Rapporteur : Quelle est votre formation ? Ce n'est pas le passage à la Légion étrangère qui vous a conduit à créer une société de sécurité ?

M. Nicolas COURCELLE : J'ai travaillé pour différentes sociétés de sécurité après mon passage à l'armée ; en fait, j'ai appris sur le tas. Et, je vous le répète, j'ai été le garde du corps de M. Akram Ojjeh - nous étions deux d'ailleurs.

M. le Président : Parlons de vos missions à l'étranger : qu'êtes-vous allé faire en Tchétchénie en 1993 ?

M. Nicolas COURCELLE : Tout d'abord, nous nous sommes occupés de la protection du général Doudaïev lors de sa venue au salon du Bourget, au mois de juin 1993. Ensuite, au mois de juillet, j'ai réalisé une mission d'audit pour les autorités locales qui nous avaient demandé d'établir un rapport sur la sécurité générale du pays, en vue de le remettre à des investisseurs.

M. le Président : Connaissez-vous M. Gilbert Lecavelier ?

M. Nicolas COURCELLE : De réputation. Je ne l'ai croisé qu'une fois. C'est d'ailleurs un sinistre personnage.

M. le Président : Il en dit tout autant de vous ! Il vous met en cause - vous et votre société - dans l'affaire tchétchène.

M. Nicolas COURCELLE : Que peut-il dire ? Que connaît-il de l'affaire tchétchène, ce monsieur ? Il ne connaît rien du tout. Comme je vous le disais tout à l'heure, il est plus facile de raconter des ragots sur les autres sociétés que d'essayer d'être meilleur qu'elles.

    Enfin, si vous prenez en compte le témoignage de ce monsieur dont la réputation n'est plus à faire, vous avez du boulot ! Des comme lui, je peux vous en amener cinquante !

M. le Président : Nous ne prenons rien en compte, nous écoutons. Que pensez-vous de ce monsieur et des propos qu'il tient à votre égard ?

M. Nicolas COURCELLE : Je ne sais pas ce qu'il dit sur mon compte ! Une rumeur court selon laquelle il aurait été à l'origine d'une lettre anonyme. Il prétend, notamment, que j'aurais été réformé de la Légion. Je ne connais pas ce monsieur. Je l'ai rencontré une fois pour lui demander des explications sur les rumeurs qu'il faisait circuler ; il m'a juré qu'il ne disait rien sur mon compte - quel faux jeton ! Je ne connais pas ce monsieur et je ne sais pas pourquoi il se comporte ainsi.

M. Robert GAÏA : Avez-vous été en Tchétchénie avec M. Hubert Signard ?

M. Nicolas COURCELLE : Je ne connais pas ce monsieur.

M. Robert GAÏA : Et monsieur de Vilmorin ?

M. Nicolas COURCELLE : Je ne connais pas non plus ce monsieur.

M. Robert GAÏA : Vous vous êtes bien rendu en Tchétchénie dans le cadre d'un contrat négocié avec M. Michel Fradin ?

M. Nicolas COURCELLE : Au départ, oui. Mais notre collaboration s'est très vite terminée, car elle n'aboutissait à rien. Ce n'est d'ailleurs pas M. Michel Fradin qui nous a payés.

M. Robert GAÏA : Qui vous a payé ?

M. Nicolas COURCELLE : Je suis lié par un contrat de confidentialité qui, a priori, ne m'autorise pas à vous dévoiler cette information.

M. le Président : Vous ne pouvez pas toujours vous retrancher derrière ce « contrat de confidentialité » !

M. Nicolas COURCELLE : Je vous ai dit tout à l'heure que cette mission avait été effectuée à la demande de l'Etat tchétchène. Notre déplacement a donc, au départ, été payé par cet Etat.

M. Robert GAÏA : Ce n'est pas confidentiel !

M. Nicolas COURCELLE : Si, je n'ai pas à vous dire qui me paye pour quelle mission ! Et ce n'est pas dans mes habitudes.

M. Robert GAÏA : Nous disposons d'éléments nous apprenant que vous êtes parti dans le cadre d'une mission organisée par M. Michel Fradin ; il y a même des lettres de l'Etat tchétchène se félicitant de son intervention.

M. Nicolas COURCELLE : Ils ne s'en sont pas félicités longtemps ! Mais cette histoire n'a rien à voir avec le DPS ! Je souhaiterais donc que l'on en revienne au sujet qui nous préoccupe.

M. le Rapporteur : Cher monsieur, nous sommes une commission d'enquête, nous posons les questions comme nous l'entendons. Vous avez juré de dire la vérité et vous pouvez, je vous le rappelle, être poursuivi à notre demande. Je vous demande donc de faire preuve d'un minimum de respect, quel que soit votre sentiment politique à notre égard !

    Vous dites que vous n'avez rien à voir avec le Front National. N'avez-vous pas été membre du Front National de la Jeunesse dans les années quatre-vingt ?

M. Nicolas COURCELLE : Si. Mais j'ai également été très proche du parti communiste dans les années soixante-quinze !

M. le Rapporteur : Connaissez-vous M. Thierry Rouffaud ?

M. Nicolas COURCELLE : Oui, je le connais.

M. le Rapporteur : Est-il allé en Tchétchénie avec vous ou avec votre frère ? Connaissez-vous Mme Carol La Sota et Mme Diane Roazen ?

M. Nicolas COURCELLE : Oui, je les connais.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu des contacts avec la DPSD ?

M. Nicolas COURCELLE : Non.

M. le Rapporteur : Avec nos services de renseignement ?

M. Nicolas COURCELLE : Non.

M. le Rapporteur : Avec les services de renseignement américains ?

M. Nicolas COURCELLE : Non (Rire).

M. le Rapporteur : Nous avons d'autres moyens d'en savoir plus. Contrairement à ce que vous pouvez penser, nous ne sommes pas tombés de la dernière pluie. Par conséquent, nous vous engageons à répondre autrement que par des sourires narquois.

    Nous essayons simplement d'en savoir plus sur le DPS, en ce qui concerne notamment ses relations avec les sociétés de gardiennage et de police privées. Nous n'avons rien contre vous, a priori, mais nous constatons que certaines personnes travaillant pour votre société font partie du DPS. M. Jean-Pierre Chabrut a bien travaillé pour vous ?

M. Nicolas COURCELLE : Il y a longtemps, oui.

M. le Rapporteur : Or ce n'est pas le genre de personne qui a été membre du parti communiste !

M. Nicolas COURCELLE : Je n'en étais pas membre - je ne suis pas allé jusque là !

M. le Rapporteur : Il y a donc bien une relation entre le DPS et les sociétés de police privée ! Et cette relation est suffisamment évidente, vous ne pouvez pas dire le contraire.

M. Nicolas COURCELLE : Je ne reconnais aucune relation entre le DPS et ma société. Par ailleurs, à ma connaissance, il n'existe pas de sociétés de police privée en France. Il n'existe que des sociétés de sécurité privée.

M. le Président : M. Jean-Pierre Chabrut a bien été membre de votre société ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, il n'a pas été « membre » de ma société. Il s'agit d'une personne qui parle parfaitement l'anglais, j'ai donc fait appel à ses services, il y a quelques années - je pourrais vous donner la date exacte -, pour une mission ponctuelle en raison de ses compétences linguistiques.

M. le Président : Quelle était cette mission ? Etait-elle occasionnelle ? A-t-il travaillé une seule fois ?

M. Nicolas COURCELLE : Cela a été occasionnel.

M. le Président : Vous pouvez nous donner des détails sur cette mission ?

M. Nicolas COURCELLE : Je ne m'en souviens plus, je vous assure.

M. Robert GAÏA : Vous connaissez donc M. Thierry Rouffaud. Quels sont les liens entre le Groupe Onze France (maintenant ILS) et le Groupe Onze International ?

M. Nicolas COURCELLE : Ce sont des liens commerciaux ; nous avons travaillé ensemble sur certains contrats. Groupe Onze France a fourni du personnel à Groupe Onze International. Nous avions même pensé ouvrir une succursale du Groupe Onze International en France, mais nous avons dû la fermer au bout d'un an.

M. Robert GAÏA : Quelles étaient les missions de ce personnel ?

M. Nicolas COURCELLE : Nous fournissions du personnel à Groupe Onze International pour leurs clients qui venaient en Europe.

M. Robert GAÏA : Vous étiez logés au même endroit.

M. Nicolas COURCELLE : Oui.

M. Robert GAÏA : N'y a-t-il pas d'autres liens qui vous unissent : des administrateurs, des dirigeants communs ?

M. Nicolas COURCELLE : Aucun dirigeant de ma société n'est aussi dirigeant de Groupe Onze International. M. Thierry Rouffaud a été un de mes associés au départ du Groupe Onze France ; il ne l'est plus. Il a également été le directeur de Groupe Onze International aux Etats-Unis. Et il est l'époux de Mme Carol La Sota dont vous avez parlé tout à l'heure, qui est américaine.

    Une fois de plus, je veux bien vous répondre, mais je ne vois pas le rapport avec l'objet de votre enquête.

M. le Président : M. Thierry Rouffaud possédait donc bien des parts dans votre société.

M. Nicolas COURCELLE : Oui, il en possédait. Il ne fait plus partie de ma société. Mais puisque vous insistez, je vais vous raconter quels étaient nos objectifs lorsque nous avons créé cette société en 1987.

    J'ai rencontré M. Thierry Rouffaud lorsque je travaillais pour M. Akram Ojjeh. Il était bilingue, compétent et efficace - ancien officier de réserve -, et nous avons pensé que nous n'aurions pas de mal à faire mieux que les sociétés existantes. Nous avons donc créé notre société. Pour sa part, il a également ouvert un bureau aux Etats-Unis pour démarcher des clients américains, gros consommateurs de sécurité. Nous avons donc commencé pratiquement exclusivement avec des clients américains qui se déplaçaient en Europe. Les Américains sont en effet beaucoup plus ouverts vis-à-vis de jeunes chefs d'entreprise, ce que nous étions, que les grandes entreprises françaises.

M. Robert GAÏA : Ce sont donc des intérêts linguistiques qui vous ont rapprochés. En revanche, en Afrique, on parle relativement bien le français ; avez-vous décroché des marchés en Afrique avec le Groupe Onze International ?

M. Nicolas COURCELLE : J'ai accompagné une fois un homme d'affaires en Afrique. C'est tout.

M. Robert GAÏA : Le Groupe Onze International n'a pas démarché en Afrique ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, nous n'avons jamais employé du personnel pour aller en Afrique. Nous n'avons jamais recruté de mercenaires - comme cela a été écrit dans les journaux.

M. le Président : Venons-en au Zaïre, en 1996.

M. Nicolas COURCELLE : Je ne sais pas pourquoi on a fait courir le bruit que j'étais au Zaïre en 1996 - et en 1997, d'ailleurs !

M. le Président : On dit même que vous avez recruté des mercenaires.

M. Nicolas COURCELLE : Oui, on le dit. Mais c'est de la « folie douce ». J'ai encore là un article du Dauphiné, du 11 avril 1997, dont le journaliste, pour écrire son article sur « le DPS menacé de dissolution », avait interviewé le dénommé M. Jean-Louis Arajol, selon lequel le DPS aurait, je le cite : « _..._ entre 3 000 et 7 000 membres entraînés au tir ». Eh bien, si la police laissait faire ce genre de choses ! Il ajoute : « Nos recherches nous ont permis d'apprendre que le Groupe Onze, qui recrute des mercenaires, fonctionne comme une société de sous-traitance pour le DPS. Or le dirigeant de cette officine n'est autre que le frère du responsable du service d'ordre du Front National ».

    Quand un fonctionnaire de police tient de tels propos, comment voulez-vous que les journalistes ne le croient pas ? Par ailleurs, on sait très bien que M. Jean-Louis Arajol fait carrière en luttant contre l'extrême-droite. C'est très noble, c'est très bien, qu'il se batte contre l'extrême-droite, mais il fait feu de tout bois pour essayer de se mettre en valeur.

M. le Président : Vous n'êtes donc pas allé au Zaïre en 1996 ?

M. Nicolas COURCELLE : Je n'ai jamais mis les pieds au Zaïre de ma vie.

M. le Président : Et vous n'avez jamais recruté de mercenaires par le biais du Groupe Onze pour le Zaïre ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, jamais. En 1997, je travaillais, comme salarié, pour une société en Angola - et vous le savez, puisque j'y étais avec M. Jean-Pierre Chabrut. J'y suis parti en novembre 1996 jusqu'en mars 1997. Et je n'ai pas quitté l'Angola.

M. Robert GAÏA : Et vous travailliez pour le gouvernement angolais ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, nous travaillions pour une société privée, la SIA
- société internationale d'assistance -, qui nous avait recrutés pour restructurer son activité gardiennage. J'avais accepté ce travail parce que j'en avais assez de ces rumeurs qui me causaient un tort considérable ; il s'agissait d'ailleurs d'un contrat à durée indéterminée. Malheureusement, la SIA, qui était une filiale d'une société de Marseille - la SHRM, société hôtelière de restauration marseillaise -, a été vendue à une société anglaise qui nous a aussitôt licenciés.

M. le Rapporteur : Pourrez-vous nous communiquer la copie de ce contrat de travail avec la SIA ?

M. Nicolas COURCELLE : Si je le retrouve, oui. Mais je ne suis pas très conservateur.

M. le Président : Quand on dirige une société, il faut tout de même conserver certaines archives...

M. Nicolas COURCELLE : Oui. Les documents légaux sont conservés. S'agissant des personnes que je recrute pour travailler dans ma société, je vous informe que nous sommes soumis à une autorisation préfectorale d'exercer. Je déclare donc mon personnel à la préfecture de police qui m'autorise, ou non, à les employer. Le dernier refus date de 1988, car le casier judiciaire de la personne que je souhaitais embaucher n'était pas vierge.

M. le Président : Combien de salariés permanents et occasionnels employez-vous ? Quel est leur statut : CDD, CDI ?

M. Nicolas COURCELLE : Nous sommes une structure très légère, puisqu'il n'y a qu'un CDI. Nous nous considérons comme des artisans. Dans une telle activité, il n'est pas possible d'avoir trente personnes compétentes. Il s'agit d'un métier pour lequel on a besoin de s'entourer de personnes de confiance et stables ; or il y en a peu. Les bonnes années, j'ai fait travailler jusqu'à vingt personnes, les mauvaises, deux ou trois. En ce moment, une dizaine de personnes travaillent pour moi.

M. le Président : Une dizaine ! Malgré la nouvelle dénomination de votre société ?

M. Nicolas COURCELLE : Ce changement de nom nous a permis de rebondir.

M. le Président : Comment recrutez-vous votre personnel ?

M. Nicolas COURCELLE : Je suis dans le milieu de la sécurité, à Paris, depuis 1982. Je connais donc beaucoup de monde. Je recrute essentiellement par relation.

M. le Président : Prenez-vous la précaution de contrôler leur casier judiciaire ?

M. Nicolas COURCELLE : Bien entendu. Je viens de vous expliquer que nous sommes obligés de les déclarer à la préfecture de police qui mène une enquête et qui les autorise ou non à travailler.

M. le Président : On dit qu'un certain nombre de personnes que vous employez font partie de l'Union nationale des parachutistes.

M. Nicolas COURCELLE : Je n'en sais rien. J'en ai moi-même été membre lorsque j'ai quitté l'armée, mais je n'en fais plus partie car ces réunions d'anciens combattants présentent peu d'intérêt.

M. le Président : Quelle est la rémunération de votre personnel ?

M. Nicolas COURCELLE : Pour des missions ponctuelles, leur rémunération est de l'ordre de 1 200 francs par jour.

M. Robert GAÏA : De manière pratique, comment procédez-vous pour donner satisfaction à un client qui vous demande cinq ou six personnes ?

M. Nicolas COURCELLE : Je contacte les dix ou quinze personnes - qui ne travaillent pas uniquement pour ma société - que j'emploie régulièrement pour connaître leur disponibilité. Comme je les paie davantage que mes concurrents, ils viennent volontiers travailler avec moi car je vais sur le terrain.

M. Robert GAÏA : Ensuite, vous allez à la préfecture ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, ces personnes sont déjà déclarées à la préfecture. Je ne les déclare qu'une fois. Et, très franchement, je recrute très peu, je ne cherche pas à développer mon effectif.

M. Jacky DARNE : Quelle est la forme juridique de votre société ?

M. Nicolas COURCELLE : C'est une SARL.

M. Jacky DARNE : Vous êtes combien d'associés ?

M. Nicolas COURCELLE : Deux.

M. Jacky DARNE : Votre frère est-il votre associé ?

M. Nicolas COURCELLE : Non.

M. Jacky DARNE : Avez-vous déjà adressé des factures au Front National ?

M. Nicolas COURCELLE : Non.

M. Jacky DARNE : Et dans le sens inverse ?

M. Nicolas COURCELLE : Non plus.

M. Jacky DARNE : Votre personnel vous demande-t-il l'autorisation d'assurer le service d'ordre au DPS en dehors de son temps de travail ?

M. Nicolas COURCELLE : Je ne m'intéresse pas à l'activité politique des personnes qui travaillent pour moi. Bien entendu, je sais que parmi les dix ou quinze personnes que je fais travailler régulièrement, deux ou trois ont eu et ont encore des activités militantes et bénévoles au Front National. Mais il est hors de question que je ne les emploie plus à cause de cela. Il s'agirait là d'un réflexe sectaire et intolérable de ma part, même pour protéger mon image : je préfère perdre des contrats que de ne plus employer des personnes efficaces et compétentes.

M. le Président : Ce que vous dites est en contradiction avec les propos que vous avez tenus au début de l'audition, puisque vous nous avez dit que vous aviez changé de dénomination à cause de vos « liens supposés » avec le Front National !

M. Nicolas COURCELLE : C'est vrai. Mais je ne veux pas me séparer de personnes compétentes à cause de tout ce tapage - d'autant plus qu'elles ne sont pas connues, cela n'a donc aucune incidence. Quoi qu'il en soit, si mon unique souhait était de gagner de l'argent, j'aurais fait autre chose.

M. Robert GAÏA : Avez-vous travaillé avec M. François-Xavier Sidos ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, je ne le connais pas - même si j'en ai entendu parler.

M. Robert GAÏA : Avez-vous travaillé avec des filiales de BP ?

M. Nicolas COURCELLE : Non.

M. Robert GAÏA : Et en Tchétchénie ?

M. Nicolas COURCELLE : J'ai eu des clients en Tchétchénie - ainsi que le Groupe Onze International -, mais ce n'était pas BP. Il s'agissait d'un organisme israélien.

M. le Président : Vous nous avez dit tout à l'heure que vous aviez travaillé en Tchétchénie uniquement pour le compte du président Doudaïev.

M. Nicolas COURCELLE : Oui, au mois de juillet 1993. Il s'agissait d'une mission d'audit pour le gouvernement. Nous avons effectué une autre mission avec le Groupe Onze International pour une société israélienne. Puis nous y sommes retournés une fois, car nous avions été invités pour les fêtes de l'anniversaire de l'indépendance.

M. Robert GAÏA : Vous n'êtes jamais intervenu pour des sociétés pétrolières dans cette région ?

M. Nicolas COURCELLE : Notre audit a certainement été remis à ces sociétés par le gouvernement, pour qui nous avons travaillé.

M. Robert GAÏA : C'est-à-dire que vous avez expliqué aux Tchétchènes comment faire de la sécurité, alors qu'ils sont réputés pour être très compétents en ce domaine !

M. Nicolas COURCELLE : Ils sont compétents, oui. C'est exactement ce que nous avons écrit dans notre rapport.

M. Robert GAÏA : Ils vous ont donc appelés pour valider leur compétence ?

M. Nicolas COURCELLE : Oui, c'est cela. Le niveau de sécurité en Tchétchénie était très bon à cette époque. En 1993, on pouvait se promener librement à Groznyï, sans escorte ni protection. On ne risquait absolument rien.

M. Robert GAÏA : Et en 1995 ?

M. Nicolas COURCELLE : Je ne sais pas, je n'y suis pas allé en 1995.

M. Robert GAÏA : Pourquoi n'avez-vous plus de relations avec M. Michel Fradin qui vous avait introduit en Tchétchénie ?

M. Nicolas COURCELLE : Parce qu'il avait un comportement étrange. Il amenait des investisseurs, puis il s'arrangeait pour les décourager, notamment en leur communiquant des informations défavorables au pays. Un journaliste a même écrit - mais je n'ai pas pu vérifier la véracité de ces propos - qu'il avait longtemps travaillé pour les islamistes iraniens, et qu'il avait pour but de décourager les investisseurs occidentaux pour favoriser les investisseurs islamistes.

M. Robert GAÏA : Le gouvernement français de l'époque était bien en cours auprès du gouvernement tchétchène.

M. Nicolas COURCELLE : Oui, bien sûr.

M. Robert GAÏA : De même que de M. Nicolas Sarkozy.

M. Nicolas COURCELLE : Je ne sais pas.

M. Robert GAÏA : Vous connaissez Mme Diane Roazen ?

M. Nicolas COURCELLE : Elle était la partenaire de M. Michel Fradin. Nous avons maintenu des relations avec cette femme, sympathique, intelligente, compétente, qui détient une chaire dans une université de Boston. Elle a beaucoup fait pour des causes humanitaires, c'est une femme formidable.

M. Robert GAÏA : Vous avez donc été en relation pour des missions humanitaires avec Mme Diane Roazen ?

M. Nicolas COURCELLE : Au départ, elle était en relation avec M. Michel Fradin pour essayer d'amener des pétroliers américains. Ensuite, elle a rompu les contacts qu'elle avait avec lui, car elle s'est aperçue de son étrange comportement.

M. le Rapporteur : Quand vous avez rencontré Mme Diane Roazen, avez-vous également rencontré Mme Carol La Sota ?

M. Nicolas COURCELLE : Evidemment, c'est la femme de mon associé !

M. le Rapporteur : Et elles sont toutes les deux dans cette mouvance humanitaire ?

M. Nicolas COURCELLE : Non. Mme Carol La Sota est simplement la femme de mon ex-associé et ils ont deux enfants. Elle s'occupe de ses enfants.

M. le Président : Pouvez-vous nous en dire plus sur Mme Diane Roazen, qui est titulaire d'une chaire dans une université de Boston ? De quelle université s'agit-il ?

M. Nicolas COURCELLE : Je ne me souviens plus exactement.

M. le Rapporteur : Vous nous confirmez donc que le Groupe Onze ou vous-même n'avez jamais servi d'intermédiaire pour envoyer des mercenaires au Zaïre ?

M. Nicolas COURCELLE : Je vous l'affirme.

M. le Rapporteur : Après le 2ème REP, avez-vous été au 3ème REI ?

M. Nicolas COURCELLE : Oui, tout à fait.

M. le Rapporteur : Et il n'y a eu aucune intervention pour vous maintenir à la Légion en 1981 ? On cite une lettre de M. Tixier-Vignancour qui serait intervenu en votre faveur...

M. Nicolas COURCELLE : Je ne suis pas au courant.

M. le Rapporteur : Etes-vous intervenu aux Comores, d'une façon ou d'une autre ?

M. Nicolas COURCELLE : Non.

M. le Rapporteur : Vous ne connaissez pas Bègue Consultant Limited ?

M. Nicolas COURCELLE : Non.

M. le Rapporteur : BCL, cela ne vous dit rien ?

M. Nicolas COURCELLE : Si, mais cela ne veut pas dire Bègue Consultant Limited ! Ce sont les initiales de trois actionnaires : Bègue, Castarède et Laurent. Il s'agit d'ailleurs d'une société qui ne tourne pas.

M. le Rapporteur : Vous n'avez jamais travaillé avec eux ?

M. Nicolas COURCELLE : Si, bien sûr, puisque cette société est domiciliée à la même adresse que moi ! Nous avions monté cette boîte pour faire du gardiennage, mais cela n'a jamais marché. On s'est aperçu qu'il était impossible de faire du gardiennage en payant le personnel au SMIC.

M. le Rapporteur : Pour nous résumer, vous n'avez rien à voir avec le DPS ?

M. Nicolas COURCELLE : Si, puisque mon frère est l'ancien responsable du DPS.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas d'autres relations avec le DPS ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, je n'ai jamais eu de relations ni de travail, ni de soutien avec le DPS.

M. le Président : Vous n'avez jamais participé à une manifestation du Front National alors que le DPS était présent ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, je n'ai jamais participé à une manifestation du Front National. J'ai simplement, une fois, été voir mon frère à une fête « Bleu Blanc Rouge » à Vincennes. Donc, effectivement, on m'a vu à une fête du Front National.

M. le Président : Votre frère nous a tout de même indiqué que certains salariés du Groupe Onze participaient au DPS.

M. Nicolas COURCELLE : Que les personnes qui travaillent chez moi le jour participent au service d'ordre du Front National le soir, ce n'est pas mon problème ! Je ne les paie pas pour cela, et cela ne m'intéresse pas. Bien évidemment, si j'apprenais qu'elles avaient des comportements illicites ou qu'elles étaient condamnées, je ne pourrai plus les faire travailler.

M. le Rapporteur : Avez-vous déjà rencontré M. Jean-Claude Nourri ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, ce nom ne me dit rien.

M. Robert GAÏA : Avez-vous des liens commerciaux avec la société Normandy ?

M. Nicolas COURCELLE : Non.

M. Robert GAÏA : Ce sont des concurrents ?

M. Nicolas COURCELLE : Non, nous ne relevons pas de la même catégorie : nous, nous sommes des artisans, nous faisons du sur mesure, alors que ce type de société fait du prêt-à-porter.

M. le Président : Votre entreprise est artisanale mais souhaite devenir internationale ?

M. Nicolas COURCELLE : Oui, c'est vrai. Nous avons vocation à travailler à l'étranger. A Paris, le milieu de la sécurité est très spécial, et à vrai dire inefficace. C'est tout et n'importe quoi ! Il s'agit de mythomanes qui passent leur temps dans les salles de sport ou dans les bars. D'ailleurs, la plupart des personnes qui travaillent pour moi sont mariées, ont une vie stable et vivent en province.

M. le Rapporteur : Monsieur Courcelle, contrairement à ce que vous pouvez penser, vous nous avez beaucoup aidés. Vos silences et vos oublis ont été tout aussi éloquents que vos propos. Je vous suis reconnaissant des informations que vous avez bien voulu nous apporter.

M. Nicolas COURCELLE : Je souhaiterais, monsieur le président, faire une dernière remarque. Si je ne connais pas le fonctionnement du DPS - puisqu'en famille nous ne parlons pas de notre travail -, je connais mon frère Bernard, et je sais qu'il est incapable d'organiser quoi que soit de répréhensible et en marge de la loi.

    Je sais aussi que, lorsqu'il a pris la responsabilité du DPS, il a renvoyé les « nasillons » et les skinheads. De ce fait, il a certainement fait davantage pour lutter contre certains groupes nasillons - dont le Front National est le terreau privilégié - que beaucoup d'autres qui se pâment devant les caméras de télévision et qui ne font rien.

M. Robert GAÏA : A ce propos, ne pensez-vous pas qu'avec le départ de votre frère et la scission du Front National, ceux que vous appelez les skinheads et les nasillons risquent de revenir ?

M. Nicolas COURCELLE : A vrai dire, ce n'est pas mon problème.

M. le Rapporteur : Les propos que vous venez de tenir sur votre frère coïncident avec l'impression que nous avons eue lors de son audition. Ne pensez-vous pas que son départ risque de faire surgir un DPS moins sourcilleux à l'égard de la légalité et moins soucieux d'une bonne organisation ?

M. Nicolas COURCELLE : Je ne sais pas. Je ne connais pas les autres personnes du DPS, je ne sais donc pas ce qui reste de la structure. Je n'en parle pas avec mon frère, qui est soulagé de ne plus faire partie de ce service d'ordre. Simplement, il me semble que l'avenir des deux partis issus du Front National est limité et celui de leur service d'ordre aussi, car sans argent et sans pouvoir...

M. le Président : Monsieur Courcelle, je vous remercie.

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    Audition de M. Gilles SOULAS

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 7 avril 1999)

Présidence de M. Jean-Pierre BLAZY, Secrétaire

M. Gilles Soulas est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Gilles Soulas prête serment.

M. Gilles SOULAS : Monsieur le président, mon exposé sera bref car, n'ayant jamais fait partie du DPS, je n'ai jamais eu de responsabilités au sein de cette organisation. Je me demande donc ce que je fais là ! Je suis militant nationaliste depuis une vingtaine d'années, et en tant que tel j'ai effectué un travail de militant en collant des affiches et en distribuant des prospectus. Je dirige plusieurs entreprises, je n'ai donc pas le temps de faire partie d'une organisation telle que le DPS.

M. le Président : Vous parlez de plusieurs entreprises, pouvez-vous nous les citer ?

M. Gilles SOULAS : Tout à fait. Ma première société, Conseil promotion service, créée en 1987, est une société d'affichage, de promotion publicitaire. Nous faisons de l'affichage et de la distribution de prospectus. Je travaille beaucoup avec les sociétés de spectacle ainsi qu'avec les politiques - quel que soit leur parti.

M. le Président : Pourrez-vous nous en communiquer les statuts ?

M. Gilles SOULAS : Bien sûr. Il y a cinq ans, j'ai créé une société - toujours dans la promotion publicitaire - de télématique, Promo France organisation, dont les activités ont cessé depuis le mois de décembre 1998.

M. Jacky DARNE : Quel était son objet ?

M. Gilles SOULAS : Nous étions des fournisseurs de services, nous possédions donc des codes Minitel de vente de livres, de billets de spectacle, d'astrologie, de « rose » et de jeux.

M. Jacky DARNE : Pour quel motif avez-vous cessé cette activité ?

M. Gilles SOULAS : Parce qu'elle n'était plus rentable. Par ailleurs, certains articles de journaux avaient annoncé que nous faisions de la télématique rose, ce qui a fait fuir nombre de nos clients.

M. Robert GAIA : Avec qui travailliez-vous au niveau de la billetterie ?

M. Gilles SOULAS : La société Conseil promotion service a travaillé avec toutes les sociétés de spectacle, y compris avec les grosses entreprises telles que la Fnac et Virgin, puisqu'on faisait la promotion, par voie d'affichage, de tous les concerts.

    J'avais donc créé une société de billetterie avec un code minitel « Décibel », mais Carrefour a repris mon idée et a créé avec la Fnac un système Billetel. Or je ne fais pas le poids face à de telles entreprises.

M. Robert GAIA : Et pour l'astrologie, avec qui travailliez-vous ?

M. Gilles SOULAS : Le centre serveur possédait ses propres astrologues et mettait donc à disposition la synergie. Mais je ne vois pas le rapport avec le DPS.

M. le Président : Nous essayons de mieux vous connaître, puisque nous ne disposons pas des bonnes informations à votre sujet ! Quelle est votre dernière entreprise ?

M. Gilles SOULAS : Le rachat, en janvier 1997, de la seule librairie « nationaliste » qui existait sur le marché et qui était en liquidation judiciaire, L'Aencre.

M. le Président : Quelle sorte de livres vendez-vous ?

M. Gilles SOULAS : Tous les livres nationalistes, c'est-à-dire tous les livres de droite. Je sais que cette librairie avait très mauvaise presse en raison de son côté extrémiste et provocateur, mais j'ai voulu en faire une librairie officiellement de droite, puisqu'il n'en existait pas.

M. le Président : Vendez-vous les livres de M. Robert Faurisson ?

M. Gilles SOULAS : Je vends le livre de M. Robert Faurisson si on me le demande. Mais ma librairie n'est pas une librairie révisionniste, si telle est votre question. Il s'agit d'une librairie au même titre que la Fnac qui vend le libre de M. Robert Faurisson, et Virgin Megastore qui vend des disques dont les paroles sont... dures ! Il s'agit d'une librairie de droite où vous trouverez des livres de M. Alain Griotteray, qui est simplement un homme de droite.

M. le Rapporteur : Pour vous la droite commence où : à M. Alain Griotteray, à M. Pierre Méhaignerie ?

M. Gilles SOULAS : Il est évident que je vends également des livres de M. Jean-Marie Le Pen et de M. Bruno Mégret !

M. le Rapporteur : Vous ne vendez pas de livres du RPR ni de l'UDF ?

M. Gilles SOULAS : Comme toute libraire, je vends tous les livres que l'on me commande, y compris les livres de cuisine ! Mais le fonds de ma boutique est composé de livres historiques et politiques.

M. le Rapporteur : Vous nous avez indiqué que vous étiez militant nationaliste : militant du Front National ou d'une autre mouvance nationaliste ?

M. Gilles SOULAS : Aujourd'hui, je suis militant du Front National tendance Mégret.

M. Jacky DARNE : Appartenez-vous à d'autres mouvements que le Front National ?

M. Gilles SOULAS : Non.

M. Jacky DARNE : Avez-vous appartenu à d'autres mouvements ?

M. Gilles SOULAS : J'ai appartenu au Parti des Forces Nouvelles, concurrent du Front National.

M. André VAUCHEZ : Avez-vous collé des affiches pour le Front National
- professionnellement parlant ?

M. Gilles SOULAS : Oui, cela m'est arrivé. Par exemple, j'ai assuré les campagnes de Mme Marie-France Stirbois.

M. André VAUCHEZ : Vous avez eu des factures ?

M. Gilles SOULAS : Oui, bien sûr. Sachez, par ailleurs, que l'activité principale de ma société d'affichage est de poser des affiches sur les panneaux électoraux, en période électorale. Il existe très peu de sociétés qui s'en occupent ; nous le faisons donc pour tous les partis politiques. Ainsi, aux présidentielles, nous avons fourni des affiches pour les neuf candidats en lice. Nous faisons également de la sous-traitance pour des sociétés telles que Dauphin, Giraudi ou autres qui ont des marchés locaux.

M. Robert GAIA : Ce sont des contrats avec la préfecture ?

M. Gilles SOULAS : Oui, tout à fait.

M. André VAUCHEZ : Au cours des manifestations du Front National, avez-vous rencontré l'un de vos salariés qui assurait le service d'ordre au sein du DPS ?

M. Gilles SOULAS : Jamais. Et ce, pour une bonne raison : je n'emploie pas de personnes qui font de la sécurité. Mes colleurs d'affiches ne sont pas des gros bras. Ce sont des gens normaux.

M. le Président : En revanche, vous avez dû rencontrer, au cours de ces manifestations, des membres du DPS qui sont par ailleurs agents dans des sociétés de sécurité et de gardiennage ?

M. Gilles SOULAS : Oui, bien sûr.

M. Robert GAIA : Pour quelle société ?

M. Gilles SOULAS : Je ne sais pas, ce n'est pas mon domaine. Mais il est vrai que les personnes qui travaillent dans le milieu de la sécurité ont des activités proches de leur spécialité.

M. le Président : Et donc ils se retrouvent au DPS ?

M. Gilles SOULAS : En général, oui. Mais il ne s'agit pas de salariés d'une société particulière. Le videur d'une boîte de nuit ou le vigile d'un grand magasin se retrouve sûrement dans le service d'ordre d'un parti politique - quel qu'il soit.

M. le Président : Nous parlons du DPS en particulier, nous sous-entendons donc qu'ils en font partie par sympathie et de manière bénévole.

M. Gilles SOULAS : Oui ; je pense que tout parti politique a un service d'ordre. Les gens qui font de la sécurité, à droite comme à gauche, se retrouvent dans les services d'ordre des partis politiques.

M. Robert GAIA : On nous a dit que vous étiez un expert dans le domaine de la sécurité, du Front National et du DPS au niveau de l'Ile-de-France. Vous démentez cette information ?

M. Gilles SOULAS : J'ai effectivement lu cet article du réseau Voltaire. Mais je n'ai absolument rien à voir avec tout cela, ni avec M. Bernard Courcelle, ni avec le nouveau responsable DPA de l'équipe Mégret. Je ne fais pas partie de la sécurité.

M. Robert GAIA : Non, mais vous étiez un élément que l'on consultait et qui pesait dans les choix.

M. Gilles SOULAS : Non, je ne « pèse » pas !

M. Jacky DARNE : Quelle fonction aviez-vous au Front National ?

M. Gilles SOULAS : Aucune. En tant que chef d'entreprises, je n'avais pas le temps de remplir une fonction prenante.

M. Jacky DARNE : Dans quelles circonstances avez-vous acheté votre librairie ?

M. Gilles SOULAS : Auprès d'un liquidateur judiciaire à qui j'ai fait une offre. Cette opération a pris pas mal de temps, car un certain nombre d'adversaires politiques refusaient l'ouverture d'une librairie de droite.

M. Jacky DARNE : Avez-vous été confronté à des problèmes de sécurité pour votre librairie ?

M. Gilles SOULAS : Pour le moment, non. La seule « agression » dont j'ai été victime s'est produite au moment où M. Bruno Mégret avait expulsé des personnes du « sous-marin » de Vitrolles ; le Scalp a muré ma librairie en représailles. Ce sont les services de la voirie et la police qui ont remis les choses en état.

M. Jacky DARNE : Assurez-vous personnellement la gestion de la librairie ? Choisissez-vous vous-même les ouvrages ?

M. Gilles SOULAS : Comme dans toute reprise de société, j'ai également repris les salariés. Or ces derniers ont choisi des livres qui ne me plaisaient guère, je les ai donc licenciés.

    Il est facile, dans une librairie, d'être victime de provocations. Il est toujours possible de déposer sur un présentoir une revue dont personne ne vérifiera le contenu. Deux heures après une personne passe, prend cette revue et y trouve des articles répréhensibles. Cela est arrivé il y a un an - une procédure est en cours -, j'ai donc licencié le gérant de la librairie.

    Actuellement, c'est le nouveau libraire ou moi-même qui faisons le choix des livres - je n'ai, personnellement, pas beaucoup le temps de m'en occuper.

M. Christophe CARESCHE : Connaissez-vous personnellement M. Bruno Mégret.

M. Gilles SOULAS : Je connais personnellement M. Bruno Mégret.

M. Christophe CARESCHE : Vous a-t-il confié des missions dans le cadre de sa responsabilité de délégué général du Front National ?

M. Gilles SOULAS : Non, parce qu'il savait que je n'avais pas le temps de m'en occuper.

M. le Président : Avez-vous une responsabilité dans le nouveau parti dirigé par M. Bruno Mégret ?

M. Gilles SOULAS : Pas plus, je ne suis pas disponible. Lorsque j'ai un peu de temps, je rends service, comme tout militant.

M. le Président : Quelles sont les responsabilités exactes de votre femme, Mme Allot ?

M. Gilles SOULAS : Elle est actuellement secrétaire nationale aux manifestations, salariée du nouveau parti de M. Bruno Mégret. Elle organise l'ensemble des manifestations publiques : meetings, fête des BBR, défilé du 1er mai, etc.

    Avant la scission, elle était l'adjointe de M. Serge Martinez, était salariée du Front National et s'occupait déjà de l'organisation des manifestations. Elle a été licenciée par M. Jean-Marie Le Pen.

M. Robert GAIA : C'est donc votre épouse qui, dans le cadre de l'organisation des manifestations, s'occupait de la sécurité ?

M. Gilles SOULAS : Pas du tout ! M. Bernard Courcelle était chargé de la sécurité.

M. Robert GAIA : Certes, mais comme tout organisateur de manifestation, elle était en relation avec le service d'ordre.

M. Gilles SOULAS : M. Bernard Courcelle était un « fournisseur », au même titre que le loueur de tentes ou de sono. Des réunions étaient, bien entendu, organisées pour définir les objectifs, les effectifs, etc.

M. Robert GAIA : Qui est son interlocuteur au sein du DPA ?

M. Gilles SOULAS : M. Gérard Le Vert, le responsable de la sécurité de M. Bruno Mégret.

M. le Président : Quelles relations entretenez-vous avec M. Gérard Le Vert ?

M. Gilles SOULAS : De bonnes relations, courtoises. Il n'y a ni lien de travail, ni de subordination, ni de conseil - puisque c'est ce que vous suggériez tout à l'heure. On me voit avec lui quand je suis avec mon épouse.

M. le Président : Par exemple, à l'occasion des fêtes organisées par M. Gérard Le Vert pour le solstice d'été dans sa propriété de Saône-et-Loire ?

M. Gilles SOULAS : Non, pas du tout. Je n'ai jamais mis les pieds chez lui, je ne possède même pas son adresse personnelle.

M. le Président : Par ses fonctions, votre épouse avait forcément des contacts avec le DPS auparavant et maintenant avec le DPA ?

M. Gilles SOULAS : Oui, bien sûr. Quand elle organise les manifestations publiques, elle est nécessairement en relation avec le responsable du service d'ordre !

M. le Président : Vous n'avez donc jamais personnellement participé au service d'ordre à l'occasion d'une manifestation ?

M. Gilles SOULAS : Non, jamais. Mais il m'arrive, parfois, d'aider mon épouse sur les lieux des manifestations, dans un cadre strictement « familial » ; je n'ai aucune autorité sur les membres du DPS.

M. Jacky DARNE : Quelle est votre formation ?

M. Gilles SOULAS : Etre chef d'entreprise est une tradition familiale. Mes parents étaient chefs d'entreprise, et dès qu'une de mes sociétés fonctionne bien, j'ai envie d'en remonter une autre.

M. Jacky DARNE : Avez-vous aidé financièrement le Front National ?

M. Gilles SOULAS : Non. Mes sociétés sont de petites structures, je ne peux pas me permettre de faire des donations. Quand je gagne un peu d'argent, je le réinvestis en créant une autre entreprise.

M. Robert GAIA : Avez-vous des contacts avec le Groupe Onze ?

M. Gilles SOULAS : Aucun. Je sais simplement, par la lecture de la presse, que le frère de M. Bernard Courcelle dirige cette société.

M. Robert GAIA : Connaissez-vous M. Thierry Rouffaud ?

M. Gilles SOULAS : Je n'en ai jamais entendu parler.

M. Robert GAIA : Et M. François-Xavier Sidos ?

M. Gilles SOULAS : Oui, je le connais.

M. le Président : Que pensez-vous, en tant que militant de base, des méthodes d'intervention du DPS - il y a eu des incidents graves - ?

M. Gilles SOULAS : Je pense qu'ils sont montés en épingle par les médias, sinon cette Commission n'aurait pas lieu d'être.

M. le Président : Vous pensez que les incidents qui ont provoqué des blessures, voire la mort de certaines personnes, ont été montés en épingle ?

M. Gilles SOULAS : D'abord, je ne crois pas qu'il y ait eu des morts ou des personnes gravement blessées. Celles qui ont été blessées faisaient partie du DPS, quand des voitures leur ont foncé dessus. Cependant, ne me demandez pas plus de détails, car je ne sais que ce que je lis dans notre presse militante.

M. le Président : Le jeune Marocain qui a été jeté dans la Seine lors d'une manifestation, c'était un incident monté en épingle ?

M. Gilles SOULAS : A ma connaissance, il n'y a aucun lien entre ce crime et les membres assurant la sécurité du Front National. M. Bernard Courcelle a même tout fait pour trouver les coupables.

M. Robert GAIA : Qu'il connaissait ?

M. Gilles SOULAS : Je ne pense pas, non. Il a collaboré avec la police nationale pour trouver les coupables - qui n'avaient d'ailleurs rien à voir avec les membres du DPS.

M. Robert GAIA : Et à Marseille, les trois membres du DPS qui sont condamnés ?

M. Gilles SOULAS : Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de membres du DPS.

M. Robert GAIA : Les uniformes que les membres du DPS portaient à Montceau-les-Mines, c'était également un montage médiatique ?

M. Gilles SOULAS : Bien sûr ! Qu'appelez-vous un uniforme ? Des tenues sombres ?

M. Robert GAIA : Des boucliers, des casques...

M. Gilles SOULAS : Je ne sais pas s'ils avaient des boucliers, mais les casques, quoi de plus normal ! Quand on reçoit des boulons lancés par des opposants avec des lance-pierres, la meilleure protection est bien le casque.

M. Robert GAIA : Et que pensez-vous des contrôles d'identité effectués à Strasbourg ?

M. Gilles SOULAS : Que cela est monté en épingle pour essayer de dissoudre un service d'ordre. Je ne pense pas que si le Front National n'avait pas créé son propre service d'ordre, les manifestations se passeraient bien, car il est systématiquement attaqué.

M. Robert GAIA : M. Bernard Courcelle avait l'air de condamner ces contrôles d'identité, étant très sourcilleux de la légalité. Vous, non ?

M. Gilles SOULAS : Si, bien sûr. Il n'est déjà pas agréable d'être contrôlé par la police nationale, je suis donc tout à fait opposé aux contrôles effectués par des personnes qui n'ont pas autorité en la matière.

M. Christophe CARESCHE : Comment avez-vous vécu la scission du Front National ?

M. Gilles SOULAS : Comme une très bonne chose. Mon analyse est la suivante : 30 % des électeurs ont voté au moins une fois pour le Front National, et pourtant il n'obtient que 15 % à chaque élection. Il y a donc un certain nombre d'électeurs déçus, notamment par les écarts de langage de M. Jean-Marie Le Pen. Il était donc condamné à n'obtenir que 10 % des voix et à ne pas toucher une clientèle électorale plus importante.

    Pour tout vous dire, je pense même que cela était voulu. Et si j'ai été membre du PFN à une certaine époque, c'est parce que j'étais déjà en désaccord avec M. Jean-Marie Le Pen. J'ai rejoint le Front National parce que le PFN a disparu.

M. le Président : Le DPA du parti de M. Bruno Mégret est-il différent du DPS ?

M. Gilles SOULAS : Il est beaucoup plus humain, il y a moins de gros bras ; en effet, faire un barrage de gros bras à l'entrée des meetings ne donne pas une bonne image de marque !

M. Robert GAIA : Il est reconnu que M. Bernard Courcelle a fait le ménage en éliminant tous les skinheads et les membres du GUD. Ne retrouve-t-on pas ces personnes autour de M. Bruno Mégret ?

M. Gilles SOULAS : Non, pas du tout, même s'il n'est pas facile de gérer un groupe. M. Bruno Mégret est d'autant moins inquiet que son objectif n'est pas de faire un barrage de sécurité ; les membres du service d'ordre n'interviennent que s'il y a un incident.

M. Robert GAIA : Tous les membres du GUD sont aujourd'hui chez M. Bruno Mégret.

M. Gilles SOULAS : C'est ce que l'on dit. Vous savez, personne ne dirige les membres du GUD, ce sont des électrons libres. Ils font ce qu'ils veulent. Quoi qu'il en soit, actuellement, ils n'ont aucun rôle dans la sécurité.

M. Arthur PAECHT : S'ils n'ont aucun rôle de protection, n'ont-ils pas un rôle de troupe d'assaut ?

M. Gilles SOULAS : Non. Le Mouvement National est un parti politique comme les autres ; il n'est pas composé d'affreux nervis et n'a pas besoin de troupes d'assaut.

M. Arthur PAECHT : Vous avez dit que les membres du GUD étaient incontrôlables, qu'il s'agissait d'électrons libres. Or ils tournent autour du parti de M. Bruno Mégret et sont spécialisés dans les actions un peu musclées. N'y a-t-il pas lieu de s'inquiéter de la présence d'éléments incontrôlables ?

M. Gilles SOULAS : Un parti politique n'a pas vocation à récupérer et gérer tous les durs et les gros bras ! Ce n'est pas le rôle d'un parti politique.

M. Robert GAIA : Quels étaient vos rapports avec M. Roger Holeindre ?

M. Gilles SOULAS : Un adjudant, une grande « gueule » sympathique, mais un adjudant !

M. Robert GAIA : Et avec M. Eric Staelens ?

M. Gilles SOULAS : C'est une personne que j'estime et que je trouve compétente.

M. Robert GAIA : Et pourtant, il travaille avec qui maintenant ?

M. Gilles SOULAS : En tout cas, pas avec nous.

M. Robert GAIA : Et M. Marc Bellier ?

M. Gilles SOULAS : Je ne l'aime pas. Je crois savoir qu'il est un ancien du SAC. Pour moi, c'est quelqu'un qui s'est livré à des « magouilles » du temps du SAC. Je ne peux donc pas entretenir de bonnes relations avec lui.

M. Robert GAIA : M. Gilbert Lecavelier ?

M. Gilles SOULAS : C'est toujours l'équipe du SAC !

M. le Rapporteur : Monsieur Soulas, il me semble comprendre, dans votre prise de position, que M. Jean-Marie Le Pen fait partie d'une mouvance dépassée, d'anciens poujadistes, et que le parti que vous soutenez est plus structuré, plus raisonnable que celui de M. Jean-Marie Le Pen. Où arrêtez-vous votre conception de l'extrême-droite ?

M. Gilles SOULAS : Aux limites de la loi.

M. le Rapporteur : Par conséquent, vous condamnez les thèses révisionnistes, les associations de néo-nazis et d'anciens miliciens ?

M. Gilles SOULAS : Tout ce qui est contraire à la loi est condamnable.

M. le Président : Vous ne vendez donc pas de livres révisionnistes ?

M. Gilles SOULAS : Si l'on m'en commande un, je le fournirai, au même titre que la Fnac. Il s'agit d'un acte de vente.

M. le Président : Je ne pense pas que vous puissiez vous comparer à la Fnac ! Vous êtes propriétaire d'une librairie très spécialisée.

M. Gilles SOULAS : Vous me parlez de révisionnistes, or la majorité d'entre eux sont de gauche - anarchistes, trotskistes, etc !

M. Arthur PAECHT : Je ne comprends pas la différence entre un révisionniste de droite et un révisionniste de gauche ! Ils veulent tous revenir sur des faits qui ont été établis.

M. Christophe CARESCHE : Avez-vous un associé dans votre librairie ?

M. Gilles SOULAS : J'ai un associé, M. Gilles Sereau.

M. le Président : M. Gérard Le Vert, que vous connaissez, a quand même des sympathies pour les anciens néo-nazis. Qu'en pensez-vous ?

M. Gilles SOULAS : Existe-t-il réellement une relation entre le fait de fêter un solstice d'été et de réunir d'anciens nazis ? Le solstice d'été, c'est la fête de la Saint-Jean.

M. Robert GAIA : Mais il s'est tout de même rendu à un congrès en Autriche !

M. Gilles SOULAS : Je n'en sais strictement rien !

M. le Rapporteur : C'est vrai qu'entre le solstice et la Saint-Jean, il peut y avoir une récupération chrétienne. Mais entre la Saint-Jean des scouts de France et celle de certaines mouvances extrémistes, il y a une marge !

M. Gilles SOULAS : Je pense surtout que certaines traditions populaires doivent être respectées. Et la Saint-Jean en est une.

M. Christophe CARESCHE : Au moment de la scission, M. Jean-Marie Le Pen a accusé M. Bruno Mégret d'être lié à une mouvance - en particulier autour de M. Pierre Vial - aux conceptions « racialistes ». Que pensez-vous de cette accusation ? Par ailleurs, êtes-vous en contact, à travers votre librairie, avec des auteurs se situant dans cette tradition ?

M. Gilles SOULAS : M. Jean-Marie Le Pen a tenu ces propos pour faire un « bon mot » médiatique. Vous savez, il joue beaucoup avec la presse ; c'est la raison pour laquelle il fait beaucoup de dérapages - il veut que l'on parle de lui, même en mal, ce qui, à mon sens, n'est pas une bonne politique.

    Par ailleurs, à ma connaissance, il n'existe pas d'auteurs « racialistes » en France.

M. le Président : Etiez-vous présent à Saint-Cloud pour déposer les cantines militaires contenant les pétitions ?

M. Gilles SOULAS : Bien sûr, je suis même passé à la télévision !

M. le Président : Je vous demande cela, parce que nous avons du mal à comprendre que vous ne soyez qu'un militant de base. N'avez-vous aucun rôle occulte au sein du DPA ?

M. Gilles SOULAS : J'ai amené les cantines pour deux raisons : d'une part, parce que M. Serge Martinez me l'a demandé, et, d'autre part, parce que, à l'époque, le DPA n'existait pas. Et puis, entre nous, je me suis fait plaisir en voyant les filles de M. Jean-Marie Le Pen compter les signatures !

M. Robert GAIA : Il a été dit que, ce jour-là, vous aviez fait appel à une société de sécurité pour assurer le service d'ordre, le DPA n'étant pas constitué.

M. Gilles SOULAS : Non, il n'y avait personne. Mais cet événement était suffisamment médiatisé. Je vois mal les gens de M. Jean-Marie Le Pen voler les malles devant tous les journalistes et les huissiers !

M. Robert GAIA : Votre épouse poursuit-elle le Front National devant les prud'hommes ?

M. Gilles SOULAS : Bien sûr !

M. le Président : Avez-vous des liens avec les sociétés de sécurité privées, autrement que par le biais de votre associé ?

M. Gilles SOULAS : Mon associé possède, il est vrai, une société de sécurité. Mais je n'en suis pas actionnaire, et nos sociétés n'ont aucun lien.

M. Robert GAIA : En résumé, vous entretenez des relations d'affaires avec une personne qui possède, entre autres, une société de sécurité, et votre femme s'occupe de l'organisation des manifestations du Front National - auxquelles participe le service d'ordre. Finalement, vous êtes au centre de l'union.

M. Gilles SOULAS : Non, pas du tout. Il n'y a aucune interactivité entre mes sociétés et celle de M. Gilles Sereau. En outre, il ne fait pas le même genre de sécurité que le DPS - il fournit des maîtres-chiens pour les hypermarchés.

M. Robert GAIA : Certes, mais votre épouse peut être en contact avec votre associé chez vous.

M. Gilles SOULAS : Evidemment, ils se connaissent !

M. Robert GAIA : Votre associé n'a jamais travaillé pour le DPS ?

M. Gilles SOULAS : Non, nous sommes très clairs, avec mon épouse, dans les affaires. On ne mélange pas tout.

M. Robert GAIA : Mais des salariés de votre associé peuvent faire partie du service d'ordre à l'occasion de manifestations ?

M. Gilles SOULAS : Peut-être, mais c'est complètement indépendant de nous. Lorsque mon associé recrute un salarié, il ne lui demande pas son appartenance politique !

M. Arthur PAECHT : Je souhaiterais poser une dernière question. Vous qualifiez votre librairie de « librairie de droite », et vous dites vendre n'importe quel livre, comme n'importe quel libraire. Si on vous demande « Le Juif Süss » ou « Le protocole des sages de Sion », vous le commandez et vous le vendez ?

M. Gilles SOULAS : Non. Je respecte la loi. En France, un certain nombre d'ouvrages sont interdits à la vente et à l'exposition. Je respecte la loi.

M. Arthur PAECHT : Etiez-vous présent à la fête du livre du Front National à Toulon ?

M. Gilles SOULAS : Non.

M. Robert GAIA : Avez-vous des liens avec la librairie à Toulon...

M. Gilles SOULAS : Non.

M. Robert GAIA : Ni dans la première ni dans la seconde ?

M. Gilles SOULAS : La première avait des liens d'associés avec les ex-propriétaires de ma librairie. Mais, personnellement, je n'ai aucun lien avec eux.

M. Robert GAIA : Et vous n'avez pas repris l'ensemble ?

M. Gilles SOULAS : Non, pas du tout. Il s'agissait de deux sociétés différentes avec des actionnaires identiques.

M. le Président : Monsieur Soulas, nous vous remercions.

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    Audition de M. Bertrand MATHIEU, professeur de droit public
    à l'université de Paris I Panthéon Sorbonne

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 28 avril 1999)

Présidence de Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD, Secrétaire

M. Bertrand Mathieu est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Bertrand Mathieu prête serment.

Mme la Présidente : Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Bertrand Mathieu, professeur de droit. La commission a en effet souhaité recueillir l'avis d'un spécialiste des libertés publiques et du droit administratif pour faire le point sur les conditions de la dissolution administrative prévue par la loi du 10 janvier 1936.

M. Bertrand MATHIEU : Madame la présidente, messieurs les députés, la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et de milices privées est une loi de circonstance, dont l'objet est de lutter contre les menaces que font peser les « ligues » sur la République. Il s'agit d'une loi de circonstance car une première mouture du projet de loi avait prévu d'indiquer dans la loi une liste nominative des associations concernées. Mais pour des raisons de principe, cette formulation a été abandonnée.

    Cette loi prévoit, à côté d'une dissolution prononcée par le juge judiciaire, une dissolution administrative applicable à certaines associations et groupements de fait. C'est une loi qui déroge au principe de la liberté d'association.

    Cette loi de 1936 a été complétée par des ajouts successifs qui étendent son champ d'application au-delà de la protection contre les groupements paramilitaires. En son état actuel, elle permet la dissolution par décret du Président de la République, pris en Conseil des ministres, des associations ou groupements de fait qui présentent un certain nombre de caractéristiques tenant soit à leur activité, soit à leur organisation, soit à leur but.

    Je présenterai rapidement les différentes conditions relatives à la dissolution de ces associations et de ces groupements de fait, telles qu'elles résultent de la loi et de l'interprétation qui en a été donnée par la jurisprudence, avant d'aborder les dispositions constitutionnelles et conventionnelles applicables en la matière.

    Avant de traiter de ces questions, il convient de relever qu'en application de la loi du 11 juillet 1979 et du décret du 28 novembre 1983, ces mesures de dissolution doivent être motivées et précédées d'une procédure contradictoire. Le gouvernement n'a pas l'obligation de prononcer une dissolution alors même que les conditions sont réunies. Il apprécie, dans ce cas, l'opportunité d'une telle mesure.

I.- Les conditions relatives à la dissolution administrative des associations et groupements de faits

    Sur les conditions relatives à la dissolution administrative des associations et groupements de fait résultant de la loi et de la jurisprudence administrative, je prendrai en considération l'ensemble des hypothèses fixées par la loi et dans lesquelles une dissolution administrative est possible. J'insisterai particulièrement sur le cas qui est à la fois le plus difficile à appréhender et qui me semble le plus susceptible d'intéresser votre Commission, à savoir celui visant spécifiquement les groupes de combat et les milices privées.

    Examinons d'abord les conditions autres que celles tenant à l'existence d'un groupe de combat ou d'une milice privée.

    · Premièrement, la provocation à des manifestations armées dans la rue. L'article 1-1° de la loi de 1936 vise les associations ou groupements de fait qui « provoqueraient des manifestations armées dans la rue ». Doivent donc être pris en compte des critères tenant à la nature de la provocation, au caractère armé de la manifestation et au lieu de la manifestation.

    - Premier critère, la provocation. Elle peut résulter d'une incitation par diffusion de tracts et de journaux, ainsi que par l'accomplissement d'attentats. Dans l'affaire du SAC, le commissaire du gouvernement Bruno Genevois précisait que la commission d'actes de violence criminels, qu'ils soient imputables à l'association ou à des individus appartenant à l'association mais agissant isolément, n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 1-1° de la loi de 1936. Par ailleurs, en 1936, le législateur a expressément rejeté au vu des travaux préparatoires, la possibilité de dissoudre, des groupements auteurs d'actes portant simplement atteinte à l'ordre public. En revanche, il n'est pas nécessaire qu'il y ait eu un début d'exécution.

    - Deuxième critère, le caractère armé de la manifestation. Dans ses conclusions sur l'arrêt Krivine du 21 juillet 1970, le commissaire du gouvernement Bertrand s'appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation, relative aux textes réprimant les manifestations armées, pour estimer que doivent être considérés comme une arme tous les objets ou instruments qui, en fait, sont utilisés comme tel.

    - Troisième critère, le lieu. La loi indique qu'il doit s'agir de la rue, mais le Conseil d'Etat a retenu une conception large de cette exigence en considérant que, sous certaines conditions, l'occupation armée d'un lieu privé pouvait être assimilée à une manifestation armée dans la rue. Il en est ainsi de l'occupation d'une cave à proximité d'une route nationale, alors que l'occupation est rendue publique, ouverte à la population et que les manifestants se sont retirés dans un camion avec des armes apparentes.

    · Deuxièmement, l'atteinte à l'intégrité du territoire. Les conditions sont extrêmement larges, puisqu'il suffit que les associations ou groupements de fait aient pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national sans aucune autre condition.

    · Troisièmement, l'atteinte à la forme républicaine du gouvernement. Il s'agit de la deuxième partie de l'article 1-3° de la loi de 1936, visant les associations ou groupements de fait qui « auraient pour but... d'attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ». Plusieurs critères, cumulatifs, doivent être ici retenus ; ils tiennent aux objectifs et à l'emploi de la force.

    Dans ce cas, l'intention suffit. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait un début d'exécution. Cependant, la jurisprudence est fluctuante. Alors que le commissaire du gouvernement Andrieux, en 1936, considère que le fait de renoncer à tenter le coup de force dans des conditions qui ne semblent pas favorables à une réussite ne devrait pas être retenu en faveur de l'association, le Conseil d'Etat estime, en 1970, que ne peuvent être dissoutes des organisations qui avaient déconseillé la tenue de manifestations armées durant le mois de mai 1968, estimant que le rapport de force était favorable au gouvernement.

    Quant à l'usage de la force, cela signifie bien que la lutte pacifique contre la forme républicaine du gouvernement n'est pas visée.

    Dernier critère, celui qui tient à la mise en cause de la forme républicaine du gouvernement. Il s'agit d'une formulation relativement imprécise - on la retrouve d'ailleurs dans la Constitution. Il peut s'agir d'une action en faveur du rétablissement de la monarchie ou de l'instauration d'une dictature. On pourrait également considérer qu'il s'agit de protéger les éléments propres à la démocratie libérale. Mais cette conception serait probablement trop extensive et contraire, me semble-t-il, à la formulation du texte, et s'agissant d'une mesure d'exception limitant l'exercice d'une liberté publique, elle doit être interprétée de façon restrictive.

    · Quatrièmement, l'atteinte au rétablissement de la légalité républicaine et le soutien à la collaboration.

    L'article 1-4° de la loi de 1936 vise les associations ou groupements de fait « dont l'activité tendrait à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ». L'article 1-5, quant à lui, vise ceux « qui auraient pour but, soit de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter cette collaboration ». Ces ajouts résultent respectivement d'une ordonnance du 30 décembre 1944 et d'une loi du 5 janvier 1951. Ce sont également des textes de circonstance, mais ils doivent être considérés, selon le Conseil d'Etat, comme encore applicables.

    · Cinquièmement, la provocation à la discrimination.

    L'article 1-6° de la loi de 1936, ajouté par la loi du 1er juillet 1972, vise les associations ou groupements de fait qui, « soit provoqueraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou groupement de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ».

    · Sixièmement, la provocation aux actes de terrorisme.

    L'article 1-7° de la loi de 1936, ajouté par la loi du 9 septembre 1986, vise les associations ou groupements de fait qui « se livreraient, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger ».

    · Enfin, les conditions relatives à l'existence d'un groupe de combat ou d'une milice privée.

    L'article 1-2° de la loi de 1936 vise les associations ou groupements de fait qui « en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le gouvernement, des sociétés d'éducation physique et de sport, présenteraient, par leur forme et leur organisation militaire, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ».

    Plusieurs critères sont pris en compte. La difficulté réside dans l'utilisation qui est faite de ces différents critères, d'autant plus que la loi ne définit pas les notions de « groupes de combat ou de milices privées ». En outre, les décisions du Conseil d'Etat sont relativement sibyllines en ce qui concerne l'appréciation des motifs retenus. C'est essentiellement dans des conclusions de commissaires du gouvernement que l'on peut trouver une explication de ces motifs, ce qui veut dire que l'analyse est très factuelle.

    Nous envisagerons rapidement la question, telle que posée en jurisprudence, et qui n'est probablement pas étrangère au sujet qui intéresse votre Commission, des liens qui peuvent exister entre un groupement susceptible d'être considéré comme paramilitaire et un parti politique.

    - Premièrement, les critères. Je les énumérerai d'abord, avant d'essayer de voir comment on peut les structurer, pour vérifier que l'on est bien dans le cadre de la loi de 1936.

    Tout d'abord, l'organisation interne des structures.

    Dans le cadre de la dissolution des Croix de feu et d'organisations qui lui sont liées, le rapport au Président de la République prend en compte l'existence d'une formation organisée en sections placées sous les ordres de chefs, l'existence de moyens de concentration rapide, une subordination complète aux supérieurs et, enfin, la formulation de consignes secrètes.

    La même année, le commissaire du gouvernement Josse caractérise l'existence d'un groupe de combat ou d'une milice privée par l'organisation militaire en sections hiérarchisées par des grades, et dont les membres sont soumis à une discipline absolue. En effet, il résulte de la jurisprudence que n'importe quelle exigence de discipline ou d'obéissance ne suffit pas à donner au groupement un caractère paramilitaire.

    Dans l'affaire portant sur la dissolution du SAC dont la jurisprudence date de 1985, la motivation de l'acte de dissolution retient le caractère fortement hiérarchisé, cloisonné et occulte de l'organisation. Le fichier des adhérents est tenu secret et retiré du siège afin que ceux-ci ne puissent être identifiés en cas de changement de majorité politique.

    Ensuite, l'apparence et l'entraînement.

    La Cour d'appel de Paris, dans une décision du 7 juin 1938 - on est dans le cadre d'une dissolution judiciaire, mais peu importe, le critère peut être également pris en considération -, retient, pour reconnaître le caractère paramilitaire à une association, « la rapidité de leur rassemblement par leur mobilité, leur discipline et leur entraînement ». Par ailleurs, des indices de caractère paramilitaire peuvent être trouvés dans le port d'uniformes, d'emblèmes ou d'insignes de ralliement. La formation paramilitaire dans des camps d'entraînement est, bien entendu, un critère important qui a été retenu récemment par le Conseil d'Etat, dans une affaire concernant le comité du Kurdistan.

    Puis, le critère important du recrutement.

    Dans l'affaire du SAC, le mode de recrutement est pris en compte en ce qu'il fait appel à un système de parrainage et d'enquête. Seul le secrétaire général accorde l'adhésion. La qualité du recrutement peut être prise en considération. Ainsi, toujours concernant le SAC, un indice favorable à la reconnaissance d'une milice est contenu dans le fait que le recrutement est essentiellement masculin et vise une proportion élevée de policiers et de membres de sociétés de gardiennage, et, dans une bien moindre mesure, de militaires. Chacun, en adhérant, est prié de faire connaître son grade, son potentiel physique, sa disponibilité et les moyens de transport et de transmission dont il dispose.

    Enfin, les activités.

    Dans l'affaire du Parti national populaire en 1936, il s'agit d'un groupe d'intervention dans les campagnes électorales, chargé d'assurer la protection des réunions tenues par des « candidats nationaux », termes utilisés dans les statuts. Néanmoins, cette activité ne suffit pas à caractériser en soi un groupe de combat ou une milice. Elle doit être assurée par des groupes de combat organisés et prévoir la réalisation d'actions violentes, notamment des combats de rue.

    En revanche, le fait qu'une formation ne se soit pas comportée comme une formation d'attaque est, sur ce plan, indifférent car, selon le commissaire du gouvernement Detton, « qui dit défense, dit combat ». La volonté affichée de participer à des coups de main peut être retenue.

    Il semblerait que le but de l'organisation puisse être pris en compte indépendamment des pratiques. Ainsi, à l'encontre du SAC, est retenu le fait d'être une organisation qui se veut apte à la guerre subversive. Cependant, des pratiques violentes peuvent être prises en compte. Dans l'affaire précitée de la dissolution du SAC, la motivation de l'acte de dissolution retient, sous couvert d'objectifs civiques et sociaux, la commission d'actes de violence à l'occasion d'événements politiques et de conflits sociaux. Ce critère relatif à l'usage des structures ne me semble pas déterminant, il sert plutôt à caractériser le but du caractère paramilitaire du système d'organisation. En effet, selon le commissaire du gouvernement Detton, l'on ne s'occupe pas de l'usage des formations, mais il suffit que leurs organisations les rendent aptes à des coups de main pour que l'on soit en présence d'une milice privée. Cette considération est reprise en 1995 par le Conseil d'Etat qui relève, à propos du comité du Kurdistan, « les intentions séditieuses qui la caractérisent et la rendent apte à des actions de commando ».

    - Deuxièmement, l'utilisation de ces critères. Au-delà de leur énumération, deux difficultés se rencontrent : d'une part, comment apporter la preuve de la réalité des faits, et, d'autre part, comment utiliser ces faits, une fois établis, pour affirmer qu'il s'agit bien d'un groupe paramilitaire.

    Tout d'abord, l'établissement de la réalité des faits.

    La situation idéale est celle dans laquelle l'on peut inférer des statuts qu'il s'agit d'une milice privée. Il en est ainsi si un règlement organique s'applique à la police des rues, à la police des réunions, aux combats de localités et s'accompagne de plans ou de schémas tactiques. A défaut, c'est la réalité du fonctionnement et des activités de l'association ou du groupement qu'il convient de prendre en considération. Les déclarations publiques de responsables de l'organisation peuvent également être retenues.

    De manière générale, s'il peut être tenu compte, non seulement des statuts et des documents officiels, mais aussi des décisions et écrits divers, tracts, articles de journaux émanant des dirigeants du groupe, agissant en tant que tels, en revanche, ne doivent pas être retenus les écrits ou déclarations de membres individuels qui peuvent ne pas refléter, sur le point sur lequel ils s'expriment, la réalité du groupe.

    Ensuite, la technique du faisceau d'indices.

    Il résulte de la loi que les critères retenus doivent tenir à la fois à la forme militaire et à l'organisation militaire du groupement. Faute de définition des milices et des groupes de combat, c'est essentiellement le caractère paramilitaire qui est pris en compte. Plus précisément, l'analyse de la jurisprudence montre que la méthode retenue est celle du faisceau d'indices. Ainsi, et pour schématiser cette technique, la présence d'un seul critère ne suffit pas, mais la réunion de tous les critères n'est pas nécessairement exigée.

    Dans ses conclusions sur l'arrêt Croix de feu, le commissaire du gouvernement Detton indiquait : « Peu importe l'absence d'uniformes et l'absence d'armes, ce qui importe, c'est l'organisation, l'entraînement, l'esprit ». En ce sens également, dans l'arrêt du 27 novembre 1936, Mouvement social français des Croix de feu, le Conseil d'Etat ne s'intéresse ni aux buts poursuivis, ni au fait de savoir si la violence a été ou non utilisée.

    De la même manière, le commissaire du gouvernement Bruno Genevois observe que, concernant le SAC, font défaut « l'entraînement régulier et la pratique des rassemblements qui forment et soudent une organisation tout en lui donnant les formes extérieures d'une organisation militaire ». Après avoir beaucoup hésité, il conclut, suivi par le Conseil d'Etat, que l'absence de ces éléments extérieurs de l'organisation ne doit pas conduire nécessairement à lui dénier le caractère de milice privée. Ce qui veut bien dire que l'addition des critères n'est pas nécessaire. Il retient, en revanche, le caractère militaire des structures, des méthodes, des valeurs et du recrutement.

    Alors que le commissaire du gouvernement Josse, en 1936, retenait, à propos du Parti national populaire, le défilé en uniforme des unités avec drapeaux, sonneries de clairon, ordres donnés au sifflet et revue des formations, à l'occasion des fêtes de Jeanne d'Arc, le commissaire du gouvernement Genevois considère, en 1985, que ces manifestations sont liées à un contexte historique et ne doivent pas être nécessairement retenues aujourd'hui comme un critère impératif.

    En fait, le caractère paramilitaire doit être apprécié au regard des conditions actuelles dans lesquelles peut se manifester une telle activité. Par ailleurs, le commissaire du gouvernement Josse ne semblait pas attacher à ces manifestations un poids excessif, puisqu'il indique que ce défilé ne prouve rien en lui-même, mais qu'il s'inscrit dans un faisceau de présomptions précises et concordantes. Les critères sont en effet fluctuants. Le commissaire du gouvernement Detton exige que soient réunis les critères suivants : formations hiérarchisées, discipline rigoureuse, exercices de rassemblement ; le commissaire du gouvernement Genevois, près de cinquante ans plus tard, considère que ce dernier critère n'est pas indispensable.

    Cependant, s'agissant d'un acte portant atteinte au principe de la liberté d'association, le juge administratif exerce un contrôle rigoureux sur les motifs de la dissolution.

    On notera enfin que dans l'affaire du SAC, le Conseil d'Etat s'appuie sur le rapport de la commission d'enquête parlementaire pour caractériser les faits qui sont retenus par le décret de dissolution.

    - Troisièmement, la question des liens possibles entre une formation paramilitaire et un parti politique peut être retenue.

    Dans ses conclusions sur un arrêt de 1936, le commissaire du gouvernement Josse précisait : « Si un grand parti politique a constitué, en réunissant une petite partie de ses adhérents, des formations paramilitaires, ou qu'un parti s'est formé autour de ce noyau primitif qui était un groupe de combat, si le parti a une vie actuelle propre, indépendante de ces formations, l'illégalité de celles-ci ne touche en rien la légalité de celui-là ».

II.- La question de la constitutionnalité et la conventionnalité de la loi de 1936.

    · Tout d'abord, la constitutionnalité de la loi de 1936.

    Dans sa décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, reconnaissant le principe de la liberté d'association comme principe constitutionnel, le Conseil constitutionnel réserve l'hypothèse « de mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations ». On pourrait alors considérer que le principe de la liberté d'association voit sa valeur constitutionnelle affirmée en tenant compte de la législation de 1936, bien que cette réserve vise en fait plus précisément le mécanisme de formation de certaines associations particulières, tel qu'il est prévu dans la loi de 1901.

    On peut cependant s'interroger sur la constitutionnalité de la loi de 1936, et ce d'autant plus que le juge administratif a décidé qu'il pouvait écarter l'application d'une loi inconstitutionnelle antérieure à la Constitution dans une décision récente du tribunal administratif de Strasbourg qui, à mon avis, peut faire jurisprudence.

    En fait, et sans poursuivre plus avant cet examen, il convient de considérer que ce sont des exigences d'ordre constitutionnel qui justifient cette atteinte à la liberté d'association (ordre public, forme républicaine du gouvernement, indivisibilité de la République, dignité de la personne humaine).

    Plus efficace peut-être, pour contester la loi de 1936, pourrait être l'argument relatif à la compétence du juge administratif en la matière au lieu et place du juge judiciaire. J'aurais tendance, pour ma part, à considérer que l'article 66 de la Constitution, précisant que l'autorité judiciaire est le gardien de la liberté individuelle, doit être interprété de manière restrictive en ce qui concerne essentiellement la sûreté et non pas la liberté d'association. Il convient cependant de relever qu'en toute hypothèse, la prise en compte des exigences constitutionnelles devrait conduire à une interprétation restrictive des dispositions de la loi de 1936.

    · Ensuite, la conventionnalité de la loi de 1936.

    Il s'agit en fait de la question de la conformité de la loi de 1936 à la Convention européenne des droits de l'homme. Cette question est d'autant plus importante qu'il existe une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative à la dissolution des associations et que le Conseil d'Etat a considéré que l'article 11 de la Convention relative à la liberté d'association s'appliquait à une dissolution effectuée en vertu de la loi de 1936. Il est donc certain que dans une contestation d'un décret de dissolution, la Convention européenne des droits de l'homme sera invoquée.

    Si l'article 11 de la Convention reconnaît la liberté d'association comme principe conventionnel, son alinéa 2 prévoit cependant des limites à l'exercice de ce droit. Il est ainsi rédigé : « L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prises par la loi, constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

    Quelques éléments peuvent être tirés de l'application par la Cour européenne des droits de l'homme de ces dispositions.

    D'abord, une association, fût-ce un parti politique, ne se trouve pas soustraite à la protection de la Convention au seul motif que ses activités peuvent, aux yeux des autorités nationales, porter atteinte aux structures constitutionnelles d'un Etat et appeler des mesures restrictives. Par ailleurs, selon la Cour, la liberté d'association vise non seulement la liberté de créer une association, mais aussi sa dissolution qui doit satisfaire aux exigences de l'article 11. En outre, la Cour associe l'article 11 à l'article 10, en rappelant que la liberté d'expression vaut non seulement pour les idées accueillies avec faveur ou considérées comme indifférentes, mais aussi pour celles qui choquent ou inquiètent.

    Si la restriction à la liberté d'association peut être justifiée, la mesure doit être strictement proportionnée au but légitime poursuivi et les motifs retenus doivent être pertinents et suffisants. En particulier, l'Etat doit apporter des éléments concrets, propres à démontrer que l'association avait opté pour une attitude présentant une menace réelle pour la société ou l'Etat. Il peut s'agir d'une incitation à la violence ou d'une remise en cause de l'ordre démocratique menaçant cet ordre.

    En conclusion, on peut considérer que, dans son ensemble, la loi de 1936 n'est pas contraire à la Convention européenne des droits de l'homme - sauf, peut-être, certaines de ses dispositions, notamment la première partie du 3° de l'article premier concernant l'atteinte à l'intégrité du territoire. En revanche, seule une application restrictive de ce texte est susceptible d'être jugée conforme à la Convention. Il conviendrait notamment de démontrer, non seulement le caractère paramilitaire d'un groupement dissous, mais également les risques qu'il fait concrètement peser sur la société et sur l'Etat, même si sur ce point il convient de tenir compte à la fois des activités et des buts.

M. le Rapporteur : Monsieur Mathieu, alors qu'une version différente nous avait été présentée par un représentant éminent d'un ministère, vous nous confirmez donc que les critères nécessaires à la dissolution d'un groupement de fait ne sont pas cumulatifs.

M. Bertrand MATHIEU : Tout à fait, c'est la technique du faisceau d'indices : il en faut probablement beaucoup, mais pas tous.

M. Arthur PAECHT : Monsieur Mathieu, je souhaiterais que l'on revienne sur le caractère paramilitaire d'un groupe. Quels sont, concrètement, les critères caractérisant un groupe paramilitaire ? Par exemple, est-ce que marcher au pas dans un pseudo-uniforme, avec manifestement des responsables en tête - donc une hiérarchie -, est suffisant pour qualifier ce groupe de paramilitaire ?

M. Bertrand MATHIEU : Incontestablement, ces critères sont retenus, mais ils sont probablement insuffisants - il a été dit, en 1936, que le fait de défiler n'était pas un critère suffisant -, et, d'un autre côté, pas absolument nécessaires. En effet, si le groupement est beaucoup plus discret dans ses manifestations, il résulte de la jurisprudence que l'on pourrait néanmoins le considérer comme un groupement paramilitaire.

    Un commissaire du gouvernement précisait que, finalement, les uniformes, les insignes, le défilé et les revues n'étaient que de simples indices.

M. Arthur PAECHT : Et si l'on ajoute les deux autres critères suivants, un pseudo-armement - matraques, boucliers, casques - et un entraînement régulier dans une propriété privée, qu'en est-il ? Tous ces critères, s'ils sont réunis, sont-ils suffisants pour que le gouvernement puisse prononcer la dissolution - car il s'agit bien de cela ?

    Il est important de savoir en effet qu'ils ne considèrent pas tout cela comme un grand jeu, qu'il y a une finalité, maintenir l'ordre et protéger des personnalités lors de réunions publiques. Ils s'entraînent en fait pour exercer des fonctions qui sont, en France, dévolues à la puissance publique.

    Par ailleurs, quelle est la définition exacte du port illégal d'uniforme ? Est-il uniquement interdit de porter un uniforme qui existe et que l'on n'a pas le droit de revêtir, ou bien également de porter un uniforme que l'on s'invente pour se faire reconnaître et se faire craindre ?

M. Bertrand MATHIEU : Je ne suis pas un spécialiste du droit pénal et du port illégal d'uniforme, mais il me semble qu'il est interdit de porter un uniforme officiellement reconnu. En revanche, dans le cas qui nous intéresse, peu importe de quel uniforme il s'agit, on doit le prendre en considération.

    En réalité, deux éléments doivent être nécessairement pris en compte : comment ce groupe fonctionne et à quoi il sert.

    Tout d'abord, comment il fonctionne. Je dois vous avertir que je connais très mal le fonctionnement du groupement de fait auquel vous vous intéressez, je prends donc des critères totalement abstraits.

    Le groupe doit être structuré comme un système de type militaire, ce qui pose le problème important du recrutement - critère qu'il convient de retenir. L'entraînement est un autre critère important, tout comme la hiérarchie.

    Ces éléments permettent de distinguer ce que serait une milice privée d'une société de gardiennage à laquelle on fait appel pour encadrer un meeting. Il convient de définir cette frontière, et pour cela de tenir compte du fait qu'il s'agit d'une organisation permanente, structurée et militaire.

    Ensuite, le but de ce groupe. Quelle que soit la façon dont on le caractérise, ce qui compte, c'est l'aptitude aux coups de main armés. Le groupe doit être organisé de façon que, s'il est nécessaire, aux yeux des responsables, il puisse réaliser des coups de main.

    Ces deux éléments doivent donc être caractérisés de manière extrêmement précise, mais, finalement, la manière dont on les caractérise n'est pas si importante que cela. Tout indice qui permettra de les caractériser doit être retenu. Cela dit, il convient que la caractérisation soit très forte, car si l'on peut être relativement souple sur les critères avec le faisceau d'indices, le juge, en revanche, risque d'être exigeant à la fois sur la manière de caractériser ces indices et sur la réalité des faits. Tout simplement parce que l'on se situe dans un domaine où l'on restreint l'exercice d'une liberté.

M. Arthur PAECHT : En fait, on aboutit toujours à la même situation : il y a des faisceaux d'indices, mais finalement l'on se déterminera en fonction d'une action menée ou non. Il nous est donc impossible, malgré de nombreux indices, de dissoudre préventivement un groupement paramilitaire tant qu'il n'est pas passé à l'acte.

M. Bertrand MATHIEU : Il n'est pas nécessaire qu'une action ait été commise : le groupe doit être susceptible de passer à l'acte.

M. le Rapporteur : En 1936, des « patriotes » en uniforme commémoraient déjà, à des fins patriotiques, la fête de Jeanne d'Arc. Elle n'était pas considérée, comme en 1996, comme une fête folklorique.

M. Bertrand MATHIEU : En 1936, la tâche était simplifiée, puisqu'on avait affaire à un défilé purement militaire : défilé des gradés, passage en revue, drapeaux, clairons, ordres donnés au sifflet, etc. Il s'agissait presque d'un cadeau que l'on offrait au gouvernement, puisqu'on lui présentait une armée en ordre de marche !

M. Jacky DARNE : Monsieur le professeur, nous enquêtons sur le groupement de fait dit « Département protection et sécurité » qui est rattaché à un parti politique, le Front National. Or ce dernier a éclaté et nous avons affaire aujourd'hui à deux partis. Peut-on considérer que ce département existe toujours ? La dissolution du département d'un parti antérieur serait-elle applicable aux services d'ordre des deux partis naissants ?

    En fait, nous travaillons sur un groupement qui connaît des modifications sensibles, même pour la partie historique du Front National, car les responsables et les modes d'organisation ont changé. Nous ne pouvons pas démontrer que les pratiques de ces deux nouveaux groupes sont de même nature que ce qui existait antérieurement.

    Par ailleurs, vous avez expliqué que la dissolution d'un groupement de fait proche d'un parti n'impliquait pas la dissolution de ce parti. Commettraient-ils une infraction en reconstituant un groupement dissous ? Ne pas toucher le parti alors que le service d'ordre n'a pas de personnalité morale propre me paraît être une véritable difficulté.

M. André VAUCHEZ : Je voudrais, quant à moi, évoquer le problème de la défense. Tous les responsables du DPS que nous avons auditionnés nous ont soutenu qu'ils se défendaient. Leur motivation est donc non pas d'éviter les débordements de la manifestation - comme tout service d'ordre -, mais de se défendre ; plusieurs d'entre eux nous ont affirmé qu'ils n'avaient pas confiance dans les forces de l'ordre de notre pays. Cela peut-il constituer un critère de poids ?

Mme la Présidente : Monsieur Mathieu, vous avez souligné que la question du recrutement était un critère important, et vous avez parlé d'adhésion. S'agit-il d'une adhésion idéologique ou d'une adhésion qui doit se traduire en monnaie sonnante et trébuchante ?

    En effet, les membres du DPS n'adhèrent pas au service d'ordre, mais simplement au Front National et à ses idées. C'est à partir de cette adhésion que le recrutement est effectué par la hiérarchie du DPS sur le terrain. L'adhésion à des idées, pour former un groupe et pour recruter, est-elle un critère suffisant ?

    Par ailleurs, vous avez également parlé de la qualité du recrutement. Nous savons que le DPS est composé en majorité d'hommes, et que des policiers et des gendarmes en retraite en font partie. S'agit-il de critères pouvant être retenus ?

M. Bertrand MATHIEU : S'agissant de l'évolution et de la notion de groupement
- première question -, c'est une donnée que je n'ai pas prise en considération, car je connais mal la situation actuelle de ces partis. Mais il est évident que le décret de dissolution devra porter sur la situation qui existe au moment où il interviendra. Il n'est pas question de dissoudre un groupement qui n'existe plus, ou de dissoudre un groupement pour des motivations qui ne correspondent pas à la réalité qui est celle du jour de la dissolution.

    Le problème est le suivant. Soit le groupement n'existe plus, et l'on ne dissout rien. Soit le groupement s'est scindé en deux, et l'un d'eux - ou les deux - présentent les critères d'une dissolution et l'on peut dissoudre. On ne pourra utiliser des caractéristiques antérieures qu'à partir du moment où l'on démontrera qu'elles continuent à exister.

    L'une des difficultés réside dans le fait qu'un parti politique doit pouvoir avoir un service d'ordre, c'est une nécessité.

    Monsieur le député, même si ce groupement n'a pas d'existence juridique, il peut être dissous sans que l'on touche au parti politique. Mais si les membres de ce groupement dissous font partie à nouveau du service d'ordre, une forte suspicion pèsera sur eux de reconstituer un groupement dissous. Il est donc certain que le service d'ordre ne pourra pas se reconstituer dans les conditions dans lesquelles il existait, c'est-à-dire avec la même structure, les mêmes personnes et responsables et le même schéma. Je ne dis pas que cela empêchera le Front National de reconstituer son service d'ordre, mais cela lui posera un véritable problème.

    En ce qui concerne la défense, ce n'est pas un argument. Si un parti politique fait appel, pour se défendre, à une société de gardiennage légale et reconnue, il n'y a pas de problème. Le problème est de se défendre au moyen d'un organisme paramilitaire. Le fait de se défendre ou d'attaquer ne change rien au caractère paramilitaire du groupement, qui, lui, est un critère retenu.

    La dernière question est relative à l'adhésion. Le terme est ambigu et je l'ai repris dans un contexte jurisprudentiel auquel il ne convient pas d'accorder trop d'importance. C'est le problème du recrutement : sur quels critères choisit-on ceux qui font partie d'un groupement de fait ? Qu'ils adhèrent, qu'on les désigne, qu'on les nomme, qu'ils soient volontaires, cela importe peu.

    J'aurais tendance à penser qu'il ne faut pas retenir l'adhésion idéologique. Ce serait entrer dans un système où l'on mettrait en cause la liberté politique. Il est, à mon sens, totalement indifférent de savoir si les membres du service d'ordre adhèrent ou n'adhèrent pas à l'idéologie du Front National. Il serait probablement totalement indifférent de recruter un service d'ordre de type mercenaire, où les membres seraient apolitiques. Il ne faut pas trop insister sur le critère idéologique.

    En revanche, il est important de savoir si l'on choisit les membres de ce service d'ordre en fonction de leur aptitude aux coups de main. Quand vous me dites qu'il y a une majorité d'hommes et qu'on y trouve des anciens policiers et gendarmes, je vous réponds qu'il s'agit en effet d'un critère - si le nombre de ces anciens policiers et gendarmes est significatif, bien entendu. Car on peut démontrer que, parmi les membres, il y a une proportion importante de personnes qui, par leur formation, sont aptes à faire fonctionner une organisation de type paramilitaire.

Mme la Présidente : Le fait de recruter les membres dans des sociétés de gardiennage peut donc être un critère important ?

M. Bertrand MATHIEU : Tout à fait.

M. Arthur PAECHT : Monsieur Mathieu, cela vous a peut-être échappé, mais vous avez dit qu'un parti politique devait avoir un service d'ordre. Quel contenu donnez-vous à ce service d'ordre ? Car s'il y a une organisation interne - placement des personnes, etc. -, il n'y a pas forcément un service d'ordre.

M. Bertrand MATHIEU : Vous avez raison, monsieur le député, cela m'a échappé ! Il est évident que, dans toute manifestation, il y a un cordon de personnes pour laisser passer les intervenants et une personne dont le rôle est de placer les manifestants. Un service d'ordre est chargé de maintenir l'ordre de la réunion.

M. Arthur PAECHT : Il s'agit d'un service d'organisation.

M. Bertrand MATHIEU : Tout à fait. Mais le problème est que si l'on employait le terme « service d'ordre » qui est, à mon avis, juridiquement neutre, cela ne suffirait pas à caractériser un organisme paramilitaire.

M. Arthur PAECHT : A contrario, j'aurais tendance à dire qu'un parti politique ne doit pas avoir de service d'ordre.

M. Bertrand MATHIEU : En tout cas, cela ne lui est pas interdit par la loi de 1936, si ce service d'ordre ne présente pas un caractère paramilitaire.

Mme la Présidente : Monsieur Mathieu, je vous remercie infiniment de votre intervention et des réponses que vous avez bien voulu nous apporter.

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    Audition de M. Gilles KUNTZ, président du conseil d'administration
    de la société Normandy

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 28 avril 1999)

Présidence de Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD, Secrétaire

M. Gilles Kuntz est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Gilles Kuntz prête serment.

M. Gilles KUNTZ : Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je ne sais pas très bien par où commencer ! Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps, mais je ne voudrais pas non plus passer pour un plaisantin.

    Le nom de « DPS » m'était inconnu il y a encore un mois ; depuis, je me suis renseigné. En revanche, je connaissais le Front National. Représentant un groupe d'actionnaires ayant repris la société Normandy, voilà maintenant plus de cinq ans, je voudrais savoir s'il y a, à travers cette société, quelque chose allant à l'encontre de l'image que nous avons voulu lui donner et être le premier à la défendre.

    Je suis donc président de la société Normandy depuis le mois de décembre 1993. Avant mon arrivée, un groupe d'actionnaires avait repris 50 % de la société, laquelle appartenait totalement à M. Fernand Loustau. Nous avons donc côtoyé ce dernier pendant un an ; il nous avait été présenté par un cabinet chargé de faire du rapprochement et de la reprise d'entreprises.

    Mon cursus professionnel est simple. J'ai travaillé dès l'âge de 18 ans, et pendant 34 ans, dans une grande banque française, dont j'étais l'un des dirigeants, chargé des relations avec la clientèle, des crédits et des filiales du groupe bancaire. A ce titre, je faisais partie de différentes commissions dans le cadre de la confédération internationale du Crédit populaire relatives au financement des entreprises.

    Au bout de 34 ans de banque, j'ai eu envie de faire autre chose et j'ai quitté le secteur bancaire, fin 1991-début 1992. J'ai tout de même gardé certains liens, puisque jusqu'en 1997 j'ai été le président de l'Institut technique de banque, de l'Association des anciens élèves de l'Institut technique de banque, et que j'ai créé la Confédération des anciens élèves de l'Institut technique de banque - j'y enseigne toujours, en France comme dans les pays francophones où je me rends plusieurs fois par an.

    En 1992, j'ai créé la société CGR, société de conseils, de gestion et de rapprochement d'entreprises - qui me prend la moitié de mon temps. Autrement dit, je fais de la fusion-rapprochement et du conseil en politique bancaire. Ensuite, avec un ou deux partenaires, que j'ai connus au CPA et à l'IHEDN, nous avons pris des participations dans des sociétés.

    M'occupant de tout cela et étant un passionné de l'économie, je ne me suis jamais préoccupé des organisations politiques - ce qui ne m'empêche pas d'avoir des amis dans les différents groupes politiques - ni même des syndicats.

    En 1992, lorsque nous avons pris une participation dans la société Normandy, j'ai côtoyé M. Fernand Loustau pendant un an. Je connais de sa vie ce qu'il a bien voulu m'en dire, notamment pour la période 1961-1963. Il ne s'est jamais beaucoup confié sur ses activités au sein du Front National, mais il m'a affirmé à l'époque que Normandy n'entretenait aucune relation avec ce parti.

    M. Fernand Loustau est mort fin 1993, et nous nous sommes demandé ce que nous allions faire, car il s'agissait d'un excellent professionnel. Nous avons tout d'abord cherché à fusionner, mais nous n'étions en contact qu'avec des petites sociétés du même type, souvent dirigées par d'anciens gendarmes ou policiers. Nous avons alors décidé de garder notre société et j'en ai pris la présidence à ce moment-là. J'ai aidé le fils de M. Fernand Loustau, Philippe Loustau, qui était dans la société depuis quelques années ; je l'ai chargé de maintenir la logistique dans le domaine de la surveillance des postes dans les entreprises où nous avions des gardiens, me réservant les contacts avec la direction des entreprises.

    Les relations avec M. Philippe Loustau sont bonnes, il n'y a jamais eu de problème d'autorité entre nous. Il n'a jamais caché ses tendances, mais en affirmant qu'il n'avait plus d'activités politiques ; c'est aujourd'hui un jeune homme qui s'embourgeoise avec l'âge et qui s'occupe de sa famille.

    En ce qui concerne Normandy, il s'agit d'une petite société qui a peu de clients - pas plus de dix à l'heure actuelle. Nous faisons essentiellement du gardiennage de sièges sociaux. A raison de deux à trois gardiens par clients, nous avons environ 25 permanents. Nous en avons quelquefois plus, notamment quand des sociétés telle que Beignet demandent un renforcement de leur gardiennage pour des raisons de stockage ou de mouvement de l'environnement. Telle est donc la taille de Normandy : 25 ou 30 salariés.

    Alors quand on me parle de mercenaires... ! J'en suis loin, ou l'on se moque de moi de tous les côtés.

    Le système de recrutement ne pose plus de problème. Nous recevons une dizaine de candidatures chaque mois, mais nous n'avons pas besoin d'augmenter nos effectifs. En outre, nous disposons d'un fichier, dont tous les dossiers ont déjà été soumis à la préfecture.

    S'agissant des questions qui vous préoccupent, je répondrai en vous disant : non, je ne connais pas le DPS. Je ne pense pas connaître de personnes qui y travaillent ou s'en occupent, - sauf, peut-être à me montrer des photos. Je ne pense pas en avoir rencontré. En tout état de cause, je suis sûr que Normandy, dans son activité, n'a aucun lien avec le Front National, n'a aucune facturation avec une société politique, au sens large.

    Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme la Présidente : Je voudrais, pour commencer, vous parler de M. Axel Loustau, administrateur de la société et candidat du Front National dans les Hauts-de-Seine. Il aurait fourni, par l'intermédiaire de votre société, du personnel au DPS dans le cadre du maintien de l'ordre des campagnes électorales. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Gilles KUNTZ : Non, cela n'est pas possible. Cela sous-entend des liens juridiques et financiers. Par ailleurs, nous ne sommes pas là pour faire des prêts ; c'est une société que nous avons payée cher, j'ai donné ma caution pour le remboursement des prêts, il n'est donc pas question de faire des dons à qui que ce soit. Si Normandy avait fourni du personnel, elle l'aurait facturé. En outre, il aurait fallu sortir ce personnel de son poste de travail. Ce n'est pas possible.

    Les clients de Normandy sont Philips, Rank Xerox, Lafarge, Astra Calvet, Presses de la cité, Sopaldi, etc. Je ne peux pas aller dire à un gardien qui garde le siège de Lafarge dans le 16ème de quitter son poste pour aller donner un coup de main à Axel !

    Bien sûr, on peut supposer beaucoup de choses, notamment qu'il ait utilisé le fichier. Mais dans le cadre de l'activité de Normandy, prêter du personnel, je dis non... ou alors il y aurait une entente avec M. Philippe Loustau, ce que je ne crois pas.

Mme la Présidente : Il nous a également été rapporté qu'en 1997 des agents de la société Normandy avaient été amenés, avec des militants du GUD, à s'opposer à un éventuel coup de force de militants de la CGT. Vous l'ignorez également ?

M. Gilles KUNTZ : Je ne suis pas au courant.

Mme la Présidente : Nous avons pourtant un certain nombre d'informations qui se recoupent et qui mettent en permanence au centre du débat la société Normandy. Votre poste de directeur de cette société ne vous permet peut-être pas de savoir ce qui se passe à un niveau plus bas.

M. Gilles KUNTZ : Ce n'est pas impossible. Mais cette société n'est pas très importante ; le mois dernier nous avons versé 28 ou 30 salaires. Je ne sais pas de combien de personnes se composait le GUD, mais je ne vois pas où l'on aurait pu les prendre sur les effectifs actifs de Normandy !

    Je ne suis pas là pour défendre les Loustau, mais la société Normandy et Kuntz. Si j'apprenais que de telles choses se sont passées, je serais le premier à prendre les sanctions qui s'imposent - ce qui serait d'ailleurs peut-être difficile compte tenu du secret qui régit notre discussion.

    Je vous disais que M. Axel Loustau était administrateur - je ne suis pas sûr qu'il soit venu à toutes les assemblées -, mais je crois qu'il travaille par ailleurs dans un établissement bancaire. Je ne pense pas l'avoir vu depuis un an.

M. le Rapporteur : Il n'y a donc pas eu de facturation pour services rendus par la société Normandy au Front National ?

M. Gilles KUNTZ : Non, monsieur.

M. le Rapporteur : En revanche, le fichier a pu être utilisé sans que vous le sachiez ?

M. Gilles KUNTZ : Oui, tout à fait. A travers les grandes sociétés, qui emploient un ou deux milliers de personnes - l'ACDS nous fournit d'ailleurs beaucoup de personnel, puisqu'elle est en dépôt de bilan -, ces petites sociétés de gardiennage se connaissent. Je suis allé une fois ou deux à un stand de tir, avenue Hoche, rencontrer Pierre, Paul, Jacques... Tout le monde est là, tout le monde se connaît. On a vite fait le tour. C'est un milieu très restreint, que je fréquente peu, car ça ne présente pas d'intérêt.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous confirmer qu'il y a bien eu une perquisition au siège de votre société le 22 janvier 1997 ?

M. Gilles KUNTZ : Oui, tout à fait. On a trouvé, dans le coffre de M. Fernand Loustau, des armes de 4ème catégorie déjà anciennes, et qui ont été saisies - dont son arme d'ordonnance de 1962 ou 1963.

M. Jean-Pierre BLAZY : Vous avez affirmé que votre société n'a pas fourni d'hommes au DPS, mais pouvez-vous nous dire si des personnels ont participé à des manifestations dans lesquelles se trouvait le DPS ?

M. Gilles KUNTZ : Je ne peux pas affirmer que des salariés de ma société n'ont pas participé bénévolement, en dehors de leurs horaires de travail, au DPS.

    Aujourd'hui, je me repose la question que je m'étais posée il y a plusieurs années, quand j'avais lu dans un journal que Normandy était une société qui travaillait pour le Front National, qu'elle était sur écoute, etc. Qu'aurait-il fallu que je fasse ? Sur les 30 personnes qui travaillent pour Normandy, combien sont membres du Front National ? Il y a au moins un administrateur, mais il n'y travaille pas. Quant à M. Philippe Loustau, je ne suis pas persuadé qu'il soit membre de ce parti.

Mme la Présidente : Et au GUD ?

M. Gilles KUNTZ : Je ne connais pas ce groupement, c'est la première fois que j'entends ce nom.

M. le Rapporteur : Quand on dirige une société de sécurité, qu'elle soit petite, grande ou artisanale, que l'on fréquente parfois le stand de tir de l'avenue Hoche... on devrait connaître le GUD ! Votre méconnaissance me trouble quelque peu.

M. Gilles KUNTZ : Il y a des gens, monsieur, que je préfère ignorer. Mais le GUD, non je ne connais pas.

    Je vous ai donné la liste de nos clients - en toute confiance - pour lesquels nous effectuons des missions de gardiennage de qualité.

M. Jean-Pierre BLAZY : Le milieu des sociétés de gardiennage est un milieu étroit, tout le monde se connaît. Lorsque vous êtes allé avenue Hoche, avez-vous rencontré M. Nicolas Courcelle ?

M. Gilles KUNTZ : Non.

Mme la Présidente : Avez-vous entendu parler de M. Dominique Erulin ?

M. Gilles KUNTZ : Non.

Mme la Présidente : Il aurait été conseiller technique pour la société Normandy.

M. Gilles KUNTZ : Je ne le connais pas.

M. le Rapporteur : Il l'a été en 1981.

M. Gilles KUNTZ : Ce n'est pas un nom qui m'est connu.

M. André VAUCHEZ : Vos salariés portent-ils une tenue caractéristique ? Pensez-vous qu'il puisse y avoir des relations entre cette tenue et celle du DPS ?

M. Gilles KUNTZ : Nos gardiens n'ont pas de tenue spécifique. On leur conseille en général de porter un blazer et une cravate genre « grande école ». Sauf peut-être pour le gardiennage de locaux à Rungis.

    Nous voulons qu'ils se fondent dans l'entreprise dans laquelle ils travaillent, malgré la contrainte que nous avons de les faire tourner régulièrement de façon qu'il n'y ait pas d'enracinement, d'éventuelles complicités. Je dirai même que nos gardiens qui travaillent chez Lafarge, par exemple, sont considérés par les salariés comme faisant partie de la maison.

    Je suis en train de me demander si j'ai vu des crânes rasés dernièrement, mais non, je ne vois pas de typologie particulière.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Monsieur, vous venez de dire que votre personnel ne restait pas longtemps dans une même entreprise afin de ne pas prendre d'habitudes. Comment peut-on bien appréhender le gardiennage d'une société si le roulement est rapide ?

M. Gilles KUNTZ : Un gardien reste au minimum deux ou trois ans dans une même société. Vous avez raison, ils doivent connaître les habitudes de chacun, savoir que untel oublie souvent d'éteindre sa photocopieuse, etc. En revanche, nous ne tenons pas à ce que les gardiens soient trop habitués à leur entreprise.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : En trois ans, on a tout de même le temps de s'habituer.

M. Gilles KUNTZ : Oui, c'est vrai. Il faut au moins six mois.

    Aujourd'hui, dans ces grandes entreprises, on assiste à une demande de gardiennage physique, pour des questions de promptitude et de rapidité.

    Je vous donne un exemple : des vols, toujours les mêmes, de matériels informatiques portables avaient lieu dans une grande entreprise et visaient toujours des personnes possédant des disquettes importantes concernant la stratégie du groupe. Or, s'il n'y avait pas eu sur place un gardien, l'entreprise n'aurait jamais pu appréhender ce voleur.

    Notre personnel doit donc bien connaître la société dans laquelle il travaille. En général, nous faisons tourner nos gardiens sur deux ou trois sites.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vos salariés ont-ils reçu une formation spécifique ?

M. Gilles KUNTZ : Non, la seule formation qu'ils peuvent avoir est une formation de secouriste et, quelquefois, mais ce n'est pas incompatible, une formation de pompiers.

    Non, il n'existe pas d'école spécifique en matière de gardiennage. Et un gardiennage de siège social s'apparente presque à un travail d'hôtesse dans la journée.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de vos liens avec l'IHEDN. Pouvez-vous nous en dire plus ? Par ailleurs, ne craignez-vous pas que les relations sulfureuses que l'on vous prête indûment avec le Front National ne soient de nature à vous faire du tort ?

M. Gilles KUNTZ : Cela m'en a déjà causé, monsieur le rapporteur ! C'est la raison pour laquelle je tenais à venir aujourd'hui devant vous. Il y a votre intérêt, certes national, mais également l'intérêt du particulier, qui en l'occurrence est le brave monsieur Kuntz et sa société Normandy - que j'espère voir se développer, rembourser ses dettes, autrement que par les man_uvres qu'on lui prête. Tout cela m'est très préjudiciable.

    Je suis persuadé que certaines entreprises ne seraient pas opposées à ce que nous leur fournissions des gardiens très marqués. Je suis très surpris que l'on puisse nous demander des gardiens plus musclés.

    M. Philippe Loustau est finalement très rigoureux, professionnellement. Le grand danger des petites sociétés de gardiennage est de se trouver dans une situation financière telle qu'elles soient obligées d'accepter des missions non pas de gardiennage, mais de « police ».

    Nous travaillons, par exemple, avec Bourdais dans le gardiennage d'immeubles à livrer. De temps en temps, on nous demande d'intervenir dans un immeuble squatté. Quand une société a des difficultés, elle peut avoir tendance à accepter ce type de mission. Il faut donc être très rigoureux, et je pense que M. Philippe Loustau est professionnellement rigoureux.

    Après le CPA, j'avais envisagé de faire l'IHEDN ; mais, à ce moment-là, je quittais la banque et effectuais une mission pour la caisse de développement et la banque mondiale.

Mme la Présidente : De combien de personnes est composé votre conseil d'administration ?

M. Gilles KUNTZ : Il est composé de MM. Philippe et Axel Loustau et de moi-même
- M. Crétau ayant repris sa part. Madame Loustau devait remplacer le père, mais je ne l'ai pas vue depuis le décès de ce dernier. Je ne l'ai vue qu'une fois.

Mme la Présidente : Monsieur Kuntz, je vous remercie d'avoir accepté de venir devant notre Commission.

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    Audition de M. François-Xavier SIDOS

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 4 mai 1999)

Présidence de Mme Geneviève PERRRIN-GAILLARD, Secrétaire

M. François-Xavier Sidos est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. François-Xavier Sidos prête serment.

Mme la Présidente : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. François-Xavier Sidos. Monsieur, si vous déclarez ne pas avoir fait partie du DPS, vous avez néanmoins été un membre actif du Front National, et il nous apparaît, par ailleurs, que vous auriez eu des activités diverses dans les milieux mercenaires. Telles sont les raisons pour lesquelles notre Commission a souhaité vous entendre ce soir.

M. François-Xavier SIDOS : Madame la présidente, mon propos liminaire se limitera à deux points. D'une part, comme vous venez de le dire, je n'ai jamais été membre du DPS, je ne pense donc pas avoir grand-chose à vous apprendre dans ce domaine ; d'autre part, je suis surpris que cette commission d'enquête relative au service d'ordre d'un parti politique - obligation pour toute personne organisant une réunion publique - soit présidée par l'un des représentants de l'idéologie la plus criminogène de tous les temps. Cela me paraît relever de la mascarade.

Mme la Présidente : Tout d'abord, monsieur Sidos, j'ai précisé que vous étiez membre non pas du DPS, mais du Front National ; je crois donc que vous avez mal compris. Ensuite, je suis, aujourd'hui, la présidente de cette commission d'enquête, je considère donc vos propos comme nuls et non avenus.

M. François-Xavier SIDOS : Vous pourrez néanmoins en faire part au président en titre.

Mme la Présidente : Absolument pas, je suis la présidente de la commission d'enquête au moment où elle vous reçoit, monsieur.

    Vous venez de nous dire, monsieur Sidos, que vous n'avez exercé aucune responsabilité au sein du DPS. Connaissez-vous l'existence de ce « Département protection et sécurité » ? Avez-vous eu des relations avec M. Bernard Courcelle, et, si oui, que savez-vous de lui ?

M. François-Xavier SIDOS : Je connais M. Bernard Courcelle comme ayant été le responsable du service d'ordre du Front National. Je vous rappelle que toute personne organisant une réunion publique est tenue d'assurer un service d'ordre et, à ma connaissance, M. Bernard Courcelle a toujours agi dans ce strict cadre. Il assurait la protection des activités politiques publiques du Front National.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je souhaiterais que monsieur Sidos se présente, qu'il nous dise qui il est, quels sont ses engagements politiques. Madame la présidente a évoqué ses activités de mercenaire, peut-être pourrait-il nous en parler.

M. Thierry MARIANI : Est-ce que cela a un rapport avec le DPS ?

Mme la Présidente : Je vous en prie, monsieur Blazy a posé une question, monsieur Sidos répondra de la manière qu'il le souhaite. Nous avons des éléments qui nous permettent d'autoriser monsieur Blazy à poser cette question.

M. François-Xavier SIDOS : Je suis prêt à répondre aux questions ayant un rapport direct avec le DPS. Je ne vois pas en quoi ma vie serait de nature à intéresser votre Commission. Beaucoup de fantasmes ont été colportés par les journaux, mais ils ont fait l'objet de droits de réponse de ma part à chaque fois que j'en ai eu connaissance.

M. Jean-Pierre BLAZY : Vous n'avez pas répondu à ma question. Nous aimerions en savoir plus sur vos engagements politiques ; vous dites bien vite n'avoir jamais été membre du DPS, mais vous avez dû avoir des relations avec des membres de ce service d'ordre ?

M. François-Xavier SIDOS : Oui, je viens de vous faire état des relations que j'entretenais avec M. Bernard Courcelle.

M. Jean-Pierre BLAZY : Connaissez-vous M. Marc Bellier ?

M. François-Xavier SIDOS : J'ai croisé M. Marc Bellier.

M. Thierry MARIANI : Monsieur Sidos, je suis un ancien étudiant de Paris II. L'organisation que vous présidiez à une époque était très présente sur...

M. François-Xavier SIDOS : Vous vous trompez de personne.

M. Thierry MARIANI : Pourquoi, il y a une différence de prénom ?

M. François-Xavier SIDOS : Très certainement, oui.

M. Thierry MARIANI : Avez-vous, aujourd'hui, des responsabilités politiques ?

M. François-Xavier SIDOS : Je suis simplement conseiller municipal d'Epinay-sur-Seine.

M. Thierry MARIANI : Vous n'êtes donc plus responsable de mouvement...

M. François-Xavier SIDOS : Je n'ai été responsable d'aucun mouvement. Vous devez confondre avec un de mes oncles.

M. le Rapporteur : Les entretiens que nous avons eus avec certains fonctionnaires de police, journalistes et membres du Front National ont mis en évidence des relations entre le DPS et à la fois la mouvance mercenaire, le milieu des sociétés de gardiennage et, à la marge, les mouvances ultra-nationalistes, voire néo-nazies.

    Par conséquent, nous essayons de démonter les rouages du DPS tel qu'il a existé et tel qu'il existe actuellement. Par ailleurs, je m'interroge sur vos activités de mercenaire. Il ne faut tout de même pas oublier que François-Xavier Sidos, membre du Front National aujourd'hui, a fait partie de la garde présidentielle des Comores. On peut donc se demander s'il y a une relation entre ces deux activités.

M. François-Xavier SIDOS : Je comprends tout à fait le sens de vos questions, je vous serais cependant obligé de bien vouloir me poser des questions précises. Vous parlez de mouvance mercenaire, de milieu... Cela veut tout dire et n'importe quoi !

M. le Rapporteur : Dans le cadre de ces activités, quand avez-vous connu Bob Denard ?

M. François-Xavier SIDOS : Bien avant d'être membre du Front National et d'être au cabinet de M. Jean-Marie Le Pen, puisque j'ai été commandant de compagnie à la garde présidentielle de la République fédérale islamique des Comores de juin 1986 à mai 1989. Et je suis entré au cabinet de M. Jean-Marie Le Pen en avril 1993.

    Je suis retourné aux Comores en 1995, après avoir démissionné du cabinet de M. Jean-Marie Le Pen et du Front National, de façon à bien marquer la séparation entre ces deux activités.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu, en 1996, un regard sur le recrutement de mercenaires ?

M. François-Xavier SIDOS : Tout ce qui a été publié dans la presse - et dont j'ai eu connaissance - dans ce domaine a systématiquement fait l'objet de droits de réponse de ma part. L'Evénement du jeudi a publié ce droit de réponse - contrairement au Figaro.

    Tout ce qui circule dans ce domaine relève du fantasme.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous communiquer ces droits de réponse ?

M. François-Xavier SIDOS : Je ne les ai pas avec moi, mais je vous les ferai parvenir.

M. le Rapporteur : En 1997, vous êtes accusé, à tort ou à raison, d'avoir participé à une activité de recrutement en faveur d'une garde rapprochée de M. Denis Sassou N'Guesso au Congo.

M. François-Xavier SIDOS : Je n'ai pas quitté la France à cette époque, mais je connais effectivement des personnes qui y sont allées. Le fait d'avoir des amis qui travaillent dans ces pays conduit certaines personnes à me prêter des activités que je n'exerce pas forcément.

Mme la Présidente : Au cours de cette même année 1997, il semblerait que vous ayez été invité à présider une fête du DPS en Bretagne. Pouvez-vous nous fournir des informations à ce sujet ?

M. François-Xavier SIDOS : Je n'ai aucun souvenir d'une fête du DPS qui se serait déroulée en Bretagne en 1997 - et que j'aurais présidée.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je voudrais, madame la présidente, que vous rappeliez à monsieur Sidos qu'il est sous serment et qu'il doit répondre aux questions. Monsieur Sidos, vous devez répondre clairement : oui ou non, avez-vous participé à cette fête ?

M. François-Xavier SIDOS : Vous souvenez-vous de toutes les réunions publiques ou privées auxquelles vous avez participé ?

Mme la Présidente : Oui, tout à fait.

M. François-Xavier SIDOS : Alors bravo, il faudra me dire comment vous vous y prenez. Mais à brûle-pourpoint, cette question n'évoque rien pour moi.

M. Jean-Pierre BLAZY : Mais on nous a dit que vous aviez présidé cette fête du DPS au nom de M. Jean-Marie Le Pen !

M. François-Xavier SIDOS : Je n'ai jamais rien présidé au nom de M. Jean-Marie Le Pen pour une raison très simple : je n'ai jamais occupé de fonction dans la hiérarchie du Front National me permettant de représenter M. Jean-Marie Le Pen. Les personnes pouvant recevoir une délégation de M. Jean-Marie Le Pen doivent être représentatives du bureau politique, ce qui n'a jamais été mon cas.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Pensez-vous que le DPS est comparable aux services d'ordre des autres partis démocratiques en France ?

M. François-Xavier SIDOS : Ce qui est certain, c'est que le Front National a été beaucoup plus agressé que n'importe quelle autre organisation politique. Il a donc été conduit à assurer le service d'ordre de ses réunions. Je vous répondrai donc en affirmant : oui, il y a une différence. Les militants bénévoles, certainement plus nombreux que dans les autres partis - en général, les partis politiques paient pour assurer la sécurité de leurs réunions - doivent être capables de gérer les obligations liées à un service d'ordre.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Ce qui me surprend, c'est que le Front National subit des agressions. Avez-vous une idée sur la question ? Savez-vous pourquoi ce parti est agressé ?

M. François-Xavier SIDOS : Je ne connais pas les raisons des agresseurs ! Simplement, je sais que certaines organisations, telles que Ras l'Front et le Scalp, sont spécialisées dans l'agression du Front National - ils empêchent ainsi les représentants de ce parti de s'exprimer démocratiquement.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKCHE : Pensez-vous que le Front National véhicule des idées analogues à celles des autres partis politiques démocratiques ?

M. François-Xavier SIDOS : Un des rôles des partis politiques est précisément de véhiculer des idées, une certaine conception du monde, une volonté politique. Pour moi, les idées que véhicule le Front National sont tout à fait conformes à la morale, à la démocratie et aux droits de l'homme.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Le Front National est donc agressé à tort.

M. François-Xavier SIDOS : A mes yeux, oui. Mais il y a des tas de raisons politiques qui peuvent conduire à des agressions de ce type. Il est évident que le Front National dérange les autres partis en prétendant avoir une action politique réelle et peser sur le cours de la vie politique, alors qu'il ne participe pas aux combines des autres partis.

    Dans l'esprit des manipulateurs des organisations qui se font un métier d'être anti-Front National, cette raison-là est à mon avis déterminante.

M. Thierry MARIANI : Monsieur Sidos, une remarque en premier lieu : la majorité des militants assurant le service d'ordre, quel que soit le parti auquel ils appartiennent, sont des bénévoles. Je l'ai assuré à une certaine époque pour le RPR, et je pense qu'il en est de même à la CGT.

    En 1997, vous avez démissionné du cabinet de M. Jean-Marie Le Pen. Quels sont, aujourd'hui, vos liens avec lui ? Seconde question, comment vous positionnez-vous par rapport à la scission du Front National ?

M. François-Xavier SIDOS : J'ai quitté le cabinet de M. Jean-Marie Le Pen fin 1997. Depuis, je n'ai plus de rapports avec lui. Quant à mon positionnement dans les affaires actuelles, je ne vois pas en quoi cela a un rapport avec votre Commission.

M. Thierry MARIANI : Le DPS est divisé. Vous dites ne plus avoir de rapports avec M. Jean-Marie Le Pen depuis 1997, en avez-vous davantage avec l'autre tendance ? De quel côté penchez-vous ?

M. François-Xavier SIDOS : C'est personnel. Ce vers quoi je penche n'a rien à voir avec le DPS.

Mme la Présidente : Veuillez répondre à la question de monsieur Mariani, s'il vous plait.

M. François-Xavier SIDOS : Mais je suis en train d'y répondre : je ne vois pas en quoi cela concerne votre Commission !

Mme la Présidente : Je vais vous poser la question différemment : êtes-vous plus proche du DPS ou du DPA ?

M. François-Xavier SIDOS : Je n'ai pas d'éléments là-dessus, vous me parlez du DPA...

M. Thierry MARIANI : N'avez-vous jamais travaillé avec ?

M. François-Xavier SIDOS : Non, dites-moi ce que c'est.

Mme la Présidente : Allons-nous être obligés de vous dire, monsieur Sidos, ce qu'est et ce qu'était le DPS ? Ce serait tout de même surprenant ! Vous avez travaillé au cabinet de M. Jean-Marie Le Pen, vous devez donc savoir ce qu'est le DPS. Vous devez également lire la presse et donc savoir qu'il y a aujourd'hui le DPS et le DPA.

    Etes-vous plus proche du DPS ou du DPA, sachant qu'il s'agit de deux services d'ordre, le premier tendance Le Pen et le second tendance Mégret ?

    Par ailleurs, vous n'étiez pas sans savoir, lorsque vous étiez au cabinet de M. Jean-Marie Le Pen, que ce service d'ordre existait. Quelle vision en aviez-vous ? Il nous a été rapporté que ce service d'ordre dépendait directement de M. Jean-Marie Le Pen : pouvez-vous nous dire comment il était organisé et quel rôle M. Jean-Marie Le Pen et vous-même y jouiez ?

M. François-Xavier SIDOS : L'organisation du DPS était la suivante : un responsable national, M. Bernard Courcelle, des responsables régionaux et départementaux, et des militants.

    En ce qui concerne la dépendance du DPS à M. Jean-Marie Le Pen, vous n'êtes pas sans savoir que dans un mouvement politique présidé par un président à forte personnalité, le lien de dépendance affective et psychologique est direct entre l'ensemble des adhérents et le président. A ce titre, on peut dire que le DPS dépendait directement de M. Jean-Marie Le Pen. Les militants du DPS sublimaient l'image de M. Jean-Marie Le Pen.

    Enfin, vous me demandez si je suis plus proche du DPS ou de ce que vous appelez le DPA ; je suis incapable de vous répondre, je ne suis ni membre de l'un ni membre de l'autre - à supposer qu'il ait une existence aussi formelle que vous semblez le dire.

Mme la Présidente : Etes-vous toujours membre du Front National ?

M. François-Xavier SIDOS : Je suis adhérent du Front National - et vous allez me demander « lequel » - Mouvement National.

M. Thierry MARIANI : Si vous ne pouvez pas vous souvenir d'une manifestation qui a eu lieu en 1997, vous pouvez certainement vous souvenir de la manifestation qui a eu lieu samedi dernier 1er mai : vous défiliez le matin ou l'après-midi ?

M. François-Xavier SIDOS : Samedi dernier, j'étais non pas à Paris, mais dans le Sud. Je ne défilais donc pas.

M. Jean-Pierre BLAZY : Etiez-vous présent à Marignane ?

M. François-Xavier SIDOS : Absolument.

M. Jean-Pierre BLAZY : M. Bruno Mégret ne vous a-t-il pas confié une fonction au comité central ?

M. François-Xavier SIDOS : M. Bruno Mégret ne m'a confié aucune fonction, j'ai été élu au comité central.

M. Jean-Pierre BLAZY : Pouvez-vous nous préciser vos responsabilités à ce comité central ?

M. François-Xavier SIDOS : Aucune. Je n'ai aucun mandat particulier, aucune fonction particulière.

M. Thierry MARIANI : Et dans l'organigramme du parti ?

M. François-Xavier SIDOS : Aucune.

Mme la Présidente : Lorsque vous étiez au cabinet de M. Jean-Marie Le Pen, connaissiez-vous le budget du DPS ? A qui servaient ces fonds ? Comment, d'après vous, tout cela fonctionnait ?

M. François-Xavier SIDOS : J'ai toujours entendu M. Bernard Courcelle se plaindre de l'absence de budget, ne serait-ce que pour rembourser les frais d'essence à des personnes qui n'ont pas d'argent et qui viennent, à titre bénévole, assurer le service d'ordre. A ma connaissance, il n'y avait donc pas de budget spécifique au DPS.

Mme la Présidente : Vous avez eu, je le suppose, connaissance des événements qui se sont déroulés à Montceau-les-Mines où des membres du DPS, qui ont été filmés et photographiés, sont intervenus parce que, soi-disant, ils ont été agressés. Ils étaient équipés de casques et de boucliers. Qui payait tout cela ? Le Front National ? Les militants ?

M. François-Xavier SIDOS : Je ne sais pas. Tout ce que je peux vous dire, c'est que cet équipement sert à se protéger contre les cailloux lancés par les contre-manifestants.

    Cela dit, je n'étais pas présent à Montceau-les-Mines, j'en ai donc la même connaissance que vous - ce qui a été rapporté par les médias. Des journalistes m'ayant raconté comment les participants à cette réunion ont été agressés, je suppose que les membres du DPS ont tenté de faire cesser ces agressions.

Mme la Présidente : Qui finançait l'achat de ces casques et boucliers ?

M. François-Xavier SIDOS : Je ne sais pas.

Mme la Présidente : Aviez-vous connaissance du budget du Front National ?

M. François-Xavier SIDOS : Non. Demandez au trésorier.

M. le Rapporteur : Personne n'ignore que la famille Sidos s'inscrit dans l'histoire du mouvement nationaliste après la guerre. Par conséquent, avant d'adhérer au Front National, veniez-vous d'une mouvance plus nationaliste que ce parti, ou était-ce simplement votre première action politique ?

M. François-Xavier SIDOS : Je n'ai jamais été membre d'une association politique ou d'un parti politique avant d'adhérer au Front National.

M. le Rapporteur : En tant que lieutenant, vous avez été réserviste activé. Quel a été votre passé militaire en tant qu'officier ?

M. François-Xavier SIDOS : J'ai été officier de réserve de l'armée de l'air, puis instructeur parachutiste de réserve. Mes activités de réserve se sont limitées à cela.

Mme la Présidente : Monsieur Sidos, je vous remercie.

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