N° 1622

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 mai 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur les agissements, l'organisation, le fonctionnement, les objectifs du
groupement de fait dit " DÉPARTEMENT PROTECTION SÉCURITÉ " et les
soutiens dont il bénéficierait

Président

M. Guy HERMIER,

Rapporteur

MBernard GRASSET,

Députés.

--

TOME I - PARTIE III

RAPPORT

S O M M A I R E DE L A P A R T I E I I I
_____

III. LA RÉPUBLIQUE FACE AU DPS 3

a.- le cadre juridique en vigueur 3
1. Les libertés publiques en cause 4
a) La liberté des partis politiques 4
- La liberté de constitution et d'organisation des partis politiques 4
- La fin du suivi des partis politiques par les renseignements généraux 5
b) La liberté d'association 6
- Une liberté constitutionnellement garantie 6
- Les conditions de la dissolution judiciaire d'une association 8
c) La liberté de manifestation 9
- La réglementation des manifestations 9
- Le contrôle des manifestations 10
- Les manifestations organisées par le Front National 11
- Les sanctions pénales applicables 12
2. La dissolution administrative : la loi du 10 janvier 1936 13
a) Une loi de circonstance 13
- Les ligues d'extrême-droite dans l'entre-deux guerres 14
- L'agitation de la rue 14
- Les premières applications de la loi du 10 janvier 1936 15
b) Les cas de dissolution et les sanctions prévus par la loi 16
c) L'interprétation de la loi du 10 janvier 1936 par le Conseil d'Etat 21
- La procédure de dissolution 22
- Les conditions d'une dissolution administrative 23
3.- Les autres sanctions pénales applicables 26
a) La définition pénale des groupes de combat 27
b) L'arrestation arbitraire 28
c) L'usurpation de fonction 28
d) L'usurpation d'uniforme 29
b.- un climat délétère : l'attitude des pouvoirs publics vis-a-vis du dps a t-elle été adaptée ? 30
1. Un climat délétère dans le sillage du DPS 30
a) Des militants niçois du DPS parmi les auteurs de vols à main armée 30
b) Le meurtre de Brahim Bouarram : le rôle ambigu du DPS 31
c) La mort de Jean-Claude Poulet-Dachary : une piste DPS ? 33
d) Le meurtre d'Ibrahim Ali : les meurtriers, des militants Front National colleurs d'affiches 34
2. L'attitude des pouvoirs publics : entre laxisme et indulgence 35
a) La police nationale face au DPS : des relations ambiguës 35
b) L'armée face au DPS : des réseaux d'influence 40
c) Polices municipales et DPS : le cas des municipalités frontistes 42
- Des rôles généralement bien définis 42
- Un encadrement activiste ? 43
- Les dérives vitrollaises 43
d) Les préfets face au DPS : des décisions parfois discutables 45
e) L'autorité judiciaire face au DPS : une inaction inquiétante 47
c.- l'indispensable sursaut republicain 50
1.- La dissolution du DPS : une question qui reste posée 50
a) La dissolution du DPS : une occasion manquée 50
- Une dissolution juridiquement possible 50
- Une dissolution politiquement justifiée 51
b) La question de la dissolution reste posée pour l'avenir 52
2.-  Renforcer le contrôle sur les sociétés de sécurité et de gardiennage privées 53
a) Un secteur en plein essor mais peu réglementé 53
- Un secteur professionnel très particulier 54
- La loi du 12 juillet 1983 54
b) La nécessité d'élaborer une législation plus rigoureuse 55
- Le projet de loi Debré 55
- Les recommandations de la Commission 57
3. Pour une véritable vigilance républicaine : la politique de la " tolérance zéro " à l'égard du DPS 58
a) Professionnels de la sécurité et déontologie : des mots aux actes 59
b) Police nationale et DPS : sanctionner davantage et mieux contrôler 60
c) Polices municipales et DPS : les nouvelles responsabilités des préfets et des procureurs 62
d) Armée et DPS : des marges de man_uvre à utiliser 64
- La seconde carrière des militaires 65
- La gestion de la réserve 66
e) Autorité judiciaire et DPS : appliquer les sanctions pénales avec plus de vigueur 67

CONCLUSION 69

EXPLICATIONS DE VOTE 71

explications de vote des commissaires appartenant aux groupes RPR, UDF et DL  71
explications de vote des commissaires appartenant au groupe communiste  72

ANNEXES 74

les mouvements d'extrême-droite depuis les années 1960 75
organigramme du front national 77
III. LA RÉPUBLIQUE FACE AU DPS
Que faire face au DPS ? Après avoir analysé dans le détail ce service d'ordre très particulier, la Commission a été amenée à s'interroger sur la manière dont les pouvoirs publics devaient réagir.
Il ne s'agit pas de laisser prospérer une milice, si tel est bien le cas, au sein de la République. Si des actes répréhensibles, criminels ou délictueux, ont été commis et qu'ils tombent sous le coup de la loi, ils doivent être sanctionnés sans faille. Il a semblé à la Commission qu'un trop grand laxisme a prévalu en général en la matière lorsque le DPS était, directement ou indirectement, mis en cause. Il a pu en résulter un certain climat délétère dont ont pu vouloir profiter ceux qui ne chérissent pas particulièrement la République.
Pour autant, la France est un Etat de droit qui garantit une protection toute particulière aux libertés publiques fondamentales. Dans le cadre des lois en vigueur, le Front National a le droit d'exister en tant que parti politique, d'avoir un service d'ordre et de manifester sur la voie publique. Pour savoir s'il n'a pas outrepassé ses droits, il est donc nécessaire de rappeler au préalable très précisément quel est le cadre juridique dans lequel toute action contre le DPS doit s'inscrire.
a.- le cadre juridique en vigueur
L'Etat de droit est fondé sur le respect des libertés publiques fondamentales, au premier rang desquelles figurent la liberté constitutionnelle des partis politiques, la liberté d'association et la liberté de manifestation. Dans ce cadre, le Front National et le DPS ont certains droits, mais pas tous les droits.
Il faut évoquer à ce stade une procédure particulière susceptible d'être mise en _uvre à l'encontre du DPS s'il est avéré qu'il constitue une milice privée ou un groupe de combat : sa dissolution administrative sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936. Le droit de dissolution en question a un caractère dérogatoire par rapport au cadre juridique général, notamment la liberté d'association, et ne peut être utilisé que dans des conditions strictement délimitées.
1. Les libertés publiques en cause
a) La liberté des partis politiques
- La liberté de constitution et d'organisation des partis politiques
Selon l'article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958, " les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ".
Si de ce fait l'activité des partis politiques est complètement libre en France, il n'existe cependant aucun mécanisme de sanction, par exemple par le Conseil constitutionnel, du non-respect par un parti des principes de la démocratie qui lui sont pourtant imposés par la Constitution. Ainsi, le Conseil constitutionnel n'avait pas admis, dans sa décision n° 59-2 DC des 17, 18 et 24 juin 1959, qu'une Assemblée puisse contrôler la conformité à la Constitution de la déclaration politique d'un groupe parlementaire. De même, dans sa décision n° 89-263 DC du 11 janvier 1990, il a affirmé la valeur constitutionnel du principe de pluralisme en matière politique, afin qu'aucune disposition législative n'aboutisse à entraver l'expression de nouveaux courants d'idées ou d'opinions.
La loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique constitue cependant l'ébauche d'un régime juridique des partis politiques : sans définir la forme qu'ils peuvent revêtir, il leur reconnaît la personnalité morale et les principaux droits attachés au bénéfice de celle-ci, à savoir notamment le droit d'ester en justice et le droit d'acquérir à titre gratuit ou onéreux. Dans la même perspective de liberté absolue, en même temps qu'elle institue un financement public des partis politiques, cette loi écarte l'application de toute règle relative au contrôle financier de ces fonds, sous réserve de disposer d'un mandataire financier agréé et de publier annuellement ses comptes.
Les partis politiques sont donc constitués sous la forme associative ordinaire et peuvent à ce titre s'organiser entièrement librement, y compris au niveau de leur structure interne. Rien ne permet d'empêcher juridiquement le Front National de créer en son sein un service d'ordre qu'il appelle DPS.
- La fin du suivi des partis politiques par les renseignements généraux
Alors que la surveillance de l'activité et du fonctionnement interne des partis politiques a toujours constitué une mission traditionnelle des renseignements généraux, il y a été mis fin par une circulaire du 3 janvier 1995 du ministre de l'intérieur de l'époque, M. Charles Pasqua. Le Front National en particulier ne fait dès lors plus l'objet d'un suivi par les renseignements généraux. Pourtant le DPS, qui en fait partie, est l'objet d'une surveillance particulière.
En effet, cette circulaire confirme le rôle des renseignements généraux, au titre de leur mission d'information, de contribuer à la sécurité et à la défense des intérêts fondamentaux de l'Etat, à travers notamment la surveillance des " groupes à risques " dont fait partie le DPS, ainsi que l'ont indiqué à la Commission l'actuel ministre de l'intérieur, le directeur central des renseignements généraux et le directeur des renseignements généraux de la préfecture de police.
Un extrait du texte de cette circulaire, ci-après reproduit, permet de bien se rendre compte du cadre dans lequel le DPS fait l'objet d'une attention et d'un suivi particuliers de la part des pouvoirs publics :
Les congrès, séminaires, universités d'été, réunions internes et toutes les questions portant sur le fonctionnement et l'organisation internes des partis ne seront plus observés par les renseignements généraux.
Cette règle supporte deux exceptions :
_ Les manifestations et les menaces à l'ordre public, ce qui signifie que les manifestations et attroupements de voie publique doivent être suivis. Pour les réunions dont le caractère public n'est pas avéré, elles sont surveillées par les renseignements généraux si elles sont susceptibles de générer des troubles à l'ordre public ou si elles sont tenues par des partis, groupes ou mouvements à risques.
_ Le respect des principes démocratiques. La mission de défense des intérêts fondamentaux de l'Etat exige que les renseignements généraux accomplissent leur mission de prévention et de lutte contre les activités terroristes et de surveillance des groupes et mouvements qui ne respectent pas ces principes et qui sont susceptibles de porter atteinte à nos institutions. Certaines idéologies véhiculées à l'extrême-droite comme à l'extrême-gauche (en particulier celles qui prônent le racisme et l'antisémitisme et celles qui encouragent le recours à la violence) doivent faire l'objet d'une vigilance constante. C'est un rôle essentiel des renseignements généraux d'alerter les pouvoirs publics sur les dérives de nature à être sanctionnées par les tribunaux. "
Dans le cadre de ces directives, M. Jean-Pierre Pochon, directeur des renseignements généraux de la préfecture de police, a ainsi indiqué à la Commission que " c'est donc à ce titre que la direction des renseignements généraux de la préfecture de police s'intéresse à l'activité des individus et des groupes qui prônent une idéologie à caractère raciste, antisémite et xénophobe, le plus souvent assortie d'appels à la violence, et elle exerce des surveillances sur les milieux extrémistes de droite les plus radicaux. Notre travail porte notamment sur les groupes néo-nazis, ultra-nationalistes, skinheads, sur les sociétés de sécurité influencées voire dirigées par des militants d'extrême-droite et sur les réseaux de mercenaires. Une partie non négligeable de ceux-ci participe aux activités du DPS. Aussi la direction des renseignements généraux de la préfecture de police a-t-elle été amenée à suivre l'activité de cette structure, en observant le comportement de ses membres sur le terrain, et plus particulièrement celui de ses éléments les plus radicaux. "
b) La liberté d'association
A défaut de l'existence d'un statut pour les partis politiques, ceux-ci relèvent donc pour leur organisation générale du régime de la liberté d'association. Les associations bénéficient d'une protection toute particulière en France, par tradition juridique et historique. Remettre en cause l'existence d'une d'entre elle n'est pas chose aisée. Avant de s'avancer sur la voie de la dissolution de ce qui pourrait s'apparenter à une milice privée, il est donc important de rappeler que la règle en la matière est celle de la liberté.
- Une liberté constitutionnellement garantie
La liberté d'association a été affirmée pour la première fois par l'article 8 de la Constitution du 4 novembre 1848, aux termes duquel " les citoyens ont le droit de s'associer ". Mais cette reconnaissance n'eut de concrétisation qu'avec l'adoption de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, dont l'article 2 précise que les associations peuvent " se former librement sans autorisation ni déclarations préalables ".
Pour obtenir la personnalité juridique, une association doit être déclarée à la préfecture. Mais une association peut exister sans être déclarée : si elle n'a pas alors la personnalité juridique - et ne peut donc avoir de patrimoine - elle a, de façon parfaitement licite, une existence de fait. La déclaration n'est en outre l'occasion d'aucun contrôle administratif : dans les cinq jours qui suivent le dépôt des statuts, l'autorité préfectorale délivre automatiquement le récépissé et cette formalité confère à l'association la personnalité morale.
Dans son arrêt du 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, le Conseil d'Etat a jugé que la liberté d'association figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République mentionnés par le préambule de la Constitution de 1946 et a donc un fondement constitutionnel. De même, dans un arrêt du 24 janvier 1958, Association des anciens combattants et victimes de la guerre du département d'Oran, il a qualifié le droit d'association de " droit constitutionnel ".
Cette jurisprudence a été confirmée par le Conseil constitutionnel en 1971, lorsqu'il a eu l'occasion d'exercer pour la première fois un contrôle de constitutionnalité de la loi par rapport au préambule de la Constitution. Il est intéressant de rappeler le contexte de cette décision fondamentale en matière de liberté publique car elle concerne justement une association dissoute.
Sous l'égide de M. Jean-Paul Sartre, une association des " Amis de la Cause du peuple " fut créée pour soutenir le journal portant ce titre, qui était l'organe de la Gauche prolétarienne, mouvement dissous le 27 mai 1970 sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936. Les fondateurs de cette association, Mme Simone de Beauvoir et M. Michel Leiris, déposèrent ses statuts le 9 juin 1970, mais le préfet de police, sur instruction du ministre de l'intérieur, leur refusa la délivrance du récépissé de la déclaration. Mme Simone de Beauvoir et M. Michel Leiris ayant saisi le Tribunal administratif de Paris du refus préfectoral, le ministre de l'intérieur invoqua en défense le fait que l'association des " Amis de la Cause du Peuple " tendait à reconstituer la Gauche prolétarienne qui venait d'être dissoute. Par un arrêt du 25 janvier 1971, le tribunal écarta ce moyen et annula pour excès de pouvoir la décision de refus, l'autorité administrative ne pouvant, aux termes de la loi du 1er juillet 1901, que constater l'accomplissement de la formalité de la déclaration. Le préfet était tenu de délivrer le récépissé sans se livrer à aucune appréciation, car c'est aux tribunaux judiciaires qu'il appartient de constater, conformément à la loi du 1er juillet 1901, la nullité des associations fondées sur une cause illicite, qui auraient pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et à la forme républicaine du Gouvernement, comme il leur appartient de réprimer la reconstitution d'associations dissoutes en vertu de la loi du 10 janvier 1936 sur les milices privées et groupes de combat.
Suite à cette affaire, le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Raymond Marcellin, a fait adopter par le Parlement une loi prévoyant que, dans le cas où une association paraissait avoir un objet de nature à justifier sa dissolution, le préfet pouvait surseoir à la délivrance du récépissé jusqu'à ce que le président du tribunal de grande instance, statuant en référé, se fût prononcé. Saisi par le président du Sénat, le Conseil constitutionnel a jugé qu'un tel contrôle préalable était contraire à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République.
La décision n° 71-44 DC du Conseil constitutionnel, rendue le 16 juillet 1971, a rangé la liberté d'association au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République mentionnés dans le préambule de la Constitution de 1946 et " solennellement réaffirmés " par la Constitution du 4 octobre 1958. Elle précise que " ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 " et que, par conséquent, " la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ".
Le conseil a réservé le cas des " mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'association ". Sont ainsi visées les congrégations religieuses, les associations étrangères1 et les associations concernées par la loi du 10 janvier 1936. La procédure de dissolution d'une association par la voie administrative qu'elle prévoit2, si elle déroge au principe de la liberté d'association, n'en a pas moins ainsi obtenu la caution implicite du Conseil constitutionnel.
Enfin, il faut relever que la liberté d'association est également garantie par la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'article 11 stipule que " toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association ".
- Les conditions de la dissolution judiciaire d'une association
La dissolution d'une association intervient normalement dans les conditions prévues par les statuts ou à la suite d'une décision des associés. Statutaire ou volontaire, la dissolution est encore un aspect de la liberté d'association. Toutefois la dissolution peut aussi être imposée à l'association par la voie judiciaire.
Prévue par l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901 précitée, la dissolution judiciaire est prononcée, à la demande du ministère public ou de tout intéressé, par le Tribunal de grande instance à l'encontre de " toute association fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes m_urs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et à la forme républicaine du Gouvernement ". Juridiquement, le tribunal constate la nullité des contrats d'association. Les fondateurs, directeurs ou administrateurs de l'association qui se serait maintenue ou reconstituée illégalement après le jugement de la dissolution sont punis de 30 000 francs d'amende et d'un an d'emprisonnement.
Une telle dissolution ne s'est produite qu'une fois s'agissant d'un parti politique. Ce fut en 1929, c'est-à-dire avant l'adoption de la loi de 1936 sur la dissolution administrative. Ont ainsi été dissous par décision judiciaire l'Etoile nord-africaine et l'Union nationale des musulmans.
Autant dire donc que la voie de la dissolution judiciaire n'est pas praticable s'il s'agissait de vouloir mettre un terme à l'existence légale du DPS.
c) La liberté de manifestation
Puisque le DPS est, entre autres activités, chargé d'assurer la sécurité des manifestations organisées par le Front National, il est utile de rappeler comment devraient se dérouler ces manifestations, comment sont établis les contacts avec les forces de l'ordre et à quelles sanctions s'exposent les participants qui ne respecteraient pas les règles en vigueur en la matière.
- La réglementation des manifestations
La liberté de manifestation est une liberté publique fondamentale permettant l'exercice du droit d'expression collective des idées et des opinions. Même si elle n'est pas expressément mentionnée par la déclaration des droits de l'homme de 1789, la Constitution du 3 septembre 1792 garantit aux citoyens " la liberté de s'assembler paisiblement et sans arme, en satisfaisant aux lois de police " et le Conseil constitutionnel a reconnu le caractère constitutionnel de cette liberté dans sa décision n°94-352 DC du 18 janvier 1995.
Si la liberté de réunion est entière depuis la loi du 28 mars 1907, celle de manifestation, qui se définit comme une réunion organisée sur la voie publique, est plus restrictive depuis le décret-loi du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l'ordre public, adopté dans le contexte des manifestations de rue des ligues d'extrême-droite. Une déclaration préalable doit en effet être déposée à la mairie ou à la préfecture par trois organisateurs, trois jours au moins et quinze jours au plus avant la manifestation.
L'autorité de police peut toutefois interdire la manifestation si elle est " susceptible de provoquer une effervescence de nature à compromettre l'ordre public " ou si " par la période choisie, le lieu où elle doit se tenir la façon dont elle est organisée, le mode selon lequel elle doit se dérouler, elle est de nature à laisser prévoir des incidents "3. Le Conseil d'Etat vérifie, dans le cadre d'un plein contrôle de proportionnalité, que la mesure d'interdiction est strictement nécessaire (CE, 19 mai 1933, Benjamin). Il appartient d'abord aux forces de l'ordre de protéger la manifestation et une interdiction n'est envisageable que si ces moyens s'avèrent insuffisants.
De plus, la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité permet au préfet d'interdire, pendant les 24 heures qui précèdent la manifestation et jusqu'à sa dispersion, le port et le transport d'objets pouvant constituer une arme, dans une aire géographique qu'il détermine, en fonction des circonstances faisant craindre des troubles graves à l'ordre public. Par ailleurs, l'autorité judiciaire peut désormais infliger une peine complémentaire d'interdiction de participer à une manifestation pour une durée maximum de trois années à l'encontre de ceux qui ont commis des violences au cours d'une manifestation. Le Conseil constitutionnel a par contre censuré, dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, les dispositions de cette loi prévoyant la fouille des véhicules sans autorisation préalable de l'autorité judiciaire et l'interdiction de tous les objets susceptibles d'être utilisés comme projectiles.
Quant aux attroupements armés, ou aux attroupements non armés qui pourraient troubler la tranquillité publique, ils sont rigoureusement interdits en vertu de la loi du 7 juin 1848. L'attroupement est dispersé par la force, après accomplissement d'une procédure de double sommation diligentée par un officier de police judiciaire porteur des insignes de sa fonction.
- Le contrôle des manifestations
Dans la majorité des cas, les manifestations font l'objet d'une déclaration dans les formes de droit transmises par leurs organisateurs. Il arrive cependant, parfois, que les manifestants, par ignorance de la loi ou par volonté délibérée, ne déclarent pas leur projet. Dans cette hypothèse, ce sont les renseignements généraux qui préviennent les autorités compétentes. Le travail de prévision en tant que tel incombe également aux renseignements généraux, qui ont pour mission d'évaluer la participation et les risques encourus au plan de l'ordre public. Ils prennent en compte les précédents, les éléments d'actualité et l'état d'esprit des initiateurs du projet.
Les responsables de la sécurité publique ont pour mission, en fonction de l'éclairage fourni par les renseignements généraux, de recevoir les organisateurs de la manifestation pour évoquer avec eux le déroulement de leur action. Il est indispensable en effet de déterminer les conditions dans lesquelles doit se dérouler leur initiative et de mettre en garde, autant que de besoin, les manifestants sur les risques que ce projet peut faire courir pour la tranquillité publique. Cette rencontre est aussi l'occasion de mettre en garde les organisateurs contre toute éventualité d'incidents ou de violences. Si l'état d'esprit des participants est déterminé, on peut craindre des tentatives de débordement, voire des provocations à l'égard des forces de l'ordre. Il est nécessaire de responsabiliser les initiateurs du projet sur ce point.
En application du décret-loi du 23 octobre 1935 précité, cette discussion, formalisée et solennelle, aboutit à la signature d'un document qui fixe les conditions dans lesquelles la puissance publique doit assurer, au mieux des intérêts de chacun, la liberté de manifester.
La surveillance du déroulement de la manifestation incombe principalement aux renseignements généraux. Leur mission consiste à décrire, tout le long de la manifestation, l'ambiance, la participation, les éventuels incidents et à rendre compte du contenu des banderoles, des slogans et des tracts diffusés.
Une attention particulière est apportée aux éléments à risques qui sont susceptibles de créer des incidents, voire de faire dégénérer la manifestation. Un travail de repérage de ces individus est réalisé par des équipes spécialement affectées à cette tâche. Leur localisation au sein et en marge du cortège, leur comportement, les exactions qu'ils commettent sont rapportés, en temps réel, aux responsables de la sécurité publique, qui peuvent adapter leur dispositif en fonction des éléments transmis. Ce travail se poursuit jusqu'au moment de la dispersion finale.
- Les manifestations organisées par le Front National
Un nombre important d'incidents dans lesquels le DPS a été mis en cause se sont déroulés à l'occasion de manifestations organisées par le Front National. En effet, depuis 1988, le Front National célèbre simultanément le 1er mai la fête du travail et la fête de Jeanne d'Arc, traditionnellement fixée au deuxième dimanche de mai. Il s'agit des seules manifestations du Front National sur la voie publique rassemblant plus de 1 500 participants.
En 1988, la manifestation s'est rassemblée Place Saint-Augustin, où est érigée une statue de Jeanne d'Arc, a emprunté le boulevard Malesherbes, est passée rue de Rivoli, devant une autre statue de la Sainte, place des Pyramides, et a abouti au Jardin des Tuileries.
De 1989 à 1994, la manifestation a emprunté régulièrement le même itinéraire, terminant toutefois son parcours place du Palais-Royal, où M. Jean-Marie Le Pen a prononcé un discours.
En 1995, le cortège comprenant 9 000 participants s'est rassemblé rive gauche, place Saint-Germain-des-Prés, est passé par la place des Pyramides pour aboutir place de l'Opéra, où a eu lieu la prise de parole. Cette année fut marquée par la mort de Brahim Bouarram, précipité dans la Seine en marge du cortège du Front National. Une contre-manifestation a eu lieu, avec quatre membres du collectif Ras l'Front qui s'étaient laissés enfermer dans l'Opéra-Garnier pour déployer une banderole.
En 1996, le cortège comprenant 6 000 participants est parti de la rive droite, ce qui a évité tout franchissement de la Seine. L'itinéraire, qui fut le même en 1997, où le défilé a rassemblé 7 000 personnes encadrées par 200 membres DPS, était le suivant : Place du Châtelet, rue de Rivoli, rue de Castiglione, place Vendôme, rue de la Paix, place de l'Opéra.
En 1998, le parcours a été modifié. En raison de divers contentieux, il n'est en effet pas paru souhaitable que le cortège passe devant le ministère de la justice. L'itinéraire suivi par le nombre record de 11 0000 participants et de 350 membres du DPS fut donc le suivant : place du Châtelet, rue de Rivoli, place et rue des Pyramides, avenue et place de l'Opéra.
En 1999, deux défilés successifs ont eu lieu en raison de la scission du Front National. M. Jean-Marie Le Pen a manifesté le matin, suivi par 3 000 personnes, selon l'itinéraire retenu en 1998. M. Bruno Mégret et 3 200 de ses partisans encadrés par le DPA ont défilé l'après-midi dans le sens inverse, de la place de la Madeleine à celle du Palais-Royal en passant rue de Rivoli et place des Pyramides.
Ces manifestations font bien entendu l'objet d'une surveillance particulière de la part des renseignements généraux et nécessitent la présence de forces de police conséquentes à leurs abords. De ce fait, le DPS a sans doute été amené à faire tout son possible pour " bien se tenir " à l'occasion d'une parade festive très médiatisée.
- Les sanctions pénales applicables
Plusieurs articles du code pénal concernent la liberté de manifester.
En application de l'article 431-9 du code pénal, constitue le délit de manifestation illicite, puni de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende, le fait :
1° D'avoir organisé une manifestation sur la voie publique n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi ;
2° D'avoir organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions fixées par la loi ;
3° D'avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte, de nature à tromper sur l'objet ou les conditions de la manifestation projetée. "
La participation délictueuse à une manifestation ou à une réunion publique est réprimée par l'article 431-10 du code pénal, en vertu duquel " le fait de participer à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d'une arme est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende. "
La participation délictueuse à un attroupement, défini par le premier alinéa de l'article 431-3 du code pénal comme " tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public " est punie quant à elle par les peines prévues aux articles 431-4 à 431-8 du même code, qu'il y ait eu ou non port d'armes.
2. La dissolution administrative : la loi du 10 janvier 1936
La question de la dissolution du DPS a souvent été évoquée au cours des auditions auxquelles la Commission a procédé. Elle est d'ailleurs très directement à l'origine de sa constitution, ainsi que le prouvent les débats sur les propositions de résolution tendant à sa création qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale le 9 décembre 1998. Il est donc indispensable d'étudier les conditions dans lesquelles une association ou un groupement de fait comme le DPS pourrait être dissous par la voie administrative, sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936. Il convient de rappeler le contexte de l'adoption de cette loi, qui concernait - déjà - des mouvements d'extrême-droite à caractère paramilitaire.
a) Une loi de circonstance
C'est en raison de la prolifération des ligues et de l'agitation qu'elles entretenaient dans la rue pendant l'entre-deux-guerres que le législateur et le Gouvernement ont été amenés à prendre des mesures exceptionnelles de défense républicaine
- Les ligues d'extrême-droite dans l'entre-deux guerres
L'Action française restait un modèle par sa pratique de la violence. Les Camelots du Roi étaient les meilleurs combattants de rue de ce temps et les étudiants d'Action française régnaient par la matraque sur le quartier Latin.
Les Jeunesses patriotes (JP) de Pierre Taittinger n'avaient d'influence que dans la capitale (100 000 adhérents) et leur valeur au combat était très inférieure à celle des royalistes, pourtant moins nombreux.
La Solidarité française, créée en 1933 par M. François Coty, recrutait ses troupes de choc dans le sous-prolétariat maghrébin.
Le Parti franciste était une organisation ouvertement fascisante, avec des militants activistes prêts à lancer un coup de main contre le régime. Pour sa création, M. Marcel Bucard déclarait, le 29 septembre 1933 à onze heures du soir sous l'Arc de Triomphe (!), vouloir " fonder publiquement un mouvement d'action révolutionnaire dont le but est de conquérir le pouvoir et d'arrêter la course à l'abîme. " Il semble que M. Bruno Gollnisch s'en soit souvenu le 21 octobre 1996...
Enfin, les Croix de Feu, dirigées par le lieutenant-colonel de La Rocque à partir de 1931, comptaient 150 000 adhérents à la fin de 1934. Ses troupes de choc, les dispos, étaient organisées militairement en division et en mains mobilisables à tout moment. Il s'agissait d'un mouvement d'inspiration mussolinienne par ses méthodes de mobilisation permanente, de nettoyage et d'occupation de la rue et de chasse aux communistes. Sa structure était très centralisée, avec une stricte discipline, le port du béret et des défilés au pas cadencé. Il était largement subventionné par les fonds secrets, à l'initiative des Présidents du Conseil Tardieu et Laval qui souhaitaient disposer ainsi de brigades d'acclamation et de services d'ordre musclés. En dépit de ses parades paramilitaires, ce mouvement n'était pas fasciste de par son idéologie. Il était essentiellement composé d'anciens combattants.
- L'agitation de la rue
Du fait de l'existence des ligues, la rue était devenue, surtout à Paris, le théâtre de l'affrontement entre l'extrême-gauche et l'extrême-droite. Entre les deux, la police n'était pas impartiale car le préfet de police Jean Chiappe l'utilisait uniquement contre la gauche (par des arrestations préventives notamment). Le 6 février 1934 ne fut ainsi que l'aboutissement d'une série non interrompue de manifestations (qui voyait d'ailleurs la création d'un Front National des ligues).
La droite manifestait dans un espace symbolique tenant lieu de rituel : la rue de Rivoli et la statue de Jeanne d'Arc, face aux Tuileries, la place de la Concorde, les Champs-Elysées et l'Arc-de-Triomphe avec les traditionnelles cérémonies de la Flamme. Les cortèges défilaient bras tendu, dans d'impeccables alignements uniformisés avec bannières et drapeaux.
Il faut noter que les ligues, notamment les Croix de Feu, évitaient soigneusement tout affrontement direct avec les forces de l'ordre. Le colonel de La Rocque a retenu ses troupes au soir du 6 février 1934 et ainsi sauvé le Palais-Bourbon d'une invasion par les manifestants. Cela ne l'empêchait pas, bien au contraire, d'entretenir l'activité de ses troupes par l'organisation de parades motorisées et de man_uvres quasi-militaires (16 000 hommes ont été ainsi rassemblés à l'hippodrome de Chantilly le 30 novembre 1934).
- Les premières applications de la loi du 10 janvier 1936
A la suite du 6 février 1934, perçu par la gauche comme un complot fasciste soutenu par des hauts fonctionnaires, les parlementaires radicaux ont demandé que des mesures de défense républicaine soient prises contre les ligues. Le décret-loi du 23 octobre 1935 a ainsi réglementé plus strictement les manifestations de rue. La question revenant régulièrement en débat à la Chambre, la loi du 10 janvier 1936, composée de dispositions de circonstance, fut adoptée dans des conditions de précipitation. Elle s'inspirait d'un projet de loi mis à l'étude en 1926, à la fin du Cartel des gauches, et de plusieurs propositions de loi et projets de loi à l'étude à partir de janvier 1935.
Sa première application fut immédiate. Le 13 février 1936, la voiture de M. Léon Blum quittant le Palais-Bourbon croisait le convoi funèbre de M. Jacques Bainville, organisé par l'Action française. Le chef de la SFIO fut sérieusement blessé par les manifestants et échappa de peu à un lynchage physique, grâce à l'intervention d'ouvriers travaillant sur un chantier voisin. Le Gouvernement intérimaire du radical Albert Sarraut décida en conséquence de dissoudre les ligues d'Action française.
En application du programme électoral du Front populaire, M. Léon Blum devenu Président du Conseil décida le 19 juin 1936, de dissoudre quatre ligues : les Croix de Feu, les Jeunesses patriotes, la Solidarité française et le Parti franciste.
Certains des éléments les plus durs des ligues dissoutes se sont retrouvés au sein du Comité secret d'action révolutionnaire (CSAR), alias la Cagoule, dirigé par M. Eugène Deloncle. Le CSAR voulait entraîner l'armée contre les institutions de la République en faisant croire à un complot communiste. Il a perpétré divers attentats qui ne sont apparus initialement que comme des crimes de droit commun (Navachine, frères Rosselli, fusillade de Clichy le 16 mars 1937,...). Il était subventionné par l'étranger et avait accumulé, notamment par un trafic d'armes, plusieurs stocks d'armes (fusils de chasse et fusils mitrailleurs, grenades,...), dissimulés dans la région parisienne. Plusieurs centaines d'hommes en arme se livraient à des exercices de tir et à des entraînements militaires, selon une stricte discipline et une surveillance de ses membres. Le CSAR se livrait également à des opérations de renseignement contre les communistes. Il bénéficiait de la participation active de cadres de l'état-major et de militaires de haut rang. Il fut découvert le jour de sa tentative avortée de renversement de la République, en novembre 1937.
b) Les cas de dissolution et les sanctions prévus par la loi
Loi de circonstance, la loi du 10 janvier 1936 a bien survécu aux conditions de sa naissance puisqu'elle est toujours applicable. Ses fondements - la possibilité offerte au Gouvernement de dissoudre un groupe à risque - n'ont pas été remis en cause au fil des Républiques qui se sont succédées. Bien au contraire, d'autres cas d'application, non prévus en 1936, ont été ajoutés.
Le texte actuellement en vigueur sur les groupes de combat et milices privées prévoit, dans son article premier, que " seront dissous, par décret rendu par le Président de la République en Conseil des ministres, toutes les associations ou groupement de fait :
1° Qui provoqueraient à des manifestations dans la rue ;
2° Ou qui, en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le Gouvernement, des sociétés d'éducation physique et de sport, présenteraient par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;
3° Ou qui auraient pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d'attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;
4° Ou dont l'activité tendrait à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine" ; (alinéa ajouté par l'ordonnance du 30 décembre 1944) ;
5° Ou qui auraient pour but soit de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter cette collaboration ; (alinéa ajouté par la loi n° 51-18 du 5 janvier 1951) ;
6° Ou qui, soit provoqueraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; (alinéa ajouté par la loi n° 72-546 du 1er  juillet 1972) ;
7° Ou qui se livreraient, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger " (alinéa ajouté par la loi n°86-1020 du 9 septembre 1986).
Cette loi a été appliquée à de multiples reprises, concernant 84 associations ou groupements de fait pour être précis. Tous les cas de dissolution prévus par la loi ont été mis en _uvre. Ils ont concernés des types d'organisation très différents des ligues de l'entre-deux-guerres : des mouvements liés à la collaboration, des organisations militant dans le contexte de la décolonisation pour l'indépendance, mais aussi contre - on pense bien entendu à l'OAS -, des mouvements gauchistes soixante-huitards, des mouvements d'extrême-droite ou néo-nazis, des organisations régionalistes séparatistes, tant en métropole qu'outre-mer, et des organisations terroristes.

associations et groupements dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées

Décret du 13 février 1936

- Ligue d'Action française.

- Fédération nationale des étudiants d'Action française.

- Fédération nationale des Camelots du Roi.

Décret du 18 juin 1936

- Mouvement social français des Croix de Feu.

- Parti national corporatif républicain (Solidarité française).

- Parti national populaire (Ligue des Jeunesses Patriotes).

- Parti franciste.

Décret du 23 juin 1936

- Mouvement social français des Croix de Feu.

- Association dite des Croix de Feu et Briscarde.

- Association dite des Fils des Croix de Feu et volontaires nationaux.

Décret du 26 septembre 1939

- Parti du peuple algérien.

Décret du 19 octobre 1939

- Parti national breton.

Décret du 4 janvier 1945

- Association française des propriétaires des biens aryanisés.

- Association des administrateurs provisoires de France.

- Association nationale intercorporative du commerce, de l'industrie et de l'artisanat.

Décret du 13 juin 1945

- Renaissance du foyer français.

- Fédération des locataires de bonne foi.

- Union des commerçants, industriels et artisans français.

Décret du 10 mai 1947

- Parti national malgache.

- Mouvement démocratique de la rénovation malgache à Paris.

- Mouvement démocratique de la rénovation malgache à Tananarive.

- Jeunesse nationaliste.

Décret du 5 mars 1949

- Mouvement socialiste d'unité française.

Décret du 3 mai 1949

- Union réaliste.

Décret du 28 janvier 1950

- Formation Antoine-de-Saint-Exupéry.

Décret du 14 juin 1950

- Association générale des étudiants vietnamiens de France.

Décret du 28 septembre 1950

- Union des Vietnamiens de France.

Décrets du 16 avril 1953

- Association nationale des rapatriés d'Indochine.

- Association France-Vietnam (annulation par un arrêt du Conseil d'Etat du 18 décembre 1957).

Décret du 5 novembre 1954

- Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques.

Décret du 12 septembre 1955

- Parti communiste algérien.

Décret du 29 juin 1957

- Mouvement national algérien.

- Front de libération nationale (FLN).

Décret du 27 janvier 1958

- Union générale des étudiants musulmans algériens.

Décrets du 15 mai 1958

- Front d'action nationale.

- Jeune Nation.

- Phalange française.

- Parti patriote révolutionnaire.

Décret du 3 août 1958

- Amicale générale des travailleurs algériens résidant en France.

Décret du 13 février 1959

- Parti nationaliste.

Décret du 31 mars 1960

- Elsass Lothringische Wehrbund.

Décret du 17 décembre 1960

- Front de l'Algérie française.

Décret du 23 décembre 1960

- Front National pour l'Algérie française.

Décret du 28 avril 1961

- Front National combattant.

Décret du 1er juillet 1961

- Comité d'entente pour l'Algérie française.

Décret du 22 juillet 1961

- Front commun antillo-guyanais.

Décret du 26 juillet 1961

- Mouvement national révolutionnaire.

Décret du 27 novembre 1961

- Comité de Vincennes.

Décret du 7 décembre 1961

- Organisation de l'armée secrète (OAS).

Décret du 20 mars 1962

- Regroupement national.

Décret du 11 septembre 1962

- Comité national de la Résistance.

Décret du 12 juin 1968

- Jeunesse Communiste Révolutionnaire.

- Voix Ouvrière.

- Groupe Révoltes (annulation par un arrêt du Conseil d'Etat du 21 juillet 1970)

- Fédération des étudiants révolutionnaires (annulation par un arrêt du Conseil d'Etat du 21 juillet 1970)

- Comité de liaison des étudiants révolutionnaires.

- Union des jeunesses communistes-marxistes-léninistes.

- Parti communiste internationaliste.

- Parti communiste marxiste-léniniste de France.

- Fédération de la jeunesse révolutionnaire.

- Organisation communiste internationaliste (annulation par un arrêt du Conseil d'Etat du 21 juillet 1970).

- Mouvement du 22 mars.

Décret du 31 octobre 1968

- Occident.

Décret du 27 mai 1970

- Gauche prolétarienne.

Décret du 28 juin 1973

- Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR).

- Ordre nouveau.

Décret du 30 janvier 1974

FLB-ARE, FLB-LNS, FLB-ALB.

FPCL.

ENBATA.

Décret du 27 août 1975

- Action Renaissance Corse.

Décret du 3 septembre 1980

- Fédération d'action nationale et européenne (FANE) (annulation par un arrêt du Conseil d'Etat du 3 octobre 1984)

Décret du 3 août 1982

- Service d'action civique (SAC).

Décret du 24 août 1982

- Action directe.

Décret du 5 janvier 1983

- Front de libération nationale de la Corse (FLNC).

Décret du 27 septembre 1983

- Consulte des comités nationalistes.

Décret du 9 mai 1984

- Alliance révolutionnaire Caraïbe.

Décret du 24 janvier 1985

- Deuxième dissolution de la FANE (annulation par un arrêt du Conseil d'Etat du 26 juin 1987)

Décret du 22 janvier 1987

- Mouvement corse pour l'autodétermination.

Décret du 5 juin 1987

A RISCOSSA.

Décret du 26 juin 1987

- Ahl Elbeit.

Décret du 17 juillet 1987

- Iparretarrak.

Décret du 17 septembre 1987

- Troisième dissolution de la FANE.

Décret du 4 septembre 1993

- Heimattreue Vereinigung Elsass.

Décret du 2 décembre 1993

- Comité du Kurdistan.

Un système de sanctions est également prévu pour que la dissolution d'une association ou d'un groupement soit effective. Les peines figurant aux articles 2 et 3 de la loi du 10 janvier 1936 ont été intégrées dans le nouveau code pénal et actualisées en 1992. Elles relèvent du tribunal correctionnel4.
En application de l'article 431-17 du code pénal, " le fait d'organiser le maintien ou la reconstitution, ouverte ou déguisée, d'un groupe de combat dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 précitée est puni de sept ans d'emprisonnement et de 700 000 francs d'amende ". De même, " le fait de participer au maintien ou à la reconstitution, ouverte ou déguisée, d'une association ou d'un groupement dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende " (article 431-15).
Les sanctions pénales attachées à la méconnaissance de la loi du 10 janvier 1936 ont également été renouvelées à l'occasion de l'élaboration du nouveau code pénal en 1992. Tout d'abord, en application de l'article 431-18 du code pénal, les personnes physiques coupables des infractions d'organisation, de maintien ou de reconstitution d'un groupement dissous peuvent se voir infliger par le tribunal correctionnel les peines complémentaires suivantes : interdiction des droits civiques, civils de famille, diffusion de la décision de justice ou d'un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci et interdiction de séjour pour les personnes de nationalité étrangère.
Quant aux personnes morales, l'article 431-20 du même code permet de les déclarer elles aussi responsables pénalement et de leur infliger des peines d'amende, d'interdiction d'exercice d'une activité professionnelle, de placement sous surveillance judiciaire ou d'interdiction d'émettre des chèques.
Enfin, les personnes physiques ou morales coupables des infractions susmentionnées peuvent se voir confisquer les biens mobiliers et immobiliers appartenant au mouvement dissous, ainsi que les uniformes, insignes, emblèmes, armes et tous matériels utilisés ou destinés à être utilisés par le groupe de combat ou par l'association ou le groupement maintenu ou reconstitué (article 431-21).
c) L'interprétation de la loi du 10 janvier 1936 par le Conseil d'Etat
S'agissant d'un décret du Président de la République, la décision de dissolution administrative d'une association ou d'un groupement de fait peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat. Celui-ci a donc été amené à développer une jurisprudence relativement abondante en la matière, qui permet d'éclairer utilement la Commission dans son analyse.
Avant d'étudier la jurisprudence administrative relative aux différents cas de dissolution prévus par la loi, il convient de rappeler quelles sont les exigences procédurales en la matière.
- La procédure de dissolution
Les décrets de dissolution devaient être signés par le chef de l'Etat sous la IIIème République, et par le Président du Conseil sous la IVème République. En vertu des articles 13 et 19 de la Constitution du 4 octobre 1958, ils doivent désormais être signés par le Président de la République et contresignés par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, seul ministre responsable au sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat5, puisque compétent en matière de maintien de l'ordre public et chargé du contrôle des associations et groupements.
Des garanties procédurales sont accordées à l'association ou au mouvement dissous, dans la mesure où le Conseil d'Etat6 impose que les droits de la défense soient respectés, sauf urgence ou circonstances exceptionnelles. De ce fait, le décret doit être motivé, en application de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, et les dirigeants de l'organisation dont la dissolution est envisagée doivent être en mesure de présenter des observations écrites au Gouvernement, en application de l'article 8 du décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983.
Pour autant, il s'agit d'un acte discrétionnaire du pouvoir exécutif seul. Celui-ci peut s'appuyer sur les conclusions d'une commission d'enquête parlementaire pour motiver un décret de dissolution7. Le Conseil d'Etat se limite à un contrôle normal de la qualification juridique des faits, sans exercer le plein contrôle de proportionnalité auquel il soumet en principe les mesures administratives de police. Le Gouvernement apprécie seul l'opportunité de proposer au Président de la République la dissolution d'un groupement ou d'une association, et il n'est pas obligé de le faire même si les conditions prévues par la loi sont réunies8.
- Les conditions d'une dissolution administrative
Il faut d'abord préciser que la loi vise à la fois les associations et les groupements de fait. Le DPS relève de cette deuxième catégorie puisqu'il n'a pas d'autonomie juridique ni de statut mais dépend de l'association Front National. M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur, a considéré qu'il s'agissait là d'un problème réel mais non infranchissable. " Les dissolutions auxquelles il a été procédé jusqu'alors ont visé des organisations prises dans leur ensemble et pour lesquelles, dans la totalité des cas, un service d'ordre éventuellement très musclé n'était pas séparable du reste de l'organisation. J'en veux pour preuve la dissolution par un décret du même jour de la Ligue communiste et d'Ordre nouveau. " Cela ne semble cependant pas constituer un problème pour le juge administratif, qui a déjà été amené à valider des dissolutions de groupements de fait9.
· S'agissant de la provocation à des manifestations armées dans la rue (1°), il suffit qu'il y ait incitation par diffusion de tracts et de journaux, indépendamment de tout début d'exécution. Il suffit de ne pas rejeter la possibilité de recourir à la force pour encourir la dissolution10. De la même façon, il n'y a pas lieu de tenir compte des instructions criminelles passées ou en cours11. En effet, selon le commissaire du Gouvernement Bruno Genevois dans l'affaire du SAC12, les actions de violence criminelle
- comme la tuerie d'Auriol en 1982 - n'entrent pas dans le champ d'application de la loi du 10 janvier 1936. A contrario donc, il n'est pas nécessaire qu'un meurtre soit commis pour pouvoir dissoudre un groupement.
· Pour la définition des associations ou groupements de fait qui présentent, par leur forme et leur organisation militaire, le caractère d'un groupe de combat ou d'une milice privée (2°), plusieurs critères doivent être pris en compte. Il existe toutefois quelque difficulté pour apprécier juridiquement ces critères, compte tenu de l'imprécision des termes mêmes de la loi.
Dans le contexte des années 1930, le commissaire du Gouvernement Detton a défini les ligues comme des groupes de combat au motif qu'il s'agissait de " formations hiérarchisées, encadrées, soumises à une rigoureuse discipline, à des exercices de rassemblement ; dès lors que leur organisation et leur entraînement tendent à les rendre aptes à des coups de main, ne serait-ce que de stricte défense, on est en présence pour le moins d'une milice privée au sens de la loi de 1936. Peu importe l'absence d'armes, ce qui importe, c'est l'organisation, l'entraînement et l'esprit "13.
Le commissaire du Gouvernement Bruno Genevois a proposé au Conseil d'Etat de reprendre cette définition en 1985, tout en l'adaptant à l'époque contemporaine qui est assurément moins ostensiblement paramilitaire. S'agissant du SAC, il considère que sont présents la hiérarchie, l'encadrement, la discipline et l'aptitude aux coups de main, mais que font défaut et l'entraînement régulier des membres et la pratique des rassemblements. Pour autant il conclut, suivi en cela par le Conseil d'Etat, que cette différence quant aux aspects extérieurs de l'organisation ne conduit pas à lui dénier le caractère d'une milice privée, en raison de ses structures, de ses méthodes, de ses valeurs et de son recrutement14.
Analysant la jurisprudence du Conseil d'Etat en se présentant lui-même comme un gardien de la liberté d'association, M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur et à ce titre chargé de la préparation de tout décret de dissolution, a estimé qu'il fallait la réunion de quatre critères cumulatifs pour pouvoir caractériser un groupe de combat. " Le juge administratif a défini quatre critères cumulatifs, à ses yeux nécessaires pour permettre à l'autorité administrative d'utiliser l'arme de la dissolution. Le premier de ces critères est l'organisation de l'association ou du groupement de fait qui doit être solidement hiérarchisé - cela va de soi. Le deuxième est une discipline extrêmement stricte des membres de l'association ou du groupement, assortie de sanctions très sévères et quasiment automatiques. Selon la troisième condition, les membres de l'association doivent être soumis à un entraînement régulier, périodique, organisé et, pour tout dire, proche de l'entraînement militaire. Le quatrième et dernier critère, qui figure déjà dans la décision "Croix de Feu", tient dans l'intention belliqueuse des responsables de l'association. "
S'interrogeant sur la pertinence d'une telle analyse, la Commission a souhaité obtenir le point de vue d'un juriste totalement indépendant. M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne, n'a pas confirmé l'exigence de quatre critères cumulatifs. Il a en effet indiqué que " l'analyse de la jurisprudence montre que la méthode retenue est celle du faisceau d'indices. Ainsi, et pour schématiser, la présence d'un seul critère ne suffit pas, mais la réunion de tous les critères n'est pas nécessairement exigée ".
Il semble bien que le Conseil d'Etat ait adopté, au fil de ses décisions, une attitude assez pragmatique pour caractériser un groupe de combat ou une milice privée, compte tenu du caractère particulier de chaque mouvement en cause. Les indices du caractère paramilitaire de l'association sont recherchés au niveau de son organisation interne (obéissance et discipline de ses membres), de son recrutement, de son entraînement et de ses activités (intentions belliqueuses). A cet égard d'ailleurs, il faut préciser qu'il suffit que l'organisation soit " apte à des actions de commando "15 ou à des coups de main, indépendamment du passage à l'acte : comme l'a si bien indiqué le commissaire du Gouvernement Detton, " qui dit défense dit combat "16.
· Le critère de l'atteinte à l'intégrité du territoire national (3°) a permis quant à lui de justifier la dissolution de multiples mouvements indépendantistes à l'époque de la décolonisation ou régionalistes aujourd'hui. Le Conseil d'Etat a considéré que la prise en compte du seul programme de l'organisation en cause est suffisant, indépendamment de tout acte d'exécution17.
· L'intention de porter atteinte par la force à la forme républicaine du Gouvernement18 (3°) suffit également, sans qu'il y ait eu un début d'exécution. Le but seul ne suffit pas, il faut qu'il y ait au moins intention d'utiliser la force. Il peut s'agir d'une action en faveur du rétablissement de la monarchie19 ou de l'instauration d'une dictature20. Par contre, le seul refus du pluralisme démocratique ne semble pas correspondre au motif visé par la loi.
· Les dispositions visant à dissoudre les groupements politiques dont l'activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine (4°) ou ceux exaltant la collaboration (5°) s'inscrivent dans le contexte très particulier de l'après-guerre. Le Conseil d'Etat a toutefois été amené à considérer qu'elles sont toujours applicables21. Elles ont d'ailleurs servi de fondement au décret du 2 septembre 1993 qui a dissous le groupement de fait Heimattreue Vereinigung Elsass (HVE), au motif qu'il avait participé à des activités pronazies célébrant les " combattants européens " sous l'uniforme allemand de la dernière guerre et à des rencontres avec d'anciens SS français.
· Le motif de dissolution pour incitation au racisme (6°) a été mis en _uvre à l'encontre d'Ordre nouveau, de la FANE et du HVE. On doit toutefois rappeler que selon M. Michaël Darmon, journaliste à France 2 qui a vu les membres du DPS à l'_uvre notamment à Montceau-les-Mines, " je n'ai pas entendu de propos antisémites, racistes ou xénophobes, pour la seule bonne raison que les membres du DPS se vivent comme une élite. [...] Je fréquente les réunions du Front National depuis trois ans, et je puis vous affirmer que les remarques racistes qui peuvent fuser ne viennent jamais des membres du DPS ".
· Enfin, les actes de terrorisme (7°) sont aussi en eux-mêmes susceptibles de justifier une dissolution administrative. Ce fondement a déjà été utilisé pour dissoudre l'organisation indépendantiste basque Iparretarak et le Comité du Kurdistan. Dans ce cas, en vertu de la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme, les sanctions applicables au groupement dissous sont plus importantes car elles relèvent alors du régime des actes de terrorisme22.
3.- Les autres sanctions pénales applicables
Le DPS peut également tomber sous le coup de plusieurs dispositions spécifiques du nouveau code pénal.
a) La définition pénale des groupes de combat
Le nouveau code pénal, promulgué le 22 juillet 1992 et entré en vigueur le 1er mars 1994, a introduit une innovation importante en créant une incrimination spécifique pour une catégorie particulière de mouvement mentionnée par la loi du 10 janvier 1936, les groupes de combat.
En vertu de l'article 431-13 du nouveau code pénal, " constitue un groupe de combat, en dehors des cas prévus par la loi [à savoir la loi du 10 janvier 1936], tout groupement de personnes détenant ou ayant accès à des armes, doté d'une organisation hiérarchisée et susceptible de troubler l'ordre public ". Autrement dit, pour être ainsi qualifié, un mouvement doit satisfaire cumulativement quatre conditions : constituer un groupement, détenir des armes ou y avoir accès, avoir une organisation hiérarchisée et représenter une menace pour l'ordre public. Il faut relever que cette nouvelle définition législative du groupe de combat, au plan pénal, ne recoupe pas complètement la définition issue de la jurisprudence du Conseil d'Etat afférente à la loi du 10 janvier 193623. Il semble évident que le juge judiciaire appréciera ce faisceau de critères à l'aune de la jurisprudence déjà existante.
En application de l'article 431-16 du même code, " le fait d'organiser un groupe de combat est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 francs d'amende ". Selon l'article 431-14, " le fait de participer à un groupe de combat est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende ". Ainsi, le seul fait d'organiser un groupe de combat ou d'y participer est pénalement sanctionné, même si ce mouvement n'a pas été dissous au préalable.
A l'occasion de l'élaboration du nouveau code pénal en 1992, le législateur a en effet souhaité créer une nouvelle infraction de participation et d'organisation d'un groupe de combat car il a considéré que les groupes de combat présentent une particulière gravité justifiant qu'ils fassent l'objet d'une répression spécifique par rapport aux autres associations ou groupements dont la loi du 10 janvier 1936 permet la dissolution.
Dans ce cas, les tribunaux correctionnels et non l'autorité administrative sont compétents. Ainsi que l'a indiqué le rapporteur du projet de loi, M. François Colcombet, il s'agit ainsi de conférer à l'autorité judiciaire " un pouvoir que l'autorité administrative n'est pas toujours, pour des raisons politiques, en mesure d'utiliser "24. Pour autant, toujours selon le rapporteur, " il n'est pas question de pénaliser le service d'ordre d'un parti politique ou l'encadrement traditionnel de certaines manifestations sportives. Il faut donc déterminer clairement quels sont les éléments constitutifs de l'infraction. L'élément le plus important, bien entendu, c'est la menace pour l'ordre public "25.
b) L'arrestation arbitraire
Selon l'article 224-1 du code pénal, " le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d'arrêter, d'enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle. [...] Toutefois, si la personne détenue ou séquestrée est libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension, la peine est de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 francs d'amende ".
On peut ici penser aux événements de Carpentras le 11 novembre 1995 ou d'Ostwald le 30 mars 1997, lorsque des membres du DPS ont arrêté des contre-manifestants, ou tout simplement des personnes qui passaient, les privant de leur liberté d'aller et venir.
c) L'usurpation de fonction
L'article 433-12 du code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende " le fait, par toute personne agissant sans titre, de s'immiscer dans l'exercice d'une fonction publique en accomplissant l'un des actes réservés au titulaire de cette fonction. "
Mais l'apparence suffit pour caractériser une sanction pénale en la matière. Selon l'article 433-13, " est puni d'un an d'emprisonnement de 100 000 francs d'amende le fait par toute personne :
1° D'exercer une activité dans des conditions de nature à créer dans l'esprit du public une confusion avec l'exercice d'une fonction publique ou d'une activité réservée aux officiers publics ministériels ;
" 2° D'user de documents ou d'écrits présentant, avec des actes judiciaires ou extrajudiciaires ou avec des documents administratifs, une ressemblance de nature à provoquer une méprise dans l'esprit du public. "
Là encore, les événements de Strasbourg et de Carpentras peuvent servir d'illustration de ce qu'il ne faut pas faire. De la même manière, il a été souvent constaté de la part de membres du DPS la volonté d'entretenir une certaine ambiguïté sur leur appartenance au service de protection des hautes personnalités (SPHP), dont un seul fonctionnaire de police est chargé de la sécurité de M. Jean-Marie Le Pen et de M. Bruno Mégret.
On peut aussi rappeler qu'il est de jurisprudence constante, selon la Cour de cassation, que le délit d'immixtion dans une fonction publique peut résulter d'un ensemble de faits qui, sans être des actes déterminés et caractéristiques de la fonction, constituent des man_uvres et une mise en scène de nature à faire croire au pouvoir du fonctionnaire prétendu. Il en a ainsi été fait application à une personne qui, vigile de nuit et revêtue d'une tenue à peu près semblable à celle des agents de police, se livrait à un contrôle de pièces d'identité rappelant plus ou moins un contrôle officiel26.
d) L'usurpation d'uniforme
En plus du délit traditionnel d'usurpation d'uniforme figurant à l'article 433-14 du code pénal, l'article 433-15 punit de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende " le fait, par toute personne, publiquement, de porter un costume ou un uniforme, d'utiliser un véhicule, ou de faire usage d'un insigne ou d'un document présentant, avec les costumes, uniformes, véhicules, insignes ou documents distinctifs réservés aux fonctionnaires de la police nationale ou aux militaires, une ressemblance de nature à causer une méprise dans l'esprit du public ".
L'infraction pénale dont il est question est caractérisée même en l'absence de similitude avec un signe ou un uniforme réglementé par l'autorité publique. Il suffit que le public n'ait pas vu manifestement la différence. Il semble précisément que tel était le cas à Montceau-les-Mines, les contre-manifestants prenant les membres du DPS en tenue n° 2 bis pour des gendarmes mobiles en action.
b.- un climat délétère : l'attitude des pouvoirs publics vis-a-vis du dps a t-elle été adaptée ?
En dépit de l'existence d'un arsenal juridique important, les pouvoirs publics, tant exécutif que judiciaire semblent avoir fait preuve d'un certain désintérêt, voire même, dans certains cas, d'une indulgence coupable à l'égard du DPS.
Nul ne peut nier pourtant le climat délétère que suscitent les incidents dans lesquels le DPS a été directement mis en cause ainsi que les affaires de droit commun dans lesquelles apparaissent certains de ses membres, à des titres divers.
1. Un climat délétère dans le sillage du DPS
Si, à eux seuls, les multiples incidents mettant en cause le DPS27 prouvent amplement les germes délétères dont cette organisation est porteuse pour la tranquillité de l'ordre public, votre rapporteur souhaite également rappeler les affaires criminelles de droit commun dans lesquelles apparaissent des membres du DPS.
a) Des militants niçois du DPS parmi les auteurs de vols à main armée
Le 13 février 1999, un restaurant Mac Donald's de Reims est attaqué par trois hommes, qui se font remettre la caisse de l'établissement. Entreprises conjointement par les services de police judiciaire de Nice et de Reims, les investigations ont mené, dès le 14 février 1999, à l'interpellation de trois individus. En vertu de l'article 6-1 de l'ordonnance organique du 17 novembre 1958, la Commission n'a pas enquêté sur ces faits, qui font l'objet d'une information judiciaire et qu'elle se contente, de ce fait, de mentionner. Il convient de souligner toutefois que, parmi les trois personnes interpellées, deux ont des liens établis avec le DPS. Le premier est adhérent du Front National et membre du DPS des Alpes-Maritimes. Le second, délinquant de droit commun multirécidiviste et néo-nazi convaincu, a occasionnellement prêté main forte au Front National, notamment à l'occasion de missions de protection et de sécurité. Il avait d'ailleurs fait l'objet d'une interpellation lors des incidents qui avaient émaillé le défilé du Front National, le 1er mai 1993.
Il faut souligner enfin que l'enquête sur cet acte motivé, semble-t-il, par des considérations d'ordre crapuleux, a conduit les enquêteurs à faire le rapprochement avec d'autres vols à main armée et à appréhender un quatrième suspect, militant nationaliste révolutionnaire, membre du DPS, déjà signalé dans le cadre de rixes à caractère raciste.
b) Le meurtre de Brahim Bouarram : le rôle ambigu du DPS
Le 1er mai 1995, un jeune marocain, Brahim Bouarram est jeté dans la Seine et meurt noyé, alors qu'à quelques mètres de là, se déroule le traditionnel défilé du Front National.
Le directeur national du DPS, M. Bernard Courcelle, fait alors procéder à une enquête interne et décide de coopérer avec la brigade criminelle. Comment expliquer cette attitude ? D'après MM. Michaël Darmon et Romain Rosso, qui s'appuient eux-mêmes sur un article de L'Evénement du Jeudi du 18 mai 1995, c'est M. Bruno Mégret qui plaide en faveur d'une collaboration totale avec la police. M. Bernard Courcelle lui-même y voit l'occasion de mettre en _uvre le " nettoyage " qu'il appelle de ses v_ux au Front National en débarrassant celui-ci des skinheads.
La coopération de M. Bernard Courcelle avec les forces de police a, indéniablement, été efficace : celui-ci a fourni aux enquêteurs des indications qui, ajoutées à celles communiquées par les renseignements généraux, leur ont permis d'identifier l'auteur des faits et les individus qui l'accompagnaient. Devant la Cour d'assises de Paris, deux fonctionnaires de la brigade criminelle, entendus comme témoins, ont, d'ailleurs confirmé à la barre que les informations transmises par M. Bernard Courcelle avaient contribué à l'identification du meurtrier, M. Mickaël Fréminet.
Plus encore, l'attitude de M. Bernard Courcelle dans cette enquête lui a valu des démêlés sérieux avec la frange radicale de l'extrême-droite, notamment skinhead. L'ancien directeur national du DPS déclare ainsi avoir été victime d'une action de représailles, le 23 septembre 1995 : ce jour-là, à Saint-Cloud, des coups de feu sont tirés dans sa direction et deux balles de calibre 12 auraient atteint le pare-brise du véhicule qu'il regagnait. Ces faits, qui ont fait l'objet d'une enquête du SDPJ 92, ont été évoqués par l'intéressé lui-même devant la Cour d'assises de Paris, à l'occasion du procès de M. Mickaël Fréminet.
En dépit de ces éléments qui semblent dédouaner le DPS et le Front National du crime commis le 1er mai 1995, on ne peut manquer de s'interroger sur les liens existants entre les criminels et le DPS. Selon M. Bernard Courcelle, le DPS n'est nullement impliqué dans cette affaire : interrogé sur la manière dont ont été remplis les cars du Front National à Reims, dans lesquels étaient montés, au matin du 1er mai, les trois inculpés, M. Bernard Courcelle avait répondu au cours du procès qu'on ne pouvait " pas faire du délit de sale gueule en permanence ". De même, assurait-il qu'on ne pouvait " pas être derrière chaque personne. Notre rôle, c'est de veiller à la sécurité des manifestants et d'empêcher l'entrée d'éléments extérieurs ". Pendant le défilé lui-même, " on ne peut pas mettre un DPS tous les deux mètres ". Si M. Bernard Courcelle n'admet aucune faille dans le dispositif DPS, la Commission s'interroge néanmoins sur le fait que le service d'ordre du Front National, dont le responsable souligne à l'envi l'importance de la mission de protection des militants, ait laissé s'infiltrer dans la manifestation ces jeunes qui, durant le trajet entre Reims et Paris, s'abreuvent de bière. " Ce n'est pas de mon ressort ", a affirmé M. Bernard Courcelle, considérant que " ce geste malheureux est la conséquence d'une beuverie qui a mal tourné "...
Plus encore que cette défaillance du service d'ordre du Front National, ce sont les liens ambigus du meurtrier et des personnes qui l'accompagnaient avec le DPS qui retiennent l'attention de la Commission. M. Bernard Courcelle a nié farouchement tout lien en ce domaine lors du procès : " il ne pouvait y avoir de skinheads recrutés par le Front National pour assurer le service d'ordre ". Pourquoi, dans ces conditions, deux au moins des accusés, MM. David Halbin et Christophe Calame, ont-ils affirmé avoir participé à plusieurs reprises au service d'ordre du Front National ? Ainsi, M. David Halbin a affirmé avoir fait des surveillances de nuit lors de la fête des " Bleu Blanc Rouge " en 1994. " On m'avait même fourni un fusil chargé avec des balles en caoutchouc ", a-t-il ajouté à son procès. Quant à M. Christophe Calame, il dit avoir été recruté à trois reprises par l'_uvre Française pour des manifestations frontistes : " nous n'avions pas de badge, car nous étions des personnes camouflées que le Front National cache ". Sur ce point, M. David Halbin a, d'ailleurs, affirmé avoir été prié, dès le 2 mai, par M. Alain Mangin, secrétaire départemental du Front National pour la Marne à l'époque des faits, auquel il avait dit avoir " vu des hommes jeter un Arabe à l'eau ", de déchirer sa carte d'adhérent du Front National et de se débarrasser de toute documentation relative au mouvement. Niant en bloc ces aveux, qu'il qualifia de " désinformation " et d'amalgame " monstrueux et mensonger ", M. Bernard Courcelle s'est d'ailleurs appuyé sur ces éléments de preuve matériels pour réfuter les accusations de collusion entre DPS et skinheads : " Qu'on me montre les numéros de badge, les fiches d'inscription avec leurs noms ". Tout en ajoutant qu'" il est probable qu'ils aient accompagné des membres du service d'ordre, mais pas en tant que DPS ".
C'est précisément ce dernier élément qui conduit la Commission à s'interroger sur le rôle ambigu du DPS dans le meurtre de Brahim Bouarram : M. Bernard Courcelle a sans nul doute fait progresser l'enquête - quoique, à quelques heures près, les renseignements généraux apportaient, eux aussi, aux enquêteurs, le nom des suspects -, mais avant tout parce qu'il connaissait très bien les pistes qu'il fallait suivre. Au-delà de la question délicate des frontières du DPS, sur laquelle la notion de " supplétif " incite à s'interroger, au-delà du fait que cette affaire met en lumière l'efficacité du DPS en matière de renseignement interne, le meurtre de Brahim Bouarram souligne les connivences malsaines entre le DPS et les franges les plus radicales de l'extrême-droite.
c) La mort de Jean-Claude Poulet-Dachary : une piste DPS ?
La commission d'enquête n'entend nullement s'immiscer dans une instruction judiciaire toujours en cours, la mort de Jean-Claude Poulet-Dachary, neuvième adjoint au maire de Toulon, le 29 août 1995, n'ayant toujours pas été élucidée.
Elle rappelle seulement que, dans le cadre de l'enquête menée par le juge toulonnais, M. Jean-Luc Tournier, le DPS serait apparu à plusieurs reprises, d'après les informations recueillies par Le Monde28 :
- le 14 décembre 1995, cinq membres du DPS, dont le responsable local, M. Gaby del Puerto, sont auditionnés après perquisition par la police judiciaire. Chez l'un d'eux, également chauffeur de M. Jean-Marie Le Chevallier, maire de Toulon, deux pistolets automatiques et un fusil sont saisis. Les perquisitions menées chez M. Gaby del Puerto se révèlent, en revanche, infructueuses ;
- la piste du DPS réapparaît au début de l'année 1998 : à cette époque, le juge Tournier recueille des éléments nouveaux, après l'audition de la s_ur du défunt, d'un ancien membre influent du Front National et d'un ancien responsable du DPS. Ce dernier " l'avait orienté alors vers une piste interne impliquant des toulonnais sympathisants du parti d'extrême-droite " ;
- le 9 juin 1998, les gendarmes de la brigade de recherche de Toulon, agissant sur commission rogatoire du magistrat précité, effectuent des perquisitions au domicile de trois membres du DPS, dont deux ont déjà été perquisitionnés le 14 décembre 1995. Chez le troisième, sont saisis deux pistolets mitrailleurs, deux pistolets automatiques, un fusil de guerre, un important lot de munitions, des revues à caractère révisionniste ainsi qu'un fichier de sympathisants du Front National. Le propriétaire de ces armes a, d'ailleurs, été mis en examen pour détention d'armes illicites.
Lors de son audition, M. Guy Konopnicki, journaliste à L'Evénement du Jeudi, a souligné qu'aucun procès ne lui avait été fait par le Front National pour avoir écrit dans l'ouvrage qu'il consacre à ce parti, " Les filières noires ", que cet assassinat ressemblait étrangement au scénario de la nuit des longs couteaux, " c'est-à-dire qu'un homme, ayant servi le Front National dans l'opposition, devient pour des raisons qui tiennent à la vie privée, un gêneur à partir du moment où M. Jean-Marie Le Chevallier devient respectable et maire de Toulon ". Ce même témoin a estimé, en outre, que, parmi toutes les pistes envisagées dans l'enquête sur cet assassinat, " la seule qui donnait comme un frémissement dans l'enquête, était la piste DPS ".
d) Le meurtre d'Ibrahim Ali : les meurtriers, des militants Front National colleurs d'affiches
Le DPS n'a pas été mis en cause dans le meurtre d'un jeune lycéen marseillais d'origine comorienne, le 21 février 1995.
La Commission note toutefois que les trois personnes incriminées et condamnées dans cette affaire, militants du Front National, avaient un rapport aux armes tout à fait particulier, à l'image de nombreux membres du DPS. Outre le fait que plusieurs armes ont été trouvées à leur domicile
- 3 000 balles sont découvertes chez le meurtrier, M. Robert Lagier -, ils sont armés, en possession de balles creuses, quand ils viennent surveiller les affiches qu'ils ont collées, un soir de février 1995.
La Commission relève en outre que le lendemain, l'un des hommes impliqués dans cette affaire, M. Pierre Giglio, " arrive effondré chez M. Jean-Pierre Baumann, patron du 8ème secteur du FN à Marseille, qu'il croit toujours avocat mais qui est devenu expert-comptable "29. Non seulement ce dernier l'abrite chez lui, mais il alerte en outre son supérieur au Front National, le DPS et le président du Front National lui-même.
Au vu de ces éléments, la Commission est donc conduite à se poser un certain nombre de questions : pourquoi le DPS est-il prévenu des faits commis ? Les militants du Front National condamnés dans cette affaire ont-ils, sans en être formellement membres, " donné un coup de main au DPS ", de manière occasionnelle ? Il faut, enfin, rappeler que, parmi les missions du DPS, figure la protection du collage d'affiches, qu'ont de fait, assurée MM. Robert Lagier, Pierre Giglio et Mario d'Ambrosio.
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En revenant sur ces différentes affaires qui, sans concerner directement le service d'ordre du Front National, le font apparaître, de manière floue, en toile de fond, la Commission souhaite insister sur le climat délétère dont est porteur le DPS. Sans doute le DPS n'apparaît pas formellement dans les décisions pénales évoquées, d'autant moins que les jugements rendus en cours d'assises ne sont pas motivés. Pour autant, la Commission entend fermement dénoncer les " valeurs " - autodéfense, racisme... - dont les personnes liées au DPS se sont faites les porte-parole. Car il est clair que le DPS est, dans une certaine mesure, " emblématique du projet de société que souhaite développer le Front National : une société ultra-sécuritaire ", très contrôlée, " fliquée " (M. Romain Rosso, journaliste à l'Express).
2. L'attitude des pouvoirs publics : entre laxisme et indulgence
Soucieuse d'examiner les réponses apportées par le pouvoir public aux agissements du DPS, la Commission a auditionné de nombreux responsables administratifs et acteurs sociaux, ainsi que les autorités politiques concernées. Elle a étudié plus spécifiquement cinq secteurs de l'action administrative : la police nationale, la police municipale, l'armée, l'institution préfectorale et l'autorité judiciaire.
a) La police nationale face au DPS : des relations ambiguës
Le DPS ne saurait laisser indifférente l'institution civile responsable du maintien de l'ordre. Tel est d'ailleurs le message qu'ont fait passer l'ensemble des syndicats de policiers auditionnés, quelle que soit la catégorie qu'ils représentent, à l'exception prévisible de la Fédération Professionnelle Indépendante de la Police (FPIP). La confusion entretenue par les membres du DPS, tant en matière de police judiciaire que dans le domaine du maintien de l'ordre, a été vivement dénoncée comme contraire à nos institutions républicaines. Ce sentiment, exprimé avec force par l'UNSA Police (Union nationale des syndicats autonomes de la police), Alliance, le SGP (syndicat général de la police), le SNOP (syndicat national des officiers de police), Synergie officiers ainsi que par le syndicat des commissaires de police et des hauts fonctionnaires de la police nationale, les honore.
Néanmoins, les auditions des représentants des syndicats de policiers laissent aux membres de la commission d'enquête une impression mitigée : hormis la Fédération Professionnelle indépendante de la Police (FPIP), tous ont dénoncé les activités du DPS, avec une fermeté et une sincérité qu'on ne peut mettre en doute. Fait étonnant, ils n'ont pas été pour autant en mesure de fournir à la Commission des indications précises sur les activités de ce service d'ordre : comment expliquer le décalage entre cette très forte réaction des syndicats à l'égard d'un service d'ordre dont ils sont allés, pour certains, jusqu'à demander la dissolution et dont ils dénoncent tous la confusion avec les forces de l'ordre, et l'absence totale de remontée d'informations des sections syndicales, y compris dans les municipalités dirigées par le Front National ? Les responsables ont eux-mêmes souligné ce fait, souvent pour le regretter :
- " Il faut cependant avouer que, sur le DPS, nous manquons singulièrement d'informations, probablement parce qu'au sein des services de police, on n'a pas très souvent procédé à l'interpellation de ses membres lorsqu'ils exerçaient leurs activités sur la voie publique " (M. Gérard Boyer, secrétaire général du syndicat Alliance) ;
- " Comme vous, je suis très surpris qu'aucune information ne soit remontée, y compris avant que je ne sois en exercice. [...] Personnellement, je peux vous garantir que Marc Asset et moi-même avons fait le tour de nos sections et je regrette que rien ne remonte. Est-ce par ignorance des faits ? Permettez-moi d'en douter ! Je crains plutôt que l'on ne nous cache les faits, par facilité et pour n'avoir pas à en répondre " (M. Gérald Noulé, secrétaire général du syndicat national des policiers en tenue) ;
- " J'ai sondé l'ensemble de mes sections départementales pour voir si de tels faits ne s'étaient pas produits ici ou là, mais rien ne m'est remonté même si, je le précise, notre organisation est relativement bien structurée au niveau national : elle compte 800 sections syndicales, ce qui nous donne l'opportunité d'obtenir des renseignements. Or, je n'en ai pas d'autres que ceux que j'ai pu recueillir dans la presse " (M. Gérald Noulé, secrétaire général du syndicat national des policiers en tenue).
La méconnaissance des membres de la police nationale ne laisse pas de surprendre, d'autant que, sur le terrain, les forces de l'ordre ont été au contact du DPS à l'occasion de manifestations du Front National. Mme Christiane Chombeau, journaliste au Monde, relate ainsi la proximité qu'elle a pu observer, à Dreux, à l'occasion d'une contre-manifestation d'opposants du Front National, lors du premier tour des élections municipales partielles le 17 novembre 1996 : " Une manifestation pacifique anti-Front National avait lieu devant la mairie. Les forces de l'ordre se sont positionnées entre l'entrée et les manifestants afin d'éviter les heurts. Mais, fait choquant, juste derrière ce cordon des forces de l'ordre, se tenaient les membres du service d'ordre du Front National, casqués, prêts à intervenir. Ils étaient véritablement mêlés ".
Cette proximité ambiguë conduit à s'intéresser aux capillarités éventuelles entre la police nationale et le DPS. Car, à l'évidence, la question se pose, ne serait-ce qu'en raison de l'existence d'un syndicat d'extrême-droite, la FPIP, qui a obtenu plus de 10 % (10,41 %) des voix pour le corps des gardiens de la paix aux dernières élections professionnelles de la police de 1998. Sans doute ne s'agit-il que d'un phénomène minoritaire ; mais il n'est pas marginal, ni en reflux : " si le Front National Police avait été légalisé aux élections de 1998, on pouvait craindre une explosion du vote d'extrême-droite dans les rangs de la police nationale. Nous nous sommes finalement réjouis - peut-on parler ainsi ? - que l'interdiction du Front National Police ait limité à 10 % le vote d'extrême-droite reporté sur la FPIP en 1998. Encore faut-il préciser que le taux de participation a singulièrement augmenté entre 1995 et 1998. Ainsi, les 10 % obtenus par la FPIP en 1998 correspondent à quelques voix près aux 15 % de l'extrême-droite en 1995. C'est donc un vote qui n'a ni progressé, ni diminué " (M. André-Michel Ventre, secrétaire général du syndicat des commissaires de police et des hauts fonctionnaires de la police nationale). On notera que ce vote concerne essentiellement le corps de maîtrise et d'application de la police nationale, la FPIP n'enregistrant même pas 1 % des voix dans le corps des officiers.
Le syndicalisme policier d'extrême-droite, s'il est, aujourd'hui, représenté par la FPIP, a connu, durant ces dernières années, une histoire chaotique : après la dissolution du Front National de la Police (FNP) par jugement du tribunal de grande instance d'Evry en date du 10 mars 199730, motivée par le fait que le FNP n'était qu'une émanation du Front National, est apparu un autre syndicat concurrent de la FPIP, Solidarité police. Ce dernier a aujourd'hui disparu. M. Gérard Boyer a toutefois signalé à la Commission la réapparition d'associations proches de l'extrême-droite, que l'on peut observer depuis la fin de l'année 1998 : " on voit poindre aujourd'hui [...] les Amis de la police nationale. [...] Qu'il s'agisse des Amis de la police nationale ou des amis du FNP, ils se manifestent par des tracts distribués dans les boîtes aux lettres [...] Plus précisément, ces tracts sont distribués dans les boites aux lettres de particuliers de la région de Perpignan. [...] Les Amis du FNP sont constitués en association loi 1901 dont le siège social est à Brunoy où était également situé le siège du FNP, puis, par la suite, celui de Solidarité police. En outre, Brunoy était la ville où résidait M. Jean-Paul Laurendeau qui est un des responsables du Front National ".
Ni le directeur général de la police nationale, M. Didier Cultiaux, ni les membres de cette institution n'ont nié le poids de l'extrême-droite dans la police nationale : " Nous voyons bien - je l'ai relevé lors de campagnes d'affichage, dans des commissariats, faits que j'ai dénoncés, interdits et auxquels j'ai mis fin - qu'il y a de véritables éléments de provocation et, manifestement, une connivence entre la FPIP et le Front National ". Certains faits particuliers ont été portés à la connaissance de la Commission : en 1994, M. Jean-Paul Laurendeau a abandonné son véhicule administratif, avec, à son bord, deux jeunes stagiaires de la police, au voisinage de la pelouse de Reuilly où se tenait la fête " Bleu Blanc Rouge ". Le cas de M. Frédéric Jamet, ancien responsable du Front National de la Police, a également été évoqué à maintes reprises, tout comme le fait qu'un CRS ait salué avec enthousiasme Mme Catherine Mégret lors du congrès du Front National à Strasbourg en mars 1997.
Préoccupant, cet entrisme l'est d'autant plus qu'il semble avoir été relativement toléré - certes comme un fait minoritaire - au sein de la police nationale. La Commission s'interroge notamment sur la faiblesse des sanctions disciplinaires appliquées à ces fonctionnaires qui faillissent à leur obligation de neutralité. A cet égard, elle regrette de n'avoir pu obtenir les rapports d'enquête et les enquêtes de commandement diligentées par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur ce sujet, le directeur de cet organisme ayant même estimé qu'il n'avait rien à dire à la Commission si celle-ci décidait de le convoquer pour une audition. Car, si les décisions prises en conseil de discipline permettent d'avoir une image de l'entrisme de l'extrême-droite au sein de la police nationale, celle-ci est cependant tronquée, toutes les procédures ne conduisant pas nécessairement à la tenue d'un conseil de discipline. La Commission ne souscrit donc nullement à l'analyse avancée par le directeur général de la police nationale, en défense de l'attitude de l'IGPN, selon laquelle " il existe un mythe de l'IGPN en la matière : ce qui importe, c'est la tenue d'un conseil de discipline ". Les quelques éléments qu'elle a pu recueillir en ce domaine la laissent extrêmement perplexe, voire inquiète :
- dans le cas de M. Jean-Paul Laurendeau, il n'a pas été donné suite à la demande de traduction devant le conseil de discipline faite par M. Gérard Boyer, secrétaire général du syndicat Alliance. D'après M. Joaquin Masanet, secrétaire général de l'Union nationale des syndicats autonomes de la police, une procédure a bel et bien existé ; cependant le fait que M. Jean-Paul Laurendeau s'était rendu à une réunion politique du Front National ne figurait pas sur le compte rendu signé du directeur de service ;
- le CRS, pris en flagrant délit de violation de son devoir de neutralité à Strasbourg, membre de la CRS 23, a été exclu du Syndicat national indépendant et professionnel des CRS et sanctionné par une peine d'exclusion de deux mois, alors que sa révocation avait été demandée par le responsable du syndicat dont il était membre, M. Joaquin Masanet ;
- M. Philippe Bitauld a fait l'objet d'une enquête administrative pour avoir participé à une manifestation interdite, le 17 juin 1991, à l'occasion de la mort d'une femme policier. Révoqué de la police nationale en 1991, il a été réintégré en 1995 et siège aujourd'hui, au titre de président de la FPIP, dans les instances paritaires de la police nationale.
Dans les cas qui ne relèvent pas de sanctions disciplinaires, un laxisme tout aussi inquiétant a pu être observé. C'est M. Frédéric Jamet, qui, à la dissolution du FNP, obtient un reclassement de choix, comme l'a souligné devant la Commission, M. Bruno Beschizza, président du syndicat Synergie officiers, : " M. Frédéric Jamet a, en effet, été reclassé dans un service dit "d'élite", un office central, c'est-à-dire dans un service de pointe, qui touche des domaines financiers importants puisqu'il traite de grosses affaires de stupéfiants ". Il s'agit en l'occurrence de l'office central des stupéfiants, l'OCTRIS (office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants), qui dépend de la direction centrale de la police judiciaire et travaille sur des cas impliquant de gros trafiquants où, très souvent, les sommes en jeu sont colossales. Ce reclassement était d'autant plus étonnant que, parmi ses collègues, M. Frédéric Jamet suscitait une méfiance notoire. M. Bruno Beschizza a ainsi indiqué à la Commission que, lors d'une discussion qu'il avait eue avec le chef de groupe de M. Frédéric Jamet à l'OCTRIS, ce dernier lui avait " confié qu'il se refusait à l'emmener en perquisition parce qu'il s'en méfiait ". Les faits lui ont, depuis, donné raison, M. Frédéric Jamet étant incarcéré à la prison de la Santé pour avoir participé à un braquage du restaurant Pétrossian.
Entrisme, laxisme... Ces différents éléments suffisent-ils à expliquer la méconnaissance du DPS qu'ont les membres de la police nationale ? Car les liens entre police nationale et extrême-droite ne sont pas strictement synonymes de liens entre police nationale et DPS. Sur ce point, les éléments recueillis par la Commission sont peu nombreux. Quatre cas ont été évoqués, dont trois ont fait l'objet d'une mesure de révocation, le dernier fonctionnaire en cause étant toujours en activité comme gardien de la paix à Clermont-Ferrand.
On ne peut pourtant pas croire que la police nationale ne soit pas en mesure d'évaluer le nombre de ses membres qui appartiennent au DPS. Comme l'a fait remarquer M. Joaquin Masanet, " si la police nationale n'est pas capable de savoir ceux qui appartiennent au DPS, où va-t-on ? C'est laisser faire tout et n'importe quoi ". Il semble en l'occurrence que cette méconnaissance ne soit que le reflet d'un certain désintérêt que traduisent les consignes données aux forces de terrain. Selon M. Gérard Boyer, le problème du port d'armes par des membres du DPS, bien que connu, n'a pas fait l'objet de " directives claires ". Ainsi, la présentation de faits concrets ou de preuves matérielles est rendue impossible par le fait qu'il n'y a pas d'interpellation.
Votre rapporteur ne surestime pas la prégnance des idées extrémistes dans la police nationale. Il tient néanmoins à souligner sa préoccupation face au relatif désintérêt de l'institution vis-à-vis du service d'ordre du Front National. Sans doute certains syndicats, notamment le SGP, ont-ils demandé la dissolution du DPS. Mais, en l'absence de mesure allant en ce sens jusqu'à maintenant, pourquoi la lutte de terrain, c'est-à-dire l'utilisation de l'arsenal juridique existant, n'est-elle pas plus marquée ? Comment expliquer, en outre, l'indulgence que l'on peut qualifier de coupable, des instances disciplinaires, auxquelles les syndicats sont pourtant partie ? M. André-Michel Ventre, secrétaire général du syndicat des commissaires de police et des hauts fonctionnaires de la police nationale, a mis en cause la disparité qui existe, en la matière, entre les différents corps de la police nationale : " les syndicats de police ont une attitude étrange vis-à-vis des problèmes disciplinaires. Notre syndicat n'hésite pas à voter des révocations avec l'administration. Les cas de révocation de commissaires pour des fautes relativement bénignes sont nombreux. Dans d'autres corps, la défense syndicale est plus puissante et permet d'étouffer les affaires et leurs conséquences ". Quant aux syndicats représentant les autres corps, ils ont parfois mis en cause leur hiérarchie...
Cette absence de prise de responsabilité collective n'est pas satisfaisante. En définitive, il semble bien qu'en dépit de professions de foi républicaines sincères des membres de la police nationale, le DPS tire avantage d'une chaîne de silence et de laissez-faire.
b) L'armée face au DPS : des réseaux d'influence
Les éléments recueillis par la Commission relatifs aux liens entre le DPS et l'armée sont très peu nombreux. Sans doute cela tient-il au fait qu'il n'y a que peu de militaires en activité membres du DPS, ou en nombre extrêmement faible. Le cas du capitaine Duplaquet, officier de réserve servant en situation d'activité (ORSA)31 de l'armée de terre a été notamment cité.
En fait, les relations entre le monde militaire et le DPS, au-delà du passé militaire de certains des dirigeants du DPS évoqué précédemment, concernent surtout les militaires en dehors d'une position d'activité :
- S'agissant des militaires placés en disponibilité, on retiendra le cas du capitaine Jean-Pierre Fabre, précédemment évoqué ;
- Si les militaires en activité sont largement absents des rangs du DPS, il n'en va pas de même pour ce qui concerne les militaires en retraite. Il est vrai que la cessation d'activité entraîne la fin de l'application du statut général des militaires, à l'exception toutefois des retraités qui entrent dans la réserve et peuvent être rappelés, à ce titre, sous les drapeaux, auquel cas ils sont soumis à l'obligation de réserve. Hormis cette situation, un ancien militaire est totalement libre d'exprimer des opinions politiques et d'exercer des activités dans ce domaine.
On citera, dans cette catégorie, le colonel Jean-Jacques Gérardin, ancien officier de gendarmerie, qui sans avoir été membre du DPS, a cependant occupé les fonctions de conseiller à la sécurité au cabinet du président du Front National, activité qui l'a vraisemblablement mis en contact avec la DOM et le DPS des débuts. Il fut également directeur du Glaive, bulletin d'information du Cercle national des gens d'armes (CNGA), association de type loi 1901 qui se situe dans la mouvance du Front National. La Commission souhaite exprimer sa préoccupation concernant le fait que cette revue ait été adressée gratuitement à de nombreuses unités de gendarmerie.
Doit être également mentionné le cas de M. Gérard Hirel, également ancien officier de gendarmerie. Au-delà de son comportement bizarre, souligné par M. Bernard Prévost lors de son audition, il convient de noter que le capitaine Hirel a occupé des fonctions importantes au DPS
- responsable du DPS pour la région des Pays-de-la-Loire et chargé de mission à la direction du DPS - et qu'il est aujourd'hui membre du DPA. La Commission se réjouit que la gendarmerie nationale ait pris la décision de l'écarter de toute responsabilité au sein des réserves de la gendarmerie.
Enfin, le responsable du DPS de Bretagne est un capitaine de frégate à la retraite.
Enfin, l'attention de la Commission a été également attirée sur le problème de la gestion des réservistes. A ce titre, la Commission s'est émue de deux cas qui lui ont été présentés :
- M. Jean-Pierre Chabrut, actuel directeur du DPS, membre du DPS depuis sa création, a été instructeur de tir au centre d'entraînement et de préparation des réserves à Satory, poste de qualité au sein de la réserve. Il a été promu commandant de réserve, le 1er octobre 1997 et est actuellement ORSEM (officier de réserve spécialiste d'état-major) ;
- Rayé des contrôles d'active en 1985, M. François-Xavier Sidos a quitté la réserve en 1998 et a été admis à l'honorariat de son grade de lieutenant. Rappelons que M. François-Xavier Sidos est actuellement sous le coup d'une mise en examen après avoir été capturé aux Comores, le 5 octobre 1995, par les troupes françaises.
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Bien que ponctuels, ces exemples n'en portent pas moins la marque d'une inertie regrettable de la part du ministère de la défense. En outre, la Commission s'inquiète de l'existence de réseaux d'influence sous-jacents dont ils pourraient être les manifestations. Même si, d'après les éléments qu'elle a pu recueillir, il n'existe pas de réseaux d'influence en direction des régiments professionnels, il n'est pas impossible que des liens puissent exister entre des militaires d'active et des membres d'associations à caractère patriotique émanant du Front National. Les éventuels réseaux d'influence sont bien connus : outre le Cercle national des gens d'armes précité, il s'agit du Cercle national des combattants, émanation du Front National présidée par M. Roger Holeindre, qui recrute surtout parmi les militaires retraités. On peut également y inclure l'Union nationale des parachutistes qui, bien qu'ayant entrepris de se démarquer du Front National depuis 1996, contient sans doute des sympathisants de ce parti. Quant au COSAID (Comité de soutien à l'armée et aux industries de défense), mis en place en 1996, sous l'égide de M. Jean-Marie Le Pen, par M. François-Xavier Sidos, il semble n'avoir eu qu'une audience limitée.
c) Polices municipales et DPS : le cas des municipalités frontistes
L'accroissement spectaculaire du nombre de policiers municipaux depuis 15 ans - on comptait, en 1984, 5 641 agents pour 1 748 communes, contre 12 471 pour 2 950 communes en 1997 -, joint à l'absence d'un cadre juridique satisfaisant, jusqu'à une date récente, et à la victoire du Front National dans quatre municipalités, pose avec acuité la question des liens entre polices municipales et DPS. Si la Commission n'a pas relevé d'interférences marquées entre ces structures dans la plupart des municipalités frontistes, elle s'interroge cependant sur la nomination d'activistes frontistes notoires à des postes municipaux susceptibles d'encadrer, de manière occulte, l'action des policiers municipaux.
- Des rôles généralement bien définis
Bien qu'intervenant en qualité de " garde prétorienne " des hiérarques frontistes lors des déplacements de ces derniers sur l'ensemble du territoire, le DPS ne semble pas interférer sur les activités des polices municipales de la plupart des cités gagnées par le Front National depuis 1995.
Cette observation peut sembler juridiquement contestable, les policiers municipaux étant recrutés par concours, conformément aux règles fixées par l'article 6 de la loi du 26 janvier 1984 sur la fonction publique territoriale. On notera cependant que le personnel des polices municipales des quatre villes provençales a été en grande partie renouvelé après l'élection des municipalités gérées par le Front National. En outre, faut-il souligner les pressions auxquelles sont susceptibles d'être soumis, quotidiennement, les policiers municipaux, instruments, par nature, privilégiés de l'application de la police sécuritaire du Front National ? Car, si les agents sont recrutés par concours, il n'en est pas de même des personnes chargées de leur encadrement, dont le choix est laissé à la discrétion des responsables politiques municipaux. Le fait est que, parmi ces fonctionnaires territoriaux, plusieurs sont des sympathisants actifs du parti.
Pour autant, leurs activités apparaissent globalement circonscrites à celles dévolues habituellement aux agents municipaux - stationnement, sorties des écoles, police des marchés... Il semble aussi que les municipalités tiennent à préserver ces " vitrines " de leur politique sécuritaire en accroissant leurs effectifs, mais en maintenant une certaine rigueur dans leurs attributions.
De fait, il n'existe pas d'exemple de dérapages graves imputables à une action conjointe DPS / police municipale, les rôles de chacun étant bien déterminés et autonomes.
- Un encadrement activiste ?
La Commission s'interroge néanmoins sur le rôle joué, sur le terrain, par des activistes du Front National, avec des statuts d'auxiliaires, voire de titulaires territoriaux.
Les cas de Marignane, Toulon ou Orange doivent être distingués de celui de Vitrolles :
- A Marignane, l'embauche par le maire - dont il est très proche - de M. Eric Grimigni, responsable du DPS des Bouches-du-Rhône jusqu'à la scission, ne semble pas lui conférer de pouvoir particulier sur la police municipale, dont il fut un temps pressenti pour prendre la tête ;
- A Toulon, le responsable DPS varois, M. Louis-Jean Brahim, est également employé municipal. Pour autant, il ne semble pas avoir non plus d'emprise sur une police municipale professionnelle ;
- A Orange, les liens entre service d'ordre du Front National et police municipale semblent quasi-inexistants.
- Les dérives vitrollaises
· En revanche, à Vitrolles, les relations entre service d'ordre et police municipale semblent plus prononcées, en dépit des dénégations, expéditives et peu convaincantes et du refus de s'exprimer sur ce sujet, de M. Patrick Bunel, ancien garde du corps de M. Bruno Mégret et chargé de mission à la mairie de Vitrolles. En l'occurrence cependant, les interactions existantes entre police municipale et service d'ordre concernent, non le DPS officiel, rarement présent dans ce fief mégretiste, mais la garde prétorienne attachée à la protection du couple Mégret. Toutefois, ce DPS bis, dont certains membres sont désormais intégrés au Département protection assistance (DPA) du Mouvement National de M. Bruno Mégret, s'assure sporadiquement du concours des fonctionnaires locaux de sécurité. Dans ce cas, les agents municipaux sont exemptés des actions les plus sujettes à " dérapage ", la collaboration avec la garde rapprochée du couple se limitant à des patrouilles " dissuasives " sur la voie publique. En l'espèce, entièrement vêtue de noir et portant inscrit, en lettres blanches dans leur dos, la mention " police municipale ", une brigade d'intervention agit de concert avec la sécurité personnelle des époux Mégret, dans les limites de la loi afin de faire nombre.
En outre, il est apparu que la municipalité tendait à faire jouer à sa police municipale de cinquante et un membres un rôle revenant à la police nationale, à tel point que, le jeudi 18 septembre 1997, le préfet des Bouches-du-Rhône et le procureur général d'Aix-en-Provence ont dû faire un " rappel à la loi " aux élus de Vitrolles. Comme le soulignait à l'époque Le Monde, " c'est un rapport nouveau avec la police nationale que visent les élus de Vitrolles du Front National. Selon d'anciens membres de la police municipale ayant démissionné depuis, le tournant a été pris au moment de l'arrivée aux commandes de M. Patrick Bunel, dirigeant national du DPS, le service d'ordre du Front National, et de M. Komen, policier marseillais sanctionné, il y a quelques semaines, pour avoir caché à sa hiérarchie le rôle de dirigeant de fait de la police municipale vitrollaise qu'il jouait hors de ses heures de service ".
Dirigée par un ex-fonctionnaire de la police nationale, la police municipale se trouve donc, dans certaines occasions, placé de facto sous la tutelle de M. Patrick Bunel, chargé de mission à la mairie. D'après les informations recueillies par la Commission, celui-ci aurait fait venir des adeptes des méthodes les plus musclées, souvent issus de la mouvance activiste normande et parisienne, avec la bénédiction du maire-adjoint, M. Hubert Fayard. Ces derniers se sont particulièrement mis en évidence à plusieurs reprises à l'occasion d'incidents graves, notamment le 5 novembre 1997, quand un commando de 6 à 10 hommes, casqués et masqués, a matraqué les membres d'un piquet de grève de chauffeurs-routiers. Ces incidents font actuellement l'objet d'une information judiciaire.
La participation de policiers municipaux à ces actions de délinquance n'a jamais été constatée, les auteurs de ces faits étant, pour certains, employés de sociétés de sécurité, et, pour quelques autres, des auxiliaires municipaux embauchés pour remplir des fonctions factices
- enquêteur social pour M. Yvain Pottiez... - et choisis en réalité pour leur aptitude aux diverses interventions de terrain. Ce statut d'employé communal octroyé à de véritables activistes achève d'entretenir la confusion avec les fonctionnaires municipaux de la police.
d) Les préfets face au DPS : des décisions parfois discutables
Les incidents survenus le 25 octobre 1996, à Montceau-les-Mines, ont attiré l'attention des membres de la Commission sur le rôle que les préfets, autorités responsables du maintien de l'ordre public, sont appelés à jouer à l'égard des activités parfois douteuses du DPS. Votre rapporteur souhaite, une nouvelle fois, revenir sur cet incident, au travers de l'action du représentant de l'Etat cette fois, avant de s'interroger sur le cas plus précis de Paris, théâtre de deux événements ayant l'un directement, l'autre de manière plus floue, mis le DPS sur le devant de la scène.
· Le bien-fondé des décisions prises en matière d'emploi des forces de l'ordre à Montceau-les-Mines, le 25 octobre 1996, n'apparaît pas clairement aux yeux de la Commission. Fallait-il, en effet, considérer le meeting du Front National comme un " non-événement ", ainsi que M. Denis Prieur, ancien préfet de Saône-et-Loire, a tenté d'en convaincre le maire de Montceau-les-Mines ? A cet égard, votre rapporteur rappelle que, quatre jours auparavant, à Paris, la même décision avait conduit à laisser le DPS organiser une manifestation du Front National sur la voie publique, sans l'autorisation préalable de la préfecture de police, et agresser un policier qui avait tenté de s'interposer.
Sans doute le souci qu'avaient les autorités publiques de ne pas donner l'impression que la police nationale avait reçu mission de protéger la réunion du Front National est-il compréhensible. De même, il est vrai que, jamais encore, les unités d'élite du DPS ne s'étaient manifestées. Pour autant, la Commission a la désagréable impression, qu'au soir du 25 octobre 1996, jeunes manifestants - sans doute violents et parfois tout aussi peu respectueux des lois - et membres du DPS ont été mis dos à dos et qu'a été laissé à un service d'ordre privé le soin de se charger du maintien de l'ordre public, mission régalienne par excellence. " En fonction de l'objectif qui était que cette soirée se termine sans incidents gravissimes, l'action de la police a été tournée au moins autant vers les jeunes venus pour se frotter au Front National que vers les membres du département protection et sécurité ". Sans doute les impératifs de l'ordre public ont-ils été respectés : " Si l'on tire le bilan en termes de dommages corporels subis par telle ou telle personne, cette manifestation n'est pas de celles ayant entraîné les violences ou les blessures les plus importantes ou les préjudices corporels les plus forts " (M. Denis Prieur).
Il n'est cependant pas illégitime de considérer que la mise en place, dès le début de la soirée, de forces de l'ordre suffisantes aux abords du centre nautique, aurait évité, d'avoir à arbitrer entre maintien de l'ordre public et préservation des symboles républicains. Car, de fait, tel est bien le choix auquel les autorités publiques ont été contraintes : " la priorité a été, à tort ou à raison - mais le bilan d'ensemble laisse à penser que ce n'est pas tout blanc ou tout noir - d'éviter toutes conséquences gravissimes pour les personnes plutôt que de mettre fin à un scandale, si l'on peut me permettre cette expression, un scandale tenant au fait que des personnes s'étaient pour une soirée arrogé un rôle qui n'était certes pas le leur " (M. Denis Prieur).
En conséquence, si elle est consciente des difficultés qui s'attachent à la préservation de l'ordre public, la Commission estime que le dispositif mis en place à cet effet à Montceau-les-Mines était inadapté. Plus encore, l'absence de saisine des autorités judiciaires par le représentant de l'Etat pour port illégal d'uniformes représente une double défaite de la République : non seulement un service d'ordre privé s'est approprié la voie publique, pendant plusieurs heures, mais il a pu le faire en toute impunité.
· En ce qui concerne le cas particulier de Paris, la préfecture de police a pris la décision d'adapter son dispositif, afin de tirer la conséquence des événements qui se sont déroulés à la suite de la réunion du Front National salle Wagram, le 21 octobre 1996. Votre rapporteur remarque qu'effectivement, depuis cette date, aucun événement similaire n'est intervenu et se félicite que des mesures efficaces aient été prises. Ainsi, chaque réunion du Front National est désormais couverte, non seulement par une équipe d'observation, mais aussi par une ou plusieurs unités en tenue, dont le volume varie selon le nombre de participants attendus, la proximité d'objectifs potentiels ou de points sensibles et de la présence éventuelle d'opposants.

les dispositifs retenus depuis
le 1er janvier 1998 à paris

13-01-1998 Dîner débat sur un bateau mouche :

· 150 personnes

· 2 civils

· 1 section sécurité publique

05-02-1998 Réunion salle Wagram :

· 300 personnes

· contre-manifestants

· 15 civils

· 1 compagnie sécurité publique

· 1 CRS

· 2 escadrons de gendarmerie mobile

07-02-1998 Convention du FNJ à la Maison de la Chimie, précédée d'un cortège depuis la place des Pyramides :

· 400 personnes

· 9 civils

· 4 sections sécurité publique

· 3 escadrons de gendarmerie mobile

12-03-1998 Meeting au Palais des sports :

· 5 000 personnes

· contre-manifestation

· 30 civils

· 2 compagnies sécurité publique

· 5 escadrons de gendarmerie mobile

17-05-1998 Colloque du Cercle nation et humanisme Porte Maillot :

· 250 personnes

· 4 civils

· 2 sections sécurité publique

· 1 escadron de gendarmerie mobile

20-01-1999 Réunion du Front National salle Wagram :

· 700 personnes

· 2 civils

· 1 demi compagnie sécurité publique

18-02-1999 Réunion du Mouvement National salle Wagram :

· 700 personnes

· contre-manifestation

· 20 civils

· 1 compagnie sécurité publique

· 1 CRS

· Enfin, au vu du crime dont cette manifestation a été le cadre, la Commission s'est posée la question de la pertinence de l'autorisation de la manifestation du 1er mai : fallait-il interdire le défilé du 1er mai après la mort de Brahim Bouarram, le 1er mai 1995 ? D'après le préfet de police, une telle décision serait inopportune, essentiellement pour trois raisons.
En premier lieu, en dépit des relations entre certains des agresseurs de Brahim Bouarram et le DPS, aucun lien direct n'a été établi entre l'organisation de la manifestation qui passait par là et le fait qu'un groupe de skinheads de Reims ait jeté à l'eau le jeune Marocain.
En second lieu, organisé un jour férié, dans une rue calme à cette date, le défilé ne constitue pas une gêne pour les Parisiens. S'il neutralise une partie de la voie publique, ce n'est que pour un temps contrôlé, qui permet à la préfecture de police d'engager le minimum de forces possible.
Enfin, M. Philippe Massoni, préfet de police, a estimé que si une telle décision était prise, ou même si le parcours était modifié, " il faudrait "engager le combat" avec dix, vingt, trente unités de renfort, ce qui ne serait, ni simple, ni facile ".
e) L'autorité judiciaire face au DPS : une inaction inquiétante
C'est encore à partir des incidents symptomatiques qu'elle a choisis de mettre en lumière que la Commission s'est interrogée sur les motifs de l'inaction du parquet qui dispose pourtant du pouvoir de juger de l'opportunité du déclenchement des poursuites.
De fait, d'après les informations fournies par Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, garde des Sceaux, par courrier en date du 25 mars 1999, " aucune information judiciaire n'est actuellement suivie sur les agissements de l'organisation concernée ". S'agissant des décisions de justice, la ministre rappelle l'arrêt du 9 avril 1998 rendu par la Cour d'appel de Colmar, qui fait suite aux événements survenus à Ostwald le 30 mars 1997, ainsi que la condamnation des trois colleurs d'affiches du Front National par la Cour d'assises des Bouches-du-Rhône, pour le meurtre d'Ibrahim Ali. Quant à la préfecture de police, après vérifications auprès de la direction de la police judiciaire de la préfecture de police, elle n'a pas trouvé trace de procédures judiciaires dont aurait fait l'objet le DPS.
Au regard des faits multiples évoqués précédemment, le bilan judiciaire des activités du DPS semble donc particulièrement peu fourni.
Sans doute, comme le rappelle le garde des Sceaux dans ce même courrier, " l'appartenance à un parti politique ou à un groupement tel que le "Département Protection et Sécurité" ne faisant bien entendu pas l'objet d'un enregistrement spécifique, il ne [m']est pas possible de [vous] fournir avec certitude des renseignements exhaustifs sur les procédures pénales susceptibles d'être dirigées contre les membres de cette structure ".
Cependant, un tel écart entre la réalité des activités du DPS et leur traduction judiciaire ne saurait avoir pour explication cette seule limite méthodologique. Il semble également traduire une inertie regrettable de l'autorité judiciaire.
La Commission n'a obtenu que peu de réponses aux questions qu'elle se pose sur ce sujet. Elle note avec perplexité qu'aucun syndicat de magistrats, à l'exception notable du syndicat de la magistrature, n'a estimé avoir d'informations ou d'analyses à lui fournir sur le DPS.
D'après M. Gilles Sainati, secrétaire général du syndicat de la magistrature, la prégnance de l'idéologie d'extrême-droite dans l'opinion publique, et dans une partie de la magistrature, fournirait une première explication à la tolérance dont l'autorité judiciaire a pu faire preuve à l'égard du service d'ordre du Front National. " Tout d'abord, je pense que cela peut s'expliquer par un climat général. Il y a encore quelques années, les personnes qui tiennent maintenant de tels propos ouvertement à l'audience ne l'auraient pas fait. Cela se produit même dans des endroits où le Front National n'est absolument pas implanté, ou très peu. Par exemple, je suis juge d'application des peines à Montpellier et nous avons eu récemment des substituts qui, à l'audience, ont tenu des propos négationnistes. Nous sommes très surpris. J'ai essayé d'y réfléchir : comment se fait-il que ces personnes puissent tout à coup, tenir ce genre de propos en public, et à l'audience en plus, lors de réquisitions publiques ? C'est bien un problème de climat général : si ces personnes avaient peut-être déjà ces idées, maintenant, elles les énoncent tout haut, alors qu'il y a encore quelques années, elles se seraient censurées. C'est un premier point, mais un point qui vaut pour tous les corps de l'administration. "
De même, d'après le syndicat de la magistrature, la faible mobilité des magistrats du parquet, réelle en dépit des protections moindres dont ils bénéficient en la matière par rapport aux magistrats du siège, pourrait expliquer cette " porosité " du corps judiciaire aux idées d'extrême-droite. C'est ainsi que le Sud-Est de la France se caractérise par un nombre de mouvements assez faible parmi les magistrats du parquet. D'après M. Gilles Sainati, " en l'occurrence, sur Nice, Toulon et Grasse, il est intéressant de noter qu'il y a très peu de mouvements ; les magistrats sont en place depuis de très nombreuses années. Finit alors par s'installer cette espèce de - je ne dirai pas connivence - mais de porosité que l'on constate ".
Cette explication, qui n'est sans doute pas dénuée de fondement, ne saurait suffire : dans les cas précis sur lesquels la Commission s'est plus particulièrement penchée - Wagram, Montceau-les-Mines... -, l'absence de déclenchement de poursuites relève apparemment davantage d'une certaine inertie, voire d'un désintérêt. Dans le cas des incidents de Montceau-les-Mines, le parquet a-t-il suivi le même raisonnement que le préfet, M. Denis Prieur, qui met en doute la validité de l'accusation de port illégal d'uniforme ? Certes, il est " très difficile de qualifier de façon précise un délit ou une infraction sur ce type de problème " (M. Denis Prieur). Toutefois, le fait que les jeunes contre-manifestants aient eux-mêmes confondu le DPS avec les CRS, au point de s'en prendre à eux comme tels, laisse toutefois supposer qu'il n'était pas absurde de se poser la question de l'existence d'une infraction pénale.
En ce qui concerne la manifestation illégale de Wagram, le 21 octobre 1996, aucune condamnation n'a été prononcée non plus, alors que les violations de la loi sont patentes. Vraisemblablement, l'audition de M. Bernard Courcelle par la police judiciaire est restée sans suite. Les seules conséquences ont été d'ordre administratif, la préfecture de police ayant diligenté une enquête interne, d'une part, et modifié son dispositif d'intervention, d'autre part, ainsi qu'on l'a vu précédemment.
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A plusieurs occasions, les libertés publiques ont été bafouées et utilisées par le DPS à des fins contraires à la philosophie républicaine qui les fonde, des symboles républicains ont été usurpés, voire méprisés, en toute impunité.
Même s'il n'est pas question de mettre en parallèle les méfaits du DPS et les réactions des pouvoirs publics, on ne peut que constater que face à ces provocations, le bilan de l'action des pouvoirs publics se révèle mitigé : votre rapporteur, à l'instar de nombre de ses collègues, ne peut que souligner sa préoccupation vis-à-vis de ce qui s'apparente à une certaine inertie des pouvoirs publics, quand il ne s'agit pas d'une indulgence coupable.
c.- l'indispensable sursaut republicain
Au-delà des interrogations légitimes sur la légalité même de ce service d'ordre, il convient de s'interroger sur les mesures à prendre à l'encontre de ce type de structure. De manière cruciale, en effet, les activités du DPS posent le double problème de la validité de l'arsenal juridique existant, notamment en ce qui concerne les sociétés de sécurité et de gardiennage privées, et des compléments indispensables à lui apporter.
1.- La dissolution du DPS : une question qui reste posée
Faut-il dissoudre le DPS ? La question se pose immanquablement au vu de l'ensemble des éléments rassemblés par la Commission sur ce service d'ordre pas comme les autres, véritable garde prétorienne au sein du Front National. L'arme de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées a souvent été évoquée au cours des travaux de la Commission. Il s'agit donc de savoir si elle peut et si elle doit s'appliquer au cas du DPS.
a) La dissolution du DPS : une occasion manquée
- Une dissolution juridiquement possible
Il a semblé à la Commission que la dissolution du DPS était juridiquement possible. Contrairement à ce qu'ont pu affirmer tous les responsables du ministère de l'intérieur auditionnés, et au premier chef son directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, elle estime qu'un décret de dissolution du DPS n'encourait pas inéluctablement la censure du Conseil d'Etat s'il avait été attaqué - et il n'aurait sans doute pas manqué de l'être.
L'exigence de quatre critères cumulatifs tenant à l'organisation du groupement de fait, à sa discipline interne assortie de sanctions, à l'entraînement régulier et périodique de ses membres et aux intentions belliqueuses de ses responsables n'est pas requise par la jurisprudence administrative, qui utilise la technique du faisceau d'indices pour qualifier un groupe de combat. Au regard des intentions belliqueuses du DPS, c'est-à-dire en fait de ses activités, votre rapporteur tient à rappeler que le passage à l'acte n'est pas indispensable et que l'affirmation constante du caractère défensif du DPS par ses responsables ne fait pas obstacle à la reconnaissance de son aptitude aux coups de main ainsi que l'ont amplement prouvé d'ailleurs les événements de Montceau-les-Mines.
Quant au problème de savoir si, " dans une association constituée [le Front National], on peut distinguer un groupe de personnes physiques qui s'appellent ou assurent fonctionnellement un rôle de service d'ordre [le DPS] " soulevé par M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur, la Commission l'estime soluble sans difficulté puisque la loi du 10 janvier 1936 vise expressément les groupements de fait qui ne sont pas des associations. Ainsi que l'a indiqué M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l'université de Paris I Panthéon Sorbonne, " même si ce groupement n'a pas d'existence juridique, il peut être dissous sans que l'on touche au parti politique. Mais si les membres de ce groupement dissous font partie à nouveau du service d'ordre, une forte suspicion pèsera sur eux de reconstituer un groupement dissous. Il est donc certain que le service d'ordre ne pourra pas se reconstituer dans les conditions dans lesquelles il existait, c'est-à-dire avec la même structure, les mêmes personnes et responsables et le même schéma. Je ne dis pas que cela empêchera le Front National de reconstituer son service d'ordre, mais cela lui posera un véritable problème ". Tel est justement le but que viserait une dissolution du DPS.
- Une dissolution politiquement justifiée
La Commission estime que la dissolution s'imposait en 1996 ou en 1997, après les événements de Montceau-les-Mines ou de Strasbourg. Les conditions juridiques de la dissolution étaient alors réunies. En outre, il y avait à cette époque une légitime émotion dans l'opinion publique et de nombreuses prises de positions syndicales (au sein de la police) et politiques réclamant la dissolution qui constituaient un contexte propice pour mettre en cause le service d'ordre du Front National.
En effet, même si en droit un acte violent ou criminel n'est pas requis pour mettre en _uvre l'arme de la dissolution, un tel acte facilite la prise de décision politique. Ainsi que l'a rappelé M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, " la dissolution [d'Ordre nouveau] faisait suite à des événements extrêmement violents devant le Palais des sports où il y a eu une sorte d'attaque, d'assaut lancé avec des cocktails molotov : naturellement quand il y a des faits de violence extrême, la dissolution est une décision qui s'impose plus facilement ". Il en fut de même pour le SAC suite à la tuerie d'Auriol en 1982 et pour les ligues en 1936 déjà.
D'ailleurs, M. Jean-Louis Debré, ancien ministre de l'intérieur, a bien indiqué à la Commission que " Montceau-les-Mines avait été le seul moment où [il s'était] posé la question de savoir si les conditions exigées par la loi de 1936 étaient réunies " et pouvaient lui permettre de proposer au Gouvernement la dissolution administrative du DPS. " Il [lui] est finalement apparu que les conditions [...] n'étaient pas réunies et que la dissolution risquait d'être annulée par le Conseil d'Etat. " On peut s'interroger sur une telle prudence fondée sur des motifs juridiques. Certes l'annulation d'une dissolution aboutirait à l'effet inverse de ce qui est recherché en légitimant le DPS. Mais justement la Commission estime que les conditions de la dissolution étaient alors bien réunies. Elle tient à rappeler qu'à la même époque le ministère de l'intérieur s'était opposé, pour des motifs juridiques également, à l'interdiction du syndicat Front National de la Police (FNP). Or la Cour de cassation a donné raison aux syndicats de police qui déniaient au FNP le caractère de syndicat professionnel en se fondant notamment sur l'article L. 411-1 du code du travail32. Celui-ci n'a dès lors pas été autorisé à présenter des candidats aux élections professionnelles de 1998. Un excès de prudence aboutit parfois à cautionner des pratiques en fait illégales.
b) La question de la dissolution reste posée pour l'avenir
L'utilisation de la loi du 10 janvier 1936 contre le DPS ne semble cependant pas opportune à la Commission à la date de publication de son rapport. La scission du Front National a entraîné une recomposition du service d'ordre de chaque organisation qui est en cours. Même si les structures restent inchangées, votre rapporteur estime raisonnablement que le DPS, actuellement affaibli et désorganisé, n'est plus complètement opérationnel.
Comme l'a fait observer un membre de la Commission, M. Jacky Darne, " nous enquêtons sur le groupement de fait dit "Département protection et sécurité" qui est rattaché à un parti politique, le Front National. Or ce dernier a éclaté et nous avons affaire aujourd'hui à deux partis. Peut-on considérer que ce département existe toujours ? La dissolution du département d'un parti antérieur serait-elle applicable aux services d'ordre des deux partis naissants ? En fait, nous travaillons sur un groupement qui connaît des modifications sensibles, même pour la partie historique du Front National, car les responsables et les modes d'organisation ont changé. Nous ne pouvons pas démontrer que les pratiques de ces deux nouveaux groupes sont de même nature que ce qui existait antérieurement ".
La réponse donnée aux questions ainsi posées par M. Bertrand Mathieu est très claire : " Il est évident que le décret de dissolution devra porter sur la situation qui existe au moment où il interviendra. Il n'est pas question de dissoudre un groupement qui n'existe plus, ou de dissoudre un groupement pour des motivations qui ne correspondent pas à la réalité qui est celle du jour de la dissolution. Le problème est le suivant. Soit le groupement n'existe plus, et l'on ne dissout rien. Soit le groupement s'est scindé en deux, et l'un d'eux - ou les deux - présentent les critères d'une dissolution et l'on peut dissoudre. On ne pourra utiliser des caractéristiques antérieures qu'à partir du moment où l'on démontrera qu'elles continuent à exister ".
La Commission souhaite ardemment que la frilosité des pouvoirs publics dans le passé ne soit plus de mise à l'avenir. Le Gouvernement ne devra pas hésiter à proposer la dissolution du DPS ou du DPA au Président de la République dès que des événements graves se produiront. Les conditions juridiques d'une dissolution étant réunies, la décision politique devra intervenir au moindre impair du DPS ou du DPA qui est composé en grande partie de transfuges du DPS. Les pouvoirs publics doivent donc demeurer très vigilants vis-à-vis des activités de cette simili-milice, aujourd'hui scindée en deux, DPS et DPA.
La situation actuelle, issue de la scission du Front National n'est pas moins dangereuse que par le passé comme l'ont souligné MM. Yves Bertrand et Jean-Pierre Pochon, respectivement directeur central des renseignements généraux et directeur des renseignements généraux de la préfecture de police.
2.-  Renforcer le contrôle sur les sociétés de sécurité et de gardiennage privées
Les entreprises de gardiennage, de surveillance et de transports de fonds exercent des activités de sécurité de nature privée. Elles concourent ainsi à la sécurité générale de la Nation. Etant donné le domaine dans lequel elles interviennent, une réglementation de leurs activités s'impose, notamment pour définir les conditions de création des entreprises en cause, les conditions d'agrément de leurs dirigeants et de leur personnel, ainsi que les modalités d'exercice de leurs activités. La réglementation actuelle, qui date de 1983, n'est cependant pas suffisante au regard du développement commercial de ce secteur33 et des missions particulières qu'il remplit, aux frontières de celles de l'Etat. Le fait que des liens étroits aient été établis entre certaines sociétés de sécurité et l'extrême-droite en général - et le DPS en particulier - ne doit pas amener à jeter la suspicion sur toute une profession, mais inciter au contraire à éviter toute dérive. C'est pourquoi la Commission souhaite que le contrôle sur ces sociétés soit renforcé.
a) Un secteur en plein essor mais peu réglementé
- Un secteur professionnel très particulier
Un panorama très général du secteur de la sécurité privée en France peut être établi à partir des statistiques fournies par le ministère de l'intérieur, sur la base d'une enquête réalisée au niveau des préfectures tous les trois ans.
En 1996, 4 131 entreprises privées de surveillance et de gardiennage ont été recensées (hors services internes de sécurité des entreprises). 4 630 personnes ayant le statut de dirigeants et 78 475 employés de ces sociétés ont été déclarés à l'administration. L'importance de ces effectifs doit être relativisée en raison du turn-over important qui existe dans le secteur. Les personnels sont souvent employés sur des CDD pour des missions précises, allant de quelques semaines à quelques mois. Il s'agit souvent d'un travail peu qualifié, par manque de formation initiale ou continue. Il est alors logique qu'en raison de leur expérience professionnelle de nombreux policiers ou militaires se reconvertissent dans ce milieu.
Les tailles des entreprises en cause sont très diverses : de quelques salariés à plusieurs milliers, mis à la disposition d'autres entreprises. Il s'agit souvent de SARL ou d'EURL. Par exemple, le Groupe Onze France, la société de M. Nicolas Courcelle, emploie dix à quinze salariés pour un chiffre d'affaires de un à cinq millions de francs. La société Normandy dispose quant à elle de vingt-cinq à trente permanents. L'ACDS jouait par contre dans un autre registre puisqu'elle avait plus de mille employés.
Toutes ces sociétés recrutent dans le même milieu, qui est assez restreint et facilement identifiable : d'anciens militaires et policiers, des mercenaires en déshérence... Comme l'a indiqué M. Gilles Kuntz, président de la société Normandy, " tout le monde se connaît. On a vite fait le tour. C'est un milieu très restreint ". M. Nicolas Courcelle ne le dément pas, bien au contraire : " Je suis dans le milieu de la sécurité, à Paris, depuis 1982. Je connais donc beaucoup de monde. Je recrute essentiellement par relation ".
- La loi du 12 juillet 1983
Alors que la profession est relativement ancienne, la réglementation est cependant beaucoup plus récente en France puisqu'elle date de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds qui, il faut le signaler, est d'origine parlementaire. Face au développement croissant et mal maîtrisé de ce secteur d'activités, le législateur est donc intervenu afin de moraliser la profession et de limiter le champ d'action de ces sociétés, en élaborant une réglementation spécifique.
La création d'une société de surveillance privée est soumise à l'obtention d'un agrément préfectoral. Cette autorisation administrative de fonctionnement est accordée sans limitation de durée. L'exercice de cette profession (autant par les dirigeants que par les agents de surveillance) est interdit à toute personne ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire ou d'une condamnation pénale. A cette fin, un extrait du casier judiciaire (le bulletin n° 2) doit être fourni à l'administration.
Le décret n° 86-1099 du 10 octobre 1986 précise que le personnel des entreprises de surveillance, de gardiennage et de transports de fonds doit être, dans l'exercice de ses fonctions, revêtu d'uniformes ne prêtant pas à confusion avec les uniformes de la force publique. Cet uniforme doit comporter des insignes distinctifs et visibles permettant d'identifier la dénomination ou le siège de l'entreprise de gardiennage. L'agent de sécurité ou le gardien doit également être en possession d'une carte professionnelle, délivrée par l'employeur, mentionnant ses coordonnées et l'autorisation administrative obtenue par l'entreprise de gardiennage. Elle doit comporter une photographie de son détenteur.
Les dirigeants ou employés des entreprises en cause ne peuvent faire état de la qualité d'anciens fonctionnaires de police ou d'anciens militaires qu'ils pourraient avoir dans tout document, publicité ou correspondance de la société.
Dans l'exercice de ses missions, l'agent de surveillance est considéré comme un simple citoyen. Il est donc soumis aux règles juridiques de la légitime défense, de l'assistance à personne en danger et du flagrant délit. Il peut être armé dans les conditions réglementaires en vigueur pour la protection des biens, mais pas des personnes.
b) La nécessité d'élaborer une législation plus rigoureuse
- Le projet de loi Debré
L'annexe I de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 de programmation relative à la sécurité a annoncé le principe d'une loi ultérieure redéfinissant le statut et les missions des entreprises de gardiennage, de surveillance, de transport de fonds et des agences de recherche privées. M. Jean-Louis Debré, ancien ministre de l'intérieur, a ainsi élaboré un projet de loi déposé sur le bureau du Sénat34 le 21 juin 1995 qui n'est jamais venu en discussion devant le Parlement.
Ce projet visait à poursuivre l'_uvre entreprise en 1983 dans le sens d'une plus grande exigence de qualité des prestations de sécurité privée, en renforçant les conditions d'exercice de la profession, en encadrant plus strictement les missions de ces entreprises et en exerçant sur elles un contrôle plus étroit.
Les conditions requises des dirigeants d'une société exerçant des activités privées de surveillance, gardiennage, transport de fonds ou protection de personnes devaient être renforcées. Actuellement, le préfet ne peut faire obstacle à l'exercice de ces activités par un dirigeant que dans un seul cas : lorsque l'intéressé a fait l'objet, pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes m_urs ou pour atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, d'une sanction disciplinaire ou d'une condamnation à une peine d'emprisonnement correctionnelle ou criminelle. Le projet de loi instituait un véritable agrément individuel, délivré au vu de critères tenant non seulement à l'absence de mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire, mais aussi à la circonstance que l'intéressé n'a pas été l'auteur de faits contraires aux bonnes m_urs ou de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'Etat.
Cette condition nouvelle aurait dû permettre à l'autorité de police de s'opposer à l'exercice des fonctions de direction d'une entreprise de sécurité privée lorsque l'intéressé est connu pour des activités ou un comportement dénotant un risque pour la sécurité. Dans le même esprit, il était prévu d'exclure que les dirigeants de ces sociétés puissent exercer toute autre activité professionnelle incompatible avec leur métier principal dans une société de gardiennage ou de sécurité. Enfin, il était prévu d'exiger des dirigeants la justification d'une qualification ou d'une aptitude professionnelle, afin de garantir la qualité des prestations rendues.
Ce projet de loi prévoyait de la même façon de renforcer les conditions d'aptitude et d'honorabilité auxquelles devraient satisfaire les salariés des entreprises de ce secteur. Ces conditions devaient être les mêmes que celles prévalant pour les dirigeants ou gérants, à la différence près que la condition de qualification professionnelle serait remplie dans des conditions naturellement différentes pour un salarié et pour un dirigeant. S'agissant des salariés, une simple obligation de déclaration devait être mise à la charge des entreprises, afin de permettre le contrôle de l'administration et de lutter contre le travail clandestin.
Le dossier de demande d'autorisation administrative pour une société de sécurité privée devait comporter de nouveaux éléments sur la répartition du capital de la société et les participations financières détenues dans d'autres entreprises. Ces éléments seraient en effet utiles à l'appréciation de la situation financière de l'entreprise qui sollicite l'autorisation.
Les conditions dans lesquelles l'autorisation administrative dont bénéficie une entreprise de surveillance ou de gardiennage peut être retirée étaient précisées. Le retrait pouvait intervenir lorsque l'entreprise ne satisfaisait pas les obligations qui sont les siennes en vertu de la loi ou bien lorsqu'il apparaissait qu'elle constituait, par ses activités, une menace pour la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat. La suspension provisoire à titre conservatoire était notamment prévue, lorsque des poursuites pénales sont engagées.
Pour cela, une faculté nouvelle était aussi instituée au profit des commissaires de police, des officiers de police et des officiers et gradés de la gendarmerie nationale, en vue d'exercer une surveillance sur les entreprises régies par la loi. Ces personnes auraient eu en effet, au nom de l'administration, la faculté de contrôler sur place les conditions dans lesquelles les entreprises respectent les obligations auxquelles la loi les astreint, en particulier en matière d'emploi de salariés qualifiés régulièrement déclarés.
Enfin, l'ensemble des sanctions pénales applicables en cas d'inobservation de la loi étaient redéfinies. Les peines encourues étaient majorées jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 300 000 francs d'amende dans les cas les plus graves. Il était par ailleurs bien précisé que le fait d'exercer ou de faire exercer des activités de surveillance, gardiennage, transport de fonds ou protection des personnes en méconnaissance des règles prescrites par la loi ferait encourir une sanction pénale, afin de faire échec à des activités de cette nature sous le couvert d'autres activités commerciales.
- Les recommandations de la Commission
Compte tenu des dérives et des liens constatés entre certaines sociétés de sécurité privées et l'extrême-droite, la Commission estime nécessaire qu'un texte s'inspirant de ces principes vienne en discussion rapidement devant le Parlement. M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur, a indiqué lors de son audition qu'un projet de loi en ce sens, dont il n'a pas dévoilé le contenu, allait être soumis à arbitrage interministériel. Le ministre de l'intérieur a lui-même souhaité que ce texte vienne en discussion car il s'agit, selon lui, d'" un des éléments de garantie du respect de la légalité républicaine ".
Il serait souhaitable qu'un agrément administratif, délivré sur justificatifs par l'autorité préfectorale, soit exigé non seulement des dirigeants de la société mais aussi de ses employés. Une simple déclaration en préfecture ne permet pas en effet à l'Etat de contrôler les qualifications professionnelles et les qualités " morales " de ces personnes. Le retrait d'agrément, lui aussi absent du texte préparé par M. Jean-Louis Debré, doit être organisé car il s'agit du seul moyen de contrôle efficace de l'activité de ces sociétés, notamment à l'issue de visites de surveillance par les autorités de police ou de gendarmerie. Il serait tout à fait possible de s'inspirer de la loi n° 99-291 du 15 avril 1999 relative aux polices municipales, qui prévoit notamment un agrément préalable des agents de police municipale par le préfet, cet agrément pouvant être retiré ou suspendu. Ainsi que l'a indiqué M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur, " je crois davantage à la vertu de l'agrément retiré qu'à la vertu de l'agrément donné ". De même, des exigences de formation pour les personnels en cause doivent être imposées.
Une autre garantie pourrait aussi être trouvée dans un meilleur respect de certaines règles déontologiques par la profession. A cet égard, il faut signaler qu'un projet de loi actuellement en cours de discussion au Parlement35 prévoit la création d'une Commission nationale de la déontologie de la sécurité, notamment compétente à l'égard des personnes employées par les sociétés de sécurité privées régies par la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 précité. Cette commission devrait pouvoir être saisie, selon un système similaire au Médiateur de la République36, par toute personne victime ou témoin de faits constituant un manquement aux règles de déontologie. Si un manquement est effectivement constaté, la Commission nationale de la déontologie de la sécurité devrait pouvoir adresser un avis ou une recommandation au dirigeant de la société en cause. Le problème essentiel consistera à définir ce que l'on peut entendre par règles déontologiques propres à cette profession, et quelle force contraignante elles auront vis-à-vis des personnels concernés.
Enfin, si les entreprises privées semblent aujourd'hui bien implantées dans le domaine de la sécurité intérieure - et aussi extérieure avec la diversification internationale -, il ne faut pas remettre en cause le monopole de l'Etat en matière de maintien de l'ordre et de garantie de la sécurité des biens. On ne peut pas considérer qu'il s'agit d'une activité commerciale comme une autre. Il ne s'agit pas que, sous couvert de sociétés privées de gardiennage, de simili-milices se constituent pour imposer leurs noyaux de sécurité. En toutes circonstances, force doit demeurer la loi, et à elle seule.
3. Pour une véritable vigilance républicaine : la politique de la " tolérance zéro " à l'égard du DPS
Au-delà de cet indispensable complément de notre arsenal juridique se pose la question de l'utilisation effective par les pouvoirs publics des dispositions légales et réglementaires existantes. Il ressort, en effet, clairement des analyses précédentes que le DPS a pu bénéficier d'un certain attentisme de la part de nos institutions. C'est à une véritable vigilance républicaine qui se traduise également dans les actes qu'appelle aujourd'hui la Commission.
a) Professionnels de la sécurité et déontologie : des mots aux actes
Les capillarités préoccupantes entre le DPS et les professionnels de la sécurité, publics ou privés, doivent être dénoncées et combattues. Sans doute n'ont-elles pas la même dimension selon qu'elles concernent des employés de sociétés de surveillance ou des agents dotés de prérogatives de puissance publique, tels que les policiers ou les gendarmes. Les passerelles existantes entre ces différents secteurs conduisent néanmoins à plaider pour une approche déontologique globale.
Telle est d'ailleurs la perspective dans laquelle se situe le projet de loi portant création d'une Commission nationale de la déontologie de la sécurité, évoqué ci-dessus. La Commission se réjouit que le Gouvernement dote nos institutions d'une nouvelle autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République. L'approche large retenue par le Gouvernement et l'Assemblée nationale37 doit également être saluée, en ce qu'elle permet " d'unifier les pratiques des acteurs de la sécurité sur la base de valeurs communes "38.
Sans doute les personnes remplissant des missions de sécurité, du moins lorsqu'elles appartiennent au secteur public, sont-elles déjà soumises à des obligations et à un contrôle, disciplinaire notamment, liés à leur statut. Toutefois, certains des dysfonctionnements observés par la Commission pendant son enquête n'entrent malheureusement pas dans ce champ. Les représentants des syndicats de policiers n'ont-ils pas souligné qu'en dehors de ses heures de service, un policier était libre de ses activités, y compris d'aller assurer des missions de sécurité privées ? Et même lorsque des sanctions disciplinaires sont susceptibles de s'appliquer, elles ont paru à la Commission souvent trop indulgentes. D'où la nécessité d'un organisme dont les compétences dépassent le seul contrôle du respect des normes juridiques : " les règles déontologiques s'attachent à définir pour une profession ou une activité donnée un ensemble de valeurs qui dépassent à la fois le cadre des seuls actes accomplis par les individus et celui des seules normes juridiques applicables. La déontologie régit, en conséquence, le comportement professionnel, mais tend également à créer un état d'esprit ".
Créer un état d'esprit ". A cet égard, la Commission recommande :
- que la future autorité porte une attention particulière à la confusion entre police, gendarmerie et DPS, notamment lors de manifestations, afin de mettre fin à ce qui a pu être ressenti comme un partage des rôles peu conforme aux valeurs républicaines ;
- que la participation de policiers ou de militaires à un service d'ordre dont les agissements dévoient ou mettent à mal les règles et les symboles républicains soit dénoncée avec force et ne bénéficie d'aucune " loi du silence " ;
- qu'un suivi attentif du développement des syndicats d'extrême-droite dans la police nationale soit instauré, sans toutefois porter atteinte à la liberté syndicale. Le précédent malheureux du Front National de la Police montre en effet que l'entrisme de l'extrême-droite dans la police nationale est une réalité constante et que les autorités en charge de la police nationale se sont montrées pusillanimes face à une violation flagrante du code du travail ;
- qu'au sein de la gendarmerie, même si ce problème d'entrisme se pose de façon moins cruciale du fait de l'existence d'un statut beaucoup plus contraignant en matière de liberté d'expression, la diffusion de magazines ou de toute publication émanant d'associations de retraités ou de réservistes notoirement extrémistes fasse l'objet d'une surveillance particulière, non seulement par la direction générale de la gendarmerie nationale, mais également au niveau du commandement de légion ;
- qu'enfin, s'agissant des sociétés de sécurité, la future commission de déontologie porte une attention soutenue aux sociétés manifestement liées à l'extrême-droite.
b) Police nationale et DPS : sanctionner davantage et mieux contrôler
S'agissant plus spécifiquement de la police nationale, la Commission préconise une meilleure application des sanctions disciplinaires. Deux voies doivent être notamment suivies, afin de lutter contre l'entrisme malsain de l'idéologie du Front National au sein de la police nationale et contre la participation de policiers au DPS, corollaire rare, mais néanmoins réel.
· Les sanctions disciplinaires doivent être systématiques : des auditions qu'elle a menées, la Commission recueille l'impression que seules les affaires les plus graves sont sanctionnées, tandis que beaucoup ne vont pas jusqu'au terme de la procédure disciplinaire, voire sont purement et simplement classées. Le fait que M. Jean-Paul Laurendeau, fonctionnaire de police, se soit rendu à une manifestation du Front National, pendant ses heures de service, avec un véhicule administratif, sans avoir été sanctionné, est totalement inadmissible. Ne disposant pas des enquêtes de commandement ni du témoignage de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), la Commission ne peut toutefois étayer son argumentation de statistiques précises.
Plus encore, les sanctions prises contre les fonctionnaires fautifs doivent être plus sévères. Il semble, par exemple, à la Commission, que le CRS qui, au vu des caméras de télévision, a bafoué son devoir de réserve dans l'exercice de ses fonctions, aurait dû être plus lourdement sanctionné. Que dire, enfin, de la réintégration de M. Philippe Bitauld, aujourd'hui Président de la FPIP, qui siège, à ce titre, dans les instances paritaires de la police nationale et y tient des propos racistes ? La Commission s'étonne que son exclusion de l'institution n'ait pas été définitive.
· Une plus grande vigilance doit également être apportée aux affectations des fonctionnaires de police. Même s'il est sans doute exceptionnel, le cas de M. Frédéric Jamet est néanmoins symptomatique d'un laissez-faire regrettable. Sans doute sa nomination à la direction des renseignements généraux à la préfecture de police est-elle antérieure à l'exercice de ses fonctions syndicales. On peut toutefois douter que la direction des renseignements généraux de la préfecture de police ait pu ne pas connaître les sympathies politiques d'un de ses fonctionnaires, d'autant que ce service avait été confronté à ce genre de problème dans les années 197039. Quant à son reclassement à l'OCTRIS, il s'est fait en connaissance de cause.
Enfin, de manière plus générale, la Commission souhaite que les acteurs de l'institution accordent une vigilance accrue aux activités du DPS elles-mêmes. Les professions de foi sont insuffisantes. Les policiers et notamment leurs représentants syndicaux, ont donc le devoir de recenser et de faire remonter à leurs supérieurs hiérarchiques les actes du DPS susceptibles de faire l'objet de poursuites pénales. Ils doivent également veiller à dissocier leurs actions de celles du DPS lorsqu'ils doivent travailler en présence de ce service d'ordre, sur le terrain.
c) Polices municipales et DPS : les nouvelles responsabilités des préfets et des procureurs
La Commission se félicite qu'avec l'intervention de la loi 99-291 du 15 avril 1999 relative aux polices municipales ait été mis fin au cadre juridique très insatisfaisant qui régissait les polices municipales. Car, comme l'illustre le cas de Vitrolles, le risque était bien de voir ces forces, dont le développement s'est fortement accru depuis quelques années " représenter, dans le meilleur des cas, une amorce de remise en cause de l'unité de la République et dans le pire, ni plus ni moins qu'une vulgaire garde prétorienne "40.
Le nouveau statut juridique des polices municipales apporte cinq innovations essentielles à un meilleur encadrement de ces forces :
- Désormais, une convention de coordination doit être conclue entre le maire et la commune et le représentant de l'Etat dans le département, après avis du procureur de la République, dès lors qu'un service de police municipale comporte au moins cinq agents de police municipale (article 2). " Cette innovation essentielle, pierre angulaire du projet de loi, est la traduction juridique de la complémentarité "41 entre l'ensemble des forces qui participent à la sécurité. L'Etat dispose ainsi d'une compétence d'ensemble dans la définition de leurs missions ;
- En outre, l'Etat se voit doté d'un véritable pouvoir de vérification des services de la police municipale, ce qui met fin à un vide juridique regrettable. La multiplicité des autorités compétentes pour demander au ministère de l'intérieur de vérifier l'organisation et le fonctionnement d'un service de police municipale - maire, représentant de l'Etat ou procureur de la République - fait de la vérification un contrôle efficace d'autant plus qu'elle peut être opérée par les services d'inspection générale de l'Etat ;
- S'agissant de la composition des services de police municipale, une innovation majeure est également apportée par l'introduction du double agrément. Alors que, jusqu'à maintenant, les candidats recrutés étaient nommés, après un stage d'un an et l'agrément du procureur de la République - dont la délivrance n'était soumise à aucun critère précis -, ils doivent désormais recevoir le double agrément du procureur de la République et du préfet. Plus encore, le retrait d'agrément de l'un ou de l'autre vaut retrait global.
On observera cependant que, si la nouvelle procédure d'agrément devrait permettre un contrôle effectif des agents recrutés par concours, elle ne règle pas pour autant le problème de l'encadrement, officiel ou officieux, de la police municipale, problème que le cas vitrollais pose avec acuité. Sur ce point, la Commission recommande l'application systématique du pouvoir de vérification du ministre de l'intérieur, en cas de doute sur les pratiques déontologiques mises en _uvre ;
- En ce qui concerne l'équipement des agents de la police municipale, la loi du 15 avril 1999 apporte deux modifications majeures. En premier lieu, l'armement des policiers municipaux est, désormais strictement réglementé : en principe, les agents de police municipale ne sont pas armés. Toutefois, si " la nature de leurs interventions et les circonstances le justifient, [ils] peuvent être autorisés nominativement par le représentant de l'Etat dans le département, sur demande motivée du maire, à porter une arme ", sous réserve de l'existence de la convention de coordination précitée (article 8). En second lieu, les tenues des policiers municipaux sont également réglementées : d'une part, elles ne doivent pas être de nature à entraîner une confusion avec celle de la police nationale ou de la gendarmerie ; d'autre part, il est prévu qu'un décret en Conseil d'Etat fixe les caractéristiques et les normes techniques des équipements, tenues, etc. utilisés par les agents de police municipale ;
- Enfin, un code de déontologie doit être établi par décret en Conseil d'Etat, le contrôle de son respect incombant, en principe au maire et, en cas de vérification, aux inspections diligentées par le ministre de l'intérieur.
L'ensemble de ces dispositions devrait permettre de mettre fin aux dérives constatées précédemment, à Vitrolles notamment. A cet égard, la Commission recommande que soit apportée une attention particulière aux missions et à la tenue des agents de la police municipale de Vitrolles et que soit rapidement mis fin à tous les facteurs de confusion avec les autres forces de sécurité.
d) Armée et DPS : des marges de man_uvre à utiliser
Sans doute les liens entre le service d'ordre du Front National et l'institution militaire en tant que telle sont-ils assez faibles. Il n'en demeure pas moins que, ne serait-ce qu'au regard du passé militaire des membres du DPS entendus par la Commission, le monde militaire intéresse, voire fascine les membres du DPS et que des liens existent bel et bien.
De manière générale, on observera que le statut général des militaires limite ces dérives, puisqu'il interdit l'adhésion à un parti politique et n'autorise la participation des militaires à des manifestations de partis politiques que dans la mesure où les militaires ne font pas mention de leur état. Dans cette perspective, les rares cas de militaires d'active " pris en flagrant délit " d'activités au sein du service d'ordre ont été sanctionnés, d'après les éléments recueillis par la Commission.
La question du lien entre l'armée et le DPS ne saurait toutefois se limiter à ce cas de participation directe, ni aux seuls militaires d'active. Dans le cadre de la professionnalisation des armées entreprise dans le cadre de la loi de programmation militaire, le problème de la seconde carrière des militaires se pose avec acuité. Faut-il rappeler qu'entre 1997 et 2002, les flux supplémentaires de départ de sous-officiers s'élèvent à 2 500 effectifs par an ? Faut-il encore souligner que le développement des contrats courts augmente le taux de renouvellement des personnels ainsi que le nombre d'anciens militaires entrant sur le marché du travail ? Déjà, en 1997, au tout début du processus de professionnalisation, ce sont près de 18 000
- 2 066 officiers, 10 031 sous-officiers et 5 855 militaires du rang - qui ont quitté l'armée, contre 14 712 en 199642. Sans doute, notamment grâce à la mise en place de mesures d'incitation financières et d'un dispositif de reconversion, le ministre de la défense a mis en place une politique active de gestion de ses personnels qui leur permette de diversifier leur seconde carrière au-delà des professions de sécurité.
On observera cependant que, d'après les renseignements fournis par le ministère de la défense, qui reposent sur des déclarations volontaires et n'ont pas, à ce titre, de valeur exhaustive :
- 78,36 % des personnels s'orientent vers le secteur privé, dont 25 % dans les catégories des services aux personnes et à la collectivité, commerciaux et administratifs. La Commission ne dispose pas d'analyses socio-professionnelles plus fines ;
- la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui constitue un vivier privilégié de recrutement du DPS ou du DPA, est la troisième région d'installation après l'Ile-de-France et la Bretagne (14,07 % contre respectivement 20,12 % et 14,54 %).
A la lumière de ses travaux, la Commission souhaite donc attirer l'attention du ministre de la défense sur deux domaines d'action : les règles régissant la seconde carrière des militaires et la gestion de la réserve.
- La seconde carrière des militaires
S'agissant, tout d'abord, des personnels devant cesser ou ayant définitivement cessé d'exercer leurs fonctions par suite de leur radiation des cadres ou devant être placés en situation de disponibilité, la Commission rappelle que le ministère de la défense dispose d'un levier d'action au travers du dispositif créé par le décret du 11 janvier 199643. Ce décret dispose en effet que les militaires doivent, dans un certain nombre de cas, informer l'administration militaire de la nature de l'activité privée lucrative qu'ils se proposent d'exercer. Sont notamment concernés les militaires de carrière demandant à être placés en disponibilité ou en congé sans solde, ainsi que certaines catégories d'officiers ou d'ingénieurs en retraite depuis moins de cinq ans. Plus encore, le ministre de la défense dispose d'un pouvoir élargi qui lui permet de demander aux autres catégories de militaires de l'informer de leurs fonctions. Il lui revient ensuite de décider de la compatibilité de ces activités, après consultation d'une Commission de déontologie.
Si ce dispositif s'insérait essentiellement dans le cadre de la lutte contre la corruption, rien n'interdit cependant qu'il s'applique au cas de militaires souhaitant exercer les activités dans une société de gardiennage. Plus encore, dans un cas comme celui du capitaine Jean-Pierre Fabre qui, en tant que dirigeant du DPS, était rémunéré, le ministre de la défense dispose là d'un moyen d'action efficace.
En conséquence, la Commission recommande qu'une attention particulière soit apportée à la reconversion des militaires dans les sociétés de sécurité et de gardiennage, qui se révèlent être un vivier de recrutement du DPS. Elle souhaite, en outre, que les motivations de demandes de disponibilité fassent l'objet d'un examen attentif. Il est pour le moins malvenu que le capitaine Jean-Pierre Fabre, qui a obtenu d'être placé en disponibilité de ses fonctions au sein de la gendarmerie nationale le 3 mai 1993, ait été nommé directeur national du DPS au mois de juillet suivant. On notera toutefois que, d'après les informations recueillies par la Commission, le capitaine Jean-Pierre Fabre n'avait pas mentionné ce projet à sa hiérarchie.
· Ce dispositif est-il suffisant ? Votre rapporteur ne le pense pas. C'est pourquoi, afin de le renforcer, il propose que, de la même manière que l'article 35 du statut général des militaires réglemente l'accès des militaires aux entreprises ayant été en relations avec le ministère de la défense, l'accès des militaires aux sociétés privées de surveillance et de gardiennage soit strictement réglementé. Complétée par un renforcement du régime juridique de ce type d'entreprises, tel qu'il a été exposé précédemment, cette mesure permettrait de lutter contre l'établissement de réseaux d'amitié et de sociabilité dont, à l'évidence, a profité le DPS.
En outre, il convient de noter que ce dispositif concerne seulement les " activités lucratives ". Cependant, il semble difficile de conférer au ministère de la défense un pouvoir d'appréciation en matière d'activités bénévoles, la qualification des critères de refus posant problème, notamment au regard du principe constitutionnel de liberté d'opinion.
- La gestion de la réserve
La suspension de l'appel sous les drapeaux en 2002 impose de modifier l'organisation de la réserve, qui sera privée de son fondement légal et de son mode de recrutement principal. C'est à cette fin qu'a été déposé au Sénat, le 28 janvier 1999, un projet de loi portant organisation de la réserve militaire et du service de la défense.
· Le dispositif prévu par ce projet de loi devrait permettre au ministère de la défense de disposer d'un levier d'action fondamental dans le choix des futurs réservistes, du moins pour la première réserve, ensemble opérationnel mobilisable rapidement en tant que de besoin. Cette première réserve concerne en effet deux catégories de personnes :
- des volontaires dont l'engagement est soumis à l'agrément de l'autorité militaire et qui doivent avoir reçu une affectation ;
- des anciens militaires ayant reçu une affectation.
Ces deux procédures d'agrément et d'affectation confèrent à l'autorité militaire un pouvoir de choix dans la composition de cette première réserve, dont la Commission ne peut que se réjouir. Elle s'interroge cependant sur l'absence de détermination par la loi des critères d'agrément : dans quelle mesure peut-on être certain qu'il ne s'agira pas d'un agrément formel, qui se limite à un rapide contrôle du casier judiciaire ou des conditions d'âge et de nationalité ? Or, dans le cas du DPS, c'est bien davantage l'instauration de réseaux d'influence ou de sociabilité qui est en cause. La qualification juridique des critères pourrait cependant se révéler moins efficace que le dispositif actuel, qui donne un large pouvoir d'appréciation à l'autorité militaire. Par conséquent, la Commission plutôt qu'une qualification des critères d'agrément, recommande que l'autorité militaire prenne en compte la participation des candidats à des structures telles que le DSP ou à des sociétés de sécurité. Il faut espérer que le nombre de candidats sera suffisant pour que l'autorité militaire puisse réellement exercer son pouvoir de choix.
· La Commission souhaite enfin appeler l'attention du ministre de la défense sur le problème des associations de réservistes qui peuvent représenter un vecteur d'influence de l'extrême-droite et, en dernière analyse, de recrutement pour le service d'ordre. La problématique se pose, d'ailleurs, dans des termes similaires pour les associations de retraités. Votre rapporteur, pour avoir spécifiquement travaillé sur ce sujet, ne méconnaît pas le rôle de lien entre la Nation et son armée que jouent ces associations, rôle d'ailleurs réaffimé, en ce qui concerne les associations de réservistes, par l'article 1er du projet de loi précité. La Commission préconise néanmoins un strict contrôle de ces associations ; il serait pour le moins fâcheux que des associations, relais d'idéologies extrémistes sécuritaires et xénophobes, bénéficient de financements publics de la part du ministère de la défense. Il serait donc souhaitable que seules les associations agréées par le ministère de la défense bénéficient d'un traitement privilégié, cet agrément se fondant notamment sur le respect des principes républicains.
e) Autorité judiciaire et DPS : appliquer les sanctions pénales avec plus de vigueur
Compte tenu du faible nombre d'infractions mettant en cause le DPS sanctionnées par la justice, la Commission estime nécessaire de rappeler aux responsables du parquet de faire preuve d'une vigilance particulière en la matière. S'ils sont maîtres de l'opportunité des poursuites, les procureurs de la République doivent toutefois avoir à l'esprit le contexte général dans lequel peuvent s'inscrire des faits mettant en cause des membres ou supplétifs du DPS.
Quelques événements peuvent être rappelés.
- A Carpentras, ni l'occupation de la voie publique par le DPS, ni l'interpellation d'une personne par l'un de ses membres n'a donné lieu à poursuite.
- A Montceau-les-Mines, le bilan judiciaire fut bien maigre. S'agissant du port d'un uniforme et d'un équipement qui a prêté à confusion dans l'esprit du public avec des gendarmes mobiles, il y aurait eu matière à sanction pénale sur la base de l'article 433-15 du code pénal. Tel est notamment le sentiment exprimé devant la Commission par M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur.
- Suite à la manifestation illégale organisée sur la place de l'Etoile après la réunion publique de la salle Wagram, il n'y a pas eu de poursuites judiciaires alors qu'un policier dans l'exercice de ses fonctions a été bousculé et que la manifestation n'était pas autorisée (ce dont M. Bruno Gollnisch a dit devant les caméras qu'il " se fichait complètement ").
Des recommandation plus générales peuvent aussi être faites.
Le port d'armes est difficile à caractériser comme infraction : souvent les intéressés, qui détiennent des armes de 4ème catégorie (armes à feu de défense), sont inscrits à un club de tir sportif et peuvent donc les détenir. Mais il va de soi que le fait de porter de telles armes ou de les avoir dans sa voiture quand on assure le service d'ordre d'une manifestation a une signification particulière. Les forces de sécurité - de police ou de gendarmerie - sont habilitées à demander la justification d'un port d'armes. En l'absence de justification et d'autorisation, on se trouve en présence d'un port d'armes illégal. Dans ce cas, le fonctionnaire de sécurité, s'il a la qualité d'officier de police judiciaire (OPJ) doit constater l'infraction et, s'il ne l'a pas, appeler immédiatement un OPJ en vue de faire établir la procédure et de saisir la justice.
L'autorité judiciaire peut également infliger, en vertu de l'article 18 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, une peine complémentaire d'interdiction de participer à une manifestation pour une durée maximum de trois ans à l'encontre de toute personne qui a commis des violences lors d'une manifestation se déroulant sur la voie publique.
Enfin, le parquet devrait requérir plus souvent les peines complémentaires d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, particulièrement adaptées lorsqu'il s'agit de sanctionner les manquements de membres du service d'ordre d'un parti politique participant au processus électoral et démocratique.
CONCLUSION
Tout travail d'enquête a ses limites, surtout quand son objet est aussi opaque et fermé que l'est le DPS. Pour cette raison, la Commission ne prétend pas à l'exhaustivité : sans doute reste-t-il bien des choses à dire, bien des éléments à creuser, s'agissant d'un DPS aujourd'hui dédoublé et secoué par une crise grave.
Pour autant, en dépit de ces limites méthodologiques, la Commission est en mesure de dresser, après plusieurs mois d'investigation, un bilan solide. Tant par son organisation que par sa composition ou ses méthodes d'action, le DPS, loin du service d'ordre classique que ses responsables se sont attachés à décrire avec une belle unanimité, est un mouvement aux accents paramilitaires marqués, qui n'hésite pas à provoquer, intimider, voire " faire le coup de poing ", au besoin. Tour à tour service d'ordre musclé, pseudo-police, garde prétorienne et service de renseignement, il inscrit son action dans un substrat de violence et de haine typique de la culture d'extrême-droite. " Défendre ", " se défendre contre les attaques " ... : les mots eux-mêmes témoignent de cette prégnance de la violence, qui fonctionne en l'occurrence comme une clé d'explication aussi simpliste que factice.
*          *
Que faire face à un mouvement qui, en certaines occasions, n'a pas hésité à faire fi des valeurs, des symboles, voire des lois de la République ?
L'attitude à adopter face à un mouvement tel que le DPS ne saurait se résumer à la question de son éventuelle dissolution. Sans doute la question mérite-t-elle d'être posée. Aux yeux de la Commission, il est même peu douteux qu'une réponse positive aurait dû y être apportée, notamment après la multiplicité d'incidents qui ont émaillé l'action du DPS en 1996 et au début de l'année 1997. Car, même s'il est vrai que " jamais aucun texte légal n'a pu aboutir à l'éradication de courants qui avaient une véritable fonction dans la société et chacun sait que l'histoire du vingtième siècle a été en grande partie faite par des organisations juridiquement inexistantes que les décisions des pouvoirs n'empêchaient nullement de prospérer "44, cette mesure forte aurait témoigné d'un sursaut républicain salutaire.
Aujourd'hui cependant, la réponse qui doit être apportée aux agissements du DPS doit s'inscrire dans le présent, caractérisée par la scission de fait du service d'ordre du Front National. Plus qu'une menace, le DPS est donc, en l'état actuel des événements, avant tout un défi pour la République, qu'il lui appartient de relever de manière adéquate.
C'est au strict respect du droit et à une vigilance républicaine de tous les instants qu'appelle la Commission. Vigilance à l'égard du DPS lui-même d'abord, et de son avatar mégrétiste, le DPA. Il n'est pas douteux en effet que l'affrontement qui se livre entre le Front National et le Mouvement National ne favorise une surenchère de la violence, dont DPS et DPA seront les acteurs privilégiés. Mais au-delà de cette garde prétorienne, au-delà de ce service d'ordre particulier, la vigilance doit également s'exercer sur le Front National et le Mouvement National eux-mêmes, dont le DPS, et vraisemblablement le DPA, ne sont, en définitive, que les bras armés. Car, ainsi que l'a rappelé M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur : " La lutte contre le Front National est un objectif de tous les Républicains ! Je pense que c'est d'abord aux causes de son développement que nous devons, tous ensemble, nous attaquer ".
* *
La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 26 mai 1999 et l'a adopté.
Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.
* *
EXPLICATIONS DE VOTE

explications de vote des commissaires appartenant
aux groupes RPR, UDF et DL 
(1)

I.- un bilan conforme aux déclarations de l'opposition à l'occasion de la création de la commission d'enquête.
La question essentielle a été posée dès la création de cette commission d'enquête par les parlementaires de l'opposition.
Cette commission peut-elle aboutir à quelque chose ? Soit elle découvrira des infractions avérées susceptibles de justifier l'application de la loi de 1936. Soit elle n'en découvrira pas. Quel aura alors été son intérêt ?
En créant cette commission, au moment précis où le Front National traversait de graves turbulences au point qu'il s'est scindé en deux depuis, la gauche plurielle souhaitait une nouvelle fois alimenter les polémiques et polariser le débat autour du Front National pour tenter d'en tirer parti.
A la création d'une commission d'enquête, nous avions préféré la solution beaucoup plus efficace qui consiste à faire confiance à la justice, la police, la gendarmerie pour combattre les délits, surtout si les informations dont disposent le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux leur sont transmises. A chacun son rôle : nous, élus, devons nous battre sur le terrain des idées, convaincre nos concitoyens qu'ils sont dans l'erreur, être une force de propositions, d'action, de persuasion, de novation.
.../...
II.- une conclusion à la hauteur de l'inutilité de la commission d'enquête.
- Les députés des trois groupes de l'opposition constatent que le rapport n'apporte aucune révélation sur le fonctionnement, déjà connu, du DPS. Le rapport n'a pas fait apparaître l'existence de nouveaux faits illicites, qui n'aient été déjà poursuivis et sanctionnés.
- La Commission se contente de détailler des faits divers regrettables, sans apporter aucune solution de nature à éviter leur renouvellement.
- Au regard de ce faible bilan, les groupes RPR, UDF et DL regrettent que certains titres tapageurs du rapport laissent entendre une défaillance coupable des services de sécurité et de la justice. Ils souhaitent pour leur part relativiser cette mise en cause et rendent hommage au travail effectué par ces services.
- Il ne ressort de cette commission aucune véritable proposition, dans la mesure où elle ne fait que préconiser une application rigoureuse de la loi. Elle s'oppose d'ailleurs au gouvernement sur la question de la dissolution du DPS en regrettant le laxisme du ministre de la Justice.
Au-delà de l'affichage politique et à défaut de révélation et de propositions significatives, les députés de l'opposition ne participeront pas au vote du rapport de cette commission.

explications de vote des commissaires appartenant
au groupe communiste 
(1)

A l'issue des travaux de la commission d'enquête sur " les agissements, l'organisation, le fonctionnement, les objectifs du groupement de fait dit département protection sécurité et les soutiens dont il bénéficierait ", il apparaît clairement que les hypothèses et craintes à l'origine de la création de la commission d'enquête, ont été confirmées par les travaux de cette dernière.
Les parlementaires communistes se félicitent du sérieux des auditions qui, à huis clos, ont permis de recueillir des témoignages et informations de première main, qui ont recoupé et approfondi les enquêtes journalistiques déjà publiées. Dans les circonstances de la scission du Front National et de son service d'ordre, le choix du huis clos a permis aux témoins de s'exprimer plus librement.
En raison de la qualité et du sérieux des informations recueillies, les députés communistes voteront pour ce rapport, tout en regrettant la timidité des conclusions. L'appel à " la vigilance républicaine " ne peut se dégager de la formulation de propositions plus concrètes et d'une réflexion sur la responsabilité de l'Etat.
A la lecture du rapport, il apparaît nettement que toutes les conditions pour la dissolution du DPS sont réunies. En effet, son caractère permanent, son mode paramilitaire, les formations et armements dont il dispose, l'uniforme et insignes distinctifs qu'il génère, son organisation hiérarchique, sa substitution à la force publique, cet ensemble justifie pleinement qu'il soit procédé à la dissolution du DPS. Alors qu'une grande partie des conditions étaient réunies et connues en 1996 et 1997, on peut légitimement se demander pourquoi aucune décision de dissolution n'a alors été prise.
Aujourd'hui, malgré la scission du Front National, la dissolution du DPS reste une nécessité. En effet, il n'y a pas lieu de penser que son organisation, son fonctionnement et ses méthodes aient changé à la suite du départ d'un certain nombre de ses cadres vers le DPA. Au contraire, il nous apparaît que cette scission risque de générer une augmentation de violence. Ceci devrait d'ailleurs conduire l'Etat à se montrer vigilant quant à l'organisation et au fonctionnement du DPA, hybride du DPS.
La Commission d'enquête a souligné l'inertie, l'indulgence et les faiblesses de la part de certaines autorités assurant le maintien de l'ordre public, ainsi que le faible nombre de poursuites diligentées par le parquet. Ces éléments nous semblent préoccupants et révèlent une fragilisation des institutions, des structures et des méthodes à laquelle l'Etat se doit d'être attentif.
Outre un certain laxisme et certaines fois le soutien que le DPS a obtenu des corps constitués, le rôle joué par un grand nombre de sociétés de gardiennage et de sécurité comme appui logistique et humain du DPS pose problème. Ceci nous conduit à soutenir la proposition de la Commission d'enquête visant à renforcer la législation en vigueur, afin d'accentuer le contrôle des missions assurées par ces entreprises.
Ces propositions sont nécessaires, mais elles ne doivent pas conduire à éluder par une voie détournée, la question de la nature du service d'ordre du Front National. Pour les députés communistes, le DPS est un outil au service de l'idéologie nationaliste, xénophobe et extrémiste du Front National. Dès lors, se poser la question de la dissolution du DPS, c'est aussi s'interroger sur la légalité de ce parti. Le débat est ouvert.
En tout cas, la dissolution du DPS permettrait de réaffirmer notre volonté du respect des libertés publiques et républicaines, en en sanctionnant un groupement dont toutes les informations recueillies par la Commission, montrent qu'il les remet formellement en cause.
ANNEXES

les mouvements d'extrême-droite depuis les années 1960

L'extrême-droite française s'est toujours caractérisée par une tendance à l'émiettement en groupuscules activistes, souvent rivaux pour des raisons de personnes.

Jeune Nation a été fondé en 1949 par les frères François, Jacques et Pierre Sidos. Il a été le premier à adopter la croix celtique ornant des blousons noirs, vieux symbole solaire repris par tous les mouvements néo-nazis ultérieurs. Dissous le 15 mai 1958 en raison de sa participation aux différents complots contre la IVème République ayant abouti à la journée du 13 mai, ce mouvement s'est reconstitué sous la forme du Parti nationaliste, lui-même à nouveau dissous le 13 février 1959. Passé à la clandestinité, ses 3 000 militants ont attaqué des meetings de la gauche, incendié des permanences du PCF et de la CGT, plastiqué des habitations privées. Un certain nombre ont rejoint l'OAS métro.

Les mouvements créés par Jean-Marie Le Pen après son expérience poujadiste, le Front National combattant et le Front National pour l'Algérie française, ont été dissous respectivement le 23 décembre 1960 et le 28 avril 1961. Leur fondateur et animateur n'a pas alors rejoint l'OAS mais a organisé les Comités Tixier-Vignancour à l'occasion de l'élection présidentielle de 1965. Roger Holeindre, qui lui, est passé par l'OAS, en a organisé le service d'ordre.

La Fédération des étudiants nationalistes (FEN), avec François d'Orcival et Alain de Benoist alias Fabrice Laroche, a participé à des combats de rue et d'amphis contre l'UNEF. Elle a également publié le " Manifeste de la classe soixante ", charte du néo-fascisme de l'époque.

Occident, créé en avril 1964, était animé par Pierre Sidos puis par Alain Robert, Alain Madelin et François Duprat. 2 000 militants ont mené de multiples actions de commando, notamment contre le PCF et sur les campus. Les affrontements entre Occident et organisations gauchistes à Nanterre puis au quartier Latin ont été à l'origine directe des événements de mai 1968. Assez discret pendant ces événements, Occident a de nouveau mené des actions violentes à la rentrée universitaire, ce qui lui a valu d'être dissous le 31 octobre 1968.

Plusieurs organisations ont émergé après cette dissolution : les Jeunesses patriotes et sociales de Roger Holeindre ; l'_uvre française de Pierre Sidos, axée sur un antisionisme virulent ; le Groupe Action Jeunesse de Patrice Janeau et Jean-Pierre Stirbois, lié au mouvement Jeune Révolution et disposant de sections d'assaut ; enfin le Groupe Union-Droit (GUD) d'A1ain Robert et Gérard Longuet, dont le bastion est toujours l'université de Paris II Assas et qui est devenu le Groupe d'Union et de Défense.

Une tentative de regroupement a donné lieu à la création, le 15 décembre 1969, d'Ordre nouveau. Ce mouvement, animé par Jean-François Galvaire, François Brigneau, Alain Robert et François Duprat, comprenait 3 000 militants actifs issus des commandos d'Occident et du GUD, souvent équipés avec casques, boucliers à croix celtique, barres de fer et cocktails Molotov. Des rituels néo-nazis ont aussi eu lieu.

Le Front National pour l'unité française (FN) a été créé le 5 octobre 1972, à l'initiative des dirigeants d'Ordre nouveau qui voulaient présenter des candidats aux élections. Jean-Marie Le Pen a été choisi pour en être le président, car il était le plus à même de fédérer les principaux courants de l'extrême-droite française, issus de Vichy et de la collaboration, du poujadisme et de l'activisme étudiant dont il a lui-même été en tant que président de la Corpo des étudiants de droit de Paris.

Le 21 juin 1973, à l'occasion d'une réunion publique d'Ordre Nouveau " contre l'immigration sauvage " à la Mutualité à Paris, des affrontements violents se sont produits avec des militants de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), faisant de nombreux blessés. Menant une perquisition au siège d'Ordre Nouveau, rue des Lombards, la police a découvert 24 manches de pioche, 41 barres de fer et 31 perches de bambou affûtées. A la suite de ce grave incident, Ordre nouveau a été dissous le 28 juin 1973, en même temps que la LCR.

Les anciens cadres d'Ordre nouveau derrière Alain Robert, François Brigneau et Pascal Gauchon, en désaccord avec Jean-Marie Le Pen, ont alors quitté le Front National pour créer les Comités Faire Front. Ils ont participé, pour des raisons financières, au service d'ordre de Valéry Giscard d'Estaing lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 1974. Puis ils ont créé en novembre de la même année le Parti des forces nouvelles.

Une guerre d'usure a eu lieu entre les deux formations rivales, Front National et Parti des forces nouvelles, jusqu'en 1982. Jean-Marie Le Pen a créé en décembre 1973 le Front National de la Jeunesse (FNJ), dirigé par Christian Baeckeroot à l'origine, pour concurrencer le GUD d'Alain Robert. Des affrontements violents se sont notamment produits lors de collages d'affiches à Paris pour les élections législatives de 1978.

Après la mort de François Duprat en 1978 et le départ des néo-nazis du groupe Militant de Pierre Bousquet et Pierre Pauty qui ont fondé le Parti nationaliste français en 1981, le Front National a amorcé un virage idéologique qui l'a, au moins en surface, éloigné de la mouvance nationaliste révolutionnaire. En quête de respectabilité, Jean-Marie Le Pen a adopté une stratégie de conquête du pouvoir dans les urnes plutôt que dans la rue. Son essor électoral a alors commencé en 1983.

Enfin, il faut compter avec tous les groupuscules ouvertement néo-nazis. La Fédération d'action nationale et européenne (FANE), fondée en 1966 et animée par Marc Fredriksen, candidat Front National aux élections législatives de 1978, a mené jusqu'au début de la décennie 1980 des actions de commandos. Ces commandos, organisés en formation paramilitaire, ont pratiqué des séances d'" oxygénation " en forêt de Rambouillet. La FANE était clairement néo-nazie, lorsqu'elle célébrait collectivement le solstice d'été et les feux de la Saint-Jean. Elle a été dissoute le 3 septembre 1980. Demeure aujourd'hui le Parti nationaliste français et européen (PNFE) de Claude Cornilau, qui se réclame du nationalisme racial, et divers groupes de skinheads adeptes de la Croix gammée.

organigramme du front national

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1

Le régime dérogatoire institué par le décret-loi du 12 avril 1939 pour celles-ci a pris fin avec la loi du 9 octobre 1981.

2

Il existe dans notre droit positif un seul autre cas de dissolution administrative d'une association, prévu par l'article 66 de la loi du 29 janvier 1993, relativement aux comités interprofessionnels du logement.

3

Cf. circulaire du 27 novembre 1935 du ministre de l'intérieur Paganon.

4

Cette compétence a été dévolue à la Cour de sûreté de l'Etat de 1963 à 1981.

5

Cf. CE, 13 janvier 1971, Geismar.

6

Cf. CE, 26 juin 1987, FANE.

7

Cf. CE Ass, 13 février 1985, Debizet, à propos du SAC dissous sur " invitation " de la Commission présidée par M. Alain Hautecoeur.

8

Cf. conclusions Andrieux sous CE, 4 avril 1936, Pujo. Dans ce cas, le Conseil d'Etat s'est déclaré lui-même incompétent, au bénéfice du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le siège de l'association (CE, 20 décembre 1995, LICRA).

9

Cf. CE Ass, 21 juillet 1970, Schroedt et CE, 16 octobre 1992, Battesti.

10

Cf. CE Ass, 4 avril 1956, Pujo et CE Ass, 21 juillet 1970, Krivine.

11

Cf. CE Ass, 12 juillet 1956, N'Paye.

12

Cf. CE Ass, 13 février 1985, Debizet.

13

Cf. CE Ass, 27 novembre 1936, Croix de Feu.

14

Cf. CE Ass, 13 février 1985, Debizet.

15

Cf. CE, 8 septembre 1995, Comité du Kurdistan.

16

Cf. CE Ass, 27 novembre 1936, Croix de Feu.

17

Cf. CE, 16 octobre 1992, Battesti (à propos de la dissolution du Mouvement corse pour l'autodétermination).

18

Cette expression fait explicitement référence aux termes de la révision constitutionnelle du 14 août 1884.

19

Cf. CE, 4 avril 1936, de Lassus.

20

Cf. CE, 17 avril 1963, Parti nationaliste.

21

Cf. CE, 16 novembre 1955, Union des commerçants industriels et artisans français.

22

Cf. article 421-3 du code pénal.

23

Le critère relatif aux armes n'a ainsi jamais servi à caractériser un groupe de combat au sens de la loi du 10 janvier 1936.

24

Cf. Doc. AN, n° 2244 (IXème législature), p. 114.

25

Cf. JO Débats AN, 1ère séance du 8 octobre 1991, p. 4265.

26

Cf. Cour de cassation, Chambre criminelle, 21 juillet 1971.

27

Voir chapitre I.

28

Le Monde, " Nouveaux éléments dans l'enquête sur la mort d'un adjoint au maire Front National de Toulon ", jeudi 11 juin 1998.

29

Libération, " Le meurtre d'Ibrahim Ali devant les assises d'Aix ", 23 juin 1998.

30

Ce jugement a été confirmé par la Cour d'appel de Paris, le 17 juin 1997, et par la Cour de cassation, le 10 avril 1998.

31

Les ORSA sont en fait des officiers sous contrat considérés comme des personnels d'active. Ce statut, créé par la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, permet une certaine souplesse, relative depuis la mise en place du système d'armée professionnelle.

32

Cf. Cour de cassation, Chambre mixte, 10 avril 1998.

33

Cet essor est d'ailleurs encouragé par l'Etat. Ainsi l'article 12 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité impose le gardiennage et la surveillance des immeubles et son article 23 l'organisation d'un service d'ordre pour les manifestations sportives, récréatives et culturelles à but lucratif.

34

Cf. Doc. Sénat n° 324-94/95.

35

Cf. Doc. AN n° 621 (XIème législature).

36

C'est-à-dire par l'intermédiaire d'un parlementaire.

37

Aux termes de l'article 1er du projet de loi, entrent dans le champ de ladite commission les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la douane, des polices municipales, ainsi que les gardes-chasse, les gardes-pêche, les gardes forestiers, les agents des collectivités locales et des établissements publics, lorsqu'ils concourent à une activité de sécurité. Sont également concernées les personnes physiques et morales de droit privé assurant à titre permanent ou occasionnel, principal ou accessoire, des activités de sécurité.

38

Cf. Doc. AN n° 723 (XIème législature), rapport de M. Bruno Le Roux au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration de la République de l'Assemblée nationale.

39

Le précédent est relevé, en 1982, par la commission d'enquête sur le Service d'Action Civique (SAC) : " Ce qui est sûr, c'est qu'à une époque où, selon certains, le SAC n'aurait plus été en odeur de sainteté, son secrétaire général n'hésite pas cependant à recourir aux services de quatre policiers en activité, dont un inspecteur de la DST et un enquêteur des renseignements généraux de la préfecture de police " (Doc. AN n° 955, VIIème législature, p. 167).

40

Doc. AN n° 857 (XIème législature), rapport de M. Jacky Darne au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration de la République de l'Assemblée nationale.

41

Rapport cité, p. 41.

42 Source : Bilan social 1997, ministère de la défense, p. 19.

43

Décret n° 96-28 du 11 janvier 1996 relatif à l'exercice d'activités privées par des militaires placés dans certaines positions statutaires ou ayant cessé définitivement leurs fonctions.

44

M. Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France, tome 2 : Cultures, Gallimard, 1992, pp. 105-106.