15 mai 1998

COMPTE RENDU N° 42

Réunion du jeudi 14 mai 1998 à 11 heures

Présidence de M. Alain Barrau, Vice-Président

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    Audition de M. Franz Fischler, membre de la Commission européenne, sur la réforme de la politique agricole commune (réunion conjointe avec la Commission de la production et des échanges)

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne et la Commission de la Production et des Échanges ont entendu M. Franz Fischler, membre de la Commission européenne, sur la réforme de la politique agricole commune.

Accueillant M. Franz Fischler, M. André Lajoinie, Président de la Commission de la production et des Échanges, a noté que les propositions de la Commission européenne touchant à la réforme de la politique agricole commune avaient déjà donné lieu à de multiples débats. Il a indiqué également qu'il avait participé récemment à Rome à une conférence des présidents des commissions de l'agriculture des chambres des députés des Etats membres de l'Union européenne, au cours de laquelle s'étaient exprimées de multiples critiques à l'égard des suggestions de la Commission.

M. Franz Fischler a rappelé que la politique agricole et le développement rural étaient des thèmes importants pour la France, qui est le premier pays agricole d'Europe et le plus important producteur de céréales, de graines oléagineuses, de viande bovine, de volailles et de vin. Ce rôle prééminent au sein de l'Union européenne tient essentiellement à l'ampleur des succès remportés par les produits agricoles français à l'exportation, ces produits représentant plus de 13 % du total des exportations françaises, alors que l'importance macro-économique relative du secteur agricole est bien inférieure. Il faut noter toutefois que les exportations agricoles à destination d'autres Etats membres - qui représentent 70 % du total - n'apparaissent pas dans les statistiques d'exportation de l'Union européenne.

Présentant les grands défis auxquels devra faire face l'agriculture européenne à l'approche du 21ème siècle, le Commissaire européen a d'abord évoqué l'évolution des marchés agricoles internationaux, pour lesquels les perspectives sont prometteuses. Compte tenu toutefois des prix institutionnels en vigueur dans l'Union et des engagements internationaux résultant de l'Uruguay Round, les agriculteurs européens ne sont pas en mesure de profiter de ces perspectives favorables. Fait plus grave encore, en l'absence de nouvelles réformes, l'Union européenne perdrait sa compétitivité internationale pour les produits agricoles, ce qui compromettrait bon nombre d'emplois.

S'agissant du marché intérieur, son évolution à long terme laisse entrevoir, dans le meilleur des cas, une stagnation des ventes, tandis que la productivité de l'agriculture de l'Union européenne continuera à augmenter. Dans ces conditions, l'actuelle politique agricole commune serait génératrice de nouveaux excédents et de nouvelles charges budgétaires et se solderait inéluctablement par une pression accrue sur les prix ou par des restrictions de production massives.

Dans le cadre de l'OMC, il est prévu pour la fin de 1999 un nouveau cycle de négociations agricoles dont le cap a déjà été fixé par l'accord de Marrakech. Il est donc nécessaire que l'Europe sache en temps utile quelle politique agricole mener, afin de pouvoir élaborer une stratégie solide en vue des négociations. L'intérêt commun de tous est de consolider la position européenne. Il n'y a là ni obéissance servile, ni abaissement devant nos partenaires, mais, au contraire, le souci d'avoir une attitude offensive lors des négociations et de montrer notre force.

Le processus d'élargissement de l'Union, qui constitue le point de départ d'une stabilisation à long terme des futurs Etats membres et du continent européen dans son ensemble, aura pour résultat l'apparition d'un grand marché de près de 500 millions d'individus et de nouveaux débouchés qui profiteront notamment à l'économie française. L'élargissement vers l'Est requiert toutefois, de part et d'autre, des préparatifs auxquels doivent être associés les différents secteurs, et en particulier l'agriculture.

Enfin, dernier défi, en dépit des réformes qui ont été entreprises, la politique agricole commune est sévèrement jugée par les citoyens de l'Union, qui réclament plus de garanties quant à la sécurité et à la qualité des denrées alimentaires, davantage de prestations dans le domaine de l'environnement et de la protection des animaux, une répartition équitable des aides entre les régions et entre les individus et une action plus nettement ciblée sur le développement rural. La politique agricole commune doit absolument apporter des réponses à la mesure de ces exigences, afin que le secteur agricole continue de trouver dans la société le soutien qui lui est nécessaire.

Evoquant la manière dont la Commission entendait répondre à ces défis, M. Franz Fischler a fait part de la volonté de la Commission de continuer à perfectionner le modèle agricole européen, comme c'est justement l'objet des propositions contenues dans l'Agenda 2000. Si ceux qui évoquent le modèle agricole européen sont nombreux, personne, hormis la Commission, n'a pour l'instant précisé le contenu concret de cette notion.

Présentant les caractéristiques essentielles de ce modèle, le Commissaire européen a souligné la nécessité pour l'agriculture européenne de valoriser ses atouts et d'améliorer sa compétitivité pour être en mesure de s'affirmer sur les marchés de l'Union et sur les marchés extérieurs, alors que les subventions sont de moins en moins tolérées. L'originalité de l'agriculture européenne repose sur des procédés de production respectueux des impératifs sanitaires et environnementaux, garants du respect des exigences relatives à la qualité et à la sécurité des denrées alimentaires. Le niveau de qualité se traduit par le haut degré de transformation des produits agricoles, qui sont susceptibles de permettre à l'Europe de rivaliser avec ses concurrents dans le monde et de remporter des parts de marché. L'originalité de l'agriculture européenne repose également sur la multiplicité de ses fonctions et sur une forte empreinte dans des paysages traditionnels très variés. L'agriculture européenne et le secteur de la transformation demeurent, aujourd'hui comme hier, la base sur laquelle il est possible de maintenir et de créer des emplois dans les campagnes, afin que les communes rurales restent viables et attrayantes. Le modèle agricole de l'Europe se distingue de celui de ses concurrents. Une meilleure adaptation au marché, si elle est nécessaire, ne saurait en aucune manière être confondue avec une soumission inconditionnelle aux contraintes du marché. L'agriculture européenne a des fonctions spécifiques à remplir pour l'environnement, la préservation des paysages, l'économie et la société, fonctions qui nécessitent une approche autonome. Il convient enfin de ne pas oublier que le modèle agricole européen doit continuer d'assurer aux agriculteurs un revenu adéquat et stable.

C'est pour toutes ces raisons que les réformes proposées sont nécessaires à l'Europe, qui doit évoluer d'un système de soutien des prix vers un régime d'aides directes aux revenus et faire du développement rural le deuxième pilier de la politique agricole commune.

S'il peut paraître plus commode - et donc tentant à brève échéance - de s'en tenir obstinément aux règlements existants, il est tout à fait certain qu'une telle stratégie ne saurait être payante à long terme. Des prix artificiellement maintenus à un niveau élevé, le protectionnisme et le dirigisme bureaucratique ne peuvent être un modèle d'avenir pour l'agriculture de l'Union européenne.

M. Franz Fischler a insisté sur le fait qu'il n'était plus possible de différer la réforme, faute de quoi la Communauté laisserait passer ses chances sur les marchés européens et internationaux, risquerait de subir une défaite à l'OMC, tandis que les pays d'Europe centrale et orientale ne pourraient pas préparer leur intégration dans l'Union et que les jeunes agriculteurs seraient privés de perspectives.

Il a ensuite présenté les aspects essentiels des propositions de la Commission et les conséquences qui en résultent pour la France.

Abordant le secteur des cultures arables, il a estimé que les perspectives étaient favorables pour les céréales. La demande de céréales fourragères, en particulier, continuera de croître et l'Europe sera en mesure d'augmenter considérablement la part de la production céréalière affectée à la production de porcs et volailles. La stratégie européenne ne peut être de miser sur l'intervention, elle doit être de vendre. C'est pourquoi la Commission propose de faire en sorte que l'intervention retrouve la fonction qui était la sienne initialement et qui était de faire office de filet de sécurité dans les situations de crise. Il convient en même temps de relever le niveau des paiements directs. Les enseignements tirés de la réforme de 1992 donnent à penser que les prix du marché se stabiliseront à un niveau nettement supérieur à celui des prix d'intervention. L'intérêt de l'agriculteur restera la diminution de ses coûts et l'adaptation de ses modes de production et de ses décisions d'investissement en fonction de l'évolution de la situation en matière de prix.

La Commission a proposé d'augmenter et de fixer à un taux uniforme la prime concernant les céréales, les graines oléagineuses et les superficies volontairement retirées de la production. Si cette proposition suscite de vives critiques, tout particulièrement en France, elle constitue le seul moyen de libérer les producteurs d'oléagineux de l'Union européenne des contraintes résultant de l'accord de Blair House. Il s'agit là d'une revendication française qui a toujours été formulée avec une insistance particulière. En matière de protéagineux et de blé dur, il est également prévu d'augmenter le niveau des paiements directs pour éviter des distorsions dans la répartition des différentes productions.

En ce qui concerne la viande bovine et la viande de veau, il importe de trouver une solution à long terme permettant d'améliorer la compétitivité de la filière viande bovine et d'assurer un revenu stable aux producteurs. Même si l'on fait abstraction de la crise de l'ESB, la viande rouge risque de céder de plus en plus de terrain au profit de la viande blanche. Aussi est-il nécessaire d'offrir la viande bovine à un prix compétitif par rapport à celui de la viande de porc et de la viande de volaille, d'exporter vers les marchés offrant des prix rémunérateurs, sans restitutions à l'exportation, et de concentrer l'effort de soutien à l'exportation sur la conquête de nouveaux débouchés. C'est le seul moyen d'assurer l'avenir des producteurs de viande bovine et de leur éviter la hantise de se voir sans cesse imposer de nouvelles restrictions en matière de production.

La Commission entend également tenir compte des différences qui existent à l'intérieur de l'Union européenne en matière d'orientation et d'organisation de la production dans le secteur de l'élevage bovin et laisser une plus grande flexibilité aux États membres quant aux modalités des paiements directs. Si les paiements directs instaurés en 1992 restent maintenus dans leur intégralité, les paiements directs supplémentaires découlant des réformes prévues dans le cadre d'Agenda 2000 ne viendront s'ajouter que pour moitié aux primes à l'animal existantes, la seconde moitié pouvant être affectée, en fonction des préférences nationales et dans des limites déterminées, aux primes à l'animal et aux primes à la superficie. C'est ainsi que la France sera en mesure de tirer un bien meilleur parti de ses herbages pour promouvoir l'élevage bovin et la production laitière.

La Commission entend faire un effort tout particulier en faveur de la production extensive, grâce à un quasi-triplement de la prime d'extensification, qui sera ainsi portée à environ 660 francs français par animal. Toutefois, pour que cette prime contribue effectivement à l'extensification, le calcul de la charge de bétail tiendra compte de tous les ruminants adultes d'une exploitation.

A propos de l'élevage, qui revêt une grande importance pour bon nombre de régions rurales aux écosystèmes sensibles, M. Franz Fischler a indiqué qu'il en connaissait l'importance, en particulier celui des vaches allaitantes, dans de nombreuses régions françaises ; c'est pourquoi, il s'est entretenu tout récemment avec plusieurs députés des régions concernées pour examiner les difficultés à surmonter.

Dans le secteur laitier, la prolongation du régime des quotas qui est proposé jusqu'en 2006, suppose une plus grande flexibilité dans son fonctionnement. La diminution proposée des prix d'intervention du beurre et du lait écrémé permettra d'exporter sans limitation de quantité le principal produit européen d'exportation, à savoir le fromage, et ainsi réduire l'actuelle pression sur les prix. Si un système de double quota permettrait d'accroître les exportations de produits laitiers, une telle solution ne pourrait pas faire l'objet d'un consensus dans le cadre de l'OMC et entraînerait un surcroît de dépenses administratives, sans préjudice d'un risque accru de fraudes. C'est pourquoi la Commission n'a pas retenu cette option dans Agenda 2000. En abaissant les prix dans la proportion proposée par la Commission, il est possible de relever de 2 % les quotas laitiers. Si la moitié de ces quotas supplémentaires est destinée à de jeunes agriculteurs, c'est parce que ceux-ci ont beaucoup à souffrir des restrictions inhérentes à ce système. L'autre moitié doit profiter aux zones de montagnes et aux régions nordiques.

Après avoir rappelé que la Commission avait également présenté une proposition de réforme du secteur de l'huile d'olive et de celui des tabacs, et qu'une proposition concernant le secteur viti-vinicole serait présentée en juin, M. Franz Fischler a présenté le contenu de la proposition de règlement à caractère horizontal. Les États membres bénéficieront de compétences accrues pour l'octroi des paiements directs afférents à l'ensemble des organisations de marché. En proposant qu'il soit tenu compte de critères environnementaux dans l'octroi de paiements directs, la Commission veut avant toute faire en sorte que « l'agriculture soit pratiquée comme il se doit ». Les conditions environnementales différant considérablement d'un État membre à l'autre, il paraît judicieux que les critères applicables en la matière soient fixés à l'échelon local, et non pas par la lointaine administration bruxelloise. Cette façon de procéder est parfaitement conciliable avec l'orientation fondamentale des mesures agri-environnementales, qui, à l'avenir, constitueront un élément des programmes de développement rural. Mais il convient, en contrepartie, de rémunérer les prestations supplémentaires en faveur de l'environnement et d'accroître nettement les crédits de l'Union européenne destinés à cette fin. Il faut noter en outre que, du fait des conditions générales imposées en matière d'environnement ou de la modulation nationale, les crédits non utilisés resteront à la disposition des États membres respectifs et pourront être affectés à des mesures agri-environnementales.

Enfin, compte tenu des critiques formulées ici et là dans l'Union européenne, la Commission propose d'instaurer une dégressivité des aides directes octroyées aux exploitations dont le montant est supérieur à environ 660 000 francs français.

Abordant la question du développement rural, M. Franz Fischler a rappelé que, pour être compétitives, les exploitations doivent être en mesure de travailler dans un climat propice, c'est-à-dire dans des espaces ruraux vivants. C'est la raison pour laquelle la politique de développement rural ne peut plus rester limitée à un petit nombre de régions en difficulté.

La nouvelle politique en matière de développement rural, qui constitue le deuxième pilier de la future politique agricole, repose sur un certain nombre d'innovations qui sont :

- le regroupement de plusieurs règlements - à ce jour au nombre de 9 - en un seul, et une meilleure coordination avec la politique de marché ;

- un programme de développement rural pour chaque région rurale ;

- l'extension des possibilités offertes en matière d'aide, par exemple la possibilité de relever considérablement la prime à l'installation des jeunes agriculteurs ;

- une plus grande souplesse laissée aux États membres.

Étant donné la diversité des zones rurales de l'Union, il va de soi que toute politique visant leur développement doit reposer sur le principe de subsidiarité et qu'elle doit être aussi décentralisée que possible, afin que les États membres et les régions puissent élaborer des « solutions sur mesure ».

Son financement doit se faire à l'intérieur de la ligne directrice agricole du FEOGA-garantie. C'est ainsi, et seulement ainsi, que l'on trouvera à l'avenir la marge de manoeuvre nécessaire pour de nouveaux développements.

Concluant son propos, le Commissaire européen a souligné que ces propositions de règlement avaient pour objectif de créer les conditions requises pour la mise en _uvre du modèle agricole européen. Il est indispensable de réussir dans cette entreprise, afin que la politique agricole européenne continue à bénéficier du soutien des citoyens de l'Europe et qu'elle puisse ainsi trouver une reconnaissance sur le plan international.

L'exposé du Commissaire a donné lieu à un large débat.

M. François Patriat a exprimé son vif désaccord avec la logique qui sous-tend les propositions de réforme de la PAC présentées par la Commission, tout en reconnaissant qu'il est opportun de réformer cette politique. Il a estimé qu'une politique de baisse des prix compensée par la hausse des aides serait intenable. Il a fortement critiqué la logique de baisse des prix généralisée sur laquelle se fonde la réforme, soulignant qu'espérer concurrencer en termes de prix à la production les viandes exportées par les pays d'Amérique latine ou du groupe de Cairns, par exemple, tout en visant une production de qualité, est incohérent et illusoire. Il a estimé que le procédé consistant à compenser la baisse des prix par la hausse des aides directes ne serait pas tenable à long terme.

Il a constaté que le Commissaire Fischler conservait une position inchangée en dépit des arguments présentés depuis plusieurs mois par les parlementaires français. Il a cité trois exemples démontrant le caractère inacceptable des projets de réforme. Le premier concerne l'instauration d'une prime unique pour les oléo-protéagineux, destinée à limiter ces productions, alors que l'Europe, déficitaire, doit en importer des Etats-Unis et d'autres pays tiers. Le deuxième est constitué par la disparition du régime d'intervention publique pour la viande bovine, qui constitue un filet de sécurité indispensable pour les producteurs. Enfin, la volonté d'aligner les prix de la viande rouge sur ceux de la viande blanche fait fi de toute exigence de qualité et de toute reconnaissance de la spécificité des terroirs. Il est impossible de prendre en compte les principes de qualité et de diminuer en même temps la prime à l'hectare pour les bovins.

En conclusion, M. François Patriat a demandé quelles sont les limites de la subsidiarité et du découplage en ces matières.

Mme Nicole Ameline a constaté que la philosophie qui inspire la réforme n'aura pas pour effet d'approfondir ou de perfectionner la réforme de 1992 mais de démanteler purement et simplement la PAC, comme en témoigne la disparition, à terme, des quotas laitiers. Elle a reconnu que la Communauté doit faire face aux défis que représentent la mondialisation, d'une part, et son propre élargissement, d'autre part, mais a contesté la logique de baisse des prix de la Commission, refusant que la France s'engage dans la course aux bas prix agricoles. Considérant que l'agriculture a un coût lorsqu'elle intègre une démarche qualitative, elle a regretté l'absence d'approche différenciée des types d'agriculture dans les propositions de la Commission. Elle a approuvé l'ouverture faite sur la viande bovine et le lait, ainsi que le souci manifesté par la Commission de soutenir l'exportation des produits dérivés tels le fromage et les produits à label de qualité.

S'inquiétant de l'articulation de la réforme de la PAC avec celle des fonds structurels, qui lui paraît privilégier une logique urbaine au détriment du monde rural, elle a suggéré que le futur modèle européen en matière agricole se fonde sur les trois principes de compétitivité, de qualité et de diversité.

M. Christian Jacob a tout d'abord présenté la position de la Commission européenne sous forme de boutade, en indiquant qu'elle pourrait se résumer en deux points : premièrement, la Commission a toujours raison ; deuxièmement, lorsqu'elle a tort, elle se réfère directement au premier point.

Il a ensuite fait part de sa divergence fondamentale avec les propositions de réforme de la PAC reposant sur la baisse des prix et l'augmentation des aides directes. Il a également contesté l'approche globale faite par le commissaire alors que les secteurs d'activité sont très différents, rappelant que l'on ne peut comparer le secteur des céréales, fortement exportateur, à celui du lait ou de la viande, qui l'est très peu, ou à celui des oléo-protéagineux, totalement déficitaire. Il a indiqué que ces disparités provenaient du fait que certaines productions dépendent complètement du marché mondial alors que d'autres relèvent de la reconquête du marché intérieur.

Puis il a estimé que les propositions de la Commission européenne pouvaient s'analyser comme une adaptation anticipée aux négociations de l'OMC et aux exigences américaines. Cela signifie non seulement que l'Union européenne ne prévoit pas de stratégie offensive vis-à-vis des États-Unis pour ces négociations, mais encore qu'elle commence à s'y adapter a priori. N'y aurait-il pas d'autres propositions à formuler ? Cela supposerait un effort assez important de la part de la Commission car cela reviendrait à reconnaître qu'elle a eu tort. Une autre démarche pourrait consister à dire à nos partenaires américains : nous sommes pour l'ouverture des marchés et le développement des échanges internationaux, à condition que nous nous mettions d'accord sur un certain nombre de normes, de préférence les normes européennes qui sont actuellement les plus strictes en matière sanitaire, environnementale ou sociale.

M. Alain Barrau s'est demandé si le Commissaire européen ne s'était pas montré excessivement sévère envers ses prédécesseurs et envers les concepteurs de la PAC en affirmant, dans son intervention liminaire, que les prix ont été maintenus à un niveau artificiellement élevé et en parlant de « bureaucratie » et de « dirigisme ».

Rappelant que, depuis de nombreuses années, les Etats-Unis cherchent à obtenir des prix bas sur le marché mondial, il a souhaité obtenir des précisions quant à la nature des pressions américaines sur la Commission et sur les moyens dont disposent les parlementaires pour aider celle-ci à y résister.

Evoquant les négociations d'élargissement, il a demandé comment le concept de préférence communautaire sera présenté aux pays candidats et quel sera le contenu de l'acquis communautaire que ceux-ci auront à intégrer.

M. Félix Leyzour, notant que, pour le Commissaire Fischler, la baisse des prix n'était pas un but en soi, qu'elle constituait une sorte de « passage obligé », a toutefois estimé que la diminution des prix non compensée intégralement par des aides, telle qu'elle est prévue par la Commission européenne aurait des conséquences très lourdes. Ne risquerait-elle pas en effet d'entraîner une concentration excessive des exploitations, de nuire à l'installation de jeunes en agriculture et de vider les campagnes ?

M. François Guillaume s'est interrogé sur la crédibilité des propositions présentées par la Commission. Il s'est demandé s'il était bien opportun d'entreprendre une réforme de la politique agricole commune avant de mener les négociations internationales dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. Le précédent de 1992 montre que ce type de démarche risque de se traduire par des concessions exorbitantes aux Etats-Unis. M. François Guillaume s'est déclaré opposé par principe au système des aides de compensation, mais, prenant acte de leur existence, s'est demandé si elles n'allaient pas être remises en cause dans le cadre des discussions de l'OMC. Observant que, selon les propos du commissaire Fischler, les aides visaient notamment à couvrir les coûts de production, il s'est demandé si le découplage aides-production était dès lors bien justifié. Il a déclaré ensuite redouter que l'application du principe de subsidiarité, telle que l'envisage la Commission, n'induise de fortes distorsions de concurrence entre Etats membres, se demandant suivant quels critères serait fixé le montant des enveloppes financières allouées à chaque Etat.

Observant que la Commission se déclarait soucieuse de simplifier les mécanismes de la PAC, M. François Guillaume a estimé que l'application d'une prime uniforme au secteur des céréales et à celui des oléagineux aurait des conséquences négatives sur le marché du colza et plus encore celui du tournesol, souvent cultivé dans des régions en difficulté. De la même façon, l'institution d'une prime unique pour les vaches ne tient pas compte des différences que présentent les troupeaux laitiers et allaitants. Quant à la baisse de 20 % du prix d'intervention des céréales, elle risque tout simplement d'entraîner une baisse du prix de seuil et d'encourager ainsi l'accès des céréales des pays tiers au marché communautaire. M. François Guillaume a déploré enfin la diminution de 30 % des prix retenue pour le secteur bovin, alors même que notre pays est le seul en Europe à disposer d'un important cheptel allaitant. Avec la rigueur accrue prévue pour le versement de la prime à l'extensification, on peut se demander s'il n'est pas mis un terme ainsi à la politique conduite pendant des années en Europe en faveur du troupeau bovin allaitant.

Mme Béatrice Marre a fait observer que, s'il existait une convergence quant aux objectifs, des divergences apparaissaient au niveau de l'analyse portant sur la manière de prendre en compte les marchés et les prix. Il faudrait distinguer le marché des produits issus des grandes cultures de ceux de la viande et du lait dont les problèmes sont concentrés sur les pays de la zone tempérée. Le point d'achoppement fondamental est en fait l'axe central du projet d'Agenda 2000, c'est-à-dire la baisse systématique des prix d'intervention. Il conviendrait de s'interroger davantage sur les possibilités de différenciation des marchés.

Faisant remarquer que le projet d'Agenda 2000 reposait sur le constat que les prix agricoles européens étaient maintenus artificiellement à un niveau élevé par rapport aux prix mondiaux, M. Léonce Deprez a demandé ce qu'entendait la Commission européenne par « prix mondial ». Il a défendu l'idée de développer une nouvelle logique selon laquelle les prix agricoles prendraient davantage en compte les coûts de revient car, si les prix mondiaux sont dominés par les offres des producteurs américains, les préoccupations qualitatives et environnementales des Européens pèsent lourdement sur les prix communautaires.

M. Jacques Myard a comparé M. Franz Fischler à M. Leon Brittan et a estimé qu'à l'évidence il courait derrière les positions américaines. Il a jugé que la politique agricole commune, seule politique vraiment communautaire, était en train d'être taillée en pièces par la volonté de la Commission européenne d'axer la réforme sur les prix mondiaux sans imposer les normes européennes. A terme, cette stratégie rendra inutile, a-t-il estimé, le poste de commissaire européen chargé de l'agriculture.

M. Philippe Martin a rappelé que les viticulteurs attendaient, depuis trois ans, les propositions de la Commission relatives à l'OCM-vin et exprimé ses doutes quant à leur présentation effective au mois de juin prochain.

Il a ensuite demandé si, en fixant à 0 % le taux de jachère dans le projet d'Agenda 2000, la Commission européenne pensait pouvoir maintenir le développement des nouveaux débouchés céréaliers (bio-carburants, agriculture biologique) dont le développement a été soutenu par les règles de jachère actuelles.

Il a enfin souhaité savoir comment seraient intégrées les deux composantes de l'objectif 5A (aide à l'installation des jeunes agriculteurs et soutien des zones défavorisées) dans les objectifs structurels agricoles du fait de la réorganisation des fonds structurels autour de trois objectifs prioritaires par le projet d'Agenda 2000.

En réponse aux intervenants, M. Franz Fischler a apporté les précisions suivantes :

- le but de la Commission n'est pas la baisse des prix en soi, mais la création de conditions permettant à l'agriculture européenne d'écouler ses productions : concilier l'ouverture des marchés avec la préservation de réelles perspectives pour les jeunes agriculteurs européens exige de faire évoluer les prix ; à défaut, l'on ne pourrait envisager que la baisse de la production européenne ;

- les producteurs doivent détenir des responsabilités dans le domaine de la commercialisation : des expériences tentées dans le domaine de la viande ont démontré l'efficacité d'une commercialisation sous la responsabilité des producteurs plutôt que celle de l'Etat ;

- il importe d'augmenter les quantités de viande rouge écoulées sur le marché intérieur. Toutefois, si la Communauté veut maintenir son niveau de production, elle doit devenir plus compétitive sur le marché international, d'autant plus que le maintien des aides à l'exportation sera de plus en plus improbable ;

- la Commission propose de quasi-tripler la prime d'extensification pour l'élevage des bovins : de 36,4 écus par unité, celle-ci passerait à 100 écus, pour tous les ruminants, ce qui profiterait notamment aux éleveurs de vaches allaitantes (dans le Massif Central, par exemple) ;

- la Commission est favorable à un renforcement de la subsidiarité, mais à condition d'en définir les limites : la subsidiarité ne doit pas aboutir à une « renationnalisation » dans l'allocation des aides aux agriculteurs ;

- la Commission européenne souhaite maintenir le système des quotas laitiers. Pour y parvenir, il est nécessaire que la majorité des États membres trouvent un accord sur ce point avant le 1er avril 2000 ; si tel n'est pas le cas, le système s'éteindra automatiquement à cette date. A cet égard, le soutien de la France sera précieux, mais il est certain qu'il faudra faire preuve de souplesse pour convaincre les États membres les plus réticents ;

- quant à la baisse des prix garantis, elle s'inscrit dans une démarche favorisant les produits de qualité. En effet, n'est-il pas logique que ceux-ci se vendent à meilleur prix que des produits de moindre qualité ? Dans ce domaine, il est vrai qu'il reste beaucoup à faire, en ce qui concerne l'étiquetage des produits et la protection juridique des labels notamment. La Commission européenne partage ces préoccupations et se réjouit des initiatives prises par les États membres à cette fin. Il serait également judicieux de s'inspirer de la politique de promotion et de marketing international pratiquée par les États-Unis, la croissance des dépenses dans ce domaine étant parfaitement compatible avec les règles de l'OMC ;

- en écoutant les propos de M. Christian Jacob, il est possible d'inverser les termes de la boutade dont celui-ci a fait part : premièrement, la Commission a toujours tort ; quand bien même il lui arriverait d'avoir raison, il faudrait immédiatement revenir à l'affirmation première. La vérité se situe probablement à mi-chemin ;

- il est vrai qu'il existe une divergence d'opinion fondamentale sur l'avenir de la PAC. Cependant, en admettant que le mécanisme actuel de prix garantis ne soit pas modifié, il n'est pas certain que le marché ne respecterait pas ses propres lois et l'on ne peut absolument pas exclure qu'il n'y aurait pas une pression à la baisse des prix. En outre, il apparaît que, même si l'on maintenait le système en vigueur, il serait de plus en plus difficile à l'avenir d'écouler nos produits. Ce n'est pas seulement l'avis de la Commission ; des experts ont abouti à des conclusions analogues ; ainsi, pour ne prendre que cet exemple, il faudrait passer à 25 % de jachère pour les céréales dans 6 à 7 ans. Ce n'est évidemment pas l'objectif recherché. Dès lors, toute la difficulté reste de répondre à cette question : comment peut-on vendre davantage tout en maintenant les prix actuels ? Tant qu'elle n'aura pas de réponse, la Commission ne voit pas d'alternative à ses propositions ;

- s'agissant de l'OMC, l'Union européenne ne fait pas de concession supplémentaire ; bien au contraire, elle utilise à son profit les dispositions existantes, afin d'éviter de réduire de plus en plus les quantités produites. Or, aussi longtemps que nous continuerons à verser des restitutions à l'exportation, nous serons obligés de diminuer ces quantités, si nous ne baissons pas les prix. Il s'agit donc d'un carcan, dont nous essayons de nous libérer. Dans le même ordre d'idées, l'application de l'accord de Blair House a entraîné une baisse de 20 % des prix pour les oléagineux dans certains États membres ;

- les normes européennes étant très strictes, la Commission n'a nullement l'intention d'en proposer de nouvelles ;

- dans le passé, le cadre dans lequel s'insérait la PAC était différent et le modèle européen de l'époque était adapté. Aujourd'hui, les conditions ont changé et nous ne pouvons plus donner les mêmes réponses. Il convient de ne pas se leurrer : chaque intervenant sur le marché mondial, y compris les Etats-Unis, veut de bons prix. Au sein de l'OMC, l'Union européenne est l'objet d'attaques de la part des Etats-Unis, mais aussi des pays en développement et des membres du groupe de Cairns, à propos des restitutions à l'exportation, qui nous permettraient d'exporter davantage grâce à des prix artificiellement bas et s'apparenteraient à des pratiques de dumping. Ainsi, les Etats-Unis et le Canada nous reprochent nos exportations d'orge sur leur marché, alors que nous sommes dans notre droit : l'Union européenne peut exporter vers les Etats-Unis et le Canada à niveau normal de restitutions, dès lors que la demande existe. Pourquoi serions-nous condamnés à plier devant les Américains ? Au demeurant, nous devons respecter les engagements que nous avons pris ;

- en ce qui concerne l'adhésion future de nouveaux Etats membres, les négociations viennent seulement de commencer et elles promettent d'être longues et difficiles. L'essentiel est de préparer ces pays à affronter le choc du grand marché, à renforcer leur compétitivité tout en réduisant leurs faiblesses. Il faudra prévoir des périodes de transition, à défaut desquelles l'agriculture et l'industrie agro-alimentaire des pays d'Europe centrale et orientale ne pourront résister à notre concurrence. Il est significatif que, dans le cadre des actuels accords d'association, alors que les concessions communautaires envers ces pays sont plus élevées, leurs importations augmentent plus que leurs exportations ;

- l'objectif de la Commission européenne ne peut être aujourd'hui de changer de cap mais elle doit affiner les réponses qu'elle apporte aux problèmes posés. Elle pourra mieux tenir compte des difficultés concrètes des Etats grâce à l'application du principe de subsidiarité. La question de savoir s'il faut s'attaquer d'abord au problème spécifique de l'installation des jeunes ou à celle de la préservation de l'environnement mérite d'être posée. En toute hypothèse, de nombreuses questions devront être résolues au niveau des régions, les plus au contact des problèmes posés ;

- lors de l'Uruguay round, la Communauté européenne s'est présentée dans la dernière phase des négociations avec une ligne de conduite consistant à conclure un accord n'entraînant aucune modification de la politique agricole commune ; cette méthode a conduit à un échec des négociations. La Communauté européenne a ultérieurement engagé une réflexion sur la réforme de la politique agricole commune mais le cadre de celle-ci était en fait imposé dans une large mesure par les Etats-Unis, l'Australie et le groupe de Cairns lors des négociations multilatérales. Aujourd'hui, la Commission estime qu'une négociation internationale n'est possible que si la Communauté européenne dispose d'une marge de manoeuvre. Avec la réforme de la politique agricole commune cette marge de manoeuvre sera créée ;

- si « la boîte bleue » n'existe plus, le modèle agricole européen sera anéanti. Il faut donc, vis-à-vis des pays étrangers, montrer que l'on est disposé à évoluer là où c'est possible. Ainsi, l'article 20 des accords de Marrakech a déjà donné une orientation pour les prochaines négociations multilatérales car il stipule que la clause de paix expire en 2003 ; la Communauté européenne sera de plus en plus sur la défensive si elle n'est pas disposée à faire évoluer sa position. Il faut donc tout faire pour avoir une position commune aussi claire que possible pour présenter un front uni lors de la négociation multilatérale ;

- la Commission aurait pu envisager une baisse moins forte des prix d'intervention sur le blé que celle proposée (-20 %), mais il faut également tenir compte des possibilités d'exportation des céréales fourragères et de celles utilisées pour l'alimentation des porcs et volailles. En tout état de cause la protection commerciale extérieure est maintenue ;

- en matière d'oléagineux, il est indispensable d'avoir une position commune de principe : en uniformisant les primes, la Communauté européenne pourra sortir du carcan imposé par l'accord de Blair House. Il faut également réfléchir à la manière de rendre les oléagineux communautaires compétitifs ;

- la réforme de la prime à l'extensification en matière d'élevage de bovins sera favorable aux éleveurs spécialisés, comme ceux du Massif central. Il est en outre possible de renforcer considérablement, notamment en France, la prime à l'herbe. Enfin, pour le soutien des productions de viande, la Communauté européenne prendra non seulement en compte les viandes issues des animaux mâles mais aussi celles des bovins femelles ;

- en matière de qualité des viandes, un nouveau système d'identification des animaux est en vigueur depuis le 1er janvier 1998. Quand la réforme entrera en vigueur, l'identification de tous les animaux sera obligatoire, ce qui confortera la position des bovins du Limousin et du Charolais par exemple ;

- s'agissant de la convergence des objectifs entre les productions, la principale différence entre elles tient au fait que les céréales sont vendues comme une matière première alors que le lait et la viande sont des produits transformés dont la compétitivité dépend de plus en plus de la qualité de la transformation. Comme les Américains exploitent surtout des matières premières et les Européens plutôt des produits transformés, l'Union européenne pourrait créer dans l'avenir des milliers d'emplois si elle développait pleinement cette orientation ;

- le prix mondial n'existe pas, sauf peut-être pour les céréales avec les bourses des matières premières, et il n'est pas question de l'inventer. Même sur un marché sans obstacles comme le marché commun agricole, on observe des différences de prix de 30 %, comme pour le lait. Le seul point d'interrogation est de déterminer le prix qui permette de vendre et d'exporter davantage sans payer de restitutions. Il faut d'ailleurs pouvoir aussi exporter avec des restitutions, comme pour la poudre de lait écrémé, le beurre, le fromage, mais à condition de cibler le dispositif autrement, de manière que les restitutions servent à créer de nouveaux marchés plutôt que d'être utilisées pour des marchés déjà conquis. Ce raisonnement s'applique également à la viande bovine pour laquelle l'Europe devrait développer une bonne stratégie de commercialisation ;

- en ce qui concerne les prix de revient, il faut distinguer deux aspects : d'abord quel prix permet de vendre, sachant qu'un négociant japonais ne s'intéresse pas au prix de revient d'un produit, mais au rapport qualité-prix, et que les prix sont relativement élevés en Europe ; ensuite comment compenser les coûts européens en général plus élevés ;

- il est inexact de dire que les Européens suivent toujours les Américains. Ainsi le fait que les Européens aient fixé des règles sanitaires plus strictes que les autres ne doit pas être un obstacle à la vente de nos produits sur les marchés, mais un argument prouvant leur meilleure qualité ;

- enfin ce qui a été annoncé sera fait : la proposition pour le secteur viti-vinicole sera présentée en juin.

Le Président André Lajoinie a conclu en espérant que, face aux divergences qui subsistent, le Commissaire tiendrait compte des points de vue exprimés par les parlementaires français, partagés par de nombreux pays et reflets de l'opinion des peuples.