DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 104

Réunion du jeudi 16 mars 2000 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Rapport d'information de M. Alain Barrau sur la politique étrangère, de sécurité et de défense commune de l'Union européenne

Le Président Alain Barrau a présenté la problématique du développement d'une politique étrangère, de sécurité et de défense commune de l'Union européenne : ayant souligné les résultats ambigus d'une PESC dont l'assise est encore fragile, il a évoqué les impératifs auxquels doit répondre l'Union européenne pour se doter d'une capacité de défense autonome.

L'évolution de la Politique étrangère et de sécurité commune est cruciale pour l'avenir même de la construction européenne, car l'Union européenne ne peut continuer à faire le grand écart entre son influence politique et sa puissance économique sans briser son élan. Or, le conflit bosniaque a durablement marqué l'échec de la PESC. dans l'opinion et a montré que ce dispositif, conçu comme transitoire dès l'origine, souffrait essentiellement de trois maux : une absence de vision commune entre des partenaires divisés par de nombreuses lignes de partage ; une absence de la dimension de défense et un manque de moyens opérationnels autonomes par rapport à l'OTAN, l'empêchant de faire face aux crises de l'après-guerre froide ayant des implications militaires ; des faiblesses institutionnelles tant en termes de capacités d'analyse et d'anticipation que de décision.

Le traité d'Amsterdam a renforcé de manière substantielle la capacité de décision du Conseil dans le domaine de la PESC, mais ces améliorations demandent à être confirmées par la pratique : il faudra, en particulier, veiller à la meilleure articulation possible entre le Haut représentant pour la PESC et une Commission qui se veut politiquement beaucoup plus présente que la précédente.

Le nouvel instrument qui constitue la stratégie commune devrait favoriser un tel rapprochement. Ce n'est qu'en abordant globalement les problèmes et en décloisonnant ses instruments que l'Union pourra peser davantage sur la scène internationale comme un acteur majeur et non plus comme un simple bailleur de fonds. Les stratégies communes présentent également l'avantage d'introduire le vote à la majorité qualifiée pour les positions et actions communes prises dans son cadre, et donc de la souplesse dans le processus de décision de la PESC. Cette politique est cependant trop au c_ur des souverainetés nationales pour que le compromis atteint à Amsterdam puisse être sensiblement modifié lors de la prochaine réforme institutionnelle. En revanche, la PESC devrait bénéficier de la nécessaire repondération des voix au Conseil.

Dans une Union dont l'hétérogénéité croît avec l'élargissement, l'émergence quelque peu inattendue d'une vision commune européenne dans le conflit du Kosovo a montré que les Européens sont prêts à s'entendre sur une PESC qui met la puissance au service d'un intérêt bien compris - la stabilité du continent - et d'une éthique reposant sur le développement d'une civilisation démocratique dans le cadre de nations ne reposant pas sur une base ethnique. Pour progresser en accord avec l'opinion européenne, la PESC devra concilier realpolitik et éthique.

L'Union européenne n'a cependant pas attendu de parvenir à ce début de consensus pour définir une politique substantielle tant à l'égard de son voisinage que du reste du monde, mais ses résultats sont ambigus. En particulier, l'élargissement de l'Union représente un grand projet développé pour l'essentiel en dehors de la PESC et dont le succès est à confirmer. Le partenariat euro-méditerranéen est un grand projet ralenti par le blocage du processus de paix. La reconstruction des Balkans offre une perspective d'intégration à long terme après l'échec de la prévention des crises. Le partenariat avec la Russie et les autres nouveaux Etats indépendants correspond à une attente déçue, qui jette un doute sur la valeur ajoutée des stratégies communes : en dépit des décisions restrictives du Conseil européen d'Helsinki, force est de constater que la complaisance l'a emporté dans l'attitude de l'Union européenne et que le partenariat entre l'Union européenne et la Russie est en passe d'effacer le choc du conflit en Tchétchénie.

Au total, la PESC a une assise encore fragile. Elle semble animée par des principes à géographie variable qui donnent l'impression de faire prévaloir les droits de l'homme pour les petits pays et la realpolitik pour les grands. Le contraste est en effet saisissant entre la fermeté avec laquelle l'Union européenne a sanctionné, légitimement, la dictature birmane et plusieurs Etats ACP pour atteinte aux droits de l'homme et la prudence avec laquelle elle a réagi aux comportements de la Chine dans l'affaire du Tibet ou à ceux de la Russie dans le conflit tchétchène. La France s'efforce de tenir une ligne de juste équilibre entre la poursuite d'une politique à long terme avec la Russie et la ferme condamnation de ses méthodes en Tchétchénie, assortie de sanctions concertées. Elle semble quelque peu isolée dans cette attitude, mais elle doit persévérer en ce sens, en accord avec la sensibilité des opinions publiques.

En tout état de cause, la PESC est incomplète en l'absence d'un outil militaire. La dynamique en matière de défense et de sécurité n'a été lancée qu'à partir du deuxième semestre 1998 et a été marquée par trois étapes essentielles : le sommet franco-britannique de Saint-Malo, le 4 décembre 1998, a défini les principes en s'attachant plus aux aspects pratiques sur les capacités opérationnelles qu'aux débats de principe sur l'affirmation d'une identité européenne de défense ; le Conseil européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999 a défini les objectifs selon lesquels l'Union devra pouvoir décider et agir dans la gestion des crises en s'appuyant soit sur des moyens nationaux ou multinationaux européens, soit sur les moyens et capacités de l'OTAN, et devra disposer d'une capacité d'action autonome, grâce notamment au transfert des capacités de l'UEO ; le Conseil européen d'Helsinki des 10 et 11 décembre 1999 a traduit ces lignes directrices en actions précises, avec l'objectif d'adopter les décisions nécessaires à la fin de l'an 2000, tout en soulignant que ce processus devra éviter d'inutiles doubles emplois et qu'il n'implique pas la création d'une armée européenne.

Le premier des impératifs de la création d'une force autonome et du développement d'une Europe de la défense est de clarifier les objectifs. Il convient à cet égard de tirer la leçon des expériences de la Bosnie, de l'Irak et du Kosovo, pour savoir comment sortir des protectorats humanitaires sans entrer dans des embargos dont les effets seraient contraires aux préoccupations humanitaires. Il faut également définir les principes communs sur l'usage légitime de la force et l'ambition stratégique de l'Union européenne. La référence aux principes de la charte des Nations unies et au Conseil de sécurité ne devrait pas empêcher l'Union d'intervenir au nom du principe d'ingérence humanitaire, ainsi que dans le cas où le Conseil de sécurité ne parviendrait pas à définir une position. L'Union européenne n'a pas l'ambition de devenir l'un des gendarmes du monde, mais celle d'être capable d'assumer, à la fois, une opération lourde - comme celle conduite au Kosovo - dans quatre ou cinq ans et une opération humanitaire ou d'évacuation des ressortissants.

Le deuxième impératif pour la mise en place d'une Europe de la défense est la définition d'un processus de décision fondé sur l'autonomie, la cohérence, l'efficacité et la légitimité démocratique.

Le dispositif arrêté à Helsinki repose sur trois organes politiques et militaires qui seront créés au sein du Conseil : un comité politique et de sécurité, un comité militaire et l'état-major, qui devront permettre à l'Union européenne de choisir, en concertation avec ses autres partenaires de l'Alliance atlantique, entre trois options : une opération de l'OTAN à laquelle les Etats membres de l'Union participeraient en tant que membres de l'OTAN ; une opération de l'Union européenne avec recours aux moyens de l'OTAN ; une opération de l'Union européenne avec ses moyens propres.

Dans le champ de compétences commun à l'Union européenne et à l'OTAN que va devenir la gestion des crises, se pose donc la question cruciale du partage des responsabilités. Le principe qui paraît devoir inspirer l'attitude des Européens sur ce point est celui de coopération sans subordination. Sa mise en _uvre sera complexe, mais c'est la condition de l'autonomie et de l'efficacité de l'action future de l'Union européenne.

Les Etats-Unis veulent voir reconnaître à l'OTAN le « droit de premier refus » c'est-à-dire la prérogative de décider, face à une crise, si l'Alliance atlantique entend ou non prendre la direction d'une intervention. Un tel schéma n'est pas considéré comme acceptable par la majorité des pays européens, dont la France, qui estiment que toute décision en la matière sera nécessairement consensuelle. Mais tant que l'Europe ne disposera pas de la totalité des outils militaires lui permettant d'intervenir seule dans une crise, elle ne pourra prétendre disposer d'une pleine autonomie de décision et d'action vis-à-vis de l'Alliance atlantique et plus particulièrement des Etats-Unis. Il en va de même pour ce qui concerne son autonomie par rapport aux membres européens de l'OTAN non-membres de l'Union européenne. Confrontée à un refus de tel ou tel de ces membres de mettre les moyens de l'OTAN à la disposition de l'Union européenne, celle-ci n'aura en fait guère la possibilité de passer outre tant qu'elle ne disposera pas des capacités lui permettant de mener une opération à elle seule. La coordination entre l'Union européenne et l'OTAN apparaît en toute hypothèse nécessaire, tant pour la planification stratégique que pour la planification opérationnelle.

Enfin, la mise en place d'une Europe de la défense doit s'accompagner de l'accroissement du rôle des parlements dans un processus de décision qui se caractérise par un lourd déficit démocratique. C'est là une condition à la fois de sa légitimité et de son efficacité.

Le rapporteur a ensuite abordé les impératifs proprement militaires du développement d'une Europe de la défense. Rappelant que le niveau des capacités militaires défini à Helsinki est ambitieux, il s'est interrogé sur le point de savoir comment il fallait l'apprécier au regard des capacités dont l'Europe dispose aujourd'hui. L'intervention de l'OTAN au Kosovo a mis en évidence les faiblesses opérationnelles des Européens et la supériorité flagrante des Américains. Par ailleurs, l'UEO a établi récemment un inventaire des moyens et capacités pour des missions de gestion de crise à mener par les Européens, dont les conclusions sont sévères.

Compte tenu du processus de réduction des budgets militaires des pays européens, il faut considérer le niveau atteint aujourd'hui par ces budgets comme une donnée de base pour la mise sur pied de la capacité de défense européenne. Certains considèrent qu'il suffirait de restructurer les forces européennes sans augmenter l'effort global. D'autres seraient partisans de la définition d'indicateurs de convergence, notion à laquelle le ministre français de la défense préfère à juste titre celle d'indicateurs de cohérence, qui rend mieux compte de l'aspect qualitatif et quantitatif de l'effort à accomplir. Il reste qu'un effort budgétaire s'impose pour traduire la volonté politique affirmée à Helsinki.

Quant à la répartition des contributions entre les Etats membres, ses modalités restent à définir, sachant qu'elle devrait être fondée sur les deux principes de volontariat et de pragmatisme.

La constitution d'une capacité de défense européenne suppose résolue la question de la duplication des moyens. Certains Etats membres insistent sur la nécessité d'éviter la duplication des moyens au sein de l'Alliance atlantique, d'autres, dont la France, mettent l'accent sur l'indispensable autonomie de la force européenne. Le principe aujourd'hui admis par tous est celui de la « non-duplication inutile ». Reste à parvenir à une définition commune de ce concept, auquel tous ne donnent pas le même sens.

Dernier impératif pour une Europe de la défense : une base technologique et industrielle forte assurant le développement des coopérations entre Etats membres. L'Europe est confrontée à un défi, l'industrie d'armement américaine tenant le premier rang mondial loin devant ses concurrentes. Intervenant sur un marché étroit, cloisonné et soumis à des déterminations nationales importantes, les industries européennes doivent surmonter des handicaps structurels qui ont longtemps freiné leur réorganisation. A la fin de l'année 1999, s'est constitué le premier pôle européen transnational dans le domaine de l'armement : le nouveau groupe aéronautique franco-germano-espagnol EADS, issu de la fusion d'Aérospatiale, DASA et CASA, est le troisième groupe aéronautique mondial et le sixième groupe mondial de défense.

Cette étape décisive ne pourra toutefois produire pleinement ses effets que si l'Europe est capable de faire évoluer le cadre réglementaire du marché des industries de défense, tout en tenant compte des impératifs de souveraineté. Il est indispensable également que se développent les programmes d'armement menés en coopération. Certes, depuis dix ans des progrès ont été accomplis en ce sens, notamment dans le cadre de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR), mais les ratés dans la réalisation de tels programmes sont encore trop fréquents. Le rapporteur a insisté sur la nécessité de progresser dans la voie de l'harmonisation des besoins militaires, pour parvenir à une expression commune des besoins, condition de l'émergence d'une véritable Europe de la défense.

En manifestant la volonté politique de se doter d'une défense autonome, les Européens ont franchi une étape essentielle. Cependant, le processus n'en est encore qu'à ses débuts et le développement de ce projet ambitieux va mettre à l'épreuve, pendant de longues années, leur volonté de le mener jusqu'à son aboutissement. Il appartient maintenant aux autorités politiques des Quinze et en premier lieu aux parlements de se mettre à l'écoute des opinions publiques afin de définir démocratiquement des options qui seront déterminantes pour la sécurité de l'Europe et l'avenir de la construction européenne.

Après l'exposé du rapporteur, M. Pierre Brana a estimé que, si la PESC avait permis de réduire les risques de tension entre pays d'Europe centrale et orientale en favorisant la conclusion de traités réglant les problèmes de frontières et de minorités, elle avait en revanche subi plusieurs échecs. Il en est ainsi pour la question de Chypre : les positions des parties grecque et turque de l'île restent éloignées, comme la récente visite en France du Président de la République chypriote a permis de le constater. Il en va de même pour la Tchétchénie, car, en décidant d'alléger la dette extérieure de la Russie, les pays occidentaux se sont privés du seul moyen de pression dont ils disposaient à l'encontre de ce pays : une attitude plus ferme de l'Europe sur le plan économique aurait été nécessaire, comme le préconisait d'ailleurs la France. La situation de la Bosnie suscite la même observation, puisque les accords de Dayton sont dans l'impasse et que l'émergence d'une véritable nation bosniaque reste encore une perspective incertaine. Exprimant son désaccord avec le propos du ministre de la défense, cité dans le rapport, selon lequel il n'est guère envisageable que les Européens cèdent à la tentation de mener une opération contre l'avis des Etats-Unis, il a estimé qu'une telle hypothèse ne devrait pas être exclue a priori. Cette opinion a été soutenue par le Président Alain Barrau, qui a estimé que l'Europe devait conserver une possibilité d'agir même en cas de désaccord avec les Etats-Unis.

M. François Guillaume a regretté qu'une seule séance soit consacrée à un débat qui porte sur un sujet aussi essentiel et touchant directement aux souverainetés nationales. Pour lui, le propos du ministre de la Défense évoqué dans le rapport est réaliste, car l'Allemagne et le Royaume-Uni s'opposeront toujours à ce que l'Europe prenne des positions contraires à celles des Etats-Unis ; il est dès lors vain d'imaginer la mise en place d'une diplomatie et d'une défense européennes autonomes. L'exemple de la Bosnie et du Kosovo montre qu'il faut se garder de toute lecture optimiste des événements. Alors que ce sont les pays européens - et au premier chef la France - qui ont fourni l'essentiel des forces terrestres d'intervention en Bosnie et financé en grande partie la réparation des dommages de guerre, les accords de paix de Dayton ont été négociés sous l'autorité des Etats-Unis et ce sont les entreprises américaines qui bénéficient le plus de l'effort de reconstruction économique. Au Kosovo, la guerre a éclaté malgré l'initiative prise par la France de réunir auparavant les différentes parties au conflit, parce qu'on a laissé introduire dans les accords du Rambouillet une clause évoquant la possibilité d'une indépendance de ce territoire, ce que les Serbes ne pouvaient accepter.

Il lui paraît vain d'imaginer que des pays comme l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni puissent renoncer à leur diplomatie pour la fondre dans une hypothétique diplomatie européenne, laquelle ne peut intéresser que les Etats dénués de politique étrangère. Comment les grands Etats accepteraient-ils de mettre leurs forces à la disposition d'une armée commune dont l'utilisation serait décidée par tous ? Si une défense en commun du continent européen est souhaitable, elle ne doit pas conduire à une intégration des dispositifs militaires nationaux, ni à une remise en cause des missions traditionnelles de l'armée française, à savoir la défense du territoire, l'intervention sur des théâtres extérieurs, notamment pour protéger l'intégrité territoriale des pays africains avec lesquels des accords de défense ont été conclus, et la participation à la défense en commun de l'Europe. La France ne doit réintégrer la structure militaire intégrée de l'OTAN que si le fonctionnement de cette organisation est rééquilibré et si les Européens disposent d'un pouvoir de décision équivalent à celui des Etats-Unis.

M. Pierre Lellouche a souhaité également tempérer l'optimisme du rapporteur, en soulignant que toutes les initiatives que la France avait prises en faveur d'une défense européenne depuis le début de la Vème République et jusqu'à la chute du mur de Berlin, avaient échoué car les alliés de la France ne voyaient leur sécurité que dans l'OTAN et la protection américaine. Par la suite, la chute du mur de Berlin et la dislocation du bloc soviétique ont créé un nouveau contexte. L'apparition de nouvelles menaces et de nouveaux conflits ont donné une deuxième vie à la notion de défense européenne. Après dix années de tâtonnement, les Européens sont parvenus à définir à Helsinki un système institutionnel relativement satisfaisant et s'inspirant des idées françaises. Toutefois, il a fallu qu'il y ait 250.000 morts en Yougoslavie pour que les Européens se décident à progresser, au Conseil européen d'Helsinki, sur la voie d'une défense commune. De surcroît, cette avancée institutionnelle ne s'accompagne pas d'une clarification des concepts stratégiques. L'Union européenne n'a aucune stratégie sérieuse à l'égard de la Russie, ni à l'égard du flanc sud de l'Europe et de la Turquie ; en Yougoslavie, elle n'a aucune stratégie de sortie de la crise, alors même que sont avérées les faiblesses des accords de Dayton. Sa réflexion est particulièrement inconsistante sur les risques croissants de la prolifération nucléaire et sur les moyens de protection tels que les systèmes antimissiles. Quant à la PESC, tout examen sérieux ne peut déboucher que sur un constat sévère.

A la phase d'élaboration institutionnelle devrait succéder une politique budgétaire adaptée. Or, partout en Europe, les budgets de défense européens sont en baisse. En France, aucune loi de programmation n'a été respectée et le financement de la réforme - par ailleurs opportune - qui a conduit à la professionnalisation des armées pénalise les crédits d'équipement. Mettre à la disposition de l'Union une force d'intervention de 50.000 hommes apparaît comme une « galéjade », en regard des forces que l'on devrait pouvoir constituer et de celles dont peuvent disposer les Etats-Unis. La France et le Royaume-Uni disposent déjà chacun de forces de réaction rapide de 50.000 hommes ; c'est plutôt une force de 500.000 hommes que les pays de l'Union européenne devraient mettre en place.

Il est dommage que le rapport ne fasse aucune allusion à l'arme nucléaire et ne souligne pas les faiblesses de l'Union dans le domaine de la projection des forces. De surcroît, l'Europe ne dispose d'aucun moyen de détection du lancement de missiles. S'agissant des industries de défense, si le pôle civil du nouveau groupe aéronautique EADS est solide, son pôle militaire souffrira de la faiblesse des commandes. D'ici trois ans, on peut craindre que le premier missilier d'Europe ne devienne britannique, le Royaume-Uni maintenant un niveau de commandes élevé. Eurocopter risque d'avoir des difficultés ainsi que l'industrie spatiale, les crédits consacrés à l'espace diminuant de 25 % cette année.

M. Pierre Lellouche a déploré, en conclusion, l'existence d'un état d'esprit général qui n'est pas à la hauteur des incertitudes stratégiques et de la montée de périls plus grands, à ses yeux, que ceux de la guerre froide, et qui se traduit par un effort de défense insuffisant. Il a toutefois apporté son soutien aux conclusions du rapporteur en souhaitant que le débat précise les ambitions européennes.

Mme Nicole Ameline a au contraire considéré comme justifié l'optimisme du rapporteur, le climat d'incertitude actuel constituant une incitation à progresser vers l'Europe de la défense. C'est la construction européenne qui a assuré la paix que l'on connaît depuis plus de cinquante ans. Le défi est également financier : pour assurer la paix dans les pays voisins, l'Union doit conclure de nouveaux partenariats de développement économique, avec les Balkans comme avec les pays méditerranéens ; la paix commence par le progrès économique et démocratique. Quant à la PESC, elle constitue un pas fort et symbolique, dans la mesure où elle est inspirée par la primauté des droits de l'homme. Elle supposerait une volonté politique plus solide ainsi que des moyens militaires, la guerre au Kosovo ayant révélé l'absence d'autonomie des Européens. En tout état de cause, il leur faudra rester en cohérence avec l'OTAN. L'importance de toutes ces questions devrait faire l'objet d'une plus grande mobilisation parlementaire et institutionnelle.

Dans ses réponses, le rapporteur a notamment donné les précisions suivantes :

- la sécurité des Français ne peut plus reposer sur une défense seulement nationale ; mais la sécurité des Français et des Européens ne saurait dépendre de décisions prises par les Etats-Unis. Ces considérations militent en faveur de la constitution d'une défense européenne. Dans le même ordre d'idées, le Général de Gaulle avait fait le choix de la PAC pour soutenir l'agriculture française. Si la conduite d'une politique étrangère et de défense commune soulève bien des difficultés, en raison notamment de traditions diplomatiques nationales très différentes, l'Union européenne doit se donner la volonté politique et les moyens lui permettant d'être une puissance politique. Il ne s'agit pas d'abandonner les souverainetés et les diplomaties nationales mais de définir ensemble les actions communes de politique étrangère ;

- s'il est vrai, comme l'ont souligné M. Pierre Lellouche ainsi que le rapport, que les moyens restent très insuffisants, la France peut jouer un rôle d'impulsion au sein d'une sorte de coopération renforcée en matière de défense. Le simple fait que l'Union aborde les questions de défense comme elle l'a fait à Cologne et à Helsinki, est très positif. Ainsi, à Cologne, le Président finlandais Martti Ahtisaari est venu présenter au Conseil européen le résultat de ses entretiens avec M. Milosevic sur la crise du Kosovo ;

- l'opinion publique est insuffisamment mobilisée sur ces questions ; l'objet du présent rapport consiste précisément à les aborder et à mieux impliquer la représentation nationale dans les réflexions en cours ; le forum parlementaire organisé le 28 mars à l'initiative de la Délégation, qui comprendra une table ronde sur la PESC et la défense européenne, y contribuera également, de même que le débat en séance publique, en mai, sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne.

La Délégation a ensuite examiné les conclusions présentées par le rapporteur, dont le caractère consensuel a été relevé par MM. Pierre Brana et Pierre Lellouche.

M. François Guillaume a souhaité que l'accent soit mis sur la nécessaire harmonisation des équipements militaires et des armements. Approuvé par Mme Nicole Ameline, M. Pierre Lellouche a estimé que la référence aux missions de Petersberg n'était pas assez ambitieuse, compte tenu des perspectives tracées au Conseil européen d'Helsinki. Après les observations de Mme Béatrice Marre et M. Joseph Parrenin, la Délégation a précisé le texte en ce sens. A la suite des interventions de MM. Pierre Lellouche et François Guillaume, qui ont souhaité introduire l'idée d'une préférence européenne en matière d'armements, le dernier paragraphe des conclusions a été modifié à l'initiative du Président Alain Barrau, qui a fait prévaloir l'objectif d'une harmonisation des normes de nature à favoriser la coopération en matière de programmes d'armement. M. François Guillaume s'est déclaré opposé à une politique de petits pas conduisant à la fusion de toutes les armées en une armée européenne et s'est prononcé contre l'adoption des conclusions. Après que le rapporteur eut montré que celles-ci ne se situaient pas dans une telle perspective, la Délégation a adopté le texte suivant :

« La Délégation,

- Vu la déclaration adoptée par le Conseil européen de Cologne les 3 et 4 juin 1999 concernant le renforcement de la politique européenne commune en matière de sécurité et de défense,

- Vu les conclusions adoptées par le Conseil européen d'Helsinki les 10 et 11 décembre 1999 relatives à la politique européenne commune en matière de sécurité et de défense :

1. souhaite que l'Union européenne définisse un meilleur équilibre, dans la politique extérieure et de sécurité commune, entre la promotion des droits de l'homme et la considération des intérêts politiques ou économiques et qu'elle montre la même exigence dans le respect des droits de l'homme à l'égard de tous les Etats ;

2. se félicite de la volonté exprimée par les Quinze de voir l'Union exercer pleinement ses responsabilités en matière de prévention des conflits et de gestion des crises et disposer à cette fin d'une capacité militaire autonome ;

3. demande que les relations entre l'Union européenne et l'OTAN s'établissent sur la base d'un partenariat équilibré permettant en tant que de besoin la coopération entre ces deux institutions, tout en garantissant l'autonomie de décision de l'Union européenne ;

4. souligne la nécessité de mieux assurer le contrôle démocratique par les parlements - parlements nationaux et Parlement européen - de la politique commune de sécurité et de défense de l'Union européenne ;

5. considère que les Quinze doivent consentir l'effort budgétaire nécessaire à la constitution d'une force militaire autonome susceptible d'assumer l'ensemble des missions de Petersberg confirmées au Conseil européen d'Helsinki ;

6. estime qu'ils doivent, à cette fin, définir des indicateurs de cohérence en matière de dépenses militaires, de façon notamment à assurer la réorientation de leurs budgets de défense vers les dépenses d'équipement et à garantir dans tous les Etats membres un niveau de dépenses de recherche suffisant ;

7. souhaite que soient prises dans les meilleurs délais les mesures de nature à permettre l'établissement d'un véritable marché européen de l'armement tenant compte des impératifs de souveraineté ;

8. estime nécessaire que les Quinze parviennent à l'harmonisation de leurs besoins militaires et de leurs normes de façon à permettre une amélioration de leur coopération en matière de programmes d'armement. »

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II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution (E 1318, E 1409, E 1410, E 1416, E 1418)

Sur le rapport du Président Alain Barrau, la Délégation a levé la réserve d'examen sur cinq propositions d'actes communautaires.

· Il s'agit, en premier lieu, de la recommandation de la Banque centrale européenne en vue d'un règlement du Conseil relatif aux appels supplémentaires d'avoirs de réserve de change par la Banque centrale européenne (document E 1318). La recommandation élaborée par le Conseil des gouverneurs de la BCE tend à ouvrir à celle-ci la faculté de procéder à des appels d'avoirs de réserves de change supplémentaires jusqu'à concurrence d'un montant de 50 milliards d'euros, égal à celui de ses réserves de change actuelles. L'augmentation des réserves de change, prévue par les statuts du système européen de banques centrales (SEBC), est de nature à renforcer l'indépendance financière de la Banque centrale européenne, ainsi que la crédibilité de ses interventions. Le rapporteur a rappelé que la BCE n'avait pas utilisé ses réserves de change en dépit de la baisse de l'euro par rapport au dollar.

M. François Guillaume a exprimé son hostilité à l'égard de ce texte, liée à son opposition de principe à l'indépendance totale de la Banque centrale européenne. L'impératif de la solidité monétaire de l'euro exerce aujourd'hui sur tous les gouvernements, quelle que soit leur orientation politique, une trop grande attraction, même si la BCE n'est pas encore intervenue sur le marché des changes. Au demeurant, la baisse de l'euro par rapport au dollar a stimulé les exportations communautaires. Mme Nicole Ameline a souligné que la recommandation mettait en _uvre une faculté prévue par les statuts du système européen de banques centrales.

· Le Président Alain Barrau a ensuite présenté la proposition de décision du Conseil autorisant la Commission à conclure un accord sous forme d'échange de lettres avec, respectivement, le gouvernement de la Confédération helvétique, le gouvernement de la République tchèque et le gouvernement de chacun des pays non communautaires, parties contractantes à la convention du 20 mai 1987 relative à un régime de transit commun, définissant les procédures d'extension du réseau commun de communication (document E 1409). Cet accord permet l'accès des Etats co-signataires au système informatisé de transit commun des marchandises institué par la convention de 1987 en vigueur entre la Communauté et les pays de l'AELE, ainsi qu'entre les pays de l'AELE eux-mêmes. Il permet de simplifier les formalités aux frontières et l'application des règles d'origine des marchandises.

M. François Guillaume a appelé l'attention de la Délégation sur la nécessité de renforcer les contrôles effectués sur les temps et conditions de travail des conducteurs de poids lourds originaires des pays de l'Est, dont les cadences semblent à l'origine de nombreux accidents, en particulier dans l'Est de la France.

· Le rapporteur a exposé l'objet de la proposition de règlement du Conseil portant modification du règlement n° 737/90 relatif aux conditions d'importation de produits agricoles originaires des pays tiers à la suite de l'accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl (document E 1410). Il a rappelé que le règlement de 1990, dont la modification était proposée, édictait des règles particulières applicables aux conditions d'importation de produits agricoles originaires de pays tiers pour faire face aux suites spécifiques de l'accident de Tchernobyl. La présente proposition tend, pour l'essentiel, à le proroger à nouveau pour dix ans, jusqu'en 2010. Toutefois, dans le contexte actuel de pré-adhésion de pays d'Europe centrale à l'Union européenne, il s'est interrogé sur la prorogation d'un règlement qui ne concerne que les importations de pays tiers : avec l'élargissement de l'Union européenne, les produits alimentaires de plusieurs pays ne seront plus soumis à une réglementation spécifique. Il serait donc souhaitable d'élargir le champ d'application du règlement aux produits communautaires, comme la France l'a proposé en novembre 1999.

M. François Guillaume, ayant exprimé son accord avec cette observation, s'est inquiété de la pénétration sur le marché européen de produits n'offrant pas les mêmes garanties de traçabilité et de normes sanitaires exigées des produits originaires des Etats membres. Il s'est demandé si la méthode suivie pour préparer l'adhésion des pays candidats à l'Union européenne était appropriée pour assurer la mise à niveau nécessaire et garantir la sécurité des consommateurs. Le Président Alain Barrau a souligné à son tour que la demande de sécurité alimentaire était extrêmement pressante dans l'opinion publique européenne et que la présidence française aurait à trouver les moyens d'y répondre.

· Evoquant la proposition de règlement du Conseil portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires autonomes pour certains produits de la pêche (document E 1416), le Président a rappelé que ces contingents étaient déterminés d'après les besoins des industries communautaires de transformation des produits de la mer, dont les représentants ont été préalablement consultés. Mme Nicole Ameline, auteur d'un rapport de la Délégation sur la réforme de l'organisation commune des marchés de la pêche, a confirmé le caractère habituel de la démarche suivie par la Commission.

· La Délégation a enfin examiné la proposition de recommandation du Conseil relative à la décharge à donner à la Commission pour l'exercice 1998 (document E 1418). Le Président Alain Barrau a regretté que cette recommandation ait été adoptée par le Conseil ecofin du 13 mars sans que la Délégation ait pu se prononcer et sans que son Président ait été saisi en urgence. Même si la Commission, qui a exécuté le budget de 1998, n'est plus en fonction, l'examen parlementaire de la recommandation de décharge aurait dû être conforme aux dispositions en vigueur. Lors du Conseil ecofin du 13 mars, M. Christian Sautter a indiqué que, du fait de l'existence d'une réserve parlementaire, il ne pouvait pas prendre part au vote au nom de la France. La présidence portugaise a cependant déclaré qu'elle prenait acte de l'accord d'une majorité de délégations sur la proposition de recommandation, qui pouvait ainsi être considérée comme adoptée.

Quant au fond, l'exercice budgétaire 1998 s'est soldé par un excédent de 3.023 millions d'euros, qui a été, pour moitié, pris en compte par anticipation dans la préparation du budget de 1999, pour l'autre moitié, sous la forme d'un ajustement à la baisse des contributions des Etats membres, dans les conditions définies par le budget rectificatif et supplémentaire n°1/99. Les observations annexées à la recommandation, qui se fondent sur les analyses contenues dans le rapport annuel de la Cour des Comptes, paraissent traduire la volonté du Conseil de suivre plus systématiquement la gestion budgétaire de la Commission, d'autant plus que la Cour ne s'est pas estimée en mesure d'émettre une déclaration d'assurance positive. Les remarques de la Cour mettent en cause aussi bien la capacité de la Commission à définir avec la rigueur suffisante les règles d'octroi des concours communautaires, que la réticence des Etats membres à l'égard d'une coopération juridique et administrative satisfaisante pour la mise en _uvre des politiques intégrées et du système des ressources propres. Elles font craindre que ces difficultés ne soient mises à profit par des personnes indélicates pour développer des systèmes de fraude préjudiciables aux intérêts financiers de la Communauté.

Il est dès lors heureux que le Conseil manifeste sa volonté d'accroître son intervention dans le suivi des procédures budgétaires, de l'emploi des fonds et du contrôle des opérations financées. La France a opportunément suggéré de consacrer un « Conseil Budget », en début d'année, à l'examen du rapport général et des rapports spéciaux de la Cour et à l'évaluation des politiques communautaires.

Compte tenu du contexte de réforme dans lequel la proposition de recommandation était examinée par le Conseil, le Président Alain Barrau a déploré que le projet de recommandation, équivalent de notre loi de règlement, ait été communiqué à la Délégation dans des conditions incompatibles avec les exigences du travail parlementaire. Il a souligné que la recherche légitime, par la France, d'un renforcement de l'activité propre de contrôle et de suivi du Conseil serait encore plus efficace si elle s'accompagnait d'un effort accru pour y associer le Parlement.

Telles sont les raisons pour lesquelles la Délégation, tout en prenant acte de l'adoption de la recommandation dans des conditions inhabituelles, a demandé au Gouvernement de lui donner toute information utile sur l'évolution du plan de réforme, dont l'examen a été renvoyé au Conseil ecofin du mois de mai prochain.