DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 106

Réunion du jeudi 23 mars 2000 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Communication de M. François Loncle sur l'élaboration de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne

M. François Loncle a présenté l'état d'avancement des travaux de la « Convention » chargée d'élaborer la charte européenne des droits fondamentaux. Il a rappelé que le principe de cette charte avait été décidé lors du Conseil européen de Cologne, les 3 et 4 juin 1999, à l'initiative de la présidence allemande. La composition de l'enceinte compétente pour rédiger cette charte a été précisée au Conseil européen de Tampere. Ses travaux ont conduit à alimenter trois corbeilles : la première comprend les droits garantis par la convention européenne des droits de l'homme et les traditions constitutionnelles communes des Etats membres ; la deuxième renvoie aux droits fondamentaux des citoyens de l'Union et la troisième fait référence à des droits économiques et sociaux consacrés par la charte sociale européenne et par la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs.

Le rapporteur a articulé son propos autour de trois questions : quelles sont les origines de ce texte ? Quel est son contenu ? Quelle valeur juridique faut-il lui attribuer ?

· La charte s'inscrit dans une dynamique de reconnaissance des droits fondamentaux. Qu'il s'agisse de l'acte unique européen, du traité de Maastricht et du traité d'Amsterdam, chaque étape récente de la construction européenne a été marquée par une référence toujours plus explicite aux droits fondamentaux. De son côté, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a imposé progressivement l'idée d'un respect des droits fondamentaux par le droit communautaire. Cependant, aucun pouvoir normatif n'a été reconnu en matière de droits de l'homme à l'Union européenne. Dans un avis du 28 mars 1996, la CJCE a considéré qu'en l'état actuel du droit communautaire, la Communauté n'avait pas compétence pour adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et qu'une telle adhésion ne saurait être réalisée que par la voie d'une modification du traité.

La volonté de la Cour constitutionnelle fédérale allemande d'assurer le respect des droits fondamentaux au niveau garanti par la loi fondamentale et de ne pas transférer ce contrôle à la CJCE aussi longtemps que l'ordre juridique communautaire ne se serait pas doté d'un corpus de droits fondamentaux, explique cette initiative allemande en faveur de la charte. Par ailleurs, à deux reprises récemment, la Cour européenne de Strasbourg s'est estimée compétente pour contrôler le droit communautaire au regard des exigences posées par la CEDH.

L'idée d'une charte des droits fondamentaux pour pallier une lacune n'est donc pas sans fondement juridique. Elle obéit également à une nécessité politique, puisqu'elle peut contribuer utilement à forger une identité européenne, en définissant pour les citoyens de l'Union ou pour les résidents, selon les cas, des droits et des principes communs. L'évolution politique de l'Autriche et les perspectives de l'élargissement de l'Union européenne justifient pleinement cette initiative.

Cette charte est élaborée au sein d'une Convention qui se réunit régulièrement à Bruxelles depuis le mois de janvier, sous la présidence de l'ancien président de la République fédérale d'Allemagne, M. Roman Herzog, élu le 17 décembre dernier. Elle comprend 62 membres, dont 15 représentants des Chefs d'Etat ou de gouvernement des Etats membres, 16 membres du Parlement européen désignés par celui-ci et 30 membres des parlements nationaux désignés par ceux-ci, à raison de deux par parlement. Le représentant de l'Assemblée nationale est l'auteur de la présente communication ; celui du Sénat est M. Hubert Haenel ; le représentant de l'Exécutif français est M. Guy Braibant, tandis que les membres français du Parlement européen sont Mme Pervenche Bérès, M. Georges Berthu et M. Thierry Cornillet. Outre le Président Roman Herzog, le bureau comprend un député (finlandais), un représentant du Parlement européen et un représentant du Gouvernement portugais. M. François Loncle a souligné que le Parlement européen avait adopté une démarche très volontariste. Il a noté par ailleurs qu'un membre de la Délégation du Sénat pour les affaires européennes, M. Pierre Fauchon, avait suggéré que la charte prenne également en compte les devoirs des citoyens, cette proposition pouvant recevoir une application particulièrement utile dans le domaine de l'environnement.

· Evoquant le contenu - provisoire - du projet de charte, le rapporteur a indiqué que les travaux n'ont porté jusqu'à présent que sur la première corbeille et n'ont pas débouché sur une adoption formelle. L'objectif est de parvenir à la discussion d'un texte lors de la réunion du Conseil européen de Biarritz avant son adoption officielle lors du Conseil européen de Nice.

Plusieurs options étaient envisageables pour rédiger les droits fondamentaux de la première corbeille. Une solution simple aurait consisté pour l'Union à adhérer directement à la CEDH ou à renvoyer aux droits énoncés par celle-ci ; cette solution n'a pas été retenue par le bureau de la Convention car elle aurait conduit à considérer l'ordre juridique communautaire sous le seul prisme des droits de l'homme et à en confier le contrôle à des juges issus d'Etats non membres de l'Union. En fait, la Convention a choisi de réécrire les droits énoncés dans la CEDH, en les complétant pour tenir compte de l'évolution de la société. C'est ainsi qu'elle a eu le souci de prendre en compte les droits liés à l'éthique biomédicale et à la protection des données personnelles. La difficulté de l'exercice réside également dans le choix de la présentation juridique de ces droits. La Convention a fait le choix de rédiger ces droits sous une forme brève, l'énoncé de chaque droit étant éclairé par un commentaire de nature pédagogique. Ce texte, qui s'adresse aux citoyens, tend à pallier le déficit démocratique dont souffre l'Union européenne. La Convention a eu par ailleurs le souci de respecter le principe de subsidiarité.

A titre d'exemples de droits relevant de la première corbeille, M. François Loncle a cité la dignité de la personne humaine, le droit à la vie, le droit au respect de l'intégrité, l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé, le droit à la liberté et à la sûreté, le droit à un recours effectif, le droit à un tribunal impartial, les droits de la défense, la légalité des peines, le principe non bis in idem, le respect de la vie privée, la vie familiale, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'expression et le droit à l'éducation.

La deuxième corbeille recouvre les droits fondamentaux réservés aux citoyens de l'Union, c'est-à-dire pour l'essentiel le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen, ainsi que la protection diplomatique et consulaire commune. La difficulté sera de justifier la reconnaissance de ces droits aux seuls citoyens communautaires dans un texte qui, par définition, reconnaît des droits fondamentaux sans exclusive.

La nouveauté réside incontestablement dans la troisième corbeille, celle des droits économiques et sociaux. Il appartiendra à la Convention de lever plusieurs ambiguïtés du mandat de Cologne : seule une partie des droits énoncés dans la charte sociale européenne et la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux est appelée à figurer dans la charte. Il conviendra également d'opérer une distinction entre les droits n'ayant qu'une valeur programmatique et ceux qui revêtent un caractère normatif. Enfin, le champ des personnes concernées reste à définir.

· La troisième question, qui a trait à la valeur juridique de la charte, n'a pas encore reçu de réponse. Ne figurant pas dans le mandat du Conseil européen de Cologne, cette question a été reportée à un stade ultérieur de la réflexion. Elle soulève trois séries de questions, qui ne pourront être éludées : quels sont les effets juridiques de la charte ? quelle sera sa place dans la hiérarchie des textes et à quel contrôle juridictionnel sera-t-elle soumise ?

En l'état, la charte n'aurait vocation à s'appliquer qu'aux actes des institutions communautaires et aux actes des Etats membres mettant en _uvre le droit communautaire. Mais on ne saurait exclure des effets « par ricochet » de mesures communautaires sur le droit national et les compétences des juridictions nationales, si des citoyens de l'Union invoquent des dispositions de la charte. En revanche un consensus semble se dégager pour intégrer cette charte dans les traités, le Parlement européen souhaitant vivement y incorporer la charte à l'occasion de la Conférence intergouvermentale en cours.

La question du contrôle juridictionnel de la charte est étroitement liée à la question de sa valeur juridique. Soit la charte n'a aucune force juridique contraignante et ne peut de ce fait être invoquée devant une quelconque juridiction. Soit elle est insérée dans le Traité, mais si cette dernière option était retenue, le contrôle effectué par la Cour de justice des Communautés européennes, à titre préjudiciel ou directement, serait enserré dans les limites actuelles des traités, qui sont très étroites, ce qui conduirait à suggérer leur révision pour élargir l'accès des justiciables à la CJCE.

M. François Loncle a conclu son propos en faisant valoir que la charte européenne des droits fondamentaux avait, pour l'Union européenne, le mérite incontestable de mettre en exergue des valeurs et des principes démocratiques communs, non seulement dans la perspective de l'élargissement, mais aussi au regard de la situation politique actuelle de l'Autriche. Il paraîtrait difficile de ne pas attribuer une force juridique contraignante à ce texte et de faire l'économie d'une réflexion sur la garantie juridictionnelle des droits appelés à voir le jour.

Le Président Alain Barrau, estimant logique et légitime de reconnaître le travail effectué depuis longtemps par le Conseil de l'Europe, a demandé au rapporteur de préciser l'articulation entre la Convention européenne des droits de l'homme et la charte, avant de lui demander si la ratification de cette convention par l'Union européenne restait envisageable. Il s'est également enquis du calendrier de travail prévu et de la consistance des textes qui pourraient être présentés au Conseil européen de Biarritz en octobre et à celui de Nice en décembre 2000. Après avoir rappelé que le représentant du gouvernement autrichien à la Convention avait démissionné après la formation de la coalition, il s'est interrogé sur l'incidence de la question autrichienne sur l'élaboration de la charte.

Mme Nicole Catala a rappelé sa profonde hostilité à l'égard de la charte, les questions évoquées par le rapporteur ayant fait ressortir les incertitudes et ambiguïtés de son contenu, de ses destinataires, de sa valeur juridique et de son contrôle juridictionnel. Au delà, c'est dans son principe même que ce projet de charte est contestable, pareil texte étant à la fois inutile et dangereux.

Inutile, car tous les Etats membres de l'Union européenne et la plupart des pays candidats ont adhéré à la convention européenne des droits de l'homme, tandis que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme est extrêmement protectrice. Dangereux aussi, car il consiste à ajouter, à côté de la convention précitée, une deuxième source de normes juridiques supranationales. On peut craindre, dès lors, les effets des différences de contenu, de champ d'application ou de bénéficiaires, voire des contradictions jurisprudentielles entre les deux juridictions chargées respectivement de les faire appliquer. Après avoir rappelé que la Cour de justice des communautés européennes avait unilatéralement affirmé la supériorité de sa jurisprudence sur les droits nationaux, elle a souligné que le projet consacrait cette tendance à vouloir imposer un ordre juridique supranational, alors même que la France, forte de sa Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de la jurisprudence abondante de son Conseil constitutionnel, n'en avait pas besoin. Ce projet lui paraît enfin contestable en ce qu'il tend à répondre à la demande, exprimée par certains, d'une constitution européenne, qu'elle récuse pour sa part totalement.

M. Gérard Fuchs a exprimé, au contraire, son adhésion de principe à l'élaboration d'une charte des droits fondamentaux, car l'Union européenne n'est pas seulement un grand marché, mais aussi une entité politique : il est donc logique qu'un texte rappelle les principes sur lesquels doivent être fondées ses actions intérieures et ses interventions extérieures. Dans cette perspective, l'élaboration d'un corpus de droits fondamentaux est préférable à un renvoi à la convention européenne des droits de l'homme et aux chartes des droits sociaux, afin de moderniser les droits existants et de les compléter par des droits nouveaux, notamment ceux des femmes, ceux relatifs à l'environnement et aux nouvelles techniques d'information et de communication. Il a exprimé le souhait de voir cette charte former un préambule aux traités communautaires, comparable au préambule de la Constitution de 1946.

M. Pierre Brana, évoquant le processus d'élaboration de la charte, a demandé pourquoi la protection de l'environnement, érigée en droit fondamental, était pour l'instant réservée, alors que cette question revêt une grande acuité, comme le montrent, par exemple, la pollution au cyanure du Danube ou les risques liés à plusieurs centrales nucléaires. Il s'est inquiété du risque de déséquilibre entre la Cour de justice des Communautés européennes et la Cour européenne des droits de l'homme, car, si une question préjudicielle peut être posée devant la CJCE par le premier juge national saisi, la CEDH ne peut en revanche être saisie qu'après épuisement des voies de recours internes.

M. Maurice Ligot s'est demandé si l'on parviendrait à établir un système unique de droits pour l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne et pour ceux qui en seront membres prochainement. Il risque d'y avoir des débats de nature quasi théologique sur des mots porteurs de valeurs dans un Etat mais pas dans les autres ou revêtant une signification différente. Il en est ainsi pour la notion de laïcité, importante pour les Français, ou pour les termes de peuple et de population dont la différence de signification est lourde de sens pour certains Etats. En matière de droits fondamentaux, des compétences européennes coexistent avec des compétences nationales : la charte débordera-t-elle sur les compétences nationales ? Seules des dispositions de nature constitutionnelle précisant les compétences respectives de l'Union européenne et des Etats membres permettraient de mettre fin à une situation floue, propice au phénomène de "grignotage". Une Constitution européenne pourrait être ainsi un rempart de souveraineté et un élément de clarté. Enfin, l'idée d'intégrer dans la charte, non seulement des droits mais aussi des devoirs, lui paraît justifiée, en particulier pour ce qui concerne l'environnement et la citoyenneté.

Dans ses réponses, le rapporteur s'est réjoui de constater, au-delà des divergences d'appréciations, l'intérêt commun pour la question des droits de l'homme, qui intéresse directement les citoyens, même si, en ce domaine, la progression s'avère difficile. Il a ensuite apporté les précisions suivantes :

- les Gouvernements ont demandé à la Convention de proposer un document de travail pour le Conseil européen de Biarritz, à la mi-octobre, en vue d'une décision lors du Conseil européen de Nice en décembre 2000 ; il n'existe pas encore de texte, même provisoire, de la charte, la Convention procédant à un examen article par article ; à ce jour, le dispositif de la deuxième et de la troisième corbeille n'a pas encore été abordé ;

- l'émergence de nouveaux droits se conjugue avec l'évolution générale de la société, pour faire ressortir la nécessité d'un nouvel énoncé des valeurs communes de l'Union européenne ; comme les perspectives de l'élargissement, la situation politique de l'Autriche constitue une incitation en ce sens ;

- le Conseil de l'Europe a admis des Etats dont l'attachement aux droits de l'homme n'était pas totalement assuré, mais dont il convenait de favoriser l'évolution démocratique. L'élaboration de la charte se situe dans une perspective différente : il s'agit d'actualiser les valeurs qui fondent la construction européenne ;

- si l'hostilité à la charte est une position politique parfaitement respectable, il faut se rappeler que la décision d'élaborer ce texte a été prise par l'ensemble des Etats membres lors du Conseil européen de Cologne, puis confirmée par celui de Tampere.

- l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme n'a pas été retenue ; les autorités françaises n'y sont d'ailleurs pas favorables : elle conduirait à confier le contrôle de la charte à la Cour européenne des droits de l'homme à des juges relevant, le cas échéant, d'Etats tiers ; elle conduirait en outre à apprécier l'ordre juridique communautaire sous le seul angle de la convention européenne des droits de l'homme ; enfin, le mandat défini au Conseil européen de Cologne oblige à tenir compte également des traditions constitutionnelles communes des Etats membres ;

- si la décision de principe sur la valeur juridique de la charte n'a pas encore été prise, on peut considérer qu'une majorité envisage de l'intégrer dans les traités et donc de lui donner une valeur juridique contraignante. Pour autant, il semble prématuré, et sans doute contraire au succès de la démarche, d'y voir l'ébauche d'une constitution européenne ;

- s'agissant des dispositions relatives à l'environnement, il est légitime de considérer que le droit à la nature, ceux relatifs à l'air ou à l'eau, impliquent nécessairement des obligations, pour les collectivités comme pour les personnes ;

- les différences de significations, d'une langue à l'autre, sont inévitables ; si le terme de « laïcité » est conforme à la tradition française, celui de « neutralité » pourrait constituer une sorte de dénominateur commun. Mme Nicole Catala, appuyée par M. Maurice Ligot, a fait observer que les termes de neutralité et de laïcité n'étaient pas équivalents. Elle a plaidé pour la laïcité, qui exclut l'interférence de toute religion dans la vie publique, singulièrement dans les établissements d'enseignement.

Le rapporteur a précisé que, dans sa version actuelle, le projet d'article relatif au droit à l'éducation prévoit, dans son premier alinéa, que « nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction, qui comporte notamment la faculté de suivre gratuitement l'enseignement obligatoire » et que « le droit des parents d'assurer l'éducation et l'enseignement de leurs enfants, conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques, est respecté ».

II. Rapport d'information de M. Alain Barrau sur les relations entre l'Union européenne et le Mercosur

M. Alain Barrau, rapporteur, a exposé que les négociations relatives aux accords d'association entre l'Union européenne et le Mercosur étaient à la veille d'une étape importante. Les premières réunions des comités de négociation se tiendront en avril 2000, mais il existe encore des divergences sur l'ordre du jour. Après avoir évoqué la situation économique des pays concernés, le rapporteur a axé son propos sur quatre points : la faible cohésion du Mercosur, les relations économiques entre le Mercosur et l'Union européenne, le mandat de négociation de la Commission et la nécessité d'intensifier le dialogue.

Le Mercosur est essentiellement un marché commun, mais pas encore un marché unique, ni surtout une véritable union économique. Les différends entre l'Argentine et le Brésil ont retardé les travaux d'harmonisation interne et les politiques économiques demeurent divergentes. Surtout, les Etats ont des ambitions encore opposées : le Brésil entend faire du Mercosur l'un des éléments d'un monde multipolaire, alors que l'Argentine entretient des liens privilégiés avec les Etats-Unis, notamment la parité fixe entre le peso et le dollar.

L'Union européenne est devenue le premier partenaire commercial du Mercosur et le premier investisseur étranger devant les Etats-Unis, ce qui est une exception en Amérique latine. Les flux d'échanges ont connu une inflexion en 1999, mais ils se traduisent toujours par un solde positif au profit de l'Union. Celle-ci est plus ouverte que le Mercosur, qu'il s'agisse du niveau moyen des droits de douane, des pics tarifaires ou des mesures non tarifaires. Toutefois, le Mercosur souhaite obtenir une plus grande ouverture du marché communautaire, spécialement dans le domaine agricole, à des produits particulièrement sensibles.

Le mandat de négociation de la Commission prévoit la conclusion d'un « partenariat » stratégique entre l'Union et le Mercosur. Deux aspects de ce mandat sont au c_ur des discussions :

- les négociations non tarifaires commenceront sans délai, mais les questions tarifaires ne seront abordées qu'à partir du 1er juillet 2001. Cette orientation tranche avec la célérité des négociations entre l'Union européenne et le Mexique, qui a permis d'aboutir en un an à un accord de libre-échange. Cependant, l'importance des secteurs sensibles dans les échanges entre l'Union et le Mercosur interdit d'envisager le même scénario ;

- les négociations tiendront compte du calendrier prévu pour la zone de libre-échange des Amériques (ALCA) et elles se concluront après la fin du cycle de l'OMC. L'ALCA doit théoriquement être mise en place en 2005. Le processus de négociation est déjà bien engagé, mais il n'est pas encore certain qu'il arrive à son terme dans les délais prévus. L'Union européenne doit veiller à ce que ses propres négociations avec le Mercosur ne prennent pas un trop grand retard, la mise en _uvre de l'ALCA pouvant se traduire par des pertes de marché importantes pour les Européens. Conclure les négociations avec le Mercosur après la fin du cycle de l'OMC pourrait s'avérer préjudiciable si le lancement de ce nouveau cycle tardait.

Il est donc impératif que l'Union européenne développe avec le Mercosur un dialogue dense, constructif et franc sur tous les sujets, y compris politiques, monétaires et tarifaires afin d'élargir le cercle de ses alliés. L'Union doit faire valoir que la PAC est en cours de réforme, ce qui satisfait en partie la demande des pays du Mercosur portant sur les subventions aux exportations agricoles, et facilite l'accès au marché communautaire. Les Européens devraient mettre en place des structures de négociation comparables à celles mises en place pour l'ALCA, associant davantage les experts indépendants et les milieux économiques.

M. Pierre Brana s'est demandé si l'affaire Pinochet ne risquait pas de rendre plus difficiles les relations entre le Chili et le Mercosur. Si les Etats-Unis ont apporté leur soutien à la position du Chili dans cette affaire, l'attitude des autres pays du Mercosur est plus réservée. Il est d'ailleurs symptomatique que le Chili reste membre associé au Mercosur, alors qu'il était question en 1999 qu'il en devienne membre à part entière. Cette affaire risque également de conduire les investisseurs étrangers à faire preuve d'une certaine prudence. Le Mercosur est loin d'avoir atteint le même degré de cohésion que l'Union européenne ; le tarif douanier du Chili est inférieur au tarif extérieur commun du Mercosur ; les autorités argentines ont pris des mesures de protection douanière au moment du flottement de la monnaie brésilienne et les ont maintenues alors même que celle-ci s'était stabilisée.

Après avoir noté que le vin chilien avait atteint un niveau de qualité tel qu'il concurrence les productions européennes, M. Pierre Brana a déclaré souscrire aux conclusions proposées par le rapporteur et au souhait exprimé d'une ouverture rapide des négociations entre l'Union européenne et le Mercosur. La position de négociation de ces pays n'en est pas moins logique : ils cherchent à faire monter les enchères en maintenant ouverte l'option d'une participation au projet américain d'une zone de libre échange sur le continent américain.

Le Président Alain Barrau, partageant les analyses de M. Pierre Brana sur l'importance du Chili dans la relation Union européenne-Mercosur, a observé que la nouvelle équipe au pouvoir voudra sans doute conforter l'autonomie économique du pays par rapport aux Etats-Unis. L'Union européenne a tout intérêt à ce que le Chili intègre rapidement le Mercosur, car la rivalité entre l'Argentine et le Brésil handicape parfois cet ensemble régional dans sa volonté d'être un acteur cohérent face aux Etats-Unis.

L'Argentine et le Brésil ont d'ailleurs des attitudes très différentes à l'égard de ceux-ci : l'Argentine a opté pour la parité fixe avec le dollar, qui impose de lourdes contraintes monétaires à son économie, tandis que le Brésil se veut le porte-parole des pays émergents ; la déclaration du ministre brésilien du commerce extérieur à l'ouverture de la conférence de Seattle a été l'une des plus applaudies. Il est significatif, dans le même ordre d'idées, que ce pays veuille obtenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.

Dans la négociation entre l'Union européenne et le Mercosur, même si des produits agricoles représentant 10 à 12 % des importations communautaires en provenance du Mercosur, peuvent être considérés comme des produits sensibles, cette difficulté ne doit pas conduire l'Union européenne à l'attentisme. S'agissant du vin, l'Europe est déjà raisonnablement ouverte ; en revanche, elle a de fortes revendications à l'encontre du Mercosur, notamment en matière tarifaire et des réserves à l'égard de produits tels que le « cognac » brésilien.

Il est évident que les pays du Mercosur utiliseront les négociations parallèles de l'accord d'association avec l'Union européenne, d'une part, et avec l'ALCA, d'autre part, pour exercer une pression en faveur de concessions commerciales. Malgré tout, l'Union européenne doit s'engager dans la négociation. La présence d'hommes d'affaires et de diplomates américains dans les groupes de négociation qui ont été mis en place pour discuter des différents volets de l'accord ALCA est très forte. De plus, l'existence de l'ALENA (Etats-Unis - Mexique - Canada) a conduit à une augmentation massive des flux de capitaux américains à destination du Mexique, ce qui a contribué à éroder la part de la Communauté européenne dans le marché mexicain. Cette évolution dommageable pour nos intérêts pourrait s'aggraver si la Communauté ne concluait pas ses négociations avec le Mercosur avant la mise en place de l'ALCA (susceptible de réunir les trente quatre pays d'Amérique). M. Pierre Brana a toutefois estimé que la situation du Mexique était différente, comme l'exprime le fameux adage : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des Etats-Unis ».

Le Président Alain Barrau s'est félicité que le commissaire Pascal Lamy ait pu conclure rapidement la négociation d'un accord de libre échange avec le Mexique, observant que ce succès envoyait un signal positif à nos partenaires du Mercosur. Il a estimé que les négociations sur le volet non-tarifaire devaient s'ouvrir le plus rapidement possible. L'Union européenne, organisation régionale intégrée, constitue une sorte de modèle pour les pays du Mercosur et doit donc utiliser ce capital de sympathie ; la mise en place de l'euro a suscité chez eux un vif intérêt, la constitution d'une monnaie commune dans le cône sud de l'Amérique latine étant envisagée. Le Président a conclu en soulignant que l'enjeu de cette négociation était la capacité de l'Union européenne à offrir un modèle de développement différent de celui proposé par les Etats-Unis, l'expérience et le caractère exemplaire du partenariat Union européenne-Etats ACP pouvant constituer, dans cette perspective, un atout supplémentaire.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté les conclusions présentées par le rapporteur dans la version suivante :

    La Délégation,

    Vu les directives de négociation des futurs accords d'association avec le Mercosur et le Chili adoptées par le Conseil « Affaires générales » du 21 juin 1999 ;

    Considérant la volonté des pays du Mercosur de participer à l'émergence d'un monde multipolaire et de nouer avec l'Union européenne un partenariat stratégique ;

    Considérant que l'Union européenne et le Mercosur peuvent devenir des alliés dans les prochaines négociations commerciales multilatérales ;

    Considérant l'échec de la conférence de Seattle qui devait ouvrir un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales ;

    Considérant que les conclusions du Conseil européen de Berlin relatives à l'Agenda 2000 constituent la base intangible des négociations avec le Mercosur et démontrent la volonté de réforme progressive de l'Union européenne ;

    Considérant par ailleurs que les deux ensembles ont des approches et des intérêts mutuels largement convergents, qu'il s'agisse :

    - de leur culture commune et de leur attachement à la démocratie,

    - de leur vision des équilibres régionaux,

    - de l'ouverture réciproque des marchés industriels et de services,

    - de l'intérêt d'ouvrir un nouveau cycle de négociation couvrant les « nouveaux sujets » ;

Considérant qu'une course de vitesse est engagée entre les négociations relatives à la zone de libre échange des Amériques (ALCA) et celles relatives aux accords d'association,

1. demande que les négociations non tarifaires entre l'Union européenne et le Mercosur commencent immédiatement ;

2. demande que les comités de négociation qui se tiendront les 6 et 7 avril 2000 à Buenos Aires et les 10 et 11 avril 2000 à Santiago mettent en place une structure de négociation étoffée et un programme de travail dense qui permettent le développement d'un dialogue ouvert et fructueux sur tous les sujets, y compris politiques, culturels et tarifaires, afin de parvenir à un accord avant la mise en place de l'ALCA.

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