DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 115

Réunion du jeudi 22 juin 2000 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

Rapport d'information de M. Pierre Brana sur la lutte contre la fraude dans l'Union européenne (réunion tenue en présence d'une délégation de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen conduite par sa présidente, Mme Diemut Theato)

Le Président Alain Barrau a souhaité la bienvenue à une délégation de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen conduite par Mme Diemut Theato (PPE, Allemagne)(1), Présidente de cette commission, et composée de M. Freddy Blak (PSE, Danemark), Vice-président, Mmes Gabriele Stauner (PPE, Allemagne) et Eluned Morgan (PSE, Royaume-Uni), MM. Jan Mulder (ELDR, Pays-Bas) et Gianfranco Dell'Alba (TDI, Italie). La délégation était accompagnée par Mme Anne Ferreira (PSE), membre français du Parlement européen. Il s'est réjoui de cette association de parlementaires nationaux et européens à des travaux d'intérêt commun effectués tantôt par les commissions du Parlement européen, tantôt par les organes compétents de l'Assemblée nationale. Il a exprimé le souhait que ce genre de réunions soit appelé à un grand succès.

M. Pierre Brana, rapporteur, s'est félicité de la présence de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen à l'occasion de l'examen du rapport qu'il a élaboré avec le souci d'informer les parlementaires sur l'état d'une question délicate et très débattue.

Avec le développement de la construction européenne et la libéralisation des échanges, les pratiques de fraude préjudiciables aux intérêts financiers des communautés européennes se sont développées et affinées. Les moyens de lutte existants ne sont pas à la hauteur des risques que fait peser sur l'Union l'expansion des pratiques frauduleuses liées, en particulier, à la criminalité organisée. La crise qui a conduit à la démission de la Commission Santer en mars 1999 a eu la vertu d'accélérer la prise de conscience de ce décalage. A la veille de la présidence française, il est particulièrement utile de faire le point sur le développement des instruments juridiques disponibles et sur les voies d'une évolution possible.

Abordant la description des comportements de fraude tels qu'ils résultent des rapports annuels publiés par la Commission, le rapporteur a rappelé que l'ensemble des cas de fraude communiqués par les Etats membres à la Commission et des cas apparus dans les nouvelles enquêtes ouvertes par l'Unité de coordination de la lutte antifraude (UCLAF) en 1998 se montait au total à plus d'un milliard d'écus. Les enquêtes de cette Unité portent en général sur des fraudes d'un montant plusieurs fois supérieur aux sommes en jeu dans les cas nationaux. Ce constat est un indice sérieux de l'utilité de la fonction d'animation et de coordination désormais confiée à l'Office européen de lutte antifraude (OLAF). Cependant, sa force probante est amoindrie par les lacunes ayant affecté la collecte et le traitement des données relatives à la lutte contre la fraude collectées par l'UCLAF. La frontière entre les notions voisines, mais distinctes, de fraude et d'irrégularité retenues par le droit communautaire n'est, de surcroît, pas aisément transposable en termes statistiques. Les cas de fraude à la TVA ne sont pas exhaustivement rapportés et les situations de fraude interne n'ont pas été réellement évoquées dans les rapports les plus récents de la Commission.

Le rapporteur a ensuite évoqué les grandes catégories de fraudes : il ne s'agit pas d'en entreprendre une analyse exhaustive, mais de retenir des situations qui paraissent spécialement instructives pour la détermination des améliorations devant être apportées aux instruments juridiques de prévention et de répression.

La fraude aux ressources propres traditionnelles constituées par les droits de douane, qu'elle porte sur les préférences douanières ou sur les régimes de transit de marchandises, montre l'habileté des délinquants à tirer parti de la complexité de ces régimes et de la difficulté pratique d'en contrôler la bonne application. Il faut donc se féliciter de la prochaine ratification par la France de la convention qui a mis en place une coopération douanière permettant le recours à un outil informatique beaucoup plus performant.

Dans la fraude aux fonds structurels, coexistent les irrégularités liées à la recherche d'effets d'aubaine et les fraudes liées à la criminalité organisée.

La récente affaire du détournement des aides européennes au développement de la Côte d'Ivoire a conduit à s'interroger sur les capacités de la Commission et de ses services à contrôler effectivement le bon emploi des fonds versés au titre des actions extérieures.

Pour lutter contre la fraude à l'euro, les autorités compétentes ont eu le souci de prendre des mesures techniques préventives (normalisation européenne des conditions de fabrication du papier et d'impression des billets, procédure de contrôle, mise au point d'un système d'alerte). Mais la répression pénale de cette fraude illustre bien les difficultés liées aux perceptions nationales différentes.

De l'ensemble de ces exemples, se dégage la conclusion que la fraude aux intérêts financiers et à la criminalité organisée sont deux réalités en interaction, auxquelles il ne peut donc être apporté qu'une réponse coordonnée. C'est pourquoi la lenteur de la mise en _uvre de dispositions conventionnelles est particulièrement regrettable : la convention de 1995 sur la protection des intérêts financiers des Communautés européennes n'est toujours pas en vigueur faute d'avoir été ratifiée par tous les Etats membres.

Le rapporteur a ensuite décrit le partage, inauguré par le traité de Maastricht et précisé par le traité d'Amsterdam, qui attribue au « premier pilier », régi par la procédure communautaire, la lutte contre la fraude aux intérêts financiers des Communautés et au « troisième pilier », régi pour l'essentiel par la procédure intergouvernementale, la coopération policière et judiciaire entre les Etats membres pour la répression de la criminalité organisée. Les controverses entre gouvernements et institutions communautaires sur la délimitation des domaines relevant de chaque pilier risqueraient de bloquer pour des raisons de principe la solution de problèmes pratiques urgents. Pour sortir de cette situation, il conviendrait d'examiner la pratique des instances communautaires qui étaient chargées de la lutte contre la fraude, lors de la constatation et de la poursuite des infractions, et de vérifier que l'état de l'action répressive relevant des autorités judiciaires nationales correspond au degré d'avancement de cette pratique.

Depuis la décision de la Commission du 28 avril 1999, c'est l'OLAF qui centralise les actions de protection des intérêts financiers des Communautés. Ses compétences en matière de contrôle externe se conjuguent avec des tâches de contrôle interne, de préparation des décisions communautaires en matière de lutte contre la fraude et de coopération avec les pays tiers, dont l'accord avec la Pologne pour la création d'un « OLAF polonais » est un exemple.

Dans l'exercice de ses activités de contrôle externe, l'OLAF a développé, en particulier avec les services douaniers des Etats membres, une activité de coopération qui est jugée satisfaisante tant par les services de la douane française que par les responsables de l'Office. Des divergences relatives aux procédures ou aux compétences respectives de l'OLAF et des services nationaux pèsent encore sur l'efficacité de cette coopération. Mais la pratique des actions conjointes ou coordonnées de lutte contre la fraude, qui s'est consolidée au fil des ans, a créé une certaine unification de l'action des services nationaux et de l'UCLAF, dont l'OLAF, d'après son premier rapport d'activités, paraît bénéficier. Cette évolution est d'autant plus remarquable que la réglementation communautaire donne aux procès-verbaux de l'OLAF, dans les procédures administratives comme dans les procédures pénales, la même force probante que les documents nationaux ayant le même objet.

Mais, dès que l'on passe de la phase de constatation - qui peut conduire jusqu'à des actes préliminaires de procédure pénale - au traitement judiciaire des infractions les plus graves, c'est une impression de dispersion qui domine. La Cour des comptes européenne s'est indignée de ce que l'Union européenne ouvre ses portes aux trafiquants, alors que les Etats ferment les leurs à la répression. De surcroît, les inégalités de la répression pénale entre les Etats membres sont un élément déterminant du choix par les criminels internationaux de la localisation de leurs activités. La discordance persistante des régimes de preuve en matière pénale limite l'action répressive ; elle produit ses effets aussi bien dans l'appréciation de la force probante des documents internes que dans les conditions d'admission d'éléments de preuve réunis à l'étranger.

Cette situation ne laisse pas d'inquiéter dans la perspective de l'élargissement : les pays candidats expriment souvent l'espoir de bénéficier, grâce à l'adhésion, d'un espace de stabilité et de sécurité juridiques qui les aiderait à conforter leurs propres réformes. La récente visite, le 4 mai dernier, de la commission pour l'intégration européenne du parlement hongrois a été l'occasion de le vérifier.

Les travaux actuellement poursuivis dans les institutions communautaires tracent plusieurs voies pour le développement de la politique commune de lutte contre la fraude.

La première, la plus classique, est celle de la coopération entre les Etats membres, leurs services de police et leurs autorités judiciaires. Elle se met en place progressivement : Europol, dont l'idée remonte à une proposition allemande de 1991, est un instrument de coopération policière qui fonctionne depuis peu ; Eurojust, dont le conseil européen de Tampere a arrêté le principe en octobre 1999, est un organe de coopération judiciaire en matière pénale, mais le degré de coopération que son fonctionnement comportera n'est pas encore défini.

Avec les encouragements de la Commission et du Parlement européen, une équipe de juristes a proposé une solution consistant à créer, sous le nom de Corpus Juris, un ensemble de règles pénales communes de fond (principes généraux de législation et éléments constitutifs d'infractions impliquées dans la fraude communautaire) et à unifier, sous la responsabilité d'un procureur européen, les actes de poursuite, sur le territoire de l'Union, des infractions entrant dans la base commune ainsi définie. Le parallèle peut ici être fait avec la volonté de mettre en place une Cour pénale internationale, qui est un autre exemple de la tendance actuelle du droit international à l'homogénéisation des législations.

Force est de reconnaître que cette proposition ne pourra progresser que si deux conditions sont réunies. L'OLAF devant jouer dans ce système un rôle essentiel, il convient de préciser la procédure des recours contre ses décisions. La seconde condition, plus politique, est la levée de l'hypothèque britannique, le Gouvernement du Royaume-Uni ayant manifesté, au nom de ses traditions propres, une opposition résolue. Mais, comme l'a dit Lord Hope, président de la commission qui, à la Chambre des Lords, a consacré en 1999 un travail d'enquête approfondi au Corpus Juris, quels que soient les débats de principe, le problème de la criminalité et de la fraude demeure, et si la coopération entre Etats ne fonctionne décidément pas, la solution intégrée proposée par le Corpus Juris s'imposera compte tenu de la nécessité de réagir face au développement de la criminalité organisée. Même si l'on développe, à juste titre, la coopération à travers Eurojust et Europol, les obstacles à la mise en place du parquet européen et du Corpus Juris devront être levés. Ce thème prendra de l'ampleur dans les années à venir, à mesure que l'Europe continuera de se fortifier et de s'élargir.

Mme Diemut Theato, présidente de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, ayant salué la qualité du travail du rapporteur, a rappelé qu'en 1976 une proposition du Parlement européen en faveur d'un texte sur la protection des finances communautaires n'avait pu aboutir en raison de l'opposition du Conseil et que cette proposition avait été reprise en 1989 à l'initiative de la commission qu'elle préside. La lutte contre la fraude est un devoir à l'égard des citoyens. Favorable à la coopération entre Etats membres, Mme Diemut Theato a déploré que la convention de 1995 sur la protection des intérêts financiers des Communautés ne soit toujours pas entrée en vigueur, cinq Etats membres seulement l'ayant ratifiée. Mais il convient aussi de dépasser le stade de la coopération et d'instituer un Corpus juris et un ministère public européen doté d'une fonction coordinatrice, les mesures d'exécution continuant à relever des Etats membres. Cette question engage la crédibilité des institutions communautaires.

Dans la perspective de l'élargissement, il est donc nécessaire de renforcer à la fois la législation communautaire et la coopération entre les Etats membres pour assurer la protection des intérêts financiers de l'Union et lutter contre les crimes transfrontaliers. Le Parlement européen s'est limité pour le moment au premier objectif. Dans son avis sur la Conférence intergouvernementale, il a proposé la création d'un procureur européen responsable des poursuites des délits commis contre la Communauté sur son territoire. Ce système permettrait de compléter l'action de l'OLAF et de procéder à des enquêtes touchant au fonctionnement interne de la Commission.

En conclusion, Mme Diemut Theato a insisté sur l'élaboration du Corpus juris, qui donnera une définition précise des infractions portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, ainsi que sur la nécessité d'harmoniser les incriminations pénales dans les Etats membres afin d'en favoriser la poursuite et la répression.

M. Gérard Fuchs, tout en appréciant le travail réalisé sur un sujet aussi sensible, a tenu à relativiser la portée financière de la fraude aux financements communautaires, de telle sorte que la critique - justifiée - de cette fraude ne débouche pas sur une remise en cause - dans un esprit démagogique - de la construction européenne elle-même : le chiffre d'un milliard d'euros, évoqué par le rapporteur, représente environ 1,2 % du budget communautaire, proportion à rapprocher de la fraude fiscale française, dont le montant, estimé de 30 à 50 milliards de francs, représente 2 à 3 % du budget national.

Rappelant les effets pervers, favorables à la fraude, du système intérimaire de TVA instauré pour des raisons pragmatiques, il a montré que le système définitif de TVA serait de nature à empêcher la fraude, le prélèvement étant effectué dans l'Etat d'origine. Il a jugé nécessaire, d'une manière plus générale, que la Commission européenne intègre dans ses propositions une réflexion sur l'incidence antifraude des mesures qu'elle envisage. L'adoption du Corpus Juris est un objectif très ambitieux ; il devrait être en revanche plus aisé d'élaborer, pour les infractions nouvelles - comme l'incrimination de la contrefaçon de l'euro - une législation pénale harmonisée.

Après avoir relevé la fragilité juridique de l'organisation de l'Unité de coordination de la lutte antifraude (UCLAF) et rejoint le rapporteur pour considérer que l'action de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) conduisait ce dernier à accomplir des tâches le menant aux frontières de l'action pénale, Mme Nicole Feidt a demandé à Mme Theato les enseignements qu'elle tirait du rapport des experts sur la gestion de la Commission Santer. Elle lui a demandé des précisions sur les contrôles effectués par la commission qu'elle préside sur le budget de la politique étrangère et de sécurité commune et sur les crédits destinés aux pays d'Europe centrale et orientale. Elle l'a enfin interrogée sur les liaisons à établir entre les contrôles nationaux et les contrôles communautaires de l'utilisation des crédits européens.

En réponse à ces questions, Mme Diemut Theato a apporté les précisions suivantes :

- la commission du contrôle budgétaire effectue des missions de contrôle sur place, par exemple au Kosovo, pour s'assurer de l'emploi des fonds européens ; dans le cadre d'une commission d'enquête du Parlement européen sur le transit, une mission de contrôle aux frontières de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Suisse est par ailleurs envisagée ;

- la commission du contrôle budgétaire peut être amenée à émettre dans ses rapports des réserves sur les conditions d'utilisation des crédits de l'Union européenne par des organes de l'Union ou par des Etats membres. Si la Commission européenne a le monopole de l'initiative des textes, la commission du contrôle budgétaire peut lui suggérer d'élaborer des propositions de textes pour améliorer le droit en vigueur. Mais il faut compter avec les aléas de la discussion des rapports en séance plénière, résultant des différences d'approches à la fois nationales et politiques ;

- la question la plus difficile est celle de la coopération avec les Etats membres et leurs autorités de contrôle, 85 % des crédits du budget communautaire étant dépensés dans les Etats membres, même si l'exécution de ce budget relève de la responsabilité de la Commission européenne. La décision de décharge de la Commission au titre du budget de 1998 a été reportée à la demande de la commission du contrôle budgétaire aux fins d'obtention d'informations supplémentaires. C'est dans le même but que la commission du contrôle budgétaire a différé pour la première fois le vote de la décharge au titre de l'exécution du budget du Parlement européen. Ce n'est que dans les cas extrêmes que sont décidés le refus de la décharge et le dépôt d'une motion de censure contre la Commission. C'est d'ailleurs à la suite du refus par le Parlement européen de voter la décharge au titre de l'exécution du budget de l'exercice 1996 que la Commission Santer a démissionné.

Après avoir félicité M. Pierre Brana pour la qualité de son rapport, Mme Eluned Morgan lui a demandé s'il était favorable à l'institution d'un ministère public européen. Personnellement favorable à cette idée, elle a toutefois souligné les difficultés qu'elle pourrait susciter pour des pays comme le Royaume-Uni ou le Danemark. Ces deux Etats ont néanmoins ratifié la convention de 1995 relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes et ses protocoles annexes, ce que la France n'a pas encore fait. Evoquant les estimations de la fraude aux intérêts financiers des Communautés établies par la Cour des comptes, Mme Eluned Morgan s'est inquiétée des suites données par la France aux critiques de la Cour des comptes européennes à son endroit. Elle s'est enfin interrogée sur les moyens de rapprocher les méthodes respectives de la Cour des compte des Communautés européennes et des cours des comptes des Etats membres.

M. Jan Mulder a demandé à M. Pierre Brana, dont il a salué la qualité du rapport, pourquoi la question des fraudes dans le secteur agricole n'y était pas évoquée.

Mme Gabriele Stauner, qui aurait été heureuse de voir un tel rapport élaboré par son parlement national, a estimé que l'existence de fraudes au budget communautaire tenait également à la faiblesse des moyens dont disposent les institutions européennes par rapport à ceux des Etats membres. Cette question, très sensible dans les opinions publiques, devra être résolue, la perspective de l'élargissement constituant une incitation supplémentaire en ce sens. Tout en se déclarant favorable à la mise en place d'un ministère public européen, Mme Stauner a évoqué les difficultés auxquelles il pourrait se heurter aussi longtemps que les questions soulevées par les discussions sur le Corpus Juris et la coordination des polices nationales n'auront pas été résolues. Elle a enfin demandé à M. Pierre Brana où en était la coopération entre la Cour des comptes européenne et les juridictions financières des Etats membres.

M. Gianfranco Dell'Alba a estimé qu'un recours devant le Tribunal de Première instance ou la Cour de justice des Communautés européennes contre les décisions de l'OLAF devrait être institué. L'idée d'un ministère public européen suscite de sa part des réserves, dans la mesure où il devrait prendre place au sein d'un contexte juridique d'ensemble qui, à ce jour, n'existe pas. Le programme de la présidence française ne comprend d'ailleurs pas d'avancées dans cette direction. Si la France entend progresser dans cette voie, cela supposerait l'examen de nouvelles modifications des traités dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, qui a déjà fort à faire.

Le Président Alain Barrau a demandé à M. Pierre Brana de préciser son point de vue sur Europol, dont la mise en place a été lente, et sur Eurojust, ces deux dispositifs constituant une avancée importante dans la création d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Répondant à M. Dell'Alba, il a indiqué que l'objectif de la présidence française était de poursuivre l'effort entrepris sous présidence finlandaise pour renforcer le dispositif de lutte contre les fraudes transnationales. Rappelant l'intention manifestée par M. Pierre Joxe, Président de la Cour des comptes, de renforcer la coopération entre les juridictions homologues des Etats membres et la Cour des comptes des Communautés européennes, il a demandé à M. Pierre Brana où en était cette coopération.

M. Pierre Brana a apporté les éléments de réponse suivants :

- la fraude à la TVA n'entre pas directement dans le champ de son rapport d'information car cet impôt n'est pas affecté directement au budget communautaire ; c'est pourquoi il l'a abordée rapidement. Il convient de se référer, pour en savoir davantage, à l'excellent rapport que M. Brard a élaboré dans le cadre de la commission des finances ;

- légiférer de manière harmonisée pour réprimer la contrefaçon de l'euro est tout à fait souhaitable, mais cela n'interdit pas de réfléchir également à une harmonisation des législations pénales en vigueur, du moins des dispositions pénales nécessaires à la répression des infractions transfrontalières ;

-  personnellement favorable au principe de l'institution d'un ministère public européen, il pense toutefois qu'il faudra au préalable lever un certain nombre d'obstacles, comme il l'a expliqué dans le rapport ;

- il est regrettable que la France n'ait toujours pas notifié la ratification de la Convention de 1995 sur la protection des intérêts financiers des Communautés ; la lenteur de la procédure française de ratification des traités est malheureusement une constante ;

- le rapport évoque l'harmonisation des techniques de contrôle, mais la question de l'harmonisation des règles de la comptabilité publique reste posée ; la fraude au budget agricole ne fait pas l'objet de développements dans ce rapport, qui ne peut être exhaustif ;

- l'Union européenne ne prend pas assez en compte les critères juridiques dans son évaluation des pays candidats à l'adhésion, mais la coopération se développe en ce domaine ;

- les recours contre les décisions de l'OLAF devant les juridictions communautaires risquent de subir la lenteur et la lourdeur des procédures juridictionnelles ; il convient donc de réfléchir à des dispositifs permettant un traitement rapide des recours ;

- la création d'Eurojust est une avancée très positive, mais il faut souhaiter que sa mise en _uvre soit plus rapide que celle d'Europol ; l'institution d'un ministère public européen suppose tout un ensemble de mesures de caractère juridique et judiciaire au sein duquel il prendrait place ; la coopération dans le domaine de la police et de la justice n'est pas, dans ce domaine, une alternative à l'intégration : dans certains cas, en effet, la coopération débouchera sur des formes d'intégration communautaire.

La Délégation a ensuite examiné les propositions de conclusions présentées par le rapporteur. Elle a ajouté, sur proposition du Président Alain Barrau, un point demandant au Gouvernement de prendre des initiatives pour l'harmonisation communautaire des systèmes de comptabilité publique et des pratiques de contrôle entre la Cour des comptes européenne et les juridictions des comptes des Etats membres, ainsi qu'entre ces juridictions. Elle a adopté les conclusions ainsi modifiées, dont le texte figure ci-après.

« La Délégation,

Vu les conclusions du Conseil européen de Tampere, des 15 et 16 octobre 1999,

Considérant que le développement des entreprises de criminalité organisée sur le territoire de l'Union européenne a conduit le Conseil à définir un nouveau plan d'action contre cette forme de délinquance internationale et à envisager un renforcement de la coopération entre les Etats membres dans le cadre de l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice ;

Considérant que, parallèlement, des initiatives ont été prises, au cours des derniers mois, pour renforcer les moyens propres de la lutte contre la fraude externe et interne portant atteinte aux intérêts financiers des communautés européennes ;

Considérant que la coopération entre Etats membres souffre dans ce domaine de retards, dont les difficultés de mise en _uvre de la convention de 1995 sur la protection des intérêts financiers des communautés sont l'illustration ;

Considérant que les disparités de peines et de procédures entre les législations répressives des Etats membres, conjuguées avec les imperfections de la coopération entre Etats, offrent aux auteurs d'entreprises frauduleuses des possibilités de réduire de manière significative le risque juridique et économique lié à la poursuite et à la condamnation des infractions qu'ils commettent ;

1. Souhaite que le Gouvernement français prenne, au cours des mois à venir, toutes initiatives opportunes pour encourager et susciter une accélération des procédures de ratification de la convention de 1995 sur la protection des intérêts financiers des communautés ;

2. Demande que des initiatives soient prises pour développer l'harmonisation des systèmes européens de comptabilité publique et favoriser la coopération entre la Cour des comptes européenne et les juridictions des comptes des Etats membres ainsi qu'entre ces juridictions ;

3. Demande que la priorité soit donnée, dans les actions de coopération judiciaire et policière, à la mise en place rapide d'Europol et à l'établissement de l'instrument juridique servant de base à Eurojust ;

4. Souhaite que les formes actuelles de coopération judiciaire et policière, ainsi que leurs prolongements futurs à travers Eurojust et Europol, fassent l'objet d'une évaluation permanente, dont le critère serait l'adéquation de ce dispositif à la menace que représente pour l'Union européenne le développement de la fraude internationale. »

A l'issue de ce débat, le Président Alain Barrau a remercié l'ensemble des intervenants et a félicité les députés européens, qui se sont tous exprimés en français.

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1 () PPE : parti populaire européen et démocrates européens. PSE : parti des socialistes européens. ELDR : parti européen des libéraux démocrates et réformateurs. TDI : groupe technique des députés indépendants.