DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 117

Réunion du jeudi 29 juin 2000 à 8 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau

I. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Le Président Alain Barrau, rapporteur, a présenté quatre séries de propositions d'acte communautaire, sur lesquelles la Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire. Celles-ci portent respectivement sur des questions sociales, les relations extérieures et le commerce extérieur, l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

· S'agissant des questions sociales, les propositions de règlement, de directive et de décision réunies dans le document E 1167 tendent à adapter les textes relatifs à la libre circulation des travailleurs des Etats membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté pour tenir compte notamment de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de justice, de la nouvelle politique européenne de l'emploi, des risques de déséquilibres démographiques ou des mutations industrielles. Suscitant l'opposition de la plupart des Etats membres, ces textes risquent de n'être jamais examinés, ce qui a amené le rapporteur à regretter que l'Union européenne ait peine à avancer sur un sujet aussi important. La Délégation a approuvé le document E 1447, modifiant principalement le règlement 1408/71 du Conseil relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille se déplaçant dans la Communauté, qui contient des dispositions de mise à jour et de clarification. Elle a pris la même décision s'agissant du document E 1449, qui codifie à droit constant la réglementation communautaire relative au maintien des travailleurs en cas de transfert d'entreprises.

· Dans le domaine des relations extérieures et du commerce extérieur de la Communauté, la Délégation a statué sur les documents E 1461 (communication de la Commission sur la politique de développement de la Communauté européenne), E 1468 (proposition de décision du Conseil relative à la contribution communautaire au Fonds international pour le déblaiement du chenal du Danube), E 1469 (proposition de décision du Conseil concernant la signature de l'accord de partenariat entre les Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'une part, et la Communauté et ses Etats membres, d'autre part), E 1470 (proposition de décision du Conseil relative à la signature et à la conclusion d'un accord international entre la Communauté et la République de Corée sur le marché mondial de la construction navale) et E 1471 (mise en _uvre de dispositions tarifaires dans le cadre de l'accord intérimaire sur le commerce et les mesures d'accompagnement conclu entre la Communauté européenne et le Mexique). S'agissant de la proposition de règlement du Conseil portant création du dispositif de réaction rapide (E 1465), la Délégation a décidé d'attirer l'attention des commissions des affaires étrangères et de la défense sur l'intérêt et les difficultés présentés par cette proposition (caractère prématuré du texte avant la mise en place d'une nouvelle architecture et les structures de décision définies par le Conseil européen d'Helsinki, manque de cohérence entre les actions des institutions concernées, impuissance de la Commission à réformer les instruments d'assistance aux pays tiers) et de demander au Gouvernement de la tenir informée des nouveaux développements de ce dossier. A l'issue de l'examen du document E 1467 (accord entre la Communauté et le Vietnam relatif au commerce de produits textiles et d'habillement), la Délégation a exprimé le souhait de disposer d'une étude globale permettant d'apprécier l'impact sur les entreprises européennes et françaises des accords conclus par l'Union européenne dans le secteur du textile et de l'habillement.

· Pour les textes se rattachant à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, la Délégation a estimé que les documents E 1453 (proposition de décision du Conseil portant création d'un secrétariat pour les autorités de contrôle communes chargées de la protection des données), E 1458 (projet d'initiative de la France en vue de l'adoption d'un règlement du Conseil relatif à la libre circulation avec un visa de long séjour) et E 1441 (projet de décision-cadre relative à la poursuite pénale des pratiques déloyales dans la passation des marchés publics) n'appelaient pas d'objection de sa part. Elle a exprimé la même position sur le document E 1460 (projet de décision-cadre relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales).

· Au titre des questions diverses, la Délégation a approuvé les documents E 1462 (conditions d'application du protocole sur la pêche entre la Communauté et l'Ile Maurice) et E 1472 (modalités d'adoption de l'euro par la Grèce). Elle s'est déclarée favorable aux deux propositions de dérogation fiscale (E 1474 et E 1477) concernant respectivement la France (exonération de droits d'accises sur les gaz utilisés comme carburants dans les véhicules de collecte des immondices) et l'Italie (réduction des droits d'accises sur le gazole utilisé comme carburant pour les véhicules utilitaires). Elle a cependant regretté que ces propositions, qui ont vocation à s'appliquer dès le 1er janvier 2000, n'aient pas été présentées avant cette date. La Délégation a enfin approuvé le document E 1439 (rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques) et le document E 1454 (communication et programme pluriannuel pour les entreprises et l'esprit d'entreprise).

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II. Audition commune avec la commission des Affaires étrangères de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen de Feira

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, a souligné le relief tout particulier que présente cette audition, qui se situe à deux jours du début de la présidence française de l'Union européenne. Sans revenir sur les priorités de cette présidence - qui ont été présentées le 9 mai dernier par le Premier ministre au cours d'un débat en séance publique à l'Assemblée nationale - il a fait part de trois observations liminaires. La première est pour souligner l'entière mobilisation du Gouvernement pour faire face aux nombreuses responsabilités qui l'attendent. En second lieu, le Conseil européen de Feira a tracé, comme la France le souhaitait, une « feuille de route » de la présidence française. Il résulte de ce programme que le contenu et les enjeux politiques de notre présidence seront très lourds : l'impression prévaut que l'Union européenne est à la croisée des chemins et que le semestre qui s'annonce sera, à mains égards, décisif. Enfin, à titre personnel, le ministre délégué a estimé que le rythme semestriel de la présidence européenne paraissait aujourd'hui de plus en plus obsolète. Face à une Commission et un Parlement européen qui ont pour eux la durée, de nouvelles modalités d'exercice de la présidence du Conseil devront être envisagées, tant il est évident que l'action politique n'est efficace que si elle s'inscrit dans la durée. Une durée de trois ans serait à ce titre adaptée à l'exercice d'une présidence du Conseil.

Le ministre délégué a ensuite présenté les principales questions qui devront être traitées sous présidence française, compte tenu des résultats obtenus lors du Conseil européen de Feira.

· En ce qui concerne la réforme des institutions, les chefs d'Etat et de gouvernement ont pris note du rapport présenté par la présidence portugaise. Le terme « pris note » est le terme le plus exact, car ce rapport comportait certains partis pris reflétant les positions spécifiques du Portugal.

Quelle est la situation ? Lors du Conseil européen d'Helsinki, les Quinze avaient décidé de laisser ouverte la question du périmètre de la réforme institutionnelle. La France avait pour souci d'éviter une inflation de sujets à traiter, qui aurait entraîné une dispersion des efforts. La priorité devrait être, comme l'indique l'article 2 de la loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam, de trouver une solution aux trois difficultés qui n'ont pas été résolues par ce traité.

En même temps, certains Etats membres, mais aussi le Parlement européen, souhaitaient qu'on aille plus loin et qu'on étende largement le champ de la Conférence intergouvernementale (CIG). D'autres, au contraire, considéraient que les trois « reliquats d'Amsterdam » devaient épuiser le contenu de cette négociation. C'est la raison pour laquelle la question du périmètre de la CIG avait été renvoyée à Feira.

Toutefois, depuis Helsinki, les esprits ont évolué. Des débats se sont fait jour sur l'avenir politique et institutionnel de l'Union européenne, relancés par des personnalités aussi éminentes que Jacques Delors, ou les ministres Joschka Fischer et Hubert Védrine, qui ont tenté d'apporter leur pierre à une réflexion qui est loin d'être terminée. Enfin le Président de la République s'est exprimé tout récemment devant le Bundestag.

L'une des conséquences les plus concrètes de ces esquisses de l'avenir politique et institutionnel de l'Union européenne est la consécration, à l'intérieur du champ de l'actuelle CIG, du concept de coopération renforcée. Ayant constamment plaidé pour que cette question devienne l'un des enjeux majeurs de la négociation, le ministre délégué s'est réjoui que tous les Etats membres se retrouvent aujourd'hui pour considérer qu'il faut introduire une certaine flexibilité dans le fonctionnement de l'Union, afin de concilier l'approfondissement de l'intégration européenne et l'élargissement de l'Union. Comme l'a dit, en effet, le Président de la République, lors de la conférence de presse qu'il a tenue avec le Premier ministre à l'issue du Conseil européen de Feira, « c'est un thème essentiel, dans la mesure où il est évident qu'avec l'élargissement, à vingt-cinq, peut-être à trente, il faut introduire davantage de flexibilité dans notre cadre institutionnel ».

Le champ de la négociation est donc circonscrit à quatre sujets majeurs - les trois d'Amsterdam et les coopérations renforcées - et à quelques sujets connexes tels que la réforme de la Cour de justice et le nombre des députés au Parlement européen. Une telle délimitation de l'ordre du jour de la CIG constituait, pour la France, une des conditions nécessaires à un succès de la négociation.

Cette condition sera-t-elle suffisante ? Bien des indices conduisent malheureusement à en douter. Bien qu'un travail d'inventaire extrêmement sérieux ait été réalisé sous présidence portugaise, les discussions se sont bornées, pour l'essentiel, à réitérer des positions nationales largement connues. Il est donc indispensable que les travaux quittent le champ de l'inventaire technique pour entrer dans celui de la négociation politique. C'est à cela que la présidence française va s'attacher dès le mois de juillet, en proposant à ses partenaires de nouvelles modalités de discussion.

Tandis que des débats continueront à être organisés à l'occasion de chacune des sessions du Conseil « Affaires générales », des réunions de travail plus informelles se tiendront, tant sous la forme de dîners de ministres, en marge de ces réunions du Conseil, que lors de conclaves ministériels, à raison de trois ou quatre au cours du second semestre. Par ailleurs, la réforme des institutions sera l'un des principaux sujets qui, avec la Charte des droits fondamentaux, figureront à l'ordre du jour du Conseil européen de Biarritz, les 13 et 14 octobre. Et il va de soi qu'elle sera au c_ur des débats du Conseil européen de Nice, qui se déroulera du 7 au 9 décembre.

Il faut rappeler que la responsabilité de la présidence française n'est pas de conclure, coûte que coûte, à Nice, mais de tout mettre en _uvre pour que l'accord de Nice soit un bon accord, un accord ambitieux qui soit adapté aux exigences de l'avenir de l'Union. La France et l'Allemagne ont fait un travail considérable pour rapprocher leurs positions et défendre, en cette phase décisive de la CIG, une vision commune et exigeante. Chacun des Etats membres devra à son tour prendre ses responsabilités. Mais il faut savoir que ceux qui s'opposeraient à ce qu'un accord soit trouvé devront en assumer les conséquences et qu'ils seront les premiers responsables du retard pris dans l'élargissement de l'Union.

Le Gouvernement est engagé dans cette négociation au titre de ses convictions européennes, des engagements qu'il a pris devant la Représentation nationale, et de sa responsabilité dans la conduite des affaires européennes. Un échec à Nice serait certes décevant pour le bilan politique de la présidence française, mais il serait certainement beaucoup moins désastreux, pour l'avenir de l'Union, qu'un accord au rabais. Même si le concept de « crise refondatrice », selon les termes de Jacques Delors, doit être considéré avec prudence, il vaut mieux une absence d'accord à Nice qu'un mauvais accord. Cette conviction est totalement partagée par le Président de la République.

· La présidence française aura également à mettre en _uvre les grandes orientations économiques et sociales adoptées par le Conseil européen de Lisbonne et prolongées par celui de Feira.

Ainsi que l'a souligné le Premier ministre à Feira lors de sa conférence de presse, la France doit réaffirmer « notre volonté de renforcer le potentiel de croissance économique de l'Europe et de concilier l'innovation et la cohésion sociale ». Comme cela résulte du rapport de M. Gaëtan Gorce sur le dumping social, les outils de régulation économique se situent désormais clairement au niveau européen. La France s'est attachée, depuis trois ans, à renforcer la coordination des politiques économiques en Europe, en mettant tout particulièrement l'accent sur le rôle de l'Euro-11. Deux résultats importants ont été obtenus à ce sujet lors du Conseil européen de Feira :

- d'une part, la Grèce devrait faire son entrée dans l'euro le 1er janvier 2001. Les efforts accomplis depuis plusieurs années par le gouvernement de Costas Simitis pour satisfaire aux critères de convergence doivent être salués ;

- ensuite, un accord a été obtenu à Feira sur le paquet fiscal. Cet accord, dont les modalités sont en discussion depuis trois ans, est crucial puisqu'il s'agit, d'une part, d'élaborer un code de conduite sur la fiscalité des entreprises afin d'éliminer progressivement les pratiques discriminatoires en matière de taxation des investissements, et, d'autre part, d'établir une directive sur la fiscalité de l'épargne, afin de s'assurer que les revenus des valeurs mobilières perçus par des non-résidents n'échappent pas aux contrôles et à l'impôt.

A ce titre, le Conseil européen de Feira a prévu l'adoption du projet de directive sur l'harmonisation de la fiscalité de l'épargne au plus tard le 31 décembre 2002, sous réserve de « l'obtention d'assurances » d'un certain nombre de pays tiers afin « de favoriser l'adoption législative de mesures équivalentes ». Sont nominativement cités : les Etats-Unis, la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Monaco et Saint-Marin. Par ailleurs, le principe d'échanges d'informations sur la taxation des non-résidents sera la base du droit applicable au plus tard sept ans après l'adoption de la directive, soit fin 2009 au plus tard. A titre transitoire, les Etats membres pourront conserver un système de retenue à la source. Enfin, pour des raisons sans rapport avec sa situation particulière vis-à-vis des Quatorze, l'Autriche a exprimé une réserve de nature constitutionnelle à l'égard de la suppression du secret bancaire à l'issue de la période de transition.

Cet accord, qui a été arraché « aux forceps », constitue un accord de compromis. Comme l'a dit le Premier ministre, « ce n'est pas un accord qui nous satisfasse totalement, mais il trace une perspective ».

En résumé, la présidence française devra, dans le domaine fiscal, poursuivre l'examen du projet de directive sur l'épargne, dans le domaine monétaire, renforcer le rôle de l'Euro-11, et dans le domaine économique, favoriser la mise en _uvre des orientations décidées en ce qui concerne la diffusion des nouvelles technologies de l'information, la définition d'un espace européen de la recherche et l'achèvement du marché intérieur.

Par ailleurs, il importe de souligner que la France a obtenu à Feira le mandat souhaité pour aller dans le sens d'un renforcement du modèle social européen :

- d'abord, le rôle et les spécificités des services publics ont été pris en compte puisque, à la demande de l'Allemagne, les conclusions du Conseil mentionnent explicitement la nécessité de « tenir compte de la mission et de l'importance des services publics d'intérêt général » ; une première discussion sur cette question, essentielle dans la conception qui est la nôtre du modèle social européen, aura lieu dès le Conseil européen de Biarritz en octobre prochain ;

- les Quinze ont demandé à la présidence française de préparer, en vue de son adoption, lors du Conseil européen de Nice, « l'Agenda social » qui figure au premier rang de nos priorités ;

- à la demande de la France et grâce au soutien de nombreux partenaires, les conclusions du Conseil européen de Feira nous invitent clairement à engager la réflexion au niveau européen sur la modernisation de la protection sociale et sur la lutte contre toutes les formes d'exclusion ;

- enfin, la présidence française devra travailler à la prise en compte, dans la gestion des politiques communes, des spécificités du sport et de sa fonction sociale.

· Dans le domaine de la défense européenne, le Conseil européen de Feira ne devait pas donner lieu à de grandes décisions, les grandes orientations importantes ayant été prises à Helsinki en décembre dernier, et la prochaine étape significative devant être le Conseil européen de Nice à la fin de l'année.

La présidence portugaise a toutefois permis d'organiser les relations entre la défense européenne et l'OTAN. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont ainsi entériné un rapport de la présidence qui définit les principes de la consultation avec l'OTAN sur les questions militaires, et précise dans quatre domaines les modalités de ces discussions (questions de sécurité ; objectifs de capacité ; modalités d'utilisation, par l'Union européenne, des moyens de l'OTAN ; définition des mécanismes de consultation permanents entre l'Union européenne et l'Alliance atlantique).

Ces orientations créent les conditions d'un dialogue nécessaire avec l'Alliance atlantique, tout en préservant l'autonomie de décision des Européens. Elles ont d'ailleurs été saluées par le Président Clinton, selon lequel « cela renforcera la capacité et la responsabilité de l'Europe à agir en temps de crise ».

Le Conseil européen de Feira a également permis la création d'un comité civil de gestion des crises, qui était en discussion depuis plusieurs mois. Cette décision est importante, car chacun voit bien que la gestion des crises implique la mobilisation de moyens civils et militaires, multilatéraux et nationaux, budgétaires et humanitaires. Il importait donc que l'Union dispose d'un cadre dans lequel puissent être organisés non seulement les échanges d'informations nécessaires, mais aussi la coordination dans la mise en _uvre de cette panoplie d'instruments. Autre fait important, les Etats membres se sont engagés à fournir, d'ici 2003, jusqu'à 5 000 policiers pour des missions internationales couvrant toute la gamme des opérations de prévention des conflits et de gestion des crises. Pour répondre à des besoins plus immédiats - notamment au Kosovo - les Quinze se sont aussi engagés à mobiliser et à déployer, dans un délai de 30 jours, jusqu'à 1 000 policiers.

Ces résultats extrêmement positifs entretiennent la dynamique qui a été engagée depuis deux ans. Il reviendra à la présidence française de reprendre le flambeau pour progresser dans deux directions :

- d'abord, chaque Etat membre devra contribuer à l'objectif fixé à Helsinki, selon lequel l'Union doit être en mesure, d'ici 2003, de déployer dans un délai maximum de deux mois, et d'entretenir pendant au moins une année, une force globale d'intervention de l'ordre de 60 000 hommes. C'est dans cette perspective qu'une conférence de capacités sera organisée en novembre 2000 ;

- il faudra ensuite définir les structures définitives de l'Europe de la défense, en vue d'une entrée en vigueur au tout début de la présidence suédoise, au premier semestre 2001.

· En ce qui concerne les relations extérieures, le Conseil européen de Feira a fait progresser la réflexion commune sur la Russie, la Méditerranée (pour laquelle l'Union a adopté une « stratégie commune »), le processus de paix au Proche-Orient, l'Afrique et les Balkans où, malgré l'ampleur des moyens mis en _uvre, les résultats sont lents à se manifester. Comme l'a réaffirmé le Conseil européen, l'objectif de l'Union reste « la plus grande intégration possible des pays de la région », et « les pays concernés sont des candidats potentiels à l'Union » ; il était donc important de donner une nouvelle impulsion au processus de coopération régionale.

C'est dans ce contexte que la France a proposé la tenue d'un sommet entre l'Union et les pays des Balkans occidentaux les plus engagés dans la transition démocratique. Comme l'a dit le Président de la République à Feira, il est en effet important de « dire aux populations de ces pays qu'il faut qu'elles aillent vers la démocratie », et « d'encourager ceux qui ont déjà engagé le processus ». Les pays cités par le Président sont la Croatie, la Bosnie, la Macédoine le Monténégro, mais aussi la Serbie, qui serait invitée par le biais de représentants de l'opposition, en qualité d'observateurs à cette conférence.

· La question de l'Autriche n'était pas à l'ordre du jour de Feira, la présidence portugaise - comme les autorités françaises - ayant estimé que l'évolution de la situation politique dans ce pays ne justifiait pas une remise en cause des décisions qui ont été prises au début de l'année. Le Premier ministre portugais a toutefois indiqué qu'il proposerait, avant la fin de la présidence portugaise, une initiative, naturellement concertée avec ses treize partenaires, afin de permettre aux présidences européennes suivantes d'avoir des éléments d'évaluation de la situation politique autrichienne, et notamment de la situation des droits de l'homme et de l'évolution du FPÖ. Pour autant, rien ne justifie aujourd'hui une levée des mesures appliquées depuis la fin janvier à l'égard du gouvernement de coalition autrichien : la présidence française poursuivra donc la mise en _uvre des décisions prises sous présidence portugaise.

· Au sujet de la Charte européenne des droits fondamentaux, dont il a été question à Feira, le Président Herzog semble avoir décidé de se retirer, pour des raisons personnelles, de la présidence de la « Convention » chargée d'élaborer le texte. Beaucoup reste à faire pour donner à ce projet un contenu, qu'il faut souhaiter ambitieux, notamment dans le domaine des droits économiques et sociaux. Il faut donc continuer à travailler, notamment dans la perspective du Conseil européen de Biarritz, à l'occasion duquel ce projet fera l'objet d'une première évaluation. Les citoyens européens ne comprendraient pas qu'un texte dont la vocation est d'exprimer les valeurs qui fondent le modèle politique et social européen soit indigent dans sa formulation des droits économiques et sociaux.

M. François Loncle, Président de la commission des affaires étrangères, a remercié le ministre pour la franchise qui a caractérisé sa déclaration liminaire. Il a rappelé que la commission des affaires étrangères avait reçu successivement MM. Hubert Védrine, Jacques Delors, Joschka Fischer et Chris Patten, menant ainsi une réflexion sur l'avenir de l'Europe, rendue plus nécessaire encore par l'élargissement. Le récent rapport de M. Jean-Louis Bianco, adopté de manière quasi unanime par la commission des affaires étrangères, confirme, après celui de M. Gérard Fuchs pour la Délégation, que l'essentiel se joue au-delà de la CIG. Il faut redonner un sens et des perspectives à l'Union européenne. Comme le souligne M. Bianco, M. Fischer pose enfin des questions qui sont intelligibles pour les citoyens : que voulons-nous faire en Europe ? Quels moyens nous donnons-nous pour y parvenir ? Le ministre allemand propose ainsi une démarche ambitieuse mais progressive, et jette un pont entre ce qui est réalisable aujourd'hui et ce qui est souhaitable demain. La France, pour sa part, devrait accepter l'idée d'une fédération d'Etats-Nations.

Le Président François Loncle a ensuite insisté sur la nécessité de progresser suffisamment sur les questions politiques sous la présidence française, les progrès qui n'auront pas été réalisés pendant cette période n'ayant guère de chance d'intervenir au cours de la suivante. S'agissant de la Charte des droits fondamentaux, il a salué la volonté du ministre délégué, dans un contexte marqué par l'obstruction de la Grande Bretagne, qui ne veut ni une Charte substantielle et de qualité, ni une Charte contraignante, ni l'inclusion des droits sociaux.

M. Gérard Fuchs a approuvé l'attitude consistant à aborder la présidence française avec l'idée qu'il ne faut pas conclure à tout prix la CIG : un traité au rabais, à Nice, serait la pire des choses. Afin d'éviter toute confusion, il convient de distinguer la CIG, qui a quatre objectifs principaux, bien définis, et ce qui se passera après. Si la CIG débouche sur une crise, les propos tenus par MM. Fischer, Delors et Chirac prendront une toute autre importance. C'est pourquoi il est nécessaire d'expliquer aux Français que l'on mène une course à deux obstacles : le premier à six mois, le second à une échéance plus lointaine, dont relèvent les propositions formulées par le Président de la République à Berlin. Une crise, à Nice, ne serait pas forcément dramatique, même si personne ne peut prévoir si elle serait salvatrice.

S'agissant des questions économiques et sociales, force est de constater que l'avant-projet de budget pour 2001 n'est pas susceptible d'apporter le stimulant de croissance et d'innovation technologique qui serait nécessaire à l'Union européenne. On attend toujours un grand programme communautaire dans les technologies de pointe. M. Gérard Fuchs s'est enfin demandé si la présidence française avait des projets pour renforcer les structures de l'Euro-11, qui deviendra d'ailleurs l'Euro-12 au 1er janvier 2001.

M. François Léotard a demandé quelle serait la réaction de l'Union et de la présidence française si l'Autriche adhérait à la Charte des droits fondamentaux. La validité des sanctions qui la frappent n'en serait-elle pas affaiblie ?

Observant que le ministre délégué avait fait preuve de résolution, mais aussi d'inquiétude, quant aux résultats à attendre du Conseil européen de Nice, il a souhaité savoir si les « reliquats d'Amsterdam » constituaient un bloc indivisible, ou si des éléments pourraient être adoptés de façon séparée.

Il a évoqué deux initiatives que la France pourrait prendre : la rédaction d'un traité de sécurité et d'échanges pour la Méditerranée occidentale ; une harmonisation de la position des Quinze, à l'ONU, sur des forces de maintien de la paix, afin de renforcer la dimension européenne des contingents utilisés lors des crises.

M. Maurice Ligot, ayant rappelé la volonté de modestie précédemment affirmée par le ministre délégué, a relevé, dans ses propos d'aujourd'hui, une certaine inquiétude sur les possibilités d'obtenir des résultats dans le domaine de la réforme institutionnelle au cours de la présidence française. Plus l'échéance approche, plus la présidence française paraît confrontée à une situation difficile. Il s'est demandé si les prises de position du ministre allemand des affaires étrangères et du Président de la République française sur l'avenir de l'Union européenne feraient avancer l'opinion de nos partenaires, resteraient sans portée ou risquaient de retarder les échéances. Il a également demandé si les quatre points de la CIG constituaient un bloc ou si des résultats sur l'un ou plusieurs d'entre eux seraient considérés comme une avancée intéressante. La même question se pose pour la Charte des droits fondamentaux, au sujet de laquelle la COSAC de Lisbonne a considéré qu'il valait mieux adopter un bon texte, même doté d'une efficacité juridique incertaine, mais porteur d'une autorité morale, plutôt qu'un texte maigre ayant une force contraignante.

Le ministre délégué a précisé qu'il avait précédemment défendu le thème d'une présidence modeste dans un souci tactique, afin de diminuer la pression pesant sur elle et d'écarter le reproche d'arrogance que certains prêtent à notre pays. Aujourd'hui, il conviendrait plutôt d'évoquer un devoir d'ambition, compte tenu de la masse des dossiers fondamentaux à traiter. La France est prête, mais elle mesure la très grande difficulté de réussir la CIG. Si, en tant que membre fondateur et grand pays de l'Union, la France ne parvient pas à un résultat sous sa présidence, cela signifiera que l'Union ne veut pas se réformer, qu'elle ne fonctionne plus, que l'élargissement est retardé et qu'il faudra repartir pour deux ou trois ans sur d'autres bases. Les interrogations sur le noyau dur et « le traité dans le traité » se poseraient alors avec acuité. Comme l'enjeu est très important, la volonté d'aboutir a de grandes chances de l'emporter, dans un contexte marqué par un sentiment de dramatisation plus que d'inquiétude. Les quatre questions laissées en suspens à Amsterdam forment un paquet, car toute autre approche aboutirait à faire du bricolage dans une crise rampante. A cet égard, la repondération des voix est la question la moins importante, même si sa portée symbolique est plus compréhensible pour l'opinion que les autres questions.

Mme Béatrice Marre a interrogé le ministre sur la manière de faire progresser l'agenda social, priorité nettement affirmée par le Premier ministre et qui intéresse davantage l'opinion publique que les enjeux de la CIG, éloignés de la vie quotidienne. Elle a par ailleurs souhaité une cohésion plus forte des Quinze dans les relations économiques internationales et dans les institutions financières ; par exemple, au FMI, les Quinze disposant, ensemble, de 26 % des voix et les Etats-Unis 17 %, seraient plus forts s'ils utilisaient cette influence de manière coordonnée plutôt qu'en ordre dispersé.

M. Gabriel Montcharmont a demandé comment le point 28 des conclusions du Conseil européen de Feira, relatif aux services publics, pouvait se concilier avec celles du Conseil européen précédent, qui paraissent relever d'une autre inspiration, et avec le projet de la Commission tendant à libéraliser le service postal.

Le Président Alain Barrau a soutenu la volonté de modestie adoptée par les autorités françaises dès le début de la préparation de la présidence. Ayant approuvé l'ajout des coopérations renforcées au « paquet » des trois questions précédemment inscrites à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale, il a souhaité obtenir des précisions sur les suites qui seraient données, sous présidence française, aux conclusions du Conseil européen de Lisbonne dans le domaine économique et social, notamment en ce qui concerne la politique de croissance. Enfin, l'Union européenne devrait clarifier la coopération qu'elle entend développer avec des organisations régionales telles que le Mercosur et l'ASEM, avec les Etats méditerranéens et avec les Balkans. Quelles sont les priorités en ce domaine ?

Dans ses réponses aux intervenants, M. Pierre Moscovici a apporté les précisions suivantes :

- le risque d'une crise de l'Union européenne, si la présidence française ne parvient pas à un accord satisfaisant, est bien réel. C'est pourquoi on peut penser que les Etats membres feront tout pour conjurer cette crise, fut-elle fondatrice, en se mettant d'accord pour aller de l'avant ;

- les débats soulevés par les déclarations du Président de la République, de Joschka Fischer et de Jacques Delors, sont féconds ; toutefois, ils ne simplifient pas nécessairement la tâche de la présidence française, car ils risquent d'introduire une certaine confusion dans l'esprit des citoyens vis-à-vis de la CIG. Il convient d'ailleurs de rappeler que la France avait suggéré de procéder à une réflexion en deux temps sur l'avenir des institutions européennes, s'articulant autour de la CIG, puis autour des propositions faites par un comité des sages sur la « constitution » de l'Europe. Cette idée, avancée aux Conseils européens de Cardiff et de Cologne, a été toutefois repoussée par les autres Etats membres. Il est donc nécessaire d'expliquer aux Français que la CIG n'a pas pour but d'instituer l'Union européenne esquissée par M. Joschka Fischer, afin d'éviter un télescopage entre les objectifs de court terme - ceux de la CIG - et ceux du moyen terme. Quoi qu'il en soit, ces débats intéressent les Français, qui marquent de plus en plus leur attachement à la construction européenne, ainsi que le montrent les plus récents sondages ;

- le thème des coopérations renforcées gagnerait à être rendu plus intelligible, mais ce serait faire preuve de démagogie que de dire que l'Europe ne recouvre pas des réalités complexes. Le concept de fédération d'Etats-nations n'est d'ailleurs pas d'une grande clarté. Les coopérations renforcées constituent néanmoins l'un des enjeux essentiels de la prochaine CIG, car elles permettront d'améliorer le fonctionnement actuel de l'Union européenne, tout en offrant à ceux qui le souhaitent les moyens de progresser dans la construction européenne. Il convient donc d'abaisser le seuil de déclenchement des coopérations renforcées, le chiffre de huit Etats membres paraissant correspondre à un seuil satisfaisant. Il serait souhaitable de supprimer la clause d'appel au Conseil européen, qui conduit à un vote à l'unanimité, et d'instaurer un système de présidence d'une durée de trois ans pour les Etats ainsi regroupés ;

- la Charte des droits fondamentaux fera sans aucun doute l'objet d'une intense couverture médiatique et d'attentes fortes de la part des syndicats et des organisations non gouvernementales. Il sera difficile de ne pas tenir compte de ces opinions. Par ailleurs, l'attitude de Tony Blair à l'égard de la Charte semble moins négative que celle des membres britanniques de la Convention ;

- l'Euro-11 devrait avoir une plus grande visibilité. Le ministre de l'Economie et des finances a des projets pour le « gouvernement économique » de la zone euro, consistant notamment à réunir de façon séparée le Conseil Ecofin à Quinze et celui à Onze ou à allonger la durée de la présidence de l'Euro-11. En ce qui concerne le budget communautaire, les pistes de réflexion proposées par M. Gérard Fuchs méritent d'être explorées ;

- une adhésion de l'Autriche à la Charte des droits fondamentaux ne conduira pas, à elle seule, à modifier l'attitude des Quatorze à son égard. Il faut aussi considérer les faits, c'est-à-dire la situation des droits de l'homme dans ce pays et la nature du parti de M. Haider, dont certains propos sur le passé nazi de l'Autriche sont inacceptables et contredisent les valeurs de l'Union européenne. La France souhaite donc le maintien des sanctions pendant la durée de la présidence. Cette position est d'ailleurs celle des Quatorze ;

- s'agissant de la PESC, la cohésion des Quinze dans les organisations internationales doit être renforcée. Les contributions en hommes et en matériels des Etats membres aux opérations de maintien de la paix de l'ONU doivent être davantage coordonnées. Par ailleurs, la PESC progresse sur ses différents volets régionaux ; l'adoption d'une stratégie commune à l'égard de la Méditerranée au Conseil européen de Feira constitue une avancée importante. L'organisation du sommet sur la Méditerranée dépendra toutefois des résultats du processus de paix au Proche-Orient. La signature d'un traité spécifique de coopération avec les pays de la Méditerranée orientale constitue une piste intéressante. La tenue du Sommet Europe-Afrique en avril constitue un autre motif de satisfaction. Enfin, l'Asie constituera une des priorités de la présidence française, avec les sommets que l'Europe organisera avec l'ASEM, avec le Japon et avec la Chine. Enfin, le Conseil européen de Feira a entériné la proposition du Président de la République concernant l'organisation d'un sommet entre l'Union européenne et les Balkans occidentaux, qui pourrait avoir lieu à Zagreb ;

- l'Europe sociale constitue un enjeu majeur de la prochaine présidence, au même titre que la CIG. Cette dernière apportera d'ailleurs une réponse aux préoccupations quotidiennes des citoyens : il est en effet impossible de mener de bonnes politiques sans disposer d'institutions efficaces. L'ensemble du Gouvernement est mobilisé sur le volet social ; le mécanisme de coordination des politiques d'emploi adopté au Conseil européen de Luxembourg devrait être renforcé ;

- en dépit du texte de libéralisation proposé par la Commission, la poste conservera tout son rôle dans la vie des territoires. Il est encourageant de voir que l'Allemagne a apporté son soutien à l'insertion d'un paragraphe consacré aux services d'intérêt général dans les conclusions du Conseil européen de Santa Maria da Feira.