DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 118

Réunion du jeudi 6 juillet 2000 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Rapport d'information de Mme Marie-Hélène Aubert sur la dissémination volontaire des OGM dans l'environnement (E 1485)

Mme Marie-Hélène Aubert, rapporteure, a souligné que la création des OGM marquait une véritable rupture scientifique, même si leurs applications restent encore limitées. Elles permettent, dans l'agriculture, une résistance aux herbicides et aux insectes ravageurs, mais peu d'efforts de recherche portent sur les cultures vivrières utiles au pays en développement, ce qui relativise l'argument utilisé par les firmes de biotechnologies, selon lequel les OGM permettront de supprimer la faim dans le monde.

Elle en a évoqué les risques potentiels pour l'environnement et pour la santé. La culture des plantes transgéniques peut provoquer la diffusion des gènes introduits par transgénèse, comme le gène de résistance aux herbicides, aux variétés non modifiées de la même espèce ou apparentées. La probabilité de réalisation d'un flux de gènes dépend des espèces et des écosystèmes concernés. En Europe, elle est présentée comme infime pour le maïs, mais elle est réelle pour le colza et la betterave. Les plantes transgéniques insecticides peuvent conduire à l'apparition d'insectes résistants ou constituer une menace pour les insectes « non cibles », comme le papillon monarque dans le cas du maïs résistant à la pyrale. Un risque de réduction de la biodiversité et d'impact sur la rhizosphère est évoqué. Trois types de risques liés à la consommation des OGM sont mis en avant : la toxicité, l'allergie et la résistance aux antibiotiques. Les recherches doivent se poursuivre pour mieux évaluer, à long terme, les risques liés à l'introduction des OGM.

Au-delà de la question des risques, la rapporteure a insisté sur les enjeux socio-économiques liés aux OGM. Les biotechnologies prennent une part croissante dans la recherche, ce qui pourrait nuire à la pluridisciplinarité de la science ; elles suscitent le développement d'une alliance entre la recherche publique et la recherche privée, qui peut conduire au démantèlement progressif de la recherche publique et pose la question du contrôle démocratique des décisions. La volonté de protéger les résultats de la recherche se traduit par une course au brevet. La brevetabilité des OGM s'inscrit dans la problématique générale de la brevetabilité du vivant. Pour harmoniser les conditions de brevetabilité et rivaliser avec les Etats-Unis, l'Europe a adopté la directive du 30 juillet 1998, relative aux inventions biotechnologiques, qui est aujourd'hui très contestée. Outre les questions d'ordre éthique, la brevetabilité des plantes et animaux transgéniques, comme celle du vivant en général, soulève la question de l'accès aux ressources génétiques et du droit des agriculteurs, en particulier dans le cadre des relations Nord-Sud. Les pays du Sud, qui font l'objet d'une bioprotection intense, contestent la généralisation de la brevetabilité du vivant et doivent pouvoir être associés aux avantages découlant de l'exploitation de leurs ressources génétiques.

Les enjeux des OGM pour l'agriculture européenne sont incertains. La position des grandes organisations agricoles françaises a beaucoup évolué sur cette question. Si les OGM peuvent offrir des avantages, ils risquent de se traduire par de nouvelles contraintes agronomiques et culturales. Surtout, leur généralisation pourrait conduire à une emprise croissante du secteur industriel, en particulier agrochimique, sur l'agriculture. Les agriculteurs redoutent la remise en cause des semences de ferme par le biais de brevets ou par l'usage de technologies de stérilisation des plantes. Quant aux consommateurs européens, ils se montrent hostiles à l'égard de l'introduction des OGM dans l'alimentation : manque de confiance dans les instances d'évaluation et de contrôle, absence d'utilité des OGM pour eux, refus d'une « artificialisation » de la nourriture et rejet de l'uniformisation du mode de développement économique, des méthodes de cultures et des habitudes alimentaires.

Mme Marie-Hélène Aubert a ensuite abordé les grandes lignes du système communautaire d'encadrement des OGM et souligné ses insuffisances. La directive n° 90/220 de 1990 régit les disséminations d'OGM à titre expérimental et les mises sur le marché. Les autorisations de mise sur le marché sont valables dans l'ensemble de la Communauté, mais la procédure est complexe : elle comprend une phase nationale d'instruction du dossier et une phase communautaire. Elle a mal fonctionné car, dans la plupart des cas les Etats membres ont soulevé des objections à la mise sur le marché d'un OGM préconisé par l'Etat membre instructeur. La procédure applicable en cas d'objection prévoit que la Commission soumet une proposition de décision à un comité de représentants des Etats membres, puis le cas échéant au Conseil des ministres ; elle est apparue inadaptée et donne trop de poids à la Commission européenne.

La nécessaire révision de cette directive, qui fournit l'occasion d'améliorer l'ensemble du dispositif communautaire, devrait s'achever sous présidence française. La France n'a pas pris part à l'adoption de la position commune au Conseil en juin 1999 et a fait une déclaration commune avec quatre autres Etats membres pour bloquer toute autorisation nouvelle d'OGM tant que le dispositif communautaire ne serait pas satisfaisant, notamment au regard des exigences de traçabilité et d'étiquetage. Si le texte améliore la procédure de mise sur le marché et l'information du public et tend à mettre en place un véritable suivi, en revanche ses dispositions relatives à l'évaluation et à la gestion des risques doivent être renforcées et permettre aux Etats membres de prendre en compte les avantages et les coûts socio-économiques liés à la commercialisation des OGM.

Hostile à la faculté, ouverte par le texte, de mettre en _uvre des procédures simplifiées pour certains OGM et favorable à l'interdiction immédiate des gènes marqueurs de résistances aux antibiotiques, elle a préconisé l'adoption d'un texte général sur l'étiquetage et la traçabilité, ainsi que l'instauration d'un mécanisme de responsabilité permettant la réparation des dommages causés par les OGM. A défaut de l'adoption de ces mesures, toute nouvelle autorisation de mise sur le marché devrait être suspendue. Elle a enfin souligné que l'Europe devrait agir sur la scène internationale pour promouvoir l'application du protocole de biosécurité et infléchir les règles du Codex alimentarius et de l'OMC en faveur d'une meilleure application du principe de précaution et de la liberté de choix des consommateurs.

En conclusion, Mme Marie-Hélène Aubert a suggéré à la Délégation de se prononcer par la voie d'une proposition de résolution sur la révision de la directive n° 90/220, qui doit faire l'objet à l'automne d'une procédure de conciliation entre le Conseil et le Parlement européen.

M. Gérard Fuchs ayant salué la qualité du rapport, s'est déclaré, pour sa part, favorable au développement du génie génétique, qui peut être bénéfique, notamment dans le domaine de la nutrition et de la santé ; la recherche en ce domaine doit donc être orientée en faveur de ceux qui en ont le plus besoin, en particulier les populations confrontées à la famine, plutôt que d'avantager les firmes multinationales des pays riches.

Il a exprimé son désaccord avec le deuxième point de la proposition de résolution, relatif à la suppression des dispositions relatives à l'introduction des procédures différenciées pour la mise sur le marché des OGM et à l'interdiction immédiate des OGM comprenant des gènes de résistance aux antibiotiques. Il a contesté l'appréciation selon laquelle la Commission européenne avait des pouvoirs excessifs en matière d'autorisation de mise sur le marché : cette institution étant soumise au contrôle démocratique du Parlement européen, il n'est pas anormal de lui confier des attributions étendues.

M. François Guillaume a demandé que la Délégation rejette ce rapport, qui contribue à diaboliser les OGM sans reposer sur une démonstration scientifique. Il a regretté que la Délégation ait confié ce rapport à une députée appartenant à un parti politique combattant les OGM « de façon mythique et mystique ». Pour lui, le rapport manque d'objectivité, puisqu'il s'efforce d'étayer un parti pris hostile aux OGM et que les personnes entendues par la rapporteure sont toutes des adversaires des OGM. Il a déploré que le rapport soit centré sur les OGM agricoles et alimentaires, alors que les OGM concernent un domaine beaucoup plus vaste : ainsi la question de la thérapie génique, qui donne lieu à des résultats scientifiques très positifs et qui constitue un enjeu majeur de santé publique, lui semble avoir été omise.

Ayant souligné que le génie génétique avait pour effet d'améliorer les conditions de développement des espèces, il a rappelé toutes les contrevérités qui avaient été diffusées à l'encontre de progrès tels que l'insémination artificielle, le testage ou la sélection des embryons.

L'opposition au développement des OGM est d'autant plus regrettable que l'Union européenne accuse un retard important par rapport aux Etats-Unis, où la Food and Drug Administration exerce un contrôle rigoureux sur les OGM. Certains maïs transgéniques américains permettent de supprimer l'utilisation de produits phytosanitaires et de réduire sensiblement le coût de production ; dès lors l'Union européenne risque de subir de plein fouet la concurrence américaine lorsque les négociations multilatérales auront encore réduit les barrières tarifaires.

M. François Guillaume a dénoncé l'hypocrisie consistant à refuser les OGM, alors que 70 % du soja américain est génétiquement modifié, et que l'Europe en importe ; de surcroît les OGM sont déjà très présents en Amérique latine, d'où l'Europe importe des semences. Il a estimé que les Etats-Unis pourront aisément démontrer, au sein de l'OMC, l'innocuité des OGM, à l'appui, au besoin, des recherches européennes.

Il a enfin contesté l'appréciation contenue dans le rapport, selon laquelle « la perspective de supprimer la faim dans le monde par la voie des OGM relève de l'argument publicitaire plus que de la réalité », alors que le développement des OGM pourrait contribuer à remédier aux famines. Il convient de rappeler, par exemple, que la moitié des céréales est actuellement détruite par des champignons ou des insectes et que les OGM permettront d'éviter de telles pertes. En conclusion il a jugé préférable d'insister sur les précautions qui devaient être prises dans l'utilisation des OGM, plutôt que de mener un combat d'arrière garde contre ceux-ci.

Mme Béatrice Marre, ayant apprécié le travail approfondi réalisé par Mme Marie-Hélène Aubert sur une question difficile, a rejoint la position exprimée par M. Gérard Fuchs sur l'orientation à donner à la recherche en ce domaine, avant d'insister sur le principe de précaution. Elle a souhaité que la proposition de résolution fasse mieux apparaître les potentialités des biotechnologies, au lieu de ne mettre en relief que les risques liés aux OGM, et insisté sur une réorientation de la recherche en vue de leur adaptation aux besoins des pays en voie de développement, alors que les grandes entreprises s'efforcent de développer davantage leurs recherches en fonction des marchés solvables.

Elle a souhaité, en conclusion, que la Délégation se donne le temps de travailler sur la proposition de résolution.

M. Jacques Myard a également souhaité disposer d'un délai supplémentaire pour l'étude de la proposition de résolution. Pour lui, la Communauté devrait engager un travail scientifique très approfondi sur une question qui suscite un débat aussi vif. Il a résumé ainsi sa position : oui au principe de précaution, non à la paralysie organisée.

Le Président Alain Barrau, réfutant les reproches d'obscurantisme portés à l'encontre du rapport par M. François Guillaume, a souligné que celui-ci ne mettait nullement en cause les recherches scientifiques dans le domaine des biotechnologies. La récente destruction, par des inconnus, de terrains de recherche de l'INRA appelle d'ailleurs une condamnation unanime. Les critiques portées contre le rapport lui paraissent injustes dans la mesure où les citoyens sont très préoccupés par la sécurité alimentaire. Les défenseurs de l'agriculture européenne doivent leur apporter une réponse. Dans le cadre de la politique agricole commune, il n'y a pas de contradiction entre le respect du principe de précaution et la promotion d'une agriculture européenne forte et exportatrice. Le déferlement supposé des produits agricoles américains ne pourrait résulter que d'un éventuel ultralibéralisme, fort éloigné des mandats de négociation qui sont et seront élaborés par les instances communautaires, sous le contrôle des élus. L'Union européenne doit saisir toutes les occasions pour affirmer son identité par rapport au modèle dominant proposé par les Etats-Unis.

Il a souhaité que l'Assemblée nationale exprime sa position sur la question des OGM, dans des conditions de délai qui donneraient à cet avis une portée effective sous la présidence française. La Délégation pourrait donc déposer, dès la rentrée, une proposition de résolution, qui sera transmise à la commission compétente au fond et pourra donner lieu à un débat en séance publique. Le texte pourra donc être largement discuté et amendé.

En réponse aux intervenants, Mme Marie-Hélène Aubert a apporté les précisions suivantes :

- son rapport ne remet nullement en cause l'intérêt de la recherche scientifique dans le domaine des biotechnologies. Mais il ne se contente pas d'être descriptif : comme tout rapport parlementaire, il prend position et étaye celle-ci sur une réflexion approfondie, alimentée non seulement par l'audition d'un grand nombre de personnalités, dont des scientifiques de très haut niveau, mais aussi par les contributions écrites des grandes organisations agricoles françaises et des associations de consommateurs. Les discussions qui ont eu lieu ont été très riches et très ouvertes. La rapporteure a recueilli les points de vue les plus divers. Elle s'est rendue à l'INRA de Versailles, un des plus gros centres de recherche de génétique moléculaire de France et y a rencontré notamment les professeurs Yves Chupeau et Georges Pelletier, qui sont favorables aux OGM et ne partagent pas la prévention de l'opinion publique à l'encontre de ces produits. Quant aux organisations professionnelles agricoles, elles ont beaucoup évolué sur la question des OGM ; ainsi le Centre national des jeunes agriculteurs lui a transmis une contribution écrite qui demande la suspension des mises en culture en Europe et une clarification de la réglementation relative à l'étiquetage et à la traçabilité ;

- les recherches sur le transfert de gènes sont loin d'être achevées, car il s'agit d'une innovation récente ; il convient donc d'adopter, conformément au principe de précaution, une politique qui exclut toute précipitation ;

- avancer que les OGM permettront de remédier aux insuffisances alimentaires dans le tiers monde est un argument publicitaire car les grandes entreprises des pays développés auraient déjà pu y pourvoir grâce aux progrès antérieurs des techniques de production agricole ;

- la position des Etats-Unis évolue, notamment dans le sens d'un système d'étiquetage et de traçabilité plus rigoureux ;

- la proposition de résolution est perfectible et peut naturellement faire l'objet d'amendements ; cependant, le simple bon sens devrait conduire à demander la suspension des mises en culture tant que les incertitudes scientifiques n'ont pas été levées.

A l'issue de ce débat, la Délégation, qui n'a pas adopté la demande de rejet du rapport exprimée par M. François Guillaume et soutenue par M. Jacques Myard, a décidé de publier le rapport d'information assorti du compte rendu de la discussion et de poursuivre l'examen de la proposition de résolution au cours de la réunion du 21 septembre.

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II. Echange de vues avec une délégation de la Commission d'examen des textes communautaires de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, conduite par M. Jimmy Hood, président de cette Commission

Le Président Alain Barrau a accueilli une délégation de la commission d'examen des textes communautaires de la Chambre des Communes du Royaume Uni, conduite par M. Jimmy Hood, (travailliste) président de cette commission, et composée de MM. Owen Patterson et William Cash (conservateurs), et de MM. Roger Casale, Michael Connarty et Jim Dobbin (travaillistes).

Il a souhaité que les parlementaires français et britanniques renouent leurs contacts bilatéraux, favorables au rapprochement des points de vue. La France et le Royaume-Uni peuvent avoir un rôle moteur dans la construction européenne ; c'est le cas dans le domaine de la défense, plus que dans le domaine social. A l'orée de la présidence française, les positions française et britannique divergent sur la CIG, le Royaume-Uni n'étant guère favorable à l'assouplissement du dispositif des coopérations renforcées, alors qu'il pourrait y participer dans les domaines où il est difficile d'aboutir à quinze.

La période qui s'ouvre ne doit pas seulement être marquée par le débat institutionnel. Elle doit permettre d'avancer sur le contenu même de l'Union et montrer aux pays candidats que celle-ci n'est pas seulement une zone de libre échange, mais qu'elle a aussi une dimension politique. Tout ce qui permettra de donner un corps à cette Union sera le bienvenu, qu'il s'agisse de la lutte contre le chômage, de l'Europe des citoyens, de la sécurité alimentaire, de la sécurité des transports maritimes ou du sport.

Ces divers exemples montrent que la France ne veut pas limiter les objectifs de sa présidence aux seules questions institutionnelles : les institutions étant renforcées, il faudra traiter de la future architecture de l'Union, objectif plus ambitieux, et déjà abordé, en particulier, par MM. Fischer, Delors et Chirac. Elle souhaite par ailleurs que le débat sur la Charte des droits fondamentaux progresse et que les droits économiques et sociaux y soient inclus. La France souhaite également contribuer à l'avènement d'un monde multipolaire, dans lequel le poids des Etats-Unis serait équilibré par d'autres pôles de référence comme l'Union européenne, le Mercosur, l'ASEAN ou le bassin méditerranéen.

Dans ce contexte, où la tâche à accomplir est difficile, la question autrichienne reste préoccupante. La position de l'Union européenne à l'égard de ce pays a été définie par les quatorze Etats-membres au début de la présidence portugaise et n'a pas été remise en cause depuis lors. Un blocage de la CIG risquerait d'inciter un petit groupe d'Etats à approfondir leur intégration et de retarder l'élargissement.

Le Président Jimmy Hood s'est félicité de cette occasion d'examiner des projets d'intérêt commun, et notamment la Charte des droits fondamentaux et l'agenda social, même si les points de vue divergent. Il a estimé que les dialogues bilatéraux permettaient d'améliorer la compréhension entre les peuples et les parlements nationaux. Evoquant la situation de l'Autriche, qu'il a qualifiée de préoccupante, il s'est néanmoins interrogé, à titre personnel, sur l'opportunité des mesures prises à son encontre, se référant à un adage écossais selon lequel « on regrette ce que l'on a fait de façon précipitée ».

M. Michael Connarty s'est félicité que la France se prononce en faveur d'une Europe de la croissance et du plein-emploi et que, parmi les priorités de la Présidence française, figurent la lutte contre l'exclusion sociale et, dans le prolongement du Conseil européen de Lisbonne, l'adaptation de l'Europe à l'ère numérique. Abordant la question de la libre circulation, il a fait observer que la réticence de la Grande-Bretagne à l'égard de l'acquis de Schengen était due à la peur suscitée par une invasion des ressortissants des Etats adhérents. Il a souhaité savoir si les mouvements extrémistes avaient tiré parti de cette perspective et si la Délégation avait déjà pris position sur cette question.

Mme Béatrice Marre a indiqué que le Front National avait tenté d'instrumentaliser sans succès cet aspect de la Convention de Schengen avant d'être considérablement affaibli par ses divisions internes. L'effort d'explication du Gouvernement et des partis républicains l'a emporté sur une stratégie fondée sur la peur.

M. Jacques Myard, tout en étant opposé aux thèses du Front National, a considéré que l'Europe était confrontée au défi de la maîtrise des flux migratoires résultant du déséquilibre démographique entre le Nord et le Sud. Or, bien que l'Accord de Schengen favorise une coopération judiciaire et policière, il ne permet pas à l'Europe de mettre en _uvre une politique cohérente en matière d'immigration.

Le Président Alain Barrau a évoqué les travaux effectués par la Délégation, avant la tenue du Conseil européen de Tampere, qui a relancé le développement de l'espace judiciaire européen et approfondi la coopération judiciaire en matière civile et en matière pénale.

M. William Cash, tout en déclarant condamner les groupes nationalistes extrémistes, a regretté que, du fait d'une confusion, les eurosceptiques y soient assimilés. Les eurosceptiques, bien que nationalistes, n'en sont pas moins des démocrates défendant la position de nombreux citoyens. C'est pourquoi, il a souligné leur droit de s'opposer à l'Union économique et monétaire, en ce qu'elle comporte des aspects contraires à la démocratie. De même, l'Europe de la défense évoquée par le Président Barrau est susceptible de mettre en cause le droit des Etats à gouverner.

Le Président Alain Barrau a demandé à M. Willliam Cash s'il se rallierait à l'entrée de la Grande-Bretagne dans la zone euro dans l'hypothèse où une majorité de Britanniques se prononçait en ce sens à l'occasion d'un référendum.

M. William Cash a rappelé qu'il avait fait campagne en faveur d'un référendum - finalement refusé par M. John Major - sur le traité de Maastricht. Actuellement, en Grande-Bretagne, 70 % des gens sont opposés à la monnaie unique.

M. François Guillaume a souligné que le débat européen semblait marqué par la même vivacité en Grande-Bretagne qu'en France, les prosélytes les plus ardents de la construction européenne s'opposant aux réalistes. Il a demandé l'avis des députés britanniques sur l'idée de constitution européenne, appelée immanquablement à se substituer aux constitutions nationales, sur les perspectives de coopération renforcée dans les domaines de la politique étrangère et de la sécurité commune, conduisant à une diplomatie unique et une défense unique, voire à la suppression du siège du Royaume-Uni - et celui de la France - au Conseil de sécurité des Nations-Unies, enfin sur les perspectives de suppression du second commissaire dont disposent les grands pays et l'éventualité pour ceux-ci d'être privés de tout commissaire pendant plusieurs périodes si le système de rotation était finalement retenu.

Le Président Alain Barrau a précisé que les perspectives de la politique étrangère et de sécurité commune européenne ne sauraient conduire à priver les Etats membres de leur défense, de leur diplomatie et de leur siège au Conseil de sécurité des Nations Unies. La coopération consiste, en ce domaine, à pouvoir effectuer un choix entre trois scénarios d'intervention sur le continent européen : l'intégration des forces armées européennes sous le commandement de l'OTAN ; un partenariat entre l'OTAN et les forces armées européennes ; enfin, la mise en place d'une capacité d'intervention européenne sur le théâtre des opérations européennes, ce qui supposerait un effort budgétaire, une coordination des systèmes d'armement et la mise en commun des moyens militaires substantiels.

M. Jimmy Hood a souligné que la délégation parlementaire britannique constituait un échantillon d'opinions très variées sur les questions européennes. Il a estimé que si l'idée de l'abandon par le Royaume-Uni de son siège au Conseil de sécurité n'avait pas sa place dans ce débat, on pouvait en revanche envisager de renoncer au second poste de commissaire européen. En tout état de cause, une réduction du nombre des commissaires est souhaitable, dans un souci d'efficacité. Dans le même ordre d'idées, lorsque les juges de la Cour européenne de justice des Communautés européennes ont été consultés sur l'opportunité d'augmenter le nombre de leurs membres, ils ont estimé que ce relèvement conduirait à réduire le caractère collégial des délibérations de la Cour.

Après avoir constaté une aussi grande diversité d'opinions au sein de la Délégation pour l'Union européenne qu'au sein de la commission à laquelle il appartient, M. Jim Dobbin a interrogé ses collègues français sur les propositions de la Commission européenne relatives à l'étiquetage et à la traçabilité des aliments.

Le Président Alain Barrau a considéré que les propositions faites par la Commission en matière de traçabilité méritaient d'être soutenues. Il a observé que les précautions prises dans le domaine de la sécurité alimentaire étaient parfois mal comprises du monde agricole, qui jugeait excessive la politique d'abattage systématique du cheptel où l'on avait décelé un animal malade.

Mme Marie-Hélène Aubert a rappelé que l'Assemblée nationale avait créé une commission d'enquête sur la transparence et la sécurité de la filière alimentaire française, laquelle avait élaboré des recommandations non seulement dans le domaine sanitaire mais également agricole, social et environnemental. Pour elle, l'édiction de normes de sécurité ne doit pas conduire à une uniformisation, mais à favoriser la qualité et la sécurité de l'alimentation.

M. Jacques Myard a estimé, quant à lui, que l'Union européenne était engagée dans un processus inéluctable d'élargissement, alors même que ses institutions n'étaient pas adaptées. Plutôt que de s'interroger sur sa finalité même, la construction européenne est devenue un enjeu de politique intérieure et de compétition entre les Etats, ces derniers pratiquant une sorte de fuite en avant conduisant à l'hypertrophie et à la centralisation. Il a souligné que la présidence française risquait d'être un échec, les réformes institutionnelles envisagées ne pouvant constituer une réponse à ces problèmes. Il a ajouté que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne constituait un exemple de cette fuite en avant, ces droits étant déjà intégrés dans l'ordre juridique des Etats membres et celui de la Communauté européenne.

M. Jimmy Hood a remercié les députés français et exprimé le souhait d'organiser prochainement une réunion conjointe à la Chambre des Communes.

III. Informations relatives à la Délégation

Ont été nommés rapporteurs d'information :

- M. Gérard Fuchs, sur le service public dans l'Union européenne ;

- M. Camille Darsières, sur les régions ultrapériphériques et les régimes spéciaux (art. 299 du TCE) ;

- M. Pierre Brana, sur l'harmonisation des techniques de contrôle de la Cour des comptes européenne et des cours des comptes des Etats membres ;

- M. Alain Barrau, sur l'Union européenne et les entités régionales (Mercosur, Asean, Méditerranée) ;

- M. Jean-Marie Bockel, sur la lutte contre l'immigration clandestine et ses filières dans l'Union européenne ;

- Mme Nicole Feidt, sur les projets communautaires sur l'égalité entre hommes et femmes ;

- MM. René André et Alain Barrau, sur l'union européenne et la reconstruction des Balkans ;

- M. Didier Boulaud, sur la proposition de directive sur la poste ;

- Mme Michèle Rivasi, sur l'Union européenne et la lutte contre les exclusions ;

- M. Gaëtan Gorce, sur l'Agenda social européen ;

- M. Alain Barrau, sur la mise en place de l'Euro ;

- Mme Béatrice Marre, sur la poursuite des négociations à l'OMC ;

- M. Yves Dauge, sur le partenariat entre l'Union européenne et les ACP ;

- M. Jean-Bernard Raimond, sur l'élargissement de l'Union européenne ;

- M. Alain Barrau, sur l'article du projet de loi de finances pour 2001 établissant le montant de la contribution de la France aux Communautés européennes.

La Délégation a pris acte du souhait exprimé par M. Jacques Myard qu'un rapport d'information soit consacré au projet de brevet communautaire.

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