DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 119

Réunion du mardi 19 septembre 2000 à 15 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes

Le Président Alain Barrau a souhaité la bienvenue au ministre délégué pour cette audition de rentrée, qui permettra de faire le point après quelques mois de Présidence française de l'Union européenne.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, a souligné l'importance de ces auditions, non seulement pour faire un bilan de l'actualité communautaire, mais aussi pour prendre du recul par rapport aux commentaires développés, ici ou là, sur la politique européenne de la France, et, en cette période, sur la conduite de notre Présidence de l'Union. Cette rentrée est riche de commentaires selon lesquels la Présidence peinerait à trouver ses marques et son rythme de croisière, et selon lesquels ses initiatives se feraient attendre.

Face à un agenda très chargé et après la trêve du mois d'août, il faut remettre les choses à leur juste place et dire qu'il est tout simplement trop tôt pour faire un bilan, même partiel, qui ne pourra être présenté sérieusement qu'à mi-parcours, au moment du Conseil européen de Biarritz, dans un peu plus d'un mois.

Les autorités françaises restent totalement déterminées à faire de cette Présidence un moment important, même si d'autres paramètres, comme la baisse de la valeur externe de l'euro, tendent à reléguer au second plan les grands dossiers de la réforme des institutions, de l'élargissement de l'Union et de la défense européenne, ainsi qu'un certain nombre de sujets de nature plus sociale ou « sociétale », tels que la sécurité alimentaire, la sécurité des transports, l'Europe de la connaissance, sans oublier l'ambitieux projet d'une Charte européenne des droits fondamentaux. Chacun de ces dossiers suit son rythme et le résultat ne pourra, pour l'essentiel, être apprécié que lors du Conseil européen de Nice en décembre.

· En premier lieu, l'élargissement de l'Union représente une grande priorité de notre Présidence, même si ce n'est pas une priorité comme une autre, puisqu'il constitue, en vérité, la toile de fond de toute l'activité de l'Union européenne aujourd'hui. Il représente une perspective politique positive pour notre pays qui portera ses efforts dans trois directions :

- d'abord, il semble indispensable de porter à un niveau politique le travail entrepris depuis trois ans, grâce à la préparation d'un vrai débat à l'occasion du Conseil Affaires générales du 20 novembre, sur la base de documents extrêmement précis demandés à la Commission ;

- ce même souci a également conduit à prévoir l'organisation de deux réunions de la Conférence européenne, l'une au niveau ministériel, le 23 novembre prochain, l'autre au niveau des Chefs d'Etats et de Gouvernement, le 7 décembre ;

- enfin, la Présidence française compte aller, concrètement, aussi loin que possible dans les négociations d'adhésion, afin d'en faire un bilan aussi précis que possible à Nice, pays par pays et chapitre par chapitre. A cette fin, seront organisées deux sessions de négociation au niveau des fonctionnaires et une session au niveau ministériel, à l'occasion des réunions du Conseil Affaires générales du 21 novembre et du 5 décembre. Le travail entrepris permettra assez prochainement d'appréhender l'équilibre général de chacune de ces négociations, en tout cas pour les pays candidats les plus avancés.

La Présidence française n'a pas voulu rouvrir la question de la date des adhésions, évoquée à nouveau par certaines personnalités dans les pays candidats comme dans les pays de l'Union ; la seule date qui compte pour la Présidence française est celle qui a été retenue par le Conseil européen d'Helsinki, c'est-à-dire le 1er janvier 2003. A cette date, l'Union doit être prête à accueillir les premiers adhérents, c'est-à-dire ceux qui se seront le mieux préparés, à la condition, naturellement, que, d'ici là, un bon traité ait été conclu à Nice et ratifié par les Parlements des Quinze. Cette position semble bien comprise par nos partenaires et le Premier ministre polonais a encore eu l'occasion de dire aujourd'hui même aux autorités françaises que cette démarche lui convenait.

· Deuxième grand dossier, la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions recueille en France un très large consensus entre le Gouvernement et la Représentation nationale. Mais beaucoup restait à faire sur le dossier de la réforme institutionnelle lorsque nous avons pris le relais de la Présidence portugaise. Si celle-ci a en effet travaillé de manière tout à fait sérieuse, une certaine orientation avait cependant été donnée aux débats, qui a pu favoriser l'apparition d'un clivage entre ce qu'on appelle les « petits » et les « grands » Etats membres, sensible en particulier sur la question de la taille et de l'organisation de la Commission. Notre souci, dès le mois de juillet, a été de reprendre les discussions sur une base plus ouverte afin de nous donner toutes les chances d'aboutir à un accord satisfaisant à Nice, d'une part en soulignant le lien entre les trois grandes questions non résolues à Amsterdam et, d'autre part, en engageant une réflexion approfondie sur la question majeure des coopérations renforcées.

Ces discussions sont difficiles parce que très lourdes de conséquences et ont pu donner le sentiment, au mois de juillet, de ne pas avancer aussi vite qu'il était souhaitable. La Présidence française a donc dit clairement à ses partenaires, notamment lors de la réunion informelle des Ministres des Affaires étrangères, à Evian, les 2 et 3 septembre dernier, non seulement qu'il y avait un risque d'échec à Nice, mais aussi que la France, en tant que Présidence en exercice, préférerait une absence d'accord à un mauvais accord. Ce message semble avoir été compris et les premiers signes d'une prise de conscience étaient perceptibles lors de la réunion restreinte qui s'est tenue hier à Bruxelles. Il est donc clair que la négociation doit être intensifiée encore au niveau politique.

Sur la Commission, la difficulté est qu'une majorité d'Etats membres refuse à la fois le plafonnement du nombre de Commissaires et la hiérarchisation de ceux-ci, alors même que nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'avoir une Commission forte et efficace. Il y a là un paradoxe dont il faut sortir. C'est essentiel pour l'avenir de l'Union, car la Commission est bien le pivot du système communautaire.

Sur la repondération des voix au Conseil, force est de constater qu'un partage existe entre les adeptes de la double majorité et ceux d'une véritable repondération, dont nous sommes. Mais cette question est étroitement liée à la précédente et ne pourra être réglée qu'en toute fin de négociation.

Sur l'extension du domaine de la majorité qualifiée, un très gros travail a été effectué et commence à porter ses fruits. La Commission a fait des propositions très constructives pour nous permettre d'avancer, tout en tenant compte des principales difficultés des délégations, y compris la nôtre. Ainsi, la liste des articles susceptibles de passer à la majorité qualifiée commence à devenir substantielle, même si rares sont encore les articles qui recueillent un consensus général. Au total, les résultats finaux pourront être satisfaisants, même s'il y a encore de gros obstacles à surmonter sur les sujets les plus difficiles, notamment la fiscalité.

Enfin, sur les coopérations renforcées, des échanges approfondis au niveau ministériel ont permis de surmonter les réticences de nombreux Etats, qui craignent qu'elles ne soient le moyen de mettre en place une Europe à deux vitesses, voire de faire l'économie de véritables avancées à Quinze sur le champ de la majorité qualifiée.

· Troisième grand dossier, la Charte des droits fondamentaux a, pour la Présidence française, une importance politique indiscutable : elle doit, pour la première fois, permettre de regrouper par écrit les principes fondamentaux auxquels les quinze Etats membres adhèrent et elle constitue donc l'acquis moral de l'Union, son référentiel de valeurs, qui sera ainsi codifié. Il convient de souligner la façon remarquable dont les travaux ont été conduits dans le cadre de la « Convention » présidée par M. Roman Herzog, à laquelle les parlementaires nationaux et les députés européens ont très activement participé. Le projet auquel elle est parvenue dès la fin du mois de juillet a fait l'objet de certaines retouches qui marquent d'indéniables progrès, et il doit être à nouveau soumis à la Convention les 25 et 26 septembre prochain, avant une séance solennelle d'approbation prévue le 2 octobre. A l'issue de cette séance, le projet de Charte devrait être remis officiellement à la Présidence française, afin de pouvoir être examiné et, si possible, adopté par les Chefs d'Etat et de Gouvernement, lors du Conseil européen de Biarritz, les 13 et 14 octobre. Les discussions les plus délicates ont porté sur l'insertion des droits économiques et sociaux, en raison de la réticence de quelques-uns de nos partenaires, le Royaume-Uni et la Suède. Mais les Britanniques sont venus récemment à de meilleurs sentiments en ce qui concerne les droits sociaux, les libertés syndicales et les droits culturels sans lesquels cette Charte, pour nous, n'aurait pas eu de sens. Au total, et sans préjuger des débats encore à venir au sein de la Convention, les Chefs d'Etat et de Gouvernement examineront à Biarritz un texte qui, tel qu'il se présente aujourd'hui, est à la fois très substantiel et assez équilibré.

· S'agissant de la question autrichienne, par-delà le satisfecit que le Gouvernement autrichien a voulu voir dans le rapport des trois Sages, ceux-ci sont parvenus à plusieurs conclusions importantes : d'abord, les mesures décidées et mises en _uvre par les Quatorze ont été fondamentalement utiles, mais leur maintien deviendrait « contre-productif » aujourd'hui ; surtout, le FPÖ est clairement qualifié de parti populiste de droite, aux caractéristiques extrémistes, comportant des éléments radicaux, et dont l'évolution politique demeure incertaine. Elles justifient donc le maintien d'une nécessaire « vigilance » à l'égard du comportement du FPÖ et de son influence dans la coalition et sur le Gouvernement autrichien. Pour les autorités françaises, en effet, il est clair que la situation de l'Autriche, après la décision des Quatorze, n'est pas pour autant « normalisée ». Le Gouvernement autrichien n'a pas reçu un blanc-seing dont il pourrait se prévaloir pour l'avenir. Il ne s'agit certes pas de placer l'Autriche, pas plus qu'un autre pays de l'Union, sous une forme de tutelle, mais bien de continuer le combat pour les valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés et qui constituent le socle de la démocratie européenne.

A cet égard, les Sages ont fait un certain nombre de recommandations : l'article 7 du Traité, qui prévoit d'ores et déjà un mécanisme de sanctions contre un Etat membre qui violerait gravement les principes fondateurs de l'Union, devrait être complété par un dispositif de surveillance préventive. Il serait en effet surprenant qu'au moment où l'Union s'apprête à proclamer la Charte des droits fondamentaux, elle laisse intacte cette question, qui est aussi importante que celle de la valeur juridique de la Charte.

· Cette présentation volontairement très sélective de l'évolution des principaux dossiers de notre Présidence ne doit pas faire oublier les autres dossiers qu'elle a ouverts et qui progressent bien également. Pour la mise en _uvre de la politique européenne de défense, M. Alain Richard invitera, le 22 septembre prochain à Ecouen, ses homologues de l'Union, ainsi que le Haut Représentant pour la PESC à participer à une réunion informelle consacrée au développement des objectifs de capacités militaires fixés par le Conseil européen d'Helsinki, pour préparer la Conférence d'engagement de capacités qui se tiendra le 20 novembre sous Présidence française. Concernant « l'Agenda social », un haut fonctionnaire du Ministère des affaires sociales effectue actuellement une tournée des capitales, destinée à préparer les travaux du Conseil Emploi-Social des 27 et 28 novembre prochain. S'agissant de la définition du programme de travail que nous souhaitons voir adopté à Nice, relatif à la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs, en vue de son adoption à Nice, un groupe à haut niveau, présidé par M. Jean Germain, travaille très activement et les ministres de l'Education réunis à Paris autour de M. Jack Lang, le 30 septembre prochain, donneront à ces premiers et excellents travaux les impulsions politiques encore nécessaires. La sécurité des transports, et plus particulièrement la sécurité des transports maritimes, est un dossier auquel M. Jean-Claude Gayssot consacre une grande part de son énergie. Enfin, la place du sport en Europe continue de mobiliser les efforts de Mme Marie-George Buffet.

L'exposé du ministre a donné lieu à un large débat.

Après avoir souligné la configuration originale de la Convention chargée d'élaborer la Charte des droits fondamentaux, M. François Loncle a souhaité présenter les ultimes difficultés de négociations qu'il suivait en tant que représentant de la France. Il a rappelé qu'il avait attiré l'attention du Président Roman Herzog sur les droits sociaux, les droits syndicaux, le droit de grève et les droits des minorités. Il a remercié le ministre délégué de son aide pour lever l'obstruction du Royaume-Uni au cours des discussions, obstruction qui n'avait pu être levée que grâce aux contacts bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni. Il a exprimé l'espoir que le Conseil européen adopte dans les délais prévus ce texte de référence, compte tenu des perspectives d'élargissement. Il a cependant tenu à souligner une difficulté majeure dans la rédaction du préambule de la Charte des droits fondamentaux, qui justifie l'élaboration de cette Charte : il semblerait que le deuxième paragraphe du projet de préambule évoque « l'héritage culturel, humaniste et religieux », alors que la référence aux religions n'a jamais figuré dans les textes fondamentaux de la République française.

M. Jean-Bernard Raimond a souhaité avoir des précisions complémentaires sur le clivage qui existerait entre petits et grands Etats de l'Union européenne à propos de la conférence intergouvernementale, ainsi que sur l'opinion de la Suède et de la Finlande à l'égard de la réforme des institutions, ces deux pays ayant renoncé au principe selon lequel la réforme des institutions européennes revêtirait un caractère préalable à l'élargissement. Il a souhaité connaître la position des pays candidats sur cette question.

Evoquant le thème des coopérations renforcées, M. Gérard Fuchs a demandé au ministre délégué si la question de la mobilité avait été réglée et quelle était la position actuelle des différents partenaires, notamment du Royaume-Uni. Rappelant qu'il avait présenté une classification des articles du traité en faisant ressortir ceux qui pourraient relever de la majorité qualifiée, il a souhaité savoir si l'état actuel des négociations permettait de se faire une idée précise sur ce point et sur celui de l'extension parallèle de la codécision.

M. Didier Boulaud a interrogé le ministre délégué sur l'état des discussions relatives aux services publics, en particulier en ce qui concerne la directive postale.

M. François Guillaume, après avoir souligné que la Présidence française avait de grandes ambitions dans des domaines multiples, s'est inquiété du nombre de questions non tranchées, qui ne semblaient pas déboucher sur des propositions concrètes. Il a ainsi considéré que les négociations sur l'élargissement de l'Union européenne se poursuivaient dans des conditions incertaines, des promesses similaires étant faites à tous les candidats, et que le risque était pris, en cas de limitation du format de la Commission, non seulement que les grands Etats renoncent à un deuxième poste de commissaire, mais acceptent de ne pas disposer de poste de commissaire pendant une période estimée à dix ans tous les vingt-cinq ans.

Evoquant la chute catastrophique de l'euro, il a rappelé la promesse de faire de celui-ci une devise internationale susceptible de concurrencer le dollar et évoqué le risque du renchérissement des matières premières, dont le pétrole que les pays européens paient en dollars, et de la possibilité pour les groupes américains d'acquérir à moindre coût des entreprises françaises. Il a exprimé le souhait que la Banque européenne prenne des décisions, avant de regretter que la France ne fasse aucune déclaration sur des sujets tels que l'augmentation de la production de pétrole de la part des pays de l'OPEP, la possibilité pour l'Irak de s'affranchir de la contrainte de production liée aux décisions de l'ONU « pétrole contre nourriture », ou de l'harmonisation de la fiscalité entre les différents pays européens. Il a donc demandé au ministre délégué quelle était la volonté de la France de faire progresser la réforme des institutions.

M. René André s'est demandé si les propos pessimistes du ministre délégué quant à l'issue du Conseil européen de Nice ne tendaient pas à préparer les esprits à une issue décevante des négociations de la CIG. Il lui a également demandé si la proximité du référendum au Danemark sur la monnaie unique avait pesé dans la décision prise par les Quinze de lever les sanctions contre l'Autriche. Il a enfin souhaité avoir des précisions sur la position française sur l'idée évoquée par M. Javier Solana de mieux coordonner les diplomaties nationales et sur le processus électoral en ex-Yougoslavie.

Mme Marie-Hélène Aubert a également souhaité avoir des précisions sur la situation au Kosovo et sur les difficultés de coordination entre les dispositifs d'aide.

Après avoir souligné le large consensus existant, à la fois au niveau de l'exécutif et entre les différents groupes politiques, sur les objectifs de la présidence française, le Président Alain Barrau s'est félicité que la France ait mis l'accent sur la nécessité de faire avancer le processus d'élargissement : il ne sera ainsi plus possible de dire, comme certains l'ont fait dans le passé, que la France insistait sur la réforme des institutions pour retarder l'élargissement.

Jugeant que le Conseil européen de Nice devait également définir des politiques nouvelles répondant aux préoccupations des citoyens, il a demandé au ministre délégué de faire le point sur la préparation du prochain Conseil « Affaires sociales », ainsi que sur la Politique étrangère et de sécurité commune, le sport, les transports et la mobilité des jeunes. Ayant estimé que la question de la pondération des voix lui semblait être celle la plus difficile à résoudre par la CIG, il s'est demandé si la France, en défendant le maintien de l'unanimité sur un nombre important de dispositions, n'apparaissait pas comme un des pays les plus réticents à une large extension du champ de la majorité qualifiée.

Répondant aux intervenants, le Ministre délégué a tenu tout d'abord à affirmer sa confiance dans l'euro, qui occupe déjà une très grande place dans les échanges.

Le processus d'élaboration de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - qui doit beaucoup aux travaux des représentants français à la Convention - devrait permettre l'adoption d'un texte de référence qui constituera un acquis très important. Des modifications doivent encore être apportées au projet élaboré par la Convention, notamment pour la question des minorités ou la référence à un héritage « religieux », adjectif auquel la France préférerait substituer celui de « spirituel ». Il conviendra ensuite d'assurer une très large diffusion du texte qui sera adopté auprès des organisations sociales, des associations et des citoyens.

A propos de la Conférence intergouvernementale, la déclaration répétée par le Gouvernement français - « pas d'accord plutôt qu'un mauvais accord » - n'est pas inspirée par un quelconque pessimisme quant à l'issue des négociations, mais par le souci volontariste de marquer auprès des Etats membres une volonté absolue de parvenir à un accord qui ne soit pas médiocre. S'agissant de l'extension de la majorité qualifiée, la France n'est pas le pays qui a l'approche la plus restrictive, mais elle soulève des problèmes qui tiennent à la compétence des parlements nationaux, à la nécessité de défendre un certain nombre d'exceptions dans le cadre des négociations commerciales internationales et au fait que de fortes réticences s'étaient déjà manifestées, lors de la ratification du traité d'Amsterdam, à propos de l'extension de la majorité qualifiée dans le domaine de la politique des visas. La délégation britannique est, quant à elle, fermée à l'égard d'une extension de la majorité qualifiée à la fiscalité ou à la protection sociale, sujets qui touchent, selon le ministre Robin Cook, à la souveraineté des Etats. On peut d'ailleurs attendre des Britanniques qu'ils compensent cette rigidité par une attitude plus souple sur la question des coopérations renforcées. Les cinq grands Etats membres ont une position homogène en faveur d'une réforme de la Commission européenne, mais les dix autres sont opposés au plafonnement du nombre de commissaires, comme à l'établissement d'une hiérarchie au sein de la Commission. La Suède et la Finlande ne sont pas parmi les Etats les plus hostiles à ces idées. Les pays candidats souhaitent naturellement qu'un traité soit conclu à Nice. La conférence ministérielle de Sochaux permettra d'avoir un échange avec les candidats sur ce sujet. Le plafonnement du nombre de commissaires suppose évidemment que l'on instaure une rotation entre les Etats pour l'attribution des postes de commissaires. La CIG envisage l'extension de la codécision à tous les actes législatifs mais il reste à définir ce qu'est un acte législatif en droit communautaire.

S'agissant de la levée des sanctions contre l'Autriche, le ministre délégué a reconnu que le front des Quatorze s'était fissuré pendant la Présidence portugaise. Les conclusions du groupe des Sages ont été ensuite décisives. C'est ce qui a déterminé les Danois à demander la levée des sanctions avant leur référendum sur l'euro, demande qui, dans ce contexte, n'a eu qu'un rôle marginal.

Les travaux communautaires sur les services publics progressent. La révision de la communication de 1996 sera examinée par le Conseil « marché intérieur » du 28 septembre, afin de parvenir éventuellement à un projet de texte dont la forme reste à définir. La proposition de la Commission relative à la directive postale n'est pas satisfaisante, car elle ne comporte pas d'étude d'impact et envisage de franchir de nouvelles étapes dans la libéralisation en 2003 puis en 2007.

Dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité commune, le Haut Représentant, M. Javier Solana, a proposé une réforme des programmes communautaires fondée sur le constat d'une efficacité insuffisante de l'action extérieure de l'Union. Son amélioration pourrait passer par une meilleure coordination entre le Conseil et la Commission. S'il est par ailleurs envisagé d'améliorer la coordination des actions diplomatiques des Quinze, il ne saurait s'agir d'une mise en commun.

A propos de la Serbie, le dernier Conseil « Affaires générales » a adressé un message au peuple serbe l'encourageant à rompre avec le régime de Slobodan Milosevic, ce qui permettrait à l'Union de lever les sanctions et de soutenir les réformes. Par ailleurs, l'initiative « Témoins de la paix » consiste à envoyer des parlementaires pour surveiller les élections du 24 septembre. Sur ce point, M. François Loncle a précisé que MM. Michel Vauzelle et Xavier de Villepin avaient été désignés au titre du Parlement français.

Le ministre délégué a estimé que la situation au Kosovo demeurait difficile, mais que l'action de l'Union européenne avait eu des résultats. Cette action est en cours d'adaptation, notamment à travers l'unification des instruments financiers communautaires. Il a ensuite exposé l'état d'avancement d'un certain nombre de dossiers pour lesquels il est encore prématuré d'établir un bilan de la présidence française. Pour ce qui est de l'agenda social, la mission confiée à M. Raoul Briet, Conseiller à la Cour des Comptes, doit déboucher sur un échéancier de textes à adopter ; dans le domaine des transports, outre des travaux sur la sécurité maritime, les voies ferroviaires, le projet « ciel ouvert européen » et l'harmonisation fiscale, un Conseil transports exceptionnel a été organisé le 20 septembre à l'initiative de M. Jean-Claude Gayssot sur la fiscalité de l'énergie. Enfin, pour la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs, un groupe de travail de haut niveau travaille sur un agenda de mesures permettant de lever tous les obstacles qui freinent cette mobilité.

II. Décision relative au dépôt d'une proposition de résolution sur la proposition de directive relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement (document E 1485 - Rapport d'information n° 2538 de Mme Marie-Hélène Aubert)

Avant de présenter sa proposition de résolution, Mme Marie-Hélène Aubert, rapporteure, a rappelé les événements qui s'étaient produits depuis l'examen de son rapport par la Délégation et retracé l'évolution de la procédure de révision de la directive en vigueur. Elle a souligné que le 13 juillet dernier, à la veille de la discussion organisée à l'initiative de Mme Dominique Voynet en ouverture du Conseil informel des ministres de l'environnement à Paris, la Commission européenne avait présenté aux Etats membres « une stratégie destinée à rétablir la confiance de la population dans la procédure d'autorisation des OGM ». Depuis octobre 1998, un moratoire de fait a été, en effet, appliqué sur les demandes de mise sur le marché d'OGM de sorte qu'aucun dossier n'a pu aboutir ; quatorze dossiers sont en attente. La rapporteure a précisé les trois types de mesures que la Commission avait proposé dans le cadre de sa stratégie : la mise en _uvre anticipée des dispositions principales de la directive n° 90/220/CEE révisée dans le cadre des autorisations individuelles octroyées sur la base de la directive n° 90/220/CEE existante ; des propositions relatives à l'étiquetage des OGM et des produits en contenant et à l'instauration d'un système de traçabilité des OGM pour l'automne 2000 ; l'accélération des travaux sur les dossiers connexes  (la responsabilité environnementale, la surveillance et l'étude des effets possibles à long terme sur la biodiversité, la poursuite de la recherche et la prise en compte des engagements internationaux dont le protocole biosécurité).

La rapporteure a ensuite évoqué le Conseil informel des ministres de l'environnement des 14, 15 et 16 juillet à Paris, au cours duquel une vive discussion a eu lieu sur l'utilité économique et sociale des OGM et les conditions de leur utilisation dans l'agriculture et l'alimentation. Le principal acquis du débat a été la reconnaissance par les ministres du fait que la révision de la directive n° 90/220/CEE était insuffisante bien que nécessaire et devrait être complétée par des mesures permettant un étiquetage fiable des OGM, afin de garantir au consommateur sa liberté de choix, un instrument juridique contraignant assurant la traçabilité des OGM et un cadre juridique harmonisé pour assurer la responsabilité des opérateurs pour les dommages causés par les OGM à l'environnement. En revanche, des divergences demeurent sur le calendrier et les conditions de la levée éventuelle du moratoire sur les autorisations de mise sur le marché d'OGM. La France, l'Italie, la Grèce, le Danemark et le Luxembourg ont estimé qu'aucune nouvelle autorisation ne devrait intervenir avant la mise en place d'un cadre juridique complet, conformément à leur déclaration de juin 1999. L'Allemagne a semblé partager cette position dans le contexte d'un moratoire national applicable jusqu'en 2003, sauf pour les activités de recherche effectuée par ses entreprises. Le Royaume-Uni, qui craint un contentieux à l'OMC, la Finlande et les Pays-Bas, ainsi que l'Espagne, ont soutenu la position de la Commission et le principe d'une mise en _uvre anticipée de la directive révisée sous la forme d'engagements des entreprises notifiantes dans les décisions d'autorisations.

La rapporteure a enfin évoqué le Conseil informel des ministres de l'agriculture à Biarritz du 3 au 5 septembre 2000 et rappelé que la position française sur les OGM, exposée dans un document de travail intitulé « Promouvoir le modèle alimentaire européen : diversité, qualité, sécurité », avait été jugée trop prudente par une majorité d'Etats membres.

S'agissant de l'état de la procédure de révision de la directive n° 90/220/CEE, elle a souligné que la procédure de conciliation avait été formellement ouverte le 15 septembre. Avant cette date, l'examen des amendements du Parlement européen en seconde lecture s'est poursuivi au sein du Coreper, pour aboutir à des compromis, qui ont finalement été trouvés, à l'exception de l'amendement relatif à la consignation dans des registres publics de la localisation des OGM cultivés. Une délégation du Parlement européen a commencé l'examen des ces compromis en vue de préparer la conciliation le 6 septembre 2000 : sur les neuf amendements examinés, le Parlement pourrait en accepter sept. Le premier comité de conciliation aura lieu le 8 ou le 9 novembre. Entre temps, la tenue de trilogues informels pour faire avancer les travaux est envisagée, le premier ayant lieu aujourd'hui même.

La rapporteure a ensuite rappelé les grands axes de sa proposition de résolution. Estimant que la révision de la directive 90/220/CE ne sera pas suffisante, mais devra être accompagnée par l'adoption de mesures complémentaires, cette proposition appelle à la mise en place d'un étiquetage clair des OGM, à l'instauration d'un mécanisme de traçabilité et à une réflexion approfondie sur l'instauration d'un mécanisme de responsabilité communautaire pour les dommages éventuels causés par les OGM. Elle demande en conséquence au Gouvernement de s'opposer à la mise sur le marché de tout OGM tant que ces dispositions ne seront pas mises en place.

A la suite d'un débat auquel ont participé M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, le Président Alain Barrau, Mme Nicole Feidt et MM. Gérard Fuchs, François Guillaume, Maurice Ligot, Jacques Myard et Joseph Parrenin, la Délégation a décidé de déposer la proposition de résolution suivante :

« L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive n° 90/220/CEE relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement du 23 février 1998 (COM(1998) 0085 final / E 1485) ;

- Vu l'avis du Parlement européen en première lecture du 11 février 1999 (R4-0024/1999) ;

- Vu la proposition modifiée de la Commission du 26 mars 1999 (COM(1999)0139 final) ;

- Vu la position commune n° 12/2000 arrêtée par le Conseil le 9 décembre 1999 (11216/1/1999) ;

- Vu la résolution du Parlement européen en seconde lecture du 12 avril 2000 (R5-0147/2000) ;

- Considérant que les organismes génétiquement modifiés sont susceptibles d'apporter des progrès mais aussi des risques pour la santé humaine et l'environnement et que leurs effets à long terme sont encore mal connus ;

- Considérant que les consommateurs se montrent de plus en plus exigeants quant à la qualité de leur alimentation ;

- Considérant en conséquence que l'encadrement communautaire des OGM doit être guidé par le principe de précaution, qui suppose, en l'occurrence, d'effectuer les recherches nécessaires pour réduire autant que possible les incertitudes existantes, quitte à ralentir le rythme de développement des OGM, et nécessite la mise en place de procédures permettant d'effectuer un véritable choix, réfléchi et lisible, mettant en balance les avantages et les inconvénients liés à l'introduction de chaque OGM ;

- Considérant également que le régime communautaire doit garantir la liberté de choix des consommateurs et la réparation de dommages susceptibles de résulter des OGM ;

- Considérant que la révision de la directive n° 90/220/CEE apparaît nécessaire, mais ne sera pas suffisante et devra être accompagnée de l'adoption de mesures complémentaires ;

1. Invite le Gouvernement à soutenir les dispositions relatives à la prise en compte des effets globaux liés à l'introduction des OGM en complément de l'évaluation au cas par cas et souhaite que les Etats membres puissent prendre en considération les effets socio-économiques probables de toute demande de commercialisation ;

2. Demande l'interdiction des OGM comprenant des gènes de résistance aux antibiotiques ;

3. Insiste sur la nécessité de prévoir que les autorisations de mise sur le marché d'OGM contiennent des dispositions spécifiques pour éviter la dissémination par flux de gènes ;

4. Regrette que le dispositif communautaire d'étiquetage des OGM et des produits dérivés demeure lacunaire et souhaite l'adoption d'un texte fixant les grands principes et rendant cohérentes les différentes approches retenues afin de garantir l'information transparente et ainsi la liberté de choix des consommateurs ;

5. Demande au Gouvernement d'obtenir l'instauration d'un mécanisme de traçabilité des OGM permettant d'assurer la fiabilité de l'étiquetage et la surveillance des effets éventuels des OGM sur la santé humaine et sur l'environnement ;

6. Appelle à une réflexion approfondie sur l'instauration d'un régime communautaire de responsabilité pour les dommages éventuels causés par les OGM ;

7. Demande au Gouvernement de s'opposer à la mise sur le marché de tout OGM tant que le dispositif communautaire d'encadrement des OGM ne garantira pas leur étiquetage et leur traçabilité et ne permettra pas la réparation des dommages susceptibles d'en résulter ;

8. Demande au Gouvernement d'_uvrer à une meilleure articulation entre les textes communautaires et les textes internationaux concernant la biodiversité et la biosécurité ;

9. Demande au Gouvernement un effort accru en faveur de la recherche publique concernant les avantages et les risques sanitaires et environnementaux liés aux OGM et les alternatives possibles. »

Au cours de ce débat, M. François Guillaume a déploré que la proposition de résolution élaborée par Mme Marie-Hélène Aubert ait été incluse dans son rapport d'information alors que la Délégation n'avait pas encore statué sur ce texte. Il a, en outre, regretté que le parti politique auquel appartient la rapporteure ait apporté son soutien à ceux qui ont détruit des essais de l'INRA : cela constitue à ses yeux un précédent grave, lourd de conséquences pour l'avenir.

Le Président Alain Barrau lui a indiqué que l'impression de la proposition de résolution dans le rapport ne laissait subsister aucune ambiguïté sur le fait qu'il s'agissait, à ce stade, d'une proposition de la seule rapporteure. De surcroît, le caractère provisoire de ce texte était clairement indiqué dans ledit rapport et résulte également du fait que la Délégation ait inscrit à l'ordre du jour de sa première réunion de septembre la décision de déposer cette proposition de résolution. Celle-ci sera transmise pour examen à la commission permanente compétente avant de devenir définitive, le cas échéant après un débat en séance publique.

S'agissant des considérants, la Délégation, à l'initiative de M. Gérard Fuchs, a ajouté au premier considérant que les OGM sont susceptibles « d'apporter des progrès ». Le deuxième considérant a également été modifié après l'adoption de deux amendements présentés respectivement par MM. Gérard Fuchs et Joseph Parrenin, tendant, pour le premier, à supprimer la formule « les avantages des OGM pour l'agriculture européenne sont incertains » et, pour le second, à faire état, au lieu des réticences des consommateurs, de leur exigence quant à la qualité de leur alimentation.

S'agissant du dispositif de la proposition de résolution, après l'adoption du point 1, la Délégation a adopté au point 2, un amendement de M. Gérard Fuchs, tendant à retirer du texte la demande de suppression des dispositions relatives à l'introduction de procédures différenciées pour la mise sur le marché des OGM.

Sur le point 3, la Délégation a, à l'initiative de MM Gérard Fuchs et François Guillaume, substitué à l'expression « contamination par flux de gènes », celle de « dissémination par flux de gènes ».

Sur le point 4, relatif à l'étiquetage des OGM, elle a établi, à l'initiative de MM. Joseph Parrenin et René André et après les observations de M. Gérard Fuchs, un lien entre l'information transparente et la liberté de choix des consommateurs.

Le point 5 de la proposition de résolution, demandant au Gouvernement d'obtenir l'instauration d'un mécanisme de traçabilité des OGM a été adopté, après que M. Jacques Myard eut de nouveau déploré que ce souhait traduise la présomption négative qui inspire l'ensemble de la proposition et que la rapporteure eut fait valoir au contraire qu'il procédait d'une simple attitude de prudence.

Intervenant contre le point 6 de la proposition, qui appelle à une réflexion approfondie sur l'instauration d'un régime communautaire de responsabilité pour les dommages causés par les OGM, M. Jacques Myard a estimé que la mise en place par les Etats membres d'une loi uniforme, de fond et de procédure, sur la responsabilité, à laquelle ce souhait semblait renvoyer, serait une entreprise longue et ardue, et que le droit international privé contenait en son état actuel toutes les dispositions nécessaires à la solution de ces problèmes.

M. René André s'étant interrogé sur l'opportunité d'établir pour les OGM ce qui peut apparaître comme un régime dérogatoire de responsabilité, la rapporteure a rappelé que l'incohérence des décisions prises en la matière par les Etats membres portait atteinte à la libre circulation sur le territoire de la Communauté des OGM et qu'il était donc justifié, pour assurer concrètement le respect de ce principe, d'envisager des procédures communes à l'ensemble des Etats membres. Elle a estimé que la mise en place d'un régime communautaire de responsabilité était la suite logique de la démarche alors engagée et qu'elle s'imposait, de surcroît, compte tenu de l'incertitude qui demeurait, dans les milieux scientifiques, sur les effets des OGM à moyen et à long terme.

La rapporteure , rejointe par M. René André, a proposé, par coordination avec les décisions antérieures de la Délégation, de modifier la rédaction initiale du point 6 pour renvoyer aux « éventuels » dommages ainsi causés.

Au point 9, souhaitant le renforcement de la recherche publique sur les risques sanitaires et environnementaux liés aux OGM et les alternatives possibles, la Délégation a adopté un amendement de M. Gérard Fuchs demandant que la recherche porte aussi bien sur les avantages que sur les risques.