DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 131

Réunion du mercredi 6 décembre 2000 à 10 heures 45

Présidence de M. Alain Barrau,
Président de la Délégation pour l'Union européenne
et de M. François Loncle,
Président de la Commission des affaires étrangères

Audition commune avec la Commission des affaires étrangères de M. Jean-Claude Trichet, Gouverneur de la Banque de France

Après s'être réjoui que l'audition de M. Jean-Claude Trichet ait lieu à un moment important de l'évolution de l'Europe monétaire, marqué par le redressement de la monnaie européenne, le Président François Loncle lui a fait part de l'interrogation qu'inspirait à de nombreux parlementaires une certaine tendance à l'arrogance qui caractérise parfois le comportement de certains banquiers centraux vis-à-vis des hommes politiques et des acteurs socio-économiques. Dans ces conditions, on ne doit pas s'étonner de la réaction suscitée par les récents et regrettables dérapages verbaux du président de la Banque centrale européenne (BCE). Les responsables politiques sont tous fondamentalement attachés, en effet, à la bonne santé et à la compétitivité de l'euro, qui est désormais notre monnaie commune. Les conclusions du Conseil européen de Nice et la désignation, que l'on peut désormais espérer prochaine, du nouveau président des Etats-Unis contribueront à lever deux facteurs d'incertitude dans le paysage monétaire.

Le Président François Loncle a conclu son propos en soulignant que les parlementaires, à un an de l'entrée dans l'euro fiduciaire, se préoccupaient particulièrement des conditions dans lesquelles serait réalisée l'opération de changement effectif de monnaie pour les particuliers.

M. Jean-Claude Trichet a tout d'abord rendu hommage aux qualités éminentes du Président Wim Duisenberg, qui est un remarquable président. Il a rappelé que le Conseil des gouverneurs du Système européen de Banques centrales avait exprimé unanimement et chaleureusement son soutien au Président Duisenberg qui exprime la position de l'ensemble du Conseil des gouverneurs.

Le Gouverneur de la Banque de France a ensuite mis en garde contre un défaut de perception largement répandu conduisant à un contresens sur ce qu'est effectivement l'Eurosystème. L'Eurosystème, c'est-à-dire l'ensemble constitué par la Banque centrale européenne et par les onze - et bientôt douze Banques centrales nationales, fonctionne comme une équipe de football dont la BCE serait l'entraîneur, mettant au point stratégie et tactique, et les banques centrales nationales les joueurs, qui préparent les décisions de la BCE et mettent en _uvre la politique monétaire unique de l'Europe. L'Eurosystème définit et applique une politique monétaire unique, et fonctionne selon un mode très déconcentré.

M. Jean-Claude Trichet a ensuite réfuté les critiques adressées à la communication de la BCE par certains médias qui donnent volontiers en exemple la communication des autres grandes banques centrales. En vérité, le parti pris par le Conseil des gouverneurs de la BCE de publier à intervalles réguliers, en temps réel, un diagnostic précis sur la situation de l'euro à partir du 1er janvier 1999, a été imité, sous la pression des investisseurs, par une autre grande banque centrale amie, qui publiait auparavant le résultat de ses délibérations avec un décalage de cinq à six semaines. Le choix de la communication en temps réel volontairement fait par la BCE permet à chacun des membres du Conseil des gouverneurs de défendre simultanément, dans un espace de 300 millions d'habitants possédant neuf - et bientôt dix - langues, et en tenant compte des particularités nationales de la communication, une analyse commune, alors qu'une communication décalée aurait créé un risque de contradiction.

Abordant les conditions dans lesquelles notre pays avait préparé la mise en place de l'Union monétaire, M. Jean-Claude Trichet a rappelé qu'au prix d'un effort soutenu par l'ensemble des sensibilités politiques de notre pays, la France, partie d'une situation médiocre, était arrivée au meilleur niveau de crédibilité monétaire en Europe, avec une faible inflation, entraînant une faible hausse du coût unitaire de production, et avec les taux d'intérêt à long terme les plus bas d'Europe, ex-aequo avec les Pays-Bas, la situant au troisième rang dans le monde. L'amélioration totale de la compétitivité-coût de l'industrie française par rapport à l'ensemble de la zone euro est de 13,6 % depuis 1987 d'après les données de l'OCDE. Les résultats externes excellents et l'amélioration notable de la croissance interne attestent cette amélioration substantielle de notre compétitivité.

Au moment de la mise en place de l'Union économique et monétaire, on pouvait constater encore un écart de crédibilité et de confiance monétaire en Europe entre les monnaies les plus solides, dont la nôtre, et un certain nombre d'autres en voie de convergence vers les meilleures. Le tour de force de l'euro a consisté à aligner la crédibilité de l'ensemble des monnaies intégrées dans l'euro sur le meilleur niveau de confiance monétaire, alors que les observateurs financiers internationaux s'attendaient plutôt à une convergence vers la « moyenne arithmétique » des crédibilités et des confiances monétaires.

On peut donc considérer que la Banque de France a réussi, avec les autres Banques centrales partenaires, à transmettre à l'euro le plein héritage de la crédibilité du franc, de sorte que les Français ont continué à bénéficier d'un environnement financier favorable lors du passage du franc à l'euro. Une telle évolution n'était pas évidente à l'origine, même si elle était manifestement conforme aux intentions des signataires du traité de Maastricht.

La conservation d'un tel capital de confiance est de l'intérêt bien compris de tous les pays membres de la zone euro et l'intention du conseil des gouverneurs de la BCE est bien de faire fructifier cet héritage. Pour en mesurer la valeur, il faut se rappeler que le niveau des taux d'intérêt à long terme du franc n'est passé en dessous du taux équivalent du dollar qu'en 1996-1997, alors qu'il était resté constamment plus élevé depuis la première guerre mondiale. Le taux d'intérêt à long terme de l'euro est aujourd'hui, lui aussi, inférieur au même taux par rapport au dollar ; la persistance d'une telle relation favorable dépend bien entendu du jugement que portent sur la crédibilité de la monnaie européenne les épargnants et les investisseurs présents sur les marchés mondiaux.

M. Jean-Claude Trichet a ensuite répondu à la question du Président François Loncle sur la préparation à l'euro fiduciaire.

Il a indiqué que la responsabilité en était partagée entre le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et la Banque de France. La Banque, sous la responsabilité de M. Hervé Hannoun, Sous-gouverneur, a en charge plus particulièrement la préparation des banques commerciales et de l'ensemble des établissements de crédit et des institutions de marché : introduction des carnets de chèques libellés en euros dans la seconde partie de 2001, généralisation de l'utilisation de la monnaie scripturale en euro au deuxième semestre 2001, échange des anciens signes monétaires, pièces et billets, avec les nouveaux. Le ministre a la responsabilité de la préparation de l'ensemble du pays, entreprises, particuliers, à travers, notamment, le comité national de l'euro qu'il préside. Bien entendu, ce travail se fait de manière coordonnée, avec de fréquentes rencontres de mise au point.

Parmi les sujets qui méritent une attention plus soutenue, le Gouverneur a notamment cité :

- la situation des PME non exportatrices, encore psychologiquement en retard parce que leur activité, éloignée des marchés internationaux, ne les met pas à même d'apprécier l'utilité de basculer leurs comptes vers l'euro. Une action de communication spécifique est conduite dans leur direction avec le concours des succursales de la Banque de France et des institutions consulaires ;

- la préparation, qui est du ressort du pouvoir exécutif, de catégories de personnes démunies ou très âgées dont on peut penser qu'elles connaîtront des problèmes d'adaptation spécifiques.

Il faut convenir que l'introduction de la monnaie scripturale unique ressemble beaucoup au franchissement collectif d'une frontière, à un voyage vers l'Union monétaire de l'Europe.

M. Jean-Claude Trichet a ensuite évoqué les campagnes de communication à destination du grand public qui vont être lancées sous la responsabilité de la BCE et des Banques centrales nationales pour familiariser la population avec l'utilisation de nouveaux billets de banque, favoriser l'apprentissage des signes de sécurité, accoutumer chacun aux nouveaux signes monétaires. Ces campagnes commenceront à la rentrée 2001, pour ne pas créer précocement une demande de nouveaux signes monétaires qui ne pourrait être satisfaite, ni susciter une frustration dont certaines réactions de l'opinion au début de l'introduction de l'euro, en 1999, ont été la préfiguration.

Il a enfin rappelé que, sur sa proposition, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie avait fixé au 17 février 2002, à minuit, la fin de la période d'utilisation simultanée des espèces libellées en monnaies nationales et des espèces libellées en euros et que les anciens billets pourraient être échangés jusqu'à la fin du mois de juin aux guichets des banques commerciales et pendant dix ans, selon le droit commun, aux guichets de la Banque de France.

Après avoir indiqué que la Délégation envisageait de travailler, l'année prochaine, en priorité sur la mise en _uvre de l'euro ainsi que sur l'évaluation de la présidence française et l'élargissement, le Président Alain Barrau a souhaité connaître l'appréciation de M. Trichet sur les décisions prises par le Conseil en matière de fiscalité de l'épargne et d'agenda social européen ainsi que sur l'état des relations entre le Conseil Ecofin, l'Eurogroupe et le Conseil des gouverneurs. S'agissant du contrôle de l'Union monétaire par les parlements nationaux, il a demandé si le Président de la BCE souhaitait s'en tenir à des auditions devant les commissions du Parlement européen ou s'il pourrait accepter à l'avenir d'être entendu également par les commissions des Parlements des Etats membres.

M. Jean-Claude Trichet s'est déclaré favorable au processus de convergence en cours dans les domaines fiscal et social qui doit amener les pays dont le niveau de dépenses publiques est élevé à se rapprocher progressivement de ceux dont les frais généraux sont moins élevés. Dans un espace de monnaie et de marché uniques, il faut éviter que le fonctionnement de l'économie et la localisation des activités ne dépendent de considérations fiscales ou sociales, comme on peut parfois malheureusement l'observer avec le départ vers le Royaume-Uni d'emplois dans les services financiers à haute valeur ajoutée. En outre, il semble exclu que des pays européens qui ont des frais généraux très inférieurs aux nôtres soient prêts à harmoniser leur fiscalité vers le haut et à dégager des excédents budgétaires considérables, représentant jusqu'à 10 % du PIB. Comme le dit le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la réduction de la dépense publique est un élément de la convergence.

Les relations entre le Conseil Ecofin, l'Eurogroupe et le Conseil des gouverneurs sont bonnes et il n'y a pas de conflit entre ces instances : le Président de la BCE participe aux réunions du Conseil Ecofin et de l'Eurogroupe. Les membres du Conseil Ecofin et l'ensemble des gouverneurs des banques centrales se réunissent deux fois par an. Le Président de l'Ecofin est invité, comme le commissaire compétent, à toutes les réunions du Conseil des gouverneurs de la BCE Il faut savoir par ailleurs que l'Union économique et monétaire se caractérise par un niveau élevé d'union politique et que, contrairement à certaines critiques, il n'y a pas de déséquilibre, de ce point de vue, entre le volet monétaire et le domaine budgétaire. C'est ainsi que le Conseil, c'est-à-dire le collège des Gouvernements nationaux, dispose d'un pouvoir de sanctions, dans le domaine budgétaire pour les politiques des Etats membres, qui n'a pas d'équivalent dans les fédérations ou confédérations actuelles.

S'agissant du rôle des parlements nationaux, M. Jean-Claude Trichet a tenu à rappeler que le Conseil des gouverneurs était une instance collégiale dans laquelle chaque membre disposait d'une voix et qu'il était, à ce titre, à même d'expliquer les décisions prises par cette instance au Parlement français comme M. Wim Duisenberg le faisait au Parlement européen et tous les autres collègues, chacun dans leurs pays à leurs propres Parlements. La solution du Traité paraît être la bonne qui adopte la règle suivant laquelle le Président de la Banque centrale européenne rend compte des activités de la BCE devant le Parlement européen, tandis que le Gouverneur de la Banque centrale nationale est en contact avec le Parlement national.

M. Roland Blum a souhaité savoir si la politique monétaire unique pourrait jouer un rôle positif en faveur du plein emploi dans les dix prochaines années.

M. Jacques Myard a demandé à M. Jean-Claude Trichet ce que lui inspiraient les déclarations récentes de M. Duisenberg sur le succès de l'euro. Il a ensuite contesté la corrélation établie par le Gouverneur de la Banque de France entre l'euro et la croissance, alors que le Royaume-Uni et le Danemark ont connu une croissance aussi soutenue. Il a par ailleurs estimé que l'introduction de la monnaie unique était prématurée dans la mesure où les Européens n'ont pas encore la perception d'un destin commun. Au sujet de la délocalisation vers le Royaume-Uni de certains emplois, il a insisté sur la nécessité de prendre en compte l'ensemble des coûts indirects en résultant pour les salariés concernés, compte tenu notamment du niveau des loyers et des différences en matière de couverture sociale. Enfin, il a estimé que l'accroissement du chômage durant les années 90 avait été le résultat direct de la politique menée à l'époque au nom de la monnaie unique.

M. Pierre Lequiller a interrogé M. Jean-Claude Trichet sur l'indépendance de la BCE, la façon dont sont prises les décisions au sein du Conseil des gouverneurs et sur les perspectives d'entrée dans l'euro des trois Etats membres de l'Union qui en sont encore à l'écart.

M. François Guillaume s'est inquiété de la parité actuelle de l'euro par rapport au dollar. Considérant que les prétendus avantages d'une telle situation sont moindres que ses inconvénients, il a fustigé les apôtres du franc fort convertis en apôtres de l'euro faible et demandé à M. Trichet quelles mesures envisageait la BCE pour que la parité entre le dollar et l'euro s'établisse à un niveau convenable. Enfin, il a souhaité connaître son appréciation sur la situation budgétaire française, caractérisée par un fort déficit qui ne diminue pas contrairement à l'amélioration observée dans d'autres Etats membres, et sur la possibilité pour la France de respecter un équilibre budgétaire en 2003.

M. Jean-Claude Trichet a répondu tout d'abord que la politique monétaire unique jouait un rôle très positif en faveur de l'emploi. En effet, la monnaie unique a supprimé les risques de change intraeuropéens qui constituaient un frein au développement de l'activité des entreprises et aux investissements en Europe. Elle a par là même supprimé les primes de risque résultant des différences de taux d'intérêt entre les monnaies européennes, qui constituaient des entraves au développement du marché unique. La politique monétaire unique, fondée sur la stabilité des prix conformément aux choix politiques qui ont été successivement faits pour garantir l'indépendance de la Banque de France et créer l'euro, est favorable à la croissance et a amélioré la compétitivité des économies européennes. Elle doit cependant naturellement être complétée par des réformes structurelles, comme aux Pays-Bas où celles-ci ont permis de diminuer le taux de chômage de plus de 10 % à moins de 4 % avec la même politique monétaire qu'en France. M. Jean-Claude Trichet a ensuite insisté sur la conviction, partagée par l'ensemble des membres du Conseil des gouverneurs, que l'euro est un succès et permet aux pays européens de disposer d'une zone économique optimale. En rétablissant une stabilité monétaire entre Européens et en élargissant la vision des décideurs, la monnaie unique est la condition nécessaire d'un véritable marché unique et contribue de façon très substantielle à la prospérité des pays européens.

Par ailleurs, les salariés, les industriels ou les détenteurs de capitaux qui s'expatrient dans d'autres pays exercent un libre choix et prennent en compte un ensemble des considérations économiques et fiscales de toute nature. Cette liberté totale donnée aux acteurs économiques est encore récente, mais l'intérêt bien compris de la France comme des autres pays est de s'adapter rapidement aux nouvelles règles du jeu économique fixées dans les années 1980 et 1990, de façon à améliorer encore leurs performances.

Après avoir affirmé que l'eurosystème dont la BCE constitue le noyau est totalement indépendant, il a indiqué que les membres du Conseil des gouverneurs étaient convenus de ne pas donner de précisions sur la façon dont ils prennent leurs décisions, de façon à ne pas pouvoir donner prise à des interprétations nationalistes qui seraient naturellement erronées. Il ne faut pas oublier que les membres du Conseil des gouverneurs doivent prendre en compte l'intérêt supérieur de la zone euro tout entière.

S'agissant de l'entrée dans le système de la monnaie unique des Etats membres qui n'en font pas encore partie, il a considéré que le Royaume-Uni, qui était le bienvenu dans la zone, y adhérerait probablement plus vite qu'on ne le pense généralement, qu'il serait sans doute précédé par la Suède et que le cas du Danemark, déjà monétairement intégré, était très particulier.

Enfin, il existe au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE un consensus en faveur de la réduction des dépenses publiques et des déficits budgétaires, qui constitue l'un des moyens pour cumuler croissance robuste et durable, création d'emplois et diminution du chômage. Il reste qu'en France, contrairement à certains autres pays, l'opinion n'en est malheureusement pas encore pleinement convaincue. Ceci rend particulièrement important le rôle pédagogique joué par l'explication économique en ce domaine, l'exécutif français étant conduit à tenir compte d'une opinion non encore convaincue.

M. Hervé de Charette a demandé à M. Jean-Claude Trichet quelles étaient, selon lui, les perspectives de la croissance économique européenne dans les dix-huit mois à venir. S'agissant du passage à l'euro en 2002, il s'est étonné du manque d'information et de mobilisation des pouvoirs publics sur ses conséquences pratiques. Par ailleurs, dans la perspective de l'élargissement, il a souhaité savoir si l'écart entre le nombre des pays membres de l'Union et l'Eurogroupe était susceptible de s'accroître ou de diminuer et s'il risquait d'aboutir à la constitution de deux Europe, celle de l'Union européenne et celle de l'Eurogroupe. Enfin, il a souhaité obtenir des précisions sur les perspectives de création d'une autorité européenne de régulation des marchés boursiers et sur les chances d'instituer son siège à Paris.

Après avoir souligné les coûts indirects auxquels sont confrontés les cadres français s'installant outre-Manche, M. Joseph Parrenin a estimé dangereux de parler de convergence des dépenses publiques sans parler de convergence des politiques publiques, notamment dans les domaines de la protection sociale et de l'aménagement du territoire.

Déclarant partager la position exprimée par M. Jacques Myard, M. Georges Hage a rappelé que le traité de Maastricht, adopté de justesse grâce, notamment, à la position équivoque de certaines mouvances politiques d'extrême-gauche, était d'une légitimité douteuse. Il a estimé que le discours de M. Jean-Claude Trichet sur le marché et la monnaie uniques revenait à délivrer un sermon sur le bonheur qui attend les 300 millions de consommateurs européens et à transformer l'ère de l'euro en une sorte de béatitude laïque et contemporaine.

M. Charles Ehrmann a rappelé que, depuis la fin de la Première guerre mondiale, la France a souvent été considérée comme le pays du déficit commercial et de la monnaie faible et que la mise en place de l'euro a largement contribué à gommer cette image négative. Il a jugé que l'adoption à une courte majorité du traité de Maastricht ne le discréditait pas pour autant et rappelé qu'il a suffi d'une voix de majorité pour imposer le régime républicain en 1875. Il a estimé enfin que l'euro était un important facteur de paix en Europe, même s'il est vrai qu'il peut poser des problèmes d'adaptation à certains pays comme la Grèce.

Mme Béatrice Marre a considéré qu'on ne pouvait aligner vers le bas les systèmes sociaux au nom de la réduction des dépenses publiques. Il conviendrait plutôt que les pays les moins avancés dans le domaine social s'alignent sur les meilleurs. Elle a, par ailleurs, demandé comment étaient associés les pays candidats au sein de l'Eurogroupe et comment se réalisait la convergence entre les positions des Onze ou des Quinze vis-à-vis des grandes institutions financières internationales.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Claude Trichet a apporté les précisions suivantes :

- les projections du staff de la BCE et des Banques centrales nationales sur la croissance économique de l'Europe seront prochainement publiées. Ceci sera fait prochainement par M. Duisenberg au non de l'Eurosystème. Selon les estimations actuelles du FMI et de l'OCDE, le taux de croissance de l'Europe sera robuste, un peu supérieur à 3 % en 2001 et 2002 ;

- s'agissant du passage à l'euro, le fait qu'aucune campagne n'ait été encore engagée en direction du public peut expliquer un sentiment d'inquiétude, bien qu'il faille éviter d'agir trop longtemps à l'avance pour ne pas susciter la frustration de nos concitoyens. Il est préférable de sensibiliser davantage les entreprises que les ménages, car elles n'ont pas encore toutes, en particulier les PME-PMI non exportatrices, pris conscience de la nécessité d'être prêtes avant le 1er janvier 2002 ;

- l'entrée de plusieurs pays candidats au cours de la période 2002-2010 constitue un enjeu énorme. Le vif désir des Etats d'Europe centrale et orientale d'adhérer à l'Union impose, dans leur propre intérêt, de les y préparer avec soin en insistant sur la nécessité de respecter l'acquis communautaire et d'appliquer strictement les critères de convergence du traité de Maastricht ;

- il n'y aura pas, dans la zone euro, de convergence totale entre politiques publiques et dépenses publiques, en raison des différences culturelles et des conceptions diverses sur le partage du revenu entre salaires directs et indirects. Toutefois, dans un espace économique totalement ouvert dans lequel les Européens comme les étrangers ont la liberté totale d'investir, de se déplacer et de déplacer leurs capitaux, il ne saurait exister de différences trop significatives sauf à pénaliser très gravement les économies à dépenses publiques et donc à fiscalité élevées. Il importe d'y veiller afin d'éviter, par exemple, que les services à haute valeur ajoutée dont le rôle économique est décisif s'installent non pas en France, mais ailleurs en Europe ou dans le monde, avec le risque d'une moindre croissance, d'une moindre création d'emplois et d'une lutte moins efficace contre le chômage ;

- il n'est pas nécessaire d'instaurer une autorité unique de régulation des marchés boursiers européens. Conformément au rapport Lamfalussy, il serait préférable d'unifier les règles et de préserver le caractère décentralisé de leur application tout en favorisant la coopération entre les différentes commissions des opérations de bourse. Il convient de noter qu'à l'initiative de la COB, une réunion assurant la coopération entre les autorités de surveillance boursière des différents Etats membres a été instituée ;

- la mise en place de l'euro constitue un succès non seulement économique, monétaire et financier, mais aussi une avancée historique dans la perspective de la consolidation de la paix et de la démocratie en Europe. En tant que citoyen, on ne peut que partager largement les analyses historiques émouvantes du doyen Charles Ehrmann. L'unification de l'ensemble de l'Europe sur la base d'un concept de prospérité économique et de démocratie politique constitue une perspective historique enthousiasmante ;

- les Etats membres souhaitent conserver une représentation propre au sein des institutions financières internationales, mais ils unifient souvent leurs positions aussi bien dans ces institutions que dans les arrangements plus informels comme le G7, dans le cadre duquel, sur le sujet monétaire, l'Eurogroupe parle avec une seule voix comme l'Eurosystème lui-même.

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