DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 137

Réunion du mercredi 31 janvier à 9 heures 30

Présidence de M. Alain Barrau

Examen du rapport d'information de M. Alain Barrau sur le bilan de la présidence française de l'Union européenne

Après avoir indiqué qu'il n'entendait pas proposer à la Délégation l'adoption de conclusions sur le bilan de la présidence française, le Président Alain Barrau a tenu à souligner que ce rapport se voulait un rapport engagé qui réagisse aux commentaires critiques, souvent excessifs, portés sur la présidence française. Il apparaît en effet que, même si les résultats acquis en matière institutionnelle ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions, cette présidence aura été très dense et aura obtenu des résultats positifs, souvent remarquables, dans des domaines essentiels pour la cohésion économique et sociale de l'Union et sa capacité à répondre aux préoccupations des citoyens : l'adoption de l'Agenda social européen, qui est un programme de travail sur cinq ans dans des domaines aussi variés que la qualité de l'emploi, la lutte contre l'exclusion, la modernisation de la protection sociale ou la promotion de l'égalité hommes-femmes ; l'accord intervenu sur le paquet fiscal, en négociation depuis près de trois ans, qui constitue une avancée substantielle dans la voie d'une harmonisation fiscale ; les décisions importantes prises pour renforcer la sécurité maritime ; les progrès réalisés en matière de défense, qui marquent une évolution considérable si l'on veut bien se souvenir que, pendant quarante ans, l'Europe a fait du surplace dans ce domaine ; l'accord intervenu sur le projet de statut de la société européenne qui clôt des négociations en cours depuis trente ans !

S'interrogeant sur les raisons pour lesquelles la présidence française a suscité une telle vague de critiques - sauf dans les pays candidats qui se sont au contraire félicités de la conclusion de la réforme institutionnelle - le Président Alain Barrau a mis en valeur le débat lancé par le ministre allemand des affaires étrangères, Joschka Fisher, sur l'avenir institutionnel de l'Union, qui a eu pour effet de faire apparaître les sujets à l'ordre du jour de la CIG comme des questions accessoires - alors que les décisions prises à Nice sont essentielles pour améliorer le fonctionnement des institutions dans la perspective de l'élargissement. Par ailleurs, la très forte médiatisation des débats de Nice a conduit à focaliser l'attention des observateurs sur les aspects les plus conflictuels des discussions - comme celui de la pondération des voix. Enfin, il faut regretter le mauvais fonctionnement de la relation franco-allemande et les incompréhensions réciproques entre les deux pays sur leur poids respectif au Conseil.

Abordant les différents éléments du traité de Nice, le rapporteur a relevé que la solution retenue pour le nombre de commissaires faisait peser le risque d'une renationalisation de la Commission et que le principe d'un plafonnement à terme n'était pas sans faiblesses, le 27ème Etat membre risquant de réclamer la présence d'un de ses nationaux dans le collège au moment de son entrée dans l'Union. Si le vote à la majorité qualifiée connaît une extension moins ample qu'envisagée initialement, le droit de veto recule de façon notable. De même, le système de repondération, bien que complexe et peu lisible, permet de mieux prendre en compte le poids démographique des Etats. Il faut enfin se féliciter de l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées qui permet à un groupe d'Etats de poursuivre l'intégration dans une série de domaines.

Après avoir indiqué que le traité de Nice ne laisse aucun « reliquat », de même qu'il ne prévoit aucune « dérogation », le Président Alain Barrau s'est félicité qu'ait été levé le préalable institutionnel à l'élargissement.

Il a conclu son propos en souhaitant que le Parlement français participe pleinement au débat qui va s'ouvrir sur l'architecture institutionnelle d'une Union élargie et puisse faire des propositions constructives sur le rôle des parlements nationaux qui constituera l'un des thèmes de la prochaine Conférence intergouvernementale de 2004. Il a enfin souhaité que le traité de Nice fasse l'objet d'une ratification rapide.

M. Pierre Lequiller a globalement approuvé le rapport présenté par le Président Alain Barrau. Il a estimé qu'il était en effet utile pour l'avenir de chercher à faire un bilan objectif du traité de Nice ; et il a considéré que ce traité avait permis d'aboutir à au moins deux résultats très satisfaisants : d'abord, les perspectives concrètes et rapides d'adhésion offertes aux pays d'Europe centrale et orientale, qui devraient permettre de mieux garantir la paix sur le continent européen ; ensuite, l'amélioration du dispositif de coopérations renforcées, dont l'importance a été sous-estimée et qui est complémentaire de l'élargissement. Il a, à cet égard, marqué sa différence avec le Président Alain Barrau en estimant que l'élargissement ne comportait pas un risque de dilution, mais bien une certitude de dilution de l'Europe. Cela justifie d'autant plus, à ses yeux, de recourir à des coopérations renforcées dans un certain nombre de domaines, tels que la défense. Selon lui, la distinction faite par M. Valéry Giscard d'Estaing entre l'Europe espace - constituée d'un nombre déterminé d'Etats - et l'Europe puissance - caractérisée par l'action de tout ou partie de ces Etats dans certains secteurs - est plus vraie que jamais.

M. Pierre Lequiller a déclaré que ce n'est pas le contenu de l'accord qui était inquiétant mais bien l'atmosphère ayant entouré sa discussion. Il est, en effet, heureux d'avoir abouti à un accord, alors que le traité d'Amsterdam n'y était pas parvenu et que le traité de Maastricht contenait plusieurs dérogations. Et si cet accord n'est pas en tous points pleinement satisfaisant, c'est parce qu'il repose sur d'inévitables compromis ; en tout état de cause, il permettra à l'Union européenne de continuer à fonctionner. En revanche, l'échec enregistré sur l'extension du champ de la majorité qualifiée et la réduction du nombre de commissaires a notamment témoigné de la résurgence d'une défense égoïste des intérêts nationaux ; celle-ci a donné le sentiment que la construction communautaire n'était pas au c_ur des préoccupations du Conseil.

Il a considéré qu'il fallait désormais s'atteler aux grands chantiers de l'avenir, à savoir : la question de la constitution européenne - très justement soulevée par le Président Chirac ; l'élection d'un président de l'Union - pour une durée de l'ordre de deux ans et demi - au lieu du système de présidence tournante, qui assure par exemple à la France la présidence seulement tous les 13 ans et demi et rend les réformes plus difficiles ; la définition des domaines de coopération renforcée ; enfin, la poursuite de l'élargissement.

Il a aussi estimé que l'Union devait davantage parler d'une seule voie au sein de la communauté internationale. Evoquant le revirement d'un certain nombre d'Etats européens à l'ONU - influencés par les Etats-Unis - sur la motion palestinienne au sujet du conflit israélo-palestinien, il a souligné que, selon des sources diplomatiques, les 5 % de motions qui n'avaient pas donné lieu à un accord des Quinze au sein de l'ONU correspondaient à celles que les Etats-Unis désapprouvaient. Il s'est dit à cet égard choqué par les propos tenus récemment par le Secrétaire d'Etat américain sur la politique de l'Union en matière de défense et a considéré que la conjonction de l'adoption du traité de Nice et de l'élection de Georges W. Busch ouvrait une ère nouvelle dans les relations transatlantiques et appelait de l'Union une politique étrangère et de sécurité commune plus forte et plus solidaire.

M. Pierre Lequiller a enfin jugé qu'il fallait mieux associer la population européenne à la construction communautaire. Il s'est dit favorable à un recours plus fréquent au référendum à cette fin, comme l'avait fait le Président Mitterrand pour la ratification du traité de Maastricht. Selon lui, le jugement souvent sévère exprimé à propos du traité de Nice est avant tout celui des journalistes et n'est pas partagé par une grande partie des citoyens européens. Il a estimé que le Parlement européen et les parlements nationaux devaient être également plus étroitement associés à cette construction et veiller au respect du principe de subsidiarité.

M. Gérard Fuchs a indiqué que la question était moins de savoir si les débats concernant le traité de Nice ont été satisfaisants que de définir comment utiliser les moyens institutionnels existants pour faire avancer l'Europe.

Sur la réforme de la Commission, il a considéré que l'échec de la réduction du nombre de commissaires était inévitable. En effet, toute réforme institutionnelle suppose à la fois un accord franco-allemand et l'approbation des petits pays. Or, pour des raisons tout à fait compréhensibles, ceux-ci souhaitent conserver le pouvoir de nommer un commissaire. Cela dit, la désignation du président de la Commission à la majorité qualifiée et le renforcement de ses pouvoirs - pour améliorer l'organisation interne de la Commission et répartir les responsabilités entre les commissaires - sont des résultats très positifs.

Concernant la réforme de la pondération des voix au Conseil, il a regretté qu'on ait élaboré un système incompréhensible pour l'opinion, alors que la solution retenue est finalement très proche de la double majorité - des Etats et de la population - cette dernière formule lui paraissant la meilleure - l'Europe devant être autant celle des Etats que des peuples. Il a estimé qu'il faudra un jour mettre un terme au dispositif adopté et passer au système clair de la double majorité.

M. Gérard Fuchs a ensuite observé que l'extension du champ de la majorité qualifiée était limitée. Il a souligné l'intérêt des coopérations renforcées qui constituent un réel mécanisme pour une avancée dynamique, à condition que les Etats aient la volonté de les utiliser. Il a estimé à cet égard que, si les coopérations renforcées méritaient d'être mises en _uvre, il convenait d'éviter un développement de politiques à géométrie variable et a souligné que la France avait devant elle deux tâches. D'une part, il est nécessaire de faire le tour des pays qui souhaitaient progresser plus vite que les autres vers l'intégration, le vrai problème de l'Europe n'étant pas sa représentation à l'extérieur mais celui de sa capacité de décision. D'autre part, il faut engager les réflexions sur le futur traité, les prochaines réformes devant apparaître comme l'amorce d'une constitution européenne. Dans ce cadre, il conviendra de répondre aux préoccupations relatives au débat démocratique et à l'alternance afin de fournir aux citoyens européens une possibilité de choix politiques.

M. Pierre Brana ayant demandé si l'état des ratifications par les Etats membres de la Convention du 26 juillet 1995 sur la protection des intérêts financiers des Communautés permettait d'espérer, dans un délai raisonnable, la définition d'un code minimum de sanctions, le Président Alain Barrau a indiqué que le processus de ratification n'était pas terminé et a souligné qu'au delà des difficultés de progresser dans le domaine de la justice, la présidence finlandaise, qui avait initié le dossier, avait ouvert une grande perspective pour l'Union.

M. Pierre Brana a alors fait part de deux déceptions, la première concernant la création de l'unité provisoire de coopération judiciaire Eurojust et le développement d'Europol, qui se heurtaient à une méfiance accentuée, la seconde relative à l'examen des mesures favorisant la lutte contre la fraude. Il a regretté que l'Europe n'ait pas ouvert la voie à la coopération des juges et à la création d'un parquet européen indépendant des gouvernements nationaux.

Le Président Alain Barrau a indiqué qu'il avait même le sentiment que le débat sur le parquet européen avait régressé.

Après avoir constaté que ni les « souverainistes » ni les « fédéralistes » ne semblaient satisfaits du traité de Nice, M. Jean-Claude Lefort s'est demandé si le débat lancé en Allemagne par M. Joschka Fischer n'avait pas interféré sur les discussions intergouvernementales. Reconnaissant que le Conseil européen de Nice avait débouché sur de réelles avancées, notamment en ce qui concerne les décisions prises à la majorité qualifiée, il a cependant fait observer que le débat sur les institutions européennes n'avait pas grand sens en l'absence de perspectives : l'Europe essaie-t-elle de reproduire le modèle américain ou souhaite-t-elle développer un modèle social particulier ?

Il s'est interrogé sur la réelle portée de la proclamation de la Charte des droits fondamentaux, qui lui paraît en deçà de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et sur celle de l'agenda social européen, dénué de caractère contraignant. Alors que la progression de l'Europe libérale et le Pacte de stabilité s'appuient sur des éléments contraignants dans les traités, les questions sociales restent de l'ordre des intentions. De même, le dialogue de l'Europe avec les pays du Sud et de la Méditerranée paraît s'inspirer uniquement du principe de libre-échange.

M. Jean-Claude Lefort a considéré que de nombreuses questions restaient sans réponse, en particulier le degré d'autonomie de l'Union européenne par rapport à l'OTAN, le coût de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale et les mesures dérogatoires accordées à Chypre, alors que ce pays constitue un lieu de blanchiment de l'argent et une zone de complaisance pour la construction navale.

M. Jean-Claude Lefort a estimé qu'il ne convenait pas d'aller trop vite dans le renforcement de l'intégration et il a mis en garde contre l'élaboration d'une constitution européenne.

Il a considéré que l'on ne pourrait continuer à faire l'économie d'une réflexion sur le coût de l'élargissement. Il a fait valoir que le Conseil européen de Nice avait incontestablement mis en lumière la persistance du poids des nations dans la construction européenne. Il a observé par ailleurs que la question du rôle des parlements nationaux n'avait été qu'effleurée et s'est interrogé sur la part occupée par l'investissement à l'article 133 du traité, relatif à la politique commerciale commune. Abordant le choix de la forme du projet de loi d'autorisation de ratification du traité, il s'est déclaré favorable à la procédure référendaire, considérant que les électeurs étaient assez mûrs pour se prononcer.

Après avoir souligné que si le processus vers le fédéralisme ne pouvait être réalisé que par étapes, M. Jean-Marie Bockel a estimé que tant les idées émises par le ministre allemand des Affaires étrangères que le discours du Président de la République devant le Bundestag n'avaient pas été repris et suivis ultérieurement d'un débat, qu'il a appelé au demeurant de ses v_ux. Evoquant la coopération franco-allemande et plaidant pour sa relance, il a déclaré ne pas être très optimiste sur les perspectives de son renforcement à court terme et a regretté son manque de dynamisme au niveau parlementaire.

M. Maurice Ligot s'est déclaré ne pas être étonné de la volonté des Etats membres de s'en tenir au principe d'un commissaire par pays. Si des accords peuvent être effectivement trouvés, lorsque sont en cause des problèmes ayant une réelle dimension européenne comme la sécurité alimentaire ou maritime, en revanche les antagonismes nationaux ne manquent pas de resurgir, lorsqu'il existe des enjeux de pouvoir. Il a observé que les réactions négatives de la presse sur le Conseil européen de Nice émanaient plus des journaux français que de leurs confrères étrangers mais que, si tout le monde s'estimait mécontent, cela démontrait en fait qu'il n'y avait ni gagnant ni perdant. Il a considéré que le risque de veto allemand grâce à une alliance ne devait pas être exagéré, la France pouvant être placée dans une situation analogue. Estimant positifs les résultats obtenus dans nombre de politiques sectorielles, il s'est inquiété de l'attitude de certaines forces politiques hostiles à l'autorisation de la ratification du traité. Doutant de la possibilité de recourir à la voie référendaire, compte tenu d'un calendrier électoral très chargé, il s'est prononcé pour la voie parlementaire avant de conclure son propos sur les perspectives ouvertes par la définition de la place d'une constitution européenne et par la subsidiarité.

Mme Béatrice Marre a remercié le Président Alain Barrau pour sa présentation exhaustive du bilan de la présidence française de l'Union européenne, qui avait donné lieu à des commentaires plutôt négatifs de la part de la presse. Elle s'est ensuite interrogée sur la présentation des différentes parties du rapport et notamment sur l'opportunité de faire figurer en tête du rapport le bilan de la CIG. A l'heure où les sondages sur l'euro semblent refléter une désaffection des citoyens pour l'Europe, il serait souhaitable que le rapport évoque en premier lieu les avancées de l'Europe des citoyens, qui se sont traduites par la proclamation de la Charte des droits fondamentaux et les progrès enregistrés dans le domaine de la croissance et de l'emploi. La partie institutionnelle indique bien que les reliquats d'Amsterdam ont été réglés, ce qui ouvre la voie à l'élargissement. Sur la partie concernant les négociations commerciales, il serait souhaitable d'insister sur la vigilance que le Parlement devra exercer dans ce domaine. Mme Béatrice Marre ayant participé au Forum social de Porto Alegre, elle a estimé que ces questions prenaient de plus en plus d'ampleur auprès des citoyens.

M. Camille Darsières a souhaité insister sur l'importance du volet social de l'Europe pour regretter ensuite le fait que la Charte sociale européenne ne soit pas applicable aux départements d'outre-mer. M. Camille Darsières s'est ensuite interrogé sur la place que l'Europe comptait réserver, dans les instances de négociations commerciales, aux valeurs défendues par l'Organisation internationale du travail.

M. Camille Darsières a ensuite estimé que la réduction du nombre de députés européens en France devait être mise à profit pour trouver un mode de scrutin qui rapproche le député européen de ses électeurs. L'abstentionnisme aux élections du Parlement européen est appelé à perdurer si le vote continue de se faire sur des listes nationales.

Le Président Alain Barrau a remercié les membres de la Délégation pour la qualité de leurs interventions.