DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 173

Réunion du jeudi 20 décembre 2001 à 9 heures

Présidence de M. Alain Barrau

I. Rapport d'information de M. Daniel Paul sur la proposition de directive relative à l'accès au marché des services portuaires (document E 1702). Adoption d'une proposition de résolution

Rappelant l'objet de la proposition de directive, le rapporteur a indiqué qu'au nom de l'impératif d'achèvement du marché intérieur, elle instaurait la concurrence au sein des ports sur la base des principes qui ont permis la déréglementation d'autres secteurs.

Devant les critiques suscitées par ce texte et l'extrême confusion qui a entouré les débats du Parlement européen - au point que le champ d'application de la proposition de directive demeure toujours imprécis - il a estimé nécessaire de remettre l'ouvrage sur le métier, afin de préconiser un cadre qui permette réellement aux ports de relever les défis auxquels ils sont confrontés.

M. Daniel Paul a jugé inadéquates les solutions envisagées pour porter remède aux distorsions de concurrence entre les ports d'un même Etat et les ports des différents Etats membres.

Ces dysfonctionnements sont d'abord imputables au rôle prépondérant joué par les grands groupes d'armement. Dans un contexte de forte concurrence, favorisé par la révolution du conteneur, ils se sont lancés dans une politique de rationalisation et de recherche d'économies d'échelle, de façon à établir une position dominante vis-à-vis des acteurs portuaires, en particulier les autorités portuaires. Celles-ci ne peuvent plus, comme par le passé, attendre passivement la venue du trafic en se fondant sur les atouts des ports, et sont confrontées au réel pouvoir de chantage que les armateurs peuvent exercer sur elles.

En second lieu, l'absence d'un encadrement transparent du financement des équipements et des services portuaires contribue à l'apparition de distorsions de concurrence. Il n'existe pas de cadre précis des aides d'Etat, situation qui est de nature à désavantager nos ports : en France, les subventions sont clairement identifiables, alors que dans l'Europe du Nord, les ports sont souvent dépourvus de l'autonomie budgétaire, les recettes et les dépenses étant intégrées dans le budget général de la collectivité gestionnaire du port, sans séparation comptable.

En ce qui concerne les services portuaires, les conditions de leur tarification sont également peu transparentes : dans certains ports, y compris en France, les droits portuaires affichés sont en partie négociables ; au Royaume-Uni, il n'existe pas de barème officiel, tandis que le nombre et le coût des services portuaires varient d'un port à l'autre.

Pour faire face à ces dysfonctionnements, la Commission propose d'introduire la concurrence intraportuaire et des mécanismes destinés à garantir davantage de transparence.

La concurrence intraportuaire serait introduite au travers de l'application des règles du traité de Rome aux services portuaires : le pilotage, le remorquage, le lamanage et la manutention. Dans l'Union, les trois premiers sont des monopoles de droit ou de fait. Dans les cas du pilotage et du lamanage, la jurisprudence - celle du Conseil d'Etat, ou de la Cour de justice - a confirmé que leurs activités revêtaient la nature d'une mission de service public. C'est précisément pourquoi le Parlement européen les a exclus du champ d'application de la proposition de directive.

S'agissant de la manutention, le rapporteur s'est étonné que ce secteur - déjà libéralisé - ait été assujetti au principe de la concurrence intraportuaire et a suggéré qu'une telle mesure avait été inspirée par le souci de la Commission de répondre à la stratégie de réduction continue des coûts des grands groupes d'armement.

Cette même préoccupation sous-tend l'auto-assistance, qui doit permettre aux opérateurs d'effectuer eux-mêmes les services portuaires, selon un mécanisme analogue à la mesure instaurée dans le transport aérien par la directive 1996/67 du 15 octobre 1996. Or, l'article 11 de la proposition autorise le recours à l'auto-assistance sur la base de critères qui ne doivent pas être plus stricts que ceux prévus pour d'autres fournisseurs du même service portuaire, cette formulation imprécise risquant de poser de sérieux problèmes au plan de la sécurité et d'encourager les distorsions de concurrence. Ce sont les raisons pour lesquelles le Parlement européen a, d'une part, imposé l'exigence de critères identiques à ceux prévus pour d'autres fournisseurs du même service portuaire et, d'autre part, précisé que le bénéfice de l'auto-assistance pourrait être limité aux navires battant pavillon des Etats membres, afin d'en exclure les pavillons de complaisance.

Le rapporteur a également critiqué la disposition qui impose, au minimum, la présence d'au moins deux fournisseurs de services totalement indépendants pour chaque catégorie de marchandises, dès lors qu'il existe des contraintes concernant l'espace ou la capacité disponible. Il a fait valoir que ce principe risquait d'être tout à fait irréaliste, lorsque le marché est relativement limité, comme c'est le cas dans les ports français, mais aussi dans d'autres ports européens.

Quant à la poursuite de l'objectif de transparence, le rapporteur, tout en convenant que l'instauration d'obligations comptables permettrait une concurrence plus équitable, s'est néanmoins étonné que, pour encadrer les procédures d'autorisation, la Commission ait choisi de retenir un système facultatif d'obligations de service public, notamment dans le domaine de la sécurité. Il a considéré qu'une telle disposition était parfaitement révélatrice des dérives suscitées par l'idée centrale de la proposition, qui consiste à transformer les autorités portuaires en entités commerciales, à l'exemple du système anglais.

Pour le rapporteur, les réformes de la Commission sont donc inopportunes. Sauf à partager les certitudes de cette dernière ou à avoir le comportement de « boutiquier » des armateurs, il s'est interrogé sur le profit qui pouvait être tiré de l'application de la concurrence interportuaire à des secteurs peu rentables, mais qui surtout interviennent pour une part très faible dans les coûts portuaires et dans le coût total du transport des marchandises. Il est donc clair que la proposition de directive fragilise les petits ports - et ils sont nombreux en France - en leur imposant un cadre prévu pour les grands ports.

Le rapporteur a déclaré par ailleurs que la proposition de la Commission portait atteinte aux pouvoirs régaliens des autorités portuaires au profit, là encore, des groupements d'armateurs et de chargeurs, comme l'illustre la privatisation de la sécurité portuaire, en particulier au travers de l'auto-assistance. Il a contesté que celle-ci puisse être généralisée, comme le soutient Mme  Loyola de Palacio, commissaire européenne en charge des transports et de l'énergie, qui s'est référée au projet de navettes rapides de porte-conteneurs entre les Etats-Unis et Cherbourg. Le rapporteur a considéré que les catastrophes de l'Erika et de Toulouse confirmaient le risque que les dommages susceptibles d'être causés par un abaissement continu des normes de sécurité ne soient très nettement supérieurs au profit que l'on peut en escompter.

En outre, tout en approuvant le principe d'une clarification des aides d'Etat et de la tarification des prestations portuaires, il a constaté que certains mécanismes communautaires ou nationaux poursuivaient déjà l'objectif de transparence et qu'il n'était donc pas nécessaire qu'une directive soit présentée à cette fin.

Abordant les effets pervers que recèle, selon lui, la proposition de directive, M. Daniel Paul a d'abord souligné le risque que la concurrence intraportuaire n'entraîne le renchérissement des coûts, consécutif à l'écrémage du trafic, c'est-à-dire à la tendance des opérateurs à se positionner sur les secteurs les plus rentables. Corrélativement, ce sectionnement du marché mettra fin au système de péréquation existant en France, qui permet précisément aux opérateurs de bénéficier de prestations de qualité à des prix peu élevés. De façon plus générale, il a considéré que la privatisation de la sécurité risquerait d'avoir des incidences budgétaires en confrontant les Etats membres à une situation identique à celle de l'Etat américain, lequel doit maintenant faire face aux conséquences d'une privatisation excessive de la sécurité aérienne.

Dans le domaine social, le rapporteur a noté que le recours à l'auto-assistance pourrait faire craindre des suppressions d'emploi et aussi un risque d'aggravation du dumping social. Le dernier paragraphe de l'article 6 autorise, en effet, le fournisseur de services à employer le personnel de son choix pour fournir le service couvert par l'auto-assistance. Bien que le Parlement européen ait renforcé les critères d'octroi de l'autorisation, il est douteux que cette mesure suffise pour maintenir un niveau élevé des normes sociales. Il faudrait conclure un accord social au niveau européen, comme l'y autorise l'article 139 du traité instituant la Communauté européenne.

En conclusion, le rapporteur a déclaré que la proposition de résolution qu'il a préparée reflétait, dans ses considérants, la conviction que la déréglementation n'était ni la réponse adéquate pour résoudre les problèmes des ports européens, ni une fatalité. Au contraire, son dispositif est inspiré d'une adhésion forte aux vertus du volontarisme politique, que les événements intervenus depuis le 11 septembre devraient inciter les Etats membres et la Commission européenne à redécouvrir.

M. Pierre Brana a déclaré soutenir la proposition de résolution présentée par le rapporteur. Il a toutefois souhaité qu'au point 3, l'accent soit mis sur la notion d'intermodalité.

Le Président Alain Barrau a ensuite demandé des précisions au rapporteur en ce qui concerne notamment les liaisons rapides entre les Etats-Unis et l'Europe (les « Fast Ship ») et les modalités d'accostage et de mise en conformité des quais pour accueillir ces puissants navires.

Le rapporteur a répondu que le projet décidé pour le port de Cherbourg allait en effet mobiliser de lourds investissements qui font appel à des financements des collectivités territoriales, de l'Etat et de la Commission européenne. Il a mentionné l'ampleur des aménagements terrestres autoroutiers et ferroviaires nécessaires pour accélérer l'acheminement final des produits transportés par voie de mer. Face à l'objectif de désengorgement des principaux ports français (notamment Le Havre) et européens, il a estimé que Cherbourg avait une carte à jouer.

Le Président Alain Barrau a ensuite interrogé le rapporteur sur la situation portuaire des Etats-Unis, notamment en matière de sécurité, et a souhaité disposer d'éléments de comparaison avec l'Europe.

Le rapporteur a rappelé que tous les navires qui traversent l'Atlantique et le Pacifique ayant l'intention d'accoster aux Etats-Unis sont systématiquement répertoriés par les autorités américaines. Les « Coast guards » bénéficient outre-Atlantique d'une renommé très forte au niveau fédéral et disposent de moyens financiers considérables. Depuis la marée noire de l'Exxon Valdes en Alaska, le principe du pollueur/payeur est totalement appliqué aux Etats-Unis, qui ne cotisent d'ailleurs pas au FIPOL. Si on avait appliqué ce principe pour la catastrophe de l'Erika, on ne connaîtrait pas les difficultés actuelles d'indemnisation.

Le rapporteur a ensuite souligné l'importance de conserver le principe de péréquation tarifaire. Actuellement, les services de lamanage font l'objet de tarifs élevés pour les gros navires, tandis que les embarcations plus modestes bénéficient de facturations sensiblement plus faibles. Or, la fin de la péréquation tarifaire risque de provoquer une augmentation des tarifs et pourrait conduire à une détérioration des conditions de sécurité dans les ports. Le premier responsable sur le territoire portuaire reste pourtant le maire de la commune. Le maintien du principe de péréquation tarifaire, remis en cause dans la proposition de directive de la Commission, est avant tout un instrument de justice.

Le Président Alain Barrau a alors demandé au rapporteur d'apporter des précisions sur la position des armateurs à l'égard de la proposition de directive de la Commission.

En réponse, le rapporteur a indiqué qu'aucune des organisations qu'il a rencontrées ne défend de façon ferme et définitive cette proposition de directive. Si les armateurs sont certes favorables à l'esprit de la directive, ils en discutent néanmoins fortement les modalités. Après avoir brièvement rappelé les différentes étapes du transport maritime, le rapporteur a souligné que l'étape la plus onéreuse est celle qui correspond au transfert terrestre entre le port d'arrivée et la destination finale de livraison. Sur cet aspect, les pays européens doivent rattraper leur retard ; si des efforts importants ont été accomplis en matière d'intermodalité, ils ne suivent pas le rythme de l'accélération des échanges maritimes. Le rapporteur a enfin souligné la nécessité d'améliorer la performance portuaire - un terme nettement plus approprié que celui de compétitivité - afin de fluidifier la circulation des marchandises et d'éviter que certains produits ne restent à quai pendant plusieurs jours.

Compte tenu des conditions difficiles dans lesquelles vivent les services portuaires, les mettre en concurrence ne pourrait que les fragiliser davantage. Le marché n'est pas suffisant pour faire en sorte que, comme le prévoit la proposition de directive, à chaque service correspondent au moins deux acteurs différents.

Si une directive communautaire paraît souhaitable en la matière, comme c'est le cas dans le domaine du transport aérien, elle devrait plutôt tendre à accroître la transparence. Celle-ci est rendue indispensable par la diversité des régimes régissant les ports en Europe. Il convient également d'encourager la collaboration entre les ports, comme c'est le cas entre Nantes et Saint-Nazaire, Boulogne, Dunkerque et Calais, ou Le Havre et Rouen. L'Union européenne, qui finance des transports de fret européens, devrait assurer à ceux-ci davantage de cohérence et faire en sorte qu'ils soient mieux répartis, plutôt que de surcharger le trafic de la Manche.

M. Pierre Brana a indiqué que la lenteur du transport ou de la manutention dans certains ports peut avoir des conséquences économiques désastreuses pour les entreprises : c'est le cas en particulier pour les produits de consommation de valeur, a fortiori lorsque les containers ne sont pas réfrigérés.

La Délégation a ensuite adopté la proposition de résolution suivante présentée par le rapporteur :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment ses articles 5 et 16, relatifs respectivement au principe de subsidiarité et au rôle des services d'intérêt général,

Vu la Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil : Améliorer la qualité des services dans les ports maritimes : un élément déterminant du système de transport en Europe, ainsi que la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'accès au marché des services portuaires (document E 1702),

Considérant que la proposition de directive susvisée a pour objet de permettre à toute personne physique ou morale d'accéder au marché des services portuaires ; que, dans cette perspective, la Commission européenne souhaite qu'aucun service portuaire de nature commerciale ne soit exclu de la législation communautaire ; que les Etats membres devront assurer la transparence totale de toutes les procédures liées à la fourniture de tels services ;

Considérant qu'aux termes du cinquième considérant de cette même proposition de directive, « le fait de faciliter l'accès au marché des services portuaires au niveau communautaire devrait se traduire par la suppression des barrières à l'entrée du marché pour les fournisseurs de services portuaires, l'amélioration de la qualité des services offerts aux utilisateurs des ports, une efficacité et une souplesse accrues, une réduction des coûts et, partant, la promotion du transport maritime à courte distance et du transport combiné » ;

Considérant toutefois que la Commission européenne a décidé de présenter la proposition de directive susvisée sans avoir procédé à une réelle concertation préalable de l'ensemble des parties concernées ; que l'instauration d'un dispositif unique fondé sur le principe de la concurrence interportuaire méconnaît les réalités portuaires et les spécificités nationales ; que ce même principe porte gravement atteinte aux pouvoirs régaliens des autorités portuaires, en particulier ceux touchant à la sécurité, du fait de l'inclusion du pilotage, du lamanage et du remorquage - comme de la manutention pour certains de ses aspects - dans le champ d'application de la proposition de directive, malgré les missions d'intérêt général et de service public qui leur sont dévolues ; que les dispositions de l'article 11 autorisant le recours à l'auto-assistance recèlent également de graves dangers pour la sécurité, dès lors que les critères et obligations fixés en la circonstance ne doivent pas être plus stricts que ceux prévus pour d'autres fournisseurs du même service portuaire ;

Considérant, en outre, que s'il apparaît nécessaire de mettre en place un cadre transparent destiné à porter remède aux distorsions de concurrence existant à l'intérieur des Etats membres et entre les Etats membres et à sélectionner les opérateurs autorisés à fournir leurs services, de tels objectifs peuvent toutefois être également atteints par le truchement de diverses dispositions déjà prévues par la législation communautaire et certains mécanismes institués par les Etats membres ; qu'en conséquence, la Commission européenne n'a pas apporté la preuve que ces questions ne pourraient être réglées que par la proposition de directive susvisée ; qu'au contraire, elle méconnaît l'intérêt, pour la sécurité et l'efficacité du service public, des dispositions relatives aux qualifications des personnels assurant les services portuaires ;

Considérant, enfin, que le dispositif proposé par la Commission européenne risque de favoriser une aggravation des distorsions de concurrence ainsi que le renchérissement des coûts ; que ce dispositif risque également d'accroître la partie des services à charge de la collectivité au seul bénéfice des plus gros utilisateurs ; que, de ce fait, il est à craindre que la proposition de directive ne permette pas d'atteindre les objectifs ayant trait au développement de la concurrence et à l'accroissement de l'efficacité des ports ; que de tels dysfonctionnements confirment parfaitement l'inopportunité des réformes ainsi présentées.

1. Demande aux autorités françaises d'obtenir de la Commission européenne que cette dernière engage une concertation avec l'ensemble des parties concernées ; que la Commission européenne puisse modifier le dispositif de la proposition de directive, compte tenu des résultats de cette concertation.

2. Estime souhaitable que cette concertation puisse déboucher sur l'élaboration de principes communs propres à promouvoir la performance portuaire au plan communautaire, en s'efforçant :

- d'une part, de préserver les compétences des Etats membres touchant à la définition des conditions dans lesquelles chaque service portuaire assure la sécurité des ports et à celle du régime de l'auto-assistance ; de garantir le respect du principe de transparence et de prévenir tout dumping social ;

- d'autre part, de contribuer au développement des systèmes portuaires nationaux, grâce, en particulier, à la mise en place d'un dispositif de coopération basé sur une prise en compte de leurs complémentarités.

3. Rappelle que le principal handicap des ports européens réside dans l'insuffisance de leurs liaisons terrestres, source de divers dysfonctionnements et de surcoûts environnementaux et sociaux ; que, dès lors, il est souhaitable d'accélérer la mise en place des réseaux transeuropéens de fret en prenant en compte l'urgence créée par les trafics portuaires et en promouvant l'intermodalité.

4. Juge nécessaire que les autorités françaises poursuivent une politique de soutien résolue aux ports en vue de consolider durablement le regain de dynamisme que l'on peut constater aujourd'hui. »

II. Rapport d'information de M. Pierre Brana sur l'harmonisation des techniques de contrôle de la Cour des comptes européenne et des cours des comptes des Etats membres

M. Pierre Brana a présenté son rapport d'information sur les relations entre la Cour des comptes européenne (CCE) et les institutions de contrôle nationales.

L'étude de ces relations permet de constater la vigueur des traditions nationales dans le domaine du contrôle et l'attachement des institutions de contrôle nationales à l'indépendance qui fait partie intégrante de ces traditions. Cet attachement s'exprime notamment à l'égard de la Cour des comptes européenne, créée en 1977 et érigée par le traité de Maastricht en institution de la Communauté.

La Cour des comptes européenne tient son originalité, par rapport aux institutions nationales de contrôle, de son mode de constitution. Organisme collégial, elle compte quinze membres, un par Etat, qui ont des formations diverses et peuvent avoir exercé des fonctions électives, voire ministérielles. Ses compétences s'étendent à mesure que progresse la construction européenne, mais elles ne recouvrent pas, par nature, un champ aussi large que les domaines d'intervention d'un Etat. Quant aux institutions nationales de contrôle, elles présentent une très grande diversité, que ce soit dans leur structure (collégiale ou administrative, avec ou sans fonctions juridictionnelles), dans leurs rapports plus ou moins organiques avec les parlements nationaux ou dans leur champ de compétence qui ne va pas partout jusqu'à l'utilisateur final, comme celui de la CCE.

La liaison entre la CCE, voulue par l'article 248 du traité instituant la Communauté européenne, et les institutions de contrôle nationales n'a pas été formalisée dans un concept juridique contraignant, de manière à respecter l'indépendance de ces institutions. La présence à la CCE d'un membre issu de chaque Etat de la Communauté est la première manifestation de cette liaison, vue sous l'aspect d'une représentation adéquate des cultures de contrôle financier nationales ; elle a été critiquée, notamment au Parlement européen, mais elle s'impose manifestement pour des raisons politiques.

Si dans quelques pays cette liaison a été inscrite dans des normes juridiques de droit interne, elle est le plus souvent ressentie et présentée comme l'illustration de l'effet direct du traité CE. Elle a entraîné dans chaque institution nationale la création d'une instance ad hoc dont les fonctions apparaissent essentiellement administratives ; le rôle de médiateur institutionnel de cette instance se manifeste dans l'organisation matérielle, dont elle a la charge partout, des contrôles de la CCE dans les Etats membres. Mais elle n'a pas eu pour conséquence l'apparition systématique de procédures d'alerte permettant à la CCE de bénéficier des constats faits et des informations recueillies par les institutions nationales au cours de leurs propres contrôles.

Le suivi par ces institutions, au terme officiel des procédures, des constats faits par la CCE n'est pas davantage organisé de manière systématique, et à l'inverse les problèmes de compatibilité de méthode et les délais de procédure font obstacle à l'utilisation habituelle par la CCE des résultats de contrôles rendus publics par les institutions nationales.

L'ensemble de ces observations amène à s'interroger sur l'évolution possible, à moyen et long terme, vers une plus grande harmonisation. La revendication d'autonomie, ne permet pas de pratiquer une coopération approfondie, que ce soit dans la planification et l'organisation des contrôles ou a fortiori par la conduite de contrôles conjoints. Mais l'échange de bonnes pratiques, avec la confrontation des traditions juridique et financière du contrôle, encore accrue par l'élargissement de l'Europe, et le jeu interne aux institutions européennes qui voit la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen pousser à une collaboration plus importante entre elle et la CCE, font penser qu'à plus ou moins long terme la tendance à l'harmonisation triomphera.

Mme Béatrice Marre a, d'abord, interrogé le rapporteur sur les relations entre la Cour des comptes européenne et les institutions nationales de contrôle. Elle a rappelé qu'en 1995-1996, M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, avait cherché à renforcer la coopération entre ces institutions et à définir les conditions d'application du principe de subsidiarité dans le domaine du contrôle des finances publiques. Où en est-on aujourd'hui et comment améliorer cette coopération afin d'assurer une meilleure gestion des fonds communautaires ? Par ailleurs, quelles sont les relations entre la Cour des comptes européenne et la commission de contrôle budgétaire du Parlement européen ?

M. Daniel Paul a indiqué que le souci d'une meilleure gestion des fonds publics
- qu'il s'agisse d'aides aux entreprises, de projets d'aménagement ou d'investissements, notamment - s'exprimait de façon de plus en plus marquée aujourd'hui. Il a remarqué que les institutions de contrôle locales ou nationales ne faisaient pas part à la Cour des comptes européenne des dysfonctionnements qu'elles constataient et a demandé si c'était réciproque.

Le Président Alain Barrau a interrogé le rapporteur sur la méthode de contrôle de la Cour des comptes européenne : définit-elle ses missions de contrôle par lignes budgétaires, par région, par thème, ou de façon mixte ? D'autre part, comment se sont stabilisées les relations entre la Cour des comptes européenne et la commission de contrôle budgétaire du Parlement européen, dont les pouvoirs se sont accrus au cours des dernières années.

Le rapporteur a notamment apporté en réponse les informations suivantes :

- le principe de subsidiarité ne s'applique pas aux travaux de la Cour des comptes européenne puisqu'elle peut, en vertu du traité, effectuer des contrôles jusqu'à l'utilisation final ;

- les relations entre la Cour des comptes européenne et les institutions financières nationales de contrôle sont marquées par une certaine méfiance, qui retentit sur le niveau de collaboration. La Cour des comptes européenne ne prévient pas les institutions nationales des dysfonctionnements dont elle a connaissance, pas plus d'ailleurs que l'inverse ;

- près de 40 % des travaux de la Cour des comptes européenne sont consacrés à la déclaration d'assurance, le reste de l'activité concernant des contrôles. Le choix de ces contrôles est souvent empirique mais il peut également faire suite à des dénonciations ;

- les relations entre la Cour des comptes européenne et la Commission du contrôle budgétaire (Cocobu) du Parlement européen ne sont pas excellentes, dès lors que la Cocobu manifeste le désir de contrôler davantage l'activité de la Cour.

III. Rapport d'information de M. Alain Barrau sur l'action de l'Union européenne contre le terrorisme

Le Président Alain Barrau a présenté un rapport d'information sur l'action de l'Union européenne contre le terrorisme, à la suite des attentats terroristes du 11 septembre. Il a rappelé que l'Union européenne avait réagi très vite, arrêtant un plan d'action global lors d'un Conseil européen extraordinaire le 21 septembre. Si le Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) des 6 et 7 décembre, et le Conseil européen de Laeken des 14 et 15 décembre ont permis de réaliser certaines avancées significatives, la mise en _uvre détaillée du plan d'action s'est heurtée à de nombreuses difficultés.

Le Président Alain Barrau a souligné le renforcement de la coopération entre l'Union européenne et les Etats-Unis, plus significatif en matière de services de police, qu'en matière judiciaire, en raison de divergences de vues fondamentales, le rapprochement accéléré entre la Russie et l'Union, à la faveur de la crise, et l'association immédiate des pays candidats au plan d'action.

Il a détaillé les résultats obtenus en trois mois en matière de coopération policière et judiciaire, avec l'accord politique sur la définition et les sanctions du terrorisme, le difficile compromis sur le mandat d'arrêt européen, le rôle accru d'Eurojust, l'extension du mandat d'Europol, la mobilisation contre le bioterrorisme et la cybercriminalité.

Il a regretté l'insuffisant renforcement des capacités européennes de renseignement.

Le Président Alain Barrau a également évoqué les résultats concrets significatifs de la politique européenne en matière de lutte contre le blanchiment. Il a présenté le plan européen de renforcement de la sécurité aérienne, et les initiatives limitées prises par l'Union pour aider les compagnies aériennes confrontées à une hausse brutale du prix des assurances.

Il a évoqué les interventions de la Banque Centrale européenne pour diminuer les taux d'intérêt et injecter les capitaux sur les marchés, afin de soutenir l'activité économique.

Tout en soulignant les efforts diplomatiques de la Troïka européenne, l'importance de l'aide humanitaire à l'Afghanistan et le partenariat avec le Pakistan, il a enfin évoqué les lacunes de la politique européenne de sécurité et de défense. La mise en place de la force internationale a été confuse. Il s'agit avant tout d'une initiative des Etats-Unis qui ont mandaté le Royaume-Uni pour la mettre en _uvre en lui donnant un habillage européen. Les Européens se sont trop souvent manifestés lors de la crise afghane en rangs dispersés, que ce soit sur le terrain diplomatique, avec la Conférence de Bonn, initiative allemande, que sur le terrain militaire, où les Britanniques ont souvent fait cavalier seul aux côtés de nos alliés américains.

En conclusion, le Président Alain Barrau a jugé que la présence de l'Union sur la scène internationale s'était légèrement accrue, mais que cela n'avait pas été perçu par l'opinion. L'Europe ne doit plus être uniquement un marché. Elle doit savoir s'organiser politiquement et militairement pour renforcer son influence sur la scène internationale.

Mme Béatrice Marre a souhaité que les intitulés du rapport écrit fassent ressortir, d'une part, que la consolidation des relations entre l'Union européenne et les Etats-Unis n'efface pas les divergences de fond sur les questions de la peine de mort et des tribunaux militaires d'exception, d'autre part, que l'engagement diplomatique de l'Union européenne a progressé. Elle a également souligné la nécessité d'introduire l'idée que l'Union européenne souhaitait conserver son initiative diplomatique par rapport aux Etats-Unis, notamment sur la crise du Proche-Orient et s'interrogeait sur le droit de poursuite des terroristes dans les autres Etats que veulent instaurer les Etats-Unis.

Après avoir souhaité obtenir des précisions sur le mécanisme permettant à la Banque centrale européenne d'injecter des capitaux sur les marchés, M. Jacques Myard a tout d'abord estimé que le renforcement de fait des contrôles nationaux de police remettait en cause les accords de Schengen.

Puis il a regretté que le titre du rapport d'information fasse croire que l'Union européenne a mené une action contre le terrorisme alors que seuls des Etats ont pris des décisions dans un mécanisme intergouvernemental et que la crise actuelle montre l'inadaptation de l'Union par rapport aux événements du 11 septembre.

La PESC et la PESD sont des ensembles vides et ne correspondent à aucune réalité. L'identité européenne de défense est un concept que la France cherche à insuffler à ses partenaires, qui s'en remettent à l'OTAN pour leur sécurité et n'acceptent que les missions de Petersberg. Les institutions créées au sein de l'Union pour la PESD ne font que reprendre celles qui avaient été mises en place par l'UEO. Toute action de l'Union restera soumise à la théorie du premier refus que les Etats-Unis mettent en avant et qui implique en fait que l'Union ne pourra intervenir qu'avec l'accord américain. Les Etats européens ont tendance à mener un jeu personnel, comme l'ont montré la participation britannique à l'intervention militaire en Afghanistan et l'organisation de la conférence par l'Allemagne à Petersberg.

M. Jacques Myard a ensuite estimé que l'Union européenne était déconsidérée au Proche-Orient et qu'elle ne pourrait plus jouer de rôle diplomatique depuis la mise en accusation de M. Ariel Sharon par la justice belge.

Enfin, il a souligné que la France devait conserver l'indépendance totale de sa diplomatie et de sa défense afin d'éviter le leurre d'une politique européenne ne correspondant pas à la réalité et afin d'entraîner certains de ses partenaires européens, les autres ne souhaitant pas participer à l'identité européenne de défense faute de moyens militaires ou en raison d'une diplomatie nationale inféodée à celle des Etats-Unis.

Le Président Alain Barrau a exprimé son désaccord avec les analyses de M. Jacques Myard. Certes, on ne peut que déplorer l'absence de volonté politique commune de l'Union européenne de peser sur le règlement du conflit israélo-palestinien, mais on ne peut déduire de celle-ci que l'Union européenne n'a pas progressé, ces derniers mois, dans la construction d'une politique étrangère commune. Dans le domaine de la coopération policière et judiciaire, le Président Alain Barrau a noté que les récentes avancées conduisent à mettre en place un véritable espace de justice et de sécurité. Il a donc considéré que les propos de M. Jacques Myard étaient la traduction logique de sa conception d'une Europe limitée à un marché unique, et souligné que pour sa part, il se prononçait pour la constitution d'une « Europe puissance » pesant dans l'organisation du monde. Il a constaté que les diplomaties nationales avaient joué un rôle après le 11 septembre, mais que par ailleurs le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, M. Javier Solana, avait été très présent dans la gestion du dossier par les Quinze.

M. Jacques Myard a estimé qu'à partir du moment où l'on fait la guerre, il faut se demander qui la fait : or, ce sont les Etats. Par ailleurs, il a précisé sa vision de l'Europe, dont la dimension communautaire se justifie pour réguler les échanges transnationaux, mais à laquelle doit s'ajouter un système européen de caractère intergouvernemental avec un Conseil de sécurité européen.

M. Pierre Brana a souhaité faire trois observations. Il a considéré en premier lieu que deux Etats ont très bien su exploiter la situation créée par les événements du 11 septembre, à savoir la Russie et Israël. Ce dernier a saisi l'occasion pour diaboliser Arafat en l'assimilant à Ben Laden, un rapprochement qu'il a contesté. Ayant jugé que l'Union européenne dispose de nombreux leviers pour exercer la pression diplomatique nécessaire au règlement du conflit, au travers notamment des accords euro-méditerranéens et de l'aide économique, M. Pierre Brana a regretté que l'Europe n'ait pas utilisé tous ces instruments pour parvenir à une solution durable au Proche-Orient. En deuxième lieu, il a souligné la nécessité d'un renforcement des échanges de renseignements entre les Etats pour améliorer l'efficacité de la lutte contre le terrorisme. Enfin, il s'est félicité que la position de M. Silvio Berlusconi concernant la lutte contre le blanchiment d'argent, qui est un corollaire de la lutte contre le terrorisme, n'ait pas été partagée par les autres Etats membres de l'Union européenne. Puis, il a suggéré que le rapport insiste davantage sur le problème posé par l'attitude des Etats-Unis à l'égard de la Cour pénale internationale pour la coopération judiciaire contre le terrorisme. M Pierre Brana a rappelé que si tous les Etats membres de l'Union ont ratifié le traité portant création de la Cour, les Etats-Unis ne comptent pas le faire et font pression dans ce sens sur les pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion.

M. Pierre Brana a enfin rappelé qu'il avait présenté successivement deux communications sur la mise au point du mandat d'arrêt européen avant et après le Conseil « Justice et affaires intérieures ». Il a indiqué que le Conseil européen de Laeken, après le ralliement de l'Italie au texte révisé mis au point par le Conseil JAI au terme de difficiles négociations, avait salué le progrès important ainsi accompli pour la lutte contre le terrorisme et, plus généralement, le développement de l'espace de sécurité, de liberté et de justice. Il a proposé à la Délégation, qui a accepté, de présenter une synthèse de ses précédentes interventions sous forme d'un rapport d'information.

IV. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Alain Barrau, la Délégation a examiné plusieurs textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Elle a levé la réserve d'examen parlementaire sur :

- la proposition de règlement du Parlement et du Conseil relatif aux engrais (document E 1836) ;

- la proposition de décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de la Communauté, du protocole sur l'eau et la santé à la Convention de 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux (document E 1860) ;

- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CEE) n° 3528/86 du Conseil relatif à la protection des forêts dans la Communauté contre la pollution atmosphérique et modifiant le règlement (CEE) n° 2158/92 du Conseil relatif à la protection des forêts dans la Communauté contre les incendies (document E 1877).

Par ailleurs, le Président Alain Barrau a indiqué à la Délégation que trois propositions avaient fait l'objet de demandes d'urgence, par lettre du ministre délégué en charge des affaires européennes, auxquelles il avait répondu en levant la réserve d'examen parlementaire :

- proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de la Commission européenne, d'un accord sous forme de protocole d'accord entre la Commission européenne et la République islamique du Pakistan concernant des arrangements dans le domaine de l'accès au marché des produits textiles et d'habillement, et autorisant son application provisoire (document E 1874) ;

- proposition de règlement du conseil modifiant le règlement (CE) n° 2820/98 portant application d'un schéma pluriannuel de préférences tarifaires généralisées pour la période du 1er juillet 1999 au 31 décembre 2001, afin d'inclure le Sénégal dans la liste des pays bénéficiant du dispositif d'aide en faveur des pays les moins avancés (document E 1888) ;

- Proposition de décision du Conseil relative à un échange de lettres entre la Commission européenne et l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA) concernant le financement supplémentaire en 2001, pour la période 1999-2001, au titre de la convention CE-UNRWA actuellement en vigueur (document E 1889).