DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 178

Réunion du mercredi 20 février 2002 à 16 heures 10

Présidence de M. Alain Barrau

I. Échange de vues avec une délégation de la Commission de l'intégration européenne de l'Assemblée nationale bulgare, conduite par son Président, M. Daniel Valtchev

Après l'accueil par le Président Alain Barrau de la délégation bulgare, M. Daniel Valtchev a remercié la Délégation pour l'Union européenne de son invitation et présenté ses collègues. Il a précisé que la délégation qu'il conduisait était composée d'un représentant de chacun des quatre groupes parlementaires de l'Assemblée nationale bulgare, Mouvement national Siméon II, Coalition pour la Bulgarie, Union des forces démocratiques, Mouvements des droits et libertés. Il a indiqué que le Parlement bulgare comprend une seule assemblée, composée de 240 députés, dont 120 appartiennent au Mouvement national Siméon II.

Le Président Daniel Valtchev a rappelé que le souhait de voir la Bulgarie entrer dans l'Union européenne faisait l'objet d'un consensus au sein de l'Assemblée nationale bulgare. La position du nouveau Président bulgare s'inscrit dans la continuité de la politique étrangère de la Bulgarie en la matière.

Il a indiqué que la Commission de l'intégration européenne, composée de 24 députés représentant de façon proportionnelle chacun des groupes politiques, était la seule instance parlementaire bulgare à prendre ses décisions sur le fondement d'un consensus entre les groupes. Elle a un double rôle procédural : examiner les projets et propositions de loi adaptant la législation bulgare à l'acquis communautaire ; contrôler le processus de négociation avec l'Union, notamment en auditionnant les ministres compétents sur les différents chapitres des négociations. Par ailleurs elle a décidé de susciter le débat public entre les dirigeants politiques et la société civile sur les questions européennes. Dans ce but, deux réunions ont-elles déjà été organisées avec les ministres compétents, à Varna et Plovdiv, respectivement sur les transports et les télécommunications et l'énergie ; en mars, une nouvelle réunion devrait se tenir à Ruse sur l'organisation du système judiciaire avec le ministre de la justice.

Concernant les négociations sur l'entrée dans l'Union, le Président Valtchev a précisé que dix-sept chapitres étaient ouverts et quatorze provisoirement clos. Il a espéré que les deux derniers chapitres, relatifs à l'agriculture et à l'Union économique et monétaire, seront ouverts sous la présidence espagnole.

Il a enfin rappelé les faiblesses, mentionnées par les différents rapports de la Commission et sur lesquelles la Bulgarie va devoir porter son effort : l'économie, qui n'est pas encore tout à fait une économie de marché ; le système judiciaire, notamment en matière pénale et civile, qui soulève des difficultés, en particulier à cause de la longueur des délais de jugement ; des insuffisances en termes de capacité administrative ; enfin, le problème de la corruption, contre laquelle le Gouvernement entend lutter de manière résolue.

Après avoir remercié le Président de la Commission de l'intégration européenne de l'Assemblée nationale bulgare, M. Daniel Valtchev, de s'être exprimé dans un excellent français, le Président Alain Barrau a invité les Membres de la Délégation à prendre la parole.

M. Gérard Fuchs a d'abord déclaré que la Bulgarie a toute sa place dans l'Union européenne en raison de sa géographie et de son histoire, puis il a rappelé la proximité culturelle de ce pays avec la France. Il a ensuite observé que des courants d'opinion dans les pays candidats à l'adhésion manifestaient parfois quelques réticences à l'égard du projet européen qui a pour objet de mettre en commun l'exercice de certaines souverainetés. Cette attitude est motivée par le fait que ces pays n'ont pu retrouver leur souveraineté et la démocratie qu'à une date encore récente. Il a donc souhaité connaître la position de la Bulgarie dans le débat sur l'approfondissement de l'Union européenne et le renforcement du poids politique de celle-ci dans le monde. Il a estimé, quant à lui, que le renforcement des institutions européennes constitue une véritable nécessité politique.

M. Maurice Ligot a évoqué le problème du nucléaire, auquel sont confrontés d'autres pays candidats que la Bulgarie. Après avoir rappelé que le nucléaire constituait la source d'énergie la plus efficace et la plus économique, il a souhaité obtenir des éléments d'information sur les exigences posées par la Commission à l'égard de la centrale nucléaire de Kozloduy.

M. René André a noté, en premier lieu, que la Bulgarie fournit, par le biais de cette centrale, de l'électricité à la Macédoine et à d'autres pays de la zone balkanique. Il a également rappelé l'existence de propositions concernant la constitution d'un marché commun de l'énergie dans l'Europe du Sud-Est, sur lesquelles il a souhaité connaître la position de la Bulgarie. Il s'est également enquis des mesures prises par la Bulgarie pour lutter contre la corruption, le trafic d'êtres humains, le trafic de drogue qui posent des défis à l'ensemble des PECO. Il a enfin demandé l'appréciation de la délégation bulgare sur les tensions apparues à la frontière commune de la Macédoine et du Kosovo et leurs éventuels effets déstabilisants sur les Balkans et la Bulgarie.

Ayant rappelé que l'OLAF (Office européen de lutte anti-fraude) organisait des missions dans les pays candidats pour les aider à lutter plus efficacement contre la fraude, M. Pierre Brana a demandé si des contacts avaient été pris avec l'Office par les autorités bulgares.

Le Président Alain Barrau a interrogé M. Daniel Valtchev sur son sentiment à l'égard du concept de « fédération d'Etats nations ». Il a souhaité ensuite que les représentants de la France à la Convention sur l'avenir de l'Union européenne et ceux de la Bulgarie, à savoir un représentant de l'Exécutif et deux représentants du Parlement pour le pays candidat, puissent travailler ensemble sur cette question. A ses yeux, la France a tout à gagner à connaître et à s'appuyer davantage sur la position des pays candidats pour dessiner l'avenir institutionnel de l'Union européenne. Il a enfin souhaité connaître la position de M. Daniel Valtchev sur le calendrier de l'élargissement.

En réponse aux différents intervenants, M. Daniel Valtchev a apporté les éléments de réponse suivants :

- En ce qui concerne le calendrier de l'élargissement, la Bulgarie n'est pas très heureuse de la formule 10 + 2, qui aboutit à scinder les douze pays candidats en deux groupes, l'un de dix pays devant adhérer assez rapidement à l'Union européenne, l'autre comprenant deux pays devant adhérer plus tardivement, la Bulgarie et la Roumanie. Il est indéniable que le niveau de développement économique et le degré d'avancement dans les négociations d'adhésion des pays candidats n'est pas le même. Mais il reste que la formule 10 + 2 soulève certaines interrogations. En premier lieu, quelle sera la capacité d'intégration administrative et financière de l'Union européenne après que celle-ci aura intégré dix pays ? En deuxième lieu, un tel scénario d'adhésion ne risque-t-il pas de provoquer une vague d'euroscepticisme dans les pays n'ayant pas adhéré en même temps que les autres ? En troisième lieu, peut-on affirmer que la ratification des traités d'adhésion des derniers pays adhérents respectera des délais raisonnables lorsque ce processus impliquera 25 Etats membres ? Enfin, la solution 10+2 ne risque-t-elle pas de placer la Bulgarie et la Roumanie dans la catégorie des pays qui adhéreront à plus long terme à l'Union européenne comme la Turquie ou les pays de l'Europe du Sud-Est ? En conclusion, M. Daniel Valtchev a estimé qu'un tel scénario risquait d'augmenter le retard à rattraper de la Bulgarie et de la Roumanie pour qu'elles adhèrent, alors que les nouveaux Etats membres auront déjà bénéficié des fonds communautaires.

- En ce qui concerne les travaux de la Convention, le débat sur l'avenir de l'Union européenne revêt une urgence moindre pour la Bulgarie par rapport à la priorité de l'élargissement, qui mobilise de fait toutes les énergies. Cependant, l'Assemblée nationale bulgare a demandé en décembre 2001 au ministre des affaires étrangères de préparer une proposition de position sur l'avenir de l'Union européenne. Le document produit le 7 février 2002 par le Gouvernement a été examiné par la Commission de l'intégration européenne et celle-ci doit adopter très prochainement la position de la Bulgarie sur le sujet. Enfin, il reste difficile de se faire une idée très précise de ce que doit faire la Convention, car le statut des propositions qu'elle pourra faire est, à l'heure actuelle, peu clair.

- En ce qui concerne le problème du nucléaire, la Bulgarie dispose d'une seule centrale nucléaire, celle de Kozloduy. Cette centrale comporte 6 réacteurs, les quatre premiers produisant chacun 400 MGW. Les deux premiers réacteurs sont entrés en fonction en 1974 et 1975 respectivement, les autres plus tard. Aux termes d'un mémorandum signé en 1999 entre le ministre des affaires étrangères bulgare et le commissaire européen en charge de l'élargissement M. Verheugen, ces deux réacteurs doivent être fermés à la fin de l'année 2002. Cet engagement sera respecté. Pour les réacteurs n°3 et n°4, le Gouvernement s'est engagé à fournir un effort pour les fermer avant les dates retenues, c'est-à-dire 2008 et 2010. Selon le mémorandum, la Commission européenne invite la Bulgarie à fermer ces réacteurs avant 2006, mais cette clause n'est pas contraignante. Les autorités bulgares ont donc indiqué à la Commission européenne que la Bulgarie attend un signal politique et financier fort de l'Union européenne pour fournir un effort exceptionnel à l'égard des deux réacteurs en cause. Quoiqu'il en soit, la fermeture de ces réacteurs ne constitue pas seulement un enjeu pour l'Union européenne : elle est également devenue un enjeu de politique intérieur important. Il est probable que le « non » l'emporterait à une écrasante majorité si un référendum devait être organisé dans ce domaine.

M. Daniel Valtchev a enfin apporté les précisions suivantes :

- La corruption s'explique, en Bulgarie, par le passage très rapide d'une économie étatique à une économie de marché et par l'absence d'administration professionnelle bien rémunérée. Le gouvernement bulgare a élaboré une stratégie de lutte systématique contre la corruption, qui a été présentée avec succès à Bruxelles en septembre 2001.

- Le Gouvernement et le Parlement bulgares préparent une nouvelle loi de privatisation, visant notamment à créer un organisme de contrôle indépendant, à rendre la procédure de privatisation plus transparente et à améliorer les conditions du financement des privatisations.

- La Bulgarie est un facteur de stabilité dans la région. Elle reconnaît les minorités ethniques, qui sont représentées au Gouvernement, au Parlement, et dans les exécutifs locaux.

Mme Irina Bokova a évoqué la situation en Macédoine, rappelant que la Bulgarie avait été le premier Etat à reconnaître l'indépendance de ce pays. Elle a estimé que la crise macédonienne avait été largement importée par des groupes extrémistes du Kosovo et que la communauté internationale devait apporter un appui plus marqué à la Macédoine. Elle a annoncé que le nouveau Président bulgare, M. Parvanov, se rendrait à Skopje dans les prochains jours. Elle a souhaité que l'Union européenne accorde un nouveau programme d'assistance économique à la Macédoine.

M. Chetin Kazak a rappelé que la Bulgarie fournissait de l'énergie à tous les pays voisins, à l'exception de la Roumanie, et que le peuple bulgare était donc très sensible à toute menace pesant sur son indépendance énergétique et sur les ressources financières procurées par ses exportations énergétiques. Il a ajouté qu'un groupe d'experts internationaux procédait actuellement à l'évaluation du niveau de sécurité nucléaire dans la centrale de Kozloduy.

M. Chetin Kazak a confirmé que le Gouvernement bulgare venait d'adopter un nouveau plan de lutte contre la corruption, due essentiellement à la faiblesse des salaires dans la fonction publique bulgare. Il a indiqué que la création d'un institut de formation des cadres administratifs bulgares sur le modèle de l'E.N.A. française était envisagée. Il a précisé que la Bulgarie souhaitait obtenir des garanties et une feuille de route précise dans le cadre du processus d'élargissement, et proposé que des représentants de la Bulgarie puissent participer à la C.I.G. de 2003, qui préparera le traité de l'élargissement, et siéger avec voix consultative au Parlement européen dès 2004.

M. Vassil Panitza a évoqué les conséquences de la fermeture de certains réacteurs de la centrale nucléaire de Kozloduy sur le prix de l'électricité et la croissance économique, faute de ressources énergétiques alternatives.

M. le Président Daniel Valtchev a apporté des réponses complémentaires sur les points suivants :

- la Bulgarie ne va pas continuer à pouvoir exporter son électricité. Elle fait des efforts pour construire une nouvelle centrale thermique et rechercher des sources d'énergie renouvelable ;

- Dans le cadre du processus d'élargissement, la Bulgarie souhaite ne pas être isolée, avec la Roumanie, des autres pays candidats. Elle souhaite pouvoir être représentée au Parlement européen dès 2004 (sans droit de vote) et recevoir de Bruxelles une nouvelle feuille de route, afin de clore les négociations d'adhésions avant la fin de 2003.

Le Président Alain Barrau s'est déclaré favorable à des négociations individualisées, plutôt qu'à un « big bang ». Il a évoqué les liens historiques qui unissent la France et la Bulgarie, la participation de la Bulgarie au mouvement de la francophonie et son positionnement géo-stratégique. Il a salué les remarquables efforts consentis par la Bulgarie pour intégrer rapidement l'acquis communautaire.

II. Rapport d'information de M. René André sur le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est

M. René André a rappelé qu'il avait fallu attendre dix ans de conflits et de désintégration dans l'ex-Yougoslavie pour que la communauté internationale se décide à abandonner son approche fragmentaire dans le traitement de la crise la plus grave qu'ait connue le continent européen depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. La création du Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est à la Conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement de Sarajevo, en juillet 1999, a suscité un immense espoir parce qu'il définissait pour la première fois une approche globale pour la stabilisation et la reconstruction des Balkans.

Cette initiative s'est développée dans une période d'euphorie en 2000 avec l'élan démocratique qui s'est manifesté dans toute la région et s'est traduit en particulier par la chute du régime de Milosevic. L'année 2001 a été celle des désillusions à la suite des tensions apparues au Kosovo, dans l'Ancienne république yougoslave de Macédoine ( ARYM) et entre le Monténégro et la Serbie.

Ce renversement de situation entre l'agresseur et la victime au sud de la région, ainsi que la quasi-stagnation de la situation en Bosnie-Herzégovine sept ans après les accords de Dayton, montrent que deux dynamiques contradictoires sont à l'_uvre - l'une de stabilisation et de reconstruction, l'autre de désintégration et de recomposition - dont on ne sait laquelle des deux va l'emporter.

C'est dans ce contexte qu'intervient le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est. Il s'efforce de tirer les leçons des insuffisances de l'approche fragmentaire et quelque peu désordonnée adoptée par la communauté internationale dans le traitement des crises de Bosnie-Herzégovine et du Kosovo qui ne lui a pas permis de prévenir ces crises. Regroupant la quasi-totalité des acteurs jouant un rôle dans cette région, il propose une approche globale coordonnant l'ensemble des initiatives internationales. Son action s'ordonne autour de trois thèmes : démocratie et droits de l'homme ; reconstruction de l'économie, développement et coopération ; sécurité, y compris justice et affaires intérieures.

Depuis son lancement, le Pacte a remporté quelques succès et a abouti à des réalisations assez visibles dans plusieurs domaines tels que les infrastructures routières, la lutte contre la corruption, la stimulation de l'investissement privé ou des mesures commerciales. D'une manière générale, il contribue à la réalisation des objectifs de l'Union européenne dans le cadre du processus de stabilisation et d'association qu'elle a développé parallèlement à partir de 1999, en donnant vie au concept de coopération régionale dans une région où elle était jusqu'alors inconcevable.

Mais il a suscité aussi beaucoup de déception parce qu'on a laissé se développer un malentendu chez ceux qui ont cru y voir un plan Marshall et ont nourri des attentes très supérieures aux réalisations. Le Pacte de stabilité fait en effet l'objet de diverses critiques : il est écartelé entre l'ampleur de ses ambitions, la faiblesse de ses moyens et la puissance des autres acteurs.

Aussi ne peut-on que se féliciter de la décision du Conseil « Affaires générales » du 20 décembre 2001 de recentrer le Pacte pour mettre fin à un risque de concurrence inutile avec le processus de stabilisation et d'association de l'Union européenne. Le Pacte de stabilité se concentrera davantage sur la coopération régionale et sera davantage coordonné avec la politique de l'Union européenne dans la région.

Le Pacte de stabilité est confronté aujourd'hui à un triple défi : défi politique de stabilisation des Balkans et de restructuration des Etats, défi économique de transition vers une économie dynamique et ouverte, défi culturel de réconciliation et d'intégration aux valeurs communes.

Le défi politique est double : il faut tout à la fois stabiliser les Balkans et reconstruire les Etats. Le cadre international, fixé par les accords de Dayton et la résolution 1244 du Conseil de sécurité, ainsi que l'accord d'Ohrid intervenu en ARYM sont stricts et reposent sur le respect des frontières actuelles ainsi que sur la volonté très nette de préserver un équilibre intercommunautaire ou interethnique à l'intérieur d'Etats reconnus internationalement.

Cet équilibre est fragile. Il a néanmoins permis de stabiliser la situation et d'empêcher jusqu'à présent de nouveaux déferlements de violence tant en Bosnie qu'au Kosovo, même s'il y a des zones de tensions dans l'entité serbe de Bosnie, au Kosovo et en Macédoine.

L'évolution passe par le soutien à la mise en place d'institutions démocratiques et efficaces et l'avènement de responsables représentatifs, capables de gérer des Etats pérennes ou des entités largement autonomes à l'intérieur de frontières stabilisées.

Mais ces actions seraient insuffisantes en l'absence d'une réflexion approfondie sur la politique qu'il faudra mener à moyen et long terme. La communauté internationale doit s'interroger sur le sens de son action, les objectifs qu'elle poursuit, l'adéquation de ses moyens à ses ambitions et à son mode d'intervention. Les responsables sur le terrain, notamment les militaires, s'interrogent sur la durée et l'ampleur de leur engagement au Kosovo.

Le régime actuel de protectorat international ne peut en outre durer indéfiniment, tant en Bosnie qu'au Kosovo, car il risquerait de déboucher sur une démotivation profonde des responsables locaux qui sont trop dépendants d'une présence internationale toute puissante dont ils attendent tout.

Il n'est cependant pas souhaitable d'envisager un désengagement à court ni même à moyen terme. La zone paraît trop fragile et les risques de conflit restent élevés, tant au Monténégro si la population manifestait clairement par référendum son souhait d'indépendance qu'en Macédoine si l'équilibre délicat instauré par les accords d'Orhid était rompu, ou en Bosnie-Herzégovine demeurant tiraillée entre ses deux entités. A cet égard, la Serbie ne semble plus attacher beaucoup d'importance à la tentation du Monténégro de faire sécession de la République fédérale de Yougoslavie. Sa réalisation comporterait cependant un risque élevé de déstabilisation de la région, compte tenu de ses effets potentiels sur la Macédoine, le Kosovo où elle attiserait la tentation d'un grand Kosovo, et le maintien des accords de Dayton dans l'hypothèse d'un rapprochement de l'entité serbe de Bosnie et de la Serbie.

Le maintien d'une présence internationale pendant plusieurs années ne sera possible qu'à condition d'imaginer une réorientation raisonnée du dispositif en place. Cela suppose de mener des actions spécifiques dans chaque Etat ou chaque entité, mais aussi de mettre en place des Etats stables, aux frontières reconnues, susceptibles de faire partie d'ensembles plus larges - fédération, confédération ou organisation « sui generis » - et de coexister avec des entités au statut plus ou moins précis.

Cela suppose ensuite de mettre en place de nouveaux ensembles régionaux, ou de nouvelles structures de coopération régionale, notamment un « mini-Schengen » balkanique. La création d'un tel système, souhaitée de toute part, pourrait s'inscrire dans une telle approche. Des étapes seront sans doute nécessaires, ne serait-ce que pour permettre une lutte plus efficace contre le terrorisme et le trafic d'êtres humains.

Cette approche ne sera cependant viable que si elle évite des obstacles clairement identifiés : se contenter de geler la situation existante de manière artificielle grâce à la présence internationale ; plus globalement, ne pas nier l'existence des Etats au profit des régions, et ne pas se satisfaire de l'établissement de relations directes entre chaque Etat de la zone et l'Union européenne ; enfin, ne pas donner l'impression de recréer l'ancienne Yougoslavie à travers la coopération régionale.

Le deuxième défi, de nature économique, concerne la manière d'organiser le plus efficacement possible la transition vers une économie dynamique et ouverte.

Le Pacte va au-delà de la stabilisation macroéconomique, qui relève du FMI ou de la Banque Mondiale. Créer les conditions d'un développement durable, dans un contexte fragilisé par les conflits, passe par de nombreuses réformes pour relancer l'activité économique, diminuer le chômage, augmenter le pouvoir d'achat et revenir progressivement à une croissance équilibrée.

Il doit surtout faciliter une véritable coopération économique régionale. Les domaines d'intervention sont nombreux, qu'il s'agisse de protection des investissements, de coopération transfrontalière, de la réduction des files d'attente aux frontières, de lutte concrète contre la corruption. Ces divers projets nécessiteront probablement la mise en place de nouvelles structures. Le cas de la coopération en matière énergétique est à cet égard intéressant : une structure de coopération régionale pourrait être créée à cette fin, sur le modèle de la CECA.

Une nouvelle piste de réflexion, particulièrement prometteuse, concerne la mise en place d'une zone de libre échange balkanique. Prévue par les accords de stabilisation et d'association, cette zone de libre échange permettrait de remédier à l'étroitesse des marchés de chacun des acteurs (Etats ou entités) et d'attirer plus d'investissements étrangers.

Enfin le défi culturel de la réconciliation et de l'intégration aux valeurs communes de l'Europe doit être relevé. Les peuples ne sortiront de leur cloisonnement que si les élites de la région conduisent cette évolution. L'Union européenne donnerait toute sa portée au principe, posé le 20 novembre 2001, de « l'intégration irrévocable des pays du processus de stabilisation et d'association dans les structures euro-atlantiques », si elle prenait une initiative majeure pour symboliser cette intégration aux valeurs communes de l'Europe.

Il existe deux collèges d'Europe à Bruges et à Natolin en Pologne. La France pourrait proposer de créer un troisième collège d'Europe dans la région des Balkans, en prévoyant que les Etats membres de l'Union européenne les plus susceptibles de s'investir dans ce projet se porteraient garants de sa pluralité et de sa neutralité. Cette initiative préparerait les nouvelles élites à travailler ensemble à partir des valeurs communes de l'Europe, diffuserait ces valeurs et ce modèle de coopération au sein des populations et enfin instaurerait une véritable relation de confiance entre l'Union européenne et les pays de l'Europe du Sud- Est pour développer leur capacité à s'ancrer définitivement à la civilisation européenne.

M. François Loncle a constaté que la communauté internationale savait maintenant à peu près éteindre les crises, mais ne savait toujours pas les prévenir. Une instance européenne devrait s'attacher à faire évoluer le Pacte de stabilité en ce sens et à améliorer la prospective sur les menaces de conflits de manière que l'Europe, déjà très impliquée dans de nombreuses interventions, se prépare à juguler les risques futurs.

M. René André a conclu en soulignant que les enseignements du drame de Srebrenica n'avaient pas encore été tirés et qu'ils ne le seront qu'avec l'arrestation des auteurs du massacre.

III. Communication de Mme Marie-Hélène Aubert sur la mission qu'elle a effectuée à Malte du 17 au 19 décembre 2001

Mme Marie-Hélène Aubert a rendu compte à la Délégation qui l'avait chargée d'assurer le suivi du processus d'adhésion de Malte à l'Union européenne des résultats de la mission effectuée à La Valette du 18 au 20 décembre 2001 pour s'y entretenir avec les différents responsables politiques et administratifs maltais sur leur appréciation du rapport d'étape de la Commission sur l'état d'avancement des négociations avec les pays candidats à l'adhésion.

Cette mission se déroulait quelques jours après le Sommet européen de Laeken des 14-15 décembre 2001 qui a permis de constater qu'au rythme actuel des négociations, un premier groupe de pays (une douzaine dont Malte) serait sans doute prêt pour clore ces négociations fin 2002 et participer aux prochaines élections européennes de 2004.

Malte est le plus petit des pays à avoir fait acte de candidature pour adhérer à l'Union européenne. C'est une île de 380.000 habitants environ, avec une forte densité de population, située au sud-est de la Méditerranée, dont l'histoire et la culture sont marquées par cette double appartenance euro-méditerranéenne.

La candidature de Malte remonte à 1990 : elle a connu quelques péripéties puisque les négociations ont été gelées en 1996 par les travaillistes puis renouées en 1998, avec le retour du parti nationaliste au gouvernement.

Les négociations sur les modalités et le rythme de l'intégration de l'acquis communautaire ont été officiellement lancées en Février 2000 et mobilisent très largement l'activité du Parlement maltais et du gouvernement qui a fait de l'adhésion une priorité politique absolue.

20 chapitres de négociations ont été provisoirement clos à ce jour et la Commission a émis un jugement globalement satisfaisant sur l'état d'avancement de l'intégration de l'acquis communautaire. Cette mise à niveau représente un chantier considérable pour un pays de la taille de Malte qui dispose d'une capacité administrative réduite.

Toutefois, cette évolution favorable ne doit pas masquer l'importance des dossiers encore en discussion ni l'incertitude majeure que constitue l'absence de consensus politique en faveur de l'adhésion.

En ce qui concerne les différents secteurs économiques qui doivent encore faire l'objet d'un gros effort d'adaptation, Mme Marie-Hélène Aubert a cité ceux qui ont été au c_ur des entretiens qu'elle a eus avec les différents responsables politiques et représentants de la société civile maltais : il s'agit de l'agriculture, de l'environnement et de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

L'agriculture constitue un secteur politiquement sensible bien qu'il ne représente qu'1,8% de la population active et 2,3% du PIB. Il bénéficie d'un régime très protecteur vis à vis de la concurrence extérieure. Ce secteur présente une double difficulté : le Gouvernement souhaite assurer la pérennité de son agriculture, y compris pour des raisons d'aménagement du territoire, et négocier des mécanismes de soutien compatibles avec les règles communautaires.

Il doit d'autre part améliorer le niveau d'intégration de l'acquis communautaire dans le domaine sanitaire, qu'il s'agisse des règles vétérinaires ou phytosanitaires ou des normes de sécurité alimentaire. C'est l'un des domaines où la « faiblesse » administrative de Malte est la plus pénalisante alors qu'il fa ut bien reconnaître que les normes européennes sont très exigeantes.

Autre politique très en retard par rapport au niveau de protection développé dans l'Union européenne : l'environnement. La politique de protection de l'environnement à Malte est embryonnaire ; il n'existe pas de véritable plan de gestion des déchets ni de l'eau. La taille de l'île, la forte densité de population et l'afflux croissant de touristes (plus de 1,2 million par an) sont autant de facteurs aggravants. Pourtant, l'urgence est réelle et les citoyens maltais semblent avoir intégré cette préoccupation nouvelle. L'apport de financements communautaires pourra avoir un rôle accélérateur mais il importe que les autorités maltaises définissent sans attendre une politique globale et cohérente de protection de leurs ressources naturelles. Mme Marie-Hélène Aubert a plus particulièrement évoqué le problème de la chasse qui suscite, dans ce pays comme dans beaucoup d'autres, débats et polémiques.

Enfin, Malte devra combler son retard en matière d'égalité de traitement entre hommes et femmes pour assurer aux femmes un meilleur accès au marché du travail et à la vie politique et appliquer les directives communautaires déjà en vigueur, ce qui n'est pas encore le cas. Le statut des femmes maltaises reste très faible et beaucoup de droits tels que le divorce ou le recours à l'IVG sont à conquérir.

Si l'adoption des mesures nécessaires à l'intégration de l'acquis communautaire permettra à Malte de figurer parmi les pays prêts « techniquement » à adhérer à l'Union européenne, encore faut-il qu'un véritable consensus politique se manifeste au sein de l'opinion publique maltaise en faveur de cette adhésion. Or, pour l'instant, ce consensus fait défaut.

L'adhésion de Malte à l'Union européenne reste un point de clivage majeur entre les deux principaux partis politiques maltais : alors que ce sont les nationalistes actuellement au pouvoir qui ont introduit la candidature de Malte, les travaillistes s'y sont toujours opposés ; Les travaillistes proposent plutôt de développer avec l'Union européenne des liens de coopération renforcés selon les secteurs et de poursuivre les actions de partenariat engagées avec les pays arabes voisins, notamment dans le cadre du processus de Barcelone lancé en 1995.

L'opinion publique reste, elle aussi, très divisée sur l'opportunité pour Malte de rentrer dans l'Union européenne : pour beaucoup, l'intégration de l'acquis exige des sacrifices sans rapport avec les besoins et les capacités du pays et la taille de l'île s'oppose à la transposition de tout modèle économique et social continental valable pour un grand pays. Malte doit privilégier son statut de pays neutre et rester une passerelle entre l'Europe et la Méditerranée plutôt que d'être la porte d'entrée d'une forteresse qui serait l'Europe.

Aussi, tout en poursuivant son travail de négociations et d'adaptation, le gouvernement maltais cherche-t-il à convaincre les citoyens de la pertinence de ses choix : un centre d'information grand public a été ouvert, le débat engagé avec les partenaires économiques et un référendum annoncé, une fois les négociations terminées.

La polémique qui vient de s'engager avec certains pays candidats sur le cadre financier de l'élargissement pourrait alimenter le front du refus et l'idée que les nouveaux Etats membres ne seront pas traités de façon équitable. L'Union européenne doit donc assumer sa part de responsabilité et rassurer les pays candidats sur ce point.

Compte tenu de la fragilité du consensus politique en faveur de l'adhésion, Mme Marie-Hélène Aubert a estimé que seule une réflexion aussi poussée et ouverte que possible engagée avec les citoyens maltais sur les valeurs et les enjeux politiques de la construction européenne permettra-il de constituer le ciment nécessaire pour fonder un réel sentiment d'appartenance et d'adhésion à l'Union européenne.

IV. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Alain Barrau, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

La Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur :

- une communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil ainsi que deux propositions de décision du Parlement européen et du Conseil relatives aux réseaux transeuropéens pour l'échange électronique des données entre administrations (IDA) (document E 1838) ;

    - une proposition de décision du Conseil relative à l'approbation, au nom de la Communauté européenne, du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l'exécution conjointe des engagements qui en découlent (document E 1903) ;

    - une proposition de décision du Conseil autorisant les Etats membres à ratifier, dans l'intérêt de la Communauté européenne, la Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute (convention « Hydrocarbures de soute ») (document E 1906) ;

    - une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'établissement de règles et procédures concernant l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroport de la Communauté (document E 1907) ;

    - une proposition directive du Parlement européen et du Conseil portant création d'un cadre communautaire pour classer les émissions sonores produites par les aéronefs subsoniques civils aux fins de calculer les redevances sur le bruit (document E 1922) ;

    - une demande de dérogation fiscale présentée par la France conformément à l'article 17, paragraphe 2 de la sixième directive 77/388/CE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (Accord-cadre franco-allemand du 12 juin 2001 relatif à la construction et à l'entretien de ponts frontières sur le Rhin dont les parties contractantes n'assurent pas la maîtrise d'ouvrage) (document E 1914) ;

- une lettre de la Commission du 9 janvier 2002, relative à une demande de dérogation présentée par le Luxembourg conformément à l'article 8, paragraphe 4 de la directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales (gazole à faible teneur en souffre : 55 ppm au maximum) (document E 1916) ;

- une proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative a la production et au développement de statistiques communautaires de la science et de la technologie (document E 1816) ;

- une proposition de décision du Conseil portant conclusion du protocole additionnel à l'accord d'association entre la Communauté économique européenne et la République de Malte, visant à associer la République de Malte au cinquième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (1998-2002) (document E 1911).

La Délégation a également pris acte :

- du livre blanc sur la gouvernance européenne (document E 1777) ;

- d'une communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social, au Comité des régions : programme de travail de la Commission pour 2002 (document E 1901).

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Enfin la Délégation a décidé la publication du rapport de M. Alain Barrau sur l'euro ainsi que la communication de M. Jean-Claude Lefort sur la mission effectuée en Slovénie du 10 au 12 septembre 2001, dans un rapport d'information regroupant les comptes rendus des missions effectuées en 2001 dans les pays candidats.