Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

27/01/2003 - Colloque « Vers un renforcement du système français de sécurité de l'information financière »

Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de vous dire le plaisir que j'ai à vous accueillir à l'Assemblée nationale. A l'invitation de notre collègue Eric Woerth, que je tiens à remercier d'avoir pris cette excellente initiative, le colloque d'aujourd'hui va nous permettre de débattre des mesures à prendre pour renforcer la sécurité de l'information financière.

Ce sujet sera au coeur des débats, lorsque le Parlement sera amené, dans les toutes prochaines semaines, à examiner le projet de loi sur la sécurité financière. Car il ne faut pas s'y tromper, l'enjeu est de taille. Au-delà du phénomène, somme toute logique, de dégonflement de la bulle spéculative de l'internet et des télécoms, la déprime persistante des marchés boursiers est due à une véritable crise de confiance, crise de confiance qui touche tous les acteurs du marché.

Les explications ne manquent pas : faillites retentissantes, collusion et aveuglement des autorités de régulation outre-atlantique ; révélation de pratiques contestables de gouvernement d'entreprise chez nous.

Il nous fallait réagir vite, pour rétablir la confiance dans le fonctionnement des entreprises et la fiabilité des marchés financiers. Le gouvernement l'a compris. Le projet de loi sur la sécurité financière donnera, j'en ai la conviction, un signal fort de la volonté des pouvoirs publics de rétablir des pratiques saines de gouvernement d'entreprise et de transparence de l'information financière.

Le projet de loi du gouvernement comporte des avancées décisives à mes yeux. En quelques mots, j'insisterai sur les plus importantes :

- La création de l'Autorité des marchés financiers tout d'abord.

Grâce à la fusion de la COB, du Conseil des marchés financiers et du Conseil de discipline de la gestion financière, la France va enfin pouvoir compter sur un régulateur puissant, doté de moyens renforcés et de pouvoirs accrus. Jouissant de la personnalité morale, l'AMF disposera des leviers nécessaires à une action efficace, y compris en matière judiciaire.

- La modernisation du contrôle légal des comptes ensuite.

Nous n'avons certes pas connu les scandales qui ont marqué l'actualité récente des Etats-Unis. Mais il fallait lever certaines sources d'ambiguïtés ou de suspicions. Le projet de loi répond à cet impératif, en réaffirmant l'exigence d'une stricte séparation entre les activités d'audit et de conseil.

Pour renforcer le contrôle du commissariat aux comptes, le gouvernement propose en outre la création d'un Haut Conseil, chargé de travailler en lien étroit avec la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Ainsi, les pouvoirs publics affirment leur volonté de mettre fin à l'autorégulation, pour passer à une logique de régulation partagée. Je me félicite de cette évolution et suis heureux de constater qu'elle recueille l'assentiment de la profession.

Je sais que certaines dispositions du projet de loi font débat, notamment celles relatives à la rotation obligatoire des commissaires aux comptes ou encore à la nomination alternée en cas de co-commissariat. Sur ces points et sur d'autres, la discussion au Parlement permettra sans doute d'apporter des améliorations.

Mais, au total, je crois que les propositions du gouvernement sur le contrôle légal des comptes constituent un point d'équilibre satisfaisant.

- L'amélioration des règles de transparence applicables aux sociétés anonymes enfin.

Les associations d'actionnaires minoritaires et d'actionnaires salariés ont formulé de nombreuses propositions en la matière. En septembre dernier, les Commissions des finances et des affaires économiques de l'Assemblée nationale ont tenu à auditionner un certain nombre d'entre elles, afin de tenir le plus grand compte de leurs analyses.

Pour répondre aux besoins de transparence et de sécurité qui s'expriment, le projet de loi sur la sécurité financière va clairement dans un sens positif : il fixe des obligations nouvelles d'information de l'assemblée générale (sur les procédures de contrôle interne en particulier) ; il donne aux associations d'investisseurs plus de moyens d'agir en justice lorsque des fautes graves sont commises par le management de l'entreprise.

On peut s'interroger sur l'opportunité d'aller plus loin, en consacrant par la loi certaines recommandations du rapport Bouton. Je pense en particulier aux préconisations relatives aux comités d'audit. Mais là encore, il me semble que le gouvernement est parvenu à un équilibre. Il faut en effet se garder des lois bavardes qui veulent trop embrasser, au risque de poser des exigences parfois artificielles, et souvent aisément contournables.

Faisons le pari de la confiance, en laissant aux sociétés cotées le temps de s'adapter. Mais donnons leur rendez-vous dans quelques années, pour mesurer les progrès accomplis en termes de transparence et de gouvernement d'entreprise. Si des retards importants sont à déplorer, alors le gouvernement et le législateur assumeront leurs responsabilités.

Créer un régulateur fort, mieux encadrer les activités de commissariat aux comptes, renforcer la transparence au sein des entreprises : telles sont donc les principales exigences auxquelles répondra la loi sur la sécurité financière.

Mais, au-delà, nous devons oeuvrer au renforcement de la sécurité et de la fiabilité de l'ensemble de la chaîne de l'information financière. Je pense bien sûr à tous les métiers des services financiers aux entreprises (banques d'affaires, agences de notation, analystes financiers, etc...).

Permettez-moi de prendre le cas des analystes financiers, exposés à des risques de conflits d'intérêts.

Aux Etats-Unis, dans le prolongement de la loi Sarbanes-Oxley votée en juillet 2002, la SEC propose la création d'un comité de supervision des analystes financiers, doté de pouvoirs de sanction et de moyens de recherche indépendants.

En France, les spécialistes nous disent que la fameuse "muraille de Chine" entre la banque d'affaires et les activités d'analyse financière a été et reste parfaitement étanche. Je n'ai pas de raisons d'en douter. J'ai toutefois la conviction que des mesures pourraient être prises pour conforter l'indépendance des analystes financiers.

Reconnaissance officielle de la profession d'analyste - ce qu'aucun texte n'a fait pour l'instant !- ; meilleur encadrement de l'accès à la profession ; renforcement des règles disciplinaires : voilà, sans doute parmi beaucoup d'autres, des pistes de réflexion à explorer. L'examen du projet de loi sur la sécurité financière nous donne l'opportunité de le faire ; saisissons-la.

Enfin, on ne peut l'ignorer, nos efforts pour améliorer le fonctionnement des marchés et renforcer la fiabilité de l'information financière seront d'autant plus efficaces qu'ils seront relayés par des initiatives similaires à l'échelle de l'Union européenne.

Etroite coordination des autorités de régulation, harmonisation des règles de diffusion de l'information financière au public, normalisation comptable : tels sont, entre autres, les domaines dans lesquels des progrès importants doivent encore être accomplis. C'est essentiel pour construire une Europe financière unifiée, qui à la fois permette à nos entreprises, au-delà des frontières, de financer leur développement par appel au marché, et protège les investisseurs en leur offrant des garanties de rigueur et de transparence.

Je sais que le gouvernement est déterminé à intervenir activement en ce sens à Bruxelles. Il est assuré de notre plein soutien.

Sur tous ces sujets, je suis certain que vos débats d'aujourd'hui, par leur richesse et leur hauteur de vue, apporteront une contribution précieuse aux travaux de l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la sécurité financière.

Par avance, je vous en remercie.